Assemblée nationale XVe législature Session
ordinaire de 2019-2020
Compte rendu intégral
Première séance du lundi 17 février 2020
SOMMAIRE
Présidence
de M. Richard Ferrand
1.
Système universel de retraite
Présentation
commune
M. Olivier
Véran, ministre des solidarités et de la santé
M. Laurent
Pietraszewski, secrétaire d’État chargé des retraites
M. Guillaume
Gouffier-Cha, rapporteur général de la commission spéciale
M. Nicolas
Turquois, rapporteur de la commission spéciale pour le titre Ier
M. Jacques
Maire, rapporteur de la commission spéciale pour le titre II
Mme Corinne
Vignon, rapporteure de la commission spéciale pour le titre III
Mme Carole
Grandjean, rapporteure de la commission spéciale pour le titre IV
M. Paul
Christophe, rapporteur de la commission spéciale pour le titre V
Mme Cendra
Motin, rapporteure de la commission spéciale pour le projet de loi
organique
Mme Brigitte
Bourguignon, présidente de la commission spéciale
Motion
de rejet préalable (projet de loi ordinaire)
M. Pierre
Dharréville
M. Laurent
Pietraszewski, secrétaire d’État
M. Boris
Vallaud
Mme Agnès
Firmin Le Bodo
Mme Jeanine
Dubié
M. Jean-Luc
Mélenchon
M. Gabriel
Serville
M. Stanislas
Guerini
M. Damien
Abad
M. Jean-Paul
Mattei
Suspension
et reprise de la séance
Motion
de rejet préalable (projet de loi organique)
M. Stéphane
Viry
M. Laurent
Pietraszewski, secrétaire d’État
M. Régis
Juanico
M. Thierry
Benoit
M. Philippe
Vigier
M. Éric
Coquerel
M. Hubert
Wulfranc
M. Sacha
Houlié
Mme Constance
Le Grip
M. Brahim
Hammouche
Motion
référendaire
M. André
Chassaigne
M. Fabien
Roussel
M. Laurent
Pietraszewski, secrétaire d’État
M. Olivier
Faure
Mme Agnès
Firmin Le Bodo
M. Philippe
Vigier
M. François
Ruffin
Mme Huguette
Bello
M. Jean-René
Cazeneuve
M. Gérard
Cherpion
Mme Nathalie
Elimas
Discussion
générale commune
Mme Valérie
Rabault
Mme Agnès
Firmin Le Bodo
M. Philippe
Vigier
Mme Clémentine
Autain
2.
Ordre du jour de la prochaine séance
Présidence de M. Richard Ferrand
M.
le président. La séance est ouverte.
(La séance est ouverte à seize heures.)
1
Système universel de retraite
Discussion, après engagement de la procédure accélérée,
d’un projet de loi et d’un projet de loi organique
M.
le président. L’ordre du jour appelle la discussion du projet de loi
instituant un système universel de retraite (nos 2623 rectifié,
2683) et du projet de loi organique relatif au système universel de retraite
(nos 2622, 2687).
La Conférence des présidents
a décidé que ces deux textes donneraient lieu à une discussion générale
commune.
Présentation commune
M.
le président. La parole est à M. le ministre des solidarités et de
la santé. (Applaudissements sur les bancs des groupes LaREM, MODEM et
UDI-Agir. – De nombreux députésdes groupes LaREM et MODEM se lèvent et
applaudissent.)
M.
Olivier Véran, ministre des solidarités et de la santé. Quel
accueil, merci !
Il y a presque trente ans, Michel Rocard concluait
la préface de son livre blanc sur les retraites…
M.
Alain David. Quelle référence !
M.
Christian Hutin. Dire que c’est un ancien socialiste qui le
cite !
M.
Olivier Véran, ministre. …en livrant un sentiment personnel, le
sentiment qu’« il n’y a pas de tâche plus fondamentale pour la société
française que celle qui consiste à traiter de manière exemplaire la question des
retraites ».
M.
Damien Abad. C’est mal barré !
Mme
Danièle Obono. Raté, même !
M.
Olivier Véran, ministre. Je partage cette conviction parce qu’un
système de retraite, c’est un choix de société, parce qu’un système de retraite,
c’est la solidarité nationale qui s’incarne dans un pacte entre les
générations.
M.
Christian Hutin. Vous avez oublié Rocard !
M.
Olivier Véran, ministre. Dans ces circonstances particulières,
il me revient, avec Laurent Pietraszewski, de défendre un texte dont l’ambition
est grande, et même immense. Notre système est construit sur une solidarité qui
renforce la communauté de destin entre les actifs et les inactifs. Aussi ce
projet est-il notre bien commun sans lequel la solidarité est impossible. La
retraite est une idée lointaine, voire abstraite pour les plus jeunes ;
c’est un horizon à court ou moyen terme pour les moins jeunes ; une réalité
pour nos aînés ; mais une chose est sûre : elle concerne tout le
monde. Pourtant, force est de constater que tout le monde ne se sent pas
concerné. Il suffit pour s’en convaincre de demander à un jeune actif
d’aujourd’hui comment il envisage sa propre retraite ; comme vous, j’ai
souvent entendu cette réponse inquiète : « Une retraite ? De
toute façon, moi, je n’en aurai pas. »
M.
Jean-Paul Lecoq. Grâce à vous !
M.
Jean-Paul Dufrègne. C’est le message que vous leur envoyez !
M.
Olivier Véran, ministre. Le système actuel a bien des qualités –
nous ne manquons jamais de le rappeler –, la première d’entre elles étant le
fonctionnement par répartition ; mais il a aussi des défauts, et ce sont
eux que nous devons corriger.
Le premier de ces défauts, c’est d’être
d’une telle complexité qu’il en devient incompréhensible et qu’il ne suscite pas
la confiance, notamment chez les plus jeunes. (Exclamations et rires sur les
bancs des groupes FI, SOC et GDR.)
M.
Christian Hutin. C’est le sommet ! Qui a fait ce
discours ?
M.
Alexis Corbière. Il est drôle, au moins !
M.
le président. Seul M. le ministre a la parole, mes chers
collègues.
M.
Olivier Véran, ministre. Je parle bien du système actuel,
mesdames, messieurs les députés : du haut de mes 39 ans, j’ai déjà
cotisé à quatre régimes de retraite différents. Mais chacun sait aussi que le
système actuel est injuste pour beaucoup de nos concitoyens : je pense aux
femmes et à tous ceux, nombreux, pour qui la vie professionnelle n’a jamais été
un long fleuve tranquille. (M. Olivier Damaisin
applaudit.) Avant de commencer la discussion de ces deux projets de loi, je
pense donc aux jeunes, aux femmes, à tous ceux pour qui la retraite est soit une
projection abstraite, soit une réalité injuste.
Comme tout projet de
réforme, celui-ci nourrit des oppositions. Certes, il y a…
M.
Jean-Paul Lecoq. Du bricolage !
M.
Olivier Véran, ministre. …des désaccords, il y a des
divergences,…
M.
Christian Hutin. Oh, si peu !
M.
Olivier Véran, ministre. …mais j’appelle cela la démocratie.
Pour moi, cette démocratie, c’est celle du quotidien et celle du temps long,
cette démocratie, ce sont des institutions qui permettent de regarder les
problèmes avec rigueur, avec exigence, dans le respect et dans l’écoute
mutuelle, pour pouvoir les résoudre.
M.
François Ruffin. Vous n’avez pourtant pas fait preuve d’une grande
rigueur lors de l’examen des textes en commission !
M.
le président. Mes chers collègues, ne commencez pas ainsi. Vous aurez
des heures, des jours et des nuits pour vous ébrouer dans la démocratie.
(Applaudissements sur plusieurs bancs des groupes LaREM et
MODEM.)
Veuillez poursuivre,monsieur le ministre.
M.
Olivier Véran, ministre. L’heure est aujourd’hui à la
responsabilité face aux Français (Exclamations sur les bancs du groupe
FI), au travers d’une discussion qui prendra le temps qu’elle prendra
– y compris dans le brouhaha si c’est nécessaire – parce que le
Gouvernement respecte le Parlement (Vives exclamations sur les bancs des
groupes FI et GDR. – Applaudissements sur de nombreux bancs du groupe LaREM et
sur quelques bancs du groupe MODEM) et les moyens de l’opposition, même
lorsque ces moyens ne sont pas mis au service de la progression du débat.
M.
Jean-Paul Lecoq. Vous ne respectez personne, ni le Parlement, ni le
peuple ! Ce discours est nul !
M.
Olivier Véran, ministre. Et j’espère que les orateurs qui vont
me succéder pourront parler autrement que dans le brouhaha permanent que
certains imposent aujourd’hui à la représentation nationale. (Nouvelles
exclamations sur les bancs des groupes FI et GDR.)
Quoi qu’il en
soit, cette discussion doit marquer une nouvelle étape, chacun étant dans son
rôle et dans ses prérogatives. L’ambition que porte le Gouvernement est
triple : construire un système universel qui assure chaque Français, quel
que soit son parcours et quelle que soit sa position ; prendre en compte
les trajectoires de vie en déplaçant notre regard du statut vers
l’activité ; mobiliser de nouveaux leviers, comme la prévention ou le droit
à la reconversion pour les métiers les plus pénibles. Car oui, il faut le dire,
le système actuel laisse au bord du chemin les plus fragiles de nos concitoyens,
les moins représentés, et il attend souvent trop longtemps pour réparer au lieu
de prévenir. Pour mener à bien cette ambition, nous nous armons d’un
principe : celui de l’universalité. Quel beau mot que l’universalité.
M.
Jean-Paul Lecoq. Cela sonne faux dans votre bouche !
M.
Christian Hutin. Novlangue des macronistes !
M.
Olivier Véran, ministre. Et nous nous armons aussi d’une
exigence, celle de la solidarité, autre très beau mot, et d’un état d’esprit,
celui de la responsabilité.
L’universalité n’est pas qu’un mot :
c’est le pilier de la protection sociale que nous construisons.
M.
Jean-Paul Dufrègne. Casseurs de retraites !
M.
Olivier Véran, ministre. L’universalité que nous défendons, ce
n’est pas un universalisme abstrait qui refuserait de considérer les différences
de fait entre les personnes, entre les parcours et entre les situations. Nous
pouvons et devons à la fois proposer un régime universel et tenir compte des
parcours de vie de chacun.
Le régime universel permet de sortir des
logiques professionnelles qui créent tantôt de la défiance, tantôt de la
suspicion, parce qu’il en est ainsi dès que l’on pense ne pas être logé à la
même enseigne que son voisin. (Exclamations sur les bancs des groupes FI et
GDR.) C’était d’ailleurs le dessein des pères fondateurs de la sécurité
sociale, comme en témoigne cette disposition de l’ordonnance du 4 octobre
1945 portant organisation de la sécurité sociale : « Sont
provisoirement soumises à une organisation spéciale de sécurité sociale les
branches d’activités ou entreprises énumérées [par un décret en Conseil d’État]
parmi celles jouissant déjà d’un régime spécial. » C’est du provisoire qui
a duré soixante-quinze ans !
Le premier à avoir déploré cette
situation était d’ailleurs Pierre Laroque qui, revenant sur la création
historique de la sécurité sociale, regrettait l’échec de l’instauration d’un
régime unique : « […] ce plan, dans ce qu’il pouvait avoir de
révolutionnaire par sa volonté d’affirmer une solidarité nationale, a néanmoins
buté sur l’obstacle de structures sociales existantes qui se sont révélées
parfois plus puissantes que les forces de renouvellement ».
Quant à
la voix d’Ambroise Croizat (Exclamations sur les bancs des groupes SOC, FI et
GDR), elle résonne encore, alors qu’il rappelait le 8 août 1946, à
cette même tribune, l’ambition de la sécurité sociale de « permettre à tous
les individus de développer au maximum leurs moyens propres ».
M.
Sébastien Jumel. Ça sonne faux !
Mme
Danièle Obono. Laissez-le donc en paix !
M.
Olivier Véran, ministre. Et il n’imaginait pas cette ambition
réalisable dans une multiplicité d’institutions, parce que, disait-il, « la
caisse unique est la condition indispensable de toute sécurité sociale digne de
ce nom ».
Nous ne défendons pas une autre position, aujourd’hui, que
celle des pères fondateurs de la sécurité sociale. (Protestations sur les
bancs des groupes FI et GDR),…
M.
Stéphane Peu. Ils doivent se retourner dans leur tombe !
M.
Olivier Véran, ministre. …et ce d’autant plus que la sécurité
sociale est une promesse qui, pour être tenue, doit s’adapter aux réalités
nouvelles. Car oui, nous voulons une protection sociale plus robuste, plus
universelle et mieux adaptée au monde d’aujourd’hui. (Protestations sur les
bancs des groupes FI et GDR. – Applaudissements sur quelques bancs du groupe
LaREM.)
M.
Sébastien Jumel. Mensonge !
M.
Olivier Véran, ministre. Le « monde d’aujourd’hui »
est plus qu’une expression :…
M.
Alexis Corbière. C’est du pipeau !
M.
Olivier Véran, ministre. …ce sont des parcours de vie hachés,
des carrières moins linéaires, de nouveaux risques qui n’étaient pas identifiés
hier et qui se présentent à nous aujourd’hui avec force ! L’universalité
est un principe qui permet l’adhésion, la lisibilité, en un mot la confiance.
Mais, je l’ai dit, nous ne versons pas dans un universalisme abstrait :
nous voulons l’égalité, mais nous savons aussi qu’une égalité aveugle aux
différences est injuste et même parfois dangereuse.
J’en viens à présent
à la question des solidarités. Car pour conjurer le risque d’un universalisme
abstrait, nous devons inventer de nouvelles solidarités :…
M.
Jean-Paul Dufrègne. Faites payer les riches ! Faites payer le
capital !
M.
Olivier Véran, ministre. …pas des solidarités qui se substituent
aux anciennes mais, au contraire, des solidarités qui les complètent et qui les
élargissent pour protéger toujours davantage les Français.
M.
Alexis Corbière. Quelle langue de bois !
M.
Olivier Véran, ministre. Des situations nouvelles nous obligent
aujourd’hui à aller vers des populations fragiles et à identifier les situations
de vulnérabilité pour construire des politiques sociales adaptées à ces réalités
individuelles.
M.
Christian Hutin. Plus personne ne vous croit ! Arrêtez !
M.
Olivier Véran, ministre. Le monde du travail n’est plus pour
tout le monde celui où l’on franchissait les portes d’une entreprise pour y
passer toute sa carrière.
M.
Jérôme Lambert. Il suffit en effet de traverser la rue !
M.
Olivier Véran, ministre. Le monde du travail d’hier a pu
justifier l’organisation professionnelle du système de retraite et la
multiplication du nombre de régimes, mais tenir compte des instabilités, c’est
comprendre que si certains sont à l’aise dans la mondialisation et n’ont
finalement pas tant vu leur parcours modifié,…
M.
Alexis Corbière. Surtout les bénéficiaires de retraites
chapeaux !
M.
Olivier Véran, ministre. …d’autres en subissent les conséquences
et ressentent au mieux de l’amertume, au pire de la souffrance. Là où les
fragilités étaient transversales, collectives et interprofessionnelles, elles
sont aujourd’hui multiples et individuelles, et bien souvent vécues dans
l’isolement. Identifier ces fragilités nouvelles, les anticiper et les prévenir,
tel est l’enjeu majeur de notre protection sociale ; notre système de
retraite ne doit pas devenir l’angle mort d’une protection sociale qui ne
saurait pas s’adapter à la vie des Français – je pense en particulier à tous
ceux qui, dans le système actuel, sont défavorisés et parfois même oubliés.
Mme
Danièle Obono. Vous allez les enfoncer un peu plus dans la
précarité !
Mme
Mathilde Panot. Vous aggravez leur situation !
M.
Olivier Véran, ministre. C’est le cas des femmes : nous
savons qu’aujourd’hui, les pensions des femmes sont très largement inférieures à
celle des hommes, presque de moitié, alors même qu’elles partent souvent
beaucoup plus tard à la retraite. C’est inacceptable.
M.
Nicolas Dupont-Aignan. Ce sera pire !
M.
Olivier Véran, ministre. On tiendra dorénavant mieux compte de
la maternité et du nombre d’enfants pour permettre aux femmes, qui parfois
s’arrêtent de travailler pour élever leurs enfants, d’accéder à un meilleur
niveau de pension. (Exclamations sur plusieurs bancs du groupe
FI.)
Mais la solidarité, c’est aussi, ne nous payons pas de mots,
faire contribuer chacun selon ses moyens à la solidarité nationale…
M.
Jean-Paul Lecoq. Chiche !
M.
Olivier Véran, ministre. …pour financer des mesures de
solidarité pour tout le monde, à commencer par les plus fragiles de nos
concitoyens. Je pense évidemment à tous ceux qui, après avoir travaillé toute
leur vie, se retrouvent, fatigués, avec une pension de misère :
agriculteurs, artisans, commerçants. Ces gens qui touchent aujourd’hui
700 euros pourront percevoir demain, grâce à la réforme que, je l’espère,
vous serez nombreux à voter mesdames, messieurs les députés, un minimum de
1 000 euros. (Applaudissements sur de nombreux bancs des groupes
LaREM et MODEM. – Exclamations sur les bancs des groupes SOC,
FI et GDR.)
M.
Sébastien Jumel. Comment allez-vous gérer le stock de la population
agricole ?
M.
Olivier Véran, ministre. Pensez à ces personnes au moment où
vous criez, mesdames, messieurs de l’opposition (Nouvelles exclamations sur
les bancs des groupes FI et GDR),…
M.
le président. Doucement, mes chers collègues !
M.
Christian Hutin. Cela va être la guerre pendant les quinze prochains
jours, il faut l’accepter, monsieur le président !
M.
Olivier Véran, ministre. …pensez à ces personnes qui attendent
cette réforme.
M.
Claude Goasguen. Cela n’a rien à voir !
M.
Olivier Véran, ministre. Par cette proposition, le Gouvernement
tient la promesse du préambule de la Constitution de 1946 qui prévoyait que
quiconque se trouvant, « en raison de son âge, […] dans l’incapacité de
travailler [aurait] le droit d’obtenir de la collectivité des moyens convenables
d’existence. »
L’universalité étant notre principe et les
solidarités notre exigence commune, j’en viens enfin à notre état
d’esprit : la responsabilité. Elle n’est pas une option. J’ai déjà évoqué à
cet égard les jeunes de notre pays, que notre système de retraite laisse souvent
pour le moins dubitatifs. Il faut leur redonner confiance,…
M.
Jean-Paul Lecoq. Donnez-leur un travail, pour commencer !
M.
Olivier Véran, ministre. …parce que sans une jeunesse qui
regarde l’avenir avec sérénité, le pacte entre les générations pourrait être
rompu.
La responsabilité, c’est aussi de dire que les Français sont
lassés de voir des réformes paramétriques à intervalles réguliers, réformes qui
courent après l’augmentation de l’espérance de vie en laissant à chacun un
sentiment d’inachevé et d’inachevable. Une concertation est en cours avec les
partenaires sociaux pour définir les modalités d’un rééquilibrage du système de
retraite d’ici à 2027. (Exclamations sur les bancs des groupes FI et
GDR.)
Mme
Mathilde Panot. Vous cassez l’assurance-chômage !
M.
Jean-Paul Lecoq. Mais tout n’est pas écrit !
M.
Olivier Véran, ministre. Mesdames, messieurs les députés, le
projet que je vous présente avec le secrétaire d’État chargé des retraites a été
annoncé de longue date.
M.
Sébastien Jumel. Un projet-gruyère !
M.
Olivier Véran, ministre. Ce projet a la légitimité d’un
programme présidentiel
(« Non ! »
sur les bancs des groupes FI et GDR), la légitimité d’une concertation,
la légitimité d’un rapport préparatoire conduit sous l’égide de Jean-Paul
Delevoye. (Applaudissements sur de nombreux bancs du groupe LaREM et sur
quelques bancs du groupe MODEM. – Nouvelles exclamations sur les bancs des
groupes FI et GDR.)
M.
Jean-Paul Lecoq. Il est rejeté par le peuple !
M.
Olivier Véran, ministre. Et j’espère qu’il aura demain la
légitimité due à la large confiance accordée par les parlementaires.
Je
rappelle que de nouvelles garanties ont été annoncées par le Premier ministre
s’agissant des mesures de transition relatives à l’emploi des seniors et à la
pénibilité, et que des amendements ont été déposés permettant de compenser les
préjudices de carrière que subissent les femmes en raison de la naissance et de
l’éducation des enfants.
Mme
Mathilde Panot. C’est bien qu’il y avait un problème !
M.
Olivier Véran, ministre. Ces évolutions renforcent le volet
solidarités du projet de réforme des retraites.
Des discussions se
poursuivent encore sur la prévention de la pénibilité, sur le financement et sur
l’équilibrage du régime.
M.
Christian Hutin. Sur tout le texte, en quelque sorte !
M.
Olivier Véran, ministre. Les partenaires sociaux doivent en
effet être force de propositions. Car la démocratie sociale est belle, mesdames,
messieurs de l’opposition, elle ne devrait pas vous faire peur.
(Applaudissements sur de nombreux bancs du groupe LaREM.)
M.
Claude Goasguen. Oh, ça va !
M.
Jean-Paul Lecoq. Un ministre qui harangue ainsi les députés, c’est du
jamais vu !
M.
Olivier Véran, ministre. C’est d’ailleurs l’objectif même de la
gouvernance que nous allons mettre en place, et qui n’empêchera pas la
démocratie parlementaire, ce que démontre notre présence à tous.
(Protestations sur les bancs des groupes FI et GDR.)
M.
le président. N’interrompez pas l’orateur. Cela ne sert à rien.
(Mêmes mouvements.)
M. Jean-Paul
Lecoq et M. Christian Hutin. Le ministre nous y incite !
M.
le président. Monsieur le ministre, ne vous laissez pas distraire,
poursuivez.
M.
Stéphane Peu. Ce n’est pas un ministre, c’est un provocateur !
M.
Christian Hutin. Je vous le dis : ça va être la guerre !
M.
Olivier Véran, ministre. Je constate avec étonnement que ce qui
vous fait hurler le plus, c’est l’idée de laisser à la démocratie sociale le
soin de faire des propositions. (Applaudissements sur de nombreux bancs du
groupe LaREM. – Exclamations sur les bancs des groupes SOC, FI et GDR.)
M.
Éric Coquerel. Allez dire cela à Mme Pénicaud !
M.
Olivier Véran, ministre. Mais cet exercice renouvelé de la
démocratie sociale, dont nous avons grandement besoin, n’est pas, je le répète,
incompatible avec l’exercice de la démocratie parlementaire. Ainsi, les mesures
qui feraient l’objet d’un accord entre partenaires sociaux trouveront bien
évidemment leur place dans le débat parlementaire et dans la loi, tout comme les
propositions des partenaires sociaux s’agissant du système universel seront bien
évidemment examinées par le Parlement, pour être validées dans l’exercice de son
pouvoir démocratique souverain.
Car la retraite est avant tout une
protection sociale et la promesse que chacun d’entre nous aura les moyens de
vivre correctement en quittant sa vie professionnelle. En créant le système
universel, nous voulons répondre à la demande de justice et d’égalité devant la
retraite.
M.
Jean-Paul Lecoq. Si ce projet est si bon, laissez le peuple donner son
avis !
M.
Olivier Véran, ministre. Cette exigence a été exprimée par les
citoyens tout au long de la démarche d’élaboration participative de la
réforme.
M.
Christian Hutin. Référendum !
M.
Olivier Véran, ministre. Face à l’instabilité des parcours et
aux incertitudes de l’avenir, plus fortes aujourd’hui que par le passé, la
protection sociale est plus que jamais un cadre de référence et de
stabilité.
M. Stéphane
Peu et M. Jean-Paul Lecoq. Référendum ! Référendum !
M.
Olivier Véran, ministre. Dans un monde qui désarçonne, la
stabilité n’est pas seulement une attente légitime : elle est aussi un
impératif auquel nous devons répondre.
J’ai cité Pierre Laroque, Ambroise
Croizat et Michel Rocard : je sais ce que nous devons aux pères fondateurs
de la sécurité sociale et à ceux qui leur ont succédé – nous leur devons
énormément. Le projet de loi que nous présentons aujourd’hui reste, je le crois,
fidèle à leurs valeurs fondatrices.
M.
Stéphane Peu. Vous ne respectez même pas les morts !
M.
Olivier Véran, ministre. Il s’agit d’un projet porteur de
grandes ambitions pour protéger les Français de manière plus juste et plus
efficace.
En tant que ministre chargé de la sécurité sociale, je
défendrai l’unification dans les lois de financement de la sécurité sociale, dès
2022, du pilotage du financement des dépenses des régimes de base et des régimes
complémentaires du risque vieillesse : c’est en effet le seul moyen de
donner à voir au Parlement et à nos concitoyens la réalité financière du système
universel.
Je défends ce texte…
M.
Sébastien Chenu. Mal !
M.
Alain Bruneel. Comme vous avez défendu l’hôpital !
M.
Olivier Véran, ministre. …avec la conviction qu’il sera à la
hauteur de notre attachement indéfectible à la solidarité et du combat que nous
menons sans relâche pour la justice sociale. (Applaudissements sur les bancs
des groupes LaREM et MODEM. – M. Paul Christophe applaudit
également.)
M.
le président. La parole est à M. le secrétaire d’État chargé des
retraites. (Exclamations sur les bancs des groupes FI et GDR.)
M.
Laurent Pietraszewski, secrétaire d’État chargé des retraites.
Le débat qui s’ouvre dans cet hémicycle est un des plus importants de ces
dernières années.
M.
Fabien Roussel. Justement !
M.
Laurent Pietraszewski, secrétaire d’État. Il s’agit de refonder
notre système de retraite…
M.
Jean-Paul Lecoq. Dites plutôt le détruire !
Mme
Danièle Obono. Le saccager !
M.
Jean-Paul Lecoq. Le saboter !
M.
Laurent Pietraszewski, secrétaire d’État. …pour le corriger des
nombreuses injustices qu’il produit.
M.
Sébastien Jumel. Les quinze jours qui ébranlèrent le monde…
M.
Laurent Pietraszewski, secrétaire d’État. Nous défendons le
projet d’un système universel – un système capable de s’adapter, au fil du
temps et en permanence, aux évolutions sociales, à la transformation des métiers
et des parcours professionnels, mais aussi à son environnement économique. Ce
projet s’inscrit dans l’ambition que nous nourrissons pour le pays : celle
d’organiser une protection sociale pour aujourd’hui et pour demain, pour nos
parents, pour nous-mêmes et pour nos enfants.
M.
Jérôme Lambert. Quelle envolée !
M.
Christian Hutin. Et quel enthousiasme…
M.
Erwan Balanant. C’est sûr qu’il ne fait pas autant de cinéma que
vous…
M.
Laurent Pietraszewski, secrétaire d’État. C’est dans ce but que
le Gouvernement entend réformer notre système de retraite. Tel est l’engagement
que nous avions pris devant les Français : instaurer un système
universel,…
M.
Hubert Wulfranc. C’est une absurdité !
M.
Jean-Paul Lecoq. Ils n’ont pas voté pour ça ! Ils ont voté contre
Le Pen !
M.
Laurent Pietraszewski, secrétaire d’État. …juste, transparent et
fiable, garantissant les mêmes droits à chacun, tout en prenant en considération
les spécificités des métiers.
M.
Christian Hutin. Vous voulez surtout faire la part belle aux assureurs
privés !
M.
Laurent Pietraszewski, secrétaire d’État. Après le temps de la
démocratie sociale et de la concertation avec les citoyens, après le temps de la
commission spéciale, voici venu le temps du débat et de l’examen du texte par la
représentation nationale, sous le regard attentif des Français. Nous voulons
transformer le pays pour le rendre plus juste et plus fort, afin de récréer la
confiance et le consensus social.
M.
Jean-Paul Lecoq. Vous l’avez mis dans la rue, le pays ! Il n’est
jamais allé aussi mal, à cause de vous !
Mme
Danièle Obono. Vous le réduisez au silence !
M.
Laurent Pietraszewski, secrétaire d’État. Nous avons réformé
avec succès le dialogue social, l’apprentissage, la formation professionnelle et
l’assurance-chômage.
M.
Jean-Paul Lecoq. Vous avez cassé l’assurance-chômage !
M.
Hubert Wulfranc. « Dehors, les chômeurs ; dehors les
retraités ! »
M.
Laurent Pietraszewski, secrétaire d’État. Nous voulons désormais
refonder notre système de retraite.
Je vous rejoins sur un point,
mesdames et messieurs les députés : la retraite suscite – le
Gouvernement le sait – de l’inquiétude parmi nos concitoyens.
M.
Jérôme Lambert. Il y a de quoi !
M.
Jean-Paul Lecoq. Seuls les plus riches restent sereins !
M.
Laurent Pietraszewski, secrétaire d’État. C’est bien normal,
puisqu’elle procure aux Français qui ne sont plus en âge de travailler 80 %
de leurs ressources. J’affirme donc ici devant vous que le système universel de
retraite sera plus juste, plus efficace…
M.
Vincent Descoeur. Pas pour tous !
M.
Laurent Pietraszewski, secrétaire d’État. …et améliorera
– je le démontrerai tout au long des débats – la situation de la
plupart des Français. (« C’est
faux ! » sur les bancs des groupes
LR et GDR.) Rien ne serait pire pour notre avenir et celui de nos enfants
que de nous replier dans un conservatisme craintif. Qui peut croire aujourd’hui
que la France de demain sera celle du siècle dernier ? (Protestations
sur les bancs des groupes FI, GDR et SOC.)
Mme
Mathilde Panot. La retraite à 60 ans, c’est très bien !
M.
Laurent Pietraszewski, secrétaire d’État. Qui peut croire que
les métiers continueront de s’organiser autour de statuts qui permettent à
certains de bénéficier d’avantages dont les autres sont privés ?
M.
Christian Hutin. Vous allez nous faire revenir à Germinal !
M.
Laurent Pietraszewski, secrétaire d’État. Qui peut croire qu’à
l’heure où l’on changera plusieurs fois d’emploi et de statut au cours d’une
vie,…
M.
Jean-Paul Lecoq. À cause de vous ! Vous organisez la casse de
l’hôpital !
M.
Laurent Pietraszewski, secrétaire d’État. …certaines professions
pourraient encore s’exempter de la solidarité nationale pour s’enfermer dans un
égoïsme frileux ?
M.
François Ruffin. Vous voulez parler des stock-options de
Mme Pénicaud ?
Mme
Mathilde Panot. Qui traitez-vous d’égoïstes ?
M.
Christian Hutin. Avez-vous la moindre idée de ce que gagne une
aide-soignante ?
M.
Laurent Pietraszewski, secrétaire d’État. Personne ne peut, de
bonne foi, soutenir de telles orientations.
Mme
Mathilde Panot. La mauvaise foi, nous vous la laissons !
M.
Laurent Pietraszewski, secrétaire d’État. Mesdames et messieurs
les députés, nos prédécesseurs ont mené des réformes courageuses, mais toujours
d’inspiration budgétaire, pour conforter notre système – qui en jouant sur
la durée d’assurance, qui en repoussant les âges de départ. Notre lecture est
plus large ; notre ambition dépasse l’équilibre budgétaire : c’est une
refondation sociale que le Gouvernement défend devant vous. (Applaudissements
sur quelques bancs du groupe LaREM.)
M.
Sébastien Chenu. Quelles formules, quel discours…
M.
Laurent Pietraszewski, secrétaire d’État. Le projet de loi est
organisé en soixante-cinq articles, répartis en cinq titres. Permettez-moi d’y
revenir quelques instants.
Le titre Ier présente les
grands principes du système universel.
M.
Christian Hutin. Le titre Ier annule Ambroise Croizat,
oui !
M.
Jean-Paul Lecoq. Article 1er : on ne touche pas
aux plus riches !
M.
Laurent Pietraszewski, secrétaire d’État. Il en détaille
l’architecture juridique et précise quels seront les principaux paramètres en
matière de cotisations, d’acquisition des points et de calcul des droits. Il
prévoit la création d’un âge d’équilibre destiné à inciter les Français, sans
les y contraindre, à travailler un peu plus longtemps. C’est également dans ce
titre qu’est réaffirmé l’engagement du Gouvernement à revaloriser les carrières
des enseignants et des enseignants-chercheurs.
M.
Jean-Paul Lecoq. En se gardant de préciser à quelle hauteur !
M.
Laurent Pietraszewski, secrétaire d’État. Le titre II incarne
l’esprit de liberté et de justice qui anime le Gouvernement.
M.
Sébastien Jumel. C’est la Reine des neiges : libéré,
délivré ! (Sourires.)
M.
Laurent Pietraszewski, secrétaire d’État. La liberté, c’est en
effet le choix de pouvoir partir dès 62 ans, mais aussi celui de pouvoir
travailler un peu plus longtemps pour augmenter sa pension tout en garantissant
la solidité du système qui nous unit.
M.
Jean-Luc Mélenchon. Ce n’est pas vrai ! Il ne s’agit pas de
liberté, mais de contrainte !
M.
Laurent Pietraszewski, secrétaire d’État. Le titre II
prévoit aussi la reconnaissance de situations difficiles au travail, liées à des
activités qui pourraient avoir des répercussions sur la santé.
M.
Jean-Luc Mélenchon. Non !
M.
Jean-Paul Lecoq. Sujet non résolu !
M.
Laurent Pietraszewski, secrétaire d’État. Il reconnaît enfin de
nouveaux parcours de vie, au sein desquels les temps d’activité et de repos
devront mieux s’harmoniser.
M.
Nicolas Dupont-Aignan. Mensonge !
M.
Christian Hutin. Et les quatre critères que vous avez retirés du compte
pénibilité, où sont-ils ?
M.
le président. Monsieur Hutin, je vous en prie…
M.
Christian Hutin. Ce sera la guerre dans l’hémicycle pendant quinze
jours, monsieur le président, c’est inévitable !
Mme
Brigitte Bourguignon, présidente de la commission spéciale. Ce
sera une guerre de quarante-huit heures, si cela continue comme cela…
M.
Laurent Pietraszewski, secrétaire d’État. La société doit
permettre une transition douce entre l’activité et la retraite et reconnaître
ainsi l’importance des seniors dans l’activité productive de notre pays et dans
le tissu social.
Le titre III liste les différents dispositifs de
solidarité. On y trouve le minimum de retraite, porté à 1 000 euros
dès 2022…
M.
Jean-Paul Lecoq. En dessous du seuil de pauvreté !
M.
Laurent Pietraszewski, secrétaire d’État. …et à 85 % du
SMIC pour toutes celles et ceux – majoritairement des personnes travaillant
à temps partiel – qui auront effectué une carrière complète, y compris dans
le système futur.
M.
Jean-Paul Dufrègne. Mais cela ne concernera pas les retraites déjà
liquidées !
M.
Laurent Pietraszewski, secrétaire d’État. Mesdames et messieurs
les députés, à l’heure où 30 % des retraités perçoivent une pension
mensuelle inférieure à 1 000 euros, c’est une conquête sociale majeure
que le Gouvernement vous propose d’adopter – soyons en fiers !
(Applaudissements sur les bancs des groupes LaREM et MODEM. – Protestations
sur les bancs des groupes SOC, FI et GDR.) Le titre III fera l’objet
d’un débat, mais aussi – je l’espère – d’un large consensus sur la
question des aidants, des droits des personnes en situation de handicap et de la
réversion.
Les droits familiaux et la réversion seront ainsi profondément
modernisés. S’agissant des enfants, le projet de loi recentre le dispositif sur
le préjudice de carrière que subissent les femmes et organise une meilleure
répartition des droits entre toutes les familles. La réversion, remaniée,
deviendra une garantie de niveau de vie pour le conjoint survivant, à partir de
55 ans et sans condition de ressources.
L’examen du titre III
sera l’occasion de faire évoluer le texte initial, conformément aux annonces
effectuées la semaine dernière par le Gouvernement et aux solutions
coconstruites avec les parlementaires et avec les partenaires sociaux.
Le
titre IV concerne la gouvernance. Il traite de l’organisation financière du
nouveau système et de son pilotage.
M.
Jean-Paul Lecoq. Ce point n’est toujours pas réglé,
d’ailleurs !
M.
Laurent Pietraszewski, secrétaire d’État. Il procède à la
refondation du paritarisme à la française et reconnaît le rôle des
parlementaires.
Mme
Sylvie Tolmont. Vous plaisantez ?
M.
Laurent Pietraszewski, secrétaire d’État. Nous aurions pu rester
dans le confort du système actuel, mais – j’en suis convaincu –, il
nous faut réinventer ensemble le système de demain. (Exclamations sur les
bancs des groupes FI, GDR et SOC.)
Vous m’avez interrogé, en
commission spéciale, sur les enjeux budgétaires soulevés par le futur système.
Parlons d’abord, si vous le voulez bien, de la réalité du système actuel. Elle
tient en un chiffre : près de 12 milliards d’euros de déficit à
l’horizon 2027,…
M. Sébastien
Jumel, M. Christian Hutin et M. Stéphane Peu. C’est
faux !
M.
Laurent Pietraszewski, secrétaire d’État. …sans même parler des
déficits de 2026, de 2025 et des années précédentes. Il est de notre
responsabilité collective d’y répondre. (Vives protestations sur les bancs
des groupes FI, GDR et SOC.)
M.
Alain Bruneel. C’est n’importe quoi !
M.
le président. Poursuivez, monsieur le secrétaire d’État.
M.
Laurent Pietraszewski, secrétaire d’État. Le titre V
prévoit les conditions d’entrée en vigueur et de transition vers le système
universel. C’est dans ce titre que sera traitée la question de la garantie à
100 % des droits acquis durant la carrière préalable à l’entrée en vigueur
du système universel. Je veux être clair devant vous : le Gouvernement
respectera sa parole donnée aux Français et aux partenaires sociaux. Tous les
droits acquis seront convertis en fin de carrière – nous l’avons dit et
répété la semaine dernière.
M.
Boris Vallaud. Il faudrait peut-être vous dire merci ?
M.
Laurent Pietraszewski, secrétaire d’État. Mesdames et messieurs
les députés, dans un monde en mouvement,…
M.
Hubert Wulfranc. Vous êtes surtout dans le cirage ! (Sourires
sur les bancs des groupes GDR et FI.)
M.
Laurent Pietraszewski, secrétaire d’État. …la retraite de demain
doit être appréhendée dans un climat de confiance et de transparence. Elle ne
doit plus être soumise aux aléas de la croissance et de la démographie de
certaines professions ou de certains statuts. Elle doit être équitable pour
toutes et pour tous, plus solide et adaptée aux transformations du monde du
travail que nous vivons dès aujourd’hui. À l’ère de la défiance dans la parole
publique, nous le devons à nos compatriotes.
M.
Jean-Paul Lecoq. La défiance est parfaitement justifiée !
M.
Laurent Pietraszewski, secrétaire d’État. Il nous faut améliorer
concrètement leur vie, et ne pas tomber dans le jeu des promesses démagogiques
et intenables.
M.
Hubert Wulfranc. C’est vous qui multipliez les promesses !
M.
Laurent Pietraszewski, secrétaire d’État. Jean-Paul Delevoye,
que je veux saluer ici (Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe LaREM.
– Exclamations sur les bancs des groupes FI, GDR et SOC), a voulu innover
dans la préparation de ce texte en associant très en amont les parlementaires de
toute la majorité – et bien au-delà de la majorité naturelle de La
République en marche, du MODEM et du groupe UDI, Agir et indépendants.
M.
Ludovic Pajot. Cela a visiblement très bien marché…
M.
Laurent Pietraszewski, secrétaire d’État. J’ai une pensée pour
tous ces parlementaires qui ont animé, sur leur territoire et ailleurs, des
ateliers citoyens afin d’échanger avec les habitants et de faire remonter leurs
attentes auprès du Gouvernement. Des centaines de réunions publiques
– parfois troublées par des opposants violents – se sont ainsi tenues
partout dans le pays.
Ce projet de loi vise aussi – et
surtout – à améliorer la vraie vie des gens. (Protestations sur les
bancs des groupes FI, GDR et SOC.) La vraie vie, c’est celle de toutes ces
femmes qui ont connu des carrières hachées parce qu’elles ont dû élever seules
leurs enfants et qu’elles n’ont pas véritablement eu d’autre choix que d’exercer
des métiers difficiles ou précaires.
M.
Hubert Wulfranc. Ce texte est une fabrique à pauvres !
M.
Laurent Pietraszewski, secrétaire d’État. Dans le système actuel
– celui que certains défendent de manière parfois
incompréhensible –,…
M.
François Ruffin. Parce que ce que vous allez faire sera pire
encore !
M.
Laurent Pietraszewski, secrétaire d’État. …elles doivent
attendre 67 ans pour partir en touchant une retraite à taux plein :
parmi les 120 000 Français qui doivent, chaque année, attendre
67 ans pour atteindre l’âge d’annulation de la décote, 80 000 sont des
femmes !
Mme
Marine Le Pen. Que faites-vous de toutes les autres ?
Mme
Danièle Obono. Qu’en est-il des caissières d’Auchan que vous avez
virées ?
M.
Laurent Pietraszewski, secrétaire d’État. Comment pouvez-vous
défendre un tel système ? (Applaudissements sur les bancs du groupe
MODEM et sur quelques bancs du groupe LaREM.)
Ces femmes
bénéficieront demain de l’âge d’équilibre et pourront partir à 64 ans en
touchant une retraite à taux plein – car si les carrières des femmes ont
changé au point que leur taux d’activité rejoint désormais celui des hommes, ce
dont je me félicite, les niveaux de pension actuels accentuent les inégalités.
Le système universel devra y remédier…
M.
Jean-Paul Lecoq. Et le CICE qui ampute les cotisations ?
M.
Laurent Pietraszewski, secrétaire d’État. …car il est aussi
celui de l’équité. (Protestations sur les bancs du groupe FI.)
La
vraie vie, c’est celle de ces agriculteurs qui ont du mal à se verser un salaire
tous les mois et qui travaillent sans compter leurs heures, par passion autant
que par héritage d’une certaine idée de la terre. (Applaudissements sur de
nombreux bancs du groupe LaREM.)
M.
Christian Hutin. Cela n’a rien à voir !
M.
Sébastien Jumel. Et que faites-vous du stock d’agriculteurs ?
M.
Laurent Pietraszewski, secrétaire d’État. Demain, grâce au
système universel, les nouveaux retraités bénéficieront d’un minimum de pension
qui atteindra 85 % du SMIC.
M.
David Habib. Arrêtez…
M.
Hubert Wulfranc. C’est la misère !
M.
Laurent Pietraszewski, secrétaire d’État. Cette conquête sociale
majeure, que j’évoquais précédemment, bien que votée dès 2003 dans cet
hémicycle, n’était jamais devenue effective. (Applaudissements sur plusieurs
bancs des groupes LaREM et MODEM.) Nous la réaliserons, nous, dès le
1er janvier 2022, fidèles en cela à notre attachement à la
prééminence des droits réels sur les droits formels – car le système
universel est bien celui de la justice sociale !
M.
Damien Abad. N’importe quoi !
M.
Laurent Pietraszewski, secrétaire d’État. La vraie vie, c’est
celle de ces enseignants au niveau d’études élevé, dont la trajectoire salariale
et les parcours professionnels sont souvent mal reconnus.
M.
Jean-Paul Lecoq. Salaires de misère ! Absence de reconnaissance
par le ministère !
M.
Laurent Pietraszewski, secrétaire d’État. Ils bénéficient,
historiquement, de primes moins élevées que les autres fonctionnaires parce que
la règle dite des six derniers mois permettait d’effacer les différences de
pension avec les catégories équivalentes. Demain, grâce à notre projet, le
ministère de l’éducation nationale modifiera sa grille de rémunération :
dès 2021, 500 millions d’euros seront mobilisés pour les enseignants.
(Applaudissements sur de nombreux bancs du groupe LaREM.)
M.
Jean-Paul Lecoq. Combien par mois et par enseignant ?
M.
Vincent Descoeur. Cela ne compensera pas les pertes de
pension !
M.
Laurent Pietraszewski, secrétaire d’État. Oui, mesdames et
messieurs les députés, nous voulons investir dans cette profession qui se trouve
au fondement de notre contrat social et fut trop longtemps délaissée par ceux
qui, aujourd’hui, s’époumonent sur certains des bancs. Tel est le sens de
l’action que nous conduisons depuis 2017. Je veux ici saluer le travail et les
engagements de Jean-Michel Blanquer et de Frédérique Vidal – car le système
universel engage bel et bien la refondation des métiers des enseignants et des
chercheurs.
La vraie vie, c’est aussi celle des collaborateurs
d’entreprises assujettis aux régimes spéciaux. (Exclamations sur les bancs
des groupes GDR et FI.) Si certains s’opposent à la réforme,…
Mme
Danièle Obono. Rien de moins que la majorité des Français !
M.
Laurent Pietraszewski, secrétaire d’État. …c’est parce qu’ils
sont dans une entreprise dont le contrat social doit désormais évoluer. Il est
temps d’y prendre en considération la pénibilité,…
M.
Christian Hutin. Vous avez supprimé quatre critères !
M.
Laurent Pietraszewski, secrétaire d’État. …en anticipant,
lorsque c’est nécessaire, le départ en retraite, mais aussi en améliorant la
qualité de vie au travail et en identifiant les risques spécifiques à ces
métiers. Ce n’est pas une question de statut, mais avant tout de dialogue
social.
Dès 2022, nous organiserons, pour les métiers à risque, une
visite médicale obligatoire à 55 ans, afin de repérer les problèmes de
santé.
M.
Hubert Wulfranc. Vous avez supprimé les CHSCT !
M.
Laurent Pietraszewski, secrétaire d’État. En cas d’incapacité,
les assurés pourront anticiper leur départ et bénéficier dès 60 ans d’une
retraite à taux plein. Dès 2022,…
M.
David Habib. En 2022, vous serez battus !
M.
Laurent Pietraszewski, secrétaire d’État. …les branches
professionnelles négocieront des actions de prévention. Car le système
universel, c’est aussi celui qui laisse de la place à la négociation
sociale.
La vraie vie, c’est aussi celle de ces cadres dont l’expérience
est si précieuse pour nos entreprises. Souvent, à l’approche de la retraite, ils
ne veulent pas s’arrêter tout de suite, mais se verraient bien moduler leur
temps de travail. Dès 2022, la retraite progressive sera un droit pour eux comme
pour les autres salariés, un droit opposable pour tous les salariés sans
exception. Car le système universel, c’est aussi celui de la liberté de choisir
le moment de son départ. (Exclamations sur les bancs du groupe
FI.)
La vraie vie, c’est celle de tous ceux qui multiplient les
métiers dans une France où l’on change désormais souvent d’emploi au cours de sa
carrière. C’est la vie de ces Français qui ont cotisé à tant de régimes
différents qu’ils ne savent plus comment se préparer à leur retraite et
liquider, le moment venu, leurs droits à pension. Demain, le système universel
permettra d’avoir un seul interlocuteur et une seule pension. Car le système
universel, c’est aussi un système lisible et offrant le meilleur service aux
Français.
Ce ne sont que là quelques exemples et nous devrons aussi
parler, au cours de nos débats, de nombreuses autres situations, comme celle des
intérimaires, des femmes à temps partiel et des travailleurs en situation de
handicap, et j’en oublie – mais les débats seront longs et, je l’espère,
riches.
Je terminerai en saluant les membres de la commission spéciale.
Lors de son discours devant le Conseil économique, social et environnemental, en
décembre dernier, le Premier ministre avait fixé clairement le calendrier :
après plus de deux ans de préparation, il était désormais temps d’avancer, avec
une présentation des textes en conseil des ministres fin janvier et un examen en
séance publique en février, pour une adoption définitive d’ici à l’été.
(Exclamations sur les bancs des groupes SOC et FI.) Ceux-là même qui nous
reprochaient d’aller trop lentement nous reprochent maintenant d’aller trop
vite !
Mme
Danièle Obono. Arrêtez-vous, c’est tout !
M.
Laurent Pietraszewski, secrétaire d’État. Le Gouvernement assume
son calendrier : nous ne voulons pas aller vite ou lentement, mais défendre
un projet de progrès. C’est le sens des soixante-quinze heures consacrées à
l’examen du texte en commission spéciale.
Je tiens à souligner le travail
de fond mené par la plupart des membres de la commission et la qualité des
échanges que j’ai eus durant ces jours et ces nuits avec l’ensemble des groupes
politiques. Nous savons cependant que ce texte vient en examen dans des
conditions très particulières. Certains groupes politiques ont fait le choix
assumé de refuser le débat (Rires et exclamations sur les bancs des groupes
FI et GDR), se contentant d’un refus systématique,…
M.
Fabien Roussel. Oh non ! On le veut, le débat !
M.
Laurent Pietraszewski, secrétaire d’État. …qui prend la forme
d’une obstruction (Vives protestations sur les bancs des groupes GDR et
FI)…
Plusieurs députés du
groupe FI. L’obstruction, c’est vous qui en êtes responsables !
M.
Laurent Pietraszewski, secrétaire d’État. …et s’attaque au texte
ligne par ligne, alinéa par alinéa, sans lui donner de sens.
(« Référendum !
Référendum !» sur les bancs du groupe GDR.)
M.
le président. S’il vous plaît, mes chers collègues !
M.
Laurent Pietraszewski, secrétaire d’État. Le droit d’amendement
est un droit constitutionnel…
Mme
Danièle Obono. Respectez-le !
M.
Laurent Pietraszewski, secrétaire d’État. …que je respecte, bien
entendu, mais prenons garde à ce que son usage mécanique ne conduise certains
députés à se transformer en robots (Exclamations et rires sur les bancs des
groupes FI et GDR)…
Mme
Danièle Obono. Dit le représentant des godillots !
M.
Laurent Pietraszewski, secrétaire d’État. …au service d’une
organisation tayloriste de l’obstruction.
Mme
Danièle Obono. Et même terroriste, pendant que vous y êtes !
M.
Laurent Pietraszewski, secrétaire d’État. Je le dis sans
animosité : telle n’est pas ma conception du débat
démocratique.
Lisant la presse, comme tout le monde, j’apprends que
certains groupes, non contents d’avoir déposé un nombre invraisemblable
d’amendements – dont certains sont d’un intérêt douteux –, vont tenter de
nouvelles manœuvres d’obstruction. Ils doivent savoir que le Gouvernement aborde
ces débats avec sérénité. (Exclamations continues sur les bancs du groupe
FI.)
À l’heure où notre pays est traversé par des fractures, où les
piliers fondamentaux s’effondrent dangereusement et où la violence s’immisce
parfois dans les permanences d’élus, il nous appartient de montrer, par la
qualité de nos débats et de notre écoute mutuelle, la vitalité de notre
démocratie parlementaire.
M.
Nicolas Dupont-Aignan. Ce discours est honteux !
M.
Laurent Pietraszewski, secrétaire d’État. Il y a trois ans, le
citoyen que je suis, et qui n’avait alors aucune expérience politique, a fait le
choix, comme d’autres sur ces bancs, de s’engager dans la vie citoyenne. Je l’ai
fait – comme nous tous ici, je le crois – animé d’une volonté de transformer le
pays, de la force des convictions et du goût du débat. (Exclamations sur les
bancs des groupes GDR et FI et parmi les députés non
inscrits.)
Mesdames et messieurs les députés, ne donnons pas à voir
ce que nous ne sommes pas.
Mme
Danièle Obono. Vous, vous avez largement donné à voir ce que vous
êtes !
M.
Laurent Pietraszewski, secrétaire d’État. La grandeur de
l’action politique, c’est…
Mme
Mathilde Panot. De respecter la souveraineté du peuple !
M.
Laurent Pietraszewski, secrétaire d’État. …de donner du sens au
projet collectif. Je vous ai exposé le projet et les convictions qui s’y
rattachent. Le système universel de retraite est le moyen de refonder le pacte
entre les générations et de préserver notre système par répartition. Je formule
désormais le vœu qu’il fasse l’objet d’un débat passionné et vif, certes, mais
aussi serein et respectueux. Le temps du système universel de retraites est
venu. À nous de le construire. (Applaudissements sur les bancs des groupes
LaREM et MODEM. – M. Paul Christophe applaudit
également.)
M.
le président. La parole est à M. Guillaume Gouffier-Cha,
rapporteur général de la commission spéciale chargée d’examiner le projet de loi
instituant un système universel de retraite et le projet de loi organique
relatif au système universel de retraite.
M.
Guillaume Gouffier-Cha, rapporteur général de la commission
spéciale. Après plus de soixante-dix heures de débats en commission
spéciale et plus de 7 000 amendements discutés, nous voici réunis pour
poursuivre nos travaux en séance. Si la commission n’a pas réussi à terminer
l’examen du texte dans son ensemble, tous les sujets y ont été abordés et
discutés. Nous avons notamment pu réaffirmer notre engagement à revaloriser les
revenus des enseignants et des enseignants chercheurs, l’importance de mieux
prendre en compte les aidants familiaux et les parents ayant des enfants en
situation de handicap, et notre volonté d’améliorer les droits familiaux. Nous
avons aussi apporté des précisions nécessaires concernant les règles de
fonctionnement du futur système universel de retraite.
Nous avons
notamment précisé que l’indicateur de référence qui permettra de revaloriser la
valeur du point reposera sur la moyenne par tête des revenus d’activité,
c’est-à-dire des salaires du privé, des traitements des agents de la fonction
publique et des revenus des indépendants et des libéraux.
M.
Hubert Wulfranc. Mais qui décide des montants de ces salaires et
traitements ? Qui ?
M.
Guillaume Gouffier-Cha, rapporteur général. Cet indicateur sera
toujours bien plus favorable que l’indexation sur l’inflation en vigueur depuis
trente ans. Il confortera notre système par répartition fondé sur le travail et
l’activité. (Exclamations sur les bancs des groupes GDR et
FI.)
Chacune et chacun a pu, lors de nos travaux en commission,
défendre son projet de société. (Mêmes mouvements.)
M.
le président. Veuillez laisser s’exprimer M. le rapporteur
général !
M.
Guillaume Gouffier-Cha, rapporteur général. Je ne doute pas que
ces échanges vont se poursuivre dans les semaines qui viennent et que nous irons
au bout de ces débats,…
M.
Jean-Paul Lecoq. Donnez la parole au peuple !
M.
Guillaume Gouffier-Cha, rapporteur général. …car nous le devons
à tous nos concitoyens et concitoyennes.
Chers collègues, comme bon
nombre d’entre vous, je suis attaché à notre modèle de retraite, mais j’ai
toujours eu conscience que, dans son fonctionnement actuel, il cristallisait
toutes les inégalités structurelles de notre pays sans que personne s’en émeuve
réellement.
M.
Jean-Paul Lecoq. Si : nous !
M.
Guillaume Gouffier-Cha, rapporteur général. C’est un système où
la pension moyenne des femmes est de 42 % inférieure à celle des hommes.
(Applaudissements sur les bancs du groupe LaREM. – Exclamations sur les bancs
des groupes FI et GDR.) Un système où celui qui a fait des études et connu
une carrière linéaire ascendante part tôt à la retraite avec une pension élevée,
tandis que celui qui n’a fait que peu d’études et connu une carrière hachée part
à la retraite tard, avec une pension de misère, pour les quelques années de vie
qui lui restent. Tel est notre système ! Un système aux quarante-deux
régimes, devenu totalement illisible. Un système qui, pour être à peu près à
l’équilibre, nous demande de modifier durement ses paramètres tous les quatre ou
cinq ans. (Exclamations sur les bancs des groupes GDR et FI.) Un système
dans lequel la défiance des Français envers leurs institutions et envers
eux-mêmes ne cesse de croître.
M.
François Ruffin. Les Français ont plus confiance dans leur système de
retraite qu’en vous !
M.
le président. Chers collègues, veuillez arrêter de crier !
M.
Guillaume Gouffier-Cha, rapporteur général. Il est devenu, au
fil des années, injuste et déconnecté des réalités de notre société.
Ce
système, même si nous y sommes habitués, nous ne devons plus l’accepter et nous
devons le changer. (Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe LaREM. –
Protestations sur les bancs du groupe FI.)
Bien entendu, les débats
sont vifs. C’est normal, car il s’agit de notre modèle social. Le système
universel vise à pérenniser notre système de retraite par répartition, qui
repose sur la solidarité intergénérationnelle, en le rendant démocratiquement
plus lisible et plus transparent, et en garantissant les mêmes droits à tous nos
concitoyens, ce qui n’est pas le cas aujourd’hui.
(M. Florian Bachelier applaudit.) Il ne vise en aucun
cas à préparer la mise en place d’un système de retraite par capitalisation
– ce qui, de toute manière, ne serait techniquement et budgétairement pas
faisable. (Exclamations sur les bancs du groupe FI.)
Il vise par
ailleurs à renforcer la solidité budgétaire de notre système de retraite et à
mettre fin au cycle interminable des réformes paramétriques que nous connaissons
depuis trente ans. Enfin, il ne vise pas à conforter la position de celles et
ceux qui ont le plus mais, bien au contraire, à réduire en profondeur les
inégalités de notre société en permettant à tous nos concitoyens d’accéder à
l’intégralité de leurs droits.
Le système universel de retraite nous
permettra de réduire les nombreux effets antiredistributifs du système actuel et
de mieux prendre en considération les aspirations à la mobilité de nos
concitoyens et la pénibilité de certains métiers, ainsi que d’assurer la
construction progressive des fins de carrières et la réduction des inégalités
entre les femmes et les hommes.
M.
Jean-Paul Lecoq. Où avez-vous vu ça ?
M.
Guillaume Gouffier-Cha, rapporteur général. Nous l’assumons, et
je tiens ici à saluer mes collègues de la majorité pour leur travail sur ces
mesures – et tout particulièrement les deux responsables de ce travail au
sein du groupe de La République en marche, Mmes Catherine Fabre et Monique
Limon. (Applaudissements sur les bancs du groupe LaREM.)
La
création de notre nouveau système de retraite demande par ailleurs la mise en
place d’une gouvernance paritaire, qui sera confiée aux partenaires sociaux sous
le contrôle du Parlement. Elle demande aussi que nous travaillions sur la
période de transition du système actuel au nouveau. Cette transition sera longue
et s’étalera sur plus de quinze ans. Nous devons assumer et expliquer ce choix
responsable. Sur ce point, je me félicite de la solution retenue par le
Gouvernement, la clause dite « à l’italienne ».
Enfin, notre
nouveau système de retraite demande la définition de règles budgétaires claires
qui garantissent son équilibre dans la durée. Ces règles sont inscrites dans le
projet de loi organique que nous avons adopté en commission. Je tiens d’ailleurs
à préciser que la loi organique inscrira également dans le marbre le fait que la
valeur du point ne pourra pas baisser…
M.
Sébastien Jumel. Pipeau !
M.
Guillaume Gouffier-Cha, rapporteur général. …et que les
parlementaires entreront dans ce système dès le 1er janvier
2022.
Notre pays a l’un des modèles sociaux les plus solides au monde,
mais nous pouvons encore l’améliorer. (Exclamations parmi les députés non
inscrits.) Personnellement, je me suis engagé en politique parce que notre
pays s’était habitué depuis trop longtemps à certaines injustices et avait
arrêté sa quête d’émancipation et de progrès. (Applaudissements sur les bancs
du groupe LaREM. – Exclamations sur les bancs des groupes FI et GDR.) Je ne
pouvais plus accepter la résignation de notre société à ne plus lutter contre
les inégalités, dans le seul but de ne pas perturber certains ordres établis.
(Approbations sur plusieurs bancs du groupe MODEM. – Vives exclamations sur
les bancs du groupe FI.)
Oui, ce projet est exigeant et difficile,
mais nous devons aller au bout. Même s’il ne nous permet pas de réparer toutes
les inégalités de notre société, il est l’occasion de reprendre enfin notre
marche vers l’universalité des droits, vers la construction d’une République
plus juste, plus solidaire, plus fédératrice et plus fraternelle. C’est ce que
nous devons à nos concitoyennes et concitoyens, c’est ce que nous devons aux
générations qui nous succéderont. (Applaudissements sur les bancs des groupes
LaREM et MODEM.)
M.
le président. La parole est à M. Nicolas Turquois, rapporteur de
la commission spéciale pour le titre Ier du projet de loi
ordinaire.
M.
Jean-Luc Mélenchon. Tous ces orateurs qui se succèdent pour dire la
même chose !
M.
Nicolas Turquois, rapporteur de la commission spéciale pour le titre
Ier. Nous entamons aujourd’hui en séance publique l’examen de la réforme la
plus structurante du quinquennat,…
M.
François Ruffin. La plus déstructurante !
M.
Nicolas Turquois, rapporteur de la commission spéciale pour le titre
Ier. …qui concrétise l’engagement pris devant les Français d’un système
universel par répartition. Loin de renier les principes fondateurs de notre
sécurité sociale, posés par Pierre Laroque et Ambroise Croizat au lendemain de
la Seconde Guerre mondiale,…
M.
Jean-Paul Dufrègne. Arrêtez avec Ambroise Croizat !
M.
Nicolas Turquois, rapporteur de la commission spéciale pour le titre
Ier. …nous portons haut et fort cet héritage en partage…
M.
François Ruffin. Mais bien sûr !
M.
Nicolas Turquois, rapporteur de la commission spéciale pour le titre
Ier. …et concrétisons enfin, soixante-dix ans plus tard, l’ambition
originelle de dépasser les logiques professionnelles et corporatistes.
M.
Jean-Luc Mélenchon. Demandez aux communistes de s’en occuper, cela
vaudra mieux !
M.
Nicolas Turquois, rapporteur de la commission spéciale pour le titre
Ier. Avant d’entrer dans le détail de cette réforme, je tiens à souligner
l’ampleur des débats qui se sont tenus en commission spéciale, loin des mauvais
procès et des présentations insincères qui circulent par le truchement des
réseaux sociaux. (Exclamations sur les bancs du groupe FI.)
Mme
Danièle Obono. Ah, ces méchants réseaux sociaux !
M.
Nicolas Turquois, rapporteur de la commission spéciale pour le titre
Ier. Il est toujours plus facile de déformer une idée en 140 signes
que de faire l’effort d’une pensée construite et argumentée.
(Applaudissements sur les bancs des groupes LaREM et MODEM. – Exclamations
sur les bancs du groupe FI.)
M.
Erwan Balanant. Excellent !
M.
François Ruffin. N’importe quoi !
M.
Nicolas Turquois, rapporteur de la commission spéciale pour le titre
Ier. Il est toujours moins exigeant d’adopter une posture démagogique que
de débattre projet contre projet. (Mêmes mouvements.)
À ce titre,
l’obstruction assumée du groupe La France insoumise
(« Oui, assumée ! »
sur les bancs du groupe FI) a contrasté, en commission, avec la défense de
projets solidement construits et argumentés par d’autres groupes
d’opposition.
M.
Ugo Bernalicis. Vous oubliez notre contre-projet !
(MM. Ugo Bernalicis, Adrien Quatennens et Jean-Luc
Mélenchon brandissent chacun une brochure.)
M.
Erwan Balanant. Il n’y a rien, dans vos quinze pages !
M.
Nicolas Turquois, rapporteur de la commission spéciale pour le titre
Ier. Je le regrette, même si cela n’a pas empêché des échanges nourris avec
l’ensemble des commissaires sur le fond.
Le titre Ier du
projet de loi, dont j’ai l’honneur d’être le rapporteur, a vu chacun de ses
alinéas analysé, contesté et expliqué.
Je vous remercie, madame la
présidente de la commission spéciale, chère Brigitte Bourguignon, pour la
qualité de nos débats, qui font honneur au travail parlementaire.
(Applaudissements sur les bancs des groupes LaREM et MODEM. – Exclamations
sur les bancs du groupe FI.)
Ces débats en commission m’ont permis de
constater une double contradiction. La première est qu’alors que nous nous
accordons, sur tous les bancs, quant aux imperfections et aux fragilités du
système actuel, toutes les mesures que nous proposons pour les corriger ont fait
l’objet d’amendements de suppression.
Mme
Mathilde Panot. Nous ne voulons pas d’un système à points !
M.
Nicolas Turquois, rapporteur de la commission spéciale pour le titre
Ier. Concrétiser la garantie d’une retraite minimale à
1 000 euros, promise depuis 2003 et jamais mise en œuvre par nos
prédécesseurs ? Vous supprimez !
M.
Erwan Balanant. Eh oui !
Mme
Danièle Obono. On supprime tout !
M.
Nicolas Turquois, rapporteur de la commission spéciale pour le titre
Ier. Mettre un terme à trente années d’indexation des droits sur
l’inflation, en retenant une règle de revalorisation dynamique sur les
salaires ? Vous supprimez aussi !
Attribuer des points dès le
premier enfant et ne plus imposer aux femmes d’attendre 67 ans pour
échapper au double malus ? (« Ils
suppriment ! » sur les bancs du
groupe MODEM.) Vous supprimez encore ! (Applaudissements sur
quelques bancs des groupes MODEM et LaREM.)
Élargir la pénibilité à
l’ensemble des assurés, quel que soit leur statut, et favoriser la prise en
compte des accidents de parcours et des carrières heurtées ? Vous supprimez
toujours ! (Exclamations sur les bancs du groupe FI.)
Seconde
contradiction : l’universalité du futur système irait à la fois trop loin
et pas assez loin. De fait, au sein des mêmes groupes, des amendements proposent
à la fois d’appliquer les mêmes règles pour tous et de prendre en considération
les situations individuelles.
Ils proposent à la fois d’intégrer dans le
système l’ensemble des professions et d’en laisser quelques-unes en dehors, par
exemple les marins et les avocats ; à la fois d’abaisser le plafond de
cotisations à hauteur d’une fois le plafond de la sécurité sociale et de
l’étendre à huit fois ce même plafond ; à la fois de s’astreindre au
redressement des comptes sociaux et de dégager plusieurs milliards d’euros pour
revaloriser les retraites.
Nous aurons l’occasion de revenir sur tous ces
points mais notre choix est clair : instaurer un système universel, cinq
régimes d’affiliation et une pluralité de caisses pour prendre en considération
les spécificités professionnelles. À l’heure d’entamer nos débats en séance
publique, je suis heureux de défendre à cette tribune les choix politiques sur
lesquels les Français nous ont accordé leur confiance en 2017.
M.
Jean-Paul Lecoq. Seulement 18 % des Français !
M.
Sébastien Jumel. J’ai cherché ces propositions sur vos professions de
foi de l’époque : je n’ai rien trouvé
M.
Nicolas Turquois, rapporteur de la commission spéciale pour le titre
Ier. À la différence inique des règles applicables aux différents régimes,
vestige d’un autre temps, nous préférons la suppression des régimes spéciaux et
l’accompagnement des mobilités professionnelles.
M.
Jean-Paul Lecoq. Puisque vous êtes si confiants, donnez le dernier mot
aux Français !
M.
Nicolas Turquois, rapporteur de la commission spéciale pour le titre
Ier. Aux trente ans d’indexation des droits sur l’inflation nous préférons
la revalorisation de la valeur du point sur les revenus d’activité. À un système
fragile financièrement, porteur de déficits chroniques, nous préférons la
responsabilité financière dans le respect d’une règle d’or.
Mme
Danièle Obono. Et les 70 milliards offerts aux plus hauts
revenus ?
M.
Nicolas Turquois, rapporteur de la commission spéciale pour le titre
Ier. Pour ma part, je ne conteste ni la complexité du système de retraite
ni l’ampleur de la transformation que nous proposons. Nous ne pouvons désormais
plus regarder ailleurs en feignant de ne pas comprendre que le système actuel
alimente la méfiance et entretient de nombreuses inégalités.
M.
Jérôme Lambert. C’est vous qui alimentez la méfiance !
M.
Nicolas Turquois, rapporteur de la commission spéciale pour le titre
Ier. C’est donc avec la responsabilité chevillée au cœur que je défendrai
ce texte…
Mme
Mathilde Panot. Au profit des banquiers et des assureurs !
M.
Nicolas Turquois, rapporteur de la commission spéciale pour le titre
Ier. …pour expliquer, clarifier, éclairer ; cette responsabilité qui
donne tout leur sens aux débats parlementaires en démocratie ; cette
responsabilité qui nous oblige devant des concitoyens qui attendent de nous
justice et équité ;…
M.
Hubert Wulfranc. Ils n’attendent plus rien de vous !
M.
Nicolas Turquois, rapporteur de la commission spéciale pour le titre
Ier. …cette responsabilité qui accompagnait déjà Antoine
de Saint-Exupéry lors de son voyage dans le Transsibérien, si bien raconté
dans Terre des hommes, recueil dont j’ai extrait cette citation :
« Être homme, c’est précisément être responsable. […] C’est sentir, en
posant sa pierre, que l’on contribue à bâtir le monde. »
(Applaudissements sur les bancs des groupes LaREM et MODEM.)
M.
le président. La parole est à M. Jacques Maire, rapporteur de la
commission spéciale pour le titre II du projet de loi ordinaire.
M.
François Ruffin. Parlez-nous de la délinquance financière, monsieur
Maire !
M.
Alexis Corbière. Sur l’air de « Axa ira ! »
(Sourires.)
M.
Jacques Maire, rapporteur de la commission spéciale pour le titre
II. Je commencerai par évoquer un regret. La commission spéciale n’a pu
aller au terme de ses travaux – vous savez pourquoi.
Mme
Mathilde Panot. À cause du Gouvernement !
Mme
Danièle Obono. Parce qu’il a voulu passer en force !
M.
le président. Cessez de crier, je vous prie !
M.
Jacques Maire, rapporteur de la commission spéciale pour le titre
II. Elle n’a pu examiner que quatre articles du titre II. Je vais donc
vous présenter ma perception, brute, de cette partie qui vise à garantir, comme
son titre l’indique, l’équité et la liberté dans le choix de départ à la
retraite.
La liberté, tout d’abord, c’est la possibilité de vivre mieux
la période de transition entre l’activité professionnelle et la retraite. Le
projet développe donc la retraite progressive pour ceux qui souhaitent ralentir
le rythme sans baisser leur niveau de vie. Il offre également des droits
nouveaux à ceux qui ont fait le choix de reprendre une activité après leur
départ à la retraite en leur permettant de cotiser et de gagner des points.
M.
Jean-Luc Mélenchon. Gagner des points… Quelle ambition, dans la
vie !
M.
Jacques Maire, rapporteur de la commission spéciale pour le titre
II. Il met ainsi fin à l’injustice de ceux qui cotisent sans recevoir aucun
droit. Je sais que ces mesures, qui permettront d’adoucir les transitions entre
l’activité et la retraite, répondent à une demande ardente des Français, relayée
par les partenaires sociaux.
Deux amendements adoptés par la commission
spéciale à l’initiative de nos collègues Catherine Fabre et Thierry Michels
tendent à mieux informer sur le droit à ces dispositifs, dont l’objectif est
d’améliorer durablement l’emploi des travailleurs expérimentés.
Mais la
liberté, c’est aussi la possibilité pour chacun de partir à la retraite à l’âge
qu’il souhaite, en toute connaissance de cause.
Mme
Mathilde Panot. À 67 ans !
M.
Jacques Maire, rapporteur de la commission spéciale pour le titre
II. C’est pourquoi nous avons maintenu l’âge d’ouverture du droit à la
retraite à 62 ans alors que d’autres groupes dans cette assemblée le
porteraient volontiers, sans état d’âme, à 64 ou à 65 ans. (Exclamations sur
les bancs du groupe FI.)
Ce projet vise ensuite à garantir l’équité,
parce que nous reconnaissons que des situations de handicap, de carrière longue
ou d’invalidité peuvent effectivement justifier un départ anticipé à la
retraite. Ces dispositions, qui existent aujourd’hui seulement pour certains
régimes, s’appliqueront demain à tous les Français, y compris les fonctionnaires
et les salariés des régimes spéciaux, mais aussi les agriculteurs ou les
indépendants.
Venons-en aux missions régaliennes dangereuses. Elles
concernent les policiers, les surveillants pénitentiaires, les douaniers ou
encore les sapeurs-pompiers professionnels.
M. François
Ruffin. La Banque de France !
M.
Jacques Maire, rapporteur de la commission spéciale pour le titre
II. Vous connaissez parfaitement leur engagement et les risques qu’ils
courent.
M.
Alexis Corbière. Et les militaires ?
M.
Jacques Maire, rapporteur de la commission spéciale pour le titre
II. Ainsi leurs compensations, de même que les conditions de départ
anticipé, sont-elles reconnues dans le projet de loi. Quant à la profession de
militaire – puisque vous m’invitez à évoquer ce cas –, son enjeu n’est
pas la retraite mais la deuxième carrière. La grande majorité des militaires ne
doivent pas s’éterniser dans une armée active qui doit rester jeune. La
condition militaire est totalement reconnue dans le projet de loi, et même
améliorée pour les hommes du rang.
J’en viens aux transitions.
L’harmonisation des droits ne doit pas être brutale. Bien au contraire, le
projet de loi préserve les droits acquis par les fonctionnaires qui, demain, ne
feront plus partie des catégories actives. Il aménage des transitions longues et
la montée en puissance des dispositifs universels de prise en considération de
la pénibilité, dont les fonctionnaires pourront bénéficier.
En tant que
rapporteur, j’ai consulté les partenaires sociaux sans filtre ni langue de bois.
Les concertations menées par le Gouvernement – et qu’a évoquées le ministre
Pietraszewski –…
M.
Jean-Luc Mélenchon. Avec filtre !
M.
Jacques Maire, rapporteur de la commission spéciale pour le titre
II. …ont abouti ces derniers jours à enrichir le dispositif sur de nombreux
points : les transitions, la pénibilité ou encore les retraites
progressives. Avec le Gouvernement, nous serons les garants de ces avancées que
nous traduirons scrupuleusement dans le texte par des amendements.
Mais
l’accord ne s’est pas fait sur l’ensemble du projet de loi. Il reste un point
d’achoppement que j’évoquerai pour conclure :…
M.
Jean-Luc Mélenchon. Un seul, vraiment ?
M.
Jacques Maire, rapporteur de la commission spéciale pour le titre
II. …la prise en considération de la pénibilité, notamment en ce qui
concerne les quatre facteurs de risques, chimiques ou ergonomiques
– charges lourdes, postures pénibles, vibrations mécaniques et risques
chimiques. (Exclamations sur les bancs du groupe FI.)
M.
Hubert Wulfranc. Vous avez dézingué les critères de
pénibilité !
M.
Jacques Maire, rapporteur de la commission spéciale pour le titre
II. Ces situations n’ouvrent pas de droit au titre du compte professionnel
de prévention, même si la création d’un congé de conversion, lié à ces risques,
constitue une avancée notable de ces derniers jours.
La négociation, qui
n’est pas terminée sur ce sujet, doit apporter les garanties complémentaires,
non seulement en matière de prévention mais aussi de réparation et donc de
départ anticipé. Pour parvenir à une solution, chacun doit jouer le jeu, et
d’abord dans le cadre de la concertation sociale en cours.
Nous ne
voulons pas court-circuiter les partenaires sociaux…
M.
Loïc Prud’homme. Vingt-neuf ordonnances !
M.
Jacques Maire, rapporteur de la commission spéciale pour le titre
II. …mais appelons fortement à ce que la concertation aboutisse.
M.
le président. Veuillez conclure.
M.
Jacques Maire, rapporteur de la commission spéciale pour le titre
II. J’ai déposé un amendement en ce sens pour annoncer clairement nos
intentions. Les partenaires savent définir au niveau de la branche l’exposition
aux facteurs de pénibilité. Si le problème n’est pas résolu, nous prendrons nos
responsabilités en nouvelle lecture et proposerons un dispositif
opérationnel.
En conclusion, le système de retraite universelle offre des
réponses très concrètes aux questions que se posent les Français…
Mme
Mathilde Panot. Plutôt à celles que se posent les assureurs et les
banquiers !
M.
Jacques Maire, rapporteur de la commission spéciale pour le titre
II. …sur les carrières longues, la pénibilité, les régimes spéciaux, les
fonctions publiques. Le débat qui s’ouvre nous permettra de les examiner enfin
devant tous les Français. (Applaudissements sur les bancs des groupes LaREM
et MODEM.)
M.
le président. La parole est à Mme Corinne Vignon, rapporteure de
la commission spéciale pour le titre III du projet de loi ordinaire.
Mme
Corinne Vignon, rapporteure de la commission spéciale pour le titre
III. Je regrette vivement que la commission spéciale ait interrompu ses
travaux…
Plusieurs députés du
groupe FI. Nous aussi !
M.
Jérôme Lambert. À cause de qui ?
Mme
Corinne Vignon, rapporteure de la commission spéciale pour le titre
III. …avant d’en arriver à l’examen du titre III qui traite
spécifiquement des mécanismes de solidarité prévus par le projet de loi.
L’esprit de justice sociale qui anime la réforme, en particulier dans ce titre,
aurait en effet mérité que chacune des mesures proposées fasse l’objet
d’échanges de fond. Mais le temps du débat viendra et je suis impatiente de
défendre devant vous les différentes mesures d’équité qui y sont
développées.
J’ai hâte que nous évoquions en particulier l’ensemble des
nouveaux droits offerts aux femmes, qui sont les grandes gagnantes de ce système
universel. (Applaudissements sur plusieurs bancs des groupes LaREM et MODEM.)
S’il ne fallait choisir que quelques mesures emblématiques de cette
redistribution au bénéfice des femmes, je citerais la garantie d’une retraite
minimale à 85 % du SMIC, puisque deux tiers des bénéficiaires des minima de
pensions sont des femmes ;…
Mme
Muriel Ressiguier. Génial !
Mme
Corinne Vignon, rapporteure de la commission spéciale pour le titre
III. …la majoration de la pension du parent dès le premier enfant, et non
plus à compter du troisième comme aujourd’hui ; l’attribution de points
supplémentaires pour les aidants familiaux, puisque chacun sait que ce sont très
majoritairement des femmes qui sacrifient leur carrière professionnelle pour
veiller sur leurs proches souffrants, handicapés ou en fin de vie. Je veux
saluer, à ce propos, l’avancée que constitue l’attribution de points aux parents
d’enfants dont le taux d’incapacité est supérieur à 50 % – contre
80 % aujourd’hui.
J’ai hâte, ensuite, que nous abordions les mesures
du titre III qui garantiront un niveau de vie décent à tous les retraités
du système universel. En effet, je ne peux que me réjouir que le projet de loi
concrétise enfin l’engagement voté dans cet hémicycle il y a près de
vingt ans, visant à garantir une pension de 85 % du SMIC net pour
l’ensemble des assurés qui ont effectué une carrière complète. Une telle mesure
de justice est attendue en particulier par les exploitants agricoles et les
travailleurs indépendants, dont les pensions annuelles moyennes sont plus basses
que celles des autres travailleurs. (M. Olivier Damaisin
et Mme Marie-Christine Verdier-Jouclas applaudissent.)
C’est pourquoi nous leur offrirons dès 2022 une pension minimale de
1 000 euros pour une carrière complète.
Le système universel
garantira par ailleurs une meilleure prise en considération des aléas de la vie
grâce à l’attribution de points de solidarité dès le premier jour d’une
interruption de travail liée au chômage, à la maladie, à la maternité et à la
paternité – une mesure inédite proposée dans la loi. (Applaudissements
sur quelques bancs du groupe LaREM.)
J’ai également hâte que nous
puissions échanger sur les droits familiaux et conjugaux qui sont au cœur des
dispositifs de redistribution du système de retraite. Le système universel
accordera en effet des droits plus justes à toutes les familles, quelle que soit
leur configuration. Les familles modestes ne seront guère oubliées puisque des
points leur seront attribués dès lors qu’un parent aura réduit ou interrompu son
activité professionnelle pour se consacrer à l’éducation de ses
enfants.
Je suis en outre certaine que nos débats permettront d’enrichir
chacune de ces mesures pour tenir compte des familles monoparentales ou touchées
par le handicap.
S’agissant de la réversion, je ne peux que saluer le
choix qui a été retenu de calculer celle-ci en fonction du niveau de vie du
couple, de mettre fin aux treize systèmes de calcul existants et d’augmenter la
pension des conjoints survivants aux revenus les plus modestes.
J’ai
hâte, enfin, d’échanger sur les mesures relatives aux jeunes. Ainsi les périodes
d’apprentissage, de service civique ou l’exercice d’un sport de haut niveau
donneront-elles lieu à l’attribution de points de solidarité pour ne pas
pénaliser les jeunes qui ont fait le choix de consacrer leur vie aux autres ou
d’étudier autrement.
Toutes ces mesures contribueront à définir un
système de retraite plus juste, plus équitable, qui fait fi des statuts pour
accorder les mêmes droits à tous les assurés confrontés aux mêmes aléas de la
vie. Je forme le vœu que nos débats soient riches et constructifs, que ces
avancées solidaires soient confirmées et étendues, et que nos concitoyens
puissent prendre la mesure de ces progrès sociaux afin d’aborder le temps de la
retraite avec beaucoup plus de sérénité. (Applaudissements sur les bancs des
groupes LaREM et MODEM. – M. Paul Christophe applaudit
également.)
M.
le président. La parole est à Mme Carole Grandjean,
rapporteure de la commission spéciale pour le titre IV.
M.
Marc Le Fur. Qui n’est pas rapporteur ?
Mme
Carole Grandjean, rapporteure de la commission spéciale pour le titre
IV. Notre modèle social est un bien commun précieux, dont les générations
actuelles ont hérité et qu’elles ont pour responsabilité de protéger. Dès
l’ordonnance du 4 octobre 1945, les pères fondateurs de la sécurité
sociale…
Mme
Muriel Ressiguier. Arrêtez avec ça ! Vous n’avez pas honte de les
citer ainsi sans cesse ?
Mme
Carole Grandjean, rapporteure. …lui ont assigné une mission
essentielle et ambitieuse : garantir à chaque assuré une couverture
solidaire des risques sociaux.
Chacun de nous, sur tous ces bancs, est
attaché à ce patrimoine légué par soixante-dix ans de construction sociale,
pilier du pacte républicain et fierté de notre nation. Ce patrimoine commun est
pourtant fragilisé en matière de retraites.
M.
François Ruffin. Par vous !
Mme
Carole Grandjean, rapporteure de la commission spéciale pour le titre
IV. Fragilisé par la faible confiance que lui accordent les jeunes
générations, souvent convaincues qu’elles ne bénéficieront pas du système par
répartition ; fragilisé par trente ans de déséquilibres financiers,
auxquels les réformes successives n’ont qu’inégalement et temporairement
répondu ; fragilisé par un foisonnement de règles et d’institutions qui
nourrissent la complexité du système et le non-recours aux droits.
Mme
Carole Grandjean, rapporteure. La nouvelle gouvernance du
système de retraite, objet du titre IV qu’il me revient de rapporter,
apporte une réponse claire et efficace à ces différentes fragilités. En créant
une caisse nationale de retraite universelle – CNRU –, nous faisons le
choix de l’intégration de l’ensemble des assurés dans un système commun qui
garantira lisibilité et équité, et ce afin que la justice sociale soit une
réalité de notre système de retraite.
En nous appuyant sur les caisses de
retraites actuelles pour construire le système de demain, nous affirmons notre
confiance dans les interlocuteurs habituels des assurés, qui allient expérience
et proximité. Surtout, en confiant le conseil d’administration aux partenaires
sociaux, nous affirmons haut et fort notre attachement au paritarisme, loin du
mauvais procès en étatisation, aussi infondé qu’insincère, qui nous est
fait.
M.
Jean-Paul Dufrègne. Mais oui…
Mme
Carole Grandjean, rapporteure. Les débats en séance publique
seront l’occasion d’aborder, pour la première fois au cours de la discussion
parlementaire, l’ensemble de ces enjeux de gouvernance et de pilotage :
pour la première fois puisque la pratique de l’obstruction, en commission, a
malheureusement empêché d’atteindre l’examen du titre IV (Exclamations
sur les bancs des groupes FI et GDR), contrastant avec les fortes attentes
qu’il suscite de la part des partenaires sociaux et de nos concitoyens. Il est
temps d’aborder enfin le détail de cette nouvelle gouvernance, qui fait l’objet
d’un grand nombre d’amendements consacrés à l’avenir institutionnel de nos
retraites. Nos débats seront d’ailleurs indispensables pour dissiper les
ambiguïtés alimentées plus ou moins sincèrement par des arguments de tous
bords.
Aucune ambiguïté du côté de la coordination entre les différentes
instances : la procédure de conventionnement permettra à la CNRU d’assurer
une couverture et une qualité de service homogènes sur l’ensemble du territoire.
Aucune ambiguïté non plus concernant l’avenir des caisses d’assurance retraite
et de la santé au travail, les CARSAT : je soutiendrai le maintien de leur
personnalité morale et la garantie du maintien de l’ensemble des effectifs.
(Applaudissements sur quelques bancs du groupe LaREM.) Aucune ambiguïté,
enfin, concernant la place du Parlement : plusieurs amendements seront
défendus qui visent à garantir son information et son inscription à part entière
dans le nouveau pilotage financier. À ce titre, il m’a paru plus utile de
proposer des amendements replaçant le Parlement au cœur de cette nouvelle
gouvernance, que de s’enfermer dans une opposition stérile entre démocratie
sociale et démocratie parlementaire.
Évidemment, cette gouvernance ne
pourra être construite que progressivement, en s’inscrivant dans le temps long.
Aux premières années de préfiguration succédera l’installation des nouvelles
instances, au-delà de la seule CNRU. Fonds de solidarité vieillesse universel,
fonds de réserve universel et comité d’expertise indépendant des retraites en
constituent autant d’illustrations qui permettront de donner un nouveau souffle
au système de retraite du XXIe siècle. Au moment d’entamer la
construction de cette nouvelle gouvernance, je m’attacherai à replacer nos
travaux dans cette perspective du temps long, trop souvent négligée ou oubliée
par le passé.
Les mots de Simone Veil (Rumeurs sur les bancs des
groupes LR, FI et GDR), prononcés le 3 octobre 2005 lors de l’ouverture
du colloque sur le soixantième anniversaire de la sécurité sociale, peuvent nous
guider et résonner dans cet hémicycle comme une injonction à prendre nos
responsabilités pour construire l’avenir de notre système de retraite pour qu’il
soit plus juste, plus équilibré, plus solide : « L’histoire de notre
protection sociale est faite de constructions successives, de la volonté
d’hommes et de femmes de construire ensemble cette solidarité que nous avons
reçue en héritage. » C’est à nous qu’il appartient désormais de mettre en
œuvre une reconstruction solidaire et universelle. (Applaudissements sur de
nombreux bancs des groupes LaREM et MODEM.)
M.
le président. La parole est à M. Paul Christophe, rapporteur de
la commission spéciale pour le titre V pour le titre V du projet
de loi ordinaire.
M.
Paul Christophe, rapporteur de la commission spéciale pour le titre
V. « Rien ne sert de courir, il faut partir à point. »
(Sourires.) En ouvrant ainsi sa célèbre fable, La Fontaine nous
invitait à méditer une leçon des plus profondes : atteindre le but qu’on
s’est fixé nécessite tout à la fois de la préparation, de la détermination et du
temps.
La préparation, c’est la concertation qui a eu lieu pendant deux
ans, ce sont les travaux menés par le Gouvernement,…
M.
François Ruffin. C’est un échec !
M.
Paul Christophe, rapporteur de la commission spéciale pour le titre
V. …ou encore une consultation citoyenne que le Conseil d’État qualifie
lui-même de « procédure approfondie », soulignant la « procédure
originale de participation citoyenne » organisée. La préparation, c’est
aussi notre travail de parlementaires, alors que nous disposons des orientations
générales depuis presque six mois, à travers le rapport remis en juillet au
Gouvernement, du cap fixé par le Premier ministre le 5 décembre dernier et
de l’avant-projet de loi depuis plusieurs semaines.
La détermination,
nous l’avons montrée en commission et la montrerons encore dans cet
hémicycle : les quatre premiers titres permettent de définir un cadre, un
objectif, une cible pour réformer en profondeur un système à bout de
souffle.
Enfin, le temps, nous allons le prendre pour assurer des
transitions adaptées et concertées vers le système que nous voulons : c’est
tout l’objet de ce titre V dont j’ai l’honneur d’être le rapporteur.
Prendre le temps, c’est tout d’abord garantir à nos concitoyens la conservation
pleine et entière des droits constitués dans l’ancien système. Si le principe
est maintenu sans ambiguïté par l’habilitation prévue à l’article 61, le
Premier ministre a précisé la semaine dernière la méthode : je me réjouis,
pour ma part, du choix du Gouvernement d’une clause « à l’italienne »,
particulièrement protectrice des assurés. Les droits seront donc pris en compte
au regard de l’ensemble de la carrière effectuée, dans l’ancien comme dans le
nouveau système de retraite.
Prendre le temps, c’est aussi tenir compte
du changement très profond que nous proposons dans l’architecture de notre
système de retraite : les frontières entre régimes de base et
complémentaires doivent ainsi progressivement s’estomper. C’est le sens de
l’article 62 qui met fin aux affiliations légalement obligatoires à ces
régimes, tout en aménageant des espaces d’information, de dialogue, de
contractualisation pour que ces évolutions se déroulent dans les meilleures
conditions. Il est bon de rappeler que le futur système universel s’appuiera
très largement sur le savoir-faire des femmes et des hommes qui travaillent dans
ces régimes complémentaires et que nous n’entendons pas nous passer de ce qui
fonctionne aujourd’hui.
Prendre le temps, c’est aussi se donner un
calendrier clair et adapté. Des transitions longues sont prévues sur de nombreux
sujets par le texte, mes collègues rapporteurs l’ont souvent évoqué en
commission spéciale. Pour ma part, j’insiste sur trois rendez-vous importants
que fixe l’article 63 après l’adoption de la loi : le
1er décembre 2020 sera mise en place une gouvernance
préfiguratrice chargée de préparer puis de mettre en œuvre la réforme ; le
1er janvier 2022, les premiers assurés entreront dans le système
avec l’application de l’ensemble des outils que nous aurons votés ; enfin,
le 1er janvier 2025 marquera la généralisation du système et le
point de départ des transitions que nous avons prévues sur les droits comme sur
les cotisations.
Prendre le temps, toujours, c’est tenir compte de la
diversité de nos territoires. C’est ainsi que l’article 64 prévoit
l’adaptation du système universel aux caractéristiques et contraintes
particulières de nos départements et territoires d’outre-mer. Ces mesures seront
bien évidemment concertées avec les premiers concernés, afin de concilier la
pleine application du système universel sur l’ensemble du territoire et les
nécessaires spécificités à prendre en compte dans son application.
Enfin,
prendre le temps, c’est aussi assumer le fait que le chantier est suffisamment
ambitieux pour mériter toute notre attention, quitte à repousser à plus tard des
réflexions sur des sujets sans lien avec le projet sur l’épargne des Français.
Je ne suis pas dupe de l’instrumentalisation qui est faite de l’article 65
par certaines oppositions. Ces dernières oublient un peu vite que l’épargne
retraite n’a pas été créée par ce Gouvernement et qu’elle est la réalité
quotidienne de nombreux Français depuis longtemps – y compris dans la
fonction publique ou chez les salariés de la Banque de France. Avoir voulu
améliorer ces solutions en les rendant plus simples, plus lisibles, plus
ouvertes ou plus avantageuses n’a rien d’indigne ni de honteux, même elles ne
remplaceront jamais un solide régime par répartition. Toutefois, le rapporteur
général et moi-même considérons que ce texte n’est pas le bon véhicule pour
ratifier ces avancées issues de la loi relative à la croissance et la
transformation des entreprises, dite loi PACTE, qui méritent, compte tenu de
leur nature mais aussi, précisément, de leurs apports, un débat spécifique.
C’est pourquoi nous proposerons la suppression de cet article.
Le
renforcement de notre système de retraite par répartition passe par une assise
démographique plus solide grâce à l’universalité par l’intégration – trop
rarement soulignée – en son sein des régimes qui fonctionnent aujourd’hui
par capitalisation. « Ce n’est pas le temps qui manque, c’est nous qui lui
manquons », avertissait Paul Claudel. Nous avons reçu ce message cinq sur
cinq s’agissant d’une réforme qui voit loin : elle a donc non seulement,
par le diagnostic que nous portons sur les défauts du système actuel, une raison
d’être et un sens, mais aussi, par le système que nous proposons, un cap et une
cohérence ; elle a enfin, par le souci de changer dans le respect du réel,
un rythme et un chemin. (Applaudissements sur de très nombreux bancs des
groupes LaREM et MODEM.)
M.
le président. La parole est à Mme Cendra Motin, rapporteure
de la commission spéciale pour le projet de loi organique.
Mme
Cendra Motin, rapporteure de la commission spéciale pour le projet de
loi organique. Les occasions que nous avons, en tant que parlementaires, de
prendre position sur des choix qui engagent le pays pendant des décennies ne
sont pas si nombreuses. Or, avec ces deux projets de loi relatifs à la création
d’un système universel de retraite, nous en avons pleinement la possibilité.
N’étant rapporteure que du projet de loi organique, je ne redirai pas combien
l’universalité est le projet originel de la sécurité sociale.
M.
Boris Vallaud. En effet, ce n’est pas la peine de le dire.
Mme
Cendra Motin, rapporteure de la commission spéciale pour le projet de
loi organique. Je ne redirai pas que la convergence entre les régimes, qui
semble inatteignable à certains, aujourd’hui, est le chemin suivi par toutes les
réformes conduites ces dernières années par des majorités très différentes.
M.
Boris Vallaud. Ce n’est pas vrai !
Mme
Cendra Motin, rapporteure de la commission spéciale pour le projet de
loi organique. Je ne redirai pas non plus combien je trouve étrange le
reproche qui nous est fait de parachever ce mouvement historique profond en
prévoyant les conditions dans lesquelles la protection sociale peut et doit
surmonter les corporatismes qui l’ont vu naître, et mettre en œuvre l’idéal
d’égalité qui est sa véritable raison d’être. (Applaudissements sur quelques
bancs du groupe LaREM.)
Je rappellerai simplement qu’un tel projet
suppose nécessairement une réflexion d’ordre institutionnel, celle précisément
qui sous-tend le projet de loi organique dont j’ai l’honneur d’être rapporteure.
À quoi tient cette réflexion ? En trois points essentiels à mon
sens.
Pour assurer la pérennité de notre système de retraite par
répartition, il convient tout d’abord d’engager notre responsabilité sur la
manière dont nous devons le financer. Or je n’ai entendu en commission spéciale
aucun groupe, aucune voix défendre un financement durable par l’endettement.
(Exclamations sur les bancs des groupes GDR et FI.)
M.
Sébastien Jumel. C’est faux !
M.
Jean-Paul Lecoq. Une rapporteure ne doit pas dire ce qu’elle pense,
mais ce qui s’est vraiment passé en commission !
Mme
Cendra Motin, rapporteure de la commission spéciale pour le projet de
loi organique. C’est pourtant ce que nous avons fait collectivement depuis
plusieurs années. Chacun comprend ici, j’en suis sûre, que faire payer les
pensions du jour par la génération du lendemain est une profonde injustice.
(Exclamations sur les bancs des groupes FI et GDR.
– Applaudissements sur quelques bancs du groupe
LaREM.)
M.
Jean-Paul Lecoq. Mais lisez donc ce que nous proposons !
Mme
Cendra Motin, rapporteure de la commission spéciale pour le projet de
loi organique. Cette injustice jette le discrédit sur le système par
répartition, notamment chez les plus jeunes, alors que la confiance est la
condition de sa survie.
Chacun ici comprend également que chaque euro qui
finance des charges d’intérêt est perdu pour la redistribution. Aussi, il me
semble que le principe de l’équilibre financier est beaucoup plus consensuel
dans cet hémicycle que d’aucuns essayent de le faire croire, quitte à admettre
un désaccord sur le moyen d’y parvenir.
M.
Sébastien Jumel. C’est la règle de l’or pour les riches !
Mme
Cendra Motin, rapporteure de la commission spéciale pour le projet de
loi organique. Aussi, nous souhaitons que le législateur organique fasse
respecter deux règles simples. La loi de financement de la sécurité sociale
devra proposer une trajectoire équilibrée du système de retraite sur cinq ans.
Si la dette cumulée dépasse l’équivalent de 10 milliards d’euros
aujourd’hui, cette même loi de financement devra prévoir d’arrêter cet effet
boule de neige et prévoir les conditions de sa réduction.
M.
Olivier Faure. Et voilà !
Mme
Cendra Motin, rapporteure de la commission spéciale pour le projet de
loi organique. J’ai bien conscience que le souci d’équilibre qui
caractérise le fond comme la forme de cette proposition ne satisfera ni les
adeptes de la rigueur pour la rigueur ni ceux qui se préparent sans toujours se
l’avouer à l’insoutenabilité de leurs propositions. J’assume ce double désaccord
car il est la démonstration même du caractère raisonnable de la
démarche.
Cependant, il manquait à ce cadre inavouablement consensuel une
autre règle d’or respectée par toutes les majorités et que la nôtre souhaite
voir graver dans le marbre de la loi organique après l’avoir fait figurer dans
la loi : dans le système universel, la valeur des pensions ne baissera pas
et la hausse de la valeur du point ne pourra pas être inférieure au taux de
l’inflation. (Protestations sur les bancs des groupes FI et GDR.)
Évidemment, nous souhaitons faire bien mieux en indexant les pensions sur les
prix et la revalorisation du point sur les revenus. Pour cela, il nous a semblé,
sous l’impulsion de celui qui siège aujourd’hui un mètre plus à gauche qu’hier,
plus sûr de consacrer ces planchers dans la loi organique car ainsi il sera plus
difficile à des majorités moins scrupuleuses d’y porter
atteinte.
Deuxième point essentiel du cadre institutionnel que nous
voulons donner à la réforme : instaurer un lieu de débat annuel devant la
représentation nationale sur nos politiques de retraite. Loin de l’étatisation
décrite parfois, l’intégration au sein de nos débats de l’automne des retraites
complémentaires était une évolution indispensable des lois de financement de la
sécurité sociale. Dans la perspective d’un système largement unifié, cet
élargissement du champ de la délibération démocratique dès 2022 est un préalable
précieux. Quelque 100 milliards d’euros de dépenses échappaient à notre
information et à notre contrôle concernant pourtant des régimes de retraite
rendus obligatoires par la loi depuis 1972.
Le paritarisme n’en souffrira
pas, bien au contraire. Je crois surtout, en tant que parlementaire, que nous
avons une valeur ajoutée à apporter, plutôt que de laisser se jouer sans rien
dire le face-à-face entre l’exécutif et les organes paritaires. Les effets
bénéfiques de cette évolution dépendront largement de l’amélioration des
conditions d’examen du projet de loi de financement de la sécurité sociale, cela
va sans dire. Mais j’ai bon espoir que nous ayons avancé d’ici là, sur la base
des travaux du Haut conseil du financement de la protection sociale.
Je
finirai simplement par une citation de Winston Churchill
(« Ah ! » et
sourires sur les bancs des groupes SOC, FI et GDR) : « Construire
peut être le fruit d’un travail long et acharné. Détruire peut-être l’œuvre
d’une seule journée. » (Exclamations sur les bancs des groupes FI et
GDR.) Gageons que nous saurons ici construire ensemble pour les générations
futures. (Applaudissements sur les bancs des groupes LaREM et
MODEM.)
M.
Sébastien Jumel. Vous auriez plutôt dû citer Thatcher !
M.
le président. La parole est à Mme Brigitte Bourguignon,
présidente de la commission spéciale chargée d’examiner le projet de loi
instituant un système universel de retraite et le projet de loi organique
relatif au système universel de retraite.
Mme
Brigitte Bourguignon, présidente de la commission spéciale. Il
est rare qu’une commission, spéciale ou non, soit amenée à prendre acte qu’elle
n’a pu totalement achever ses travaux en temps utile. Non sans regrets, c’est ce
que j’ai proposé à la commission spéciale de faire, mardi dernier, lorsqu’il est
apparu qu’elle ne serait pas en mesure d’achever l’examen du projet de loi
ordinaire. Mercredi, en revanche, la commission spéciale a amendé et adopté le
projet de loi organique ; c’est ce texte, issu des travaux de la commission
spéciale, que notre assemblée examinera.
Laissez-moi vous dire ma fierté
d’avoir été, comme beaucoup d’entre vous, partie prenante de ce moment de
démocratie parlementaire. D’un simple point de vue quantitatif, la chose était
assez aisée à faire : la commission spéciale s’est réunie à vingt-sept
reprises, durant plus de quatre-vingt-dix heures. Elle a été saisie de
22 658 amendements ; elle en a examiné 6 059. La commission
spéciale a donc beaucoup travaillé, mais, surtout, elle a bien travaillé. Ce
travail ne restera pas lettre morte. La commission spéciale a adopté
21 amendements qui ont été déposés par les rapporteurs pour la séance
publique. Nous les examinerons donc au cours de nos débats.
Je veux
rendre hommage à notre rapporteur général et à nos rapporteurs, qui ont apporté
une contribution essentielle aux débats. Je veux bien sûr aussi avoir un mot
plus personnel pour Olivier Véran à qui j’adresse mes chaleureuses félicitations
et souhaite pleine réussite. (Applaudissements sur les bancs des groupes
LaREM et MODEM.)
Je remercie Laurent Pietraszewski, secrétaire d’État
chargé des retraites, de sa présence constante durant ces dix journées. Je
remercie aussi l’ensemble des membres de la commission spéciale et, au-delà,
tous ceux qui ont pris part à nos discussions.
Beaucoup a été dit sur la
stratégie parlementaire de certains groupes, stratégie que l’on a pu qualifier
d’obstruction. Pour ma part, je n’ai jamais employé ce mot. Parce que je crois
au Parlement et au travail en commission ; parce que je crois en la
fonction tribunitienne du travail parlementaire (Applaudissements sur
plusieurs bancs) ;…
M.
Jean-Luc Mélenchon. Ah !
Mme
Brigitte Bourguignon, présidente de la commission spéciale.
…parce que je crois que notre assemblée, quand elle s’écoute, joue un rôle
fondamental en favorisant la confrontation des idées. Parce que je crois en tout
cela, le débat qui s’est tenu a été utile à la démocratie précisément parce que
la confrontation politique a eu lieu : valeurs contre valeurs, idées contre
idées, projet contre projet. (Applaudissements sur les bancs du groupe
FI.)
M.
Jean-Luc Mélenchon. Très bien, madame !
Mme
Brigitte Bourguignon, présidente de la commission spéciale. Il y
a pu y avoir, à quelques moments, des excès de ferveur, mais le jour où il n’y a
plus ces excès, ces éclats de voix,…
M.
Sébastien Jumel. Jamais ! Le respect a toujours prévalu !
Mme
Brigitte Bourguignon, présidente de la commission spéciale. Ce
jour-là, il n’y a plus de Parlement ! Je préfère retenir le feuilleton de
Marie, l’infirmière – n’est-ce pas, madame Fiat.
(« Ah ! » et
applaudissements sur les bancs du groupe FI.)
Face aux véritables
égouts à pulsions qui se sont installés sur les réseaux sociaux ou dans d’autres
formes d’expression, il y a un Parlement qui permet à toutes les idées d’être
représentées et qui est le lieu de toutes les expressions.
Place
maintenant au travail en séance ! Il revient à ce travail d’affiner ce
texte, de l’améliorer, comme il revient à la démocratie sociale de faire son
œuvre.
Pendant que nous faisons la loi, les partenaires sociaux cherchent
un compromis pour garantir le financement de notre système de retraite à la
française, dans le cadre de la conférence sur l’équilibre et le financement des
retraites. Ce dialogue entre démocratie représentative et démocratie sociale,
qui donne au Parlement le dernier mot, est de bonne politique. C’est d’une
certaine manière une étape de plus dans l’équilibre démocratique que nous
appelons de nos vœux. Bon débat à tous, et vive l’Assemblée nationale !
(Applaudissements sur les bancs des groupes LaREM et MODEM, ainsi que sur
plusieurs bancs du groupe FI.)
Motion de rejet préalable (projet de loi ordinaire)
M.
le président. J’ai reçu de M. André Chassaigne et des membres du
groupe de la Gauche démocrate et républicaine une motion de rejet préalable
déposée en application de l’article 91, alinéa 5, du règlement sur le
projet de loi ordinaire instituant un système de retraite.
La parole est
à M. Pierre Dharréville.
M.
Stéphane Peu. Enfin, la voix de la sagesse !
M.
Pierre Dharréville. C’est un film, un navet. Il coche toutes les cases,
à tel point qu’on ne sait par où commencer : le scénario est poussif, la
fable alambiquée, le sujet maltraité, les plans répétitifs, les dialogues faux,
le metteur en scène autoritaire, la photo datée, les cadrages étroits, le
casting inégal…
M.
Olivier Faure. Remboursez ! (Sourires.)
M.
Pierre Dharréville. On en arrive même au point où les acteurs quittent
le plateau sans crier gare.
Ce projet est monstrueux, et le monstre vous
échappe. Vous avez dès maintenant la possibilité salutaire, que dis-je, la
possibilité, le pouvoir, et sans aucun doute le devoir de mettre fin à ce
cauchemar, à ce supplice, à cette lourde faute. (Applaudissements sur les
bancs des groupes GDR, SOC et FI.
– M. Nicolas Dupont-Aignan applaudit
également.)
L’enjeu est essentiel : il s’agit du droit à la
retraite. Il est vrai qu’en voyant le Gouvernement mettre les pieds comme il le
fait dans un tel sujet, on a sentiment d’une profanation.
(M. François Ruffin applaudit.)
La situation
actuelle, nul n’en méconnaît les défauts, mais plutôt que de suivre les logiques
de rétraction qui ont prévalu ces derniers temps, il est urgent de se replacer
dans une démarche d’édification. Cependant, quand on voit un nouvel arrivant se
présenter comme celui qui vient accomplir les Écritures et déclarer vouloir
raser la maison commune pour en construire une autre à sa main, on s’inquiète.
On s’inquiète d’autant plus que depuis si longtemps les marchands veulent entrer
dans le temple. Nous tenons toutefois ce droit pour autre chose que pour un
symbole sacré : c’est un marqueur concret de civilisation.
(Mme Muriel Ressiguier applaudit.)
Parce qu’il
faut travailler pour vivre, qu’advient-il quand on est empêché de
travailler ? C’est à cette question d’abord qu’on a tenté de répondre, et
puis l’on s’est attelé à faire, comme le dira Ambroise Croizat, que la retraite
ne soit plus « l’antichambre de la mort », mais « une nouvelle
étape de la vie ». (Applaudissements sur les bancs des groupes GDR et
FI, ainsi que sur plusieurs bancs du groupe SOC.)
Ainsi la retraite
est-elle un droit patiemment édifié au cours du siècle passé et, hélas,
savamment ébréché dans les décennies écoulées : un droit que l’on crée par
le travail et qui se partage par-delà les générations ; un droit qui fait
partie intégrante du salaire et qui se traduit par un salaire continué ; un
droit qui permet d’être libéré du travail prescrit quand on y a tant consacré
dans la force de l’âge.
Ce droit s’inscrit dans la philosophie de la
sécurité sociale qui entend socialiser et sanctuariser la part des richesses
produites suffisante à garantir une assurance contre les aléas de l’existence
tout au long de la vie. C’est tout un monde que l’on gagne pour les autres et
pour soi-même, voilà l’un des traits de l’émancipation par le
travail.
« C’est ainsi seulement, en libérant les travailleurs de
l’obsession permanente de la misère, qu’on permettra à tous les hommes et à
toutes les femmes de développer pleinement leurs possibilités, leur personnalité
[…] » : ainsi parlait Ambroise Croizat à cette tribune, le 8 août
1946. Lui et les autres, certains en trahissent la mémoire et les intentions
parce qu’ils leur donnent mauvaise conscience. (Nouveaux applaudissements sur
les bancs des groupes GDR et FI, ainsi que sur plusieurs bancs du groupe
SOC.)
De « chacun selon ses moyens » à « chacun selon
ses besoins » : l’ambition a une autre figure que le slogan
« chaque euro cotisé doit donner les mêmes droits » qui, sous les
apparences de l’égalité, cultive le chacun pour soi. Une telle maxime n’est ni
désirable, ni applicable, tant nos parcours peuvent être différents d’un bout à
l’autre de l’existence.
Voilà pourquoi, si l’on veut engager une réforme
d’une telle portée tellurique, il vaut mieux y avoir bien réfléchi, y avoir bien
travaillé, et avoir suffisamment rassemblé.
Chères et chers collègues,
vous auriez tort de prendre cette demande de rejet du texte pour une formalité.
Croyez bien que je meurs d’envie de demander au Gouvernement : qu’est-ce
que vous ne comprenez pas dans le mot « retraite », qu’est-ce que vous
ne comprenez pas dans le mot « retrait » ? Mais c’est d’abord à
vous que je veux principalement m’adresser, parce que la situation est grave. Je
suis certain que nombre d’entre vous se disent tout bas que les conditions ne
sont assurément pas réunies pour acter un bouleversement complet de notre droit
à la retraite.
Alors, le geste salutaire que le Gouvernement n’a eu ni la
lucidité ni le courage de faire, le Parlement peut désormais l’accomplir. C’est
un geste de sursaut, de respect de la démocratie et finalement de soi-même.
C’est plus que jamais le moment. Depuis le début, les promoteurs de cette
réforme voudraient torpiller leur œuvre et la rendre inconstitutionnelle qu’ils
ne s’y prendraient pas autrement. Alors qu’il arrive devant nous aujourd’hui,
une chose est désormais établie : le texte n’est pas prêt, il est
complètement « bilboque », il est en papier mâché.
Je
récapitule, à l’économie car les faits sont accablants. Pendant deux ans, à la
suite d’une idée de campagne plus ou moins claire et plus ou moins reprise par
les candidats aux législatives, un haut-commissaire a animé des cafés-débats et
mené quelques opérations de « com » visant à dénigrer le système
actuel, dans le but de préparer l’opinion.
Faisant l’objet de fuites
contradictoires, plusieurs fois annoncée, la réforme devait finalement venir
l’été prochain, mais nous y voilà dès l’hiver parce que le Gouvernement a tenté
un coup tactique foireux. La concertation sociale a été une aimable farce :
personne n’était demandeur, et personne n’a été écouté. Le dessaisissement des
organisations syndicales, dont le rôle est actuellement central, a été appliqué
avant l’heure : elles n’ont, en réalité, jamais disposé du texte, et je ne
parle pas des concertations périphériques décoratives. Voilà les assurés
expulsés. Flagrant défaut de dialogue social !
Le Premier ministre a
présenté la réforme dans un discours qui a provoqué la colère. Pour diviser les
générations, il annonçait une entrée en vigueur à partir de la génération née en
1975, accompagnée d’un âge pivot. Puis, pour gagner du temps, il inventa la
suspension provisoire de l’article concerné, et une conférence de financement se
prolongeant au-delà de la première lecture. Avec une épée de Damoclès au-dessus
des têtes, voilà donc le Parlement appelé à se prononcer sur un projet
provisoire à la main du Gouvernement.
Dix jours plus tard, le pilote de
la réforme démissionnait, notamment pour n’avoir pas déclaré des activités et
pour de possibles conflits d’intérêts, laissant un texte inachevé, bardé de
vingt-neuf ordonnances portant sur une quarantaine de questions structurantes.
Le Conseil d’État écrira que cela « fait perdre la visibilité d’ensemble
qui est nécessaire à l’appréciation des conséquences de la réforme et, partant,
de sa constitutionnalité et de sa conventionnalité ». Flagrant défaut de
précision ! (Applaudissements sur les bancs des groupes GDR et FI,
ainsi que sur plusieurs bancs du groupe SOC.)
Depuis le
5 décembre, un mouvement social d’une grande ampleur a gagné le pays, se
traduisant par de nombreux mouvements de grève et des manifestations
considérables, tandis que les enquêtes d’opinion témoignaient d’un soutien clair
de la population et d’un rejet massif de la réforme. Le Gouvernement faisait le
dos rond en attendant que ça passe et espérait en vain un retournement à la
faveur des fêtes. Plus les choses avançaient, plus étaient mises en lumière les
conséquences de la réforme pour de nombreuses professions dans tous les secteurs
de la société. Pour tenter de dégonfler la colère, étaient consenties quelques
exceptions, souvent faites de faux-semblants, qui sonnaient comme autant d’aveux
des défaillances intrinsèques du miraculeux système. Dans son obstination
paniquée, le Gouvernement déclencha sans justification valable la procédure
accélérée, réduisant au maximum le travail parlementaire. Flagrant défaut de
démocratie !
C’est dans ce cadre que, le 24 janvier, le Conseil
d’État rendit un avis cinglant, jugeant le texte avec une extrême sévérité.
Critiquant la consultation factice de certains organismes, il ne s’estimait pas
« à même de mener sa mission avec la sérénité et les délais de réflexion
nécessaires pour garantir au mieux la sécurité juridique […] ».
M.
Nicolas Dupont-Aignan. Eh oui ! Le Conseil d’État a
raison !
M.
Erwan Balanant. Il a aussi dit d’autre chose !
M.
Pierre Dharréville. Et de trouver cette situation « d’autant plus
regrettable que les projets de loi procèdent à une réforme du système de
retraite inédite depuis 1945 et destinée à transformer pour les décennies à
venir un système social qui constitue l’une des composantes majeures du contrat
social. » Pour le Conseil d’État, l’inconstitutionnalité est manifeste
concernant les promesses imprécises de revalorisations pour les enseignants et
les chercheurs. Sidérant bricolage, flagrant délit
d’impréparation !
Enfin, le Conseil d’État remet vertement en cause
la fiabilité de l’étude d’impact, jugée insuffisante et lacunaire, au point de
rappeler que « les documents d’impact doivent répondre aux exigences
générales d’objectivité et de sincérité des travaux procédant à leur élaboration
[…] ».
La faiblesse de ce document est inversement proportionnelle à
son volume, notamment en matière d’impacts économiques et sociaux. Considérant
l’augmentation de 70 % du nombre de personnes de plus de 65 ans d’ici
à 2070, ainsi que leur faible taux d’emploi, le Conseil d’État appelle par
exemple le Gouvernement, s’il veut jouer sur l’âge de départ à taux plein, à
mesurer les effets de ce choix sur les comptes de l’assurance-chômage et les
dépenses de minima sociaux. Une paille ! Précisons que, derrière les
chiffres, il y a des vies.
Le Gouvernement brille pourtant par son
incapacité à décrire les droits des assurés. Son étude comporte des bidouillages
pour présenter les choses sous un jour avantageux. Par exemple, sur les
vingt-huit cas types de personnes nées en 1990 présentés, vingt et un cas sont
présentés comme gagnants ; en réalité, dix-huit sur vingt-huit sont
perdants selon le collectif nosretraites.fr. Le Gouvernement y a ajouté une
provocation en promettant, une fois la réforme votée, un simulateur, fondé sur
un système déjà existant. L’étude ne décrit pas mieux les mécanismes de
transition. Les zones d’ombre sont partout. Flagrant défaut
d’information !
Il apparaît de surcroît que les maigres informations
que comporte l’étude d’impact ne collent pas exactement avec les annonces déjà
faites. On avait parlé d’un âge d’équilibre à 64 ans pour la génération
1975 ; en réalité, le texte annonce plutôt 65 ans, et des âges plus
élevés à l’avenir. Au passage, on méconnaît les conventions minimales de l’OIT
– Organisation internationale du travail.
On avait aussi compris que
le Gouvernement plafonnait à 14 % du PIB la part des retraites mais, ne se
contentant pas de la stabiliser, il programme sa baisse jusqu’à 12,9 %
d’ici à 2050.
M.
Nicolas Dupont-Aignan. Eh oui !
M.
Pierre Dharréville. On avait annoncé l’indexation sur l’évolution des
salaires ; en fait, les pensions resteront indexées sur l’inflation. Quant
à la valeur de service du point, censée être indexée sur le salaire moyen, elle
le sera sur un indicateur inexistant et non identifié. Flagrant défaut de
lisibilité !
M.
Pierre Dharréville. Au bout du compte, le fossé entre les slogans et la
loi est béant. Le Conseil d’État lui-même réfute l’idée d’un régime universel et
juge que « l’objectif selon lequel "chaque euro cotisé ouvre les mêmes
droits pour tous" reflète imparfaitement la complexité et la diversité des
règles de cotisation ou d’ouverture de droits définies par le projet de
loi ». Flagrant défaut de sincérité !
Quelques mots enfin sur
la réunion de la commission spéciale. Spéciale, elle l’a été d’abord et avant
tout par sa décision d’arrêter l’examen du texte sans parvenir à le mener à son
terme, pour respecter l’exigence calendaire fixée par le Gouvernement.
M.
Sébastien Jumel. C’est très spécial, en effet !
M.
Erwan Balanant. La faute à qui ?
M.
Pierre Dharréville. Après la procédure accélérée, la procédure
tronquée : vendredi dernier encore, on nous annonçait quarante-six nouveaux
amendements gouvernementaux de dernière minute, dont deux relatifs aux
ordonnances – un projet de loi additionnel soumis en douce. Nous sommes
dans une procédure d’exception qui sert un coup de force. Flagrant délit de
précipitation !
Finalement, la Constitution aura été bafouée dans
ses articles 34 et 39, dans son exigence de clarté, de sincérité et de
sécurité juridique et financière et de respect des droits du Parlement. La
fragilisation, voire la remise en cause des droits acquis qu’implique le projet
de loi met à mal la conception constitutionnelle du principe d’égalité ainsi que
les principes concernant les garanties dues aux travailleurs et travailleuses,
énoncés au préambule. Flagrant délit
d’inconstitutionnalité !
Aujourd’hui, le système offre des droits
garantis pour lesquels on s’assure des ressources nécessaires. Si certaines
pensions sont aujourd’hui insuffisantes et certains parcours mal pris en compte,
le projet de loi veut passer à un système où les droits servent de variable
d’ajustement au service d’une double règle d’or : baisser les dépenses tout
en maintenant l’équilibre financier – un système où chacun compte ses
points. L’âge de départ à taux plein est programmé pour reculer génération après
génération, ce qui alimentera mécaniquement une baisse des pensions. La pension
sera calculée sur toute la carrière, alors tout accident de parcours se paiera
par un malus sur la retraite. L’objectif affiché est de voir plus de seniors
plus longtemps dans l’emploi, les privant ainsi de leurs meilleures années de
retraite ; quant aux autres, il faudrait qu’ils coûtent moins cher dès lors
qu’un départ dans les conditions actuelles caractériserait, selon certains, une
génération dorée, celle des nantis. C’est tout l’inverse de ce que défendait
Jaurès en vantant « la magnifique idée d’assurance sociale, qui crée pour
tous les salariés un droit certain », qu’il appelait à corriger et à
perfectionner. Flagrant délit d’insécurité sociale !
Il s’agit donc
bien d’une réforme d’austérité financière qui se grime. Aujourd’hui, on ne
devrait pas modifier un critère comme vous l’avez fait : la réforme
autorise un ajustement permanent des paramètres. Celles et ceux qui en auront
les moyens sont ainsi encouragés à des démarches individuelles, jusqu’à la
capitalisation, afin de nourrir les appétits destructeurs de la finance qui
rôde, surtout depuis la loi PACTE. C’est tout l’inverse du cours de l’histoire
qui a permis de réduire et de partager le temps de travail dans la journée, la
semaine, la vie ; entre les femmes, les hommes, les générations. C’est tout
l’inverse d’une dynamique visant à changer le travail et à en attaquer la
pénibilité – que certains préfèrent ne pas voir –, plutôt que de le
précariser et de le dégrader. Flagrant délit de régression
sociale !
Meilleur pour les femmes ? C’est faux. Meilleur pour
les précaires ? C’est faux. Meilleur pour les carrières plates ? C’est
faux. Les seuls points positifs résident dans des corrections apportées au
nouveau système pour en limiter les dégâts, mais celles-ci auraient pu être
introduites dans le cadre actuel. C’est le cas, par exemple, pour les
agriculteurs – mais la réforme laisse de côté les retraités actuels –
ou pour la pension minimum que finalement le projet ne traite pas avec beaucoup
d’ambition. Le régime général sera celui de l’exception individuelle, avec des
inégalités sans justification, entre générations comme en leur sein. Ce système
ne sera ni plus universel, ni plus juste, ni plus égalitaire, ni plus solidaire,
ni plus lisible, ni plus sûr. Il sera plus économe – plus économe avec nos
vies. Flagrant défaut de République !
On ne saurait agir avec autant
de légèreté sur un sujet aussi sensible. On ne saurait légiférer sur nos
retraites à la hâte, à la hussarde, à l’aveuglette – à moins de risquer le
fiasco. On ne saurait voir bafouées autant d’institutions et de règles
démocratiques. Enfin, on ne saurait décider contre le peuple au nom duquel nous
sommes rassemblés. Depuis deux mois et demi, un mouvement clame avec
détermination le refus d’une réforme dont chacun a compris la portée pour toute
la vie. Cette réforme n’a pas de majorité populaire. (Applaudissements sur
les bancs des groupes GDR, SOC et
FI. – M. Nicolas
Dupont-Aignan applaudit également.)
Dans ce moment, particulièrement,
la responsabilité personnelle de chacune et de chacun est engagée. Entre
flagrants délits, flagrants défauts et fariboles, rarement une loi aura autant
mérité le rejet. Rarement un film aura été aussi pénible. Libérez les acteurs.
Coupez ! (Applaudissements sur les bancs des groupes GDR, SOC et
FI.)
M.
le président. Sur la motion de rejet préalable, je suis saisi par le
groupe Socialistes et apparentés d’une demande de scrutin public.
Le
scrutin est annoncé dans l’enceinte de l’Assemblée nationale.
La parole
est à M. le secrétaire d’État.
M.
Laurent Pietraszewski, secrétaire d’État. Monsieur Dharréville,
je ne serai pas long en répondant à votre motion de rejet préalable.
M.
David Habib. Vous l’êtes déjà trop !
M.
Laurent Pietraszewski, secrétaire d’État. Le Gouvernement tient
non seulement à l’examen de l’intégralité des deux textes qui vous ont été
soumis, mais également à leur adoption par l’Assemblée nationale. Vous vous
opposez à ce projet de loi qui vise à instaurer un système universel de
retraites : soit ; mais pourquoi recourir à une telle motion, monsieur
Dharréville ? Je reprendrai vos mots – preuve que je vous ai écouté
avec intérêt –, mais vous ne me ferez pas croire qu’il s’agit ici d’un
flagrant défaut de démocratie. Que signifie, au fond, la motion de rejet
préalable du groupe de la Gauche démocrate et républicaine ? Que signifient
les milliers d’amendements de suppression que vous et votre groupe avez
déposés ? (Exclamations sur les bancs des groupes GDR et FI.)
M.
Jean-Paul Lecoq. Cela signifie que nous avons entendu le peuple,
nous !
M.
Laurent Pietraszewski, secrétaire d’État. Votre objectif est
assumé : ralentir, bloquer le débat. Pour ma part – vous le savez car
je siégeais, il y a peu de temps encore, sur ces bancs –, je veux respecter
le Parlement et ses prérogatives.
M.
Ugo Bernalicis. Vous ne comprenez rien !
Mme
Sylvie Tolmont. On n’en veut pas, de votre loi !
M.
Laurent Pietraszewski, secrétaire d’État. Je vous entendais,
avec d’autres groupes, vous insurger avec force et vigueur quand, il y a
quelques mois, lors des jours réservés à l’opposition, des motions de rejet
préalable ou de renvoi en commission étaient déposées puis adoptées. C’est cette
majorité qui, lors de ses journées parlementaires, sur proposition du président
Richard Ferrand – que je remercie pour cela – et au nom de la
démocratie parlementaire, a mis un terme aux motions de rejet et de renvoi
déposées dans ce cadre. (Applaudissements sur quelques bancs du groupe
LaREM.) Vous savez ce que cela a représenté pour notre majorité ces derniers
temps, mais nous l’assumons.
M.
Sébastien Jumel. Un ministre ne peut pas commenter le règlement de
l’Assemblée nationale !
M.
Christian Hutin. Effectivement, le ministre donne son avis sur le
règlement de l’Assemblée !
M.
Laurent Pietraszewski, secrétaire d’État. Au nom du
Gouvernement, j’affirme que nous assumons le débat sur notre projet. Mon souhait
est d’examiner l’ensemble des amendements, y compris ceux des oppositions
– dont les vôtres –, s’ils sont constructifs.
Mme
Sylvie Tolmont. Il faut revoir votre copie !
M.
Laurent Pietraszewski, secrétaire d’État. Nous en avons adopté
en commission et nous pourrons en faire autant en séance. Comme le disait Michel
Rocard, à grande cause, grande controverse ; j’appelle donc à voter contre
la motion de rejet préalable et à lancer le débat auquel chacun devrait
participer. Vous pouvez compter sur mon engagement, que vous avez pu mesurer
lors de l’examen du texte en commission spéciale. Mesdames et messieurs les
députés – insoumis, républicains, communistes, socialistes, membres des
groupes Libertés et territoires, UDI-Agir, MODEM et LaREM ou
non-inscrits –, débattons ! (Applaudissements sur les bancs des
groupes LaREM et MODEM. – Exclamations sur
les bancs des groupes GDR et FI.)
M.
le président. Chers collègues, ne soyez pas aussi
agités !
Nous en venons aux explications de vote sur la motion de
rejet préalable.
La parole est à M. Boris Vallaud, que je vous prie
d’écouter en silence. Cessez d’interrompre tout le monde, y compris vos propres
orateurs !
M.
Boris Vallaud. Cette réforme est celle du cynisme, de l’esbroufe et de
l’improvisation. (Applaudissements sur plusieurs bancs des groupes SOC, GDR
et FI.)
Mme
Sylvie Tolmont. Exactement !
M.
Boris Vallaud. Celle du cynisme, lorsque vous citez à tour de bras les
pères fondateurs de la sécurité sociale pour en dévoyer l’héritage ; car,
la vérité, c’est que pour la première fois depuis 1945, on calculera les
retraites en tenant compte non seulement de la durée de cotisation, mais de
l’âge de départ. Vous avez décidé de faire ce choix funeste pour les plus
modestes : instaurer un âge d’équilibre, avec son cortège d’inégalités.
M.
Erwan Balanant. Et la réforme Touraine – 67 ans pour les
femmes –, ce n’est pas cynique ?
M.
Sébastien Jumel. Boris Vallaud a raison ! Tais-toi !
M.
Boris Vallaud. Cynisme aussi lorsque vous alignez les bons mots
– l’équité, la justice, l’égalité, la redistribution – qui masquent
mal vos mauvaises manières. (MM. Ugo Bernalicis et
François Ruffin applaudissent.) Cynisme lorsque vous en appelez au dialogue
social ou lorsque vous dites espérer un débat au Parlement alors que chacun sait
le tour de force que vous avez accompli en mettant, après deux ans de
concertation, l’ensemble des organisations syndicales dans la rue, alors que
chacun voit, depuis deux ans et demi, le peu de cas que vous faites du débat
parlementaire. Cynisme lorsque vous prétendez mener une réforme de progrès alors
qu’on en mesure déjà les régressions.
Cette réforme est aussi celle de
l’esbroufe : l’esbroufe de votre étude d’impact, qui n’est ni faite ni à
faire – c’est l’avis du Conseil d’État comme de beaucoup d’économistes,
dont certains vous furent proches, mais aussi de tous ceux qui, de bonne foi,
ont assisté au débat en commission spéciale. Esbroufe de vos cas types, tous
escamotés, truqués ou tronqués – donc, par définition, tous faux. Esbroufe
sur vos perspectives financières – pour peu que vous vouliez bien nous en
donner –, sur vos progrès, sur les promesses faites aux professeurs :
tout cela n’est qu’une vaste esbroufe !
Au fond, il n’y a que
quelques vérités. La seule règle d’or, c’est l’équilibre financier, et ce sera
la règle de plomb pour tous les retraités.
M.
Ugo Bernalicis. Très bien !
M.
Boris Vallaud. La seule certitude, c’est qu’il nous faudra soit
travailler plus, soit gagner moins ; voilà la promesse qui nous est
faite ! (Applaudissements sur les bancs des groupes SOC, GDR et
FI.)
M.
Bruno Millienne. Et les 43 annuités, c’est qui ?
M.
Boris Vallaud. Enfin, cette réforme est celle de l’amateurisme :
elle n’est pas prête, vous n’êtes pas prêts. Vous improvisez, vous pilotez à
vue, au doigt mouillé.
Retirez cette réforme ! C’est le meilleur
service que vous puissiez rendre aux Françaises et aux Français.
(Applaudissements sur les bancs des groupes SOC, GDR et
FI. – Protestations sur les bancs des
groupes LaREM et MODEM.)
M.
le président. La parole est à Mme Agnès
Firmin Le Bodo.
Mme
Agnès Firmin Le Bodo. Le groupe du Mouvement démocrate et apparentés ne
soutiendra pas la motion de rejet préalable défendue par le groupe GDR.
(Applaudissements sur quelques bancs du groupe LaREM.)
M.
Jean-Paul Lecoq. C’est pourtant la voix de la sagesse !
Mme
Agnès Firmin Le Bodo. Nous plaidons depuis longtemps pour un système de
retraite par points, à la fois plus juste et plus lisible pour les assurés.
Comment s’opposer à une réforme qui prévoit enfin une revalorisation de la
retraite des agriculteurs ? Comment s’opposer à une réforme qui prévoit une
retraite minimum à 1 000 euros dès 2022 ? Comment s’opposer à une
réforme qui offre enfin l’occasion d’augmenter les salaires des enseignants et
des chercheurs ?
M.
Jérôme Lambert. Il n’y a pas besoin de cette réforme pour le
faire !
Mme
Agnès Firmin Le Bodo. Comment, enfin, s’opposer à une réforme qui
favorise les petites retraites et qui sera plus redistributive ? Le système
universel constitue un outil essentiel pour recréer de la confiance entre
générations et pour lutter contre la défiance en rendant le dispositif plus
lisible et moins opaque. Alors que le débat fut en partie confisqué en
commission spéciale, nous nous réjouissons de le voir arriver en séance
publique. Nous avons tous, sur tous les bancs, des amendements à défendre. Place
au débat ! (Applaudissements sur les bancs des groupes UDI-Agir, LaREM
et MODEM.)
M.
le président. La parole est à Mme Jeanine Dubié.
Mme
Jeanine Dubié. Pour une personne qui arrive au bout de sa carrière, la
retraite représente l’assurance de bénéficier d’un taux de remplacement correct
et de ressources lui permettant de vivre convenablement la dernière partie de sa
vie. Le texte qui nous est proposé ne contient que des incertitudes : nous
ne savons pas où nous allons, et vous ne nous avez pas convaincus pendant
l’examen en commission.
M.
Jérôme Lambert. Ils nous ont même inquiétés !
Mme
Jeanine Dubié. Le ministre a évoqué un nouvel indice sur lequel serait
indexée la valeur du point, indice qui n’existe toujours pas et dont on ne sait
pas ce qu’il recouvre comme réalité. Le texte prévoit vingt-neuf ordonnances
dont on ne discerne pas les contours.
M.
Jérôme Lambert. C’est du bricolage !
Mme
Jeanine Dubié. Vous auriez dû aller au bout des négociations avec
l’ensemble des régimes concernés. Transformer quarante-deux régimes en un seul
représente un gros travail qui méritait davantage d’approfondissement, de
coopération et de concertation avec toutes les parties prenantes. La
précipitation du Gouvernement restera pour moi un mystère : pourquoi
imposer ces deux dates – 17 février et 3 mars –, qui nous
obligent à agir dans l’urgence alors que des négociations se poursuivent
encore ?
Toutes ces incertitudes altèrent la confiance
– condition indispensable à l’acceptation de la réforme. Pour toutes ces
raisons, le groupe Libertés et territoires votera la motion de rejet préalable.
(Applaudissements sur les bancs des groupes LT, SOC, GDR et FI.
– M. Nicolas Dupont-Aignan applaudit
également.)
M.
le président. La parole est à M. Jean-Luc Mélenchon.
M.
Jean-Luc Mélenchon. Aujourd’hui commence le débat parlementaire sur la
plus terrible régression sociale de toute la Ve République.
(Applaudissements sur les bancs des groupes FI et GDR.
– « Oh ! »
sur les bancs des groupes LaREM et MODEM.) Entendons le cri qui monte du
pays contre elle, celui des traminots, des cheminots, des gaziers, des
électriciens, des danseurs, des professeurs, des avocats, des égoutiers…
(Exclamations sur plusieurs bancs du groupe LaREM.) Il donne l’écho de
cette interminable bataille dans la chaîne du temps pour réduire le temps de
travail dans la journée, dans la semaine, dans l’année et dans la vie.
(Nouveaux applaudissements sur les bancs des groupes FI et GDR.) Cette
aile de l’Assemblée s’honore d’avoir toujours entendu ce message et d’en avoir
souvent été l’avant-garde.
La journée de travail à 8 heures, c’est
nous ! La semaine à 40 puis à 35 heures, c’est nous ! Les cinq
semaines de congés payés, c’est nous ! La retraite à 60 ans, c’est
nous ! (Applaudissements sur les bancs du groupe FI.
– Exclamations sur les bancs des groupes LaREM, MODEM et
UDI-Agir.)
Mme
Anne-Christine Lang. Vous voulez dire : c’est moi !
M.
Erwan Balanant. La Révolution française, c’est Mélenchon !
L’histoire de France, c’est Mélenchon !
M.
Jean-Luc Mélenchon. Toutes ces conquêtes sociales sont défaites par
vous. (Exclamations sur les bancs des groupes LaREM, MODEM et UDI-Agir.)
Renoncez à l’inhumanité, c’est-à-dire à l’idée de forcer les gens à
travailler après l’âge. Essayez la souveraineté du peuple ! (Mêmes
mouvements.)
M.
le président. S!
Mes chers collègues, s’il vous plaît…
M.
Jean-Luc Mélenchon. Demandez-lui par voie référendaire d’avoir le
dernier mot et de trancher le désaccord complet qu’il y a entre nous. Quelle que
soit l’ampleur du feu de vos vociférations et de vos propagandes mensongères,
nous tiendrons la tranchée aussi longtemps qu’il le faudra, et jusqu’à la
victoire, parce que le peuple a toujours eu raison contre vos visées
réactionnaires ! (Applaudissements sur les bancs des groupes FI, SOC et
GDR. – Vives exclamations sur les bancs
des groupes LaREM, MODEM et UDI-Agir.)
M.
le président. Dois-je en déduire que votre groupe votera en faveur de
cette motion, monsieur le président ?
M.
Jean-Luc Mélenchon. En effet, monsieur le président, vous avez bien
compris…
M.
le président. Merci de l’avoir précisé : même si cela allait sans
dire, cela va mieux en le disant.
La parole est à M. Gabriel
Serville.
M.
Gabriel Serville. Le projet que le Gouvernement soumet à nos débats cet
après-midi est, à notre grand regret, confus et bâclé. Prétendument universel,
le système proposé revient en réalité sur des décennies de luttes sociales pour
accentuer encore les privilèges d’une infime partie de la population.
On
nous explique que la concertation a eu lieu, que les Français se sont exprimés
dans les urnes en 2017, que des ordonnances, voire le recours au 49-3, suffisent
désormais. Ce n’est pas cela, la démocratie. Ce n’est pas laisser une poignée de
hauts fonctionnaires, dont les privilèges sont garantis, décider seuls de
l’avenir du pays et de celui de millions de travailleurs.
Les Français et
leurs représentants, qui siègent sur ces bancs, doivent être écoutés. Ce n’est
manifestement pas le cas, ne serait-ce qu’au vu de la fin tragique qui a été
réservée à la commission spéciale. L’avenir de notre système de retraite est
l’affaire de tous ; cette réforme ne doit pas être confisquée par
quelques-uns.
Notre motion de rejet doit permettre de reprendre la
réforme par étapes, en respectant toutes les procédures propres à un État de
droit, à commencer par le rôle dévolu au Parlement dans l’élaboration du texte.
C’est la seule façon, avec l’adoption d’une motion référendaire, de changer de
paradigme et d’inscrire cette réforme dans une démarche de justice et d’équité
qui pourra garantir un taux de remplacement élevé et prévisible pour tous,
corriger les inégalités du monde du travail, créer des outils nouveaux en
matière de reconnaissance de la pénibilité, assurer un haut niveau de solidarité
en reconnaissant les périodes de chômage, de formation et d’implication
familiale et, surtout, garantir des ressources suffisantes au profit du système
en réaffirmant la place essentielle de la cotisation sociale.
Il faut
nous laisser le temps de coconstruire une vraie réforme ambitieuse, juste et de
progrès social, c’est-à-dire celle que les Français attendent. Alors oui, nous
voterons pour cette motion et nous invitons tous les collègues, y compris ceux
de la majorité, à faire de même. Nous vous en remercions. (Applaudissements
sur les bancs des groupes GDR et FI, ainsi que sur quelques bancs du groupe
SOC.)
M.
le président. La parole est à M. Stanislas Guerini.
M.
Stanislas Guerini. Pour notre part, nous voterons contre cette motion
de rejet (Applaudissements sur les bancs du groupe LaREM.
– Exclamations sur plusieurs bancs des groupes GDR et
FI), et ce pour une raison simple : nous voulons un débat utile, à la
hauteur des enjeux et démocratique. Nous ne laisserons personne voler ce débat
que le pays mérite. (Nouveaux applaudissements sur les bancs du groupe
LaREM.)
M.
Jean-Paul Lecoq. C’est déjà fait !
M.
Stanislas Guerini. Ce débat, en effet, sera un rendez-vous de
l’histoire sociale de notre pays. Je le dis avec un peu de tristesse aux
communistes : vous n’êtes pas à la hauteur de l’histoire sociale de notre
pays (Applaudissements sur quelques bancs du groupe
LaREM. – Vives exclamations sur les bancs
des groupes GDR et FI), vous n’êtes pas à la hauteur de votre histoire,
celle d’Ambroise Croizat, que vous avez cité, celle de Maurice Thorez, du
Conseil national de la Résistance. (Mêmes mouvements.)
M.
Jean-Paul Dufrègne. Vous êtes si petit !
M.
Sébastien Jumel. Playmobil !
M.
Stanislas Guerini. Vous n’êtes pas d’accord avec tout ? C’est
normal. (Exclamations continues sur les bancs des groupes GDR et FI.) Si
vous étiez d’accord sur tout, nous siégerions sur les mêmes bancs. Mais que vous
ne soyez d’accord sur rien, je ne peux pas le croire. Je ne peux pas croire que
vous soyez pour une retraite minimale, contre un système qui va diminuer l’écart
entre les retraites des plus pauvres et celles des plus riches, contre un
système qui va donner plus de droits aux femmes dès le premier enfant.
(Applaudissements sur de nombreux bancs des groupes LaREM, MODEM et
UDFI-Agir.)
Quant à nous, nous serons au rendez-vous de ces grandes
conquêtes sociales. (Nouvelles exclamations sur les bancs des groupes GDR et
FI.)
Mme
Danièle Obono. Vous avez surtout rendez-vous avec la finance !
M.
Stanislas Guerini. Si j’osais, je citerai Maurice Thorez, qui
disait : « Il vaut mieux s’unir pour obtenir le bonheur sur la terre
que de se disputer sur l’existence d’un paradis dans le ciel. » (Mêmes
mouvements.)
Je vais vous dire comment je comprends cette citation.
Pour moi, la gauche qui ne fait rien, elle ne sert à rien. (Les députés du
groupe FI protestent et brandissent le livret
« Retraites : contre-projet de La France
insoumise pour des jours heureux. ») La gauche qui
s’oppose à tout, elle ne sert à rien du tout ! (Applaudissements sur les
bancs des groupes LaREM, MODEM et
UDI-Agir. – Vives exclamations sur les
bancs des groupes SOC, GDR et FI.)
Alors, finissons-en avec les
manœuvres, avec l’obstruction. Vous avez emboîté le pas de nos camarades
communistes. Débattons, échangeons, travaillons : c’est cela, être au
rendez-vous de l’histoire !(Mmes et MM. les
députés des groupes LaREM, MODEM et UDI-Agir se lèvent et
applaudissent. – Nouvelles exclamations
sur les bancs des groupes SOC, GDR et FI.)
M.
le président. La parole est à M. Damien Abad.
M.
Damien Abad. Le groupe Les Républicains ne prendra pas part au vote sur
cette motion : nous ne voulons pas de confusion politique entre des
oppositions qui ne proposent pas les mêmes solutions.
Votre réforme est
mauvaise et, n’en déplaise au Président de la République, c’est votre
amateurisme qui va coûter cher aux Français. (Exclamations sur quelques bancs
du groupe LaREM.) C’est votre amateurisme qui conduira, nous le savons, au
49-3 et au déni de démocratie,…
M.
Jean-Paul Lecoq. Votez pour la motion de rejet, alors !
M.
Damien Abad. …et ce sera votre Waterloo politique.
M.
Fabien Roussel. Bravo !
M.
Damien Abad. C’est en raison de votre amateurisme que les études
d’impact et les études préalables ne sont que des projections financières
lacunaires, comme le dit le Conseil d’État. C’est votre amateurisme qui,
malheureusement, a entraîné un recours massif aux ordonnances alors que vous
aviez la possibilité de présenter un projet de loi digne de ce nom.
M.
Jean-Paul Lecoq. Raisons de plus pour le rejeter !
M.
Damien Abad. C’est en raison de votre amateurisme que votre mauvaise
réforme a mis tout le monde dans la rue ; surtout, elle est injuste,
coûteuse et trop complexe.
M.
Jean-Paul Lecoq. Votez pour la motion de rejet !
M.
Damien Abad. Nous, Les Républicains, nous avons fait un contre-projet
parce que nous sommes dans une opposition responsable et constructive. Nous
voulions supprimer les régimes spéciaux dans un délai raisonnable mais maintenir
les régimes complémentaires et autonomes, alors que votre texte s’en prend aux
avocats, aux professions libérales et aux indépendants, à celles et ceux qui ne
coûtent pas un euro d’argent public aux Français et que vous
stigmatisez.
Alors oui, monsieur le ministre, nous voulons débattre. Et
nous aurions pu le faire dans des bonnes conditions si le Gouvernement avait eu
recours au temps législatif programmé, s’il avait respecté les six semaines de
délai et s’il n’avait pas reculé par impréparation et par
amateurisme.
Vous êtes coresponsable de cette obstruction parlementaire
parce que vous n’avez pas agi suffisamment tôt et parce que vous n’avez pas
assumé cette réforme des retraites.
M.
Ugo Bernalicis. Mais enfin, votez pour la motion !
M.
Adrien Quatennens. Soyez cohérents !
M.
Damien Abad. Chez Les Républicains, nous voulons un vrai débat apaisé,
responsable et déterminé sur un contre-projet et des propositions soumises aux
Français. (Applaudissements sur les bancs du groupe LR.)
M.
le président. La parole est à M. Jean-Paul Mattei.
M.
Jean-Paul Mattei. Monsieur le ministre, vous proposez de débattre. Au
groupe MODEM, nous voulons débattre, mais les travaux de la commission spéciale,
qui ont duré soixante-quinze heures, nous ont laissé un petit goût
d’amertume.
M.
Adrien Quatennens. À nous aussi !
M.
David Habib. Ce n’est pas ce que vous aviez dit, monsieur
Mattei !
M.
Jean-Paul Mattei. Quelque 20 000 amendements avaient été
déposés, dont certains visaient à la suppression d’un chapitre, d’une section ou
d’un paragraphe. (Exclamations sur plusieurs bancs du groupe FI.)
M.
Christian Hutin. Et alors ?
M.
Éric Coquerel. Eh oui, nous sommes contre le projet de loi !
M.
Jean-Paul Mattei. Franchement, nous pourrions avoir des amendements qui
nous permettent de débattre sur le fond.
M.
Christian Hutin. C’est le fond !
M.
Jean-Paul Mattei. On ne peut pas à la fois déplorer que le système soit
engorgé et déposer tous ces amendements qui ne régulent pas les flux.
M.
Ugo Bernalicis. Si, bien sûr que nous le pouvons ! Nous l’avons
fait, d’ailleurs.
M.
Jean-Paul Mattei. Bien évidemment, le groupe MODEM ne votera pas pour
cette motion de rejet. Nous pensons vraiment que…
M.
Christian Hutin. Si les députés du MODEM pensaient, ça se
saurait !
M.
Jean-Paul Mattei. …même s’il reste à parfaire, ce texte est juste et
équilibré, comme nous avons pu nous en rendre compte lors des débats en
commission spéciale.
M.
David Habib. Ce n’est pas vrai et vous le savez !
M.
Jean-Paul Mattei. Pour le peuple français, nous devons avoir un débat
apaisé et serein sur ce texte qui, effectivement, va engager les générations
futures. (Applaudissements sur quelques bancs du groupe LaREM.) Il est
essentiel que l’on se pose et que l’on réfléchisse. Nous souhaitons vraiment
pouvoir débattre sur le fond du texte, pour le bien de tous les Français, afin
de préparer un régime plus juste et plus lisible pour les générations futures.
(Applaudissements sur les bancs du groupe MODEM et sur de nombreux bancs du
groupe LaREM.)
M.
le président. Je mets aux voix la motion de rejet préalable
(Il est procédé au scrutin.)
M.
le président. Voici le résultat du
scrutin :
Nombre de
votants 215
Nombre
de suffrages
exprimés 213
Majorité
absolue 107
Pour
l’adoption 68
Contre 145
(La motion de rejet préalable n’est pas adoptée.)
Suspension et reprise de la séance
M.
le président. La séance est suspendue.
(La séance, suspendue à dix-sept heures cinquante-cinq, est reprise à
dix-huit heures.)
M.
le président. La séance est reprise.
Motion de rejet préalable (projet de loi organique)
M.
le président. J’ai reçu de M. Damien Abad et des membres du groupe
Les Républicains une motion de rejet préalable déposée en application de
l’article 91, alinéa 5, du règlement, sur le projet de loi organique
relatif au système universel de retraite.
M.
Christian Hutin. M. Chassaigne demande la parole !
M.
le président. Sur la motion de rejet préalable, je suis saisi par les
groupes Les Républicains et Socialistes et apparentés d’une demande de scrutin
public.
Le scrutin est annoncé dans l’enceinte de l’Assemblée
nationale.
La parole est à M. Stéphane Viry. (Exclamations sur
les bancs du groupe GDR.)
M.
André Chassaigne. Et la motion référendaire ?
M.
Sébastien Jumel. Suspension de séance !
M.
le président. Allez-y, monsieur Viry, vous avez la parole. (Vives
exclamations sur les bancs du groupe GDR.)
M.
Sébastien Jumel. Monsieur le président !
M.
Christian Hutin. Si cela ne va pas, nous quittons
l’hémicycle !
M.
le président. Vous demanderez une suspension de séance ensuite si vous
le souhaitez mais, pour le moment, la parole est à M. Viry et à lui
seul.
M.
Stéphane Viry. Je souhaiterais bien volontiers me tenir devant cet
hémicycle fort de la certitude que nous nous accordons tous pour reconnaître
l’importance fondamentale de la sauvegarde de notre système social, que nous
avons hérité du Conseil national de la Résistance à la fin de la Seconde Guerre
mondiale. Ce système, fondé sur la répartition et les cotisations des
travailleurs, qui repose sur la solidarité entre les générations, est notre
fierté et notre bien commun. Il est une force.
Il est de ces moments dans
la vie d’un parlementaire, au cours d’une législature, où le débat oblige et
astreint à la plus humble des prudences, au plus grand des sérieux, à la plus
haute des importances. Ne nous y trompons pas, mes chers collègues : si le
texte qui nous occupe aujourd’hui concerne les retraites, nous devons, avec
conscience, responsabilité et gravité nous rendre à cette évidence alarmante
qu’il y va, en réalité, de notre rapport à la République et à ses institutions.
Je tiens à traiter le sujet en ne négligeant absolument aucune de ses
composantes.
Le sens des responsabilités impose, comme qualité première,
d’assumer ses choix voire, ce qui est plus difficile, je le reconnais, d’en
assumer les conséquences. Or, que constatons-nous ? Pas moins de
22 000 amendements ont été déposés en commission spéciale qui n’a eu
que dix jours pour les examiner. Le temps de parole a été divisé par deux, le
travail n’a pas été achevé et le texte reste non amendé.
Le droit
d’amendement doit être respecté de même que les droits de l’opposition. À défaut
d’avoir pu examiner l’ensemble des amendements en commission, c’est le texte du
Gouvernement qui sera débattu en séance. Les députés n’auront disposé ni du
temps nécessaire à l’examen d’un tel texte ni des données nécessaires pour en
évaluer correctement les effets.
M.
Marc Le Fur. Tout à fait.
M.
Stéphane Viry. Enfin, c’est en vain que les députés auront travaillé en
commission.
Je pourrais m’arrêter là car tout est dit dans ce déplorable
constat. La pratique parlementaire de la majorité est devenue absurde et, en
manquant de respect aux institutions, elle s’éloigne dangereusement de la
démocratie. La verticalité du pouvoir atomise le débat et, inéluctablement, la
société et l’État. Une telle situation est inédite sous la
Ve République. En effet, la commission spéciale chargée
d’examiner le projet de loi relatif à la bioéthique a disposé de plusieurs
semaines pour travailler. Il en fut de même pour celle qui était chargée du
projet de loi relatif à la croissance et à la transformation des
entreprises.
M.
Vincent Descoeur. Très juste !
M.
Stéphane Viry. Concernant le projet de loi relatif au système universel
de retraite, seule l’impréparation totale du calendrier parlementaire est égale
à l’inédit des faits.
M.
Marc Le Fur. Écoutez, monsieur le ministre !
M.
Stéphane Viry. Je vous ferai grâce d’une diatribe à propos des
mouvements sociaux qui foisonnent depuis plusieurs mois. Mais j’ai le devoir de
vous avertir : vous, collègues de la majorité, qui vous prétendiez les
hérauts d’un nouveau monde dont nous attendons encore de connaître l’esquisse,
vous fûtes en réalité, de par l’impréparation de ce texte, les artisans de
l’indécision et de la précipitation, les ouvriers d’un monde en marche sans
destination, allant à tâtons au gré de l’actualité, des échéances électorales ou
d’autres considérations indépendantes de l’intérêt général. Chaque jour, depuis
des mois, concernant le dossier des retraites, nous croulons sous le flot des
déclarations, des annonces, des allégations, toutes démenties par d’autres
affirmations émanant d’un membre du Gouvernement.
Prenons garde :
notre système républicain n’est pas inébranlable. Nous devons le protéger et le
respecter si nous ne voulons pas que se répète ce tintamarre dénué de sens et
d’objectif distinct. Les débats en commission spéciale, dépourvus d’efficience
législative, en témoignent. Sans jamais nous prêter la moindre attention, vous
n’avez cessé de rester sourds à toutes nos propositions, sans la moindre
exception.
M.
Jean-Pierre Door. Hélas !
M.
Stéphane Viry. Les députés ont offert aux Français un spectacle bien
désolant qui pourrait, je le crains, les éloigner encore davantage de la
représentation politique.
Pourtant, loin d’être inertes et de jouer
l’immobilisme, les députés Les Républicains ont présenté un projet de réforme
solide.
Nos propositions sont justes, équilibrées, financées, soutenables
d’un point de vue budgétaire, pérennes et équitables. Nous voulons repousser
l’âge légal de départ à la retraite à 65 ans afin d’assurer la pérennité du
système. Cette mesure compliquée pourrait cependant générer environ
1,4 point de PIB d’économies, soit 30 milliards d’euros par
an.
Nous voulons maintenir l’indexation des pensions au niveau de
l’inflation ou revaloriser les petites retraites en les indexant sur les
salaires, sanctuariser les droits familiaux en maintenant le double dispositif
de majoration de trimestres et de majoration de la pension. Les salariés du
public bénéficieraient ainsi de huit trimestres par enfant, comme dans le régime
du privé, alors qu’ils n’en ont que quatre aujourd’hui.
Nous souhaitons
préserver les pensions de réversion alors que vous prévoyez d’aligner les
pensions de réversion du public sur celles du privé : 54 % de la
retraite de base du conjoint défunt à partir de 55 ans.
Nous
souhaitons également créer un régime universel de pénibilité qui permettrait à
plus d’un million de Français, soit un salarié sur vingt, de partir avant l’âge
légal.
Toutes ces mesures, nous les avons annoncées et elles se sont
traduites par des amendements déposés en commission. Hélas, de tergiversations
en mutisme, d’hésitations en dilettantisme, d’obstination en aphasie, vous
n’avez écouté que vous-mêmes et, « en même temps », vous-mêmes. Or,
permettez-moi de vous le dire, la représentation nationale n’est pas un entre
soi qui débattrait avec son écho.
Comment pourrions-nous envisager de
débattre d’un projet de réforme des retraites qui prévoirait d’établir des
dépenses à plus de 30 % de la dépense publique, soit 300 milliards,
sans une ligne concernant son financement ? C’est quelque peu circonspect
et bien confondu que j’en appelle le Gouvernement et de sa majorité à la raison.
Toutes ces arguties n’ont qu’un seul dessein : vider de sa substance une
réforme qui s’apparente à une tromperie.
Balayer d’un revers de la main
la question essentielle, primordiale, du financement est d’une imprudence
dangereuse et d’une inconscience déraisonnable. Certains collègues de la
majorité l’ont bien compris, à l’image d’Émilie Cariou et de Laurent
Saint-Martin qui s’inquiètent, à juste titre, du financement de cette
réforme.
En discourant, en remettant à plus tard, sans fixer de
calendrier, le problème du financement, vous prenez le risque de faire reposer
sur les générations futures une lourde dette qu’ils ne pourront pas assumer. Le
monde est en marche vers un avenir que vous allez contraindre.
Plus
inquiétant encore, nous avons débattu en commission spéciale de mesures qui ne
sont même pas chiffrées. Nous ignorons tout du coût total de votre réforme. Nous
examinons un texte auquel il manque l’essentiel. Les questions liées au
financement ont été légion mais aucun des membres du Gouvernement présent n’a su
y répondre.
Pourtant, un haut-commissaire avait été nommé, il y a deux
ans, pour établir un rapport. À quoi cela a-t-il servi ? Nous travaillons
dans un flou législatif et financier des plus consternants. « Ce que l’on
conçoit bien s’énonce clairement et les mots pour le dire arrivent
aisément » écrivait Nicolas Boileau. Or rien n’est clair, tout est à
revoir. Ce n’est pas seulement un député de l’opposition qui vous l’affirme, ce
constat est corroboré par bien d’autres.
Fait inédit, le Conseil d’État
lui-même, dans son avis, fait état d’un projet de loi lacunaire qu’il incombe au
Gouvernement d’améliorer. Il ajoute que, du fait de la procédure d’examen en
urgence et de la brièveté des délais qui en découlent, l’examen du texte ne peut
aboutir dans les délais impartis, dans des conditions normales du moins. Plus
percutant encore, le Conseil d’État a souligné qu’en raison de la date et des
conditions de sa saisine, il ne pouvait exercer sa mission avec sérénité ni
garantir avec sérieux la sécurité juridique d’un tel texte.
Cette
situation est d’autant plus fulminante que ces projets de loi procèdent à une
réforme du système de retraite inédite depuis 1945. Elle transformera pour les
décennies futures un système social qui est l’une des composantes majeures du
pacte social auquel nous sommes tous viscéralement attachés. Rien n’a été assuré
pour garantir la qualité de notre travail parlementaire dans l’élaboration des
textes législatifs.
Le Gouvernement a prévu vingt-neuf ordonnances,
situation sans précédent dans notre histoire. Cela concerne un tiers des
mesures. Le recours aux ordonnances permettra au Gouvernement de définir des
éléments structurants du nouveau système de retraites mais fera perdre la vision
d’ensemble, primordiale pour apprécier les conséquences de la réforme et,
surtout, sa constitutionnalité.
J’en viens au fond. L’universalité était
la matrice du projet de réforme. Il n’aura cependant d’universel que le
nom.
Le système universel par points, applicable à l’ensemble des
salariés du secteur public comme privé, se substituera au régime de base et aux
complémentaires.
Toutefois, le régime universel ne créera pas un ensemble
unique pour l’intégralité de la population. En réalité, ce sera un système par
points applicable à l’ensemble des salariés qui comportera des régimes
dérogatoires. Nous sommes loin d’un système égal pour tous.
M.
Vincent Descoeur. Eh oui !
M.
Stéphane Viry. On pourrait croire qu’il s’agit d’une politique pensée
et légitime – j’aimerais le croire –, mais il n’en est rien.
En
effet, les caisses autonomes disparaîtront avec la nouvelle réforme.
M.
Ugo Bernalicis. Notamment celle des avocats ! Il vous en cuira,
chers collègues de la majorité !
M.
Stéphane Viry. Aux incompréhensions suscitées par les dérogations à
l’universalité s’ajoutent celles de nombreux salariés qui cotisent dans des
caisses autonomes. Celles-ci sont autogérées, financées, solidaires de la caisse
générale et ne requièrent aucune aide du contribuable.
Pis, la
suppression des caisses autonomes entraînera un doublement des cotisations des
travailleurs, ce qui aura pour conséquence, dans de très nombreux cas, une
cessation d’activité. Ces mesures arbitraires, injustes et incohérentes risquent
de pénaliser nombre de nos concitoyens, qui, je le rappelle, n’ont demandé
aucune réforme du système de retraite.
M.
Jean-Pierre Door. Eh oui !
M.
Stéphane Viry. La réforme suscite une même incompréhension chez
d’autres travailleurs.
Je pense tout d’abord aux enseignants, qui
craignent légitimement une baisse de leur pension.
M.
Vincent Descoeur. Ce sont les grands perdants ! Pour eux, la
réforme est implacable !
M.
Stéphane Viry. Actuellement, leur retraite est calculée sur les six
derniers mois de leur carrière. Dans un système à points, tel que vous nous le
proposez, toute la carrière serait prise en compte. La conséquence en serait un
abaissement de leur pension, y compris dans l’hypothèse où les primes seraient
incluses dans le nouveau système.
Pour tenter d’endiguer le courroux des
enseignants et d’apaiser les colères, le Gouvernement a annoncé une
revalorisation des salaires. Je constate, sans aucun esprit manichéen, que ce ne
sont encore que des annonces.
M.
Vincent Descoeur. Oui, des promesses !
M.
Stéphane Viry. D’autres professionnels, notamment ceux de la santé,
sont également inquiets et s’interrogent : ils craignent une augmentation
de leur cotisation.
Quant aux retraités agricoles, ils bénéficieront
certes d’un minimum de pension, mais cela concernera uniquement les nouveaux
retraités qui auront des carrières complètes.
M.
Vincent Descoeur. Oui, seulement en cas de carrière complète !
M.
Stéphane Viry. Où sont la justice et l’équité quand on connaît les
conditions de travail et le niveau de vie de la majorité des salariés
agricole ? (M. Xavier Breton applaudit.)
Aujourd’hui, les retraites agricoles s’établissent en moyenne à
780 euros pour un homme et à 580 euros pour une femme, alors que le
seuil de pauvreté est d’environ 1 041 euros par mois. Cette situation
est insupportable !
M.
Vincent Descoeur. Exact !
M.
Stéphane Viry. Or vous n’y répondez pas, malgré l’urgence.
En
2040, un tiers de la population aura plus de 60 ans. Or 2040, mes chers
collègues, c’est demain. La question du vieillissement de la population ne peut
être contournée. Il nous faut l’assumer dès maintenant ; il faut garantir
le financement des retraites.
Le Gouvernement use de péripéties verbales,
de métaphores et autres litotes pour ne pas nommer sa volonté. Établir un âge
d’équilibre revient en réalité à décaler l’âge de départ à la retraite ;
nous le savons tous ici sur ces bancs. Un taux de décote ou de surcote est prévu
pour ceux qui partiront avant ou après l’âge d’équilibre. Celui-ci – nul
doute – augmentera de façon automatique en fonction de l’allongement de
l’espérance de vie.
Le texte prévoit le retour à l’équilibre des comptes
en 2025. Je crains que n’intervienne, d’ici là, une baisse des pensions pour que
l’on atteigne cet objectif. Le projet de loi organique suscite à cet égard bien
des interrogations. Il appelle notre attention et notre vigilance, car nous ne
connaissons pas toutes les conséquences de votre réforme ; nous les
découvrons au fil des discussions.
J’en termine, mes chers collègues. Un
tiers de mesures faisant l’objet d’ordonnances, aucun vote en commission,
peut-être aucun vote en séance compte tenu du calendrier et de l’impréparation,
cette façon de faire est contraire à l’esprit démocratique et ne respecte pas le
Parlement. La brièveté des délais accordés aux députés et la restriction de leur
vote justifient un rejet préalable de ces textes.
De surcroît, l’étude
d’impact ne respecte pas les obligations fixées par la loi organique
no 2009-403 relative à l’application des articles 34-1, 39
et 44 de la Constitution. Incomplète et insincère, elle viole ladite loi
organique. Bien entendu, le groupe Les Républicains saisira le Conseil
Constitutionnel en se fondant sur ce motif, qui justifie, à lui seul, un rejet
de ces textes.
Face à cette situation, que l’on ne peut que déplorer, je
vous invite, mes chers collègues, à voter la motion de rejet que nous avons
déposée.
M.
Jean-Paul Lecoq. Nous, nous le ferons !
M.
Stéphane Viry. Monsieur le ministre, monsieur le secrétaire d’État, je
ne peux qu’appeler votre attention : votre réforme suscite des inquiétudes
légitimes ; entendez les oppositions ; entendez cette France qui
gronde et ne veut pas de cette réforme ; reportez l’examen de ces textes
pour nous permettre d’aboutir à une réforme construite et financée.
(Applaudissements sur les bancs du groupe LR et sur quelques bancs du groupe
FI.)
M.
le président. La parole est à M. le secrétaire d’État.
M.
Ugo Bernalicis. Après la droite, la maladroite !
M.
Laurent Pietraszewski, secrétaire d’État. J’ai écouté votre
intervention avec intérêt, monsieur Viry. Votre motion de rejet préalable porte
sur le projet de loi organique, lequel comporte principalement une définition de
l’équilibre et des dispositions de nature à rassurer les Français – telle
est notre volonté –…
M.
Marc Le Fur. Ce n’est guère réussi !
M.
Laurent Pietraszewski, secrétaire d’État. …quant à la valeur du
point. Ces éléments, qui ont d’ailleurs fait l’objet d’un débat en commission
spéciale, puisque celle-ci a pu examiner entièrement le texte mercredi dernier,
répondent à une partie des interrogations que vous avez évoquées – même si
je vois sur votre visage que vous ne partagez pas ma lecture.
Pour être
très clair, la révision de la loi organique est indispensable pour mener à bien
la réforme. C’est pourquoi le projet de loi ordinaire est accompagné du présent
projet de loi organique. Elle est également indispensable pour donner au
Parlement une vision complète du système – je crois que vous appelez une
telle vision de vos vœux –, en intégrant au champ des lois de financement
de la sécurité sociale les aspects relatifs aux régimes complémentaires de
retraite.
Ce sera, en soi, un progrès. Nous répondons ainsi à une demande
réitérée lors de l’examen de plusieurs PLFSS – il me semble d’ailleurs que
nous avons discuté de ce point avec vous, monsieur Viry. Nous avions auparavant
une vision incomplète, portant uniquement sur les régimes de base, ce qui
suscitait parfois des débats sur la réalité des équilibres du système de
retraite.
Une deuxième raison devrait, selon moi, inciter à voter contre
votre motion de rejet : nous souhaitons ici traduire la responsabilité que
j’ai évoquée tout à l’heure, qui est de construire un système de retraite solide
et durable – je crois que vous appelez vous aussi un tel système de vos
vœux. Nous voulons tous ouvrir de nouveaux droits à nos concitoyens, mais il
faut pour cela que le système soit durablement à l’équilibre. Il n’y aura pas de
nouveaux droits si ceux-ci ne sont pas financés.
Telles sont les raisons
pour lesquelles j’appelle à voter contre votre motion rejet, monsieur
Viry.
M.
le président. Nous en venons aux explications de vote.
La parole
est à M. Régis Juanico.
M.
Régis Juanico. Dans son propos introductif, le ministre des solidarités
et de la santé a cité Michel Rocard, qui écrivait en 1991 dans sa préface au
Livre blanc sur les retraites : « je ne vois décidément pas de
tâche plus fondamentale […] que celle qui consiste à traiter de manière
exemplaire la question des retraites ». (M. Dominique
Potier applaudit.)
M. Véran a oublié de le préciser, mais Michel
Rocard disait aussi que sans consensus nécessaire, sans temps de réflexion
suffisant, il y avait de quoi, avec les retraites, faire tomber sept ou huit
gouvernements. (Applaudissements sur quelques bancs du groupe SOC.)
M.
Christian Hutin. Faire tomber celui-là suffirait !
M.
Régis Juanico. Votre contre-réforme des retraites, conduite dans une
impréparation totale, caractérisée par son amateurisme, est tout sauf
exemplaire, alors qu’elle touchera la vie quotidienne de tous les Français et
bouleversera en profondeur le système solidaire par répartition instauré en
1945.
Votre réforme, c’est celle des Pieds nickelés, des Briconautes.
M.
Sébastien Jumel. Des Tontons flingueurs ! (Sourires.)
M.
Régis Juanico. C’est le mépris de la mobilisation sociale, alors que le
mouvement entamé le 5 décembre dernier est sans précédent. C’est le mépris
du Parlement, puisque vous avez fait le choix d’une procédure accélérée et d’un
débat expéditif, sur un texte à trous, prévoyant pas moins de vingt-neuf
ordonnances. Vous dessaisissez les parlementaires, à qui vous demandez de signer
un chèque en blanc, en particulier sur les éléments financiers, traités par une
conférence qui se tient hors de ces murs.
C’est un texte bâclé, ni fait
ni à faire, dont l’étude d’impact est indigente et tronquée, ce qui a conduit le
Conseil d’État à émettre l’un des avis les plus sévères qu’il ait jamais eu à
écrire. C’est un texte à multiples inconnues, en particulier concernant
l’évolution de la valeur du point, qui sera fondée sur un indicateur, le revenu
moyen d’activité, improvisé de toutes pièces en commission spéciale. Votre
réforme est faite au doigt mouillé.
Les Français tentent de comprendre,
tout comme nous, dans quelles conditions ils pourront partir à la retraite et
quel sera le montant de leur pension. Nous avons posé des questions précises et
concrètes en commission spéciale. Vous avez été incapables de les rassurer. Au
contraire, votre usine à gaz anxiogène et vos approximations les ont plongés
dans un brouillard épais.
Avec l’âge d’équilibre et le malus, qui
constituent une injustice majeure, vous allez infliger une double peine à tous
les futurs retraités. Nous voterons la motion de rejet préalable déposée par nos
collègues du groupe Les Républicains. (Applaudissements sur les bancs des
groupes SOC et GDR ainsi que sur quelques bancs du groupe FI.)
M.
le président. La parole est à M. Thierry Benoit.
M.
Thierry Benoit. J’annonce d’emblée que les membres du groupe UDI, Agir
et indépendants voteront contre la motion de rejet préalable.
(Applaudissements sur les bancs du groupe UDI-Agir et sur plusieurs bancs du
groupe LaREM.)
Je répète ce que j’ai dit en commission. Quels que
soient les bancs sur lesquels ils siègent, les centristes de bonne foi…
M.
David Habib. Ça n’existe pas !
M.
Thierry Benoit. …doivent pouvoir dire qu’ils soutiennent, depuis trois
législatures au moins, l’instauration d’un régime universel de retraite par
points, pour deux raisons essentielles.
Tout d’abord, il s’agit d’une
demande des Français. (Murmures sur les bancs du groupe
LR.)
Ensuite, souvenons-nous-en, la retraite à 60 ans instituée
en 1981 a tenu un mandat. Dès avril 1991, Michel Rocard annonçait lui-même, dans
sa préface au Livre blanc sur les retraites – l’orateur précédent y
a fait référence – qu’il était nécessaire de prendre des mesures pour
préserver notre système de retraite par répartition. (Murmures sur les bancs
du groupe FI.)
Le projet de réforme qui nous est présenté prévoit
deux mesures selon moi indispensables : la mise en extinction des régimes
spéciaux et la convergence public-privé. S’il est un sujet sur lequel les
Français attendent depuis longtemps, c’est bien celui des retraites.
Mme
Danièle Obono. Ce n’est pas vrai !
M.
Thierry Benoit. La commission spéciale a consacré soixante-quinze
heures au projet de loi ordinaire et plus de six heures au projet de loi
organique. Je souhaite que nous puissions entrer, dès aujourd’hui, dans le cœur
du débat. Je ferai des propositions relatives à la pénibilité, aux carrières
longues, aux petites retraites, notamment celles des agriculteurs, des
indépendants, des commerçants et des artisans, et aux nouveaux droits ouverts
aux futurs retraités en matière de cumul emploi-retraite.
Nous voterons
contre la motion de rejet préalable. (Applaudissements sur les bancs des
groupes UDI-Agir, LaREM et MODEM.)
M.
le président. La parole est à M. Philippe Vigier.
M.
Philippe Vigier. Une immense majorité du groupe Libertés et territoires
votera la motion de rejet préalable, pour deux raisons
majeures.
Premièrement, les centristes – j’ai écouté mon ami Thierry
Benoit et je partage de nombreuses valeurs centristes avec lui – sont
ceux-là mêmes qui ont, avec Charles de Courson et d’autres,…
Un député non
inscrit. Des girouettes !
M.
Philippe Vigier. …défendu l’idée d’une règle d’or et le principe selon
lequel tout mécanisme financier doit être sécurisé. Malheureusement, les
amendements déposés en commission spéciale par Jeanine Dubié et les membres de
notre groupe ont tous été déclarés irrecevables. Comment parler d’un équilibre
financier dont on n’est pas absolument certain ?
Deuxièmement, pour
ce qui est de la valeur du point – je ne fais que rappeler ce que vous
savez tous, mes chers collègues –, on demande à l’INSEE de fabriquer un
nouvel indice, ce qui n’est pas une bonne manière de procéder.
J’ai
toujours été favorable à l’instauration d’un système de retraite par points et à
l’extinction des régimes spéciaux…
M.
Jean-René Cazeneuve. Justement !
M.
Philippe Vigier. Mon cher collègue, le rôle d’un parlementaire est
aussi de demander à disposer de tous les moyens d’appréciation
nécessaires.
Je ne fais que porter la voix majoritaire de mes collègues,
qui voteront la motion de rejet préalable. (Applaudissements sur les bancs
des groupes LT et SOC ainsi que sur quelques bancs du groupe FI.)
M.
le président. La parole est à M. Éric Coquerel.
M.
Éric Coquerel. Nous voterons cette motion de rejet.
Votre projet
de loi est illégitime (M. Ugo Bernalicis applaudit),
car il ne repose sur aucun mandat électoral.
(« Si ! » et autres
exclamations sur les bancs des groupes LaREM et MODEM.) Le président Macron
avait dit qu’il ne toucherait ni à l’âge de départ à la retraite ni aux
pensions ; or vous touchez aux deux. (Applaudissements sur les bancs du
groupe FI.)
Il est illégitime, car vous avez la majorité des
syndicats contre vous. (Applaudissements sur les bancs du groupe FI. –
« C’est faux ! » sur
les bancs du groupe LaREM.)
Il est illégitime, car la quasi-totalité
de ceux qui produisent des richesses dans notre pays, autrement dit la grande
majorité du peuple, s’y oppose. (Applaudissements sur les bancs du groupe
FI.)
Il est illégitime, et vous êtes dès lors obligés d’utiliser des
méthodes non démocratiques (Exclamations prolongées sur les bancs des groupes
LaREM et MODEM) :…
M.
Bruno Millienne. C’est l’hôpital qui se fout de la charité !
M.
Éric Coquerel. …passage en force, ordonnances, étude d’impact truquée,
et cela va jusqu’à la répression et l’intimidation permanente du mouvement
social.
Votre projet de loi est antidémocratique et même contraire à
l’esprit de la Constitution, à la constitution inspirée par le Conseil national
de la Résistance – que vous avez citée avec cynisme, monsieur
Guerini : « La Nation garantit […] aux vieux travailleurs la
protection de la santé, la sécurité matérielle, le repos et les
loisirs. »
M.
Erwan Balanant. C’est exactement ce que nous faisons !
M.
Éric Coquerel. Votre réforme, véritable recul civilisationnel, fait
l’inverse, au point que l’un des rapporteurs, M. Turquois, explique qu’elle
a pour but de permettre de « bien vieillir au travail ». Eh bien, nous
ne voulons pas bien vieillir au travail ! (Applaudissements sur les
bancs du groupe FI – M. Sébastien Jumel
applaudit également.)
En reportant sans cesse l’âge de départ à la
retraite, vous proposez aux gens d’être soit des travailleurs pauvres, soit des
retraités pauvres. Quant à ceux qui ont les moyens, vous les incitez à recourir
à la retraite par capitalisation, ce qui est le véritable objectif de votre
réforme. (Applaudissements sur les bancs des groupes FI et
GDR.)
Votre réforme est productiviste : il faut que chacun
produise toujours plus pour s’en sortir. Vous n’imaginez pas d’autre solution à
un moment où il faudrait, au contraire, réfléchir à nos modes de
production.
Votre réforme est illégitime, elle est antidémocratique, elle
est contraire à la Constitution, elle signifie un recul civilisationnel, elle
est productiviste : nous voterons sans hésiter – contrairement, et je
le regrette, aux membres du groupe Les Républicains tout à
l’heure – ;…
M.
Bruno Millienne. Le vote est libre, monsieur Coquerel !
M.
Éric Coquerel. …nous voterons de manière cohérente la motion de rejet
déposée par le groupe Les Républicains, et si elle n’est pas adoptée, comptez
sur nous pour vous mener une vie d’enfer jusqu’au retrait !
(Applaudissements sur les bancs des groupes FI et GDR.)
M.
le président. La parole est à M. Hubert Wulfranc.
M.
Hubert Wulfranc. Le groupe la Gauche démocrate et républicaine votera
la motion déposée par le groupe Les Républicains (Applaudissements sur les
bancs du groupe FI) en raison de l’incurie de la majorité pour un débat
sérieux et véritablement démocratique sur ce projet de loi majeur ; de
l’incurie pour les Français, pour les organisations syndicales, pour les élus et
les parlementaires – incurie qui justifie chaque jour davantage
l’inquiétude des Français autant qu’elle les éclaire cruellement sur les risques
qui compromettent la sécurité du dernier âge de la vie.
Votre réforme
constitue une taxe sur la vie d’après, qui épuisera les corps et les
porte-monnaie des salariés ; elle est directement issue de la droite
antisociale à laquelle vous appartenez,…
M.
Erwan Balanant. C’est pour ça que vous votez avec la droite !
M.
Hubert Wulfranc. …très éloignée de la tradition communiste et gaulliste
issue du CNR. Nous voterons donc sans hésiter la motion de rejet.
(Applaudissements sur les bancs des groupes GDR et FI. –
M. Christian Hutin applaudit également.)
M.
le président. La parole est à M. Sacha Houlié.
M.
Sacha Houlié. Mes chers collègues du groupe Les Républicains, vous
fûtes un temps un parti de gouvernement. Comme tel, vous avez fait adopter la
loi no 2010-1330 du 9 novembre 2010, portant réforme des
retraites, dont l’article 16, initié par la CFDT, prévoyait l’organisation
d’une réflexion nationale pour déterminer les conditions de mise en place d’un
régime universel par points, dans le respect du principe de répartition. C’est
ce que nous faisons.
Mme Danièle
Obono. Vous êtes donc bien de droite !
M.
Sacha Houlié. En déposant une motion de rejet préalable, vous
n’apparaissez ni responsables, ni cohérents. (Applaudissements sur les bancs
du groupe LaREM. – Protestations sur les bancs du groupe LR.)
Vous ne
vous montrez pas responsables car, si cette motion venait à être adoptée
– ce que nous ne souhaitons pas –, l’équilibre financier du système ne
serait pas garanti, non plus que la valeur du point.
Peut-être ne
souhaitez-vous pas que le texte soit adopté…
M.
Ugo Bernalicis. Oui !
M.
Sacha Houlié. …parce qu’il aligne le régime des parlementaires sur le
régime général… (Protestations sur les bancs du groupe LR.)
M. Jérôme
Lambert et M. Christian Hutin. Démago !
M.
Sacha Houlié. …comme le veulent les sénateurs du groupe Les
Républicains. (Applaudissements sur les bancs du groupe
LaREM.)
Concernant la forme : votre projet, qui consiste à
porter l’âge légal de départ à la retraite à 65 ans, est un mauvais projet.
Néanmoins, il vous exclut de la pantalonnade qui se joue ici, avec des gens qui
ne proposent aucune solution aux Français. Mais défendez ce projet !
Défendez cette solution que nos concitoyens rejettent ! (Protestations
continues sur les bancs du groupe LR.)
Nous, nous avons des solutions
à proposer, en faveur de la garantie des pensions de réversion, du minimum
contributif, du système universel et de la fin des régimes spéciaux. C’est
pourquoi nous voterons contre la motion de rejet. (Applaudissements sur les
bancs du groupe LaREM.)
Un député du groupe
LR. Vous n’êtes pas à la hauteur !
M.
Damien Abad. Répondez sur le fond !
M.
le président. La parole est à Mme Constance Le Grip.
Mme
Constance Le Grip. Au sujet de l’article 16 de la loi du
9 novembre 2010 – qu’au passage, la CFDT ne nous avait pas soufflé –, nous
avions certes pris clairement position en faveur d’une fusion entre le système
public et le système privé. Mais ce que vous proposez va bien au-delà : il
s’agit d’une version universaliste et égalitariste de la réforme des retraites.
Nous voterons évidemment en faveur de la motion de rejet préalable déposée par
notre collègue Stéphane Viry.
Le Conseil d’État, dans un avis d’une
sévérité remarquée, a souligné les lacunes dans les perspectives
financières ; il a fait savoir qu’il ne pouvait garantir la sécurité
juridique du texte et il a déploré le recours trop abondant aux ordonnances,
susceptible de nuire à la visibilité globale.
Vous souhaitez enfermer
l’Assemblée nationale dans un calendrier parlementaire déraisonnable : il
n’est ni réaliste, ni tenable. Il n’est pas respectueux des droits du Parlement,
non plus que de ceux des oppositions. La commission spéciale s’est autosabordée,
faute d’avoir pu finir l’examen des deux projets de loi. Les délais de travail
infligés aux députés pour examiner une étude d’impact comportant plus de
1000 pages sont inconvenants. En outre, nous dénonçons, comme l’a fait
Damien Abad, les insincérités et les failles de cette étude, préjudiciables à un
travail éclairé, raisonnable et serein de la représentation
nationale.
Ainsi, comme Stéphane Viry l’a dit, nous souhaitons, pour
échapper à l’improvisation et à l’impréparation dans lesquelles le Gouvernement
nous plonge, disposer du temps nécessaire pour mener un travail approfondi.
(Applaudissements sur les bancs du groupe LR.)
M.
le président. La parole est à M. Brahim Hammouche.
M.
Brahim Hammouche. Quatre motions et 41 000 amendements :
aux collègues qui veulent voter la motion de rejet, je fais remarquer que nous
ne court-circuitons pas le débat parlementaire – au contraire. Je me
demande même si ce n’est pas la peur qui vous guide, la peur de débattre du fond
et d’être conduits à reconnaître que le système universel de la réforme des
retraites s’avère à la fois responsable et juste. (Applaudissements sur les
bancs des groupes MODEM et LaREM. – M. Jean-Pierre Door
proteste.)
Entrons dans l’État providence du
XXIe siècle : c’est lui que nous voulons bâtir, sur de
nouvelles fondations, en adoptant une démarche progressive, universelle et
toujours soucieuse de justice sociale.
C’est un texte de
responsabilité : en inscrivant le principe de l’équilibre financier dans la
loi organique, élément fondamental de notre législation, nous voulons rétablir
la confiance de nos concitoyens dans le système par répartition.
Nous
voulons en assurer la soutenabilité,…
M.
Ugo Bernalicis. Il l’a dit !
M.
Brahim Hammouche. …pour nos enfants, pour nos petits-enfants ;
nous voulons, comme en 1945, débarrasser nos concitoyens des incertitudes du
lendemain ; mieux : réparer les inégalités du quotidien pour ceux qui
sont dans le besoin. (Applaudissements sur les bancs du groupe LaREM.) En
cela, nous sommes fidèles aux ordonnances de 1945 – à leur esprit,
certes : nous ne sommes pas des littéralistes – nous voulons aller
plus loin, pour bâtir l’État providence du XXIe siècle que nous
appelons de nos vœux.
M.
Ugo Bernalicis. Libérons les énergies !
M.
Brahim Hammouche. Mes chers collègues, ce projet de loi organique
constitue aussi un texte de justice, cœur battant de la république sociale
– je m’adresse au côté gauche de l’hémicycle :…
M.
Christian Hutin. Reste à droite !
M.
Brahim Hammouche. …il veut traiter l’ensemble de nos concitoyens avec
dignité et équité – je vous l’assure.
La valeur du point, si souvent
commentée, sera gravée dans le marbre : elle ne baissera pas, il est
important de le répéter.
M.
le président. Il faut conclure.
M.
Brahim Hammouche. Pour terminer (Exclamations sur les bancs des
groupes GDR et SOC), nous voulons garantir les solidarités
intergénérationnelles… (Applaudissements sur les bancs des groupes MODEM et
LaREM.)
M.
le président. Merci, cher collègue.
Je mets aux voix la motion
de rejet préalable.
(Il est procédé au scrutin.)
M.
le président. Voici le résultat du
scrutin :
Nombre de
votants 240
Nombre
de suffrages
exprimés 239
Majorité
absolue 120
Pour
l’adoption 94
Contre 145
(La motion de rejet préalable n’est pas adoptée.)
(Applaudissements sur les bancs des groupes LaREM et MODEM.)
Motion référendaire
M.
le président. La parole est à M. André Chassaigne.
M.
André Chassaigne. Je m’apprête à effectuer un acte rare, un acte fort,
qui n’a pas connu de précédent à l’Assemblée nationale depuis 2013.
Je me
fonde sur l’article 11 de la Constitution et sur l’article 122 du
règlement intérieur, pour déposer une motion tendant à proposer au Président de
la République de soumettre au référendum le projet de loi instituant un système
universel de retraite. (Applaudissements sur les bancs des groupes GDR, SOC
et FI ainsi que sur plusieurs bancs du groupe LT et parmi les députés non
inscrits.)
Monsieur le président, chers collègues, je m’exprime avec
solennité et émotion : nous avons réuni soixante signataires, tous ici
présents – il faut un minimum de cinquante-huit signataires présents dans
l’hémicycle et capables de répondre à l’appel auquel le président procédera. Ils
appartiennent à différentes sensibilités et, dans leur diversité, ils estiment
que le peuple doit avoir la parole sur ce projet de loi. (Applaudissements
sur les bancs des groupes GDR, SOC et FI. – Mme Jeanine Dubié et
M. François-Michel Lambert applaudissent également.)
M.
le président. Nous allons suspendre la séance quelques instants, le
temps de vérifier les noms, puis je procéderai à l’appel. Que personne ne bouge
– je dis cela dans l’intérêt des pétitionnaires. (Sourires.)
(La séance, suspendue quelques instants, est immédiatement
reprise.)
M.
le président. En application de l’article 122 du règlement, j’ai
reçu de M. Fabien Roussel et de soixante de ses collègues une motion
tendant à proposer de soumettre au référendum le projet de loi instituant un
système universel de retraite.
Je vais procéder à l’appel nominal des
signataires, dans l’ordre figurant sur la liste présentée à l’appui de la
motion.
(Il est procédé à l’appel nominal des signataires de la
motion.)
Acte est donné de la présence effective en séance des
signataires de la motion. (Mmes et MM. les députés des
groupes GDR, FI et SOC, ainsi que M. François-Michel Lambert,
se lèvent et applaudissent.)
Sur la motion référendaire, je suis
saisi par le groupe Socialistes et apparentés d’une demande de scrutin
public.
Le scrutin est annoncé dans l’enceinte de l’Assemblée
nationale.
La parole est à M. Fabien Roussel, pour présenter la
motion.
M.
Fabien Roussel. Déposer une motion référendaire est un acte rare et
important, comme l’a rappelé solennellement le président Chassaigne. Nous
soumettons celle-ci à votre vote avec soixante de mes collègues – soixante
et un députés attachés à la démocratie, qui, dans leur diversité, considèrent
que ce projet de loi procédant à une réforme du système de retraite inédite
depuis 1945 ne peut s’imposer dans une telle confusion et selon un tel
calendrier.
Cet acte pose la question de la souveraineté du peuple et du
rôle du Parlement. Depuis l’avènement du quinquennat et l’élection des députés,
dans la foulée de celle du Président de la République, du fait de l’inversion du
calendrier, de quels moyens nos concitoyens disposent-ils pendant cinq ans pour
exprimer leurs opinions, pour exercer leur souveraineté, pour refuser une
réforme qu’ils estiment injuste ? C’est une vraie question qui nous est
posée aujourd’hui.
La Constitution française est là pour nous rappeler
les principes fondamentaux de la souveraineté nationale, et cela dès son
article 1er. Après quoi, elle affirme à l’article 3 :
« La souveraineté nationale appartient au peuple qui l’exerce par ses
représentants et par la voie du référendum. » Elle pose le principe de la
République comme étant le gouvernement du peuple, par le peuple, pour le peuple.
Elle rappelle enfin que cette souveraineté est une et indivisible, puisqu’aucune
section du peuple ni aucun individu ne peut s’en attribuer
l’exercice.
Dès lors, comment sortir de la crise dans laquelle notre pays
est enfoncé depuis plus de soixante-dix jours en raison de la présentation de
votre projet de loi ? Convenons qu’une telle mobilisation est inédite sous
la Ve République. Jamais on n’avait vu descendre dans la rue
autant de professions différentes du public comme du privé : ouvriers,
avocats, cadres, enseignants, personnels soignants, étudiants, pompiers,
personnalités du monde de la culture et de la création, professions libérales et
tant d’autres encore crient leur inquiétude et leur
incompréhension.
Toutes les organisations syndicales se montrent toujours
déterminées à obtenir de véritables négociations pour améliorer notre système de
retraite, et non pour le casser, comme le texte prévoit de le faire, aux termes
d’une réforme paramétrique qui demanderait aux Français de travailler plus
longtemps.
Le Gouvernement nous rappelle tous les jours que le dialogue
est ouvert depuis plus d’un an. Mais alors, pourquoi nos concitoyens sont-ils
toujours aussi nombreux à demander le retrait de la réforme ? Les doutes et
les interrogations des syndicats s’ajoutent à ceux du Conseil d’État. Des
formations politiques très différentes de gauche et de droite, des
parlementaires, même parmi la majorité, soulèvent tant de questions, qui ne
reçoivent toujours pas de réponse… Quel est son financement ? Pourquoi y
a-t-il tant de trous dans cette réforme, tant de zones blanches, par exemple sur
le calcul du point ou sur la prise en compte de la pénibilité ? Pourquoi
prévoyez-vous un recours aussi massif aux ordonnances ?
À ces zones
d’ombre s’ajoute un calendrier à marche forcée incompatible avec un examen
serein et approfondi de la réforme. Vous avez choisi d’étudier le texte en
procédure accélérée mais, dès lors que ses premiers effets se feront sentir en
2022, on n’est pas à deux mois près ! Une réforme de notre système de
retraite, qui concerne tous les Français et toutes les générations, mérite que
nous lui accordions tout le temps qu’il faut, avec l’objectif de rassembler la
nation, comme le fit Ambroise Croizat en 1946. (Applaudissements sur les
bancs du groupe GDR et sur plusieurs bancs du groupe FI.)
Il n’y a
pas urgence. Le temps de la démocratie, pour ce sujet majeur, ne peut pas être
celui de la procédure accélérée. En refusant d’écouter le mouvement social, en
refusant de donner au Parlement le temps du débat, vous prenez le risque
d’aggraver la fracture profonde avec nos concitoyens, les syndicats et les
partenaires sociaux, de creuser encore le fossé qui sépare les députés et les
Français, et d’abîmer encore la démocratie. Le moment est venu de mettre fin à
l’incompréhension et à la colère de nos concitoyens – et de la meilleure façon
qui soit en démocratie : en redonnant la parole au peuple. Seul le
référendum permettra de sortir de cette situation par le haut.
Peut-on
imaginer qu’une réforme aussi importante se fasse sans le peuple, ou malgré lui,
voire, plus grave encore, contre lui ? Nous n’avons le droit ni de jouer
avec sa colère ni d’alourdir son découragement.
Le Président de la
République et le Premier ministre ont certes les moyens de sortir de cette
crise, notamment en retirant le texte, mais ils ne sont pas les seuls à pouvoir
aider notre vie démocratique à surmonter l’épreuve qu’elle rencontre
aujourd’hui. Nous autres parlementaires disposons tous ensemble d’un levier très
efficace pour donner au peuple la possibilité de surmonter sa défiance à l’égard
de ses représentants. Ce levier, c’est la motion référendaire prévue à
l’article 122 du règlement de notre assemblée.
Cette procédure nous
permet de proposer au Président de la République de soumettre la réforme des
retraites au référendum. Chacun d’entre nous ici a la faculté d’en faire usage.
Chacun d’entre nous ici a l’immense pouvoir, grâce à cette motion, de faire
qu’on sollicite l’avis de ses concitoyens. Chacun d’entre nous ici possède, en
son âme et conscience, la responsabilité de revenir au fondement de notre
démocratie, qui est d’entendre le peuple lui-même.
Loin de s’opposer au
suffrage universel, la motion référendaire renforce la démocratie, car elle
offre une sortie de crise digne et solennelle. Elle permettra par exemple
d’ouvrir de vraies négociations pour améliorer le système actuel. Nous vous
appelons d’ailleurs à la voter au nom de la fidélité supérieure que nous devons
au peuple et qui, en chacun d’entre nous, doit l’emporter sur tout autre
attachement, si légitime soit-il.
Nous ne vous demandons pas de
contredire en quoi que ce soit la légitimité du Président de la République ou du
Gouvernement, ni leur droit à mener la politique sur laquelle ils se sont
engagés. La motion référendaire constitue au contraire le recours, en cas de
difficulté grave, qui permet de vérifier si l’on suit la bonne route ou s’il est
nécessaire d’en changer. Oui, le référendum est une solution de sagesse,
réservée aux crises graves comme celle que nous vivons depuis de longs mois et
dont l’issue ne peut plus être raisonnablement trouvée en dehors de nos
concitoyens.
Nous sommes, nous autres communistes, de ceux qui disent
qu’on ne gouverne pas un pays par référendum.
M.
Aurélien Taché. Voilà !
M.
Rémy Rebeyrotte. C’est bien ce qui nous semblait !
M.
Fabien Roussel. Mais on ne gouverne pas non plus sans écouter le pays.
La majorité prétend que bon nombre de nos concitoyens vous demandent de tenir
bon, mais entendez-vous toutes celles et tous ceux qui disent qu’ils ne veulent
pas de cette réforme ? Êtes-vous à l’écoute de tous les Français ou
seulement du Président de la République ?
L’Histoire nous rappelle
avec force que la grandeur de la nation française est d’accepter de retourner
vers le peuple lorsque des circonstances majeures l’imposent et de faire
confiance à son intelligence, à sa capacité à comprendre une loi, une réforme, à
juger si celle-ci est bonne ou mauvaise.
M.
Jean-Paul Dufrègne. Très bien !
M.
Fabien Roussel. Dans notre pays, en 2005, sur le traité constitutionnel
européen que certains annonçaient trop complexe, le référendum a donné lieu à un
très beau débat. Nos concitoyens se sont emparés de ce traité ligne par ligne,
avec passion, et à l’arrivée, ils ont choisi. La démocratie, quand elle fait le
pari de l’intelligence, l’emporte toujours.
Certes, trois ans plus tard,
avec une violence inouïe et toujours vivace, certains ont préféré s’asseoir sur
l’avis du peuple, mais c’est là un autre débat. Aujourd’hui, chacune et chacun
d’entre nous, dans tout le pays, doit pouvoir se saisir du projet de réforme des
retraites. Faisons confiance à l’intelligence du peuple français. De grâce,
n’insultons pas cette intelligence ! (Applaudissements sur les bancs des
groupes GDR et FI. – M. Jean-Louis Bricout applaudit aussi.)
Les Français doivent savoir. Ils doivent découvrir par eux-mêmes,
dans chaque usine, dans chaque atelier, dans chaque bureau, dans chaque hôpital,
dans chaque école, ce qu’il y a dans votre texte, dont les députés communistes
du groupe GDR et d’autres, comme mes camarades insoumis, demandent le
retrait.
À rebours du progrès de civilisation, de la chance que
représente l’allongement de la durée de la vie, il faut que les Français
découvrent par eux-mêmes qu’avec ce texte, ils devront travailler plus
longtemps, jusqu’à 65 ans, puis, pour la génération de 1990, jusqu’à
66 ans et demi. De fait, en partant à 62 ans, les futurs retraités
subiraient sur leur pension des décotes de l’ordre de 15 %. Quant aux
avocats ou aux kinésithérapeutes, ils perdraient la gestion de leur caisse
autonome et subiraient une forte hausse de leurs cotisations. C’est de cela
qu’il faut discuter avec les Français.
Oui, il faut débattre de la part
que notre pays veut consacrer aux retraites. C’est le fond du problème :
cette part, qui représentait 6 % du PIB en 1950, a toujours été augmentée,
pour tenir compte de l’allongement de la durée de vie. Elle est aujourd’hui de
14 %, et nous produisons quatre fois plus de richesses.
Nous
considérons que cette part doit continuer de progresser, alors que votre projet
de loi vise à la diminuer pour la porter à 12,8 %, en contradiction
complète avec l’évolution naturelle de la démographie – puisque, et c’est
tant mieux, le nombre de personnes de plus de 65 ans augmente.
Ainsi
le montant des pensions, leur évolution ou l’âge de départ à la retraite
seront-ils, dans votre projet, les seules variables d’ajustement.
Et que dire de la pénibilité ? Désireux de faire des
économies sur notre système de retraite, refusant de taxer le capital et
n’écoutant que le MEDEF, vous refusez de la prendre en compte. Ainsi, de
nombreux travailleurs – couvreurs, égoutiers, bûcherons, caissières,
agriculteurs, infirmières, conducteurs de métro, de train ou de bus – ne
sont pas pris en considération par votre projet de loi.
Quant aux femmes,
avec cette réforme, elles seront de nouveau victimes, laissées au bord du
chemin. Vous oubliez celles qui subissent, entre autres, le temps partiel et
vivent avec 800 ou 900 euros de salaire net mensuel. Un véritable projet de
société sous-tend votre réforme, qui n’a rien à voir avec ce qui fait la force
et l’originalité de la nation française.
De tout cela, mes chers
collègues, il faut pouvoir discuter sincèrement, les yeux dans les yeux, avec
nos concitoyens, favorables à 67 % à l’organisation d’un
référendum.
Il faut – y compris pour vous, qui prétendez démontrer
les bienfaits de la réforme et en montrer les avantages – engager le débat
à travers tout le pays.
Mme
Marie-Christine Verdier-Jouclas. Justement, on le fait !
M.
Fabien Roussel. Relevons le défi tous ensemble !
Mes chers
collègues de la majorité, n’ayez pas peur de débattre devant nos concitoyens,
cartes sur table, projet contre projet, en permettant à chacun d’avancer ses
arguments, selon sa sensibilité et ses convictions.
Le général
de Gaulle, qui a utilisé cinq fois le référendum en dix ans, disait :
« La démocratie se confond exactement pour moi avec la souveraineté
nationale. La démocratie, c’est le gouvernement du peuple par le peuple, et la
souveraineté nationale, c’est le peuple exerçant sa souveraineté sans
entrave. ». (Applaudissements sur les bancs du groupe GDR.
– M. Jérôme Lambert applaudit
également.)
La démocratie, mes chers collègues, ne s’exerce pas tous
les cinq ans, comme vous le prétendez, surtout quand le Président s’est engagé,
alors qu’il était candidat, à ne pas augmenter l’âge de départ en retraite et à
ne pas changer les règles du système par répartition.
M.
Jean-Paul Dufrègne. Eh oui !
M.
Fabien Roussel. C’est pourquoi, avec soixante et un députés venus de
tous horizons, issus de groupes politiques très différents,…
Mme
Nadia Hai. C’est quand même très localisé dans l’hémicycle !
(Rires sur les bancs du groupe LaREM)
M.
Fabien Roussel. …et dans le respect de la diversité de nos
opinions, nous vous invitons tous, mes chers collègues, à voter en faveur de
cette motion référendaire. (Exclamations sur plusieurs bancs du groupe
LaREM.)
M.
Christian Hutin. Vous refusez le peuple !
M.
Fabien Roussel. Par ce vote, nous pouvons, tous ensemble, reconquérir
une part de la confiance citoyenne dont notre démocratie manque cruellement. La
force de la nation française, qui s’est forgée en abolissant la monarchie il y a
230 ans, réside dans son peuple, dont nous sommes ici les humbles
représentants. Et depuis, le peuple de France, dans sa grande diversité, est
très exigeant en matière de démocratie et de souveraineté. Il n’aime pas être
trompé. Alors donnons-lui le moyen d’être entendu ; retrouvons en France le
goût de la politique, du vote, du débat digne, sur le fond et pas sur les
personnes. Redonnons le goût de la démocratie aux Françaises et aux Français,
qui nous observent et veulent toutes et tous rester maîtres de leurs choix et de
leur destin. (Applaudissements sur les bancs des groupes GDR, FI et
SOC.)
M.
le président. La parole est à M. le secrétaire d’État.
M.
Christian Hutin. Pas sûr qu’il éclaircira la situation !
M.
Jean-Louis Bricout. Il ne monte pas à la tribune ? Quand on
s’adresse au peuple, on le fait depuis la tribune !
M.
Laurent Pietraszewski, secrétaire d’État. Mesdames et messieurs
les députés, je constate qu’une partie d’entre vous ont présenté, en application
de l’article 122 du règlement de votre assemblée, une motion
référendaire.
M.
Jean-Paul Dufrègne. Et c’est une très bonne idée !
M.
Laurent Pietraszewski, secrétaire d’État. Comme je l’ai déjà dit
précédemment, le Gouvernement compte non seulement que l’Assemblée nationale
examine l’intégralité des deux textes qui lui sont soumis, mais aussi qu’ils
soient très largement adoptés.
M.
Olivier Faure. Prenez-vous l’engagement d’aller jusqu’au bout des
débats et de ne pas recourir au 49-3 ? Engagez-vous !
M.
Jean-Louis Bricout. Oui, dites-le !
M.
Laurent Pietraszewski, secrétaire d’État. Vous vous opposez à
ces projets de loi visant à instaurer un système universel de retraite.
M.
Christian Hutin. Engagez-vous à ne pas recourir au 49-3 !
M.
le président. S’il vous plaît, seul M. le secrétaire d’État a la
parole.
M.
Laurent Pietraszewski, secrétaire d’État. C’est tout à fait
votre droit. Vous présentez une motion référendaire, procédure exceptionnelle
qui vise à dessaisir le Parlement de ses prérogatives. Je citerai Benjamin
Constant : « Le système représentatif est une procuration donnée à un
certain nombre d’hommes par la masse du peuple, qui veut que ses intérêts soient
défendus. » Je ne veux pas vous prêter, monsieur le président Chassaigne,
de mauvaises intentions. Votre motion, toutefois, sous-entend que vous, élus au
suffrage universel, ne seriez pas légitimes pour décider de l’avenir de notre
système de retraites. (Exclamations sur les bancs du groupe GDR.)
M.
Jean-Paul Lecoq. Vous voulez peut-être modifier la Constitution pour
supprimer les motions référendaires d’initiative parlementaire ?
M.
Stéphane Peu. Vous n’avez pas le mandat du peuple pour le
faire !
M.
Christian Hutin. Je sens qu’il va faire très fort !
M.
Laurent Pietraszewski, secrétaire d’État. Je ferai par ailleurs
remarquer que, contrairement à la procédure normale d’examen au Parlement, le
référendum ne permet pas d’améliorer le texte. Or c’est précisément ce que nous
voulons faire ici, avec les représentants du peuple, à l’Assemblée nationale.
Telle est la méthode du Gouvernement et mon engagement – c’est pour cela
que j’ai participé pendant plus de soixante-quinze heures aux débats de la
commission spéciale chargée d’examiner le projet de loi instituant un système
universel de retraite, et que je resterai ici parmi vous, aussi longtemps que
nécessaire, pour vous convaincre que c’est un texte juste,…
Mme
Sylvie Tolmont. C’est les Français que vous devez convaincre !
M.
Laurent Pietraszewski, secrétaire d’État. …et pour l’améliorer,
grâce à vos amendements.
Imaginons que la motion soit adoptée.
(Applaudissements sur les bancs des groupes GDR et SOC.) Essayons
d’envisager quelles questions seront posées aux Français : « Pour ou
contre l’instauration d’un minimum de pension équivalant à 85 % du
SMIC ? » (Applaudissements continus sur les bancs du groupe LaREM.
– Exclamations sur les bancs des groupes GDR et
SOC) ; « Pour ou contre un système solidaire par
répartition ? » ;…
M.
Stéphane Peu. « Pour ou contre la retraite à
65 ans ? »
M.
Laurent Pietraszewski, secrétaire d’État. …« Pour ou contre
le maintien des départs anticipés à la retraite pour celles et ceux qui mettent
leur vie en danger pour protéger la
nôtre ? » ;…
…« Pour ou contre le maintien de
quarante-deux régimes ? » ;…
M.
Meyer Habib. Monsieur le secrétaire d’État, contrôlez-vous !
Mme
Sylvie Tolmont. « Pour ou contre le recours aux
ordonnances ? »
M.
Laurent Pietraszewski, secrétaire d’État. …« Pour ou contre
le maintien d’un système où les pensions des femmes sont inférieures de
40 % à celles des hommes ? » (Mêmes mouvements.)
En
réalité, personne n’est dupe, mesdames et messieurs les signataires de cette
motion. En la présentant, vous utilisez un artifice de procédure pour empêcher
l’Assemblée nationale de faire ce pour quoi elle a été élue, ce pour quoi des
citoyens comme moi ont fait le choix de l’engagement : examiner les projets
de loi, en débattre, les modifier et les améliorer.
En refusant ce
processus, vous refusez le débat.
M.
Christian Hutin. Au contraire, ce sont les ordonnances qui empêchent le
débat !
M.
Laurent Pietraszewski, secrétaire d’État. Pourquoi ? Que
craignez-vous ?
M.
Jean-Paul Lecoq. Toujours le même mépris !
M.
Laurent Pietraszewski, secrétaire d’État. Mesdames et messieurs
les députés, dépassons ces manœuvres dilatoires, évitons les fausses querelles,
tenons-nous éloignés des facilités, des caricatures et des postures.
M.
Alain Bruneel. Vous ne faites pas confiance au peuple !
M.
Laurent Pietraszewski, secrétaire d’État. La démocratie
représentative est la règle ; la démocratie référendaire est l’exception.
Le débat parlementaire constitue la garantie d’un examen exhaustif…
M.
Stéphane Peu. Avec vingt-neuf ordonnances, le débat risque fort de ne
pas être exhaustif !
M.
Laurent Pietraszewski, secrétaire d’État. …par la sérénité
autant que par l’expertise qu’il apporte. C’est en tant que citoyen et ancien
parlementaire que je vous le dis : faites confiance à la démocratie
représentative !
Mme
Marie-George Buffet. Ils ont peur du peuple !
M.
Laurent Pietraszewski, secrétaire d’État. Soyons ensemble à la
hauteur des enjeux. C’est par ce débat, que vous essayez d’empêcher, que nous
pourrons éclairer les Françaises et les Français sur nos objectifs, et aussi
– je l’entends –nos différences.
M.
Jean-Paul Lecoq. Vous insultez le peuple !
M.
Laurent Pietraszewski, secrétaire d’État. Pour ces raisons,
mesdames et messieurs les députés, je vous invite à rejeter massivement cette
motion référendaire. (Applaudissements sur de nombreux bancs des groupes
LaREM et MODEM.)
M.
le président. Nous en venons aux explications de vote sur la motion
référendaire.
La parole est à M. Olivier Faure.
M.
Olivier Faure. Monsieur le secrétaire d’État, vous nous dites que le
Président de la République est resté fidèle aux engagements pris durant la
campagne présidentielle. En vérité, il n’en est rien. Le Président s’était
engagé en faveur d’un système à points ; or la réforme, dans son état
actuel, en donne une version telle que même les promoteurs habituels du système
à points la trouvent injuste !
Par ailleurs, il s’était engagé à ne
pas modifier l’âge de départ à la retraite,…
Plusieurs députés du
groupe LaREM. L’engagement est respecté !
M.
Olivier Faure. …et vous revenez sur cet engagement.
(Applaudissements sur les bancs des groupes SOC et GDR.)
La raison
imposerait que les Français soient consultés sur ce sujet, puisqu’ils ne l’ont
jamais été jusqu’à présent.
Vous dites souhaiter que le débat ait lieu,
et jusqu’au bout. Ça tombe bien, nous aussi. Le Parlement, dites-vous, est
parfaitement légitime pour mener le débat à son terme. Très bien. Par
conséquent, je vous l’annonce : je suis prêt à ne pas voter en faveur de
cette motion référendaire, à une seule condition, une condition exclusive :
que vous preniez, dès maintenant, l’engagement que le Gouvernement ne recourra
jamais au 49-3. (Applaudissements sur les bancs des groupes SOC et GDR.
– MM. Jean-Louis Bricout et
Christian Hutin se lèvent également. – Exclamations sur les
bancs du groupe LaREM.)
Si vous nous donnez votre parole sur ce
point, alors nous pourrons considérer qu’elle a de la valeur. (Exclamations
sur les bancs du groupe LaREM.) Si vous ne prenez pas cet engagement, alors
c’est que vous avez prévu d’abréger les débats, auquel cas le peuple doit se
prononcer sur les questions que nous ne pouvons trancher ici de manière claire
et responsable. (Applaudissements sur les bancs des groupes SOC et GDR.
– Exclamations sur les bancs du groupe LaREM. )
M.
le président. La parole est à Mme Agnès
Firmin Le Bodo.
Mme
Agnès Firmin Le Bodo. Notre groupe ne soutiendra pas cette motion
référendaire, parce que nous ne partageons ni votre analyse, ni vos conclusions.
(« Très bien ! » sur
les bancs du groupe UDI-Agir.
– « Oh ! » sur les
bancs du groupe GDR.)
Certains, parmi les signataires de cette
motion, se sont prononcés, lors des débats en commission spéciale, pour un
retour de l’âge de la retraite à 60 ans. Or, comme vous le savez,
l’instauration d’un tel âge de départ à la retraite était une erreur dont nous
payons encore le prix aujourd’hui. Ce n’est ni réaliste, ni possible à
financer.
En réalité, si nous rétablissons l’âge de la retraite à
60 ans, les retraités subiront une baisse significative de leurs pensions,
ou pire, ne toucheront plus de pension, alors que le déséquilibre entre
cotisants et pensionnés n’a jamais été aussi grand.
En réalité, ce que
vous souhaitez, ce n’est pas soumettre ce projet de loi au référendum, mais
retarder son examen en séance publique. (Applaudissements sur les bancs du
groupe UDI-Agir, ainsi que sur plusieurs bancs des groupes LaREM et
MODEM.)
C’est dommage, parce que l’examen en séance publique
permettra d’entendre les propositions de toutes et tous, d’enrichir ce texte et
d’obtenir des réponses importantes du Gouvernement, que nous souhaitons tous,
sur la revalorisation des pensions des agriculteurs actuellement retraités, par
exemple, lesquels ne sont pas pris en compte dans le projet de loi. Notre groupe
a d’ailleurs déposé des amendements en ce sens. Ne nous privons pas de ce débat
important et très attendu.
Ne nous privons pas non plus de voter des
mesures de justice en faveur des femmes et de débats pour trouver les moyens de
mieux prendre en compte l’usure au travail et la pénibilité ou de favoriser le
cumul entre emploi et retraite.
M.
Meyer Habib. Édouard m’a dit….
Mme
Agnès Firmin Le Bodo. Notre assemblée doit prendre toute sa place dans
le débat et dans l’élaboration de la loi. Nous avons été élus pour cela, et ce
mandat nous oblige.
Plutôt que de priver la représentation nationale d’un
débat nécessaire et argumenté, avançons et débattons projet contre projet. Notre
groupe votera donc contre cette motion référendaire. (Applaudissements sur
les bancs du groupe UDI-Agir et sur plusieurs bancs du groupe
LaREM.)
M.
le président. La parole est à M. Philippe Vigier.
M.
Philippe Vigier. J’ai bien écouté l’intervention de notre collègue
Jumel tout à l’heure, et certains membres du groupe Libertés et territoires, que
je préside, ont d’ailleurs signé cette motion référendaire. Pour autant je ne la
voterai pas, et je vais vous expliquer pourquoi.
Mes chers collègues,
nous avons été élus en déplorant que le Parlement, depuis de longues années,
perde chaque jour un peu plus d’influence. (Applaudissements sur plusieurs
bancs des groupes LT et LaREM.)
M.
Christian Hutin. À qui la faute ?
M.
Philippe Vigier. On ne peut d’un côté regretter l’affaiblissement
permanent du Parlement, et de l’autre demander un référendum.
M.
Olivier Faure. Nous demandons que le Gouvernement s’engage à ne pas
utiliser le 49-3 !
M.
Philippe Vigier. Monsieur le secrétaire d’État, je vous demande avec
force de faire attention et de ne pas brusquer les choses : recourir au
49-3 serait un aveu d’impuissance et conduirait, selon l’ensemble des groupes
parlementaires, l’action publique à une impuissance chronique. Le débat
parlementaire doit avoir lieu jusqu’au bout.
J’ai appris il y a quelques
minutes que la plupart de nos amendements – et notre groupe, qui en a
déposé moins de quatre-vingt, ne peut être taxé de postures politiciennes –
ont été déclarés irrecevables, alors qu’ils concernent le sujet crucial du
financement. Attention à la dérive.
Je peux comprendre que certains
soient tentés de voter en faveur de cette motion référendaire. Mais demain, mes
chers collègues, croyez-vous que nos concitoyens seront en mesure de se
prononcer, simplement par un oui ou par un non, sur une réforme des
retraites ? Voilà la vraie difficulté. (Exclamations sur plusieurs bancs
des groupes GDR et SOC, ainsi que parmi certains députés non inscrits.)
M.
Christian Hutin. Bien sûr qu’ils le peuvent !
M.
Philippe Vigier. Je vous le dis avec force : attention au chemin
que nous empruntons. J’ai demandé, monsieur le président, la prolongation des
débats, y compris après les municipales. La réforme aura des conséquences pour
les quarante prochaines années : par comparaison, que représentent quelques
semaines de débats ?
Prenons le temps de débattre ; sinon
viendra le temps de l’impuissance publique collective. (Applaudissements sur
quelques bancs du groupe LT.)
M.
le président. La parole est à M. François Ruffin.
M.
François Ruffin. Bien sûr que nous voulons un référendum et que nous
voulons savoir si les Français avalent vos bobards ! Quel refrain
avons-nous entendu pendant tout l’après-midi ?« Justice
sociale », « équité »,
« redistribution » !
Quand j’entends « justice
sociale » dans votre bouche, j’ignore s’il faut rire ou pleurer. C’est vous
qui avez rejeté l’extension du congé de deuil, ici, il y a quinze jours !
(Exclamations sur plusieurs bancs du groupe LaREM.) C’est vous qui, jeudi
dernier, vous êtes opposés, seuls contre la gauche et contre la droite, à des
mesures en faveur des personnes handicapées ! (Mêmes mouvements.)
C’est vous qui avez fait 400 000 pauvres de plus en un an, tandis
que les plus riches récoltaient 4,5 milliards d’euros. La voilà, votre
justice sociale !
Justice sociale dans votre bouche, c’est le loup
qui promet de devenir végétarien ! D’ailleurs, le loup est sorti du
bois : vous avez vu la publicité d’Axa qui présente votre réforme. Je cite
le groupe financier : « Unification des 42 régimes actuels… par
la création d’une retraite par points. […] La baisse programmée des futures
pensions. » Pour combler cette baisse, Axa offre bien sûr la possibilité de
cotiser à un plan épargne retraite ! La voilà, la vérité, proclamée par vos
amis d’Axa et de BlackRock ! (Applaudissements sur les bancs des groupes
FI et GDR.) La voilà la vérité, déjà annoncée en mars 2016 par François
Fillon : « le système par points, ça permet […] chaque année […] de
diminuer le niveau des pensions. » Le voilà, le hold-up préparé dans
l’ombre, mené en procédure accélérée avec vos amis financiers, vos amis qui vous
financent ! Un butin de 300 milliards, ça fait
saliver !
Il faut donc que le loup se déguise, que vous répétiez en
boucle : équité, dialogue, redistribution, justice sociale. Mais comme dans
la novlangue d’Orwell, tous les mots se lisent à l’envers : justice
signifie bien sûr injustice. Non, nous n’avons aucune confiance en vous ;
les Français n’ont aucune confiance en vous, et vous le savez !
(Applaudissements sur les bancs des groupes FI, GDR et SOC.) Vous le
savez, et c’est pourquoi vous allez refuser ce référendum : vous voulez
bien entendre les financiers, mais pas les Français !
(« Bravo ! » et
nouveaux applaudissements sur les bancs des groupes FI,GDR et
SOC.)
M.
le président. La parole est à Mme Huguette Bello.
Mme
Huguette Bello. La crise actuelle est gravissime. Elle s’exprime dans
tout le pays et montre l’inquiétude que provoque cette réforme. Le référendum
permettra d’en sortir par le haut, c’est-à-dire par le peuple, parce que le
haut, en démocratie, c’est le peuple ! (Applaudissements sur les bancs
des groupes GDR et FI, ainsi que sur plusieurs bancs du groupe SOC.) Or
67 % des Français se sont prononcés en faveur d’un référendum.
Le
peuple n’a pas effacé de sa mémoire l’élan des grandes conquêtes sociales
d’après la Libération. Il refuse que cet élan, toujours vivace, soit
définitivement jeté au panier de l’impossible ! Imagine-t-on vraiment qu’il
supporterait sans broncher une telle défaite sans remous éclatants ou, plus
redoutable encore, sans une tenace amertume secrète ? Pense-t-on qu’on
oublierait sans doute son irritation, son mécontentement, alors même que la
sévérité des plus hautes autorités administratives leur a fait solennellement
écho ? Voilà ce que signifie notre système de retraite, ce qu’il dit de
notre cohésion sociale, de notre façon française d’être ensemble. Ignore-t-on de
quelle symbolique l’histoire l’a chargé ?
La réforme, comme nous le
rappelle fort justement le Conseil d’État, a pour but de transformer, pour les
décennies à venir, un système social qui constitue l’une des composantes
majeures du contrat social. (Murmures sur les bancs du groupe LaREM.)
Dans l’impasse où nous sommes acculés, la motion référendaire désigne la seule
issue possible, allume la seule lumière capable d’éclairer. Dans une affaire
aussi grave, les rengaines de la communication et de la prétendue pédagogie
sonnent faux. Nous avons besoin d’entendre le peuple lui-même, sa voix venue de
loin, sa musique véridique.
M.
Christian Hutin. Très bien !
Mme
Huguette Bello. Lorsque la musique est belle, tous les hommes sont
égaux.
M.
le président. Et lorsque le temps est fini, il faut s’interrompre…
Mme
Huguette Bello. N’ayons pas peur du peuple, acceptons de lui faire
confiance en votant cette motion ! (Applaudissements sur les bancs des
groupes GDR, FI et SOC – Mmes et MM. les
députés du groupe GDR se lèvent aussi.)
M.
le président. La parole est à M. Jean-René Cazeneuve.
M.
Jean-René Cazeneuve. Vous voulez nous faire croire que la voie
référendaire est nécessaire
(« Oui ! » sur les
bancs des groupes FI et GDR)…
M.
Hubert Wulfranc. 67 % des Français !
M.
Jean-René Cazeneuve. …parce que les Français seraient opposés à ce
projet de loi. Après avoir dit : « La République, c’est
moi ! », vous dites : « Nous savons ce que veut le
peuple. » Mais, mes chers collègues, vous nous avez déjà fait le coup il y
a quelques mois avec Aéroports de Paris ! Ici même, vous nous aviez dit que
tous les Français étaient opposés à la privatisation, que le monde entier y
était opposé. Les Français vous ont répondu : vous vous êtes trompés !
Seulement 1 million d’entre eux ont signé votre demande de
référendum ! (Applaudissements sur les bancs des groupes LaREM et MODEM.
– Exclamations sur les bancs des groupes GDR et FI.)
M.
le président. Mes chers collègues, laissez parler
M. Cazeneuve.
M.
Jean-René Cazeneuve. Aujourd’hui, si chaque Français peut émettre des
réserves ou s’interroger sur tel ou tel point du projet de loi, on peut le
comprendre ; c’est pour cela qu’un débat est nécessaire. Mais les Français
sont largement favorables à chacun des piliers de ce projet. Le système par
répartition ? Ils y sont favorables et nous le pérennisons.
(Applaudissements sur quelques bancs du groupe LaREM.) La fin des régimes
spéciaux ? Ils y sont favorables et nous créons le système universel.
(Vives exclamations sur les bancs des groupes GDR et FI.)
M.
Éric Coquerel. Faites un référendum alors ! N’ayez pas
peur !
M.
Jean-René Cazeneuve. Le système à points ? Ils y sont familiarisés
avec l’AGIRC-ARRCO et il est préconisé par les syndicats majoritaires.
M.
Sébastien Jumel. Les fonds de pension y sont favorables
aussi !
M.
Jean-Paul Dufrègne. Honte à vous !
M.
Jean-René Cazeneuve. Le système financier ? Les Français y sont
favorables, il est consubstantiel au régime par répartition. Enfin, ils sont
également favorables aux nouveaux droits sociaux. Comment pouvez-vous vous
regarder dans une glace et y être défavorables ? (Applaudissements sur
les bancs du groupe LaREM. – Vives exclamations sur les bancs
du groupe FI.)
M.
le président. Monsieur Coquerel, madame Obono, arrêtez de
crier !
M.
Jean-René Cazeneuve. Dans une démocratie représentative, le débat
parlementaire est la garantie d’un examen exhaustif et d’une discussion ouverte.
L’adoption de cette motion référendaire aboutirait à nous empêcher, nous
parlementaires, de nous exprimer et de débattre ! D’ailleurs, pourquoi
proposer un seul référendum ? Pourquoi pas ne pas en proposer 41 000,
pour chacun de vos amendements, tous ciselés avec tellement d’honnêteté ?
(Applaudissements sur les bancs du groupe LaREM.) Nous, députés de la
majorité, nous ne fuirons pas nos responsabilités. Les Français nous ont élus
sur un programme dans lequel figurait cette réforme ; dans deux ans, ils
nous jugeront sur nos résultats. (Applaudissements sur les bancs des groupes
LaREM et MODEM.
– « Zéro ! »
sur plusieurs bancs des groupes GDR et FI.)
M.
le président. La parole est à M. Gérard Cherpion, que l’on écoute
dans le calme.
M.
Gérard Cherpion. Je peux entendre les frustrations liées à un examen
tronqué de ce projet de loi et à l’absence de débat de fond, qui s’est
d’ailleurs traduite par l’arrêt de l’examen du texte en commission spéciale.
Cela justifie que certains de nos collègues souhaitent un référendum, option
voulue par le général de Gaulle et à laquelle Les Républicains sont
attachés.
Mais aujourd’hui, nous voulons un débat à l’Assemblée
nationale. Nous souhaitons une réforme du système des retraite et voulons
défendre notre projet contre le vôtre. Nous proposons un système de base, limité
à un plafond annuel de la sécurité sociale – PASS –, et trois piliers
– secteur public, secteur privé et indépendants – respectant les
spécificités et les difficultés des métiers.
Le débat est nécessaire pour
sensibiliser les Français aux réalités de cette réforme qui, en l’état, est
injuste, non financée et dont l’universalité s’étiole de jour en jour avec les
annonces faites par différentes professions. Nous souhaitons que ce débat puisse
se dérouler jusqu’à son terme. Dans ces conditions, le groupe Les Républicains
ne prendra donc pas part au vote sur la présente motion. (Applaudissements
sur quelques bancs du groupe LR.)
M.
le président. La parole est à Mme Nathalie Elimas.
Mme
Nathalie Elimas. Le recours à cette motion référendaire sonne comme un
aveu d’échec des députés qui la sollicitent. C’est l’ultime recours de ceux qui
refusent le débat et l’opposition constructive. (Exclamations sur plusieurs
bancs des groupes GDR et FI.)
M.
Alain Bruneel. Vous avez peur du peuple, mais le peuple est
intelligent, faites-lui confiance !
Mme
Nathalie Elimas. Vous vous drapez dans des procédures parlementaires
pour faire obstruction à un projet de société qui a déjà été soumis à
l’approbation de nos concitoyens : l’instauration d’un système de retraite
par points et la suppression des régimes spéciaux étaient écrites noir sur blanc
dans le projet du candidat Macron, élu démocratiquement Président de la
République. (Applaudissements sur les bancs des groupes MODEM et
LaREM.)
Plusieurs députés du
groupe GDR. C’est faux !
Mme
Nathalie Elimas. Je m’étonne et je m’interroge : pourquoi cette
procédure n’a-t-elle pas été déclenchée par le groupe de communiste lors de la
réforme Touraine, alors même qu’elle ne figurait pas dans le programme de
François Hollande un an auparavant ? (Vifs applaudissements sur les
bancs des groupes MODEM et LaREM. – Exclamations sur
plusieurs bancs des groupes GDR et FI.)
M.
Bruno Millienne. Excellent !
Mme
Nathalie Elimas. Et quand bien même un référendum aurait lieu, quelle
serait votre position ? Celle du non ? Celle de l’immobilisme ?
Celle de la conservation d’un système injuste et inégalitaire, qui octroie des
avantages démesurés à certains et qui oblige les autres à travailler toujours
davantage ? Est-ce là votre vision de la justice sociale ? Et bien ce
n’est pas la nôtre !
M.
Jean-Paul Dufrègne. Vous, c’est la vision des riches !
Mme
Nathalie Elimas. Ainsi, vous souhaitez que les agriculteurs ne
bénéficient pas d’un minimum de retraite de 1 000 euros ; vous ne
souhaitez pas ouvrir des droits à la retraite aux aidants, aux chômeurs, aux
étudiants en stage, aux femmes et aux plus fragiles d’entre nous !
(Applaudissements sur les bancs des groupes MODEM et LaREM.)
M.
Sébastien Jumel. Vous rigolez ?
Mme
Nathalie Elimas. Le temps du débat, celui de la représentation
nationale, est là.
M.
Sébastien Jumel. N’ayez pas peur, disait le pape !
Mme
Nathalie Elimas. L’ordre du jour nous offre plus de trois semaines pour
avoir un débat dense et constructif sur une réforme qui structurera notre
société. Oui au pari de l’intelligence ! Il n’est jamais trop tard pour
bien faire : ressaisissez-vous et acceptez ce débat. Le groupe MODEM ne
soutiendra évidemment pas cette motion. (Nouveaux applaudissements sur les
bancs des groupes MODEM et LaREM.)
M.
le président. Je mets aux voix la motion référendaire.
(Il est procédé au scrutin.)
M.
le président. Voici le résultat du
scrutin :
Nombre de
votants 230
Nombre
de suffrages
exprimés 230
Majorité
absolue 116
Pour
l’adoption 70
Contre 160
(La motion référendaire n’est pas adoptée.)
(Applaudissements sur les bancs des groupes LaREM et MODEM, ainsi que sur
plusieurs bancs du groupe UDI-Agir.)
Discussion générale commune
M.
le président. Dans la discussion générale commune, la parole est à
Mme Valérie Rabault.
Mme
Valérie Rabault. Votre réforme des retraites comporte en réalité deux
réformes : la création d’un régime que vous qualifiez d’universel et la
transition entre le régime actuel et ce régime universel. C’est donc un
« big bang » – et je pèse mes mots – que vous lancez. Quoi
que l’on en pense, cela aurait nécessité, a minima, sérieux et rigueur plutôt
que l’amateurisme que désormais vous revendiquez. (Conciliabules.)
M.
le président. Un peu de silence, mes chers collègues.
Mme
Valérie Rabault. C’est parce que le sérieux et la précision sont
absents de votre étude d’impact que mon groupe a décidé de lancer, sur elle, une
commission d’enquête parlementaire. Cette commission pourra auditionner sous
serment, pendant six mois, tous les responsables politiques et administratifs
qui ont travaillé sur cette réforme ; elle pourra effectuer des saisies sur
pièce et sur place dans les bureaux des administrations. J’espère qu’elle
permettra d’apporter les réponses que, jusqu’à présent, vous nous avez
refusées.
Au-delà de cette impréparation coupable que nous dénonçons, la
réforme que vous présentez diffère profondément des objectifs de justice que
vous prônez. Le 11 décembre 2019, le Premier ministre a annoncé
« une grande réforme sociale ». Or ce que vous appelez « réforme
sociale » pénalisera l’ouvrier par rapport au cadre. Pour la première fois
depuis 1945, le système de malus qui s’applique quand on ne remplit pas toutes
les conditions pour avoir une retraite à taux plein reposera sur l’âge réel de
départ à la retraite et non sur la durée de cotisation. C’est un changement
majeur que vous instaurez, et c’est un changement antisocial.
M.
Christian Hutin. Très juste !
Mme
Valérie Rabault. Prenons le cas d’un ouvrier qui commence à travailler
à 20 ans et qui cotise quarante-trois ans : il partira à la retraite à
63 ans. Avec votre système, il subira une décote de 10 %, et ce
pendant toute la durée de sa retraite. A contrario, un cadre qui commence à
travailler à 24 ans parce qu’il a eu la chance de pouvoir faire des études
et cotise quarante-trois ans partira à la retraite à 67 ans ; vous
proposez de lui donner un bonus. Vous instaurez donc un régime antisocial qui
pénalisera l’ouvrier qui commence à travailler à 20 ans et accordera un
bonus au cadre qui commence à travailler à 24 ans.
Vous vendez aussi
votre réforme en tentant de faire croire que les femmes en seront les grandes
gagnantes. Là encore, je vous soumettrai un exemple, celui d’une femme qui
aurait commencé de travailler comme salariée à l’âge de 22 ans, qui aurait
un enfant et qui partirait à la retraite à 63 ans. Dans le système actuel,
elle bénéficiera d’une retraite à taux plein grâce aux huit trimestres de
majoration en vigueur. Dans le système que vous voulez mettre en place, elle
subira, si elle part au même âge, une décote de 5 % sur sa retraite à taux
plein ! Or il y a en France des millions de femmes dans ce cas, mais vous
refusez d’en parler ici, dans l’hémicycle de l’Assemblée nationale.
Mme
Sylvie Tolmont. Exactement !
Mme
Valérie Rabault. Enfin, vous tentez de faire croire que votre réforme
ne produirait que des gagnants. Permettez-moi donc de vous soumettre les cas
suivants, monsieur le ministre ; vous nous direz s’ils sont ou non
gagnants.
Commençons par les citoyens nés en 1990, qui seront concernés
par votre réforme. Votre étude d’impact part du principe que tous les citoyens
commencent à travailler à 22 ans et qu’ils partent à la retraite à
65 ans – peut-être est-ce cela, le nouveau régime universel : tout le
monde commencera de travailler à 22 ans. Soit, appliquons donc cette
hypothèse à un citoyen né en 1990 qui aurait commencé à travailler à
22 ans. Avec votre réforme, l’âge d’équilibre sera de 66 ans et trois
mois. Autrement dit, un malus s’appliquera à toute cette
génération.
Autre exemple : dans le système actuel, un fonctionnaire
territorial de catégorie B sans enfant perçoit une retraite de
2 142 euros par mois dans le système actuel. Avec votre réforme, ce
montant tombera à 2 109 euros par mois, soit une baisse annuelle de
pouvoir d’achat de 396 euros.
M.
le président. Merci de conclure.
Mme
Valérie Rabault. De même, un salarié du secteur privé non-cadre et sans
enfant qui percevrait une retraite de 2 478 euros par mois ne touchera
plus avec votre réforme que 2 339 euros, soit une perte de pouvoir
d’achat de plus de 1 600 euros sur l’année.
Tous ces exemples,
monsieur le secrétaire d’État, résument la France, que vous ne voulez pas
voir ! C’est de cette France que nous vous parlerons !
(Applaudissements sur les bancs des groupes SOC et GDR.)
M.
le président. La parole est à Mme Agnès
Firmin Le Bodo.
Mme
Agnès Firmin Le Bodo. Notre système de retraite est l’un des piliers de
notre pacte social. Le réformer de façon globale et systémique revient à ouvrir
une réflexion sur le temps long, et à interroger le modèle de société auquel
nous aspirons et que nous souhaitons préserver. Le nouveau siècle est celui de
défis cruciaux pour notre pays : le changement climatique, mais aussi le
vieillissement des sociétés industrialisées. Ces défis modifient notre rapport
au risque et à la mort ; ils créent des angoisses et des inquiétudes
nouvelles.
Je pense aussi aux mutations du travail. Le travail est l’un
des lieux ou l’individu établit son rapport au monde, se définit et souvent
s’émancipe. Il arrive aussi que ce soit un lieu de souffrance ; il faut en
tenir compte. Or les mutations du travail au XXIe siècle, dont
nous sommes loin d’avoir pris la mesure, rendent ces définitions mouvantes et
instables. Les parcours professionnels se diversifient, les mobilités
s’accroissent et les trajectoires linéaires au sein d’une même entreprise sont
moins fréquentes. Loin d’être figée, notre société est donc vivante, diverse,
plurielle. C’est une force pour l’avenir.
Toutefois, si elles
s’accompagnent d’une remise en cause ou d’une dégradation des identités
professionnelles, ces mutations peuvent être mal vécues. Dès lors, les
oppositions et inquiétudes nombreuses que cette réforme a suscitées au cours des
derniers mois dépassent la seule question des retraites. Trop souvent, nous
raisonnons à partir d’identités professionnelles passées, qui continuent, de
fait, à structurer le débat public. Cependant, certaines catégories de
population ont dans le même temps connu des changements de situation importants,
parfois dans le sens d’un déclassement ou d’une précarisation, d’où des
incompréhensions et un sentiment d’injustice.
Je pense en particulier aux
enseignants, pilier fondamental de la société. La réforme des retraites a eu
l’immense mérite de révéler l’injustice que constitue leur situation. Disons-le
avec vigueur : nous négligeons depuis trop longtemps la situation de ceux
qui instruisent nos enfants. Les concours attirent de moins en moins de
candidats et la fonction a perdu de son prestige passé. Chaque année, la France
recule dans les classements internationaux. Avec les enseignants, nous
regrettons amèrement ce manque de reconnaissance, contradictoire avec
l’importance de leurs missions. Il est plus que temps de prendre ce sujet à
bras-le-corps et de réaffirmer le contrat qui lie la société tout entière à ceux
qui font vivre l’école. Il y va de l’avenir de nos enfants, de notre capacité à
les rendre libres de leur jugement et à en faire des citoyens pleinement
actifs.
Le Gouvernement a déjà ouvert plusieurs pistes pour améliorer les
carrières des enseignants ; c’est une bonne chose. Il faudra néanmoins
apporter à l’ensemble du corps enseignant une réponse claire et sans ambiguïté
quant au calendrier des revalorisations futures et à leurs montants. L’enjeu est
essentiel, et le groupe UDI-Agir y sera attentif.
Le système de retraites
d’un pays en dit long sur son approche de l’égalité et de l’équité. Le système
français actuel, fondé sur des solidarités interprofessionnelles entre métiers
et entre corps, ne répond plus aux nouveaux besoins de protection nés des
mutations du travail. Par manque de lisibilité, il crée de l’anxiété. À cet
égard, la multiplication des réformes paramétriques depuis vingt ans a eu pour
conséquence logique d’entraîner une perte de confiance envers l’ensemble du
système, en particulier parmi les jeunes générations. Par son opacité, le
système suscite la défiance et nourrit les procès en injustice. Par sa
complexité, il favorise le non-recours aux droits. En clair, notre système de
retraites doit devenir plus juste, plus équitable et plus solidaire.
Il
serait irresponsable de ne pas anticiper ces mutations profondes. Nous devons
cette exigence aux générations actuelles comme aux générations futures, que la
responsabilité consiste aussi à pouvoir regarder sans rougir parce que nous
aurons garanti l’équilibre financier du système. De ce point de vue, nous nous
félicitons de l’instauration d’une règle d’or qui garantira tout à la fois le
niveau des pensions et l’équilibre du système. La responsabilité face aux
déficits est la condition de la crédibilité de notre système. Elle consiste à
corriger les fragmentations et les ruptures de droit face à la retraite.
L’adjectif « universel » n’est pas plus synonyme d’uniformité qu’il ne
l’est d’un régime d’exception. La suppression des régimes spéciaux, que les
Français réclament depuis longtemps, est légitime ; ce sera chose faite
avec cette réforme.
La création d’un système universel de retraite par
points constitue indéniablement un défi ambitieux et un bouleversement sans
précédent depuis 1945. Notre groupe plaide depuis longtemps en faveur d’un
régime de retraite par points car nous sommes convaincus qu’il s’agit d’un mode
de calcul plus juste, plus lisible et mieux à même de concrétiser les
engagements respectifs de chacun envers la société et le contrat qui les lie.
D’autre part, cette réforme doit permettre de protéger davantage en luttant
contre la précarité et en tenant davantage compte des carrières hachées, mais
aussi des différentes formes de pénibilité, notamment par l’instauration d’une
visite obligatoire en fin de carrière pour les métiers à risque. Nous nous
félicitons qu’il soit donné suite à cette demande ancienne de notre
groupe.
La réforme doit aussi permettre de mieux protéger les femmes face
à la retraite car, en la matière, les inégalités entre les femmes et les hommes
sont réelles : les pensions des femmes sont encore inférieures de 42 %
à celles des hommes. Ces inégalités sont d’abord le reflet des inégalités
professionnelles, mais aussi de l’impact différent de l’éducation d’un enfant
sur les carrières des pères et des mères. Le projet de loi déploie tout un
ensemble de mesures qui permettront d’aplanir ces différences, et nous nous en
réjouissons.
La réforme doit faciliter les mobilités professionnelles et
favoriser les prises de risques dans la carrière, en garantissant qu’un
changement d’emploi ne soit pas synonyme de perte de droits. Elle doit mieux
protéger contre les accidents de la vie.
Nous saluons la prise en compte
de la situation spécifique des proches aidants pour les droits à retraite. Cette
reconnaissance est nécessaire compte tenu du dévouement quotidien dont ils font
preuve, parfois au détriment de leur santé ou de leur carrière
professionnelle.
S’agissant des professions libérales, notre groupe
plaide pour l’inscription dans la loi du principe du maintien des réserves dans
les caisses des régimes autonomes. Il faut en effet rassurer les professions
libérales et les indépendants, et préciser les résultats des concertations dans
la loi ; nous défendrons des amendements en ce sens.
Une attention
particulière devra être apportée au respect des droits acquis durant la
transition entre l’ancien et le nouveau système. Nous proposons une évaluation à
mi-parcours des ordonnances dédiées.
Liberté, lucidité mais aussi
responsabilité : ces convictions structurent et orientent l’engagement
politique de notre groupe. Comme je l’ai déjà souligné en commission spéciale,
vous nous trouverez à vos côtés lorsqu’il s’agira de prendre des mesures
courageuses et responsables qui garantissent la pérennité du système de
retraite. Nous vous accompagnerons pendant l’examen de ces projets de loi tout
en défendant plusieurs amendements visant à les compléter. Nous proposons par
exemple la création de dispositifs de tutorat pour favoriser la transmission des
savoirs entre générations au sein des entreprises.
M.
Thierry Benoit. Excellent !
Mme
Agnès Firmin Le Bodo. Le passage à la retraite ne doit pas être
ressenti comme un couperet mais bien comme un moment de transmission bénéficiant
à celui qui s’en va comme au nouvel arrivant.
Nous proposons également
d’ouvrir un nouveau droit afin de permettre aux personnes mariées ou liées par
un PACS de donner une partie de leurs points à leur conjoint, afin qu’ils
puissent partir en retraite ensemble.
M.
Thierry Benoit. Très bien !
Mme
Agnès Firmin Le Bodo. Ce projet de loi consacre la préférence
collective de la France pour un système de retraites par répartition. Nous
considérons cependant qu’il ne doit pas escamoter tout débat sur l’intérêt d’une
épargne retraite pour tous. Nous présenterons également des propositions afin
d’ouvrir le débat sur cette question.
Alors que nous nous apprêtons à
examiner près de 40 000 amendements, permettez-moi enfin de regretter
la démarche de certains groupes politiques et les manœuvres d’obstruction qui ne
grandissent pas l’Assemblée.
M.
André Chassaigne. Ce n’est pas gentil de dire cela !
Mme
Agnès Firmin Le Bodo. La liberté d’expression est une condition de
l’exercice de la démocratie et, dans un régime parlementaire, passe notamment
par le droit d’amender un texte. Ce droit, cependant, lorsqu’il est utilisé non
plus pour porter la parole du peuple mais pour scléroser le débat parlementaire,
est non seulement inutile mais aussi dangereux.
M.
Stéphane Peu. Raison de plus pour organiser un référendum !
Mme
Agnès Firmin Le Bodo. « La démocratie, c’est beaucoup plus que la
pratique des élections et le gouvernement de la majorité : c’est un type de
mœurs, de vertu, de scrupule, de sens civique, de respect de l’adversaire ;
c’est un code moral », écrivait Pierre Mendès France. Faisons donc montre
de sens civique et de morale, chers collègues, et soyons exemplaires et dignes
de notre démocratie représentative ! Agissons ensemble de façon
constructive ! (Applaudissements sur les bancs des groupes UDI-Agir,
MODEM et LaREM.)
M.
le président. La parole est à M. Philippe Vigier.
M.
Philippe Vigier. « Les jours heureux » : tel est le
titre lumineux d’un texte court mais fondateur signé le 15 mars 1944 par le
Conseil national de la Résistance. C’est le titre d’un programme écrit dans la
clandestinité et, pourtant, résolument tourné vers l’avenir. C’est le souvenir
d’une France meurtrie, en quête d’union et de reconstruction. Qu’ils soient
gaullistes, centristes, socialistes ou communistes, tous ont risqué leur vie
pour contribuer à l’écriture de ce programme, promesse d’un modèle de protection
sociale qui renforce la solidarité et la dignité.
Les jours heureux,
c’est l’avant-projet de réformes d’ampleur qui ont façonné la France au
lendemain de la guerre et qui la structurent encore aujourd’hui : c’est la
sécurité sociale, les prestations familiales, l’indépendance de la presse, la
renaissance des syndicats mais aussi l’assurance vieillesse et, bien sûr, les
retraites pour tous.
M.
André Chassaigne. Très bel hommage !
M.
Philippe Vigier. Si l’annonce du projet de loi dont nous débattons
aujourd’hui a suscité de telles mobilisations, parfois violentes, c’est aussi
parce que les Français restent profondément attachés à ces jours heureux. J’ai
la conviction qu’il y a en chacun d’entre nous l’espoir de préserver un modèle
social, mais aussi de l’améliorer et de le renforcer. C’est cet espoir qui rend
nos débats si passionnés.
Vous le savez, messieurs les ministres,
monsieur le secrétaire d’État : réformer le système de retraite, c’est
proposer un véritable projet de société et engager le pays et nos concitoyens
pour de nombreuses années. C’est promettre aux générations qui cotisent
aujourd’hui qu’elles continueront demain de percevoir les fruits de ce système
de protection. C’est garantir la raison d’être de notre modèle social et rester
fidèle à l’ordonnance du 4 octobre 1945, qui visait à
« débarrasser nos concitoyens de l’incertitude du
lendemain ».
En ce sens, la clé de notre système social qui
permettra de mener toute réforme à bien est la confiance : la confiance
dans la solidité et la pérennité du système de retraites, dans une gouvernance
en phase avec la société, et dans ceux qui décident aujourd’hui de changer les
règles du système. Au fond, ce projet de société doit emporter l’adhésion la
plus large possible : celle des partenaires sociaux, celle du Parlement,
mais aussi celle de nos concitoyens. Avec cette réforme des retraites, la
question que le Gouvernement pose à sa majorité, au groupe Libertés et
territoires et à l’opposition n’est ni plus ni moins qu’une question de
confiance.
Or, messieurs les ministres, monsieur le secrétaire d’État,
force est de constater que depuis le début de l’examen de ce texte, la confiance
s’étiole tandis que les questions s’amplifient. Je l’affirme avec d’autant plus
de force que je défends depuis de longues années la mise en place d’un système
de retraite universel par points.
M.
Thierry Benoit. Depuis toujours !
M.
Philippe Vigier. Cette réforme est indispensable pour lutter contre les
injustices qui caractérisent le système actuel et qui frappent les femmes, les
métiers pénibles et dangereux, les carrières longues et hachées ou encore
certaines professions indépendantes – j’ai, à cet égard, une pensée toute
particulière pour les agriculteurs.
Les constats que vous faites sont
partagés et vos objectifs de lisibilité et de justice sociale sont plus que
légitimes. Je crois sincèrement qu’une telle réforme offre une chance unique de
bâtir un système plus juste avec l’extinction des régimes spéciaux, lesquels
présentaient l’inconvénient de lier les droits à un statut ou à l’appartenance à
une entreprise, et non à un parcours professionnel.
Je vous le dis
cependant avec gravité, messieurs les ministres, monsieur le secrétaire
d’État : la méthode choisie par le Gouvernement ne nous donne pas la
certitude que ces objectifs – que nous partageons – seront atteints.
Après des débats inachevés en commission spéciale, nous n’avons aucune
visibilité concernant les contours définitifs de la réforme que l’Assemblée
s’apprête à examiner. En cause tout d’abord, la rapidité de la méthode :
convenez que nous donner deux mois alors que votre prédécesseur, monsieur le
secrétaire d’État, a disposé de vingt-quatre mois, voilà un fossé
incompréhensible !
Sommes-nous prêts à nous donner quelques semaines
supplémentaires pour légiférer pour les cinquante prochaines années ?
Pourquoi s’empresser de voter cette réforme avant les élections
municipales ? Je n’imagine pas une seconde que des calculs politiques
puissent l’emporter sur l’exigence de cohésion sociale, qui est au cœur de cette
réforme.
Le premier enseignement à tirer de l’échec de la commission
spéciale – même si, comme je l’ai dit l’autre jour, vous avez animé ses
travaux avec talent, madame la présidente – est le manque de temps imparti
à l’examen du texte. En choisissant la procédure accélérée et en nous imposant
de tels délais d’examen, le Gouvernement ne crée pas les conditions de la
confiance.
Pourtant, un débat parlementaire approfondi doit avoir lieu
pour éclairer les Françaises et les Français, comme nous l’avons eu sur le début
du texte.
M.
Meyer Habib. Très bien !
M.
Philippe Vigier. Pour autant, je veux le dire avec force à certains de
nos collègues : répondre, cher André Chassaigne, à l’affaiblissement du
Parlement par son avilissement, à travers une obstruction parlementaire,
paralysera notre institution. Nous paierons collectivement cette erreur !
(M. Meyer Habib applaudit.)
J’en appelle
également à un peu plus d’humilité : s’attaquer au système des retraites,
Éric Woerth pourra en témoigner, n’est pas chose aisée. Nous avons dû légiférer
à plusieurs reprises, et je me souviens de François Hollande, qui n’a pas tenu
sa promesse sur la retraite à 60 ans.
M.
Thierry Benoit. Impossible à tenir !
M.
Philippe Vigier. Rappelons que c’est un gouvernement socialiste qui a
augmenté la durée de cotisations à 43 ans ! Tout cela pour dire que
nos débats doivent être à la hauteur des attentes.
Au-delà de la
précipitation imposée par le Gouvernement, le manque de confiance se traduit par
des incertitudes immenses et des lacunes évidentes.
Le recours sans
précédent aux ordonnances – j’ai interrogé deux fois le Premier ministre
sur le sujet, sans obtenir de réponse – vient priver l’Assemblée nationale
de débat sur des pans entiers de ces projets de loi.
M.
Meyer Habib. Très bien !
M.
Philippe Vigier. Le champ de ces ordonnances couvre aussi bien
l’intégration de certains régimes, comme celui des marins, dans le système
universel, que les modalités de convergence des cotisations pour les
fonctionnaires et les salariés des régimes spéciaux. Ces ordonnances, monsieur
le secrétaire d’État, nuisent à la lisibilité de la réforme et minent la
confiance : je suis persuadé que vous partagez ce diagnostic au fond de
vous-même. L’avis du Conseil d’État, qui juge l’étude d’impact bâclée, renforce
la défiance.
L’incompréhension naît aussi des concessions qui, accordées
à certains – aux navigants aériens, par exemple –, conduisent le
Conseil d’État à parler d’un « système universel avec cinq régimes
différents », comprenant des règles dérogatoires.
Plus
incompréhensible encore, des négociations sont toujours en cours entre le
Gouvernement et les partenaires sociaux. Elles ont eu lieu en parallèle de nos
travaux en commission, elles continuent à l’heure où nous parlons et elles se
prolongeront, pour certaines d’entre elles, à l’issue de la promulgation de la
loi ! Autrement dit, nous avançons dans le noir pour le financement,
l’emploi des seniors, la garantie des pensions et des salaires des
fonctionnaires, les cotisations des indépendants et la pénibilité, dont certains
syndicats demandent, à juste titre, qu’elle soit enfin prise en compte. Il
s’agit de sujets essentiels à l’efficacité et l’acceptabilité de la
réforme.
Des annonces du Gouvernement, faites pendant nos travaux, ont
troublé et apporté de la confusion à ceux-ci, monsieur le secrétaire d’État.
Certaines d’entre elles sont de nature à nous rassurer, comme la possibilité, à
laquelle Jacques Maire tient beaucoup, d’une retraite progressive à 60 ans.
D’autres, en revanche, ne font qu’ajouter de la confusion à la confusion, à
l’image de la fameuse introduction d’un indicateur inconnu – nous avons
fait des recherches, mais nous ne l’avons toujours pas trouvé –, sur lequel
se fondera la valeur du point. Or, dans un système à points, la confiance est
celle que l’on a dans la valeur du point, que vous adossez à une donnée qui
n’existe pas : encore une preuve d’impréparation !
Comme cela a
été dit, nous allons débattre, mes chers collègues, d’un texte qui porte sur
près de 350 milliards d’euros, soit 14 % du PIB. Je ne suis pas le
seul à m’interroger sur la « faisabilité financière » du projet de
loi ; ainsi, des collègues du groupe de La République en marche, dont le
rapporteur général du budget, ont posé, dans un courrier envoyé au Premier
ministre, de nombreuses questions portant sur la compensation financière pour
les enseignants et chercheurs, l’impact des prélèvements sur les cotisations
assises sur les primes des fonctionnaires, les conséquences de la baisse des
cotisations de l’État employeur pour les aligner sur le régime universel et les
répercussions du texte sur les comptes de la sécurité sociale. Les mesures sont
renvoyées à une conférence de financement, dont les conclusions seront rendues
fin avril et dont l’objectif est de résorber le déficit du système de pensions,
estimé à 12 milliards d’euros en 2027. Compte tenu de l’ampleur de ce
déficit, un ensemble de solutions fondées sur un effort partagé par tous nous
paraît plus efficace, plus équitable et plus à même de recueillir un plus large
consensus, conditions indispensables pour créer la confiance.
Des
modalités pourraient être prévues pour que l’âge pivot ne s’applique pas de
manière automatique et indifférenciée, mais prenne en compte des situations
particulières, comme la pénibilité, la longueur des carrières et les situations
de handicap. Le groupe Libertés et territoires dit oui à l’équilibre du système,
principe fondamental, mais également à son équité : l’effort doit être
proportionnel aux capacités de chacun, au travers de dispositifs progressifs et
redistributifs.
Monsieur le secrétaire d’État, vous l’aurez compris,
votre projet de loi est perfectible. Notre groupe a fait le choix d’être
responsable, déposant à peine plus de quatre-vingts amendements. Néanmoins, je
partage l’émotion de ma collègue Jeanine Dubié face au constat que nombre
d’entre eux ont été déclarés irrecevables. Où est le Parlement dans de telles
conditions ?
Si notre groupe a des critiques à formuler, il a aussi
des propositions, que nous avons déjà avancées, tout d’abord sur la gouvernance.
Il faut faire confiance au paritarisme et se garder d’une étatisation de la
démocratie sociale ; dans ce domaine, le modèle de l’AGIRC-ARRCO doit nous
inspirer. Or le respect d’une règle d’or budgétaire et l’ajustement automatique
des paramètres à l’espérance de vie contraindront fortement les décisions.
L’approbation par décret limitera le rôle des syndicats, d’où notre demande
d’associer le Parlement. Comme l’ont dit des responsables syndicaux que nous
auditionnions il y a quelques jours, la démocratie parlementaire et la
démocratie sociale doivent se compléter, afin de garantir plus de transparence,
ainsi que la confiance des assurés dans leur système de retraite.
Les
dispositifs de solidarité peuvent également être améliorés. Nous regrettons,
monsieur le secrétaire d’État, la double condition posée à l’accès au minimum de
pension, à savoir l’obligation d’être assuré depuis quarante-trois ans et de
prendre sa retraite à 65 ans, le fameux âge d’équilibre. Cette double
exigence se fera au détriment des personnes ayant eu une carrière longue et de
faibles revenus.
M.
André Chassaigne. Eh oui !
M.
Philippe Vigier. Par ailleurs, pourquoi attendre 2025 pour faire passer
le minimum retraite des non-salariés agricoles de 75 à 85 % du SMIC, alors
que leurs pensions ne dépassent pas 750 euros en moyenne, niveau situé bien
en deçà du seuil de pauvreté ?
M.
André Chassaigne. Très juste !
M.
Philippe Vigier. Rappelons, en outre, que le minimum contributif
atteint aujourd’hui 970 euros, ce qui relativise grandement la portée de
cette mesure au-delà des agriculteurs et des indépendants.
S’agissant des
droits familiaux, le dispositif clé du projet de loi consiste à attribuer pour
chaque naissance une majoration de 5 % des points acquis ; en outre,
une majoration supplémentaire de 1 % sera allouée à chaque parent d’au
moins trois enfants. Pourtant, deux dispositifs se complètent aujourd’hui :
une majoration de trimestre dès le premier enfant et une majoration de pension
de 10 % à partir du troisième enfant. Nous craignons que ce système soit
défavorable pour les parents d’au moins trois enfants.
Enfin, sans
vouloir être exhaustif, nous aurions pu aller plus loin dans la prise en compte
des spécificités des aidants et des travailleurs handicapés, dont le taux
d’emploi est plus faible que celui du reste de la population. Nous en attendons
également davantage sur le départ anticipé ou la bonification des points. Nous
regrettons que certaines situations soient écartées et nous proposons d’octroyer
des points de solidarité aux sapeurs-pompiers volontaires ou aux responsables
associatifs, afin de valoriser l’engagement citoyen, qui nécessite souvent de
sacrifier sa carrière, donc sa retraite.
M.
Yannick Favennec Becot. Très bien !
M.
Philippe Vigier. De même, nous proposons, pour la prise en compte de la
pénibilité, la signature d’accords de branche déterminant l’exposition aux
quatre facteurs de pénibilité, exclus depuis 2017.
(M. Stéphane Peu applaudit.)
M.
André Chassaigne. Très bien !
M.
Philippe Vigier. Vous le voyez, monsieur le secrétaire d’État, des
inquiétudes doivent être levées dans ce texte, dont les pistes d’amélioration
sont nombreuses. Voilà pourquoi nous voulons aller au bout du débat
parlementaire. La balle est dorénavant dans votre camp ! Surtout, je vous
le dis avec beaucoup de gravité, ne recourez pas au 49-3. Le recours à cet
article, j’en ai fait l’expérience, ça finit toujours très mal ! J’étais à
cette même tribune lorsque le Président de la République était à votre place et
que la loi dite Macron a été adoptée avec le 49-3 : vous avez vu comment
tout cela s’est terminé ! Il faut prolonger le débat et purger la
discussion parlementaire, parce qu’on ne peut pas en priver la représentation
nationale et parce que les Français nous regardent.
M.
André Chassaigne. Excellent, monsieur Vigier !
M.
Philippe Vigier. Il s’agit de leur avenir et des cinquante prochaines
années ! Je vous demande de réfléchir à l’utilisation des ordonnances,
d’associer les groupes parlementaires et de peser de tout votre poids, monsieur
le secrétaire d’État, pour qu’un vrai débat ait lieu, car la cohésion sociale se
crée, comme l’a très bien fait le Conseil national de la Résistance, dans la
confiance et non dans la défiance. (Applaudissements sur les bancs du groupe
LT, ainsi que sur quelques bancs des groupes LR et GDR.)
M.
André Chassaigne. C’est une bonne intervention, il faut le
reconnaître !
M.
le président. La parole est à Mme Clémentine Autain.
Mme
Clémentine Autain. Monsieur le secrétaire d’État, votre projet est un
enterrement de droits arrachés dans les grandes heures de conquêtes sociales de
notre pays. C’est une liquidation des mécanismes de solidarité et un tapis rouge
pour les fonds de pension privés. C’est une lame de mépris pour la majorité des
Français, qui s’opposent à votre nouveau régime. C’est un bras d’honneur adressé
à tous les secteurs de la société qui crient leur colère depuis plus de deux
mois, au prix de jours et de jours de salaire en moins, quand ce n’est pas un
œil qui est perdu.
M.
Alexis Corbière. Elle a raison !
Mme
Clémentine Autain. Votre projet est une claque aux parlementaires, qui,
transformés en paillassons, doivent examiner, selon la procédure d’urgence et
sur la base d’une étude d’impact délirante, un texte à vingt-neuf trous, portant
sur des points structurants de la réforme, que l’exécutif remplira selon son bon
vouloir. Votre réforme représente aussi un pied de nez au Conseil d’État, qui a
jugé sévèrement votre texte, mal ficelé, lacunaire et sans visibilité
financière.
Pourtant, vous vous obstinez. Vous vous obstinez à imposer
une usine à gaz dont tout le monde aura compris le résultat, fort simple au
demeurant : allongement exponentiel de la durée de cotisation et baisse
programmée des pensions. Voilà où vous conduit l’univers des 3 % de
déficit, seuil arrêté sur un coin de table par des technocrates, mais transformé
en règle d’or à Bruxelles.
Mettre davantage de richesses en commun et
réduire le temps de travail pour que toutes et tous puissent partir à
60 ans, avec une pension équivalant au moins au SMIC pour une carrière
complète (Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe FI), et ne
laisser personne en dessous du seuil de pauvreté, vous n’y pensez pas !
Non, il faut raboter et faire payer ceux, et plus encore celles, qui triment
déjà, quand le monde de la finance se gave sans entraves et que les hyper-riches
empochent vos réductions fiscales.
Vous avez donc imaginé une grande
refonte du système pour passer d’un régime à prestations définies à un régime à
cotisations définies. Avec vous, on saura ce que l’on cotise, mais on ignorera
le montant et le moment de la pension. Autant dire que vous créez une grande
loterie ! Vous ne savez d’ailleurs toujours pas comment se calculera la
valeur du point : c’est dire que votre dogmatisme n’a d’égal que votre
amateurisme.
C’est en chemin, en commission spéciale, alors que nous vous
interrogions, qu’est sorti du chapeau « le revenu d’activité moyen »,
indice inconnu de l’INSEE que vous intégrez dans le calcul de la valeur du
point, au chausse-pied, au dernier moment, et même pas partout, puisqu’il ne
figure pas à la fin du texte : c’est totalement kafkaïen ! Et du
chapeau, toujours au moment de l’examen du texte par la commission spéciale,
voici que débarque, alors que les avocats jettent leur robe, un abattement
fiscal de 30 % pour les indépendants, compensation imaginée en dernière
minute, n’importe comment. Et tant pis si on déshabille la sécurité sociale pour
habiller la hausse drastique des cotisations de retraite des
indépendants !
M.
Jean-Luc Mélenchon. Voilà !
Mme
Clémentine Autain. Mais si vous cherchez des sous, monsieur le
secrétaire d’État, pourquoi ne pas intégrer les revenus du capital dans
l’assiette des cotisations ? (Mme Caroline Fiat
applaudit.) En appliquant le taux du régime général, 28 %, nous
pourrions mettre 25,6 milliards d’euros au pot commun des retraites. Mais
vous, vous avez choisi de fragiliser davantage les retraites des femmes et de
tous ceux qui travaillent durement, qui gagnent peu et qui ont des carrières
précaires, hachées et pénibles. Ce sont elles, ce sont eux qui paieront demain
l’addition. Quand vous vous adressez à eux et à nous, vous dites que cette
réforme apportera une liberté de choix. Mais de quelle liberté parlez-vous,
monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues ? Celle de choisir entre
une retraite de misère et la mort au travail ? (Exclamations sur
quelques bancs du groupe MODEM.)
Mme
Muriel Ressiguier. Eh oui !
Mme
Clémentine Autain. En réalité, notre liberté, celle du grand nombre,
n’entre pas dans le cadre de votre libéralisme économique. Quant à l’égalité,
elle ne se satisfait absolument pas de l’équité, qui en est un sous-produit. Au
fond, ce que vous organisez, c’est une grande, une immense régression
sociale !
Puisque nous revenons en arrière, je citerai ces mots de
Jean Jaurès, qu’il a prononcés ici même, en 1910 : « De la magnifique
idée d’assurance sociale, qui crée pour tous les salariés un droit certain,
intangible, sans humiliation, sans condition, nous retombons à une loi d’aumône
et d’arbitraire, où le bon plaisir des autorités distribuera quelques miettes à
des pauvres choisis. »
Chers collègues de la majorité, je vous le
dis : face à ce désastre, face à cette destruction de notre régime de
retraite, nous sommes là ! Même si vous ne le voulez pas, nous sommes
là ! (Applaudissements sur les bancs des groupes FI et SOC.
– M. Gabriel Serville applaudit
également.)
Mme
Caroline Fiat. Bravo !
M.
le président. La suite de la discussion est renvoyée à la prochaine
séance.
2
Ordre du jour de la prochaine séance
M.
le président. Prochaine séance, ce soir, à vingt et une heures
trente :
Suite de la discussion du projet de loi instituant un
système universel de retraite et du projet de loi organique relatif au système
universel de retraite.
La séance est levée.
(La séance est levée à vingt heures.)
Le Directeur du service du compte rendu de la séance
de
l’Assemblée nationale
Serge Ezdra
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