Assemblée nationale XVe législature Session
ordinaire de 2019-2020
Compte rendu intégral
Première séance du samedi 22 février 2020
SOMMAIRE
Présidence
de M. Richard Ferrand
1.
Système universel de retraite
Discussion
des articles (suite)
Article 1er
(suite)
Amendements nos 1673,
1676, 1677, 1680, 1682, 1683, 1685, 1687, 1688, 1689, 1690, 1694, 1766, 1886,
1888, 1890, 1891
M. Nicolas
Turquois, rapporteur de la commission spéciale
Amendements nos 2543
, 3956
M. Laurent
Pietraszewski, secrétaire d’État chargé des retraites
Amendements nos 25616,
25619, 25620, 25621, 25622, 25623, 25624, 25625, 25626, 25627, 25628, 25629,
25630, 25632, 25633, 25634 , 42269
(sous-amendement) , 3726
, 3911
, 24615
, 7
, 20393
Rappel
au règlement
M. Bastien
Lachaud
Article 1er
(suite)
Amendements nos 25618,
25650, 25651, 25652, 25653, 25654, 25655, 25656, 25657, 25658, 25659, 25660,
25661, 25662, 25663, 25664 , 42171
(sous-amendement) , 25617,
25635, 25636, 25637, 25638, 25639, 25640, 25641, 25642, 25643, 25644, 25645,
25646, 25647, 25648, 25649 , 42501
(sous-amendement)
Rappel
au règlement
Mme Clémentine
Autain
M. le
président
Article 1er
(suite)
Rappel
au règlement
M. Sébastien
Jumel
Article 1er
(suite)
Amendement no 10043
Présidence
de M. Sylvain Waserman
Amendements nos 2548
, 23160,
23161, 23162, 23163, 23164, 23165, 23166, 23167, 23168, 23169, 23170, 23171,
23172, 23173, 23174, 23175, 23176 , 42100
(sous-amendement) , 42101
(sous-amendement) , 42102,
42153, 42155 (sous-amendements) , 42133
(sous-amendement) , 42154
(sous-amendement)
Suspension
et reprise de la séance
Amendements nos 23852
, 42502
(sous-amendement) , 42044
(sous-amendement) , 42065,
42041 (sous-amendements) , 42014
(sous-amendement)
Fait
personnel
M. Frédéric
Petit
Article 1er
(suite)
M. Guillaume
Gouffier-Cha, rapporteur général de la commission spéciale
Mme Brigitte
Bourguignon, présidente de la commission spéciale
Suspension
et reprise de la séance
Amendements nos 24531
, 27394
, 24527
, 27357
, 1892,
1895, 1898, 1900, 1901, 1903, 1904, 1905, 1909, 2890, 2891, 2892, 2893, 2894,
2895, 2896, 2898
Rappel
au règlement
Mme Caroline
Fiat
M. le
président
Fait
personnel
Mme Caroline
Fiat
Article 1er
(suite)
Rappels
au règlement
M. Boris
Vallaud
M. Jean-Luc
Mélenchon
M. Éric
Woerth
Article 1er
(suite)
Rappels
au règlement
M. Guillaume
Larrivé
M. Marc
Fesneau, ministre chargé des relations avec le Parlement
M. Sébastien
Jumel
M. Jean-Luc
Mélenchon
Mme Laurence
Dumont
M. Éric
Woerth
M. Gilles
Le Gendre
M. Philippe
Vigier
M. Patrick
Mignola
M. Jean-Luc
Mélenchon
M. le
président
M. Marc
Fesneau, ministre
Mme Brigitte
Bourguignon, présidente de la commission spéciale
2.
Ordre du jour de la prochaine séance
Présidence de
M. Richard Ferrand
M. le
président. La séance est ouverte.
(La séance est ouverte à neuf heures.)
1
Système universel de retraite
Suite de la discussion d’un projet de loi
M. le
président. L’ordre du jour appelle la suite de la discussion du projet
de loi instituant un système universel de retraite
(nos 2623 rectifié, 2683).
Discussion des articles (suite)
M. le
président. Hier soir, l’Assemblée a poursuivi la discussion des articles
du projet de loi, s’arrêtant à l’amendement no 1673 à
l’article 1er.
Article 1er (suite)
M. le
président. Je suis saisi de dix-neuf amendements identiques :
dix-sept amendements déposés par les membres du groupe La France insoumise, les
nos 1673 et identiques, ainsi que les amendements nos
2543 et 3956.
Sur ces amendements identiques, je suis saisi par le groupe
La France insoumise d’une demande de scrutin public.
Le scrutin est
annoncé dans l’enceinte de l’Assemblée nationale.
La parole est à
Mme Clémentine Autain, pour soutenir l’amendement no 1673
et les seize identiques déposés par le groupe La France insoumise.
Mme
Clémentine Autain. Cet amendement vise à supprimer l’alinéa 5 de
l’article 1er, qui porte sur le principe d’universalité du
nouveau système de retraite.
Comme nous l’avons déjà dit, nous
nous opposons à ce que ce principe soit inscrit dans le projet de loi alors
qu’il n’a rien d’universel. Le rapporteur Turquois a d’ailleurs reconnu lui-même
que le système n’était pas parfaitement universel.
Il ne l’est pas, en
effet, et tout d’abord du fait de l’instauration d’un âge d’équilibre.
Désormais, pour chaque génération, le calcul du point sera différent.
Chaque génération aura donc un système de retraite différent.
Le système
n’est pas non plus universel du fait de l’ouverture progressive de régimes
spécifiques. Le Gouvernement est bien obligé de reconnaître que certaines
professions devront bénéficier de régimes différents et partir plus tôt à la
retraite. Les cas sont pour l’instant limités, mais nous savons d’ores et déjà
que les conducteurs routiers, les personnels navigants, les policiers et les
sapeurs-pompiers feront l’objet de régimes spécifiques, sans parler de ce que
vous avez inventé en cours de route pour les indépendants. Pour que ces derniers
puissent rentrer dans le régime général, le Gouvernement a imaginé une baisse de
la CSG – contribution sociale généralisée. Cela revient là encore à créer
un régime spécifique, que nous contestons tout particulièrement : vous
déshabillez la sécurité sociale pour habiller les caisses de
retraite.
Tout cela n’est ni fait ni à faire. Nous demandons que l’on
arrête de raconter n’importe quoi : le système de retraite qui nous est
proposé n’est pas universel.
M. le
président. La parole est à M. Nicolas Turquois, rapporteur de la
commission spéciale pour le titre Ier, pour donner l’avis de la
commission.
M. Nicolas
Turquois, rapporteur de la commission spéciale. Bonjour à tous,
chers collègues !
Madame Autain, vous rappelez sans cesse les
propos que j’ai tenus, et je confirme : l’universalité du système n’est pas
parfaite, c’est un cap, un objectif. J’assume la modestie avec laquelle nous
avançons. Nous devons, tous ensemble, travailler à l’amélioration de la
situation existante.
Je ne peux qu’être opposé à l’idée que cet objectif
soit retiré de l’alinéa 5 : il constitue le cœur de notre réforme. Le
système actuel souffre de nombreuses iniquités, puisqu’il prévoit des trimestres
ou des points selon les cas, et même que certains trimestres ne sont pas validés
si l’on n’a pas cotisé 150 heures. Le système universel de retraite
permettra au contraire de cumuler des points de manière homogène dès la première
heure travaillée. Avis défavorable.
M. le
président. Je vous prie de m’excuser, j’avais omis de donner la parole
aux auteurs des deux derniers amendements identiques.
La parole
est à Mme Laurence Dumont, pour soutenir l’amendement
no 2543.
Mme Laurence
Dumont. L’alinéa 5, qui affirme l’objectif d’équité de la réforme,
donne l’impression que la pension perçue par un assuré dès l’âge légal de la
retraite sera égale au nombre de points de retraite multiplié par la valeur du
point. En réalité, elle sera égale au nombre de points acquis multiplié par la
valeur du point moins ce que le projet de loi appelle le « coefficient
d’ajustement », qui est en vérité un malus. Ce malus s’appliquera dans des
conditions qui rompent l’équité affichée par le Gouvernement puisqu’il
concernera toutes les personnes qui partiront à la retraite avant l’âge
d’équilibre, défini, lui, pour chaque génération.
Prenons, par exemple,
le cas d’un retraité qui a commencé à travailler à 21 ans et a cotisé
pendant quarante-trois ans sur la base d’un salaire égal à
1,5 SMIC.
Avec le système de retraite actuel, ce salarié partira
avec une retraite à taux plein et sans malus à 64 ans puisqu’il a cotisé
pendant les quarante-trois ans requis.
Avec le système du Gouvernement,
si par malheur il entre en vigueur, le malus ne dépendra plus de la durée de
cotisation mais de l’âge d’équilibre. Ainsi, à 64 ans, ce même retraité
partira un an avant l’âge d’équilibre, fixé à 65 ans pour sa génération, et
verra donc sa retraite minorée de 5 %.
Je vous épargne, chers
collègues, l’intégralité des calculs. Sachez seulement que ce retraité qui a
cotisé pendant quarante-trois ans sur la base d’un salaire égal à 1,5 SMIC
perdra 828 euros par an du fait de l’instauration de l’âge
d’équilibre.
Voilà la raison pour laquelle nous demandons le retrait de
la mention d’un objectif d’équité qui est loin d’être atteint.
M. le
président. La parole est à Mme Emmanuelle Ménard, pour soutenir
l’amendement no 3956.
Mme
Emmanuelle Ménard. Il vise également à supprimer l’alinéa 5, qui
affirme l’équité de votre système.
Où est l’équité quand les réserves des
complémentaires de retraite vont être vidées, leurs bénéficiaires spoliés ?
On parlait même, jeudi dernier, de puiser dans le Fonds de réserve pour les
retraites…
Où est l’équité si les professions libérales voient leur taux
de cotisation quasiment doubler alors que d’autres professions sont
intégralement indemnisées des hausses de cotisation ?
Où est
l’équité alors que les avocats les plus modestes verront leurs cotisations
augmenter et leurs pensions diminuer ? La fragilisation de cette profession
risque de mettre en péril notre système de justice lui-même. Ce n’est pas moi
qui le dis, mais le cabinet Ernst & Young, qui explique qu’avec la réforme
du Gouvernement, un avocat qui touche aujourd’hui 1 892 euros de
pension de retraite ne touchera plus demain que
1 633 euros.
Bref, il n’y a pas d’équité. Par ailleurs, le
principe « à cotisation égale, pension égale » s’accompagne d’un tel
nombre de dérogations qu’il est vidé de son sens. Pour ces différentes raisons,
il convient de supprimer l’alinéa 5.
M. le
président. La parole est à M. le secrétaire d’État chargé des
retraites, pour donner l’avis du Gouvernement.
M. Laurent
Pietraszewski, secrétaire d’État chargé des retraites. Depuis une
semaine, nous avons abordé à de nombreuses reprises la question de
l’universalité du système de retraite, mais aussi la situation des avocats. J’ai
rappelé hier soir qu’il existe déjà, dans le système actuel, une décote et une
surcote, ainsi qu’une proratisation en cas de liquidation des droits à retraite
avant d’avoir atteint la durée d’activité requise : autant de dispositifs
que personne ne découvre et qui ne font pas du système actuel un système
inéquitable. Notre objectif est simplement de l’améliorer et de le rendre plus
solidaire, ce que nous ferons avec le projet de loi. Avis défavorable.
M. le
président. La parole est à M. Bastien Lachaud.
M. Bastien
Lachaud. En effet, monsieur le secrétaire d’État, nous avons longuement
débattu de ces sujets, mais quelle réponse apportez-vous à l’avis exprimé par le
Conseil d’État sur l’équité de la réforme ?
Le Conseil d’État relève
que « l’objectif selon lequel " chaque euro cotisé ouvre les mêmes
droits pour tous " reflète imparfaitement la complexité et la diversité des
règles de cotisation ou d’ouverture de droits définies par le projet de
loi ». Cet avis est en complète contradiction avec l’alinéa 5 de
l’article 1er. De deux choses l’une, ou vous nous dites que le
Conseil d’État s’est trompé, ou alors il faut supprimer l’alinéa.
Votre
réponse est importante, monsieur le secrétaire d’État, car il est
essentiel de savoir si le nouveau système de retraite sera équitable.
Quant à la question de savoir ce qu’est l’équité, je n’entrerai
pas dans le débat. Il est simple de dire ce qu’est l’égalité – un égale
un – et elle est d’ailleurs inscrite dans la devise de notre République.
L’équité, en revanche, est un concept beaucoup plus flou et moins bien
défini.
Nous attendons donc avec impatience votre réponse à l’avis du
Conseil d’État, une institution qui, comme l’a relevé la presse, n’est pas
composée d’amateurs, mais de serviteurs de l’État.
M. le
président. La parole est à M. Boris Vallaud.
M. Boris
Vallaud. Il est utile, en effet, de rappeler que, selon le Conseil
d’État, certaines des situations actuelles sont justifiées au regard du principe
d’égalité. En revanche, il a émis de sérieux doutes sur les situations
différentes que le projet de loi consacre. La réforme du Gouvernement est tout
sauf universelle. Vous allez multiplier les régimes spéciaux, les situations
particulières, les inégalités et les iniquités, au point que le Conseil d’État
ne se dit pas capable de garantir la conformité du texte avec la jurisprudence
du Conseil constitutionnel relative au principe d’égalité.
À travers des
cas d’espèce comme celui qu’a présenté Laurence Dumont comme dans le débat sur
les principes généraux, nous avons eu l’occasion de souligner que le principe
« un euro cotisé ouvre les mêmes droits » sera loin d’être la norme.
Il souffre déjà de nombreuses exceptions : les générations nées avant 1975,
les retraités en cumul d’emplois avant l’âge pivot, les artisans, qui auront un
taux de rendement réel bien inférieur à celui des salariés…
Nous avons eu
également l’occasion d’évoquer les différences de taux de remplacement au sein
d’un même régime, en fonction des situations – je vous renvoie sur ce point
aux tableaux 64 et suivants de l’étude d’impact – mais aussi,
hier, les 1 % de Français les plus riches exonérés de cotisations, soit une
entorse majeure au principe d’équité.
M. le
président. La parole est à M. Frédéric Petit.
M. Frédéric
Petit. Une fois de plus, nous nous éloignons de l’amendement. Ce que
vous proposez à la nation française, chers collègues, c’est de ne pas inscrire
l’objectif d’équité dans le projet de loi. Je suis surpris que vous votiez cela.
Si vous voulez discuter de l’avis du Conseil d’État, faisons-le à l’article
concerné !
Vous allez voter pour que la nation française ne
poursuive pas un objectif d’équité.
M. Bastien
Lachaud. Exactement ! Parce que nous sommes pour
l’égalité !
M. Frédéric
Petit. Ce sont des postures d’affichage regrettables. (Exclamations
sur les bancs des groupes GDR et FI.) Mais oui ! Vous voulez supprimer
la mention d’un objectif d’équité qui est quasiment est inscrit dans la
Constitution ! Je ne comprends pas comment vous pouvez voter cela.
Plusieurs députés du groupe
FI. C’est l’égalité, qui est inscrite dans la Constitution !
M. le
président. La parole est à M. Pierre Dharréville.
M. Pierre
Dharréville. Je crois au contraire que nous parlons bien du fond de
l’alinéa 5. Celui-ci expose le principe d’équité et affirme que chaque euro
cotisé doit ouvrir les mêmes droits.
Bastien Lachaud a rappelé à
l’instant que le Conseil d’État a critiqué cette disposition, ce dont vous
n’avez pas tenu compte.
M. Laurent
Pietraszewski, secrétaire d’État. Si.
M. Pierre
Dharréville. Ah ? Avez-vous ajouté une petite formule dans le
texte ? Il me semble, quant à moi, que vous n’en avez pas tenu compte, mais
si je me trompe, je suis prêt à écouter votre démonstration.
Reste que je
conteste ce principe même que chaque euro cotisé doit ouvrir les mêmes droits.
Certes, vous ne le mettez pas en œuvre, parce que c’est tout bonnement
impossible : les différentes adaptations et exceptions évoquées au cours du
débat en témoignent. Mais s’il devait réellement être appliqué, ce serait
préoccupant et porterait atteinte au principe fondateur de la sécurité
sociale : « de chacun selon ses moyens à chacun selon ses
besoins ». Nous serions alors dans une logique de rente viagère calquée sur
l’espérance de vie, dans laquelle chacun devrait retrouver ce qu’il a cotisé.
Tel est bien, si on le pousse jusqu’à l’extrême, le sens du principe « un
euro cotisé doit ouvrir les mêmes droits ».
Ce slogan n’est rien
d’autre que de l’enfumage. Ses différentes implications doivent être
décortiquées. Il ne mérite pas de figurer parmi les objectifs d’un projet de loi
sur les retraites.
J’ajoute que le Conseil d’État indique, page 9 de
son avis sur le présent texte, que le système actuel, contrairement à ce qui est
dit parfois, n’est pas en rupture avec le principe d’égalité inscrit dans la
Constitution.
M. Bastien
Lachaud. Exactement !
M. Pierre
Dharréville. Ni le Conseil d’État, ni le Conseil constitutionnel ne
considèrent que le système actuel de retraite porte atteinte au principe
d’égalité. Or c’est l’un des fondements sur lesquels vous avez construit votre
réforme, en prétendant vous attaquer à je ne sais quels privilèges. C’est
pourquoi nous pensons que cet objectif doit être retiré du texte.
M. le
président. La parole est à Mme Cendra Motin.
Mme Cendra
Motin. J’aimerais juste rappeler qu’en votant la loi sur les retraites
de 2013, nos amis socialistes avaient cité les objectifs que la nation assignait
au système par répartition. Parmi eux, l’un des premiers était celui d’équité.
Je trouve un peu étonnant que vous le contestiez aujourd’hui.
Venait
ensuite la réduction des écarts de pensions entre les hommes et les femmes. Avec
42 % d’écart, je n’ai pas l’impression que vous ayez tellement réussi.
M. Boris
Vallaud. C’était 106 % auparavant !
Mme Cendra
Motin. Autre objectif : le maintien d’un niveau de vie
satisfaisant. Vous qui nous faites aujourd’hui un procès d’intention sur le mot
« digne », je suppose qu’il en a été de même pour vous à l’époque à
propos du mot « satisfaisant ». Mais peut-être n’en faites-vous plus
cas…
Enfin, l’article 1er visait également un niveau
élevé d’emploi des salariés âgés : force est de constater que vous avez, là
aussi, échoué dans les grandes largeurs. (Applaudissements sur de nombreux
bancs du groupe LaREM.)
Nous aurions bien aimé alors avoir
connaissance de l’avis du Conseil d’État sur votre texte. Hélas, trois fois
hélas, à l’époque ces avis n’étaient pas publics ! (Applaudissements sur
de nombreux bancs du groupe LaREM et quelques bancs du groupe
MODEM.)
M. le
président. Je mets aux voix les amendements nos 1673 et
identiques.
(Il est procédé au scrutin.)
M. le
président. Voici le résultat du
scrutin :
Nombre de
votants 62
Nombre
de suffrages
exprimés 59
Majorité
absolue 30
Pour
l’adoption 9
Contre 50
(Les amendements identiques nos 1673 et
identiques, 2543 et 3956 ne sont pas adoptés.)
M. Rémy
Rebeyrotte. C’est serré ! (Sourires.)
M. le
président. Je suis saisi de seize amendements identiques,
nos 25616 et identiques, déposés par les membres du groupe de la
Gauche démocrate et républicaine. Ils font l’objet d’un sous-amendement
no 42269.
La parole est à M. Hubert Wulfranc, pour
soutenir les amendements.
M. Hubert
Wulfranc. En répondant à ces amendements, il va falloir tout de même que
vous nous disiez, monsieur le secrétaire d’État, pourquoi vous voulez appliquer
le même système à des citoyens qui ne sont égaux ni dans leur vie
professionnelle, ni dans leur vie de retraité. C’est vrai bien sûr en matière
salariale mais aussi en matière de conditions de travail, de vie familiale et
d’espérance de vie.
Vous nous dites qu’un euro cotisé ouvrira les mêmes
droits, mais c’est un slogan proprement absurde, qui remet en cause le principe
même de la redistribution. Il est pourtant simple de comprendre que dans un
système par répartition, un système redistributif, il est normal de faire
cotiser davantage un salarié qui perçoit dix fois le SMIC qu’un salarié qui n’en
perçoit qu’un, et qu’il est normal de faire partir en retraite à taux plein ceux
qui ont des métiers pénibles avant les autres ! Il serait simple
d’introduire parmi les critères celui de l’espérance de vie par
métier.
Votre système est clairement absurde au regard de l’équité et
décalé par rapport à la vie réelle, au travail et après. C’est pourquoi nous
avons déposé ces amendements.
M. le
président. La parole est à M. Boris Vallaud, pour soutenir le
sous-amendement no 42269.
M. Boris
Vallaud. Je vois que les députés de la majorité comme le secrétaire
d’État au banc du Gouvernement sont souvent plus habiles à expliquer ce qui a
été fait ou non qu’à expliquer la réforme en cours, et c’est assez distrayant à
entendre. Mais ce n’est pas nouveau : on dirait Mme Buzyn parlant de
l’hôpital, nous expliquant qu’elle n’y était pour rien, que ce n’était pas elle.
Ce n’était d’ailleurs tellement pas elle qu’elle n’est pas restée, considérant
sans doute que le travail était accompli. (Exclamations sur les bancs du
groupe LaREM.) N’en soyez pas gênés, chers collègues de la majorité !
C’est juste factuel !
M. Rémy
Rebeyrotte. Revanchard !
M. Boris
Vallaud. Il est proposé de remplacer, à l’alinéa 2 de l’amendement,
les mots « une inégalité », par les mots « les inégalités ».
Le pluriel se justifie puisque, cela a été dit, il y a plusieurs
inégalités.
Ce que se demandent les Français, c’est si ce sera mieux
demain, plus juste et plus équitable, puisque c’est la promesse du
Gouvernement.
M. Sylvain
Maillard. Oui !
M. Boris
Vallaud. Prenons deux cas, deux personnes nées la même année, en 2005,
et comptant quarante-trois années de cotisation – même si je sais qu’il n’y
a plus de critère de durée, sauf pour le minimum vieillesse. La première aura
commencé à travailler à 20 ans et partira donc à 63 ans, avec un malus
de 10 %. La seconde, qui aura commencé à travailler à 24 ans, partira,
après la même durée d’activité, à 67 ans avec un bonus de 10 %. Voilà
la justice selon votre projet.
M. le
président. Quel est l’avis de la commission sur les amendements et le
sous-amendement ?
M. Nicolas
Turquois, rapporteur. Selon leur texte même, ces amendements nous
proposent de voter « un objectif d’iniquité afin de garantir une inégalité
entre les sexes et les générations ». Ce n’est pas sérieux. Cela montre un
mépris du travail parlementaire. Avis absolument défavorable.
(Applaudissements sur de nombreux bancs du groupe LaREM.)
M. le
président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. Laurent
Pietraszewski, secrétaire d’État. Cela fait peut-être des
dizaines d’heures que certains députés reviennent sur l’avis du Conseil d’État
avec, à chaque fois, beaucoup d’imprécisions et d’inexactitudes.
Mme Laurence
Dumont. Ce n’est rien à côté de votre texte !
M. Laurent
Pietraszewski, secrétaire d’État. Je rappelle comment fonctionne
le Conseil d’État en tant que conseil juridique du Gouvernement : il
propose une analyse au Gouvernement, qui ensuite se l’approprie. À chaque fois
que vous expliquez que le Conseil d’État a dit quelque chose, vous oubliez de
préciser que le Gouvernement par la suite en a tenu compte dans le texte. C’est
tout de même très préoccupant parce que vous occultez alors une part très
importante de la vérité.
M.
Jean-Paul Mattei. Exactement ! C’est même scandaleux !
M. Laurent
Pietraszewski, secrétaire d’État. Je vous assure, monsieur
Dharréville, que c’est très étonnant de votre part.
M. Pierre
Dharréville. Dites-nous alors ce que vous avez modifié !
M. Laurent
Pietraszewski, secrétaire d’État. Pour le reste, monsieur
Vallaud, je précise qu’aujourd’hui, un euro cotisé donne des pensions variant du
simple au double. Cette situation dépend tout de même en partie de la loi votée
par la majorité dont vous faisiez partie, le gouvernement d’alors ayant insisté
sur l’importance du principe d’équité dans son exposé des motifs. Il faut être
très clair : nous, nous allons mettre en place cette équité que vous, vous
n’avez pas réussi à réaliser. (Applaudissements sur de nombreux bancs du
groupe
LaREM. – M. Sylvain
Waserman applaudit également.)
M. Sylvain
Maillard. Excellent secrétaire d’État !
M. le
président. La parole est à M. Alexis Corbière.
M. Alexis
Corbière. Chers collègues, beaucoup de travail nous attend, évitons
l’obstruction (Rires et exclamations sur les bancs du groupe LaREM), par
exemple en répondant à une série d’amendements de La France insoumise par une
polémique avec le parti socialiste. Je vous le demande pour la clarté des
débats. Ne justifiez pas l’utilisation du 49.3, une procédure qui sera peut-être
appliquée, en polémiquant ainsi…
M. le
président. Monsieur Corbière, venez-en aux amendements.
M. Alexis
Corbière. Mais c’est important, monsieur le
président !
Premièrement, pour vous répondre, monsieur le secrétaire
d’État, je pense qu’il serait temps que l’on sache en quoi concrètement vous
avez tenu compte de l’avis du Conseil d’État.
M. Boris
Vallaud. Eh oui !
M. Alexis
Corbière. Je crois en votre bonne foi, mais apportez-nous des éléments,
cela contribuera à débloquer les débats.
Deuxièmement, comprenez que nous
soyons tatillons sur l’article 1er qui liste vos objectifs,
lesquels sont, selon nous, en contradiction avec tout le reste du texte :
en tant que législateur, nous devons éviter des contradictions dans la loi.
C’est un enjeu que vous ne pouvez balayer comme cela.
Ce qui nous pose
problème, c’est cet « objectif d’équité ». L’égalité a valeur
normative, mais pour l’équité, c’est plus discutable. Alors un « objectif
d’équité »… C’est extrêmement flou ! M. Wulfranc a bien montré
que chaque euro cotisé n’ouvrirait pas les mêmes droits, sa démonstration est
imparable. Et vous précisez vous-mêmes que ces mêmes droits pour tous seront
exercés « dans les conditions définies par la loi » : encore une
façon de dire que ces conditions sont différentes de celles qu’impliquerait cet
objectif de principe.
Avouez que cet alinéa 5, extrêmement confus et
n’éclairant rien, mériterait d’être modifié.
M. le
président. La parole est à Mme Nadia Essayan.
Mme Nadia
Essayan. Chers amis de l’opposition, vos arguments sont de plus en plus
déroutants. Mais c’est normal : on ne peut pas déposer des milliers et des
milliers d’amendements tout en restant raisonnable et logique sur le fond.
(Applaudissements sur quelques bancs du groupe LaREM.) On comprend bien
que vous êtes à la recherche d’arguments, lesquels de plus en plus montrent leur
vacuité.
Il y a un point particulier que je voudrais soulever : le
fait que vous vous soyez attaqués à l’ancienne ministre de la santé. J’ai pour
ma part déjà fait les frais de ce genre d’attaque qui utilise les arguments de
l’invisibilité et de l’incompétence. Je trouve que c’est extrêmement dangereux
et que cela frôle le sexisme, si ce n’en est pas. Il est étonnant d’ailleurs que
Mme Autain accepte ce genre d’attaque dans son propre camp. (Mêmes
mouvements.)
M. le
président. La parole est à M. Pierre Dharréville.
M. Pierre
Dharréville. Comme l’avis du Conseil d’État a été rendu public, ce dont
je remercie le Gouvernement, il est dommage du point de vue de votre
communication, monsieur le secrétaire d’État, que vous n’ayez pas également
rendu publiques les modifications que vous avez opérées dans le texte, car elles
m’ont échappé. Il est pourtant inscrit à l’alinéa 5 que chaque euro cotisé
ouvre les mêmes droits pour tous. Vous avez précisé « dans les conditions
définies par la loi » : cette nuance suffit à retirer tout son sens au
principe que vous souhaitiez mettre en avant. Cela devient une affirmation
purement gratuite.
J’ajoute que le Conseil d’État, dans son avis
– pardon d’en revenir à lui, mais je n’ai pas la suite de l’histoire –
écrit « compte tenu de la date à laquelle ces avis [ceux des organismes
obligatoirement consultés] ont été rendus, la possibilité pour le Gouvernement
de les prendre en compte est extrêmement réduite, y compris au stade de l’examen
par le Conseil d’État, stade auquel au demeurant auraient déjà dû être intégrées
les modifications pouvant le cas échéant en résulter. »
Vous me
dites que tout a été effectué dans les règles, mais le Conseil d’État met déjà
en doute, compte tenu des délais, votre capacité à le faire ! J’aimerais en
savoir plus et je continue de contester, monsieur le secrétaire d’État, que vous
ayez réellement tenu compte de l’avis du Conseil d’État pour ce qui est du
principe que chaque euro cotisé ouvre les mêmes droits.
M. le
président. La parole est à M. Boris Vallaud.
M. Boris
Vallaud. Dans le prolongement de ce que vient de dire fort justement
M. Dharréville, je rappelle que l’avis du Conseil d’État qualifiait
également les données financières de « lacunaires », et elles le
demeurent dans l’étude d’impact finale. Nous sommes tout prêts à vous croire,
monsieur le secrétaire d’État, quand vous dites avoir considérablement amélioré
l’étude d’impact et le texte de loi, mais communiquez-nous les documents que
vous aviez transmis pour que nous puissions comparer ! Tous les cas types
concernant les femmes ont certes été retirés, mais qu’en est-il du reste ?
Je rappelle que l’avis date du 23 janvier, soit très peu de temps avant
l’examen du projet de loi en conseil des ministres. Même si nous ne doutons pas
de la diligence dont vous avez fait preuve, nous aimerions savoir précisément ce
qui a changé.
M. le
président. La parole est à M. Éric Woerth.
M. Éric
Woerth. La formule « chaque euro cotisé donne les mêmes
droits » n’est pas exacte, et ne peut d’ailleurs pas l’être.
M.
Sébastien Jumel. Eh non ! Mais tant mieux !
M. Éric
Woerth. C’est peut-être préférable parce qu’il faut prendre en compte la
diversité des situations. En tout cas, et comme pour l’universalité d’ailleurs,
c’est une formule, pas une réalité.
M. Pierre
Dharréville. Il vaudrait mieux la retirer !
M. Éric
Woerth. Je vais prendre quelques exemples démontrant l’impossibilité de
l’appliquer. Ainsi, pour les fonctionnaires, durant la très longue phase de
transition, les cotisations sur les primes seront en grande partie versées par
l’État, de façon dégressive, selon une logique de tiers payant. Autrement dit,
le contribuable se substituera à eux pour payer ces cotisations. Ils auront les
mêmes droits que les salariés du privé, mais pas les mêmes types de cotisations
puisque l’employeur privé lui, ne se substituera pas à son salarié. Les
dispositifs de paiement par une personne tierce des cotisations salariales
existent déjà, mais vous allez les étendre et les prolonger dans le temps. Quant
au minimum garanti, soit les retraites les plus faibles, c’est évidemment le
contraire du principe « chaque euro cotisé donne les mêmes droits »,
et pareillement pour les carrières longues.
Au fond, ce nouveau système
va être, et pour des raisons souvent extrêmement différentes, truffé
d’exceptions. Ce genre de formule n’a pas de valeur.
(Le sous-amendement no 42269 n’est pas
adopté.)
(Les amendements nos 25616 et
identiques ne sont pas adoptés.)
M. le
président. Quel est l’avis de la commission ?
M. Nicolas
Turquois, rapporteur. L’amendement vise à compléter
l’alinéa 5 par la mention : « qui comprend la suppression de tous
les régimes spéciaux ». Nous allons bien aborder cette question dans le
projet, mais pas à cet endroit du texte. Avis donc défavorable à ce
stade.
M. le
président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. Laurent
Pietraszewski, secrétaire d’État. La phrase que vous proposez de
supprimer, madame Ménard, est la traduction des principes de contributivité et
d’équité, que nous avons déjà évoqués ce matin et depuis plus d’une semaine.
Contrairement à ce que vous affirmez, ces principes sont au cœur du système
universel de retraite que nous souhaitons instaurer, comme je crois l’avoir
démontré à plusieurs reprises. Il est essentiel, pour éclairer les Français,
qu’ils apparaissent dans le texte, et plus précisément à
l’article 1er. Avis défavorable.
M. le
président. La parole est à Mme Clémentine Autain.
Mme
Clémentine Autain. En réalité, rien ne va dans cet alinéa 5. Vous y
prétendez poursuivre « un objectif d’équité ». Mais nous sommes en
France, pas chez les libéraux anglais ! La notion d’équité n’est pas celle
d’égalité.
J’aimerais savoir, monsieur le secrétaire d’État, pourquoi
vous avez choisi ce sous-produit de l’égalité qu’est la notion d’équité.
(Murmures sur les bancs du groupe LaREM.) Oui, c’est un sous-produit de
l’égalité, je le dis et je le répète ! L’équité instaure l’idée d’une
proportion entre le travail fourni et la pension obtenue. Ce n’est pas l’idée
que nous nous faisons de l’égalité républicaine.
M. Rémy
Rebeyrotte. C’est mieux que l’égalité !
Mme
Clémentine Autain. L’alinéa 5 dispose ensuite que cet objectif
d’équité vise à « garantir aux assurés que chaque euro cotisé ouvre les
mêmes droits ». Le Conseil d’État lui-même remet en question cette
affirmation – et pour cause : il apparaît, en page 309 de l’étude
d’impact, que la retraite perçue dans le système universel sera calculée en
multipliant le nombre total de points par la valeur de service puis par le
coefficient d’ajustement. Or on nous explique à l’article 8 que des points
de solidarité pourront être attribués, au petit bonheur la chance et sans doute
par ordonnance – nous ne sommes en tout cas pas éclairés sur ce
point –, on nous dit à l’article 9 que la valeur du point est inconnue
et on annonce à l’article 10 que le coefficient d’ajustement sera fixé par
décret. Autant vous dire qu’il est impossible de se faire une idée claire des
choses.
Alexis Corbière vous demandait à l’instant en quoi vous aviez
adapté le projet de loi pour tenir compte des recommandations du Conseil d’État.
Nous aimerions le savoir, car, pour l’heure, on est en plein flou
artistique.
J’ai pris connaissance ce matin d’un papier du journal Le
Monde, selon lequel l’utilisation de l’article 49, alinéa 3 de la
Constitution devenait tout à fait possible, peut-être même à court terme. Si
vous ne nous répondez pas dès maintenant, nous risquons donc de ne jamais en
venir à l’examen des articles qui nous permettraient de vous interroger à
nouveau. (Exclamations sur les bancs du groupe LaREM.)
M. Rémy
Rebeyrotte. Quelle mauvaise foi !
M. Sylvain
Maillard. C’est incroyable !
M. le
président. La parole est à Mme Laurence Dumont.
Mme Laurence
Dumont. Je voulais revenir d’un mot sur le supposé sexisme d’une
remarque formulée par un de mes collègues. Vous ne nous prendrez jamais en
défaut en matière de lutte contre le sexisme. Boris Vallaud a dit que
Mme Buzyn n’a pas été efficace et qu’elle est partie. Ce sont là deux
simples faits. (Exclamations sur les bancs du groupe LaREM.) Si vous
souhaitez rétablir une égalité de traitement entre hommes et femmes pour qu’il
n’y ait aucune ambiguïté, je le fais bien volontiers : M. Delevoye n’a
pas été efficace et il est parti.
M. Bruno
Questel. Bla, bla, bla…
Mme Laurence
Dumont. Les deux sont substituables. En tout cas, ce qui est sexiste,
c’est bien de porter atteinte, à travers le présent projet de loi, aux droits
des femmes.
M. Rémy
Rebeyrotte. Une opinion n’est pas un fait !
M. le
président. La parole est à M. Didier Martin.
M. Didier
Martin. Je ne reviendrai pas sur l’amendement visant inscrire dans le
projet de loi un principe d’inégalité. On voit bien la culture du paradoxe qui a
présidé à sa rédaction, et combien on est allé trop loin dans les tentatives
d’enlisement des discussions.
En revanche, le débat sur la distinction
entre équité et égalité est important. L’égalité est un principe, tandis que
l’équité est une réalité, une volonté.
M. Bastien
Lachaud. Franchement…
M. Didier
Martin. L’Académie française définit d’ailleurs l’équité comme le fait
d’accorder à chacun selon ses besoins. Au début de l’examen du texte, voilà
quelques jours, nous rappelions les principes fondateurs de la sécurité sociale,
formulés notamment par Ambroise Croizat : il s’agit de demander à chacun
selon ses possibilités, et d’accorder à chacun selon ses besoins.
Je vous
renvoie donc à vos classiques, que vous aimez à citer, et je vous invite à vous
pencher sur le principe d’équité, qui consiste parfois à donner plus à ceux qui
en ont besoin. (Applaudissements sur les bancs du groupe
LaREM. – M. Frédéric
Petit applaudit également.)
(L’amendement no 3726 n’est pas
adopté.)
M. le
président. La parole est à Mme Emmanuelle Ménard, pour soutenir
l’amendement no 3911.
Mme
Emmanuelle Ménard. Il vise à supprimer, à l’alinéa 5, les
mots : « afin de garantir aux assurés que chaque euro cotisé ouvre les
mêmes droits pour tous ». Ce n’est évidemment pas cette portion de phrase
qui pose problème, mais le fait que vous affirmiez un tel principe avant d’y
contrevenir dans le texte.
Le présent projet de loi prévoit en effet de
multiples dérogations qui finissent par vider ce principe de son sens :
certaines professions bénéficieront de la prise en charge d’une partie de leurs
cotisations par l’État – c’est-à-dire, bien évidemment, par le
contribuable – et certains bénéficiaires de régimes spéciaux verront leurs
traitements augmenter pour compenser les hausses de cotisations… Il paraît donc
inutile de consacrer ce principe à l’article 1er, puisque vous
ne le respectez pas dans la suite du texte.
M. le
président. Quel est l’avis de la commission ?
M. Nicolas
Turquois, rapporteur. Je souhaite revenir sur certaines des
conceptions philosophiques évoquées en matière d’égalité et
d’équité.
Madame Autain, c’est grâce à l’équité que vous disposez d’un
temps de parole très important, pour la représentation des groupes, alors que si
le principe d’égalité était respecté, les représentants de la majorité seraient
bien plus nombreux à s’exprimer. (Applaudissements sur plusieurs bancs du
groupe LaREM.)
Madame Dumont, je poursuivrai votre réflexion sur
l’efficacité des uns et des autres : les socialistes n’ont pas été
efficaces et ils sont partis. Le constat est le même. (Applaudissements sur
quelques bancs du groupe LaREM.)
Mme Cendra
Motin. On les a fait partir, ce n’est pas la même chose !
M. Pierre
Dharréville. Emmanuel Macron n’a pas été efficace et il est resté, c’est
injuste !
M. Nicolas
Turquois, rapporteur. S’agissant de votre amendement, madame
Ménard, j’entends vos questionnements, mais l’article 1er ne
définit pas des paramètres techniques : il affirme des objectifs et des
intentions conformes aux grands principes retenus. Ces objectifs sont ensuite
déclinés dans le reste du projet de loi. Vous serez alors en droit de contester
les modalités d’application retenues. À ce stade, la formule en cause est à la
fois identifiée, lisible et compréhensible : chaque euro cotisé ouvre les
mêmes droits. Nous tentons, dans la suite du texte, de concrétiser cet objectif
à travers un certain nombre de choix. Avis défavorable.
M. le
président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. Laurent
Pietraszewski, secrétaire d’État. Il est également défavorable.
Sans vouloir prolonger inutilement les débats, le fait que la représentation
nationale souhaite se réunir autour de ces principes me semble positif. Je dois
avouer que je reste pantois à l’idée que nous débattons depuis maintenant plus
de six jours de la signification des mots « équité » ou
« universalité » plutôt que de nous préoccuper de la vie concrète des
Français et de ce qu’ils attendent de leur retraite.
Cela étant, je suis
comme vous attaché aux grands principes. J’ai d’ailleurs vérifié : la loi
du 9 novembre 2010 portant réforme des retraites, que M. le président
Woerth connaît bien, disposait que « les assurés doivent pouvoir bénéficier
d’un traitement équitable ». On peut débattre des performances du système
actuel, mais je ne mets nullement en cause la volonté du président Woerth, car
je pense, très franchement, que tel était réellement son but. J’espère qu’alors,
il n’avait pas fallu passer six jours dans l’hémicycle, matin, midi et soir,
pour en discuter. Je crois d’ailleurs, au vu de l’expérience du président de la
commission des finances, que ce ne fut pas le cas.
La loi du
20 janvier 2014 garantissant l’avenir et la justice du système de retraites
précisait elle aussi que « les assurés bénéficient d’un traitement
équitable ». Là encore, je ne remettrai pas en cause la volonté évidente de
recherche d’équité qui animait ceux qui siégeaient sur les bancs de la majorité
qui l’a adoptée.
Ne pourrions-nous pas, mesdames et messieurs les
députés, discuter du fond du texte ? C’est en tout cas pour cela que je
suis venu ici aujourd’hui. (Applaudissements sur plusieurs bancs des groupes
LaREM et MODEM.)
M. le
président. La parole est à M. Alexis Corbière.
M. Alexis
Corbière. Il me semble très important de débattre du sens des mots avant
d’aborder la suite du texte, qui entrera dans le détail des choix qui seront
faits pour atteindre les objectifs affichés à l’article 1er. Je
profite d’ailleurs de l’occasion pour demander à nouveau à M. le secrétaire
d’État de nous éclairer sur la façon dont il a pris en considération l’avis du
Conseil d’État.
Pour en revenir à la question de l’équité, je rappelle,
monsieur Martin, que l’Académie française la définit comme une
« disposition de l’esprit consistant à accorder à chacun ce qui lui est
dû », et non « selon ses besoins », comme vous l’avez prétendu.
Ce n’est pas la même chose.
Toute la question, en effet, est là :
qu’est-ce qui est dû à chacun ? Quelle est la norme ? La loi a
précisément pour objet de définir une règle normative définissant ce qui est dû
à chacun. Nous affirmons qu’en raison du flou que vous entretenez, le salarié ne
saura pas, en fin de compte, ce qui lui est dû – d’où le débat subséquent
sur la définition de la valeur du point.
Comprenez donc bien que,
derrière le débat sémantique, se noue un enjeu fondamental. Le groupe La France
insoumise reste attaché au principe normatif d’égalité, qui est un principe
républicain – que certains des collègues qui mènent avec nous la bataille
contre la réforme des retraites aient pu, lorsqu’ils étaient en responsabilité,
user déraisonnablement du mot « équité » est une autre
question.
Fondamentalement, le principe d’équité est bien souvent une
rouerie, une astuce pour éviter de garantir l’égalité. L’équité, en réalité,
crée une inégalité, toute la question étant de savoir comment cette inégalité
est corrigée. Si l’on décide que tous n’auront pas la même chose mais qu’une
correction interviendra pour prendre en considération la réalité de chacun, il
faut définir cet outil de correction. Entendez ce raisonnement intellectuel, il
est important : l’équité, par nature, proclame que la même chose ne sera
pas donnée à chacun. Il reste donc à savoir, précisément, ce qui sera accordé à
chacun. C’est un débat fondamental.
Admettez donc que la définition à
l’article 1er des principes qui cadrent le projet de loi
éclairera toute la suite de la discussion : ce n’est pas une perte de
temps.
M. le
président. Merci, monsieur le député…
M. Alexis
Corbière. Enfin, monsieur le rapporteur, le fait que nos collègues du
groupe LaREM prennent moins la parole que nous résulte d’un choix politique que
vous avez fait et certainement pas du droit. Vous avez le droit de parler
– je vous y invite d’ailleurs.
M. le
président. La parole est à M. Patrick Mignola.
M. Patrick
Mignola. Il est très important que nous consacrions un peu de temps aux
principes.
M. Alexis
Corbière. Merci !
M. Patrick
Mignola. Mal nommer les choses, c’est en effet ajouter au malheur du
monde.
J’ai le souvenir, durant le débat similaire que nous avons eu en
commission spéciale, d’une réflexion du président Mélenchon, qui avait estimé
– faisant référence au soulèvement du peuple lors de la crise des gilets
jaunes – que la question du choix entre égalité et équité avait été réglée
voilà un an et qu’il fallait désormais préférer l’équité à l’égalité. Je
m’étonne donc que vous ne soyez pas très clairs dans la réaffirmation des
principes, chers collègues, à moins de considérer que vous énonciez des propos
contradictoires dans le seul but de prolonger les débats, ce que je n’imagine
pas une seconde.
Je redis quels sont les principes que nous défendons à
travers le présent projet de loi : l’égalité en droit pour tous, l’équité
pour chacun selon ses mérites et ses efforts,…
Mme
Clémentine Autain. Ah !
M. Patrick
Mignola. …et la solidarité envers les plus fragiles. En effet, si je ne
crois pas que l’équité soit une rouerie, elle peut parfois produire des
inégalités. C’est précisément contre ces inégalités que nous devons travailler.
(Applaudissements sur les bancs du groupe MODEM et plusieurs bancs du groupe
LaREM.)
M. le
président. La parole est à Mme Cendra Motin.
Mme Cendra
Motin. Il est rafraîchissant d’entendre enfin un débat de fond. Pour
l’instant, vous nous proposez en effet un débat sémantique à n’en plus finir,
dont je me demande en réalité ce qu’il cache. Depuis plusieurs jours, quand on
vous demande pourquoi vous êtes contre cette réforme, vous nous dites que c’est
parce qu’elle n’est pas bonne, et quand on vous demande pourquoi elle n’est pas
bonne, vous répondez que c’est parce que vous êtes contre.
Je dois dire
qu’à part votre capacité à sortir votre calculette de la peur et à tenter de
convaincre les Français, en usant d’arguments dont vous ne parvenez pas
vous-mêmes à vous dépatouiller, que tout va mal se passer, je n’ai pas le
sentiment que vous ayez démontré grand-chose.
Peut-être avez-vous décidé
de ne rien proposer…
Mme
Clémentine Autain. Oh là là…
Mme Cendra
Motin. …ou peut-être avez-vous simplement décidé de pilonner ce texte.
En tout cas, sûrement, vous manquez cruellement d’idées. (Applaudissements
sur plusieurs bancs des groupes LaREM et MODEM.)
M. Boris
Vallaud. Vraiment excellent…
Mme Laurence
Dumont. Elle aurait manqué, cette intervention.
Mme
Brigitte Bourguignon, présidente de la commission spéciale. Nous
ne nous permettons pas de juger de la qualité de vos
interventions !
(L’amendement no 3911 n’est pas
adopté.)
M. le
président. Je suis saisi de trois amendements,
nos 24615, 7 et 20393, pouvant être soumis à une discussion
commune.
Les amendements nos 7 et 20393 sont
identiques.
La parole est à M. Dino Cinieri, pour soutenir
l’amendement no 24615.
M. Dino
Cinieri. Il tend à maintenir le principe de l’équité devant les
cotisations en substituant, à la fin de l’alinéa 5, les mots « les
mêmes droits pour tous selon leurs cotisations » aux mots « que chaque
euro cotisé ouvre les mêmes droits pour tous dans les conditions définies par la
loi ».
M. le
président. Sur les amendements identiques nos 7 et
20393, je suis saisi par le groupe Les Républicains d’une demande de scrutin
public.
Le scrutin est annoncé dans l’enceinte de l’Assemblée
nationale.
La parole est à M. Éric Woerth, pour soutenir
l’amendement no 7.
M. Éric
Woerth. Il vise à améliorer la rédaction du texte.
Je voulais
signifier au secrétaire d’État que nous avions, en 2010, appliqué la procédure
du temps législatif programmé. C’était, me semble-t-il, une bonne idée, et le
Gouvernement a commis une erreur assez fondamentale en n’y ayant pas recours. Il
aurait suffi pour cela que vous décaliez l’examen du texte afin de respecter le
délai de six semaines. Cela aurait été plus efficace.
Sans vouloir faire
trop d’historique, je rappelle qu’en 2010, nous n’avions pas fondé notre texte
sur des principes – même s’il est vrai, et heureusement, que les textes
sont toujours sous-tendus par des principes. En revanche, celui que nous
examinons aujourd’hui se réclame de principes issus de la campagne
présidentielle. Or, il faut faire très attention aux textes qui passent sans
filtration d’une campagne présidentielle dans l’hémicycle car, en général, cela
ne marche pas très bien et les principes invoqués sont très contestés. C’est
évidemment ce qui explique que les principes d’équité, d’égalité et
d’universalité qui sont au cœur de votre texte donnent lieu à de très longs
débats. En réalité, du reste, ces principes ne sont pas respectés dans votre
texte.
Heureusement d’ailleurs ! Pour ce qui est par exemple de
l’idée qu’un euro cotisé produirait les mêmes droits pour tous, je tiens à dire
que, comme il y a eu par le passé des injections de trimestres, vous allez
injecter un grand nombre de points tout au long de la vie de nos concitoyens.
J’ignore si vous avez fait le bilan, mais cela pourrait représenter 20 %
des points, car la machine à redistribuer, qui fonctionne déjà énergiquement,
continuera à le faire. Le minimum garanti qui, à en juger par les différents
graphiques que vous produisez, assure l’essentiel de la réduction des inégalités
au moment de la retraite, explique beaucoup de cette redistribution et constitue
une autre entorse – si souhaitable soit-elle – au principe de l’euro
cotisé. Attention, donc, aux principes qui veulent gouverner des
textes !
M. le
président. La parole est à M. Thibault Bazin, pour soutenir
l’amendement identique no 20393.
M. Thibault
Bazin. La question fondamentale, en réalité, n’est pas dans les paroles
mais dans les actes. Vous reprenez dans la loi un slogan en apparence clair et
compréhensible – un euro cotisé ouvrira les mêmes droits à la pension pour
tous – mais dans les faits, cela se vérifiera-t-il ?
M. Boris
Vallaud. Non !
M. Thibault
Bazin. La question est légitime pour tous les Français :
auront-ils, pour chaque euro cotisé, le même droit à pension pour tous ? La
réponse est aussi claire et compréhensible que le slogan : c’est non. Le
Conseil d’État lui-même a reproché cet abus de langage. D’où cet amendement, qui
propose une rédaction plus juste.
Admettons que vous recherchiez cet
idéal, dût-il être relativisé en fonction du réel. Il faudrait alors revoir
certains articles du projet de loi, qui contredisent le principe que vous voulez
inscrire dans ce premier article. L’écart entre le slogan et les faits est tel
que les Français pourraient, dans quelques années, se réveiller en découvrant
qu’ils ont été trompés par l’actuel gouvernement et sa majorité.
La
question de fond concerne le rendement de l’euro cotisé : sera-t-il le même
pour tous ? Cette conversion de l’euro cotisé en pension de retraite est
tout sauf claire et compréhensible. Le taux de cotisation pourrait, en fait,
évoluer à la hausse et le niveau de pension réel à la baisse. L’inquiétude est
légitime, surtout pour la génération née entre 1975 et 2004. Il est important de
le souligner et d’assurer la hausse des pensions à l’avenir.
M. le
président. Quel est l’avis de la commission ?
M. Nicolas
Turquois, rapporteur. Je salue M. Bazin, qui a été l’un des
commissaires les plus attentifs et les plus présents en commission spéciale.
M.
Sébastien Jumel. Après nous !
M. Nicolas
Turquois, rapporteur. Il y en a eu d’autres, certes, mais
M. Bazin nous rejoint aujourd’hui. (Murmures.)
La formulation
adoptée nous semble la plus parlante pour illustrer les principes retenus. Vous
considérez qu’elle ne correspond pas à la réalité du projet, et nous pourrons
revenir ultérieurement sur cette question, mais il faut bien qu’il y ait des
principes portant une certaine philosophie de l’ensemble du projet. Ainsi, et
même si je ne suis pas sûr qu’il se soit traduit dans tous les projets de loi
présentés à l’époque, le slogan « travailler plus pour gagner plus »
fut un principe fondateur de l’une des majorités précédentes. C’est dans cet
esprit que nous souhaitons affirmer qu’un euro cotisé ouvre les mêmes droits
pour tous. Avis défavorable.
M. le
président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. Laurent
Pietraszewski, secrétaire d’État. Je répondrai d’un mot à
M. le président Woerth, ce qui me permettra également d’apporter un
éclairage en réponse à M. Corbière qui, avec son collègue M. Lachaud
et avec M. Dharréville, s’inquiétait de savoir quelles recommandations du
Conseil d’État nous avions pu prendre en compte. La réponse est simple :
nous avons tout pris en compte ! Toutefois, nous avons conservé
l’affirmation de notre décision politique consistant à inscrire dans
l’article 1er – j’espère que nous y arriverons
bientôt ! – une disposition garantissant aux enseignants et aux
enseignants chercheurs leur niveau de pension et le fait que nous allons
travailler avec eux à l’évolution de leurs carrières. Nous avons donc simplement
présenté un texte qui correspond aux recommandations du Conseil d’État, à
l’exception d’une décision politique que nous assumons pleinement :
l’engagement du Gouvernement envers les enseignants et enseignants chercheurs.
Ce n’est pas plus compliqué que cela.
Monsieur le président de la
commission des finances Éric Woerth, j’entends ce que vous dites de la manière
dont vous avez procédé pour la loi de 2010, mais les parlementaires peuvent
aussi décider sereinement que le temps programmé n’est pas indispensable et que
nous pouvons passer quelques jours sur un texte, parce que nous sommes
raisonnables et voulons produire harmonieusement la loi sans être
systématiquement contraints. C’est du moins ma conception des choses.
Sur
cette disposition, le Conseil d’État nous avait demandé de préciser notre texte.
Nous l’avons fait et tout cela s’applique dans des conditions définies par la
loi. Les termes sont clairs et, du reste, c’est ici que la loi se fait et se
débat. Avis défavorable.
Rappel au règlement
M. le
président. La parole est à M. Bastien Lachaud, pour un rappel au
règlement.
M. Bastien
Lachaud. Il se fonde sur l’article 100, alinéa 5, du
règlement, et vise à la clarté des débats. Il a été dit qu’en commission, le
président Mélenchon avait soutenu l’idée d’équité, en contradiction avec la
notion d’égalité, et que nous défendrions donc des positions contradictoires en
commission et en séance publique. Je tiens donc à citer précisément les propos
du président Mélenchon. (Exclamations sur quelques bancs du groupe
LaREM.) Il faut, en effet, toujours citer la source et ne pas déformer les
propos. Le président Mélenchon a donc déclaré : « C’était de l’humour
de ma part, monsieur le rapporteur… Je ne crois pas une seule seconde que nous
soyons tous d’accord sur le fait que l’égalité est préférable à l’équité. La
meilleure des preuves, nous l’avons eue pendant cette législature, lorsque le
code du travail a été mis à l’envers […] Là, c’est pareil : il y aura une
retraite par génération. »
Les propos du président Mélenchon sont
très clairs : l’égalité l’emporte sur l’équité. Notre groupe La France
insoumise est fidèle à ses principes : oui à l’égalité, non à l’équité.
Pour la clarté des débats, il me semblait nécessaire que cela soit noté au
compte rendu.
M. le
président. Merci, monsieur Lachaud. C’est toujours un exercice complexe
que de citer les grands auteurs. (Rires.)
Article 1er (suite)
M. le
président. La parole est à M. Sébastien Jumel.
M.
Sébastien Jumel. Vous êtes en pleine forme, monsieur le
président !
Le secrétaire d’État a un aplomb extraordinaire :
il nous raconte tranquillou que le Conseil d’État lui a écrit et qu’il lui a
répondu, comme s’il s’agissait d’un échange de cartes postales ! Selon lui,
pour ce qui concerne les enseignants, tout se déroule bien, tout était prévu
– notamment que l’application du système de retraite allait plomber leurs
pensions et que le Conseil d’État allait retoquer la volonté de rattraper le
préjudice…
Il se trouve, monsieur le secrétaire d’État, que nous avons
rencontré voilà quelques jours le secrétaire général de la FSU.
Un député du groupe
LaREM. Un homme pondéré.
M.
Sébastien Jumel. Pour l’instant, le dialogue engagé avec les enseignants
acte le fait que pouvez compenser 45 euros par mois pour les enseignants
sur les dix ou quinze premières années de carrière – peut-être vingt, on ne
sait pas encore, et il faudra attendre que la loi soit votée pour savoir où vous
placerez le curseur. Ce qu’on sait déjà, c’est que cette compensation est bien
loin de « faire la maille », comme on dit chez moi, compte tenu du
préjudice que causera l’application de votre réforme, qui tient notamment à
votre décision inique de revenir sur la prise en compte des six dernières années
dans le calcul de la retraite des fonctionnaires…
Plusieurs députés sur divers
bancs. Six derniers mois !
M.
Sébastien Jumel. Six derniers mois, bien sûr ! Pardonnez-moi, il me
faut un peu de temps le matin pour retrouver mes esprits, je suis un diesel.
M. Sylvain
Maillard. Ce sera interdit en 2024, monsieur Jumel !
M.
Sébastien Jumel. Mais quand on se mobilise pendant plusieurs semaines,…
(Exclamations sur les bancs du groupe LaREM.)
M. le
président. Laissez M. Jumel s’exprimer s’il vous plaît.
M.
Sébastien Jumel. Chers collègues, lorsqu’on fait vœu de silence et
d’abstinence, on risque moins de se tromper que lorsqu’on décide de tenir la
tranchée ! Vous aurez néanmoins compris que la disparition de la règle des
six mois ne sera évidemment pas compensée par votre bricolage, cette boîte à
outils improvisée pour l’occasion à l’intention des enseignants.
M. le
président. Monsieur Jumel, je n’aurais jamais songé à vous imputer ces
traits propres aux carmélites que sont l’abstinence et le silence…
(Sourires.)
M.
Sébastien Jumel. Vous avez raison !
M. le
président. La parole est à M. Yves Daniel.
M. Yves
Daniel. On parle, on s’agite, et les Français nous regardent. Je ne
prends pas beaucoup la parole et j’ai donc pu vous écouter avec
attention.
C’est aux Français que je veux m’adresser car, comme beaucoup
d’entre nous, je pense à celles et à ceux qui souffrent des injustices de notre
système de retraite actuel et qui attendent cette loi. Je veux leur dire :
regardez-nous, écoutez-nous tous attentivement, et vous comprendrez facilement
que nous n’avons pas la même vision de la société – ce qui, certes, est
bien du point de vue de la démocratie. Ce ne sont donc pas les députés qu’il
faut juger, mais le projet de société proposé aux Français par chacun.
Je
veux dire aux Français que nous devrons prendre et que nous prendrons nos
responsabilités, parce qu’ils nous ont élus pour les représenter, et donc pour
construire un système de retraites plus juste, plus solidaire et plus humain, un
système économiquement viable, socialement équitable et sociétalement humaniste.
C’est cela, notre projet, chers collègues. Il est clair, même s’il doit, bien
sûr, être amendé sur le fond, et je souhaite que nous puissions
réussir.
S’il vous plaît, chers collègues de l’opposition, aidez-nous à
comprendre le vôtre, celui que vous voulez pour les Français, par un débat à la
hauteur de notre responsabilité de députés élus démocratiquement par eux.
(Applaudissements sur les bancs du groupe LaREM et quelques bancs du
groupe MODEM.)
M. le
président. La parole est à M. Thibault Bazin.
M. Thibault
Bazin. Je ne sais pas si cela avait un lien avec l’amendement dont nous
débattons, mais j’ai compris qu’un jeu était engagé entre certaines oppositions
et la majorité pour parvenir à l’usage du 49.3. Pour notre part, nous ne le
souhaitons pas du tout et nous voudrions revenir au débat de fond.
Notre
amendement propose en effet une formulation sur laquelle je souhaiterais que
nous puissions débattre : « les mêmes droits selon leurs
cotisations ». Monsieur le secrétaire d’État, monsieur le rapporteur, je
pose donc une question fondamentale à propos de ce taux de rendement : une
personne née en 1974 aura-t-elle la même retraite qu’une personne née en 1976
ayant cotisé autant d’euros ? Pouvez-vous le garantir et répondre devant
tout le monde ? Votre slogan se vérifiera-t-il dans les faits ?
Répondez à cette question, cela nous rassurera.
M. le
président. La parole est à Mme Valérie Rabault.
Mme Valérie
Rabault. La question de notre collègue est très pertinente. Je sais que
nous finissons par nous répéter, mais la répétition peut parfois être utile.
Monsieur le secrétaire d’État, prenons le cas de deux jumelles.
M. Patrick
Mignola. Deux Jumel, c’est un de trop ! (Sourires et
exclamations.)
Mme Valérie
Rabault. L’une est née le 31 décembre 1974 à vingt-trois heures
cinquante et l’autre le 1er janvier 1975 à zéro heure dix.
M. Jacques
Marilossian. Vingt minutes d’écart, ce n’est pas bon, pour des
jumelles…
Mme Valérie
Rabault. Monsieur le secrétaire d’État, si ces deux jumelles commencent
à travailler le même jour, totalisent la même durée de cotisation, exercent le
même métier et ont le même salaire tout au long de leur carrière, pouvez-vous
nous dire si elles auront ou non la même retraite avec la réforme que vous
engagez ?
M. le
président. La parole est à Mme Clémentine Autain.
Mme
Clémentine Autain. Je demande la parole car, à ma connaissance et à
moins que je n’aie eu un moment d’absence, ni le rapporteur ni le secrétaire
d’État n’ont répondu sur le contenu des amendements déposés par nos collègues de
droite, visant à garantir à tous « les mêmes droits selon leurs
cotisations ». Il se trouve en effet que tel est précisément le contenu du
projet de loi que nous examinons.
De fait, la notion d’équité et le
régime à points auront pour effet que l’on touchera au plus près de ce qu’on
aura cotisé. Le but affiché et la réalité du contenu de cette loi donneront donc
lieu à une mise à sac de tous les mécanismes de solidarité. Il s’agit donc bien
d’une logique méritocratique, qui ne permet pas d’aboutir véritablement à
l’égalité.
M. le
président. La parole est à Mme Clémentine Autain.
Mme
Clémentine Autain. Je prendrai l’exemple de la fonction publique, qui
offre la sécurité de l’emploi mais aussi des salaires plus bas que le privé.
Quand on a pris comme référence, pour la règle de calcul, les six derniers mois
et non l’ensemble de la carrière, ou les dix ou vingt-cinq meilleures années
comme dans le privé, c’était simplement pour arriver à une égalité entre les
pensions du public et celles du privé en termes de taux de remplacement, pour
que les agents de la fonction publique ne soient pas beaucoup plus défavorisés
que les salariés du privé au moment de la retraite.
L’objectif est donc
bien d’atteindre une vraie égalité, notion différente de celle d’équité,
principe méritocratique selon lequel le niveau de pension doit dépendre de la
somme des cotisations. Je ne comprends donc pas pourquoi vous refusez, ou en
tout cas passez sous silence les amendements soumis par la droite. Votre
objectif, c’est d’instaurer un système fondé sur l’équité. Cela n’a rien à voir
avec l’égalité véritable.
Mme Nadia
Essayan. M. Mélenchon a dit l’inverse !
M. le
président. La parole est à M. Frédéric Petit.
M. Frédéric
Petit. Tout d’abord je ne voterai pas ces amendements d’affichage, parce
que j’aimerais que nous arrivions à discuter sur le fond.
Deuxièmement,
je vais devoir relire le projet de La France insoumise. Si j’ai bien compris
votre intervention, madame Autain, vous souhaitez que nous percevions tous
la même retraite, c’est bien cela ? Je vous rappelle qu’avec notre projet,
il ne sera plus possible de cotiser pour percevoir une pension énorme,
contrairement à ce qui se passe aujourd’hui. Nous avons donc déjà commencé à
raboter.
Si je vous ai bien comprise, tous ceux qui partent à la retraite
à 60 ans doivent toucher la même retraite, quel que soit le niveau de
cotisations : c’est cela que vous appelez l’égalité. Dans ce cas, vous
devrez vous mettre d’accord avec vos collègues du groupe GDR qui ont dit ici
qu’ils trouvaient injuste le fait que quelqu’un qui n’a jamais travaillé touche
la même retraite que quelqu’un qui a travaillé. (Mme Nadia
Essayan applaudit.)
(L’amendement no 24615 n’est pas
adopté.)
M. le
président. Je mets aux voix les amendements identiques
nos 7 et 20393.
(Il est procédé au scrutin.)
M. le
président. Voici le résultat du
scrutin :
Nombre de
votants 91
Nombre
de suffrages
exprimés 88
Majorité
absolue 45
Pour
l’adoption 17
Contre 71
(Les amendements identiques nos 7 et
20393 ne sont pas adoptés.)
M. le
président. Je suis saisi de seize amendements identiques, nos
25618 et suivants, déposés par les membres du groupe de la Gauche démocrate et
républicaine.
Ils font l’objet d’un sous-amendement no
42171.
Sur l’amendement no 25618 et sur les
quinze identiques, je suis saisi par le groupe de la Gauche démocrate et
républicaine d’une demande de scrutin public.
Le scrutin est annoncé dans
l’enceinte de l’Assemblée nationale.
La parole est à M. Sébastien
Jumel, pour soutenir l’amendement no 25618.
M.
Sébastien Jumel. L’instauration de l’âge d’équilibre crée de fortes
inégalités, de fortes injustices entre les salariés d’une même génération. Il
permet – je crois d’ailleurs qu’il a été inventé pour cela – de
raboter les pensions de ceux qui souhaitent partir à 62 ans, l’âge
d’équilibre.
Je prendrai un exemple, non pas celui des jumelles
– vous avez déjà un Jumel dans l’hémicycle ! – mais celui d’une
employée, née en 1975, qui commence à travailler à 20 ans. Dans le système
actuel, elle cotiserait pendant quarante-trois ans – la durée exigée depuis
la réforme Touraine – et partirait donc à la retraite à 63 ans à taux
plein. Dans le système prévu, comme vous le savez, si elle ne veut pas subir de
décote, elle sera obligée de travailler pendant quarante-cinq ans et de partir à
65 ans.
En revanche, le cadre, né en 1975 et qui, lui, commence à
travailler à 23 ans, part à 66 ans à taux plein dans le système
actuel ; dans le système prévu, il pourra partir à 65 ans pour avoir
une retraite à taux plein, en ayant donc travaillé pendant seulement
quarante-deux ans. Voilà une des illustrations de ce que vous projetez :
équité ou égalité, appelez cela comme vous voudrez, c’est finalement de la
discrimination visant à pénaliser ceux qui ont moins. D’une certaine manière,
c’est la solidarité à l’envers que vous proposez.
M. le
président. La parole est à M. Alexis Corbière, pour soutenir le
sous-amendement no 42171.
M. Alexis
Corbière. La discussion est vraiment très intéressante. Je vous
remercie, monsieur le secrétaire d’État, d’avoir répondu aux questions que nous
vous avons posées. Cependant, je vous le dis avec beaucoup de respect, votre
réponse ajoute à la confusion.
Vous avez dit que vous aviez tenu compte
de l’avis du Conseil d’État, et avez évoqué votre intention de revaloriser les
salaires des enseignants et les chercheurs – vous me corrigerez si je me
trompe. Or, précisément, le Conseil d’État, dans son avis du 23 janvier,
vous met en cause sur ce point, considérant qu’il est anticonstitutionnel de
formuler dans un projet de loi une injonction de déposer un autre texte, en
l’occurrence relatif à une revalorisation des salaires des enseignants. Nous
sommes confrontés là à une difficulté majeure qui montre que la méthode que vous
avez choisie, assez chaotique, présente le risque de rendre nos travaux
anticonstitutionnels. Il aurait été préférable d’engager d’abord la
revalorisation des enseignants – il en va d’ailleurs de même pour le
financement – et, ensuite seulement, d’engager votre réforme des retraites.
Vous avez fait l’inverse.
Il est assez piquant – mais peut-être
allez vous préciser ce point – de vous entendre évoquer la prise en
considération de la revalorisation des enseignants, qui est précisément le point
de fragilité que le Conseil d’État a souligné. Votre réponse qui visait à
apporter des éclaircissements n’a finalement fait qu’ajouter à la confusion.
J’espère que vous aurez à cœur d’apporter des précisions.
M. le
président. Sur le sous-amendement no 42171, je suis
saisi par le groupe La France insoumise d’une demande de scrutin
public.
Le scrutin est annoncé dans l’enceinte de l’Assemblée
nationale.
Quel est l’avis de la commission sur l’ensemble ?
M. Nicolas
Turquois, rapporteur. Je suis surpris que les argumentations
n’aient rien à voir avec le contenu des amendements. J’entends votre propos,
monsieur Jumel, mais l’objet de votre amendement était de substituer aux mots
« euro cotisé ouvre les mêmes droits » les mots « heure
travaillée ouvre des droits » ! De fait, les heures travaillées
ouvrent des droits, puisqu’elles donnent lieu à un salaire. L’euro cotisé nous
semble toutefois un critère plus équitable parce que le même nombre d’heures ne
donne pas forcément droit au même salaire. Mais votre argumentation ne portait
pas sur ce point.
Le sous-amendement défendu par M. Corbière vise
quant à lui à substituer au mot « heure » le mot
« période ». Examinons le fond ! Je crains que vous ne défendiez
des amendements que dans le but de discuter de la philosophie générale du texte.
De notre côté, nous voulons entrer dans le détail. Nous voulons aborder les
détails précis, techniques, entendre vos arguments et essayer d’y répondre, pas
en rester à la philosophie. Avis défavorable.
M. le
président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. Laurent
Pietraszewski, secrétaire d’État. Monsieur Corbière, j’ai dit que
nous avions tenu compte de tout à l’exception de la disposition visant à
revaloriser le salaire des enseignants. À travers celle-ci, nous avons souhaité
adresser un message politique clair : notre engagement en faveur des
enseignants et des chercheurs.
Monsieur Bazin, le critère de l’année de
naissance a, au fond, très peu d’importance : c’est le fait d’être ou non
dans le système universel qui compte. Si c’est le système universel qui
s’applique, c’est-à-dire si on est à plus de dix-sept ans de la retraite, quelle
que soit son année de naissance, l’ensemble de ce qu’on aura cotisé dans le
cadre de ce système nous donnera les mêmes droits qu’aux autres assurés,
s’agissant de la part contributive.
Pour le reste, il y a un aspect que
vous comme moi ignorons, c’est le parcours de la vie de la personne, quelle que
soit son heure ou son année de naissance : aura-t-elle des enfants ?
Comment choisira-t-elle de répartir la majoration de pension attribuée aux
parents ?
Je veux vous rassurer sur le fait que, dans le cadre du
système universel, dès lors qu’on se situe à plus de dix-sept ans de l’âge de
retraite, on disposera forcément de la part contributive garantissant les mêmes
droits à tous. Mais il faut aussi prendre en considération d’autres critères
comme celui de la pénibilité, que nous n’avons pas évoqué : celui qui
exerce un métier pénible ne partira peut-être pas à la retraite en même temps
que celui qui n’exerce pas un métier pénible, quand bien même ce dernier serait
né six minutes, six heures ou six semaines avant ou après ou serait un jumeau ou
une jumelle comme les affectionne Mme Rabault ! Je comprends votre
question, mais on finit toujours par se heurter aux cas
particuliers.
Dans le prolongement de la question de M. Bazin,
certains semblent s’interroger sur notre choix de prévoir des transitions
longues. Ainsi, les personnes se situant à moins de dix-sept ans de la retraite
ne sont pas concernées par la réforme. Celles qui sont à plus de dix-sept ans de
la retraite verront une part de leur retraite liquidée dans le cadre du système
universel et une autre part liquidée dans le cadre du système, ou plus
exactement des systèmes – puisque chaque Français est affilié à plus de
trois régimes en moyenne – pour lesquels elle aura cotisé.
Vous
m’interrogez sur la question de la date butoir, en soulevant le problème de
l’effet de seuil. On pourrait se poser la même question s’agissant de loi
Touraine – je le dis avec bienveillance – à propos de la durée
d’activité requise pour les générations 1972 et 1973. Lorsqu’il y a une
évolution des règles, quelle que soit la référence collective choisie, par
exemple la durée d’activité ou l’âge d’équilibre, des questions se posent. C’est
pourquoi nous avons opté pour des transitions longues. Avis défavorable.
M. le
président. La parole est à M. Vincent Thiébaut.
M. Vincent
Thiébaut. Je souhaite apporter quelques précisions et rétablir la
vérité. On dit que dans le système actuel la durée de cotisation est de
quarante-trois ans. C’est faux. L’âge de départ à taux plein est calculé en
fonction des trimestres de cotisation. Or on peut avoir travaillé pendant plus
de quarante-trois ans sans avoir cumulé l’ensemble des trimestres nécessaires
– 171 ou 175. (M. Frédéric Petit
applaudit.)
Prenons mon cas. Élu depuis seulement deux ans, je
dépendais auparavant d’un système qui concerne 65 % des Français : le
régime de base plus le régime complémentaire AGIRC-ARRCO – Association
générale des institutions de retraite des cadres-Association des régimes de
retraite complémentaire. J’aurai droit à une retraite à taux plein à 66 ans
et demi. En effet, j’ai commencé à travailler en CDI à 42 ans – mes
emplois précédents n’étant pas comptabilisés car, comme il s’agit de petits
contrats, ils ne me permettent pas de valider de mois ou de trimestre – ce
qui devrait me donner droit à une retraite à taux plein à 65 ans. Sauf que
j’ai une carrière hachée, ponctuée de trois périodes de chômage, ce qui repousse
encore l’âge du taux plein. L’AGIRC-ARRCO a décidé – sans d’ailleurs en
avoir informé qui que ce soit – que ceux qui partaient à taux plein dès la
première année verraient automatiquement leur pension minorée de 10 %
pendant trois ans. Pour échapper à cette minoration, il me faudrait travailler
un an de plus, ce qui porte la durée totale non pas à quarante-trois ans mais à
quarante-quatre. Voilà comment j’en arrive à cet âge de 66 ans et
demi.
Si j’avais dépendu du nouveau système – ce qui ne sera pas le
cas puisque je suis né en 1972 –, qui prévoit une annulation de la décote à
64 ans et non plus à 67, j’aurais pu partir à taux plein à 64 ou à
65 ans. J’aurais donc gagné un peu plus de deux ans de retraite.
(Applaudissements sur les bancs des groupes LaREM et MODEM.)
M. le
président. La parole est à M. Éric Woerth.
M. Éric
Woerth. Nous n’avons pas le temps d’en débattre mais ce qu’a dit mon
collègue est inexact, entre autres parce que les trimestres sont comptabilisés
pour les périodes de chômage.
M. Thiébaut et plusieurs
autres députés LaREM. Non !
M. Éric
Woerth. Ce que vous dites est faux. Vous vous projetez dans un système
qui n’existe pas.
M. le
président. Vous en discuterez en tête-à-tête !
M. Éric
Woerth. J’aimerais reprendre l’exemple de Mme Rabault, mais avec
des jumeaux – car un Jumel à l’Assemblée, c’est suffisant !
M.
Sébastien Jumel. Imaginez deux Woerth ! (Sourires.)
M. Éric
Woerth. Imaginons donc deux jumeaux conducteurs de train. L’un, né le
31 décembre 1984 à vingt-trois heures cinquante-neuf, partirait-il à la
retraite à 52 ans tandis que l’autre, né le 1er janvier
1985 à zéro heure une, partirait, lui, à 62 ans ? Quelle sera la phase
de transition ? Comment allez-vous repousser les âges ?
Toutes
ces questions ont déjà été posées. À chaque fois qu’une évolution a lieu, nous
nous posons de nouvelles questions ou en reposons d’anciennes. Les phases de
transition sont extrêmement longues, ce qui pose problème car cela complique
énormément la lecture des choses.
Certaines transitions sont extrêmement
choquantes, notamment le fait que vous augmentiez les fonctionnaires uniquement
pour garantir leur niveau de pension. L’État va assumer l’augmentation des
cotisations des fonctionnaires, notamment l’augmentation de l’assiette, tout
particulièrement sur les primes. Il n’y a là aucune équité, seulement la volonté
de s’offrir un peu de paix sociale. Vous prenez dix-neuf ans pour faire cette
réforme, ce qui représente quasiment une génération. C’est très critiquable et
cela va à l’encontre de l’ensemble des principes censés guider cette réforme.
Vous devez l’admettre ou modifier votre projet de loi.
M. le
président. La parole est à M. Pierre Dharréville.
M. Pierre
Dharréville. La question posée par Thibault Bazin et Valérie Rabault sur
la différence de traitement entre ceux qui sont nés à quelques jours d’écart,
avant ou après le 1er janvier 1975, n’a toujours pas trouvé de
réponse. Pourtant M. Bazin a posé la question fort éloquemment :
auront-ils droit à la même retraite ? Quelle sera la différence entre les
deux ?
Nous sommes opposés à la monétisation des heures de travail,
que vous êtes en train d’instaurer par le biais du calcul par point. Cette
monétisation conduit en effet à toutes les dérives que j’ai déjà mentionnées
concernant le droit à la retraite mais aussi concernant le travail lui-même.
Votre logique est toujours celle consistant à travailler plus pour gagner plus
– pour garantir sa retraite, il faudra acquérir un certain nombre de
points… C’est une rupture par rapport au système en vigueur.
Nous savons
par ailleurs qu’un euro cotisé aujourd’hui donne plus de droits aux bas salaires
qu’aux hauts revenus. C’est un fait, que vous remettez en cause. Comment y
répondez-vous ? Il me semble que la question est importante ! Vous
êtes en train de créer un sac de nœuds. Ce n’est pas sérieux.
M. le
président. Je mets aux voix le sous-amendement
no 42171.
(Il est procédé au scrutin.)
M. le
président. Voici le résultat du
scrutin :
Nombre de
votants 88
Nombre
de suffrages
exprimés 79
Majorité
absolue 40
Pour
l’adoption 8
Contre 71
(Le sous-amendement no 42171 n’est pas
adopté.)
M. le
président. Je mets aux voix l’amendement no 25618 et les
quinze amendements identiques déposés par le groupe de la Gauche démocrate et
républicaine.
(Il est procédé au scrutin.)
M. le
président. Voici le résultat du
scrutin :
Nombre de
votants 88
Nombre
de suffrages
exprimés 79
Majorité
absolue 40
Pour
l’adoption 10
Contre 69
(Les amendements nos 25618 et
identiques ne sont pas adoptés.)
M. le
président. La parole est à M. Sébastien Jumel, pour soutenir
l’amendement no 25617 et les quinze amendements identiques
déposés par les membres du groupe de la Gauche démocrate et
républicaine.
Ils font l’objet d’un sous-amendement no 42501,
de M. Marc Le Fur.
M.
Sébastien Jumel. Dans la banlieue de Stockholm, cette vieille dame aime
passer du temps dans sa petite parcelle, en plein hiver. Pour cette retraitée,
jardiner n’est pas seulement un hobby : c’est une activité quelle aime
bien, mais elle jardine surtout parce que cela lui permet de faire des
économies, de survivre. « Je fais pousser des poivrons, des tomates, dans
ma serre, mais aussi des pommes de terre, des carottes, des betteraves pour
survivre », nous dit-elle.
M. Mustapha
Laabid. C’est un conte de Grimm ?
M.
Sébastien Jumel. Figurez-vous que nos inquiétudes, nos critiques et,
pour ainsi dire, nos certitudes concernant votre mauvais projet tiennent au fait
que les retraites par points, même déguisées par les mots volés d’universalité,
d’équité, de redistribution, sont en vigueur dans d’autres pays d’Europe :
la Suède, l’Allemagne… Je rappelais hier qu’en Allemagne l’ensemble des forces
politiques ont été obligées de se réunir en urgence pour mesurer à quel point ce
système de retraite par points avait aggravé la pauvreté des personnes
âgées !
Monsieur le secrétaire d’État, avez-vous échangé avec vos
homologues européens,…
M. le
président. Madame Autain, filmer dans l’hémicycle n’est pas autorisé.
Veuillez reprendre, monsieur Jumel.
Mme
Clémentine Autain. Ah ? On nous a dit que c’était
autorisé !
M.
Sébastien Jumel. Bref, monsieur le secrétaire d’État, échangez-vous sur
la question avec vos homologues européens, ou est-ce le libéralisme de l’Union
européenne qui vous conduit à imposer ce système chez nous ? Car nous, ces
jardins à l’allemande, ces jardins à l’anglaise, nous voyons ce que ça donne et
nous n’en voulons pas ! Nous ne voulons pas du démantèlement de la
protection sociale à la française.
M. le
président. La parole est à M. Dino Cinieri, pour soutenir le
sous-amendement no 42501.
M. Dino
Cinieri. L’amendement no 25617 vise à rappeler que
chaque heure travaillée doit ouvrir des droits tenant compte des spécificités de
chaque métier, notamment des métiers liés aux sujétions de service public. Le
présent sous-amendement, de Marc Le Fur, vise à préciser que doivent être prises
en compte les spécificités des fonctions exercées par les fonctionnaires
régaliens, notamment les militaires, les policiers, les gendarmes et les
pompiers qui assurent la sécurité des Français.
M. le
président. Quel est l’avis de la commission sur l’ensemble ?
M. Nicolas
Turquois, rapporteur. Cela a déjà été dit à plusieurs reprises,
mais je veux résumer une dernière fois.
Le point est une unité
d’enregistrement des droits. Des systèmes par points, il en est de diverse
teneur. Les systèmes suédois et allemand ne correspondent pas à celui que nous
souhaitons mettre en place. Le système suédois est dit notionnel : il est
très individualisé, notamment dans le calcul de l’espérance de vie, et s’appuie
sur de nombreux systèmes par capitalisation. Le système allemand, quant à lui,
est constitué d’un régime de base qui ressemble à celui que nous connaissons en
France mais aussi d’un système complémentaire qui fonctionne par entreprise.
Aussi, j’y insiste, ce n’est pas parce qu’il s’agit de systèmes par points
qu’ils correspondent à celui que nous proposons.
Pour notre part, nous
voulons fusionner le système de base et les complémentaires – considérer
séparément les deux n’aura plus de sens – afin de créer un système par
répartition pour l’ensemble de nos concitoyens, et non pas un système par
entreprise. En effet, certaines entreprises peuvent être en difficulté et donc
se révéler incapables d’abonder le système.
Pour ce qui est du
sous-amendement des Républicains, nous examinerons les spécificités métier par
métier, corporation par corporation. Avis défavorable.
M. le
président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. Laurent
Pietraszewski, secrétaire d’État. Le haut-commissaire Jean-Paul
Delevoye, avec un certain nombre de parlementaires de tous bords, s’est rendu en
Italie, en Allemagne, en Suède… Le rapporteur vient de vous renseigner sur les
différences réelles, incontestables, entre les systèmes en vigueur dans les pays
voisins et celui que nous proposons. Objectivement, d’ailleurs, et je l’ai déjà
précisé à Mme Faucillon, il suffit de consulter le site internet du Sénat
pour prendre connaissance de l’analyse que fait la haute assemblée du modèle
suédois, et pour constater qu’il n’a rien à voir avec le système universel que
nous souhaitons. Aussi ce débat ne devrait-il pas avoir lieu puisque, encore une
fois, tout le monde peut vérifier que le système que nous proposons est
radicalement différent – à moins de vouloir s’enfermer dans de longues
palabres pour éviter d’aborder le fond du sujet et de s’intéresser à la vraie
vie des Français.
Monsieur Woerth, je suis toujours très curieux de
savoir ce qui a été fait avant que nous ne soyons aux responsabilités. Aussi
ai-je lu avec intérêt les préambules ou les articles 1ers des
lois de 2010 et de 2014 : je constate ainsi que tout le monde se félicite
que le principe d’équité, quelle que soit sa déclinaison, figure dans la loi.
J’ai donc observé la manière dont, en 2010, vous aviez cherché à faire converger
les âges de départ à la retraite, notamment celui des employés de la SNCF, alors
différé de deux ans. Vous avez alors choisi une méthode que, la trouvant très
bonne, j’ai reprise à mon compte : faire progresser les âges de départ d’un
trimestre par an ; sauf que vous l’aviez fait pour deux ans et que nous
allons le faire pour dix ans, ce qui est d’une tout autre ampleur et montre une
tout autre ambition.
Avis défavorable.
M. le
président. La parole est à M. Michel Lauzzana.
M. Michel
Lauzzana. La conception de la société n’est pas la même suivant qu’on
défende le principe d’égalité ou celui d’équité. L’égalité, c’est la qualité de
ce qui est égal, constant, uniforme, régulier. Je retiens de cette définition le
mot « uniforme » car il reflète bien votre conception de la
société : vous voulez une société uniforme, sans saveurs et sans odeurs.
Nous voulons pour notre part une société équitable. Vous choisissez de défendre
votre idéologie alors que nous défendons, nous, une vision. (Applaudissements
sur plusieurs bancs du groupe LaREM et quelques bancs du groupe
MODEM.)
Rappel au règlement
M. le
président. La parole est à Mme Clémentine Autain, pour un rappel au
règlement.
Mme
Clémentine Autain. Mon intervention se fonde sur l’article 52,
alinéa 1, du règlement. Vous m’avez interpellée, monsieur le président,
parce que je prenais une photo. Ce n’est pas mon habitude puisqu’il me semblait
que c’était interdit. Or il se trouve qu’hier ou avant-hier on a pris une photo,
dans l’hémicycle, de notre collègue Ruffin et qu’on nous a affirmé que c’était
autorisé. Je souhaite donc savoir ce qui est de mise et m’assurer qu’il n’y a
pas deux poids, deux mesures, puisque c’est une de nos collègues du groupe La
République en marche qui a pris la photo pour ensuite la poster sur les réseaux
sociaux et mettre en cause notre collègue Ruffin. Quelle est donc la véritable
règle, et peut-elle être appliquée à égalité ?
M. le
président. J’ai eu l’occasion de rappeler à plusieurs reprises, en
conférence des présidents comme dans un courrier adressé à chacun d’entre vous,
puisque vous m’avez fait l’honneur de m’élire président de l’Assemblée, que je
souhaite que cette pratique soit proscrite. Lors de la dernière réunion de la
conférence des présidents, plusieurs de nos collègues ont estimé qu’il était
inconvenant que des discussions informelles entre les uns et les autres donnent
lieu à des images dont on pouvait faire des interprétations polémiques sur
Twitter. Ma position est donc la suivante : il est proscrit de prendre des
photos dans l’hémicycle, tout comme il est proscrit de venir en séance avec de
gros sacs, de porter des signes vestimentaires avec des inscriptions
commerciales… Souvenez-vous que j’avais alors déclaré que l’hémicycle n’était ni
un campus ni un camping. Tout cela a été écrit et vaut toujours.
Article 1er (suite)
M. le
président. La parole est à M. Thibault Bazin.
M. Thibault
Bazin. Je propose de revenir au fond du débat. C’est toujours un risque
qu’un texte confus suscite un débat confus, voire qu’un texte chaotique provoque
une discussion chaotique.
Les amendements qu’a défendus M. Jumel
proposent, à l’alinéa 5, de substituer aux mots « les mêmes droits
pour tous » les mots « des droits pour tous, dans le respect des
spécificités des métiers et des sujétions de services publics ». Voilà qui
correspond parfaitement à la définition d’une réforme juste des
retraites.
Le sous-amendement de Marc Le Fur propose, après les mots
« sujétions de services publics », d’ajouter les mots « notamment
pour celles liées à l’exercice de fonctions régaliennes et de
sécurité » : nous pensons tous à nos militaires, à nos policiers, à
nos gendarmes, à nos pompiers. Il est donc quelque peu dommage, monsieur le
rapporteur, qu’on ne puisse pas préciser, en définissant l’objectif d’équité,
qu’on n’attribue pas les mêmes droits aux intéressés de façon bêtement
égalitaire mais bien en tenant compte des spécificités évoquées. Si nous voulons
une réforme juste, si nous voulons un système de retraite équitable, il faut
pouvoir établir dès l’article 1er un objectif lui-même juste et
équitable.
M. le
président. La parole est à M. Pierre Dharréville.
M. Pierre
Dharréville. J’ai l’impression que nombre de nos collègues voient dans
ce texte ce que pour notre part nous n’y voyons pas. Monsieur le rapporteur,
monsieur le secrétaire d’État, nous vous proposons une disposition assez simple
et que peut-être même vous appliquerez : chaque euro cotisé doit donner
« des droits pour tous, dans le respect des spécificités des métiers et des
sujétions de services publics ». Voilà qui nous semble une formule tout à
fait acceptable, que vous êtes du reste pour partie obligés d’appliquer du fait
des multiples exceptions que vous avez annoncées au fur et à mesure des
mobilisations.
Comment imaginer que l’on ne tienne pas compte des
particularités de la vie professionnelle de chacun de nos concitoyennes et de
nos concitoyens ? Je pense aux ouvriers métallurgistes de la zone
industrielle de Fos-sur-Mer, dans ma circonscription, aux émissions polluantes
qu’ils respirent, à la chaleur dans laquelle ils travaillent : tout cela
doit être pris en compte, c’est indispensable. Personne parmi vous ne peut le
nier.
Un certain nombre de métiers ont des spécificités. Dans la fonction
publique, des sujétions particulières obligent à appliquer certaines règles tout
au long de la vie active. Il est nécessaire de prendre ces situations en compte
au moment de la liquidation des droits à la retraite.
Je ne vois donc pas
en quoi notre proposition de tenir compte « des spécificités des métiers et
des sujétions de services publics » pose problème. Plutôt, je le vois
bien : ce serait mettre noir sur blanc le fait que votre principe que
chaque euro cotisé donne les mêmes droits ne tient pas la route. Ça ne marche
pas ! Au stade où nous en sommes, vous devriez sérieusement l’acter :
votre système ne tourne pas rond.
M. le
président. La parole est à M. Jean-Paul Mattei.
M.
Jean-Paul Mattei. Décidément, vous cherchez vraiment à compliquer le
texte. Garantir les mêmes droits « pour tous » est suffisamment
clair : pourquoi vouloir alourdir la rédaction ? Est-ce une
posture ?
(« Oui ! » sur les
bancs du groupe LaREM.) Est-ce une forme de malhonnêteté
intellectuelle ?
(« Aussi ! » sur les
bancs du groupe LaREM.) Je n’en sais rien, mais j’avoue que je suis sidéré.
En ajoutant ces mots, vous rendez le texte complètement illisible.
Après
les travaux de la commission spéciale et presque une semaine passée dans cet
hémicycle, on a compris : vous voulez ralentir le débat. Dont acte. Mais
franchement, comment arrivez-vous à tenir avec des arguments aussi
fallacieux ? (Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe
MODEM.)
M. Pierre
Dharréville. Vous devriez écouter nos propositions !
M. le
président. La parole est à Mme Clémentine Autain.
Mme
Clémentine Autain. Il ne s’agit pas d’introduire des éléments fallacieux
dans le texte, mais des précisions visant à empêcher les dispositions qui
suivront bientôt, qui réalisent un alignement du régime de tous sur les normes
du privé. C’est cela que vous êtes en train de faire, alors même que vous savez
que, dans votre système, le taux de remplacement pour les fonctionnaires chutera
de 32 %. Ce n’est pas rien. C’est même considérable.
Lorsque nos
collègues communistes veulent préciser que la loi respectera les spécificités de
la fonction publique,…
M. Bruno
Millienne et M. Frédéric Petit. C’est déjà dans le texte !
M. Pierre
Dharréville. Si c’était vrai, ça ne vous dérangerait pas de l’écrire à
l’article 1er !
Mme
Clémentine Autain. …ils introduisent une disposition concrète pour vous
empêcher de procéder à un démantèlement des spécificités de la fonction
publique.
Un certain nombre d’entre vous réclament que l’on en finisse
avec le débat sur les objectifs et les principes et que l’on en vienne au
concret, mais il y a évidemment un lien entre les deux. Nous y sommes
précisément, puisque votre grand objectif d’égalité, pardon, d’équité, se
fracasse sur la réalité : en alignant tout le monde, vous appauvrissez les
fonctionnaires qui prendront demain leur retraite.
Monsieur le secrétaire
d’État, vous ne nous avez toujours pas répondu s’agissant de l’avis du Conseil
d’État.
M. le
président. Il faut conclure, madame Autain…
Mme
Clémentine Autain. Vous avez dit à Alexis Corbière qu’il n’avait
pas bien compris, que vous alliez tenir votre parole s’agissant des enseignants
chercheurs en dépit de l’avis du Conseil. Mais alors, sur quoi avez-vous tenu
compte de l’avis du Conseil d’État ?
Rappel au règlement
M. le
président. La parole est à M. Sébastien Jumel pour un rappel au
règlement.
M.
Sébastien Jumel. Il est fondé sur l’article 100, alinéa 5, du
règlement, monsieur le président. On nous dit que notre amendement est
fallacieux, autrement dit, selon le dictionnaire, « qui cherche à tromper,
à nuire ; perfide ». En quoi vouloir substituer aux mots « les
mêmes droits pour tous »…
Mme
Brigitte Bourguignon, présidente de la commission spéciale. Ce
n’est pas un rappel au règlement !
M.
Sébastien Jumel. …les mots « des droits pour tous, dans le
respect…
M. le
président. En quoi votre intervention est-elle un rappel au règlement,
monsieur Jumel ?
M.
Sébastien Jumel. Parce que le terme « fallacieux » est une
insulte à notre égard ! (Exclamations sur plusieurs bancs du groupe
LaREM)
M. le
président. Vous utilisez vous-même d’autres qualificatifs ! Si on
en fait à chaque fois un rappel au règlement, nous y passerons tout notre
temps.
M.
Sébastien Jumel. Notre amendement n’est pas fallacieux, il est fondé. Il
vise à reconnaître les spécificités des métiers et les sujétions de services
publics.
M. le
président. Si l’on se retrouvait avec un rappel au règlement à chaque
fois que quelqu’un prononce un qualificatif, croyez-moi, cela serait abusif et
totalement infondé. (Applaudissements sur les bancs des groupes LaREM et
MODEM.)
Article 1er (suite)
(Le sous-amendement no 42501 n’est pas
adopté.)
(Les amendements
nos 25617 et identiques ne
sont pas adoptés.)
M. le
président. La parole est à Mme Emmanuelle Ménard, pour soutenir
l’amendement no 10043.
Mme
Emmanuelle Ménard. Il est défendu.
(À dix heures trente-cinq, M. Sylvain Waserman remplace
M. Richard Ferrand au fauteuil de la présidence.)
Présidence de
M. Sylvain Waserman
vice-président
(L’amendement no 10043 n’est pas
adopté.)
M. le
président. Je suis saisi de dix-huit amendements identiques, le
no 2548, qui fait l’objet de plusieurs sous-amendements, et les
nos 23160 et identiques déposés par les membres du groupe La
France insoumise.
La parole est à M. Boris Vallaud, pour soutenir
l’amendement no 2548.
M. Boris
Vallaud. Il vise à insérer à l’alinéa 5 les mots : « au
regard de leur espérance de vie en bonne santé ». Ce dispositif s’inspire
d’un amendement déposé en 2013 par M. Olivier Véran, aujourd’hui ministre
des solidarités et de la santé, et M. Richard Ferrand, actuel président de
l’Assemblée nationale. J’espère que leur intéressante proposition est
susceptible de susciter l’adhésion de la majorité à laquelle ils appartiennent
aujourd’hui.
M. le
président. La parole est à M. Bastien Lachaud, pour soutenir
l’amendement nos 23160 et les seize amendements identiques
déposés par les membres du groupe La France insoumise.
M. Bastien
Lachaud. Il s’agit de prendre en compte l’espérance de vie en bonne
santé, qui est aujourd’hui de 63 ans. L’âge d’équilibre de votre réforme
est fixé dans l’étude d’impact à 65 ans, et le Conseil d’État considère que
cet âge a vocation reculer – c’est l’une des raisons pour lesquelles il
juge ce document pour le moins lacunaire.
À partir du moment où vous
assumez de faire travailler les gens jusqu’à l’âge de 65, 66 ou 67 ans,
alors que l’espérance moyenne de vie en bonne santé est de 63 ans – ce
qui signifie qu’elle est encore moins élevée pour les ouvriers car leurs
conditions de travail sont plus dures – vous acceptez de faire travailler
des personnes en mauvaise santé. Ceux qui partiront à la retraite seront en
mauvaise santé. Pire, si l’on peut dire : aucun employeur ne voudra
embaucher quelqu’un en mauvaise santé.
Autrement dit, vous allez
augmenter le chômage, ce qui videra les caisses des allocations chômage pour
remplir la caisse des retraites. C’est un véritable jeu de bonneteau ! Vous
prenez d’un côté pour donner de l’autre et, finalement, ce sont les Français qui
trinqueront : ils devront travailler plus longtemps, sans espoir d’être en
bonne santé une partie de leur retraite. Vous condamnez les gens à travailler
jusqu’à la mort, ou, au mieux, jusqu’à l’hôpital.
Mme
Clémentine Autain. Très bien !
M. le
président. Je suis saisi du sous-amendement no 42100… Y
a-t-il quelqu’un pour le soutenir ? Personne ? C’est celui qui
remplace « au regard de » par « eu égard à ». (Sourires.)
Je ne cherche qu’à resituer les choses ! (Applaudissements sur
plusieurs bancs du groupe LaREM.)
La parole est à M. Hubert
Wulfranc.
M. Hubert
Wulfranc. Vous resituez le sous-amendement, monsieur le président ;
moi, je me situe surtout dans le sujet qui vient d’être abordé par mon
collègue.
Vous ne couperez pas à la référence à l’âge de départ en bonne
santé. Je ne veux pas distinguer entre toutes nos circonscriptions, mais
lorsqu’on est face à des populations lourdement affectées par leurs conditions
de travail, qu’il s’agisse d’ouvriers, d’agriculteurs ou de petits employés du
tertiaire, on voit bien, sur le terrain, que ne pas prendre en compte
l’espérance de vie en bonne santé dans le cadre d’un basculement majeur de l’âge
de départ à la retraite de 62 à 65 ans – et demain 67 ! –
constitue le cœur du rejet de votre réforme.
Vous provoquez un
basculement qui va bien au-delà du texte : c’est un basculement dans les
têtes, un basculement que chacun vit jusque dans ses tripes. Vous n’échapperez
pas à ce sujet. C’est un véritable débat de société, un débat de classe. Nous
sommes au cœur de ce que les Français vous disent : ils veulent profiter un
minium de leur retraite, tranquillement, en bonne santé.
M. le
président. La parole est à M. Pierre Dharréville, pour soutenir le
sous-amendement no 42101.
M. Pierre
Dharréville. Vous êtes en train de voler aux Françaises et aux Français
leurs meilleures années de retraite. Votre projet de loi aboutira à ce résultat,
en reculant toujours plus l’âge de la retraite, génération après génération.
Vous donnez le choix entre partir en bonne santé, avec une décote de sa pension,
ou s’épuiser au travail en attendant d’atteindre le fameux âge prétendument
d’équilibre.
Il y a une violence symbolique très puissante dans la
décision que vous prenez d’ores et déjà de repousser l’âge de départ à la
retraite au-delà de l’âge d’espérance de vie en bonne santé. Il faut bien
mesurer la violence à la fois symbolique et réelle – car elle s’inscrit
dans des vies humaines – de la décision que vous imposez.
C’est
pourquoi il nous paraît fondamental de faire figurer la prise en compte de
l’espérance de vie en bonne santé parmi les objectifs énoncés à
l’article 1er du projet de loi.
M. le
président. Les sous-amendements no 42102 de
M. Sébastien Jumel et nos 42153 et 42155 de M. Pierre
Dharréville sont défendus.
La parole est à Mme Clémentine Autain,
pour soutenir le sous-amendement no 42133, qui vise à remplacer
« au regard » par « en considération ».
Mme
Clémentine Autain. Si l’on augmente la durée au travail de ceux dont les
métiers sont si pénibles que leur espérance de vie en bonne santé est très
différente de celle la moyenne des Français, vous comprenez bien qu’ils vont
finir par mourir au travail.
L’espérance de vie des égoutiers est
inférieure de dix-sept ans à celle de la moyenne des Français. Dix-sept
ans ! Avec votre réforme, qui ne reconnaît pas la spécificité de leur
métier, les égoutiers travailleront dix ans de plus qu’aujourd’hui. À leur âge
théorique de départ en retraite, malheureusement, un certain nombre d’entre eux
seront déjà décédés !
Entre votre idée de l’équité, l’idée que
« un euro cotisé égale un euro de pension » ou je ne sais quoi, on ne
voit plus du tout comment seront prises en considération la pénibilité et la
dureté spécifique de certain métiers des Français. La pénibilité est le grande
oubliée de cette réforme.
Peut-être des dispositions en ce sens
seront-t-elles inscrites dans les ordonnances gouvernementales ; mais
aujourd’hui, le projet de loi n’offre aucune protection aux catégories de
population qui devront demain travailler beaucoup plus longtemps, au prix
peut-être de leur vie, en tout cas de la possibilité de profiter de la retraite
en bonne santé.
M. le
président. La parole est à M. Pierre Dharréville, pour soutenir le
sous-amendement no 42154.
M. Pierre
Dharréville. Dans le débat, on nous a parfois affirmé que la société
exprimait massivement le souhait de travailler plus longtemps, et qu’instaurer
un âge légal de départ à la retraite relevait d’un esprit totalitaire. Je ne
sais pas comment on peut dire des choses pareilles sérieusement, mais nous
l’avons entendu. Autour de moi, j’entends plutôt des femmes et des hommes qui
attendent cet âge de départ. Il représente pour eux, au bout d’une vie de
travail, la possibilité d’être enfin libérés du travail prescrit et de disposer
plus librement de leur existence. C’est un marqueur de civilisation, que nous
devons garantir.
Reculer l’âge de départ au-delà de l’âge d’espérance de
vie en bonne santé constitue une atteinte forte à ce droit que nous voulons
instaurer. Je pense à des infirmières, des aides-soignantes, des ouvriers, des
employés, dont l’espérance de vie est bien moindre que celle des cadres, et qui,
dans les réunions publiques que nous avons tenues sur les retraites dans ma
circonscription, m’ont dit leur préoccupation : « Je ne pourrai pas y
arriver ! Travailler jusqu’à l’âge qu’on veut m’imposer est au-dessus de
mes forces ! » Il faut arrêter d’appeler l’humain à toujours plus de
productivité pour revenir à la réalité et mieux respecter les femmes et les
hommes.
M. le
président. Sur l’amendement no 2548 et identiques ainsi
que sur les sous-amendements nos 42100, 42101, 42102 et 42153, je
suis saisi par le groupe de la Gauche démocrate et républicaine de demandes de
scrutin public.
Les scrutins sont annoncés dans l’enceinte de l’Assemblée
nationale.
Quel est l’avis de la commission sur ces amendements et
sous-amendements ?
M. Nicolas
Turquois, rapporteur. Voilà typiquement un sujet qui mérite un
débat de fond, d’ailleurs prévu à l’article 10.
M. Pierre
Dharréville. On y est, au débat de fond !
M. Nicolas
Turquois, rapporteur. Mais quand, faisant mon travail de
parlementaire, j’examine les sous-amendements, je constate qu’ils proposent de
remplacer « au regard de » par : « eu égard à »,
« afin de prendre en compte », « en considérant », « en
prenant pleinement en compte », « prenant en compte » et enfin
« en considération ».
M. Pierre
Dharréville. Acceptez le débat !
M. Nicolas
Turquois, rapporteur. À la place du nécessaire débat de fond sur
la question de l’espérance de vie, vous faites des remarques de forme. Avis
défavorable. (Applaudissements sur quelques bancs du groupe LaREM.)
M. Pierre
Dharréville. C’est faux ! C’est la majorité qui refuse de
débattre.
Mme
Brigitte Bourguignon, présidente de la commission spéciale. Ah
non !
M. le
président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. Laurent
Pietraszewski, secrétaire d’État. Nous avons déjà largement
débattu de ce sujet, à au moins deux reprises, et pendant plus d’une heure. Je
me souviens d’ailleurs parfaitement des interventions du président Éric Woerth.
Vous y revenez, restant toujours sur les principes généraux. Vous n’avez
vraiment pas envie de discuter du fond du projet et c’est regrettable. Avis
défavorable.
M. Bruno
Questel. Il a raison !
M. Pierre
Dharréville. Que de manœuvres dilatoires !
M. le
président. La parole est à M. Alexis Corbière.
M. Alexis
Corbière. Nous sommes déçus de la réponse du rapporteur et du secrétaire
d’État. Tout à l’heure, nous avons eu un débat, qui me semble important, sur les
notions d’équité et d’égalité. Nous ne sommes pas d’accord puisque pour vous,
l’équité consiste à accorder à chacun selon ses besoins. Nous trouvons que tout
cela est flou et manque d’aspect normatif. Mais avec cet amendement, nous
proposons d’aller dans votre sens : il existe des inégalités flagrantes
dans les carrières de nos concitoyens et dans leur espérance de vie, vous le
savez, alors précisons-le dans la loi ! Cela nous rassurerait, et à avec
nous sans doute beaucoup de Français, qui sont inquiets. Mais voilà que vous
nous dites que nous rentrons trop dans les détails, prétexte pour tout
évacuer !
J’ai bien compris votre stratégie des prochains
jours : vous direz qu’il n’est pas possible de débattre, pour amener,
lundi, un coup de théâtre, tout cela en prenant prétexte de notre méticulosité…
C’est votre choix, mais nous, nous voulons discuter sur le fond !
(Exclamations sur les bancs des groupes LaREM et MODEM.)
Un député du groupe
LaREM. Quel clown…
M. Alexis
Corbière. Quel clown ? Monsieur le président, peut-on éviter de se
parler ainsi ? (Exclamations diverses.)
M. le
président. Poursuivez, monsieur Corbière.
M. Alexis
Corbière. Un peu de dignité ! Je me fais insulter.
M. le
président. Je n’ai pas entendu l’insulte.
M. Alexis
Corbière. Moi si ! Nous l’avons tous entendue !
M. le
président. Monsieur Corbière…
M. Alexis
Corbière. Ce n’est pas à moi qu’il faut s’adresser, mais aux
collègues !
M. le
président. J’invite évidemment chacun au respect. Soyons clairs :
les insultes n’ont absolument pas leur place dans cette assemblée, ni ailleurs.
Monsieur Corbière, continuez votre intervention. Ce n’est pas la peine de
l’interrompre à chaque réaction de l’hémicycle. Sinon, tout le monde devrait
s’arrêter en permanence.
M. Alexis
Corbière. Je vous rappelle que le président Ferrand, qui était à votre
place tout à l’heure…
M. le
président. En tant que garant de la qualité du débat, j’invite mes
collègues à écouter M. Corbière.
M. Alexis
Corbière. Le sujet est important et votre refus d’inclure cette évidence
parmi les principes premiers de votre loi prouve que notre inquiétude est
légitime. La manière dont le rapporteur et le secrétaire d’État balaient la
question, sans même vouloir en discuter, témoigne d’une certaine légèreté. Nous
le regrettons, mais les Français jugeront !
M. le
président. La parole est à M. Boris Vallaud.
M. Boris
Vallaud. Je regrette qu’à la place d’une réponse sur le fond, le
rapporteur nous offre une explication linguistique. Le sujet mérite un débat
plus approfondi, d’autant que c’était un amendement du ministre Véran et du
président Ferrand. Je pensais donc que nous aurions droit à plus de
considération.
Dans des discussions précédentes, l’un des arguments était
que l’espérance de vie en bonne santé n’est pas un indicateur bien établi. Mais
qu’à cela ne tienne : puisque vous aimez créer des indicateurs, au point de
fonder une partie de votre réforme sur des indicateurs qui n’existent pas, alors
décidez de prendre cette notion d’espérance de vie au sérieux et construisez un
indicateur que vous jugerez solide !
Il y a treize ans de différence
d’espérance de vie entre les 5 % de Français les plus riches et les
5 % de Français les plus pauvres. Quant aux égoutiers, ils ont dix-sept ans
d’espérance de vie en moins par rapport à la moyenne nationale. Avec l’âge
pivot, votre système sera très injuste puisque ceux qui auront commencé à
travailler tôt subiront une décote, ou bien devront travailler plus longtemps.
Nous revendiquons une vraie égalité devant le temps que l’on passe à la
retraite.
M. le
président. La parole est à Mme Laurence Vichnievsky.
Mme
Laurence Vichnievsky. Je parle peu au cours de ces débats, mais c’est
parce que je vous écoute tous. J’ai entendu tant d’arguments intéressants qui
méritent d’être débattus, du point de vue du fond comme du point de vue
juridique, sur des sujets qui nous touchent tous, que je suis vraiment déçue
qu’ils ne soient pas évoqués aux bons articles.
Mme Laurence
Dumont. Il faudrait qu’on nous laisse y arriver, à ces
articles !
Mme
Laurence Vichnievsky. En tant que législateur, je reconnais humblement
que je suis frustrée, mais je ne désespère pas d’aborder, dans les heures qui
viennent, tous les sujets essentiels, qui doivent être débattus conformément à
la procédure parlementaire. Il faut arrêter d’utiliser celle-ci à des fins
contraires aux intérêts de nos concitoyens, qui attendent de nous une discussion
nourrie sur la réforme. (Applaudissements sur les bancs des groupes MODEM,
LaREM et UDI-Agir.)
Mme
Brigitte Bourguignon, présidente de la commission spéciale.
Arrêtez de bloquer le débat !
M. Pierre
Dharréville. Quel cinéma !
M. le
président. La parole est à M. Didier Martin.
M. Didier
Martin. Le débat est chaotique, car on mélange des notions qui devraient
venir en discussion aux articles suivants mais qui sont propulsées au début de
l’article 1er.
S’agissant de l’espérance de vie, y a-t-il
un critère formel qui puisse être appliqué à chaque individu ? Évidemment
non. Il ne faut pas mélanger ces deux débats très importants, celui de l’âge de
départ à la retraite et celui de l’espérance de vie. L’espérance de vie doit
être augmentée par des mesures de santé publique et de prévention – y
compris dans le milieu professionnel, grâce à la médecine du travail et aux
reconversions. C’est tout l’objet du débat sur la pénibilité, que nous avons
prévu de tenir à la faveur des dispositions correspondantes contenues dans le
texte et dans les amendements. Le projet de loi renferme des avancées
considérables dans ce domaine. Venons-en au fond de la question plutôt que de
perdre notre temps avec des sous-amendements rédactionnels qui ne portent que
sur la forme ! (Applaudissements sur quelques bancs des groupes LaREM et
MODEM.)
M. le
président. La parole est à M. Hubert Wulfranc.
M. Hubert
Wulfranc. Je ne peux m’empêcher de lire – ou relire – aux
Français qui nous écoutent l’exposé sommaire qui explicite l’amendement de nos
collègues socialistes.
« Le présent amendement des députés
Socialistes et apparentés vise à améliorer la sincérité du projet de loi,
fortement mise en doute par l’avis rendu par le Conseil d’État. Ainsi le
Gouvernement fixe au système universel de retraite – SUR – un objectif
d’équité assis sur le principe que chaque euro cotisé ouvre les mêmes
droits.
Or, si le SUR engage une importante convergence des assiettes et
taux de cotisations des différentes catégories d’assurés, il ne corrige pas
l’inégalité centrale de notre système de retraite, l’important écart d’espérance
de vie et notamment d’espérance de vie en bonne santé à la retraite entre les
assurés et en particulier entre les 1er et 9e déciles de
revenus ou entre cadres et ouvriers. »
Je continue – écoutez
bien si c’est du verbiage, si c’est du rédactionnel !
Mme
Brigitte Bourguignon, présidente de la commission spéciale. Ce
sont les sous-amendements qui sont rédactionnels !
M. Hubert
Wulfranc. « Pire, en remodelant les dispositions du II de
l’article L 111-2-1 du code de la sécurité sociale dans ce nouvel
article, il fait disparaître en matière d’équité, la prise en compte de
l’espérance de vie en bonne santé qui existe aujourd’hui. »
Est-ce
là du verbiage ? Cette proposition ne mérite-t-elle pas, à
l’article 1er, une discussion de fond cruciale pour les
Françaises et les Français ?
M. le
président. Je mets aux voix le sous-amendement no 42100,
qui tend à remplacer les mots « au regard de » par les mots « eu
égard à ». (Exclamations sur les bancs des groupes LaREM et
MODEM.)
(Il est procédé au scrutin.)
M. le
président. Voici le résultat du
scrutin :
Nombre de
votants 94
Nombre
de suffrages
exprimés 82
Majorité
absolue 42
Pour
l’adoption 9
Contre 73
(Le sous-amendement no 42100
n’est pas adopté.)
M. le
président. Je mets aux voix le sous-amendement no 42101
de M. Dharréville, qui tend à remplacer les mots « au regard de »
par les mots « afin de prendre en compte ». (Mêmes
mouvements.)
(Il est procédé au scrutin.)
M. le
président. Voici le résultat du
scrutin :
Nombre de
votants 90
Nombre
de suffrages
exprimés 80
Majorité
absolue 41
Pour
l’adoption 11
Contre 69
(Le sous-amendement no 42101
n’est pas adopté.)
M. le
président. Je mets aux voix le sous-amendement no 42102
de M. Jumel, qui tend à remplacer les mots « au regard de » par
les mots « en considérant ». (Mêmes mouvements.)
(Il est procédé au scrutin.)
M. le
président. Voici le résultat du
scrutin :
Nombre de
votants 94
Nombre
de suffrages
exprimés 82
Majorité
absolue 42
Pour
l’adoption 10
Contre 72
(Le sous-amendement no 42102
n’est pas adopté.)
M. le
président. Je mets aux voix le sous-amendement no 42153,
qui tend à remplacer les mots « au regard de » par les mots « en
prenant pleinement en compte ». (Mêmes mouvements.)
(Il est procédé au scrutin.)
M. le
président. Voici le résultat du
scrutin :
Nombre de
votants 95
Nombre
de suffrages
exprimés 82
Majorité
absolue 42
Pour
l’adoption 10
Contre 72
(Le sous-amendement no 42153
n’est pas adopté.)
(Les sous-amendements nos 42155, 42133 et
42154, successivement mis aux voix, ne sont pas adoptés.)
M. le
président. Je mets maintenant aux voix les amendements
nos 2548 et identiques.
M. Pierre
Dharréville. Pouvez-vous préciser l’objet de l’amendement ?
M. le
président. Non, nous sommes en cours de scrutin et il n’est pas possible
d’interrompre la procédure une fois qu’elle est lancée.
M. Pierre
Dharréville. Je crois plutôt que cela ne vous intéresse pas !
Mme
Brigitte Bourguignon, présidente de la commission spéciale. Ne
remettez pas en cause la présidence, s’il vous plaît !
(Il est procédé au scrutin.)
M. le
président. Voici le résultat du
scrutin :
Nombre de
votants 95
Nombre
de suffrages
exprimés 85
Majorité
absolue 43
Pour
l’adoption 10
Contre 75
(L’amendement no 2548 et les
amendements identiques ne sont pas adoptés.)
M.
Sébastien Jumel. Je demande une suspension de séance, monsieur le
président.
Suspension et reprise de la séance
M. le
président. La séance est suspendue.
(La séance, suspendue à onze heures, est reprise à onze heures
dix.)
M. le
président. La séance est reprise.
Je suis saisi d’un amendement
no 23852 qui fait l’objet de cinq sous-amendements,
nos 42502, 42044, 42065, 42041 et 42014.
La parole est à
M. Dominique Potier, pour soutenir l’amendement.
M.
Dominique Potier. Il est défendu, monsieur le président.
M. le
président. La parole est à Mme Isabelle Valentin, pour soutenir le
sous-amendement no 42502.
Mme
Isabelle Valentin. Nous avons déjà beaucoup parlé de natalité depuis
quelques jours car notre système de retraite repose sur la solidarité
intergénérationnelle. Depuis dix ans, les politiques familiales ont été
terriblement malmenées, et la natalité est actuellement en baisse :
20 000 naissances de moins par an. Il me semble donc nécessaire de
rappeler que l’une des origines du déséquilibre de notre système de retraite est
démographique.
Proposé par notre collègue Le Fur, cet amendement
vise à faire en sorte que la réforme des retraites tienne compte de la situation
des mères de famille. La naissance d’un enfant peut entraîner d’importantes
répercussions sur la carrière des parents, le plus souvent celle de la mère. Les
parents devraient être soutenus dans le choix d’élargir leur famille et pouvoir
bénéficier, grâce à la solidarité nationale, d’un nombre substantiel de points
supplémentaires, compte tenu des perturbations que cela entraîne dans leur
parcours professionnel.
Il serait quand même très injuste d’appliquer un
pourcentage. Prenons un exemple. Est-ce bien équitable que le premier enfant
compte pour 50 euros si la pension perçue est de 1 000 euros et
pour 250 euros si elle est de 5 000 euros – soit 5 %
dans les deux cas ? Quelle terrible injustice !
Monsieur le
secrétaire d’État, il y a des questions de fond dont nous devons débattre dans
l’hémicycle ! (Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe
LR.)
M. le
président. Le sous-amendement no 42044 de M. Pierre
Dharréville est défendu.
La parole est à M. Sébastien Jumel, pour
soutenir le sous-amendement no 42065.
M.
Sébastien Jumel. Je ne sais pas si vous connaissez ce magnifique auteur,
Édouard Louis, qui a écrit Qui a tué mon père. Avec beaucoup de
poésie et aussi de sensibilité, il explique que certains décideurs politiques ne
sont pas du tout affectés par les décisions qu’ils prennent. Quoi qu’ils
décident ici, leur vie ne s’en trouvera pas modifiée : ils vont pouvoir
continuer à prospérer, à rêver, à prendre soin des leurs. Certains de nos
concitoyens, eux, vont voir leur vie modifiée de manière radicale par certaines
politiques.
La réforme qui nous est proposée, dans une sorte de mépris de
classe,…
M. Jean-Luc
Mélenchon. Oui ! C’est exactement cela !
M.
Sébastien Jumel. …va plomber la vie de ceux qui ont le moins, aggraver
la situation de la France qui manque, pénaliser ceux qui n’ont pas les mêmes
points de vie en bonne santé, accroître les inégalités entre les hommes et les
femmes.
M. Alexis
Corbière. C’est vrai !
Une députée du groupe
LaREM. C’est faux !
M.
Sébastien Jumel. J’ai en tête les salariés de mon territoire, ceux qui
n’ont pas profité de la retraite parce que l’amiante les a laminés en quelques
jours, ceux dont je vois, lorsque je fais le marché quand je ne suis pas ici à
défendre leur point de vue, les visages abîmés, les dos broyés. Ils portent sur
leur corps les stigmates des politiques libérales que vous enfilez comme des
perles depuis la nuit des temps. (Exclamations sur les bancs du groupe LaREM.
– Mme Brigitte Bourguignon, présidente de la commission
spéciale, rit.)
Oui, depuis la nuit des temps : c’est toujours
la même classe ! Les libéraux sont aux responsabilités depuis trop
longtemps.
M.
Jean-Paul Mattei. Depuis Mitterrand !
M. le
président. Il faut conclure, monsieur Jumel.
M. Rémy
Rebeyrotte. Et le goulag ?
M.
Sébastien Jumel. Pardon ?
M. le
président. S’il vous plaît, chers collègues, laissez M. Jumel
finir !
M.
Sébastien Jumel. Vous voyez le type d’individus auxquels j’ai affaire,
monsieur le président : je parle de la vie des gens et on me parle du
goulag ! (Exclamations sur les bancs du groupe LaREM.)
M. le
président. Avez-vous terminé votre intervention, cher
collègue ?
M.
Sébastien Jumel. Quand les nôtres étaient dans les camps,… (Mêmes
mouvements.)
M. le
président. Non, monsieur Jumel, on ne va pas refaire l’histoire de
France.
M.
Sébastien Jumel. Je n’ai pas de leçons d’histoire à recevoir de la part
de ceux qui…
M. le
président. Merci, monsieur Jumel. On s’arrête là.
Vous pouvez en
revanche reprendre la parole pour soutenir le sous-amendement suivant, le
no 42014.
M.
Sébastien Jumel. Merci, monsieur le président, de permettre aux
marcheurs de retrouver leurs esprits. (Exclamations sur certains bancs du
groupe LaREM.)
M. Patrick
Mignola. N’allez pas sur ce terrain…
M.
Sébastien Jumel. Il n’est pas acceptable d’entendre de tels propos quand
on parle de la réalité sociale des salariés que nous représentons. Quand on est
marin pêcheur, on n’a pas les mêmes points de vie en bonne santé que
d’autres.
Mme
Jacqueline Dubois. On parle des femmes, là !
M.
Sébastien Jumel. Vous voulez parler des femmes ? Venez voir les
décortiqueuses de coquilles Saint-Jacques, qui commencent à travailler à quatre
heures et demie du matin, quel que soit le temps, et qui répètent les mêmes
gestes pour en offrir le blanc à ceux qui ont les moyens de se le payer :
elles n’ont pas les mêmes points de vie en bonne santé. Quand on est trieuse de
verre, que l’on trie les flacons des parfums de luxe que vous vous offrez…
(Vives protestations sur plusieurs bancs des groupes LaREM et MODEM.)
Mme Fiona
Lazaar. Que vous vous offrez, vous !
M.
Sébastien Jumel. …et que l’on en transporte une tonne par jour, on n’a
pas non plus les mêmes points de vie en bonne santé.
Mme Sandra
Marsaud. Quelle caricature ! C’est une honte !
M. Frédéric
Petit. Fait personnel !
M.
Sébastien Jumel. Qu’y a-t-il, qu’est-ce qui vous arrive ?
M. le
président. Poursuivez, monsieur Jumel, et terminez votre
intervention.
M.
Sébastien Jumel. En quoi le fait de s’offrir du parfum est-il une
insulte ? J’espère pour vous, chers collègues, que, de temps en temps, vous
pouvez vous offrir du parfum. Mais n’oubliez jamais que, derrière, il y a des
trieuses de verre, des verriers, et que, pour un flacon qui coûte
100 euros, le coût de la valeur travail est de 1 euro.
(Applaudissements sur les bancs du groupe FI. – Exclamations sur plusieurs
bancs du groupe LaREM.) Le reste, c’est le fric que fabriquent ceux qui font
l’économie en dormant – vous savez, ceux que vous avez décidé de câliner
depuis que vous êtes aux responsabilités, de choyer par vos dispositions
fiscales et d’épargner dans la mauvaise réforme que vous nous
proposez !
Mme
Brigitte Bourguignon, présidente de la commission spéciale. C’est
bon, là, ça suffit !
M.
Sébastien Jumel. Je me dois de faire entendre ici ces réalités, ne vous
en déplaise, lorsque nous débattons d’égalité entre les hommes et les femmes et
de pénibilité. Vous savez, tant qu’on sera là, on sera là pour vous…
M. Rémy
Rebeyrotte. J’espère qu’à Dieppe, vous avez des entreprises ! Je
vous le souhaite !
M.
Sébastien Jumel. À Dieppe, cher collègue, l’industrie représente
24 % du PIB, contre 10 % au niveau national. Vous pouvez venir
vérifier quand vous voulez ! Donc oui, je peux parler d’industrie !
(M. Jean-Luc Mélenchon applaudit. – Exclamations et
claquements de pupitres sur plusieurs bancs des groupes LaREM et MODEM.)
M. Bruno
Millienne. Quel rapport avec le débat ?
M. le
président. Merci, monsieur Jumel.
Fait personnel
M. le
président. La parole est à M. Frédéric Petit, pour un fait
personnel.
M. Frédéric
Petit. À propos des camps, à propos des parfums, vous avez parlé de
« nous », monsieur Jumel, et je le prends personnellement, car ce
« nous » désigne une addition de personnes. Je refuse les amalgames et
je vous demande de ne pas vous adresser à « nous », car nous ne sommes
pas tous les mêmes. (Mme Nadia Essayan approuve.) Vous
avez dit : « Nous qui étions dans les camps », pour signifier que
nous, nous n’y étions pas. (Protestations sur les bancs du groupe GDR.)
Si, vous l’avez bel et bien dit, cher collègue, et c’est un amalgame : il
s’agit d’une autre époque, il ne s’agit pas de nous ! (Applaudissements
sur les bancs des groupes LaREM et MODEM.)
Mme Nadia
Essayan. Il y en a qui fatiguent et qui devraient parler
moins !
Article 1er (suite)
M. le
président. Sur l’amendement no 23852, je suis saisi par
le groupe Socialistes et apparentés d’une demande de scrutin public.
Le
scrutin est annoncé dans l’enceinte de l’Assemblée nationale.
Sur le
sous-amendement no 42502, je suis saisi par le groupe Les
Républicains d’une demande de scrutin public.
Le scrutin est annoncé dans
l’enceinte de l’Assemblée nationale.
Quel est l’avis de la commission sur
l’amendement no 23852 et sur les sous-amendements ?
M. Nicolas
Turquois, rapporteur. Je rejoins Frédéric Petit : je ne me
retrouve pas du tout dans vos propos, monsieur Jumel. Vous représentez des
pêcheurs, des décortiqueuses de coquilles Saint-Jacques, très bien ; mais
moi, je représente des agriculteurs, et j’ai découvert que beaucoup de mes
collègues, néodéputés, sont qui assistante sociale, qui comptable, qui chef
d’entreprise etc. : ils représentent une partie de la France.
Mme
Brigitte Bourguignon, présidente de la commission spéciale. Eh
oui ! Vous croyez nous apprendre la vie, monsieur Jumel ?
M. Nicolas
Turquois, rapporteur. Vos propos agressifs me blessent…
M. Patrick
Mignola. Ils nous stigmatisent !
M. Nicolas
Turquois, rapporteur. …et cette façon de faire me désole.
(Applaudissements sur les bancs des groupes LaREM et MODEM.) Je veux
faire mon travail de rapporteur, parler du fond ! Va-t-on le faire, va-t-on
essayer de trouver des solutions pour tous nos concitoyens qui ont de petites
retraites, qui ont du mal à joindre les deux bouts ? (Applaudissements
continus sur les bancs des groupes LaREM et MODEM.) Bien sûr, il y a des
situations particulières ; travaillons donc sur le fond, c’est pour cela
que nous avons été élus, non pour en rester à la forme !
(Applaudissements sur les bancs des groupes LaREM et MODEM.)
Mme Nadia
Essayan. Bravo !
M. le
président. La parole est à M. Thibault Bazin.
M. Thibault
Bazin. Vous dites vouloir parler du fond, monsieur le rapporteur, mais,
à chacune de vos réponses, vous oubliez les amendements et sous-amendements qui
ont été défendus !
Mme
Brigitte Bourguignon, présidente de la commission spéciale. On en
est toujours à l’article 1er, depuis presque une semaine, sans
compter le travail en commission : c’est bon, ça suffit !
M. Thibault
Bazin. Madame la présidente de la commission spéciale, le
sous-amendement no 42502 de M. Le Fur sur les mères de
famille n’est pas anodin : il vise à préciser, parmi les objectifs de la
réforme, que celle-ci tiendra compte de la situation des mères de famille. Cela
me semble judicieux !
Vous n’arrêtez pas de dire que les femmes sont
les grandes gagnantes de la réforme, mais vous parlez peu des mères, dont
certaines pourraient perdre au nouveau système. Il ne s’agit pas seulement d’une
nuance sémantique. Vous multipliez les exemples dans lesquels les femmes sont
gagnantes, mais vous omettez les mères perdantes. Le nouveau dispositif des
5 % par enfant se révèle, dans nombre de cas, moins favorable que les
règles actuelles, notamment celles qui portent sur la durée d’assurance. Je
songe aux femmes qui ont validé moins de trente ans de services. Pour les mères
qui accueillent trois enfants ou plus – autant de futurs cotisants dans
notre système par répartition –, la perte sera d’une ampleur
exceptionnelle. Je trouve dommage, monsieur le rapporteur, monsieur le
secrétaire d’État, que vous ne nous répondiez pas à ce sujet, pour nous
essentiel. Nous voulons préserver les droits familiaux auxquels nous, Les
Républicains, sommes très attachés. (Applaudissements sur plusieurs bancs du
groupe LR.)
M. Brahim
Hammouche. Vous n’êtes pas les seuls !
M. le
président. La parole est à Mme Laurence Dumont.
Mme Laurence
Dumont. Vous n’êtes pas sérieux quand vous dites que vous voulez parler
du fond, monsieur le rapporteur : nous ne parlons que de cela.
Mme
Brigitte Bourguignon, présidente de la commission spéciale.
Non !
Mme Laurence
Dumont. L’égalité entre les hommes et les femmes, c’est bien une
question de fond !
M. Bruno
Millienne. Elle sera abordée à partir de l’article 44 !
Mme Laurence
Dumont. Alors que les femmes touchent une pension environ 40 %
inférieure à celle que touchent les hommes, vous nous dites qu’elles seront les
grandes gagnantes de la réforme ; nous essayons simplement de vous
démontrer que ce ne sera pas le cas – je laisse de côté le fait que le
véritable enjeu est évidemment, en amont de la retraite, l’égalité
salariale.
Pourquoi est-ce faux ? Premièrement, parce que les
femmes, plus exposées aux carrières incomplètes, premières concernées par les
temps partiels, les congés parentaux, etc., seront les premières victimes du
système par points.
M. Jean-Luc
Mélenchon. C’est évident !
Mme Laurence
Dumont. Demain, les « mauvaises » années seront intégrées au
calcul des droits, jusque-là fondé sur les vingt-cinq
meilleures.
Deuxièmement, parce que les mères de famille devront
travailler plus longtemps. Le nouveau système leur accorde une majoration
monétaire, et non plus du temps de cotisation supplémentaire. Un exemple des
conséquences de cette modification : une femme née en 1975 qui a commencé à
travailler à 22 ans et qui a eu un enfant pourra, dans le système actuel,
bénéficier d’une retraite à taux plein à l’âge de 63 ans – 65 ans
moins les huit trimestres de majoration ; dans le nouveau système, elle
devra pour cela avoir atteint l’âge d’équilibre de sa génération, c’est-à-dire
65 ans, donc travailler deux ans de plus. Voilà ce qu’implique votre
système.
Plusieurs députés du groupe
LaREM. Pas du tout !
Mme Laurence
Dumont. Arrêtez donc de nous bassiner – je ne trouve pas d’autre
mot – en nous répétant que les femmes en seront les grandes
gagnantes : c’est faux, et c’est ce que nous essayons de vous démontrer.
Ça, c’est parler du fond, monsieur le rapporteur !
M. Jacques
Marilossian. Vous essayez d’en parler…
M. le
président. La parole est à M. Sébastien Jumel.
M.
Sébastien Jumel. Le fond, nous ne cessons d’en parler. Je rappelle que
le sens de mon intervention précédente était, en référence à Édouard Louis, que
la modification d’une loi a des conséquences sur la vie réelle des gens. Qui
peut contester cette réalité objective ?
J’en reviens à l’égalité
entre les hommes et les femmes. Lorsque vous décidez d’intégrer les primes à
l’assiette de calcul de la pension des fonctionnaires, vous ne pouvez pas faire
l’impasse sur le fait que, dans la fonction publique – d’État, hospitalière
ou territoriale –, les femmes en touchent 20 % de moins que les
hommes, sans compter que leur salaire est inférieur. Aussi le mode de calcul du
futur système par points aggravera-t-il l’inégalité entre hommes et femmes.
N’est-ce pas une question fondamentale quand on envisage le système de retraite
de demain ?
Je vous ai parlé des décortiqueuses de coquilles
Saint-Jacques, qui travaillent le temps de la saison, c’est-à-dire six mois par
an, et sont au chômage technique les six autres mois de l’année. Votre projet va
aggraver leur situation,…
Plusieurs députés du groupe
MODEM. C’est l’inverse !
M.
Sébastien Jumel. …outre qu’il ne prend pas en compte les facteurs de
pénibilité de leur travail et le fait que leur espérance de vie en bonne santé
n’est pas la même que celle des bourgeoises de Neuilly. (Exclamations sur les
bancs des groupes LaREM et MODEM.) J’imagine que si je vous heurte en disant
cela, c’est l’effet d’un réflexe de classe de votre part, comme je fais moi-même
preuve d’un réflexe de classe en vous parlant ainsi. (Protestations sur les
bancs des groupes LaREM et MODEM.)
M. Jacques
Marilossian. C’est insultant ! Honteux !
M.
Sébastien Jumel. Disant cela, je n’ai pas le sentiment d’être
désagréable avec vous !
Cher collègue Turquois, je veux bien parler
aussi des agriculteurs : il y en a 1 600 dans mon territoire.
(Exclamations sur les bancs des groupes LaREM et MODEM.) Eh bien, ils se
sentent floués, abandonnés, leurrés par vos promesses de Gascon sur les
retraites agricoles.
M. Jacques
Marilossian. Quel mépris !
M.
Sébastien Jumel. Est-ce qu’en disant cela je ne parle pas de sujets de
fond ? Je n’en ai pas l’impression.
M. le
président. Merci…
M.
Sébastien Jumel. J’entends bien que lorsqu’on défend un point de vue
différent du vôtre, cela ne vous plaît pas !
Mme Perrine
Goulet. Mensonge !
M. le
président. La parole est à M. Hubert Wulfranc.
M. Hubert
Wulfranc. Vous voulez aller au fond ? Mais ça y est, vous y
êtes ! (Rires sur divers bancs.)
Mme
Brigitte Bourguignon, présidente de la commission spéciale. Non,
toujours pas…
M. Hubert
Wulfranc. Comme le souligne logiquement et gentiment le secrétaire
général de la CGT,…
(« Ah ! » sur les
bancs du groupe LaREM.)
M. Roland
Lescure. Je vois qu’on cite les grands auteurs !
M. Hubert
Wulfranc. Eh oui, il faut en revenir à la base !
Comme il le
souligne, donc, votre système de retraite, c’est quoi ? C’est que tout le
monde travaillera plus tard, y compris ceux qui exercent des métiers
pénibles ! Vous parlez de santé au travail, vous dites que vous allez y
œuvrer, mais cela fait deux ans et demi que vous n’arrivez pas à avancer sur la
pénibilité avec les organisations syndicales ; vous avez même écarté quatre
critères de pénibilité. Or c’est quoi, le travail, aujourd’hui ? C’est une
pression non seulement sur les corps – et elle se renforce du fait de
politiques patronales qui poussent toujours plus à la rentabilité –, mais
aussi psychologique. On ne vous a pas entendus à propos du procès France
Télécom. Pourtant, des France Télécom, aujourd’hui, il y en a des milliers dans
le pays, y compris dans la fonction publique, notamment l’éducation nationale,
et vous le savez très bien !
M. Roland
Lescure. Ce n’est pas dans le cadre de ce projet de loi qu’on va
résoudre le problème !
M. Hubert
Wulfranc. Quant aux femmes – mais cela concerne aussi les
hommes –, pourquoi réduisez-vous la portée du dispositif de bonification
pour les parents de familles nombreuses en fondant sur 60 % du SMIC, contre
100 % aujourd’hui, le calcul de la compensation de l’interruption
d’activité ?
M. le
président. La parole est à M. Patrick Mignola.
M. Patrick
Mignola. À propos d’un amendement portant sur l’égalité entre les femmes
et les hommes et des cinq sous-amendements dont il fait l’objet, viennent d’être
évoqués les camps de concentration, les primes des fonctionnaires, les flacons
de parfum, la lutte des classes et France Télécom.
Un député du groupe
LaREM. Et les coquilles Saint-Jacques !
M. Patrick
Mignola. On s’y perd un peu ! (Approbations sur les bancs du
groupe LaREM et MODEM.)
Si le but est d’apporter des solutions en
matière d’égalité entre hommes et femmes, nous avons tous préparé des
amendements à l’article 44 tendant à faire progresser les droits familiaux.
Sans même attendre cet article, l’égalité entre les hommes et les femmes est
abordée à l’alinéa 6 de l’article 1er, l’alinéa qui suit
celui sur lequel porte l’amendement : pour parler des femmes, vous êtes en
train d’amender et de sous-amender un autre alinéa que celui où elles sont
mentionnées !
En réalité, vous n’amendez pas, vous ne sous-amendez
pas : vous ne faites que de l’obstruction, en prétendant parler du fond.
Vous vous moquez de nous ! (Applaudissements sur les bancs des groupes
LaREM et MODEM.) Et vous faites de l’obstruction non pas contre la majorité,
mais contre les femmes, contre le progrès social, contre tout ce que nous
pouvons dire à nos concitoyens ! (Applaudissements continus sur les
bancs des groupes LaREM et MODEM.) Cessez de vous moquer du monde !
Vous voudriez nous faire culpabiliser parce qu’on ne parle pas des femmes ?
On en parle à l’alinéa suivant ! Vous vous moquez des femmes !
Assumez-le ! (Vifs applaudissements sur les bancs des groupes LaREM et
MODEM. – Exclamations sur les bancs du groupe LR.)
M. Thibault
Bazin. C’est vous qui faites de l’obstruction ! Vous nous faites
perdre du temps !
M. le
président. La parole est à Mme Clémentine Autain.
Mme
Clémentine Autain. Il y a quelque chose que je ne comprends pas :
quand M. Jumel vous parle de la différence entre la vie d’une femme qui
n’exerce pas un métier pénible et vit dans un quartier bourgeois, et celle d’une
ouvrière de sa circonscription, il n’y a aucune raison pour que vous vous
sentiez insultés.
M. Patrick
Mignola. Je ne me sens pas insulté. Je vous fais simplement remarquer
que ce problème concerne l’alinéa suivant !
Mme
Clémentine Autain. C’est une réalité sociale ! (Exclamations sur
les bancs des groupes LaREM et MODEM.) J’observe de votre part, tant dans ce
texte que dans la manière dont vous évoquez la réalité, un déni des inégalités,
des rapports de classe et de la réalité sociale, dans ses mécanismes créateurs
de profondes inégalités. (Protestations sur les bancs des groupes LaREM et
MODEM.)
M. Bruno
Millienne. Et nous, nous observons de votre part un déni de
démocratie !
Mme
Clémentine Autain. Votre projet de loi pénalise les femmes,…
Plusieurs députés des groupes
LaREM et MODEM. Non !
Mme
Clémentine Autain. …et cela d’abord parce que les femmes ont des
carrières plus hachées : par conséquent, elles seront pénalisées si le
calcul de la pension s’effectue sur l’ensemble de la carrière, et non plus sur
les vingt-cinq dernières années. D’autre part, les droits familiaux…
Mme Nadia
Essayan. Ce n’est pas le moment d’en parler !
M. Patrick
Mignola. Nous en parlerons quand nous examinerons l’alinéa
suivant !
M. le
président. S’il vous plaît, chers collègues ! Seule Mme Autain
a la parole.
Mme
Clémentine Autain. Détendez-vous, chers collègues. Acceptez que l’on
parle du fond.
M. Patrick
Mignola. Ce n’est pas ce que vous faites : vous abordez cinquante
sujets à chaque alinéa !
Mme
Clémentine Autain. Je reprendrai quand vous serez calmés.
M. le
président. Chers collègues, je vous demande d’écouter Mme Autain
avec le respect que l’on doit dans cet hémicycle à chaque orateur.
Mme
Clémentine Autain. Je répète : les femmes ayant des carrières
hachées, elles seront pénalisées si l’on prend en compte l’ensemble de la
carrière au lieu des vingt-cinq meilleures années. Elles le seront aussi parce
qu’elles perçoivent les plus bas salaires, et enfin parce que votre réforme ne
prend pas en compte la pénibilité, alors que certains métiers exercés surtout
par les femmes sont très durs. Les hôtesses de caisse, par exemple, souffrent de
troubles musculo-squelettiques. Que deviendront celles qui sont en grande
souffrance quand elles devront travailler jusqu’à 65, voire 67 ans ?
C’est effrayant !
Rendez-vous compte aussi de ce que représente le
fait, pour un professeur des écoles, d’être devant une classe à 65 ou
67 ans ! Mais de quoi on parle, là ?
M. Patrick
Mignola. Nous voudrions bien en parler, justement !
Mme
Clémentine Autain. Quant aux droits familiaux, j’espère que vous
n’utiliserez pas l’article 49, alinéa 3,…
M. Patrick
Mignola. C’est pourtant ce que vous recherchez !
Mme
Clémentine Autain. …et que nous pourrons effectivement en discuter à
l’article 44. (Exclamations sur les bancs des groupes LaREM et
MODEM.)
M. Jacques
Marilossian. Tu parles ! Votre objectif, c’est le 49.3 !
M. le
président. S’il vous plaît !
Mme
Clémentine Autain. Calmez-vous et écoutez, car, sur ce point, les
réponses du Gouvernement ne sont pas toujours précises. Mme Buzyn m’avait
conseillé de ne pas m’inquiéter au motif que la majoration qui interviendrait
dès le premier enfant serait plus favorable que le système actuel.
M. le
président. Madame Autain, je vous demande de conclure.
Mme
Clémentine Autain. Or il est un point sur lequel je n’ai reçu aucune
réponse du Gouvernement : dans un système dans lequel la durée n’est plus
prise en compte, que devient le gain de deux ans par enfant ? C’est un
moins-disant par rapport au système actuel…
M. le
président. Merci, madame Autain.
La parole est à Mme Nicole
Dubré-Chirat.
Mme Nicole
Dubré-Chirat. De quoi parle-t-on à travers cette réforme ? Depuis
des jours, on vous entend décrire en termes noirs, pessimistes, le travail tel
qu’il se pratiquait peut-être dans les années soixante, et parler de la
condition des femmes. (Mme Laurence Dumont s’exclame.)
Bien sûr que la fatigue physique et psychologique existe dans le
travail.
Depuis plus de quarante ans, j’exerce comme soignante dans les
hôpitaux, les cliniques, ainsi que dans le secteur libéral. (Applaudissements
sur quelques bancs des groupes LaREM et MODEM.) Les modalités du travail ont
évolué.
Je constate aussi que, dans le secteur public, quand la retraite
était à 55 ans, les personnels partaient à 57 ans et qu’aujourd’hui,
alors qu’elle est à 57 ans, ils partent à 59 ans. Pourquoi ?
Peut-être parce que le montant des pensions de retraite est bas, mais peut-être
aussi parce qu’ils ont eu leurs enfants plus tard et qu’ils les ont encore à
charge – ainsi, parfois, que leurs parents. De ce fait, ayant pris leur
retraite, ils vont exercer dans le privé ou en libéral, où les infirmières
travaillent jusqu’à 65 ans, alors qu’elles ne sont pas moins fatiguées que
d’autres.
Grâce à la réforme, on pourra comptabiliser les petits
boulots d’étudiants, les congés de maternité, la naissance des enfants.
(Applaudissements sur plusieurs bancs des groupes LaREM et MODEM.) Le
compte pénibilité permettra de partir deux ans plus tôt. Les primes seront
intégrées au calcul. Et que dire de la cessation progressive d’activité, du
compte épargne et du cumul emploi-retraite ? (Mêmes
mouvements.)
Tout ça, c’est la vraie vie, et nous sommes nombreux sur
ces bancs à l’avoir connue, tous les jours, au travail. (Mêmes
mouvements.) Je pense que ce qui intéresse les gens aujourd’hui, c’est le
travail. À 20 ans, la première préoccupation n’est pas la retraite que l’on
prendra peut-être un jour, c’est le premier boulot qu’on va décrocher, en
espérant qu’il correspondra à ce qu’on souhaite.
M.
Jean-Paul Mattei. Exactement !
Mme Nicole
Dubré-Chirat. Sur ces questions, nous n’avons pas de leçons à recevoir
des autres groupes ! (Applaudissements sur les bancs des groupes LaREM
et MODEM.)
M. Roland
Lescure. Excellent !
Mme
Caroline Fiat. Ça, c’est s’exprimer sur le fond…
M. le
président. La parole est à M. Guillaume Gouffier-Cha, rapporteur
général de la commission spéciale.
M.
Guillaume Gouffier-Cha, rapporteur général de la commission
spéciale. Ce débat, que nous avons eu à plusieurs reprises, tant en
commission qu’en séance, est particulièrement important. Je vous reconnais au
moins un mérite, monsieur Jumel : vous citez – contrairement à
certains orateurs d’autres groupes qui imaginent des cas fictifs – de vrais
exemples, des témoignages précis de nos citoyens. Vous présentez des parcours de
vie, notamment de femmes, difficiles ou brisés. Ces exemples me parlent, à moi
autant qu’à mes collègues.
Je l’ai dit l’autre jour : le système
actuel est fait par et pour des hommes. Dans ce système, reflet de notre
société, le départ à la retraite, notamment pour les femmes qui ont des
carrières heurtées, difficiles, ou qui exercent des métiers ouvriers
particulièrement brisants, ne s’effectue pas à 62 ou 63 ans, et l’on ne
parle pas de retraite anticipée. On part souvent à 67 ans, pour toucher une
pension de misère. Telle est la réalité de notre système. Nous voulons la
corriger.
C’est à quoi tend l’instauration du système universel, qui
permettra à celles qui travaillent aujourd’hui jusqu’à 67 ans de partir
deux ou trois ans plus tôt avec une pension à taux plein. Ce système ne
révolutionnera peut-être pas le quotidien, mais – chacun peut en
convenir – il sera meilleur que celui que nous connaissons.
Dans les
prochaines années, comme l’ont relevé Mme Panonacle et nos collègues de la
délégation aux droits des femmes, nous devrons mener – ce qui n’est pas
possible à l’occasion de ce texte sur les retraites – une réflexion sur les
critères de pénibilité, qui ont été pensés de manière très masculine, sans
prendre en considération des aspects féminins.
Cependant, le projet de
loi s’attaque aux inégalités de pension, dans la lignée de la lutte que nous
menons contre les inégalités de salaires. Une collègue du groupe Socialistes et
apparentés a prétendu que rien n’était fait dans ce domaine, et que nous devions
prendre enfin des engagements, mais, depuis plus de deux ans, le Gouvernement et
la majorité ont agi, notamment en créant un index de l’égalité professionnelle
entre les femmes et les hommes, qui oblige les entreprises à prendre des
initiatives, au cours des trois ans suivant le premier bilan, pour atteindre
l’égalité salariale. À défaut, celles-ci encourent une sanction dont le montant
peut atteindre 1 % de la masse salariale. Nous avons donc instauré des
instruments pour atteindre notre objectif – même si cela prend du
temps.
Nous agissons aussi sur les retraites, quand nous instaurons dès
le premier enfant une majoration de 5 % qui augmentera considérablement
certaines pensions.
Comme l’a dit M. Mignola, nous devons avancer
dans l’examen du texte. Il faut par conséquent sortir de cette stratégie de
sous-amendements visant à ralentir la discussion. Nous devons débattre des
droits à adopter pour nos concitoyens et nos concitoyennes.
Nous
obtiendrons une avancée en matière de droits familiaux quand nous examinerons la
situation des mères isolées. Qui s’opposera à la majoration de points concernant
les familles monoparentales ? Qui refusera de voter un amendement tendant à
créer une garantie minimale de points ou l’instauration d’un plancher ?
Dans ce projet de loi, nous voulons créer des droits nouveaux, comme nous nous
sommes engagés à le faire depuis le début de la législature, car l’égalité entre
les femmes et les hommes est une priorité, qui doit nous permettre d’améliorer
demain le quotidien de nos concitoyennes. (Applaudissements sur les bancs des
groupes LaREM et MODEM.)
M. le
président. La parole est à Mme Brigitte Bourguignon, présidente de
la commission spéciale.
Mme
Brigitte Bourguignon, présidente de la commission spéciale. Ce
matin, il y a sur nos bancs de la colère, de l’impatience, parce qu’on ne peut
pas présenter comme un débat de fond ce qui ne l’est pas. Il suffit de lire le
texte des amendements et des sous-amendements pour comprendre que nous en
restons à l’écume des choses.
M. Pierre
Dharréville. Ce que vous dites n’est pas acceptable !
Mme
Brigitte Bourguignon, Présidente. Au bout de dix-huit jours de
discussion, nous en sommes toujours à l’article 1er, alors que
le projet de loi en comporte soixante-cinq. Autant dire que nous ne sommes pas
dans l’examen du texte et que nous n’effectuons pas le travail de fond dont vous
parlez tant.
M. Pierre
Dharréville. Si ! Nous, nous l’effectuons !
Mme
Brigitte Bourguignon, Présidente. La deuxième raison de notre
colère, du moins de la mienne, tient en partie, monsieur Jumel, à vos constantes
références à la vraie vie, que, selon vous, nous ne connaîtrions pas. Si j’ai
rencontré un chaudronnier abîmé par la vie, ce n’était pas sur un marché ou dans
un café, c’était mon père. Si j’ai rencontré une femme travaillant à la marée de
Boulogne-sur-mer, ce n’était pas dans un café, c’était ma mère. C’est pourquoi
j’en ai marre de vos références à la vraie vie ! (Vifs applaudissements
sur les bancs des groupes LaREM et MODEM.)
Mme Nadia
Essayan. Bravo !
M.
Sébastien Jumel. Quand vous aurez un moment, je vous parlerai de mes
parents.
M. le
président. Je mets aux voix le sous-amendement
no 42502.
(Il est procédé au scrutin.)
M. le
président. Voici le résultat du
scrutin :
Nombre de
votants 103
Nombre
de suffrages
exprimés 99
Majorité
absolue 50
Pour
l’adoption 20
Contre 79
(Le sous-amendement no 42502 n’est pas
adopté.)
(Le sous-amendement no 42044 n’est pas
adopté.)
(Le sous-amendement no 42065 n’est pas
adopté.)
(Le sous-amendement no 42041 n’est pas
adopté.)
(Le sous-amendement no 42014 n’est pas
adopté.)
M. le
président. Je mets aux voix l’amendement no 23852.
(Il est procédé au scrutin.)
M. le
président. Voici le résultat du
scrutin :
Nombre de
votants 102
Nombre
de suffrages
exprimés 91
Majorité
absolue 46
Pour
l’adoption 13
Contre 78
(L’amendement no 23852 n’est pas
adopté.)
M. le
président. Je suis saisi de deux amendements identiques,
nos 24531 et 27394.
Sur ces amendements, je suis saisi
par le groupe Les Républicains d’une demande de scrutin public.
Le
scrutin est annoncé dans l’enceinte de l’Assemblée nationale.
La parole
est à M. Patrick Mignola.
M. Patrick
Mignola. Monsieur le président, je demande une suspension de séance pour
réunir mon groupe.
Suspension et reprise de la séance
M. le
président. La séance est suspendue.
(La séance, suspendue à onze heures quarante, est reprise à onze heures
cinquante.)
M. le
président. La séance est reprise.
La parole est à M. Éric
Pauget, pour soutenir l’amendement no 24531.
M. Éric
Pauget. Le présent amendement du groupe Les Républicains vise à assigner
un objectif supplémentaire au système universel de retraite, celui d’égalité en
matière d’âge de départ à la retraite, et cela afin d’accélérer l’alignement de
l’âge de départ.
Nous souhaitons en même temps sanctuariser le statut
particulier des fonctionnaires chargés de missions régaliennes – notamment
les militaires, gendarmes et pompiers, qui assurent la sécurité des Français.
Ils traversent une période difficile, et méritent cette sanctuarisation.
(Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe LR.)
M. le
président. La parole est à M. Dino Cinieri, pour soutenir
l’amendement no 27394.
M. Dino
Cinieri. Le nouveau système doit être égalitaire en matière d’âge de
départ à la retraite, sauf pour les fonctionnaires chargés de missions
régaliennes, notamment les militaires, gendarmes et pompiers, qui assurent la
sécurité des Français. C’est non négociable : il faut satisfaire leurs
demandes ! (Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe
LR.)
M. le
président. Quel est l’avis de la commission ?
M. Nicolas
Turquois, rapporteur. L’intégration de l’ensemble des assurés
dans le système universel répond précisément à l’objectif que vous demandez
d’inscrire – quoique nous préférions parler d’« équité ». Nous ne
souhaitons pas appliquer uniformément les mêmes règles, sans prendre en
considération certaines sujétions particulières – vous citez, par exemple,
les fonctions régaliennes. Pour cette raison, des conditions de départ anticipé
à la retraite sont prévues pour certains dans le projet de loi, de même que des
compensations pour les périodes d’interruption de carrière.
Notre
projet vise à garantir un traitement qui soit équitable, sans distorsions entre
les professions ou les métiers. Avis défavorable.
M. le
président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. Laurent
Pietraszewski, secrétaire d’État. Lui aussi est défavorable. Nous
avons débattu longuement, il y a deux jours, des fonctions régaliennes – de
nombreux amendements ont été déposés à ce sujet, concernant notamment les
sapeurs-pompiers. Nous y reviendrons lors de l’examen des articles du texte
relatifs à ces questions.
M. le
président. La parole est à M. Frédéric Reiss.
M. Frédéric
Reiss. Nous ne sommes évidemment pas très satisfaits des réponses du
rapporteur et du secrétaire d’État. Je soutiens ces amendements que viennent de
défendre excellemment Éric Pauget et Dino Cinieri.
À
l’article 1er, que nous examinons, la majorité fixe de grands
objectifs au système de retraite : l’équité, la solidarité, la garantie du
niveau de vie, la liberté de choix, la soutenabilité économique et la
lisibilité.
Or, depuis le début de l’examen du présent texte, des
aménagements ont été accordés pour de nombreuses professions, concernant l’âge
de départ à la retraite. Un objectif d’égalité en matière d’âge de départ à la
retraite doit donc être affirmé ; c’est le premier objectif de ces
amendements.
Cela étant, intégrer à un système universel des personnes
chargées de préserver la sécurité des Français – les militaires, les
gendarmes, les policiers ou les sapeurs-pompiers – est un non-sens, car
elles interviennent souvent au péril de leur vie.
Je rappelle que la
sécurité est un droit fondamental ; c’est une condition sine qua non des
libertés individuelles et collectives. (Applaudissements sur les bancs des
groupes LR.)
M. le
président. La parole est à Mme Michèle de Vaucouleurs.
Mme Michèle
de Vaucouleurs. Ces amendements ne me paraissent pas acceptables :
leur adoption empêcherait d’instaurer des traitements différenciés équitables,
pour les carrières longues, les travailleurs handicapés, ou les personnes
déclarées inaptes ou invalides. (Applaudissements sur les bancs du groupe
MODEM.)
M. le
président. Je mets aux voix les amendements identiques
nos 24531 et 27394.
(Il est procédé au scrutin.)
M. le
président. Voici le résultat du
scrutin :
Nombre de
votants 88
Nombre
de suffrages
exprimés 79
Majorité
absolue 40
Pour
l’adoption 12
Contre 67
(Les amendements identiques nos 24531 et
27394 ne sont pas adoptés.)
M. le
président. Je suis saisi de deux amendements identiques,
nos 24527 et 27357.
Sur ces amendements, je suis saisi
par le groupe Les Républicains d’une demande de scrutin public.
Le
scrutin est annoncé dans l’enceinte de l’Assemblée nationale.
La parole
est à M. Éric Pauget, pour soutenir l’amendement
no 24527.
M. Éric
Pauget. Le présent amendement du groupe Les Républicains tend à assigner
un objectif supplémentaire au système universel de retraite, celui du respect de
la spécificité des professions libérales et des travailleurs indépendants
– je pense notamment aux avocats, actuellement dans la rue.
M. Frédéric
Reiss. Très bien !
M. le
président. La parole est à M. Dino Cinieri, pour soutenir
l’amendement no 27357.
M. Dino
Cinieri. Il vise à tenir compte de la spécificité des professions
libérales, notamment des avocats. Il faut respecter ces professions, et
reconnaître leur spécificité.
M. le
président. Quel est l’avis de la commission ?
M. Nicolas
Turquois, rapporteur. À la lecture du texte de ces amendements,
je ne peux que considérer qu’il s’agit d’amendements d’appel. En effet, nous
devons nous conformer à l’objectif de lisibilité et d’intelligibilité de la loi.
Juridiquement, à quoi pourrait correspondre un objectif de « respect des
professions libérales » ?
Cela étant, nous partageons votre
intention : il nous faut être attentif aux professions libérales, tout
comme aux professions indépendantes et aux salariés.
Vous mentionnez en
particulier les avocats. Nous sommes convaincus de la nécessité de prendre en
considération les spécificités de chaque profession, et les difficultés que
certaines d’entre elles rencontrent, au-delà même de la question des retraites.
La situation des avocats demande une attention particulière ; nous la leur
devons.
Sur le fond, je le répète, nous partageons votre sensibilité à
ces questions ; sur la forme, nous sommes défavorables aux
amendements.
M. le
président. La parole est à M. le secrétaire d’État.
M. Laurent
Pietraszewski, secrétaire d’État. Le cas des professions
libérales a déjà été abordé à plusieurs reprises. Le débat a initialement été
lancé depuis vos bancs, messieurs Pauget et Cinieri, avant d’être relayé par
d’autres. Je vous ai rappelé le travail préalable effectué avec les
représentants des professions libérales, notamment l’Union nationale des
professions libérales – UNAPL –, tant par Jean-Paul Delevoye que par
mes collaborateurs et moi-même. Nous en avons également discuté à l’occasion du
débat assez long que nous avons eu sur le financement et la CSG, la contribution
sociale généralisée.
Il est important que les professions libérales
figurent dans le dispositif universel, parce qu’elles y ont tout leur place. Des
dispositions spécifiques, dans la partie du projet de loi relative à la
gouvernance, leur permettront de disposer d’une représentation propre, à travers
un conseil. J’espère que nous en viendrons rapidement à leur examen.
M. Pierre
Cordier. Ce sera après les municipales !
M. Laurent
Pietraszewski, secrétaire d’État. La situation des avocats, qui a
également été déjà évoquée, fait l’objet d’une concertation approfondie, qui
nous a permis de tomber d’accord sur les aspects chiffrés. Leur pension
progressera de manière significative dans tous les cas types que nous avons
élaborés sur la base des références transmises par le barreau. La concertation a
montré qu’une question demeurait en suspens concernant les avocats les plus
modestes, dont le revenu annuel s’établit autour de 30 000 euros. Nous
devons tenir compte de l’évolution à la hausse des charges, de l’ordre de
5 %, même s’il y aura par ailleurs un effet favorable de la réforme sur la
CSG. Nous discutons de cette question avec les représentants des avocats, tout
en gardant en tête des éléments importants : comme pour toutes les
professions libérales, leurs réserves resteront à leur main – et c’est bien
normal ; en outre, leur caisse aura la possibilité de fonctionner en
délégation de service public de la Caisse nationale de retraite
universelle.
Ces questions font, au-delà, l’objet d’une discussion avec
l’ensemble des professions libérales. J’ai déjà passé beaucoup de temps à
travailler avec leurs représentants et je continuerai à le faire, avec la
volonté de trouver des solutions. Il y a matière à construire quelque chose de
bénéfique pour eux. Lorsque j’étais député, j’avais été invité par Michel Picon,
le président de l’UNAPL, à intervenir dans le cadre d’une réunion organisée avec
l’ensemble des professions libérales. J’avais alors bien senti leurs inquiétudes
et leur préférence pour un système avec un plafond de sécurité sociale, qui
correspondrait davantage à ce que M. Éric Woerth a présenté en commission
spéciale. Néanmoins, elles ont envie de participer à la solidarité nationale,
– c’est d’ailleurs ce que me disaient mes parents, qui étaient artisans
commerçants –, mais en étant rassurées quant à la viabilité économique de
leurs entreprises et aux réserves qu’elles ont constituées. C’est à cela que je
m’emploie.
M. le
président. La parole est à M. Éric Woerth.
M. Éric
Woerth. Monsieur le ministre, vous évoquez des travaux
d’approfondissement. En général, on mène ces travaux avant l’examen du projet de
loi : on travaille, on approfondit, on concerte et après, on présente un
texte au Parlement. Vous faites le contraire ; vous comprendrez donc la
difficulté qu’il y a à débattre. L’aspect chaotique de ce débat est probablement
dû à l’aspect chaotique de votre méthode.
Il y avait trois façons de
réformer le système de retraite : deux bonnes et une mauvaise. Vous avez
choisi la mauvaise (Exclamations sur certains bancs du groupe LaREM),
celle qui complique tout et qui universalise, tout en créant beaucoup
d’exceptions. Parmi les deux autres figure celle que nous proposons : un
plafond de sécurité sociale universel et des régimes complémentaires, un
rapprochement plus abouti entre secteurs public et privé, une augmentation
claire de l’âge de départ et un socle de droits familiaux. Une autre façon de
faire aurait consisté à maintenir trois régimes distincts correspondant à des
catégories différentes : salariés du public, salariés du privé et
indépendants. La coexistence de trois catégories semblerait assez naturelle pour
mieux tenir compte de la réalité des métiers.
Vous avez fait le choix de
la voie la plus inutilement complexe, qui a fait des débats ce qu’ils sont
aujourd’hui… Nous regrettons ce choix. (Applaudissements sur les bancs du
groupe LR.)
M. le
président. La parole est à Mme Clémentine Autain.
Mme
Clémentine Autain. C’est chemin faisant que vous avez changé les règles
du jeu pour les professions libérales, en raison de la colère sociale qui
s’est exprimée jusque dans des secteurs qui ne sont pas les plus enclins à être
vent debout et à descendre dans la rue. Je pense en particulier aux avocats,
mais aussi aux médecins libéraux. Vous entrez donc dans une logique de
traitement au cas par cas, par le moyen d’ordonnances et d’une proposition émise
en cours de route afin d’amortir le choc : la diminution du taux de CSG,
qui aura un impact sur le budget de la sécurité sociale. Nous marchons
littéralement sur la tête ! Vous reconnaissez, en creux, que le système
sera défavorable à certaines professions, et vous essayez de compenser cela. On
en est là. Nous ne savons toujours pas exactement à quelle sauce les uns et les
autres seront mangés, alors même que nous sommes en train de débattre :
c’est incroyable !
Un député du groupe
LaREM. Ce n’est pas un débat…
Mme
Clémentine Autain. Tout cela n’est pas du tout lisible, monsieur
Turquois.
M. le
président. La parole est à M. Michel Castellani.
M. Michel
Castellani. Un mot, pour soutenir ces amendements et prendre part à ce
foisonnant débat.
L’esprit qui préside à toute réforme de ce type ne peut
être que celui de la solidarité et l’échange entre actifs et non actifs, entre
générations. Sur le fond, ce système ne peut fonctionner que s’il y a un
équilibre entre eux : c’est la base. Nous connaissons les effets du
vieillissement sur ce système, celui plus positif de l’allongement des études,
ainsi que les effets dévastateurs que peut avoir le chômage. Nous sommes face à
la quadrature du cercle.
Quelles réponses pouvons-nous apporter sur le
fond ? La croissance économique étant ce qu’elle est, il vaut mieux agir
sur d’autres terrains.
Il reste l’effort de solidarité. Celui entre les
hommes et les femmes a déjà été évoqué ; mais il doit aussi exister entre
ceux dont le salaire augmente plus rapidement que la moyenne et les autres,
entre ceux qui ont un travail moins difficile et ceux qui ne peuvent que subir
les effets de l’âge dans leur travail, entre ceux qui brassent des milliards de
produits financiers et de dividendes et qui bénéficient de jetons de présence et
ceux qui labourent la terre. Dans cette optique, on ne peut avoir qu’une double
approche : un effort d’assainissement du système et un effort accru de
solidarité.
M. le
président. Je mets aux voix les amendements identiques
nos 24527 et 27357.
(Il est procédé au scrutin.)
M. le
président. Voici le résultat du
scrutin :
Nombre de
votants 96
Nombre
de suffrages
exprimés 95
Majorité
absolue 48
Pour
l’adoption 21
Contre 74
(Les amendements identiques nos 24527 et
27357 ne sont pas adoptés.)
M. le
président. La parole est à Mme Clémentine Autain, pour soutenir
l’amendement no 1892 et les seize amendements identiques déposés par
les membres du groupe La France insoumise.
Mme
Clémentine Autain. Ces amendements concernent l’alinéa 6, dans
lequel est en effet abordée la question de l’égalité entre les hommes et les
femmes,…
Mme Nadia
Essayan. Eh bien voilà !
Mme
Clémentine Autain. …ou, tout au moins, celle de la résorption des écarts
de salaire. Toutefois, cet objectif pouvait également être introduit dans
l’alinéa précédent, qui traite d’équité. (Exclamations sur les bancs des
groupes LaREM et MODEM.) Il s’agit ici de solidarité.
M. Jacques
Marilossian. Logique imparable !
Mme
Clémentine Autain. Je redis donc mon désaccord : si vous aviez
inscrit un objectif d’égalité, cela aurait inclus l’égalité entre les hommes et
les femmes.
Mme Nadia
Essayan. Nous n’allons pas discuter des virgules !
M. Rémy
Rebeyrotte. Quelle logorrhée !
Mme
Clémentine Autain. Mais c’est vous qui êtes dans la logorrhée !
C’est incroyable ! Je ne sais pas ce que vous avez ce matin, mais c’est un
festival ! (Protestations sur les bancs des groupes LaREM et
MODEM.)
M. le
président. S’il vous plaît, chers collègues, du calme !
Mme
Clémentine Autain. Je n’ai pas l’habitude de m’exprimer ainsi dans cet
hémicycle, mais c’est rare de vous voir aussi excités et de vous entendre, dès
que nous prenons la parole, vous énerver et nous traiter de clowns.
(Protestations continues sur les bancs des groupes LaREM et MODEM.)
Calmez-vous ! Nous débattons de sujets de fond.
M. le
président. Chers collègues, écoutons Mme Autain ; elle seule a
la parole.
Mme
Clémentine Autain. Je vois que Mme Motin et d’autres ont très envie
que nous continuions le débat sur l’égalité entre les hommes et les
femmes ; je poursuis donc mon propos. Nonobstant ce que j’ai dit sur les
carrières hachées, qui seront pénalisées, la question de la durée reste sans
réponse, la majoration ne portant plus que sur le nombre d’enfants. Il y avait
jusqu’à présent deux leviers ; il n’y en aura désormais plus qu’un. Comment
l’autre sera-t-il compensé ? Je ne le sais pas et j’aimerais que le
Gouvernement nous apporte une réponse sur ce point.
Enfin, la question
des pensions de réversion n’est traitée nulle part dans le texte.
Mme Perrine
Goulet. Si : à l’article 46 !
Mme
Clémentine Autain. Oui, elles y sont mentionnées, mais uniquement pour
renvoyer à des ordonnances. Plein de choses figurent dans le texte, y compris
concernant les pensions de réversion, mais c’est pour expliquer que les
décisions seront prises par ordonnance. Arrêtez de nous renvoyer à des articles
qui renvoient à la question qui sera renvoyée aux ordonnances !
Mme Perrine
Goulet. Ce n’est pas renvoyé à une ordonnance, c’est l’objet de
l’article 46 !
Mme
Clémentine Autain. Voilà la réalité de votre projet de loi : il est
à trous. On ne sait rien sur rien !
M. Rémy
Rebeyrotte. Ne vous énervez pas !
M. le
président. Quel est l’avis de la commission sur cette série
d’amendements identiques ?
M. Nicolas
Turquois, rapporteur. Sur ce sujet, toutes les réponses ont été
apportées. Ces questions seront abordées ultérieurement, dans les articles
concernés. Vous n’écoutez même pas la réponse,… (Protestations sur les bancs
du groupe FI.)
Mme
Clémentine Autain. Mais si, je vous écoute ! Je vous écoute
religieusement depuis 100 heures !
M. Nicolas
Turquois, rapporteur. …preuve du peu d’intérêt que vous y
accordez.
Avis défavorable.
M. le
président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. Laurent
Pietraszewski, secrétaire d’État. Je trouve quand même singulier,
madame la députée, que vous vouliez traiter des questions de l’égalité entre les
femmes et les hommes et de la solidarité en supprimant cet alinéa.
(Applaudissements sur les bancs des groupes LaREM et MODEM.) Que dit
votre amendement ? « Supprimer l’alinéa 6 ». Or qu’évoque
cet alinéa ? « Un objectif de solidarité, au sein de chaque
génération, notamment par la résorption des écarts de retraite entre les femmes
et les hommes […] ». Vous proposez de supprimer ça ! (Mêmes
mouvements.) On voit bien que vous n’avez pas envie de traiter du fond et de
débattre de la question.
Avis défavorable.
M. le
président. La parole est à Mme Nathalie Elimas.
Mme
Nathalie Elimas. Vous l’avez dit très justement, monsieur le secrétaire
d’état : Mme Autain ou, en tout cas, son groupe semble favorable à
l’inégalité entre les femmes et les hommes.
Le système actuel est
profondément inégalitaire, parce que 60 % des hommes bénéficient des droits
familiaux, parce que les femmes sont moins bien payées, à hauteur de 23 %
en moyenne, parce qu’elles sont beaucoup plus concernées que les hommes par les
emplois précaires – elles occupent 85 % des emplois à temps partiel et
78 % des emplois non qualifiés –, parce qu’elles sont victimes de
carrières heurtées par le chômage ou par des choix familiaux : grossesse,
congé parental etc.
M. Jean-Luc
Mélenchon. Et donc ?
Mme
Nathalie Elimas. Vingt pour cent des femmes doivent attendre l’âge de
67 ans pour liquider leurs droits à la retraite.
M. Jean-Luc
Mélenchon. C’est ce qu’on vous dit !
Mme
Nathalie Elimas. Puisque vous vous intéressez aux droits familiaux, je
vous rappelle qu’une mission d’information travaille sur ces sujets : la
politique familiale, la natalité etc. J’en suis rapporteure et je ne vous vois
jamais y participer. Alors, arrêtez l’esbroufe ! Ce que vous faites porte
un nom : l’imposture ! (Vifs applaudissements sur les bancs des
groupes MODEM, LaREM et UDI-Agir.)
M. le
président. La parole est à Mme Clémentine Autain.
Mme
Clémentine Autain. M. le secrétaire d’État ne comprend pas pourquoi
nous défendons des amendements visant à supprimer des alinéas qui vous semblent
mirifiques. (Murmures sur les bancs des groupes LaREM et MODEM.) Je le
redis, et nous l’avons répété à de nombreuses reprises dans cet hémicycle :
nous proposons des amendements de suppression…
Mme Nadia
Essayan. Parce que vous voulez nous faire perdre du temps !
Mme
Clémentine Autain. …parce que ce qui est inscrit au titre des grands
principes ne se retrouve pas dans le cœur de la loi. (Protestations sur les
bancs des groupes LaREM et MODEM.)
M. Bruno
Millienne. C’est n’importe quoi !
Mme
Clémentine Autain. Oui, nous combattons la novlangue et le mensonge
résidant dans l’affirmation de grands principes qui ne se traduisent à aucun
moment dans le projet de loi. C’est un texte d’immense régression sociale
(« Oh là là… » sur les bancs des
groupes LaREM et MODEM), qui tourne le dos à l’égalité et à la solidarité et
qui ne permet absolument pas d’améliorer notre système de retraite.
Quant
à l’égalité entre les hommes et les femmes, je vous remercie de nous faire un
panégyrique de la situation actuelle, mais je suis militante féministe depuis
vingt ans et je la connais parfaitement.
Mme Nadia
Essayan et Mme Nathalie Elimas. Nous aussi !
Mme
Clémentine Autain. Qui propose de rester dans la situation
actuelle ? Certainement pas nous ! Ce que nous disons, c’est que ce
qui nous est proposé fera… (Exclamations persistantes sur les bancs des
groupes LaREM et MODEM.)
M. le
président. Chers collègues, écoutons Mme Autain.
Mme
Clémentine Autain. Si vous voulez débattre, c’est mieux de
s’écouter !
Un député du groupe
LaREM. Votre grande spécialité !
Mme
Clémentine Autain. Je reprends : l’application du régime par points
et, plus globalement, du contenu du projet de loi fera concrètement régresser
les pensions des femmes et les amènera à travailler plus longtemps.
M. Bruno
Millienne. C’est faux !
Mme
Clémentine Autain. Si, c’est la réalité du projet de loi.
Mme Nadia
Essayan. Faux !
Mme
Clémentine Autain. Nous refusons que des principes soient ainsi affichés
pour qu’en fin de compte, on se retrouve dans une situation dégradée.
Je
termine en vous indiquant que, si je ne participe pas aux travaux que vous
évoquez, madame Elimas, c’est que nous formons un groupe, qui compte dix-sept
membres. Je ne suis pas la seule féministe parmi eux ; d’autres m’y
représentent !
Mme
Nathalie Elimas. Ils n’y sont jamais !
M. Bruno
Millienne. Aux manifestations, en revanche, vous êtes
présente !
Rappel au règlement
M. le
président. La parole est à Mme Caroline Fiat, pour un rappel au
règlement.
Mme
Caroline Fiat. Rappel au règlement sur le fondement de
l’article 100, alinéa 5. Voilà plusieurs fois que M. Petit
– et je peux le comprendre – se dit offusqué par l’utilisation qui est
faite du pronom « vous » dans l’hémicycle. Or le président de son
groupe a enchaîné par une intervention maladroite et contraire aux propos que
venait de tenir son collègue, puisqu’il nous a accusés d’être contre les femmes.
Mme
Brigitte Bourguignon, présidente de la commission spéciale. Ce
n’est pas un rappel au règlement !
Mme
Caroline Fiat. Vous savez combien je me suis investie dans les travaux
de la commission, madame Elimas.
M. le
président. Un instant, madame la députée.
Mme
Caroline Fiat. Monsieur le président, j’ai été attaquée personnellement.
Nous défendons des amendements et l’on nous accuse de ne pas
travailler !
M. le
président. Je vais vous laisser la parole, madame Fiat, mais je vous
prie de m’écouter. L’article 100, alinéa 5 porte sur les amendements
identiques ; il n’a donc strictement rien à voir avec votre rappel au
règlement. Je comprends néanmoins – et je le respecte – que votre
rappel au règlement est lié à un fait personnel. Une telle prise de parole ne
saurait être l’occasion de commenter chacune des interventions précédentes.
M. Bruno
Millienne. Absolument !
M. le
président. Je vais donc vous laisser finir d’expliquer en quoi vous vous
êtes sentie attaquée à titre personnel, mais ne relancez pas le cycle des
attaques en répondant à chacun des commentaires. On s’assurera ainsi que les
rappels au règlement ont un sens. (Applaudissements sur plusieurs bancs du
groupe LaREM. – Mme Sophie Auconie applaudit
également.)
Fait personnel
M. le
président. Vous avez donc la parole, madame Fiat, pour un fait
personnel.
Mme
Caroline Fiat. Je reprends : je disais que j’étais plutôt d’accord
avec M. Petit. Je suis commissaire aux affaires sociales, il y a beaucoup
de travaux et je serai pour ma part bientôt rapporteure pour la troisième fois.
On ne peut pas siéger dans toutes les commissions. Je prends le propos de
Mme Elimas pour moi : faire croire que mon groupe ne travaille pas et
qu’il se désintéresse de certains sujets, cela frôle… – je n’ai même plus
les mots pour qualifier ce dont il s’agit. (Exclamations sur les bancs des
groupes LaREM et MODEM.)
Article 1er (suite)
M. le
président. La parole est à Mme Laurence Dumont.
Mme Laurence
Dumont. Permettez-moi de rebondir sur la réponse du secrétaire d’État
selon lequel ces amendements visent à supprimer l’objectif de solidarité. Soyons
sérieux ! Certains amendements sont rédigés ainsi pour démontrer que
l’objectif affiché à l’article 1er n’est pas satisfait par la
suite du texte.
Pourquoi ces amendements sont-ils déposés ? Parce
que nous avons peur ; oui, nous craignons le parachutage du 49.3.
M. Brahim
Hammouche. Vous le cherchez bien, quand même…
Mme Laurence
Dumont. Surtout, nous craignons les effets délétères de cette réforme
pour les Français. Voilà notre obsession ! C’est ce sur quoi nous essayons
d’argumenter.
Pourquoi l’objectif de solidarité n’est-il pas
atteint ? L’an dernier, déjà, la réforme de l’assurance chômage a pénalisé
et pénalisera massivement les chômeurs dans un seul objectif : réaliser une
économie de plus de 3 milliards d’euros par an.
M. Hubert
Wulfranc. Absolument !
M. Mustapha
Laabid. Hors sujet !
Mme Laurence
Dumont. La deuxième lame, c’est le présent texte : demain, les
chômeurs non indemnisés ne pourront plus acquérir le moindre point pour leur
future pension de retraite.
M. Hubert
Wulfranc. Bonjour la solidarité !
Mme Laurence
Dumont. Entendez bien cela : les chômeurs non indemnisés
n’acquerront pas de points pour leur retraite, alors que c’est le cas
aujourd’hui.
Mme Sylvie
Tolmont. C’est de l’injustice !
Mme Laurence
Dumont. Quant à ceux qui sont indemnisés, ils acquerront moins de points
que dans le système actuel.
Voilà ce que nous essayons d’expliquer aux
Français, qu’ils soient dans les tribunes ou devant leur télévision. Votre
réponse, monsieur le secrétaire d’État, selon laquelle ces amendements visent à
supprimer l’objectif de solidarité, n’est pas à la hauteur du débat. Nous nous
efforçons simplement d’expliquer les dispositions ultérieures du texte, qui
pénaliseront notamment les chômeurs.
M. le
président. La parole est à M. Éric Woerth.
M. Éric
Woerth. Un mot sur les droits familiaux d’aujourd’hui et de
demain : je ne suis pas certain que le système à venir soit plus bénéfique
que le système actuel, même si c’est assez difficile à démontrer. D’un côté, la
majoration de la durée d’assurance et l’augmentation du montant de la retraite
se cumulent actuellement au bénéfice de la famille, et plus précisément des
mères. La réforme aura pour effet de supprimer l’un des deux dispositifs ;
il n’en restera plus qu’un, c’est-à-dire l’injection de points dès le premier
enfant.
D’un autre côté, c’est une mesure quelque peu inégale car les
points sont proportionnels à la rémunération : certains auront plus de
points, d’autres moins – de même que dans le système actuel, la majoration
de la pension de retraite est déjà proportionnelle à la rémunération ; le
nombre de trimestres, en revanche, ne l’est pas, et chacun est donc traité de la
même manière.
M. Jacques
Marilossian. Pas du tout !
M. Éric
Woerth. Il y a toujours eu deux critères : l’âge et la durée de
cotisation.
M. Dino
Cinieri. Tout à fait !
M. Éric
Woerth. Vous tuez la durée de cotisation – sauf dans certains cas…
Mme Valérie
Rabault. Les basses pensions, par exemple !
M. Éric
Woerth. En l’espèce, il n’y aura plus de durée de cotisations ; il
y aura des points, et les droits acquis ne seront plus proportionnels qu’à la
rémunération.
M. Jacques
Marilossian. C’est déjà le cas avec les trimestres !
M. le
président. La parole est à M. Rémy Rebeyrotte.
M. Rémy
Rebeyrotte. Le plus sûr moyen, madame Dumont, d’aboutir à l’utilisation
de l’article 49, alinéa 3, que vous craignez et que personne ne souhaite sur ces
bancs, c’est l’obstruction parlementaire et l’étouffement du débat sur le fond.
(Exclamations sur les bancs des groupes SOC, FI et GDR.)
Mme Sylvie
Tolmont. On a déjà entendu ça !
M. Hubert
Wulfranc. Répondez à la question !
M. Rémy
Rebeyrotte. C’est la submersion permanente sous d’innombrables
amendements, sous-amendements et rappels abusifs au règlement !
(Applaudissements sur les bancs des groupes LaREM et MODEM.)
Mme Sylvie
Tolmont. Respectez le Parlement !
M. Hubert
Wulfranc. Répondez au président Woerth !
M. Rémy
Rebeyrotte. Il serait temps que l’opposition cesse d’abuser de ses
droits au point de conduire directement l’Assemblée au 49.3.
M. Thibault
Bazin. Il y a plusieurs oppositions…
M. Rémy
Rebeyrotte. Il est incroyable d’affirmer que l’on obstrue les travaux de
l’Assemblée pour éviter l’utilisation de ce dernier, alors que l’objectif est
exactement l’inverse. J’aimerais que l’on en vienne au débat de fond.
(Applaudissements sur les bancs des groupes LaREM et MODEM.)
Mme
Clémentine Autain. Assumez l’utilisation du 49.3 !
M. Boris Vallaud.
Rappel au règlement !
M. le
président. La parole est à Mme Jeanine Dubié.
(M. Jean-Luc Mélenchon frappe bruyamment son pupitre avec
un exemplaire du règlement de l’Assemblée nationale. – Vives protestations sur
les bancs des groupes LaREM et MODEM.)
Plusieurs députés du groupe
LaREM. Cessez cette violence !
Plusieurs députés du groupe
FI. M. Mélenchon avait demandé la parole !
M. le
président. Retrouvons notre calme, chers collègues ! Je vais vous
laisser la parole, monsieur Mélenchon, mais je l’avais préalablement donnée à
Mme Dubié et, par courtoisie républicaine, je vous propose de la laisser achever
son propos. Je vous laisserai ensuite vous exprimer, ainsi que M. Vallaud,
pour des rappels au règlement.
M. Jean-Luc
Mélenchon. Permettez-moi au moins…
M. le
président. Non, monsieur Mélenchon. Je vous laisserai la parole, mais
achevons d’abord les interventions des groupes sur les amendements. Nous
entendrons ensuite les rappels au règlement – à condition qu’il s’agisse
vraiment de rappels au règlement, et non de discussions à l’infini sur la
décision éventuelle du Gouvernement de recourir à telle ou telle
disposition.
Madame Dubié, vous avez la parole.
Mme Jeanine
Dubié. Avant de finir mon intervention, monsieur le président, je vais
d’abord la commencer. (Rires. – Mme Valérie Rabault et
M. Boris Vallaud applaudissent.)
Je voudrais vous
expliquer pourquoi nous ne pouvons pas avoir confiance dans ce texte. Que dit
l’alinéa 6 que les amendements en discussion visent à supprimer ?
« […] ainsi que par la garantie d’une retraite minimale aux assurés ayant
cotisé sur des faibles revenus ». On pourrait penser que ce principe
général s’appliquera à tout le monde, mais ce n’est pas vrai !
Mme Valérie
Rabault. Exactement !
Mme Jeanine
Dubié. Les débats d’hier ont en effet montré que pour bénéficier d’une
retraite minimale, il faudra remplir des conditions de durée de cotisation, à
savoir 516 mois à raison de 600 heures par an ou 50 heures par
mois – il faudra du reste éclaircir ce point.
Mme Sylvia
Pinel et M. Hubert Wulfranc. Eh oui !
Mme Jeanine
Dubié. Ce volume de 50 heures par mois est-il une moyenne ou un
plancher ?
M. Laurent
Pietraszewski, secrétaire d’État. Je l’ai déjà expliqué.
Mme Jeanine
Dubié. Au-delà des débats sur tel ou tel mot, je tenais à prendre cet
exemple pour montrer que ce qui figure dans le texte ne correspondra pas à la
réalité, puisque des conditions sont accolées – d’où un sentiment sinon de
duperie, du moins de manque de clarté. (Applaudissements sur les bancs du
groupe LT.)
Rappels au règlement
M. le
président. La parole est à M. Boris Vallaud, pour un rappel au
règlement.
M. Boris
Vallaud. Rappel au règlement sur le fondement de l’article 100,
alinéa 5.
En fin de compte, le Gouvernement fera bien ce qu’il veut,
et chacun en tirera ses conclusions. Nous constatons que le rapporteur et les
membres de la majorité ne souhaitent pas répondre aux questions de fond
(Rires et exclamations sur les bancs du groupe LaREM) que nous soulevons
au fil des amendements portant sur les alinéas de
l’article 1er.
M. Rémy
Rebeyrotte. Des quelques milliers d’amendements…
M. Boris
Vallaud. En ce qui nous concerne, monsieur Rebeyrotte, nous n’avons pas
déposé plus d’amendements que la majorité : nous sommes dans le même ordre
de grandeur, alors que ce texte n’est pas le nôtre. Si vous l’avez tant amendé,
c’est sans doute que vous lui trouvez de nombreux inconvénients…
M. Rémy
Rebeyrotte. Adressez-vous plutôt à vos voisins de droite, c’est-à-dire à
l’extrême gauche !
M. Boris
Vallaud. Vous vous adressez à moi : je me permettais donc de vous
répondre, ni plus ni moins.
M. le
président. La parole est à M. Jean-Luc Mélenchon.
M. Jean-Luc
Mélenchon. Je commence par m’excuser auprès de vous, monsieur le
président : j’ai dû frapper sur mon banc pour appeler votre attention et,
en toute sincérité, je regrette ce geste. Regardez de temps en temps par ici
car, puisque nous sommes sur le côté de l’hémicycle, vous ne nous entendez pas
toujours lorsque l’on vous hèle, ce qui est très irritant.
M. le
président. Je vous ferai observer, monsieur le président Mélenchon, que
votre groupe n’a pas été absent des débats et qu’il a eu la parole.
(Mme Nadia Essayan applaudit.) Croyez-moi, j’essaie de
mon mieux de scanner l’hémicycle.
M. Jean-Luc
Mélenchon. Il est vrai, monsieur le président, que mon groupe a eu la
parole – c’est d’autant plus normal que c’est son droit et je n’en
attendais pas moins de vous.
Par son règlement intérieur et par le
rapport qu’elle a au Gouvernement, l’Assemblée doit étudier dans chaque
circonstance quelle sera sa manière d’entrer dans le débat.
M. Philippe
Latombe. C’est un rappel au règlement ?
M. Jean-Luc
Mélenchon. Vous nous reprochez de le faire traîner et de ne pas parler
des sujets à l’examen ; je l’entends, mais il ne tient qu’au Gouvernement
ou au rapporteur de déplacer le débat à un autre article. Je vous renvoie à
l’article 95 de notre règlement, qui permet au Gouvernement ou au
rapporteur, s’ils estiment que la discussion, à coup de sous-amendements, a
changé de sujet, de passer à l’article qu’ils jugent concerné. En l’occurrence,
il s’agirait de l’article 46, qui porte sur les droits des femmes en
matière de retraite. Un mot du Gouvernement et la question sera
réglée !
M.
Guillaume Larrivé. M. Mélenchon a raison : cela éviterait
l’obstruction !
M. Jean-Luc
Mélenchon. Je finirai en disant ceci : il est très injuste de
prétendre, comme l’a fait l’un de nos collègues, que nous serions à l’origine de
l’utilisation de l’article 49, alinéa 3 – c’est très mal
connaître la Constitution ! Elle prévoit l’usage de l’article 49,
alinéa 3 non pour faire taire l’opposition au motif que le débat dure trop
longtemps, mais parce que la majorité n’est pas fiable et que le Gouvernement
veut la mettre au pied du mur.
M. Rémy
Rebeyrotte. Pas du tout ! Relisez l’article 49,
alinéa 3 !
M. le
président. Merci, monsieur Mélenchon.
M. Jean-Luc
Mélenchon. Ne vous trompez pas de destinataires ! (Exclamations
sur les bancs des groupes LaREM et MODEM.) Vous n’êtes pas fiables, voilà la
raison !
M. Thibault
Bazin. Seraient-ils des amateurs ?
M. le
président. La parole est à M. Éric Woerth.
M. Éric
Woerth. Rappel au règlement sur le fondement de l’article 100, lui
aussi.
Un halo de mystère recouvre l’Assemblée quant à l’organisation de
nos débats. Plusieurs échanges ont eu lieu annonçant un éventuel recours à
l’article 49, alinéa 3, les uns parlant d’obstruction, les autres
réfutant l’argument ; il s’agit donc bien de l’organisation des débats.
Quant à nous, nous sommes clairs : nous n’obstruons rien et chacun fait ce
qu’il veut. Il va de soi que nous sommes très intéressés par la discussion sur
le fond, mais celle-ci prend un temps fou, parce que le texte est d’une
complexité inouïe – d’où des débats très complexes et très longs. C’est
pourquoi nous devons aller jusqu’au bout ; nous sommes opposés autant qu’on
puisse l’être à l’emploi de méthodes conduisant à une rupture brutale du débat.
Après un échec en commission, il ne saurait y avoir un échec en séance publique,
surtout avec un échec de la conférence de financement : ce serait une
réforme pour le moins mal née, convenons-en.
Mme Sylvie
Tolmont. Ça, c’est sûr !
M. Éric
Woerth. Reste que le Gouvernement et la présidence de l’Assemblée
disposent d’outils en nombre suffisant – la réserve évoquée par le
président Mélenchon peut être une manière de procéder – pour éventuellement
surseoir à statuer sur tel point et passer à un autre article au moment
opportun. Il faut en tout état de cause que nous examinions tous les amendements
à ce texte. (Applaudissements sur les bancs du groupe
LR.)
Article 1er (suite)
M. le
président. Nous allons maintenant procéder au vote sur l’amendement
no 1892 et les seize amendements identiques.
(L’amendement
no 1892 et les seize amendements
identiques ne sont pas adoptés.)
Rappels au règlement
M. le
président. La parole est à M. Guillaume Larrivé, pour un rappel au
règlement.
M.
Guillaume Larrivé. Il se fonde sur l’article 95. Il serait utile
que le ministre chargé des relations avec le Parlement réponde à l’interrogation
qu’Éric Woerth, comme Jean-Luc Mélenchon d’ailleurs, ont formulée.
Le
Conseil d’État nous a expliqué que l’article 1er n’avait pas de
valeur normative, en vertu d’une jurisprudence constante du Conseil
constitutionnel depuis 2003. Toutes les discussions sur
l’article 1er portent sur des principes éthérés, non sur du
droit. Nous ne sommes pas en train de faire la loi, car celle-ci ordonne,
autorise ou interdit ; or cet article n’est que déclaratif. C’est vous,
monsieur le ministre, qui nous saisissez d’un article déclaratif. Les débats
sont très filandreux depuis cinq jours, parce que tout le monde ne parle que de
principes.
Le Gouvernement a le pouvoir d’orienter la discussion vers le
fond, en utilisant les dispositions de l’article 95 du règlement, et
d’amener le débat sur les articles normatifs. Pourquoi ne le faites-vous
pas ? Ne jouez-vous pas, monsieur le ministre chargé des relations avec le
Parlement, au nom du Premier ministre et d’Emmanuel Macron, à un jeu extrêmement
cynique consistant à laisser pourrir les débats pour pouvoir dire, dans quelques
jours, qu’il est impossible de débattre et qu’il faut utiliser
l’article 49, alinéa 3 ? Voilà la vérité !
M. Bastien
Lachaud. Larrivé a raison !
M.
Guillaume Larrivé. Vous êtes, pardonnez-moi, démasqué. Expliquez-nous
pourquoi vous n’appelez pas les articles normatifs, en vertu de
l’article 95 du règlement ! (Applaudissements sur les bancs des
groupes LR et FI, ainsi que sur quelques bancs du groupe LT.)
M. Thibault
Bazin. Excellent !
M. le
président. La parole est à M. le ministre chargé des relations avec
le Parlement.
M. Marc
Fesneau, ministre chargé des relations avec le Parlement. Je ne
résiste pas au plaisir de répondre à M. Larrivé ; étant là depuis cinq
jours, avec mon collègue Pietraszewski, je vois comment se déroulent les
débats.
Monsieur le président Mélenchon, avec tout le respect que je vous
dois, ne nous cachons pas derrière les mots !
Mme Sylvie
Tolmont. Vous ne répondez pas à M. Larrivé !
M. Marc
Fesneau, ministre. Vous avez publiquement assumé votre volonté de
faire obstruction au texte. Vous l’avez dit partout !
Un député du groupe LR.
Pas nous !
M. Marc
Fesneau, ministre. Je le sais, monsieur le député, j’ai assisté à
suffisamment de séances cette semaine pour faire la
distinction.
Monsieur Mélenchon, chacun doit assumer ses actes et
ses propos. Ne me dites pas, et vous non plus, monsieur Larrivé, que vous
n’avez pas regardé le contenu des autres amendements déposés sur le texte, qui
proposent rien moins que la suppression des 985 alinéas du projet de loi.
Les deux groupes qui ont choisi une telle manœuvre d’obstruction sont libres de
le faire,…
M. Pierre
Dharréville. Non, il n’y a pas deux groupes qui l’ont fait !
M. Marc
Fesneau, ministre. …mais ils peuvent également décider d’engager
le débat sur le fond et mettre un terme à cette obstruction évidente. Quand,
amendement après amendement, vous proposez de supprimer tous les alinéas du
texte…
Mme
Clémentine Autain. Eh oui, nous ne voulons pas de votre texte :
quel scoop !
M. Marc
Fesneau, ministre. …sans autre objectif que de faire de
l’obstruction, assumez-le !
M. Jean
François Mbaye. Eh oui !
M. Marc
Fesneau, ministre. Nous, nous assumons notre volonté d’examiner
l’ensemble du texte.
Le groupe Les Républicains avait accepté, ainsi que
d’autres, la proposition d’un temps législatif programmé d’une durée, non pas de
50 heures, mais de 120 heures. Seuls deux groupes s’y sont opposés,
dont le vôtre, monsieur Mélenchon ! (Applaudissements sur plusieurs
bancs des groupes LaREM et MODEM.) Hier, vous avez applaudi un orateur
évoquant le temps législatif programmé – mais vous n’aviez qu’à accepter ce
dernier ! Sa durée habituelle est de 50 heures ; or vous, vous
avez refusé 120 heures.
Le Gouvernement, monsieur Larrivé, était
prêt au débat, et il l’est encore. Maintenant, il faut que les actes se
conforment aux paroles : voilà ce que nous sommes en droit
d’attendre ! (Vifs applaudissements sur les bancs des groupes
LaREM et MODEM.)
Mme Nadia
Essayan. Bravo !
M. le
président. La parole est à M. Sébastien Jumel, pour un rappel au
règlement.
M.
Sébastien Jumel. Rappel au règlement au titre de
l’article 95.
Je note tout d’abord que notre collègue Larrivé,
conseiller d’État, pose des questions d’expert, auxquelles il n’est pas donné de
réponse.
M. Rémy
Rebeyrotte. C’est à vous de répondre !
M.
Sébastien Jumel. Le ministre nous raconte l’histoire qu’il veut, mais il
oublie de préciser que si le Gouvernement avait respecté – chose
élémentaire – le délai de six semaines entre le dépôt d’un texte et son
examen en séance publique, il aurait pu imposer le temps législatif programmé
sans l’accord de qui que ce soit. (Applaudissements sur les bancs des groupes
LR et FI. – Exclamations sur les bancs des groupes LaREM et MODEM.) Le choix
de la date du 17 février pour entamer l’examen du texte en séance publique
répond à l’impérieuse nécessité, aux yeux d’Emmanuel Macron, de solder cette
mauvaise affaire avant les élections municipales. Qui est responsable de cette
décision ? Qui est responsable de vouloir forcer la main des Français sur
ce mauvais projet ? Vous ! En droit comme en politique s’applique le
principe selon lequel « nul ne peut se prévaloir de sa propre
turpitude ». Dans cette affaire, vos turpitudes sont
nombreuses !
D’autre part, vous avez la main sur la conduite des
débats et pouvez, à tout moment, réserver des articles ou allonger leur temps
d’examen ; si vous ne le faites pas, c’est que la décision a été prise sans
vous, là-haut, dans une extrême solitude, appuyée par l’expertise de ceux qui
marchent contre le peuple, le Parlement et les organisations syndicales.
M. Roland
Lescure. Allons donc !
M.
Sébastien Jumel. Le scénario est écrit depuis plusieurs jours, nous ne
nous faisons aucune illusion : que l’on ait ou non déposé des amendements,
vous avez décidé de passer au forceps.
Mme
Brigitte Bourguignon, présidente de la commission spéciale.
Retirez vos amendements, dans ce cas !
M.
Sébastien Jumel. Vous le paierez cher aux élections
municipales !
M. le
président. La parole est à M. Jean-Luc Mélenchon, pour un rappel au
règlement.
M. Jean-Luc
Mélenchon. (Paroles inaudibles.)
M. le
président. Attendez, il y a un problème de micro, monsieur
Mélenchon.
M. Thibault
Bazin. Libérez sa parole !
Mme Nadia
Essayan. Le micro en a marre !
M. le
président. Je précise, monsieur le président Mélenchon, qu’il ne s’agit
pas d’une volonté de censure de ma part ! (Sourires.)
M. Jean-Luc
Mélenchon. Je n’en doute pas, monsieur le président.
Je tiens à
répondre au ministre chargé des relations avec le Parlement, sur le fondement de
l’article 86, alinéa 1 de notre règlement.
M. Jumel vient
de vous le dire : si vous vouliez le temps programmé, il fallait vous y
prendre à temps. Président d’un groupe d’opposition, on m’a demandé, au débotté,
un soir, si j’étais d’accord pour changer la règle du jeu du jour au lendemain.
On m’a dit que tout pouvait être changé si nous en étions tous d’accord. Après
consultation de mon groupe, ma réponse fut négative. Je comprends qu’on ne
l’accepte pas, mais nous sommes l’expression politique d’un mouvement, composé
de gens qui se sont mis en grève et qui ont tenu bon, même pendant les vacances.
Nous nous sentons donc dans l’obligation de tenir bon, pied à pied, comme
eux.
Vous vous étonnez que l’on dépose des amendements de suppression,
monsieur le ministre. Pourtant, vous touchez là du doigt une réalité
profonde : nous sommes opposés à la totalité du texte, si bien que nous
n’allons pas chercher à l’améliorer ; ce serait d’ailleurs impossible, car
il est incohérent, il comporte pleins de trous appelés à être comblés par
ordonnances, il ne tient pas debout, il s’appuie sur des critères qui n’existent
pas etc. Nous sommes donc opposés au texte dans son ensemble, ce que nous
exprimons alinéa par alinéa, en demandant leur suppression à l’aide d’arguments
de fond relatifs à l’organisation générale.
Depuis que vous nous menacez
d’utiliser, dans un usage anticonstitutionnel, l’article 49, alinéa 3,
et d’interrompre ainsi le débat,…
Plusieurs députés du groupe
LaREM. C’est faux ! Nous ne l’avons jamais fait !
M. Rémy
Rebeyrotte. C’est vous qui brandissez cette menace !
M. Jean-Luc
Mélenchon. …nous nous sentons renforcés dans notre grève du zèle. C’est
vous-mêmes qui provoquez des incidents à rallonge toute la journée !
(Applaudissements sur les bancs du groupe FI. – Protestations sur les bancs
des groupes LaREM et MODEM.)
M. le
président. Les rappels au règlement portent sur la réalité de nos
débats. Je vais donc en accepter quelques autres, du moment qu’ils ne créent pas
de boucle interminable.
La parole est à Mme Laurence Dumont.
Mme Laurence
Dumont. Mon rappel au règlement se fonde lui aussi sur
l’article 95, que M. Larrivé a eu bien raison de citer. Il
conviendrait peut-être de le lire, parce que tout le monde n’est pas spécialiste
du règlement de l’Assemblée nationale. Nous, législateurs, sommes là pour faire
la loi, et aussi pour défendre l’institution parlementaire, à laquelle nous
tenons.
Mme
Brigitte Bourguignon, présidente de la commission spéciale. Nous
aussi, justement !
Mme Laurence
Dumont. L’article 95, alinéa 4 dispose : « La
réserve ou la priorité d’un article ou d’un amendement, dont l’objet est de
modifier l’ordre de la discussion, peut toujours être demandée ».
Mme
Brigitte Bourguignon, présidente de la commission spéciale. Vous
hurleriez si nous le faisions !
Mme Laurence
Dumont. Lisons l’alinéa suivant, madame la présidente de la commission
spéciale : « [La réserve ou la priorité] sont de droit à la demande du
Gouvernement ou de la commission saisie au fond. » Vous avez tous les
moyens de choisir l’ordre de discussion des articles. Si vous considérez que le
nombre d’amendements est excessif, même si le groupe Socialistes et apparentés
n’en a pas déposé plus que le groupe La République en marche, libre à vous de
modifier l’ordre d’examen des articles et d’engager le débat technique. Encore
une fois, ne nous reprochez pas d’avoir déposé des amendements, puisque le
Gouvernement ou la commission saisie au fond ont la main pour organiser les
débats comme il leur sied. Ne renversez pas la charge de la preuve et prenez vos
responsabilités !
Mme Sylvie
Tolmont. Voilà !
M.
Sébastien Jumel. Alors ? Qu’est-ce que vous
attendez ?
M. le
président. La parole est à M. Éric Woerth, pour un autre rappel au
règlement.
M. Éric
Woerth. Rappel au règlement sur le fondement de
l’article 100.
C’est nous qui avons créé la possibilité d’organiser
la discussion d’un texte dans un temps programmé. Cette procédure correspond
parfaitement à ce type de grand débat, très large, dans lequel les choses
doivent être dites. Je comprends que le Gouvernement n’ait pas réussi à tenir le
délai de six semaines, mais, lorsque cela nous était arrivé par le passé, nous
avions repoussé la date d’examen du texte concerné. Si le présent projet de loi
a été déposé trop tardivement à l’Assemblée nationale, il suffisait de repousser
son examen ; nous aurions eu un débat plus serein.
Mme Jeanine
Dubié. Exactement !
M. Éric
Woerth. Je ne sais pas pourquoi vous vous êtes précipités pour engager,
dans de telles conditions, la discussion d’un texte incomplet, portant sur une
réforme de cette nature. (Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe
LR.)
M. le
président. La parole est à M. Gilles Le Gendre, pour un rappel
au règlement.
M. Gilles
Le Gendre. Il se fonde sur l’article 100.
Le problème n’est
en rien juridique et ne concerne pas la procédure parlementaire.
Mme Jeanine
Dubié. Bien sûr que si !
M. Gilles
Le Gendre. Nous ne contestons en rien votre droit d’amendement.
Mme
Clémentine Autain. Ah bon ? Voilà qui est nouveau !
Mme Sylvie
Tolmont. On n’entend que cela depuis une semaine !
M. Gilles
Le Gendre. Non, ce droit est irréductible – il est même
constitutionnel.
M. Pierre
Dharréville. Bravo, monsieur Le Gendre !
M. Gilles
Le Gendre. Le problème est politique. Notre responsabilité est de
dissiper l’hypocrisie de votre stratégie parlementaire. (Applaudissements sur
plusieurs bancs des groupes LaREM et MODEM.)
Vous l’avez très bien
dit, monsieur le président Mélenchon : vous ne cherchez pas à enrichir le
texte ou à l’amender, ni même à le contester ; vous souhaitez qu’il ne voie
jamais le jour. Voilà votre objectif politique !
M. Jean-Luc
Mélenchon. Nous l’avons dit. Nous ne sommes pas hypocrites !
M. Gilles
Le Gendre. Si, car votre but n’est pas que le débat aille à son terme,
il est que le débat n’ait pas lieu, afin que le projet de loi ne soit jamais
voté.
Plusieurs députés du groupe
FI. Mais non !
M. Gilles
Le Gendre. Il pourrait y avoir 10 000 amendements de plus ou
de moins, votre objectif est que ce débat ne prenne jamais fin. Notre objectif
est inverse, et ce projet de loi sera voté ! (Applaudissements sur les
bancs des groupes LaREM et MODEM.)
M. Alexis
Corbière et M. Bastien Lachaud. Et nous n’aurions pas le droit de
nous y opposer ?
M. le
président. La parole est à M. Philippe Vigier.
M. Philippe
Vigier. Depuis la première minute de ce débat, le groupe Libertés et
territoires, notamment lors de la discussion générale, a expliqué que le choix
du Gouvernement de fixer une date butoir à l’examen du texte était mauvais.
J’avais prévenu, à la fin de mon intervention, que l’article 49,
alinéa 3 serait au bout du chemin.
Nous n’acceptons pas la partie de
ping-pong infernale qui se déroule sous nos yeux, alors que ce texte est d’une
importance considérable, puisqu’il porte sur 350 milliards d’euros et
réforme le système de retraite de l’ensemble de nos concitoyens.
M. Boris
Vallaud. Pour des décennies !
M. Philippe
Vigier. Monsieur le ministre, chers collègues de l’opposition, trouvons
une porte de sortie, car l’impuissance publique ne ferait que des perdants.
Mme
Brigitte Bourguignon, présidente de la commission spéciale. Cela
pourrait, en plus, créer un précédent pour tous les textes !
M. Philippe
Vigier. Mes chers collègues, si l’obstruction s’impose, nous ne pourrons
plus jamais légiférer, sur quelque texte que ce soit. Le Gouvernement a la
main ; c’est donc à lui de trouver un système qui ne nous enferme pas. En
annonçant la date du 3 mars pour le vote du texte, vous avez créé les
conditions de l’impuissance. Je l’avais dit en conférence des présidents, et je
l’ai dit aussi au Gouvernement. Nous devons sortir de cette impasse. Et vous ne
pouvez pas nous dire que nous sommes un obstacle au débat, car nous ne nous
sommes exprimés qu’une seule fois ce matin, par la voix de Jeanine
Dubié.
Il y a quelques années que je suis dans cette maison : je
suis surpris du point où nous en sommes arrivés. Imaginons une seconde ce que
nous peuvent penser les personnes qui, à l’extérieur, regardent nos
débats ! Nous ne pouvons pas continuer ainsi.
Monsieur le ministre,
on ne peut pas conserver cette date butoir pour le vote du texte. Nous devons
trouver une solution. Tout le monde évoque le Conseil national de la Résistance,
mais l’utilisation de l’article 49, alinéa 3 sur un tel sujet, qui
touche à l’un des fondements de la République, serait la négation du débat
démocratique. Chers collègues de la majorité, ne vous glissez pas sous les draps
confortables d’une argumentation fondée sur l’obstruction de l’opposition pour
justifier l’utilisation de l’article 49, alinéa 3. L’obstruction
– je regrette d’avoir à vous le dire – est provoquée par la méthode
que le Gouvernement a choisie. (Applaudissements sur les bancs des groupes
LT, LR, SOC, FI et GDR.)
M. le
président. La parole est à M. Patrick Mignola, pour un rappel au
règlement.
M. Patrick
Mignola. Ainsi, chaque groupe se sera exprimé dans ce cadre… Ce rappel
au règlement se fonde sur l’article 100, et aussi sur l’article 95.
J’imagine en effet que Mme la présidente de la commission spéciale, qui a
été interpellée, interviendra par la suite – et peut-être le Gouvernement
voudra-t-il intervenir aussi.
Ce qui nous est proposé, c’est, à partir de
cet article 1er, de dévier le débat vers d’autres articles. Or,
depuis le début de nos travaux en commission spéciale, et depuis le début de la
semaine – je m’adresse ici plus particulièrement à notre collègue
Larrivé –, sitôt que nous évoquons le cas des femmes, hop !, on passe
à celui des agriculteurs ; si nous traitons du cas des agriculteurs,
hop !, on met sur la table la question de la pénibilité – les deux
vont parfois ensemble, mais pas toujours ; à peine évoquée la pénibilité,
on en vient à la valeur du point de retraite et, de là, à la part du budget des
retraites dans le PIB.
M. Olivier
Marleix. On n’y comprend plus rien !
M. Patrick
Mignola. Nous vivons depuis trois semaines dans une faille
spatio-temporelle ! (Applaudissements sur quelques bancs du groupe
LaREM.)
On ne peut pas demander au Gouvernement ou à Mme la
présidente de la commission spéciale de procéder comme le font toutes les
oppositions – je dis bien toutes – depuis le début de l’examen du
texte, en vue de le ralentir. (Applaudissements sur les bancs du groupe MODEM
et sur plusieurs bancs du groupe LaREM.)
M. Thibault
Bazin. Ce que vous dites est scandaleux !
M. le
président. La parole est à M. Jean-Luc Mélenchon.
M. Jean-Luc
Mélenchon. Chers collègues de la majorité, je vous propose un
arrangement. (Exclamations sur les bancs du groupe LaREM.) Mais
oui ! Je vois que vous vous exaltez pour rien.
Avant de l’exposer,
j’aimerais m’adresser au président Le Gendre. Cher collègue, nous ne
faisons preuve d’aucune hypocrisie. Vous ne révélez rien ! Vous n’êtes pas
le Pavlenski de cet hémicycle ! (Sourires.)
Nous assumons
notre opposition au texte. Nous sommes contre la réforme qu’il prévoit et nous
nous efforçons de le faire comprendre. Nous faisons ce que nous pouvons, en
effet, pour faire en sorte qu’il ne soit pas adopté. Je ne vois pas ce qu’il y a
de scandaleux et de choquant là-dedans. Cela s’appelle une opposition, monsieur
le président Le Gendre.
M. Gilles
Le Gendre. Ce que vous faites s’appelle de l’obstruction !
M. Jean-Luc
Mélenchon. Il faut intégrer l’affaire : dans une République, il
existe une majorité et une opposition. En l’espèce, il y a même plusieurs
oppositions. Vous avez de la chance, en somme !
M. Rémy
Rebeyrotte. L’opposition n’est pas l’obstruction !
M. le
président. Venez-en au contenu de votre rappel au règlement, s’il vous
plaît, monsieur Mélenchon.
M. Jean-Luc
Mélenchon. J’ai évoqué tout à l’heure l’article 95 de notre
règlement, et plusieurs de nos collègues ont fait de même. Il permet d’examiner
les articles du texte dans l’ordre que vous souhaitez. Chers collègues de la
majorité, si vous estimez que nous débattons excessivement de généralités,
choisissez un article qui vous semble techniquement fondé, et nous
interviendrons à son sujet.
Telle est la proposition que j’avance.
L’article 95, alinéa 5 prévoit qu’une telle décision relève, de droit,
du Gouvernement ou de la commission saisie au fond – dans ces deux cas, il
n’y a pas à discuter. Dans les autres cas, le président décide, et l’on peut
même voter à ce sujet.
Monsieur le président, vous pouvez donc suspendre
brièvement la séance pour réfléchir et demander aux membres du Gouvernement ici
présents, ou à M. Le Gendre, à qui je tiens à être agréable à cet
instant (Exclamations et rires), …
M. Gilles
Le Gendre. J’y suis sensible, cher collègue !
M. Jean-Luc
Mélenchon. … quel article leur conviendrait. Quel article vous
conviendrait, cher président Le Gendre ? S’il s’en trouve un qui vous
convient, parce qu’il est plus technique que de fond ou le contraire, nous
sommes prêts. L’article de votre choix, dans l’ordre qui vous convient :
nous sommes prêts à en débattre.
Article 95, alinéa 5 :
monsieur le président, la suite du débat est entre vos mains.
(Applaudissements sur les bancs du groupe FI.)
M. le
président. Monsieur Mélenchon, plutôt qu’une suspension de séance, nous
ferons dans quelques instants une longue pause pour le déjeuner. Auparavant,
M. le ministre chargé des relations avec le Parlement et Mme la
présidente de la commission spéciale prendront successivement la
parole.
J’ai laissé s’exprimer les auteurs des rappels au règlement, car
ils me semblent contribuer à la bonne tenue de nos débats. Chacun aura remarqué
que je n’ai pas fait usage des dispositions prévues aux alinéas 3 et 4
de l’article 58, afin de laisser vivre ce dialogue, qui me semble utile dès
lors qu’il ne se prolonge pas…
Mme Laurence
Dumont. Au-delà du raisonnable !
M. le
président. … à des fins d’obstruction.
La parole est à M. le
ministre.
M. Marc
Fesneau, ministre. Les propos du président Mélenchon me
rappellent une citation : « Aujourd’hui, les diplomates prendraient
plutôt le pas sur les hommes d’action. L’époque serait aux tables rondes et à la
détente ». (Sourires.) Il est toujours intéressant d’avoir affaire à
des gens désireux de travailler !
Sur le fond, j’indique à
Mme Dumont que je ne reproche à personne de déposer des amendements.
Lorsque la question du droit individuel d’amendement a été soulevée, j’étais de
ceux qui estimaient qu’il s’agissait d’un droit de valeur constitutionnelle qui
ne devait pas être mis en cause.
Mme Laurence
Dumont. Très bien !
M. Marc
Fesneau, ministre. Je suis assez cohérent de pensée, et je
m’efforce de l’être en général. Ce point ne fait pas débat.
Toutefois,
j’ai rappelé tout à l’heure – mes propos n’étaient d’ailleurs pas
principalement adressés au groupe Socialistes et apparentés – qu’il faut
également assumer, toujours par cohérence, la volonté d’empêcher, non pas
l’examen complet du texte et sa mise aux voix, mais le débat à son sujet.
(Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe LaREM.) Or telle est bien
la démarche adoptée.
M.
Sébastien Jumel. Non !
M. Pierre
Dharréville. C’est faux !
M. Marc
Fesneau, ministre. Nous ne pouvons pas débattre. Nous en sommes
au cinquième alinéa de l’article 1er, et le texte compte
985 alinéas.
M.
Sébastien Jumel. Et alors ?
Mme Sylvie
Tolmont. Débattons ! Les parlementaires ont le droit de
s’exprimer !
M. Marc
Fesneau, ministre. À ce rythme, il faudra plusieurs années pour
achever l’examen du texte, sauf si M. Mélenchon propose d’allonger la durée
du mandat parlementaire de deux ou trois années à cette fin. (Rires et
applaudissements sur les bancs des groupes LaREM et MODEM.) Monsieur
Mélenchon, vous semblez partager ce sentiment, tout en espérant étoffer votre
groupe ! Plus sérieusement, au rythme où vont les débats, nous finirons par
y être contraints.
Monsieur Jumel, ce que vous dites à propos du temps
législatif programmé revient à dire que vous préférez la contrainte au
contrat !
Mme Valérie
Rabault. Mais non !
M.
Sébastien Jumel. Je n’ai rien dit de tel !
M. Marc
Fesneau, ministre. Vous auriez préféré que l’on respecte le délai
de six semaines, ce qui vous aurait donné 50 heures de débat, plutôt que
d’accepter, par contrat, un débat de 120 heures. En tant que ministre des
relations avec le Parlement, je trouve assez fascinant d’entendre des
parlementaires dire : « Contraignez-nous ! »
(Applaudissements sur les bancs des groupes LaREM et MODEM.)
M.
Sébastien Jumel. Non, je n’ai pas dit cela !
M. Marc
Fesneau, ministre. Si, c’est ce que vous avez dit, monsieur
Jumel ! C’est la vérité !
M. Pierre
Dharréville. Si cela vous fait plaisir…
M. Marc
Fesneau, ministre. De fait, il s’agit de ce que vous avez
dit : si nous avions respecté les délais, la contrainte aurait joué et vous
n’auriez rien pu faire.
M.
Sébastien Jumel. En six semaines, on aurait pu étayer l’étude
d’impact !
M. Marc
Fesneau, ministre. Or, monsieur Jumel, nous vous avions proposé
un contrat, dont vous n’avez pas voulu : la durée des débats aurait été
double de celle prévue par la procédure du temps législatif programmé, telle
qu’elle a été fixée à la suite la révision constitutionnelle de
2008.
Enfin, je m’adresserai à tous les auteurs des rappels au règlement
qui précèdent, afin que personne ne se sente visé personnellement et que l’on
évite le recours à l’article 58, alinéa 4 – je prends toutes les
précautions oratoires possibles ! Reprocher à la majorité…
M.
Sébastien Jumel. Ses turpitudes !
M. Marc
Fesneau, ministre. …et au Gouvernement de vouloir faire de
l’obstruction et de refuser le débat, …
M. Sébastien Jumel.
Oui !
M. Marc
Fesneau, ministre. … alors même qu’ils tâchent de l’éclairer, me
fait penser à une réplique entendue dans une célèbre publicité : « Tu
pousses le bouchon un peu trop loin, Maurice ! » Nous en sommes là.
(Applaudissements sur les bancs des groupes LaREM et MODEM.)
M. le
président. La parole est à Mme la présidente de la commission
spéciale.
Mme
Brigitte Bourguignon, présidente de la commission spéciale.
S’agissant de la méthode proposée par M. Mélenchon, M. le ministre
chargé des relations avec le Parlement a précisé la position du Gouvernement, et
j’aborderai le sujet avec lui après la levée de séance.
Certes, on peut
toujours opter pour cette méthode, et choisir d’examiner un article en priorité.
Toutefois, si l’on revient aux principes rappelés tout à l’heure par le
président Mélenchon, on constate, chers collègues, que vous êtes opposés au
texte par nature, sur le fond, sur le principe.
M. Alexis
Corbière. Oui, sur le principe.
Mme
Brigitte Bourguignon, Présidente. Vous avez déposé autant
d’amendements de suppression que le texte compte d’alinéas. Par conséquent,
butiner dans le texte ne ferait qu’introduire une incohérence
supplémentaire.
M. Patrick
Mignola. Exactement !
Mme
Brigitte Bourguignon, Présidente. Je veux bien peser le pour et
le contre, mais j’estime qu’adopter cette méthode ne changera pas grand-chose à
la volonté inébranlable de mettre un terme aux débats dont vous faites
preuve.
M. Gilles
Le Gendre. Eh oui !
Mme
Caroline Fiat. Nous ne voulons pas mettre un terme aux débats !
Mme
Brigitte Bourguignon, Présidente. Cela étant précisé, je ne suis
pas contre. (Applaudissements sur plusieurs bancs des groupes LaREM et
MODEM.)
M. le
président. Chers collègues, à l’occasion de ces différents rappels au
règlement, nous avons pu évoquer le fond de nos travaux parlementaires. Je vous
en remercie.
La suite de la discussion est renvoyée à la prochaine
séance.
2
Ordre du jour de la prochaine séance
M. le
président. Prochaine séance, cet après-midi, à quinze
heures :
Suite de la discussion du projet de loi instituant un
système universel de retraite et du projet de loi organique relatif au système
universel de retraite.
La séance est levée.
(La séance est levée à douze heures cinquante.)
Le Directeur du service du compte rendu de la séance
de
l’Assemblée nationale
Serge Ezdra
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