Assemblée nationale XVe législature Session
ordinaire de 2019-2020
Compte rendu intégral
Deuxième séance du jeudi 27 février 2020
SOMMAIRE
Présidence
de M. Sylvain Waserman
1.
Demande de constitution d’une commission spéciale
M. le
président
2.
Système universel de retraite
Discussion
des articles (suite)
Article 4
(suite)
Amendements nos 443
, 24938
M. Guillaume
Gouffier-Cha, rapporteur général de la commission spéciale
M. Laurent
Pietraszewski, secrétaire d’État chargé des retraites
Amendements nos 13630,
13631, 13632, 13633, 13634, 13635, 13636, 13637, 13638, 13639, 13640, 13641,
13642, 13643, 13644, 13645, 13646 , 13647,
13648, 13649, 13650, 13651, 13652, 13653, 13654, 13655, 13656, 13658, 13659,
13660, 13661, 13662, 13663, 13664 , 13665,
13666, 13667, 13668, 13669, 13670, 13671, 13672, 13673, 13674, 13675, 13676,
13677, 13678, 13679, 13680, 13681 , 228,
398, 11908 , 13682,
13683, 13684, 13685, 13686, 13687, 13688, 13689, 13690, 13691, 13692, 13693,
13694, 13695, 13696, 13697, 13698 , 24939
, 1487
, 3964
, 24940
, 26746,
30967, 30968, 30969, 30970, 30971, 30972, 30973, 30974, 30976, 30977, 30978,
30979, 30980, 30981, 30982
M. le
président
Amendements nos 13699,
13700, 13701, 13702, 13703, 13704, 13705, 13706, 13707, 13708, 13709, 13710,
13711, 13712, 13713, 13714, 13715
Rappels
au règlement
Mme Emmanuelle
Ménard
Mme Catherine
Fabre
M. Éric
Coquerel
M. le
président
Article 4
(suite)
Amendements nos 13716,
13717, 13718, 13719, 13720, 13721, 13722, 13723, 13724, 13725, 13726, 13727,
13728, 13729, 13730, 13731, 13732 , 30983,
30984, 30985, 30986, 30987, 30988, 30989, 30990, 30991, 30992, 30993, 30994,
30995, 30996, 30997, 30998 , 10731,
10734, 10780, 10800, 10837, 10839, 10840, 10845, 10847, 10848, 10849, 10854,
10859, 11075, 11128, 11186, 11187
Article 5
Mme Hélène
Vainqueur-Christophe
Mme Agnès
Firmin Le Bodo
M. Michel
Castellani
M. Adrien
Quatennens
M. Jean-Paul
Dufrègne
Mme Véronique
Hammerer
M. Thibault
Bazin
M. Stéphane
Baudu
Amendements nos 491
, 950
, 3905
, 13484
, 15726,
15727, 15728, 15729, 15730, 15731, 15732, 15733, 15734, 15735, 15736, 15737,
15738, 15739, 15740, 15741, 15742 , 31015,
31016, 31017, 31018, 31019, 31020, 31021, 31022, 31023, 31024, 31025, 31026,
31027, 31028, 31029
Rappels
au règlement
M. Rémy
Rebeyrotte
M. Adrien
Quatennens
M. Serge
Letchimy
M. Patrick
Mignola
Article 5
(suite)
Suspension
et reprise de la séance
Amendements nos 15675,
15676, 15677, 15678, 15680, 15681, 15682, 15683, 15684, 15685, 15686, 15687,
15688, 15689, 15690 et15691 , 24941
, 591
, 15692,
15693, 15694, 15695, 15696, 15697, 15698, 15699, 15700, 15701, 15702, 15703,
15704, 15705, 15706, 15707, 15708 , 592
, 15709,
15710, 15711, 15712, 15713, 15714, 15715, 15716, 15717, 15718, 15719, 15720,
15721, 15722, 15723, 15724, 15725 , 18276,
18277, 18278, 18279, 18280, 18281, 18282, 18283, 18284, 18285, 18286, 18287,
18288, 18289, 18290, 18291, 18292 , 11883
, 11907
, 24942
, 42578,
42579 (sous-amendements) , 18293,
18294, 18295, 18296, 18297, 18298, 18299, 18300, 18303, 18304, 18305, 18306,
18307, 18308, 18309, 18310, 18311 , 24943
, 21543,
21544, 21545, 21546, 21547, 21548, 21549, 21550, 21551, 21552, 21553, 21554,
21555, 21556, 21557, 21558, 21559 , 21560,
21561, 21562, 21563, 21564, 21565, 21566, 21567, 21568, 21569, 21570, 21571,
21572, 21573, 21574, 21575, 21576
Rappel
au règlement
M. Adrien
Quatennens
Article 5
(suite)
Article 6
M. Boris
Vallaud
Mme Nicole
Sanquer
M. Michel
Castellani
M. Adrien
Quatennens
M. Stéphane
Peu
M. Fabien
Gouttefarde
M. Thibault
Bazin
Mme Nathalie
Elimas
3.
Ordre du jour de la prochaine séance
Présidence de
M. Sylvain Waserman
vice-président
M. le
président. La séance est ouverte.
(La séance est ouverte à quinze heures.)
1
Demande de constitution d’une commission spéciale
M. le
président. Une demande de constitution d’une commission spéciale a été
présentée par le président du groupe de la Gauche démocrate et républicaine pour
l’examen de la proposition de loi pour une retraite universellement juste, en
application de l’article 31, alinéa 1er, du règlement. Une
opposition formulée par le président du groupe La République en marche est
parvenue à la présidence dans le délai fixé à l’alinéa 3 de ce même
article.
L’Assemblée sera donc appelée à statuer sur la demande de
constitution d’une commission spéciale à la fin de la première séance suivant
cette annonce, c’est-à-dire ce soir, à vingt-trois heures trente, conformément à
l’article 31, alinéa 4.
2
Système universel de retraite
Suite de la discussion d’un projet de loi
M. le
président. L’ordre du jour appelle la suite de la discussion du projet
de loi instituant un système universel de retraite (no 2623
rectifié, 2683).
Discussion des articles (suite)
M. le
président. Ce matin, l’Assemblée a poursuivi la discussion des articles
du projet de loi, s’arrêtant à l’amendement no 443 à
l’article 4.
Article 4 (suite)
M. le
président. Je suis saisi de deux amendements identiques,
nos 443 et 24938.
La parole est à M. Maxime Minot,
pour soutenir l’amendement no 443.
M. Maxime
Minot. Cet amendement que nous devons à notre collègue Pierre Cordier
vise à supprimer les alinéas 9 à 11 de l’article 4. Le système
universel de retraite s’appliquera aux travailleurs indépendants, ce qui
implique la fusion dans le système universel des régimes autonomes des
travailleurs indépendants et libéraux et de leurs caisses complémentaires. Dans
de nombreux cas, cette fusion fera des perdants, du fait des cotisations ou des
prestations. Certaines catégories d’indépendants subiront en effet un doublement
de leurs cotisations, sans y gagner en matière de prestations.
M. le
président. La parole est à M. Régis Juanico, pour soutenir
l’amendement no 24938.
M. Régis
Juanico. J’ai beau essayer, depuis le tout début, de suivre nos débats
très attentivement, concernant l’article 4, on n’y comprend plus rien. Du
point de vue de la lisibilité de la réforme, pour les indépendants et les
professions libérales, on en est au degré zéro. Entre l’amendement déposé à la
dernière minute par le Gouvernement après l’article 2, les concertations et
les annonces parallèles au débat parlementaire – en dehors de ces
murs – et le recours aux nombreuses ordonnances, il est difficile d’y voir
encore clair !
L’amendement propose d’exclure les travailleurs
indépendants du champ d’application du projet de loi. En effet, les spécificités
de leur métier, la périodicité de leurs activités, parfois, et la nature de leur
rémunération justifient un système de retraite propre et adapté. Certaines de
ces professions ont en outre la particularité d’entraîner la constitution d’un
patrimoine dédié à l’activité professionnelle, qui peut représenter, au moment
du départ à la retraite, un élément complémentaire de la pension. Ces
professions ne sauraient donc être traitées de la même manière que les agents
publics ou les salariés du secteur privé.
M. le
président. La parole est à M. Guillaume Gouffier-Cha, rapporteur
général de la commission spéciale, pour donner l’avis de la commission.
M.
Guillaume Gouffier-Cha, rapporteur général de la commission
spéciale. Avis défavorable. Nous avons déjà eu ce débat ce matin, et des
réponses ont été apportées à ces questions.
M. le
président. La parole est à M. le secrétaire d’État chargé des
retraites, pour donner l’avis du Gouvernement.
M. Laurent
Pietraszewski, secrétaire d’État chargé des retraites. Avis
défavorable.
M. le
président. La parole est à M. Alain David.
M. Alain
David. L’amendement no 24938 est un amendement de cohérence
avec ceux qui visent à faire barrage à une réforme sans précédent de notre
système d’assurance vieillesse, imposée sans aucune étude d’impact sérieuse,
sans évaluations financières fiables et sans que le Parlement soit en mesure
d’en apprécier toute la teneur, du fait des nombreux renvois à des ordonnances
ou des décrets. Nous voulons que ce projet soit purement et simplement
retiré.
(Les amendements identiques nos 443 et 24938
ne sont pas adoptés.)
M. le
président. L’amendement no 13630 et les seize
amendements identiques déposés par les membres du groupe La France insoumise
sont défendus.
(Les amendements no 13630 et
identiques, repoussés par la commission et le Gouvernement, ne sont pas
adoptés.)
M. le
président. L’amendement no 13647 et les seize
amendements identiques déposés par les membres du groupe La France insoumise
sont défendus.
Quel est l’avis de la commission ?
M.
Guillaume Gouffier-Cha, rapporteur général. Avis
défavorable.
M. le
président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. Laurent
Pietraszewski, secrétaire d’État. Avis défavorable également à
ces amendements qui, en supprimant des alinéas de l’article, rendent celui-ci
incohérent.
(Les amendements no 13647 et
identiques ne sont pas adoptés.)
M. le
président. L’amendement no 13665 et les seize
amendements identiques déposés par les membres du groupe La France insoumise
sont défendus.
(Les amendements no 13665 et
identiques, repoussés par la commission et le Gouvernement, ne sont pas
adoptés.)
M. le
président. Les amendements identiques nos 228 de
M. Fabrice Brun, 398 de M. Pierre Cordier et 11908 de
M. Marc Le Fur sont défendus.
(Les amendements identiques nos 228, 398 et
11908, repoussés par la commission et le Gouvernement, ne sont pas
adoptés.)
M. le
président. Je suis saisi d’une série de dix-huit amendements identiques
qui se compose de l’amendement no 13682 et de seize amendements
identiques déposés par les membres du groupe La France insoumise, ainsi que de
l’amendement no 24939.
La parole est à M. Éric
Coquerel, pour soutenir les amendements de son groupe.
M. Éric
Coquerel. Ce matin, nous avons commencé à débattre des travailleurs
indépendants et, un peu avant la fin de la séance, je vous ai posé, monsieur le
secrétaire d’État, une question à laquelle je ne crois pas avoir eu de
réponse. Elle concernait le caractère pseudo-universel de la réforme concernant
les indépendants : je l’ai signalé, 75 % d’entre eux seulement
seraient concernés ; en outre, il est proposé qu’ils cotisent uniquement à
hauteur de la part salariale, de sorte qu’en cotisant moins, ils s’ouvrent moins
de droits que les salariés, à revenus identiques. Je vous ai aussi signalé
plusieurs cas témoignant de l’existence de situations à la carte, certaines
professions pouvant acquérir des points supplémentaires. Je vous repose ma
question : ne pensez-vous pas que cet état de fait hypothèque le prétendu
caractère universel de votre système ?
M. le
président. La parole est à M. Régis Juanico, pour soutenir
l’amendement no 24939.
M. Régis
Juanico. Je souhaite moi aussi revenir sur des questions posées en fin
de matinée et qui n’ont pas reçu de réponses claires et précises. Le
Gouvernement prévoit-il de puiser dans les réserves des caisses existantes afin
de financer les mesures de lissage destinées à certaines professions libérales
et indépendantes ? C’est ce que vous semblez prévoir pour les
avocats : la lettre adressée hier par Mme la garde des sceaux à la
Caisse nationale des barreaux français – CNBF – évoque la possibilité
d’utiliser les produits des réserves financières de cette dernière. M. le
secrétaire d’État répète depuis plusieurs jours qu’il n’est pas question de
puiser dans les caisses des professions libérales et indépendantes, mais la
lettre de Mme la garde des sceaux dit exactement le contraire !
(Protestations sur les bancs du groupe LaREM.)
M. Patrick
Hetzel. Tout à fait !
M. Boris
Vallaud. Vérité en deçà de la Seine…
M. Régis
Juanico. À un moment donné, il faut que vous preniez clairement
position !
M. le
président. Quel est l’avis de la commission sur ces
amendements ?
M.
Guillaume Gouffier-Cha, rapporteur général. Défavorable à ces
amendements de suppression de l’alinéa 12. Nous reviendrons plus
longuement, à l’article 58, sur ces sujets qui ont déjà fait l’objet
d’explications.
M. le
président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. Laurent
Pietraszewski, secrétaire d’État. À ce genre de question, on
répond une première fois, puis une deuxième ; à la troisième, on vous
reproche de ne pas y avoir tout à fait répondu ; elles reviennent en
permanence et ne font pas du tout avancer le débat.(Protestations sur les
bancs des groupes SOC et GDR.) Tous ceux qui nous suivent doivent se dire
que cela n’est pas possible !
M. Éric
Coquerel. Pas au sens où vous l’entendez !
M. Laurent
Pietraszewski, secrétaire d’État. La réalité est toujours la
même, monsieur Juanico, il n’y a rien de nouveau : les réserves
appartiennent à ceux qui les ont constituées ; ils décideront de leur
utilisation en fonction des différentes options possibles. Ce n’est pas au
Gouvernement d’en décider et cette décision ne figure pas dans le projet de
loi.
Je voudrais que l’on me donne acte du fait que j’ai répondu à cette
question dix, quinze, vingt, trente fois, et que l’on passe à d’autres
questions ! (Applaudissements sur plusieurs bancs des groupes LaREM et
MODEM.)
M. le
président. La parole est à M. Éric Coquerel.
M. Éric
Coquerel. Nous faisons bien de vous reposer cette question, car vos
réponses ne sont jamais tout à fait les mêmes. (Protestations sur les bancs
des groupes LaREM et MODEM.) Vous dites qu’il appartiendra à ces caisses de
décider si elles puisent ou non dans leurs fonds de réserve.
M. Rémy
Rebeyrotte. C’est la lettre de la garde des sceaux !
M. Éric
Coquerel. Si vous obligez les avocats, pour éviter le plan social qui
s’annonce concernant notamment les moins fortunés d’entre eux, à puiser dans
leur fonds de réserve…
M. Alain
Perea. C’est faux !
M. Éric
Coquerel. …pour équilibrer la situation, vous n’en prenez certes pas la
responsabilité, mais cela revient au même.
M. Bruno
Millienne. C’est un procès d’intention !
M. Éric
Coquerel. Ce fonds de réserve repose sur un principe très clair :
il permet, en fonction des aléas et de l’évolution du nombre d’avocats du fait
des nouveaux arrivants dans la profession, de compenser les coups
durs.
Par le présent projet de loi, vous imposez à certains avocats
l’alternative suivante : la ruine immédiate, voire la disparition, ce qui
laisse sans défense des clients dont nous vous avons dit que la situation
financière est souvent fragile, ou la nécessité de puiser dans les fonds de
réserve pour tenir quelques années du fait des mesures que vous leur infligez.
Il ne vous appartiendra peut-être pas de trancher mais qu’importe : l’une
et l’autre solution reviennent au même ! De facto, les avocats devront
puiser dans leur fonds de réserve pour assumer les effets de la loi que vous
leur imposez !
M.
Jean-René Cazeneuve. Ça y est ? C’est bon, on n’y revient
plus ?
M. Éric
Coquerel. Respirez un bon coup, cher collègue, vous irez mieux !
(« C’est fait ! »
sur les bancs du groupe LaREM.) Et demandez la parole si vous avez quelque
chose à dire, argumentez, répondez !
M. le
président. La parole est à M. Frédéric Petit.
M. Frédéric
Petit. Les avocats demeureront pleinement responsables de leur fonds de
réserve. Je vous rappelle que nous avons adopté hier une disposition les
autorisant à maintenir les principes et les méthodes de solidarité interne
qu’ils appliquent déjà ! Autrement dit, la loi leur permettra de conserver
leur système interne de compensation afin que la profession dispose d’un fonds
de solidarité et qu’elle soit libre de faire ce qu’elle veut de ce qui lui
appartient. C’est clair, net et précis. (Applaudissements sur les bancs des
groupes MODEM et LaREM.)
M. le
président. La parole est à M. Boris Vallaud.
M. Boris
Vallaud. En toute franchise, ça sent l’embrouille… Je relis la lettre de
la ministre(Exclamations sur les bancs du groupe MODEM) : le
financement de la solidarité « sera assuré par les droits de plaidoirie et
leur contribution équivalente » ; soit. Elle ajoute ceci :
« La CNBF pourra également utiliser les produits de ses réserves
financières. » Or le montant que rapporteront les droits de plaidoirie ne
fait pas la maille ! L’augmentation totale des cotisations, de l’ordre de
229 millions d’euros, sera nettement supérieure au produit des droits de
plaidoirie, qui devrait s’élever à 87,2 millions. Comment pallier la
différence ? En puisant dans les réserves.
Vous parlez de liberté de
choisir l’âge de départ à la retraite alors qu’en réalité, une très petite
retraite ne laisse pas d’autre choix que de travailler plus longtemps. Vous
faites la même chose pour les avocats : les droits de plaidoirie ne
couvrant pas l’augmentation des cotisations, vous leur permettez de puiser dans
leurs réserves, mais quel autre choix auront-ils ?(Exclamations sur les
bancs du groupe LaREM.) Aucun : ils puiseront dans leurs réserves.
M.
Jean-Paul Dufrègne. Eh oui !
Mme
Catherine Fabre. Et la solidarité ?
M. Boris
Vallaud. En réalité, vous utilisez bien le fonds de réserve des avocats,
même s’il reste à leur bénéfice.
M. Frédéric
Petit. Ils ont dix ans pour s’organiser !
M. le
président. La parole est à M. Roland Lescure.
M. Roland
Lescure. Nous sommes le 27 février, il est quinze heures quinze, il
nous reste 31 115 amendements à examiner et voilà onze jours que nous
sommes ensemble.
M.
Jean-Paul Dufrègne. Nous avons entendu cela toute la matinée !
M. Thibault
Bazin. C’est de l’obstruction !
M. Roland
Lescure. Puisque ces amendements ont trait au champ d’application de la
réforme, permettez-moi de revenir quelques instants sur le projet de nos
collègues du groupe Les Républicains, que le président Éric Woerth a rapidement
présenté ce matin.
M. Thibault
Bazin. Mais ce ne sont pas nos amendements !
M. Roland
Lescure. Je lui reconnais volontiers clarté, rigueur et cohérence
– contrairement à d’autres, qui nous proposent onze pages simplistes et
confiscatoires.
M. Alain
Bruneel. Vous ne nous diviserez pas !
M. Roland
Lescure. Votre projet, chers collègues du groupe Les Républicains, est
simple : au fond, c’est le nôtre, mais au rabais.
(« Non ! » sur les
bancs du groupe LR.) Si j’ai bien entendu, vous proposez un système
universel par points et une retraite minimum ; pour le reste, vous
souhaitez préserver les caisses autonomes. En bon français et sans pudeur, vous
introduisez des fonds de pension à la française. Ce faisant, vous allez à
l’encontre de l’objectif de solidarité que nous partageons tous, y compris pour
les petits avocats ou encore les danseurs d’opéra qui ne sont pas à l’Opéra de
Paris et sont sans projet précis. Au fond, le régime que vous prônez est très
proche d’un régime que je connais bien, le régime canadien, et repose sur la
combinaison de fonds de pension à la française, d’un régime par capitalisation
et d’un régime minimum ; voilà ce qui vous convient.
J’ai une
suggestion à vous faire, chers collègues : oubliez les fonds de pension à
la française, car les Français n’en veulent pas, et rejoignez-nous – votez
en faveur de notre projet de loi et amendez-le à la marge !
M. Stéphane
Viry. Nous essayons !
M. Roland
Lescure. Je suis certain qu’ainsi, nous parviendrons à progresser !
(Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe LaREM.)
M. le
président. Sans transition, la parole est au président Éric
Woerth.
M. Éric
Woerth. Votre découverte est bien tardive, monsieur le président
Lescure !
M. Patrick
Hetzel. Excellent !
M. Éric
Woerth. Nous avons présenté notre proposition dès le mois de janvier,
peut-être même à la fin décembre : ce n’est pas tout récent, mais il faut
du temps pour qu’il infuse. Vous n’en avez manifestement pas encore tout
compris ; lorsqu’il aura infusé davantage, vous aurez une vision réaliste
de notre projet qui, tout simplement, est plus clair et plus compréhensible.
M. Sacha
Houlié. Et égalitaire ?
M. Éric
Woerth. La loi ne saurait être illisible ; si elle l’est, ce n’est
plus la loi. Il serait problématique que les Français ne comprennent pas
l’intention du législateur. Interrogez les gens dans vos circonscriptions :
vous ne trouverez personne pour expliquer un tant soit peu ce dont il s’agit
– c’est impossible. Quant aux éléments de langage – nous en avons
tous – sur le caractère plus juste et plus universel du projet, ils ne sont
avérés nulle part. Les périodes de transition s’étalent sur vingt, trente, voire
cinquante ans – c’est-à-dire sur cinq, six, sept ou huit
quinquennats ! Comment voulez-vous garantir quoi que ce soit aux Français
dans ces conditions ? Nous sommes plus clairs.
J’ajoute que vous
imposez de nouvelles charges aux avocats, aux professions libérales et aux
non-salariés. Vous aurez beau affirmer que ces professions pourront utiliser
comme elles le souhaitent les fonds qu’elles ont constitués, elles seront en
réalité obligées de les utiliser pendant la phase de transition pour couvrir les
charges supplémentaires en question, que ne couvriront pas non plus les
abattements prévus, par exemple sur l’assiette de la CSG. C’est la raison pour
laquelle vous proposez d’utiliser le produit des droits de plaidoirie ;
mais il est d’ores et déjà versé à la CNBF. Le système de retraite des avocats
est totalement autonome – autonomie que vous prétendez préserver, mais
seulement dans la limite de l’obligation qui leur est faite de s’intégrer à un
système universel dont ils ne veulent pas. Tout cela manque de cohérence
intellectuelle. (Applaudissements sur les bancs du groupe LR.)
M. Patrick
Hetzel. Très bien !
M. le
président. La parole est à M. Alain Bruneel.
M. Alain
Bruneel. M. Lescure, arrivé en début d’après-midi, reprend les
mêmes phrases que ses collègues ce matin. (Exclamations sur les bancs du
groupe LaREM.)
M. Patrick
Mignola. Ce n’est pas à vous que ça arriverait…
M. Alain
Bruneel. Nous avons examiné x amendements, nous dit-il, mais je
lui rappelle que nous sommes dans l’hémicycle de l’Assemblée nationale et que si
nous ne sommes pas tous d’accord, chacun a le droit de s’exprimer.
Mme
Brigitte Bourguignon, présidente de la commission spéciale. En
effet, et comme il le souhaite !
M. Rémy
Rebeyrotte. Oui, monsieur Lescure a le droit de dire ce qu’il
veut !
M. Patrick
Mignola. Seule l’opposition a le droit de se répéter !
M. Alain
Bruneel. S’agissant des avocats, je ne comprends pas : comme on l’a
dit maintes fois, ils ont une caisse autonome et reversent une partie de leurs
fonds au régime général. D’autre part, vous affirmez que leur nombre va
décroître – ce que l’on ne saurait deviner, même si des enquêtes existent
sur le sujet. Il y a néanmoins un paradoxe : la population augmente
– nous sommes 7,7 milliards aujourd’hui mais nous serons
10 milliards en 2050 – et avec elle, le nombre de personnes qui auront
besoin de recourir aux services d’avocats. Je regrette, mais il est
contradictoire de prétendre que le nombre d’avocats diminuera alors que la
population, elle, augmentera ! (M. Stéphane Peu
applaudit.)
M. le
président. La parole est à M. Sacha Houlié.
M. Sacha
Houlié. Nous avons beaucoup parlé des avocats ; permettez-moi un
mot en tant que membre de la profession. Les avocats – ils le disent
eux-mêmes – vivent un malaise qui n’est pas dû à la réforme des retraites.
(Exclamations sur les bancs du groupe LR.) Il découle de l’antécédent de
la réforme de la carte judiciaire de 2009 – vous pouvez, chers collègues
qui siégez à la droite de l’hémicycle, en assumer la responsabilité – et de
la manière dont on a longtemps laissé traîner la question de l’aide
juridictionnelle, que nous traitons.
Des réponses leur ont déjà été
apportées. Je vous entends reprendre certaines revendications relatives à
l’abattement pour affirmer que les baisses de CSG et de CRDS sont insuffisantes,
que la transition ne vous plaît pas, que vous jugez trop peu pertinent le
maintien des mécanismes de péréquation. Reste que ces avancées existent,
qu’elles sont concrètes et que la garde des sceaux les a
confirmées.
Pourquoi le nombre d’avocats va-t-il diminuer ? Parce
que la profession va profondément évoluer. L’activité de contentieux de masse
disparaîtra parce que les algorithmes s’en chargent bien mieux que les
avocats.
M. Boris
Vallaud. Bienvenue dans la justice automatique !
M. Sacha
Houlié. Ceux-ci vont, comme les infirmiers, se spécialiser dans
l’accompagnement de cas typiques où leur intervention demeurera essentielle sans
qu’il soit nécessaire de maintenir leur nombre actuel, étant entendu qu’en
outre, le ratio entre le nombre de pensionnés et le nombre de cotisants
connaîtra une forte hausse. C’est pourquoi la profession s’est elle-même adaptée
en augmentant ses cotisations et en prévoyant le rythme de transition. De même,
c’est pour eux que nous prenons ces dispositions dans la réforme, en cohérence
avec les décisions de la CNBF. (Applaudissements sur les bancs du groupe
LaREM.)
M. le
président. La parole est à Mme Marie-Christine Dalloz.
Mme
Marie-Christine Dalloz. Selon l’argumentation du président Lescure, le
groupe Les Républicains ferait la promotion des fonds de pension à la
française ; c’est faux. Démontrez-nous la moindre intention, dans notre
projet, d’adopter ce type de mécanisme ! Que ce soit clair : nous
sommes foncièrement – je dirais même idéologiquement, structurellement,
génétiquement – favorables à la répartition. Il n’y a aucune ambiguïté à ce
sujet, monsieur Lescure, et notre projet de réforme des retraites ne va pas du
tout dans ce sens.
En revanche, je constate un point qui vous fera
sûrement plaisir. Comme le rapporteur Turquois l’a expliqué, vous avez décidé
d’appliquer la réforme à partir de la génération née en 1975. Or le basculement
aura lieu en 2025, alors que la cohorte de 1975 aura 50 ans. Sachant que
vous projetez de fixer l’âge de départ à la retraite vers 65 ans,
l’intervalle entre ces deux âges permettra précisément de privilégier la
capitalisation. En effet, les gens auront compris que votre retraite consistera
en un socle minimal ; pendant leurs quinze dernières années d’activité, ils
auront donc intérêt à se tourner vers des régimes privés. Vous ne le dites
pas ; mais ne nous reprochez pas à tort de défendre des mesures alors que
c’est dans votre projet de loi qu’elles figurent implicitement ; assumez-en
la réalité !
M. Patrick
Hetzel. Très bien !
M. le
président. La parole est à Mme Caroline Fiat.
Mme
Caroline Fiat. Il vient de nous être dit que le nombre d’avocats
baisserait mécaniquement car, les algorithmes permettant d’accélérer le
traitement des dossiers, leur présence serait moins nécessaire.
M. Sacha
Houlié. Pour le contentieux de masse, oui.
Mme
Caroline Fiat. Cette évolution a été comparée à celle des
infirmiers.
M. Sacha
Houlié. Mais non, c’est tout l’inverse !
Mme
Caroline Fiat. Il a été envisagé de faire autant avec moins
d’infirmiers ; on en voit le résultat – c’est la crise que traversent
les hôpitaux. Aujourd’hui, on se fonde sur ce précédent pour se réjouir de
pouvoir à l’avenir faire autant avec moins d’avocats,…
M. Erwan
Balanant. Ce n’est pas du tout ce que M. Houlié a dit !
Mme
Caroline Fiat. …mais je peux d’ores et déjà vous annoncer le résultat,
qui est bien connu puisqu’il sera identique à la crise actuelle du système
hospitalier ! On a tant misé sur la capacité à faire autant avec moins
d’infirmiers qu’on est allé droit dans le mur. Je vous en prie, ne faites pas le
même pari s’agissant des avocats. Un peu de cohérence ! Ne misez pas sur
les algorithmes : ils ne fonctionnent pas.
Nous avons d’autant plus
besoin des avocats que ceux d’entre eux qui gagnent le moins sont aussi les plus
utiles à nos concitoyens les moins fortunés, car ils fournissent l’aide
juridictionnelle et permettent à toutes et à tous de faire valoir leur droit à
la défense. Les gouvernements précédents ont créé les déserts médicaux ;
vous allez créer les déserts judiciaires. Prenez garde à ce que vous
faites !
M. Éric
Coquerel. Très bien !
M. le
président. La parole est à M. Jean-Paul Dufrègne.
M.
Jean-Paul Dufrègne. M. Lescure a mis en avant deux autres
projets : celui du groupe Les Républicains, dont il a invité les membres à
rejoindre la majorité, et un autre qu’il a balayé d’un revers de manche en
évoquant ses onze pages « confiscatoires »,…
M. Roland
Lescure. Parce que c’est vrai !
M.
Jean-Paul Dufrègne. …comme si cette notion était taboue et à proscrire.
Vous ne cessez de nous rappeler que la société a changé, et nous ne vous avons
pas attendus pour le constate. Il faut assurément envisager d’autres sources de
financement, et j’espère que la conférence de financement le fera. Il faut
partager le progrès, partager la richesse produite dans les entreprises et par
les autres moyens qu’offre la société. Notre collègue Houlié a annoncé la baisse
du nombre d’avocats grâce aux algorithmes et à la robotique. Cela n’empêchera
pas notre pays de produire autant de richesses, voire plus ! Nous devons
changer de paradigme pour adapter la société aux réalités de
demain.
C’est pourquoi nous proposons que les revenus financiers
participent au financement du système de retraite. Vous mettez constamment à
contribution les petits contre les gros, auxquels vous avez accordé des cadeaux
fiscaux faramineux – suppression de l’impôt sur la fortune, flat tax, et
ainsi de suite. Cette année, les dividendes du CAC40 ont atteint un montant
record de 50 milliards !
Quelle part de ce montant alimentera
le fonds des retraites ? Est-ce si absurde de penser qu’il faudrait
travailler sur ces pistes ? Vous balayez nos propositions d’un revers de
main, alors que nos questions portent sur ce qui se passe aujourd’hui et sur ce
à quoi il va nous falloir faire face. (Applaudissements sur les bancs du
groupe GDR.)
M. le
président. La parole est à M. Erwan Balanant.
M. Erwan
Balanant. Nous parlons décidément beaucoup des avocats.
M. Patrick
Hetzel. C’est un sujet important !
M. Erwan
Balanant. Oui, comme beaucoup d’autres, comme celui des artisans, des
commerçants, des ouvriers, des agriculteurs, des pêcheurs.
Mme
Marie-Christine Dalloz. Nous en avons parlé ce matin !
M. Erwan
Balanant. Tous ces sujets sont importants, et j’ai beaucoup d’estime
pour les avocats,…
M. Thibault
Bazin. Montrez-le leur !
M. Erwan
Balanant. …qui exercent une profession essentielle.
M.
Jean-Paul Dufrègne. Vous feriez un mauvais avocat !
M. Erwan
Balanant. Comme vous, j’ai récemment rencontré des avocats. Les
retraites sont un voile qui cache un malaise plus profond : oui, des sauts
technologiques induisent une transformation de la profession, même si je ne
crois pas beaucoup dans l’avènement d’une justice algorithmique et espère que
notre pays comptera encore longtemps beaucoup d’avocats.
Mais un autre
problème se pose : celui de leur statut et de leur rapport avec certains
donneurs d’ordres, comme les assureurs dans le cadre de l’aide juridictionnelle.
Nous devons travailler sur ces sujets.
Aux avocats, je dis que des
propositions sérieuses, n’entraînant pratiquement aucun coût pour les petits
cabinets, ont été faites à propos des retraites. Réfléchissons maintenant, avec
des députés siégeant sur tous les bancs, au statut des avocats, à leur
indépendance et à leur rapport avec les assureurs et la justice. Réfléchissions
également aux moyens d’améliorer encore cette dernière, même si nous avons déjà
beaucoup avancé dans ce domaine, avec la loi du 23 mars 2019 de
programmation 2018-2022 et de réforme pour la justice, qui a revalorisé de
25 % le budget de la justice, lequel n’avait pas progressé depuis presque
vingt ans.
(Les amendements no 13682
et identiques ne sont pas adoptés.)
M. le
président. Je suis saisi de deux amendements identiques,
nos 1487 et 3964.
La parole est à M. Thibault Bazin,
pour soutenir l’amendement no 1487.
M. Thibault
Bazin. Il ne vise pas à supprimer un alinéa, mais à assurer la cohérence
entre l’alinéa 12 de l’article 4 et le titre 4 du livre 6 du
code de la sécurité sociale, « Assurance vieillesse et invalidité-décès des
professions libérales ».
L’amendement énumère les
professionnels conservant les régimes de retraite actuels, à savoir ceux nés
avant 1975, ainsi que les assurés ressortissant aux régimes invalidité-décès
propres aux professions libérales.
La rédaction de notre amendement se
veut la plus complète possible. On y lit que « sont affiliées aux régimes
d’assurance vieillesse des professions libérales les personnes ne relevant pas
des dispositions du II de l’article L. 190-1 exerçant » les
professions dont nous dressons la liste : médecins, dentistes,
sages-femmes, pharmaciens, psychologues, ergothérapeutes, etc. Monsieur le
secrétaire d’État, monsieur le rapporteur général, sous-amendez l’amendement si
nécessaire, afin qu’aucune profession ne soit oubliée !
Vous
réaffirmiez ce matin que vous ne touchiez pas aux caisses autonomes ; ne
modifiez donc pas leurs aspects positifs, comme la prévoyance, avec la
réversion. Les experts-comptables peuvent ainsi verser une cotisation
supplémentaire destinée à ce que leur conjoint bénéficie d’une pension de
réversion égale à 100 % des points ! Si vous leur ôtiez cette faculté,
vous entraîneriez une régression sociale, mes chers collègues. Je vous invite
donc à adopter l’amendement, afin que la réforme ne fasse, comme vous le
souhaitez, que des gagnants. Voilà l’objectif de cet amendement de bon sens, que
nous avons beaucoup travaillé. (Applaudissements sur plusieurs bancs du
groupe LR.)
M. Patrick
Hetzel. Très bien !
M. le
président. La parole est à Mme Emmanuelle Ménard, pour soutenir
l’amendement no 3964.
Mme
Emmanuelle Ménard. Dans notre énumération, nous avons veillé à n’oublier
aucune profession. Mon collègue Thibault Bazin a évoqué des professions du
secteur médical ; pour compléter, je tiens à citer les notaires, les
huissiers de justice, les commissaires-priseurs, les experts-comptables, mais
également les professions liées à l’architecture, les artistes non mentionnés à
l’article L. 382-1 du code de la sécurité sociale et les guides
conférenciers, les vétérinaires, les moniteurs de ski, ainsi que les guides de
haute montagne et les accompagnateurs de moyenne montagne, que l’on oublie trop
souvent.
Cette liste est le fruit d’un travail sérieux ; puisqu’il
ne s’agit pas, comme l’a souligné mon collègue Bazin, d’un amendement de
suppression mais d’une suggestion de réécriture de l’alinéa 12, nous vous
demandons de lui accorder beaucoup d’attention. Cette proposition intéressante
mériterait d’être votée par tous.
M. le
président. Quel est l’avis de la commission ?
M.
Guillaume Gouffier-Cha, rapporteur général. Par ces amendements,
vous voulez énumérer les professions libérales qui continueront à relever de
leur caisse pour la couverture du risque invalidité-décès. Vous voulez éviter
que certaines catégories ne soient oubliées ; rassurez-vous, nous n’en
oublierons aucune ! En réalité, les amendements n’apportent aucune
clarification par rapport au droit existant, car la rédaction actuelle de
l’alinéa 12 conserve la référence aux huit groupes de professions libérales
que vous citez et dont l’article L. 640-1 du code de la sécurité
sociale dresse la liste. L’alinéa 12 complète cet article, mais ne le
modifie pas.
Je vous demande donc de retirer les deux amendements ;
à défaut, mon avis serait défavorable.
M. le
président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. Laurent
Pietraszewski, secrétaire d’État. Madame Ménard, je relisais avec
attention votre amendement, en même temps que j’écoutais le rapporteur général,
pour vérifier que nous n’avions oublié personne. J’ai répondu à
Mme Anthoine à ce sujet ce matin, en lui rappelant que les dispositifs de
prévoyance qui existent au sein des professions libérales, concernant notamment
l’invalidité et le décès, continueraient de fonctionner comme aujourd’hui. De ce
point de vue, la rédaction actuelle de l’alinéa 12 est bonne et satisfait
votre demande.
Je vous invite à vérifier l’article L. 640-1 du
code de la sécurité sociale, qu’il n’est pas nécessaire de recopier dans le
projet de loi puisque celui-ci ne l’abroge pas et ne lui enlève aucune portée.
J’espère ainsi vous rassurer, ainsi que M. Bazin.
À défaut de
retrait, je donnerai un avis défavorable.
M. le
président. Êtes-vous rassuré, monsieur Bazin ?
M. Thibault
Bazin. Oui, du moins pour la partie que nous avions déjà évoquée en
commission spéciale. Néanmoins, je continue de cheminer…
M.
Jean-René Cazeneuve. C’est bien !
M. Thibault
Bazin. C’est un sujet sérieux, monsieur Cazeneuve. Je persiste à me
poser la question des modalités : les caisses autonomes perdurent, mais
leur mode de financement, par délégation et sous la forme de conventions
d’objectifs et de moyens, peut poser des problèmes à certaines d’entre elles,
notamment celles plus attractives que le régime général que votre réforme
imagine pour tout le monde.
Excusez-moi d’être technique, mais avec un
plafond à 3 PASS – trois fois le plafond annuel de la sécurité
sociale – plutôt qu’à 1 PASS, comment les caisses autonomes
financeront-elles ces avantages sociaux construits progressivement ? Cette
question se pose d’autant que certaines complémentaires comportent un troisième
niveau de couverture. J’ai pris tout à l’heure l’exemple de la cotisation
complémentaire des experts-comptables pour la réversion au conjoint
survivant : certes, la caisse autonome ne disparaîtra pas, mais
pourront-ils basculer les réserves de la caisse vers la complémentaire ?
Percevront-ils suffisamment d’argent pour financer ce mécanisme de prévoyance,
qui viendra s’ajouter au futur système de base ? Nous sommes là dans le
détail – sauf pour eux, car il s’agit de leur vie.
M. le
président. La parole est à M. Patrick Mignola.
M. Patrick
Mignola. Ces amendements sont importants et constructifs, même si je
suis en désaccord avec leur objet. Je vais être rapide pour ne pas retarder
l’examen des amendements – je sais combien la présidence est attachée à
l’objectif du 100 à l’heure. (Sourires.)
M. Rémy
Rebeyrotte. On en est loin !
M. Patrick
Mignola. Si les amendements étaient adoptés, et si les professions
énumérées devaient conserver un régime intégralement autonome, elles se
retrouveraient en grande difficulté, à cause de la démographie, d’une part, de
l’évolution de leur métier, d’autre part.
Chez les médecins, la
génération du baby-boom prend sa retraite, si bien que la mesure pourrait mettre
en difficulté les actifs, qui sont beaucoup moins nombreux – vous
connaissez le problème des déserts médicaux. Il en va de même pour presque
toutes les professions médicales et paramédicales que vous citez, même si
certaines peuvent se trouver dans la situation inverse ; ainsi, la
profession d’ostéopathe, qui n’a acquis son statut que très récemment, pourrait
ne compter que des cotisants, ou presque, et très peu de pensionnés. En
revanche, dans trente ou quarante ans, elle serait à son tour en grande
difficulté et serait contrainte de demander son intégration au régime
universel.
Tel est bien l’enjeu de notre discussion. Si nous voulons un
régime dont les règles sont identiques pour tous, ce n’est pas pour que ceux
dont la démographie est actuellement favorable s’en tiennent éloignés, avant de
demander leur intégration une fois leur situation dégradée. Ce serait la
négation de la solidarité nationale !
Les métiers des architectes,
architectes d’intérieur et économistes de la construction, professions qui me
sont très familières, connaissent une telle évolution, comprenant souvent une
subdivision des missions qui leur sont dévolues, qu’il serait extrêmement
complexe d’organiser des régimes – et même des sous-régimes –
autonomes de la profession.
Enfin, les guides et accompagnateurs de haute
montagne, métiers que je connais également bien, réclament avant tout de
ne pas acquitter de cotisations trop élevées sur les 1 000 premiers euros,
voire sur les 5 000 premiers. Émilie Bonnivard n’est pas là, mais je suis
certain qu’elle approuverait mon propos.
M. Thibault
Bazin. Les cotisations sont l’un de nos combats !
M. Patrick
Mignola. Ils ne veulent surtout pas une autonomisation de leur régime,
qui les contraindrait probablement à payer des cotisations supplémentaires.
M. Roland
Lescure. Exactement !
M. Patrick
Mignola. Le groupe du Mouvement démocrate est donc très opposé à ces
amendements. J’y reviendrai, le cas échéant, à propos du seuil de 1 PASS
qu’a évoqué M. Bazin. Vous nous savez opposés à la capitalisation, mais
rien n’empêchera ces professions de continuer à bénéficier des surcotisations
régies par l’article 83 ou l’article 39 du code général des impôts. Il
me semble que les auteurs des deux amendements font erreur. (Applaudissements
sur les bancs du groupe MODEM, ainsi que sur plusieurs bancs du groupe LaREM. –
Exclamations sur les bancs du groupe LR.)
M. Roland
Lescure. Bravo !
M. le
président. La parole est à M. Éric Coquerel.
M. Éric
Coquerel. Le fait que nos collègues du groupe Les Républicains demandent
des rectifications ou, du moins, des précisions confirme que vous transformez
notre système de retraite en usine à gaz, chers collègues de la majorité. À ce
sujet, je voudrais répondre à M. Lescure, qui, avec le mépris propre à
certains marcheurs,… (Exclamations sur plusieurs bancs du groupe
LaREM.)
M. Rémy
Rebeyrotte. C’est insupportable !
M. Éric
Coquerel. …a balayé d’un revers de main le document de trente-huit pages
présentant notre contre-projet de réforme des retraites, ce qui a au moins ceci
de sympathique que davantage de gens seront incités à le lire !
M. Philippe
Gosselin. Toute publicité est proscrite dans l’hémicycle !
M. Éric
Coquerel. À votre avis, pourquoi trente-huit pages suffisent-elles à
présenter notre contre-projet ? Parce qu’il ne remet pas structurellement
en cause, contrairement au vôtre, le système de retraite en vigueur.
Mme Sophie
Beaudouin-Hubiere. C’est un truc infaisable que vous proposez !
M. Éric
Coquerel. Le vôtre présente autant d’écueils et de trous qu’en imposent
vos tentatives de le rééquilibrer un tant soit peu en faveur des professions
auxquelles vous prenez beaucoup, au motif que vous estimez qu’elles doivent
être, comme les autres, régies par un système par points, lequel, en plus d’être
une terrible usine à gaz, masque un recul de l’âge de la retraite pour tout le
monde, un nivellement par le bas pour tout le monde, une baisse des pensions
pour tout le monde !
C’est pourquoi il vous faut 166 pages pour
présenter votre projet de loi, qui prévoit vingt-neuf ordonnances, où seront
détaillées ensuite ses dispositions, plus 1 030 pages d’une étude
d’impact truquée, et je vous fais grâce de celles qui présentent le projet de
loi organique !
M. Roland
Lescure. C’est ce qu’on appelle des éléments de langage !
M. Éric
Coquerel. Je comprends pourquoi il vous en faut autant : c’est que
votre projet de loi est incompréhensible et injuste ! Voilà la différence
avec ceux qui pensent que nous pouvons peut-être conserver le système en
vigueur, l’améliorer, certes, mais non pas casser ce qui a fonctionné depuis
soixante-dix ans dans ce pays !
M. Alain
Perea. Cela ne fonctionne pas !
M. le
président. La parole est à M. Éric Woerth.
M. Éric
Woerth. J’aimerais interroger le président Mignola : si je
comprends bien, il est impossible de raisonner par métier s’agissant des caisses
de retraite autonomes, mais il est possible et même souhaitable de le faire
s’agissant de la pénibilité.
M. Erwan
Balanant et M. Patrick Mignola. Oui, par branche !
M. Éric
Woerth. Ainsi, il faut prendre les métiers en considération pour la
pénibilité, mais, pour les caisses de retraite autonomes, surtout pas !
M. Roland
Lescure. Exactement !
M. Éric
Woerth. Il faudra que vous nous expliquiez la cohérence de vos
positions, chers collègues de la majorité. Faire preuve d’un peu de cohérence de
temps à autre ne vous nuirait pas.
M. le
président. La parole est à M. Régis Juanico.
M. Régis
Juanico. J’aimerais revenir sur les propos tenus tout à l’heure par
notre collègue Sacha Houlié, qui nous a fait le coup de l’héritage. Il a dit, en
substance, que, si les avocats sont massivement mobilisés contre votre projet de
loi sur les retraites, chers collègues de la majorité, la faute en incombe à un
effet retard des précédentes réformes, notamment celle de la carte judiciaire,
remontant même à la réforme de 2009 – comme si les avocats se mobilisaient
pour cela onze ans plus tard !
Mme
Brigitte Bourguignon, présidente de la commission spéciale. Leurs
difficultés durent depuis dix ans !
M. Erwan
Balanant. Qu’avez-vous fait de 2012 à 2017 ?
M. Régis
Juanico. Chers collègues, y a-t-il déjà eu une mobilisation aussi
importante des avocats ? Peut-on dire que celle-ci n’est pas sans
précédent ?
M. Erwan
Balanant. Oui ! Il y a un effet retard !
M. Régis
Juanico. Non ! Il est évident que la réforme des retraites fait
office de catalyseur, et que les avocats sont confrontés à des difficultés
catégorielles.
M. Laurent
Pietraszewski, secrétaire d’État. Ah !
M. Régis
Juanico. Toutefois, la mobilisation à laquelle nous assistons est
massive, non seulement parmi les avocats, mais aussi dans de nombreuses
catégories de population. Elle l’est dans les hôpitaux publics, depuis plus d’un
an. Leurs personnels sont en grève, et 1 200 chefs de service ont
démissionné de leurs fonctions administratives – quarante sur quatre-vingt
au CHU de Saint-Étienne, par exemple.
Mme
Brigitte Bourguignon, présidente de la commission spéciale. C’est
faux !
M. Régis
Juanico. Cela aussi, c’est un héritage, peut-être ?
M. Erwan
Balanant. Oui !
M. Régis
Juanico. Mais le coup de l’héritage, ça va bien six mois ou un an après
avoir été élu – d’autres l’ont fait avant vous !
M. Erwan
Balanant. Non, il faut bien dix ans pour rattraper ce qui a été
fait !
M. Régis
Juanico. Vous avez été élus il y a trois ans : assumez vos
responsabilités ! C’est votre politique qui est en cause ! Dans deux
ans, vous nous ferez encore le coup de l’héritage ? Espérons que non !
C’est bien des retraites qu’il s’agit, et aucune mobilisation des avocats n’a
jamais été de telle ampleur que celle, historique, que suscite cette
réforme.
M. Patrick
Hetzel. C’est incontestable !
M. Régis
Juanico. Répondez-y ! (Applaudissements sur les bancs du groupe
SOC et sur plusieurs bancs du groupe GDR.)
M. Thibault
Bazin. Heureusement qu’à Saint-Étienne les poteaux ne sont pas
carrés ! (Sourires.)
M. le
président. La parole est à M. Frédéric Petit.
M. Frédéric
Petit. J’aimerais revenir sur la comparaison entre le nombre de pages de
notre projet et les onze pages du groupe La France insoumise….
M. Éric
Coquerel. Trente-huit !
M.
Jean-Paul Dufrègne. Onze, c’est le nôtre !
M. Frédéric
Petit. Trente-huit pages, admettons. Monsieur Coquerel, vous affirmez
que vous ne proposez pas un big bang du système de retraite, préférant
accompagner les gens. Dès lors, expliquez-nous comment vous comptez passer sans
transition, immédiatement et de façon autoritaire, à un régime permettant de
partir à la retraite à soixante ans, et à taux plein après quarante annuités de
cotisation, ce qui semble déjà difficile à mettre en œuvre.
Surtout, vous
considérez – vous l’avez affirmé hier – que l’on peut engranger des
droits à la retraite si l’on est étudiant, bénéficiaire du RSA ou sans activité.
On peut mettre en œuvre un tel système sans transition, dites-vous, onze pages
suffisent à le démontrer,…
M. Éric
Coquerel. Trente-huit !
M. Frédéric
Petit. …assorties de vingt-sept pages de contextualisation. Vous nous
accusez de soutenir un projet de loi injuste ; mais comment justifiez-vous
que quelqu’un n’ayant pas travaillé – donc pas cotisé – jouisse des
mêmes droits à la retraite et parte en même temps que quelqu’un ayant
travaillé ?
M. Bruno
Millienne. Eh oui !
M. Frédéric
Petit. Je ne suis pas certain qu’une telle disposition sera facile à
faire accepter sur vos bancs, ni plus généralement de votre côté de
l’hémicycle.
M. Éric
Coquerel. On va vous expliquer !
M. Bruno
Millienne. Ce n’est pas ce que l’on appelle de la justice !
M. Philippe
Gosselin. C’est de la provocation !
M. Bruno
Millienne. Pas du tout ! Quand on débat projet contre projet, il
faut des chiffres !
M. le
président. La parole est à M. Roland Lescure.
M. Roland
Lescure. Je comptais répondre à M. Coquerel, mais M. Petit
s’en est chargé avec succès.
Monsieur le président Woerth s’est interrogé
sur le fait que les critères de pénibilité pourraient s’appliquer métier par
métier, mais non la gestion des caisses de retraite autonomes ; c’est que
les deux sujets – vous le savez, d’ailleurs – sont tout à fait
différents.
On peut être successivement, dans sa vie, guide de haute
montagne, puis avocat – pourquoi pas ? –, avant d’ouvrir un
restaurant à Chamonix, ville que vous connaissez bien. L’enjeu du présent projet
de loi est de faire en sorte que quelqu’un ayant une telle carrière – ou
une myriade d’autres – soit lui aussi, une fois à la retraite, logé dans
une maison commune,…
M. Philippe
Gosselin. La maison brûle et vous regardez ailleurs !
M. Roland
Lescure. …celle d’un système de retraite universel par points qui
facilite les carrières multiples tout en reconnaissant la pénibilité des
métiers, tant il est vrai qu’être avocat et guide de haute montagne, ce n’est
pas la même chose. (M. Frédéric Petit
applaudit.)
M. le
président. La parole est à M. Frédéric Descrozaille.
M. Frédéric
Descrozaille. J’hésitais à intervenir, peu désireux que je suis de
participer à ce qui ressemble à une guerre d’usure ou à un marathon. Toutefois,
nous vivons parfois, dans cet hémicycle, des moments d’authenticité et de
sincérité qui sont de grands moments de démocratie, même s’ils sont émaillés
d’empoignades. Au demeurant, être en désaccord et confronter les opinions me
semble être, à certains égards, le signe d’une démocratie assez saine.
Je
formulerai deux observations. Certes, on peut dénombrer les avocats, présumer
combien ils seront à l’avenir et procéder de même avec les cheminots ou les
médecins. Nous, comme vient de le rappeler notre collègue Lescure, nous
souhaitons tenir compte du fait qu’un nombre croissant de personnes changeront
de secteur d’activité et de métier au cours de leur vie professionnelle
– même s’il y aura toujours des gens qui choisiront un métier par vocation
et le conserveront. Dans le présent projet de loi, nous cessons de raisonner
– comme il était juste de le faire après-guerre – selon le modèle dans
lequel on conserve le même métier toute sa vie.
Par ailleurs, cessez, de
grâce, cher collègue Coquerel, de nous accuser de faire preuve de mépris.
Veuillez, s’il vous plaît, au moins imaginer que nous sommes sincères,…
(Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe LaREM.)
M. Philippe
Gosselin. Il faut beaucoup d’imagination !
M. Frédéric
Descrozaille. …que nous souhaitons comme vous concourir au bien commun,
…
M. Philippe
Gosselin. Il était une fois…
M. Frédéric
Descrozaille. …et que nous voulons nous mettre au service de l’intérêt
général.
M. Philippe
Gosselin. On peut se tromper tout en étant sincère !
M. Erwan
Balanant. C’est vrai !
M. Frédéric
Descrozaille. Nous pensons sincèrement que la réforme proposée constitue
une amélioration pour le pays, pour les générations futures. Nous pouvons nous
tromper, et vous pouvez ne pas être d’accord avec nous, mais, de grâce, cessez
de nous reprocher d’être cyniques et méprisants, cela devient fatigant.
(Applaudissements sur de nombreux bancs des groupes LaREM et
MODEM.)
(Les amendements identiques nos 1487 et 3964
ne sont pas adoptés.)
M. le
président. Je suis saisi d’une série de dix-sept amendements identiques.
Cette série comprend l’amendement no 24940, ainsi que l’amendement
no 26746 et quinze amendements identiques déposés par les
membres du groupe de la Gauche démocrate et républicaine.
La parole est à
M. Alain David, pour soutenir l’amendement no 24940.
M. Alain
David. Chers collègues de la majorité, avouez-le : votre réforme
est d’une violence inouïe. Elle ne comporte ni étude d’impact sérieuse…
Mme Nadia
Hai. Tenez, la voilà ! (Mme Nadia Hai soupèse
l’étude d’impact en la montrant.)
M. Alain
David. …ni évaluations financières fiables, ce qui place le Parlement
dans une très grande difficulté, dès lors qu’il doit en apprécier la qualité et
mener ses travaux de façon raisonnable.
Vous soutenez un texte de loi qui
prévoit des ordonnances et des décrets ; nous, nous ne voulons pas d’un
texte bâclé de cette façon, qui est une source d’inégalités plus que de
justice.
Par le présent amendement, nous proposons d’exclure les avocats
du nouveau système de retraite, considérant que la caisse nationale des barreaux
français satisfait pleinement aux objectifs de solidarité, de lisibilité, de
pérennité et d’équilibre financier du système assignés par le présent projet de
loi, au point même qu’elle reverse chaque année 100 millions d’euros au
régime général. Il n’existe donc aucune raison justifiant que l’on intègre les
avocats au nouveau système.
En outre, celui-ci est de nature à pénaliser
les jeunes avocats et à freiner les vocations, ce qui pourrait, à terme, menacer
l’accès des justiciables à la justice.
Nous avons reçu hier les
représentants des avocats. Que disent-ils ? Ils nous ont appris que vous
les avez certes reçus, de temps à autre, non pas pour mener avec eux des
concertations, mais pour les tenir informés des dispositions du projet de loi,
un point c’est tout !
M. Patrick
Mignola. Vous n’êtes pas dans nos bureaux, alors du calme !
M. Alain
David. Vous adoptez – et ils vous le reprochent – deux
attitudes : dans vos circonscriptions,…
Mme
Isabelle Florennes. Vous avez la maîtrise de nos agendas ?
M. Alain
David. …vous dites que le projet de loi peut encore être amélioré, que
tout cela est dans leur intérêt, que les négociations se poursuivent…
M. Patrick
Mignola. Devons-nous en conclure que vous nous espionnez jusque dans nos
permanences ?
M. Alain
David. …tandis que, dans l’hémicycle, vous leur tapez dessus à bras
raccourcis. Ils n’y comprennent plus rien ! À présent, ils sont dans la rue
et manifestent contre le projet de loi.
M. le
président. Sur les amendements no 26746 et identiques,
je suis saisi par le groupe de la Gauche démocrate et républicaine d’une demande
de scrutin public.
Le scrutin est annoncé dans l’enceinte de l’Assemblée
nationale.
La parole est à M. Peu, pour les défendre.
M. Stéphane
Peu. Monsieur le président, pour vous être agréable et accélérer les
débats, je les défendrai en une fois. (Exclamations et applaudissements sur
plusieurs bancs des groupes LaREM et MODEM.)
M. Roland
Lescure. Quelle générosité !
M. Rémy
Rebeyrotte. Après quoi il n’en restera plus que 31 000 !
M. Stéphane
Peu. Merci, chers collègues. Il n’est pas si fréquent d’être applaudi
ainsi !
M. le
président. Monsieur Peu, mettons-nous bien d’accord sur la
méthode : en réalité, vous n’avez pas le choix. (Rires et
applaudissements sur divers bancs.) La conférence des présidents a
clairement rappelé que, en application du nouveau règlement, les amendements
identiques déposés par les membres d’un même groupe seront défendus par un seul
orateur.
M. Stéphane
Peu. Franchement, monsieur le président, ce n’est pas sympa : vous
gâchez le plaisir que j’éprouve à être ainsi applaudi sur les bancs de la
majorité ! (Mêmes mouvements.)
M. le
président. J’en suis désolé, monsieur Peu ! Je suis certain que la
majorité saura y remédier !
M. Stéphane
Peu. J’espère, monsieur le président !
M. Descrozaille
affirmait tout à l’heure que les membres de la majorité ne nourrissent que des
bonnes intentions. Pour ma part, je doute que le présent projet de loi résulte
de bonnes intentions.
Admettons que tel soit le cas, à tout le moins que
vous en soyez convaincus, chers collègues de la majorité. Nous nous apprêtons à
voter aux élections municipales. J’ai été élu local – comme beaucoup
d’entre vous, ce qui m’interdit de donner des leçons.
M. Roland
Lescure. Il est vrai que ce n’est pas votre genre !
M. Stéphane
Peu. Si on élabore un projet que l’on estime bénéfique et juste
– cela m’est arrivé à de nombreuses reprises dans le cadre de mes mandats
d’élu local – et qu’il s’avère que l’immense majorité des habitants du
quartier ou du secteur concerné y sont hostiles, tout maire, quel que soit son
bord politique, le retire et poursuit la concertation. C’est le B.A. BA de
l’expérience démocratique d’un élu républicain ! (Applaudissements sur
les bancs des groupes GDR et SOC.)
Ce qui est vaut d’un mandat local
est aussi valable au niveau national. Dès lors que l’immense majorité des
Français est hostile à votre projet de réforme…
Plusieurs députés du groupe
LaREM. C’est faux !
M. Stéphane
Peu. …et que, s’agissant des avocats, ce n’est pas la majorité mais
quasiment la totalité d’entre eux qui y est opposée – je rappelle que
100 % des barreaux sont en grève –,… (Protestations sur les bancs
du groupe LaREM.)
Mme
Caroline Abadie. C’est faux !
M. Stéphane
Peu. …la moindre des choses est de remettre l’ouvrage sur le métier, de
poursuivre les concertations et de retirer le projet de loi en
attendant.
Si vous vous y refusez, à tout le moins, accédez à notre
demande – que vous avez repoussée – de le soumettre à un
référendum !
M. Alain
Bruneel. Oui !
M. Stéphane
Peu. Ainsi, nous connaîtrons directement l’opinion des Français sur un
projet de loi qui ne figurait pas dans votre programme législatif, ni dans le
programme présidentiel.
M. Bruno
Millienne. Mais si !
M. Stéphane
Peu. Par ces amendements, nous proposons – c’est un minimum –
d’accéder à la demande unanime des avocats de supprimer les dispositions de la
réforme qui les concernent. (M. Alain Bruneel
applaudit.)
M. le
président. Quel est l’avis de la commission sur ces
amendements ?
M.
Guillaume Gouffier-Cha, rapporteur général. Bravo à notre
collègue Stéphane Peu pour cette performance ! En revanche, je crains que
ma réponse ne vous déçoive, cher collègue.
M.
Jean-Paul Dufrègne. Ce serait bien la première fois…
M.
Guillaume Gouffier-Cha, rapporteur général. Si tel est le cas, ce
ne sera pas faute de l’avoir détaillée à de multiples reprises depuis
l’ouverture de nos débats.
Sur ces amendements visant à supprimer
l’affiliation des avocats au régime général du système universel de retraite,
l’avis de la commission est défavorable.
Bien entendu, le système
universel rassemblera toutes les professions. Bien entendu, il comportera, pour
certaines professions, des dispositions spécifiques ménageant une transition.
Bien entendu, il offrira des garanties s’agissant de la pérennité des caisses de
retraite autonomes et du fait que les réserves financières demeureront leur
propriété et qu’elles en conserveront la gestion.
Nous y reviendrons lors
de l’examen d’un amendement déposé par la rapporteure Carole Grandjean à
l’article 58.
M. Thibault
Bazin. Après les municipales !
M.
Guillaume Gouffier-Cha, rapporteur général. Comme nous l’avons
dit hier, le système universel de retraite ne remet en aucune manière en cause
l’indépendance de la profession d’avocat.
M. le
président. La parole est à M. Stéphane Viry.
M. Stéphane
Viry. Vous tenez, monsieur le président, un rythme de
100 amendements à l’heure, qui apporte de la fluidité…
M. Rémy
Rebeyrotte. On en est loin !
M. Stéphane
Viry. C’est ce qui se passe depuis hier soir. À ce rythme et compte tenu
du volume initial d’amendements, il nous faudrait quarante-quatre jours de
débats, soit environ deux mois, ce qui me semble un délai raisonnable et
responsable pour un texte de cette nature.
M.
Jean-Paul Dufrègne. Tout à fait !
M. Stéphane
Viry. Les amendements identiques me donnent l’occasion de répondre à la
remarque de M. Mignola sur les travailleurs indépendants et les professions
libérales. La majorité semble s’en remettre à une vision malthusienne :
avec le temps et la baisse programmée du nombre d’avocats, et peut-être d’autres
professions indépendantes, les problèmes se résoudraient d’eux-mêmes. Nous, nous
ne sommes pas adeptes du malthusianisme. Jamais, dans notre pays, cette théorie
économique n’a apporté de valeur ajoutée ; jamais elle n’a été une source
de progrès ni de satisfaction intellectuelle. C’est un point de divergence
majeur entre nous.
Je reviens aux propos tenus par M. Lescure, à
l’ouverture de notre séance, qualifiant notre projet d’intéressant mais lui
reprochant un manque d’audace par rapport à celui de la majorité.
Cher
collègue, notre programme manque peut-être un peu d’audace à votre goût,…
M.
Jean-Jacques Bridey. C’est une impasse !
M. Stéphane
Viry. …mais il est certainement plus ambitieux et plus réaliste que le
vôtre. Plus ambitieux, car il n’est pas équivoque s’agissant des mesures
d’âge : nous disons clairement les choses, car nous voulons assurer le
financement du système et, par là, sa pérennité, pour que l’argent ainsi produit
puisse être redistribué afin de corriger des inégalités. Voilà notre
ambition ! Ce n’est peut-être pas de l’audace, mais c’est éminemment
ambitieux.
Notre programme en matière de retraites est également
réaliste ; il ne vise pas à tout dénaturer, ni à tout massacrer pour tenter
de reconstruire un autre système en dépit des risques que cela comporte pour de
nombreux métiers et pour la société française dans son ensemble.
Vous
nous avez invités à vous rejoindre. À mon tour, je vous invite à adopter
certains de nos amendements afin que notre système de retraite prenne la bonne
direction. (Applaudissements sur les bancs du groupe LR.)
M. Roland
Lescure. J’espère qu’on y arrivera !
M. le
président. Puisque je suis interpellé pour la seconde fois sur le rythme
de nos débats, voici les faits : depuis 15 heures, nous avons examiné
81 amendements,…
M. Philippe
Gosselin. Il ne faut pas dépasser les 80 à l’heure !
M. le
président. …uniquement grâce à la décision de la conférence des
présidents d’autoriser un seul orateur par groupe sur les articles. Dans le cas
contraire, nous serions à 11 amendements à l’heure.
Sur des
amendements qui ne se résumaient pas à modifier un mot mais qui étaient plus
complets, j’ai laissé vivre le débat – je pense que c’était important.
M. Bazin a souligné l’importance des questions soulevées par les
amendements que nous examinons.
Essayons de conserver un certain
équilibre : lorsque l’amendement est riche, on laisse vivre le débat ;
quand il l’est moins, on avance.
Ne prêtez pas à la présidence de séance
des desseins secrets quant au rythme des débats. Tous les vice-présidents
essaient de mener les débats en conscience. (Applaudissements sur les bancs
des groupes LaREM et MODEM.)
La parole est à M. Rémy
Rebeyrotte.
M. Rémy
Rebeyrotte. Pour répondre à M. Peu, dans les conseils municipaux, la
majorité présente des projets qui ne font pas toujours l’unanimité, qui ne sont
pas toujours populaires, mais qui servent l’intérêt commun.
M. Erwan
Balanant. Exactement !
M. Rémy
Rebeyrotte. Je n’ai jamais vu, face à cela, une opposition poser
40 000 questions diverses. (Applaudissements sur de nombreux bancs
du groupe LaREM. – Exclamations sur les bancs du groupe LR.) Les oppositions
posent des questions, ce qui est normal, mais il se passe rien de ce à quoi nous
assistons ici :…
M. Stéphane
Peu. Alors c’est que vous n’avez pas face à vous une vraie
opposition !
M. Rémy
Rebeyrotte. …de l’obstruction organisée.
Je vous invite de
nouveau à retirer vos amendements qui font doublon, quand ils ne sont pas en
triple exemplaire,…
M.
Jean-Paul Dufrègne. Non !
M. Rémy
Rebeyrotte. …pour qu’enfin le débat puisse avoir lieu normalement, à un
rythme convenable et raisonnable. (Applaudissements sur les bancs du groupe
LaREM.)
M. Stéphane
Peu. Je parlais des Français qui ne sont pas d’accord !
M. le
président. La parole est à M. Erwan Balanant.
M. Erwan
Balanant. Tout à l’heure, il a été question de notre mauvais projet de
réforme des retraites, comparé aux quinze pages du contre-projet de La France
insoumise.
M. Adrien
Quatennens. Trente-huit pages !
M. Erwan
Balanant. Mais seulement quinze pages de propositions, même s’il est
important de les replacer dans leur contexte.
Vous nous posez de
nombreuses questions sur notre projet ; je souhaite, à mon tour, vous
interroger de manière très précise, en espérant que votre réponse éclairera les
Français.
J’ai fait des études jusqu’à 27 ou 28 ans ; j’ai donc
commencé à travailler à 28 ans. (Sifflets admiratifs sur plusieurs
bancs.)
M. Philippe
Gosselin. Bravo !
Un député du groupe LR.
Vous n’avez pas redoublé ?
M. Erwan
Balanant. Non, j’ai fait des études.
M. le
président. Les sifflets sont vraiment superflus !
M. Erwan
Balanant. Vous fixez à quarante le nombre d’annuités. Cela signifie-t-il
que je pars à la retraite à 68 ans ou à 60 ans, l’âge légal à taux
plein dans votre projet ? Si je pars à 60 ans, j’aurai donc travaillé
trente-deux ans, après avoir eu la chance de faire des études que mes parents
auront peut-être financées – en l’occurrence, je les ai financées en partie
par mon travail. L’ouvrier, ou le boucher, ou la coiffeuse qui aura commencé à
travailler à 20 ans– je prends cet âge moyen plutôt que celui de
16 ans, même si cela arrive de débuter à cet âge-là –…
M.
Jean-Paul Dufrègne. Ils sont en apprentissage !
M. Erwan
Balanant. …partira aussi à 60 ans. Je suis désolé, mais l’ouvrier
aura travaillé quarante ans et celui qui aura fait des études et peut-être bien
moins souffert de la pénibilité, trente-deux ans.
M.
Jean-Paul Dufrègne. Et l’espérance de vie !
M. Erwan
Balanant. Expliquez-moi la cohérence de votre système. Voilà où cela
mène de bâtir un système de retraite en quinze pages : cela ne fonctionne
pas. (Claquements de pupitres sur les bancs du groupe LR.)
M. le
président. Je vais vous demander de conclure, monsieur Balanant.
M. Erwan
Balanant. Mesdames, messieurs les insoumis, vous venez d’inventer la
« retraite Tanguy », pour ceux qui ont une bonne situation et dont la
retraite sera payée par les ouvriers. (Applaudissements sur les bancs du
groupe MODEM et sur plusieurs bancs du groupe LaREM.)
M.
Jean-Paul Dufrègne. Le phénomène existe déjà, et vous
l’aggravez !
M. le
président. La parole est à M. Éric Woerth.
M. Éric
Woerth. Monsieur Rebeyrotte, personne ici n’a le monopole de l’intérêt
général. (Applaudissements sur les bancs du groupe LR.)
Vous
présentez votre projet sincèrement dans le souci de l’intérêt général, selon
votre conception de celui-ci.
M. Rémy
Rebeyrotte. Oui !
M. Éric
Woerth. Le projet du groupe Les Républicains présente exactement les
mêmes caractéristiques. Nous le proposons parce que nous pensons qu’il
correspond à l’intérêt général.
M. Rémy
Rebeyrotte. Oui !
M. Éric
Woerth. Ces projets donnent lieu à des confrontations dans l’hémicycle,
mais personne n’a le monopole de l’intérêt général.
M. Rémy
Rebeyrotte. C’est projet contre projet !
M. Éric
Woerth. Ensuite, vous dites que votre projet est audacieux. C’est
vrai : il est très audacieux de présenter un projet non financé !
(Sourires et applaudissements sur les bancs du groupe LR.)
M. Damien
Abad. On est à la marge de l’irresponsabilité !
M. le
président. La parole est à M. Boris Vallaud.
M. Boris
Vallaud. La question de M. Balanant est tout à fait intéressante et
fondée, mais je demande s’il a bien lu le projet de réforme qu’il
défend.
En effet, prenons le cas de deux personnes nées la même
année : l’une – un ouvrier par exemple –, ayant commencé à
travailler à 20 ans et travaillant 43 ans, subira une décote de
10 %, car elle prendra sa retraite deux ans avant l’âge pivot ;
l’autre, ayant commencé à travailler à 24 ans et travaillant aussi
43 ans, bénéficiera d’une surcote de 10 %.
M. Bruno
Millienne. Vous oubliez la pénibilité !
M. Boris
Vallaud. C’est la preuve que votre réforme est très défavorable à ceux
qui commencent leur carrière le plus tôt. (Applaudissements sur les bancs des
groupes SOC et GDR ainsi que sur les bancs du groupe LR.)
M. Erwan
Balanant. Il y a des mesures pour équilibrer cela !
M. le
président. La parole est à M. Éric Coquerel.
M. Éric
Coquerel. Je vous remercie d’avoir lu notre contre-projet ; mais,
manifestement, trente-huit pages, c’est trop, car vous n’avez pas bien lu. Ce
n’est pas très grave, c’est une habitude.
M. Erwan
Balanant. Je vous ai parlé gentiment, de manière très respectueuse,
monsieur Coquerel.
M. Éric
Coquerel. Nous revendiquons, en effet, le retour à la retraite à
60 ans, instaurée dans notre pays à une époque où celui-ci était infiniment
moins riche qu’aujourd’hui. À l’époque, le nombre d’années de cotisations était
fixé à trente-sept et demie. Nous avons hésité à revenir à cette borne, mais
nous avons préféré retenir celle de quarante annuités, en tenant compte pour la
validation de trimestres des années en tant qu’allocataire du RSA et des années
de formation.
Au risque de susciter vos hurlements, je vous explique
comment, dans notre système, une personne ayant commencé à travailler à
28 ans pourrait choisir de partir avant 68 ans. Nous avons choisi de
revenir, pour le calcul des droits à la retraite dans le secteur privé, aux dix
meilleures années, en garantissant un taux de remplacement moyen de 75 %.
Comment le finançons-nous ?
Depuis trente ans, les richesses
nationales n’ont pas décru ; c’est la productivité par travailleur qui a
été multipliée par trois. Certains ont profité de ce gain de productivité
– je pense à ceux qui, comme vous, croient à la théorie du ruissellement en
vertu de laquelle plus on met de l’argent dans le capital, y compris le capital
non investi, plus cela profitera à la société, ce qui ne s’est pas vérifié. Nous
proposons de reprendre la marge réalisée par le capital sur la plus-value
– environ 150 milliards par an depuis une trentaine d’années – et
de redistribuer cette somme aux salaires, y compris les salaires
socialisés.
Nous proposons, contrairement à vous, un financement. Vous
pouvez le contester, car – c’est vrai – nous prenons au capital là où,
depuis plus de deux ans, vous lui avez considérablement donné en prenant aux
plus pauvres et à presque toutes les classes laborieuses de ce pays.
Nous
reprenons au capital, en créant de l’emploi – 100 000 emplois créés,
cela rapporte 1,3 milliard d’euros de cotisations
supplémentaires.
Nous suggérons également de revenir sur les exonérations
de cotisations sociales qui sont inutiles. Elles ne concernent pas toutes les
retraites, mais leur montant total atteint 52 milliards d’euros. De cette
manière, nous allons vite rééquilibrer les comptes.
Nous défendons aussi
d’instituer dans la loi l’égalité salariale entre les femmes et les hommes, ce
qui procurerait 5 milliards d’euros de cotisations supplémentaires.
Je vous fais grâce de toutes les solutions que nous proposons,
mais qui, toutes, relèvent d’une logique différente de la vôtre. Nous dépensons
de l’argent au bénéfice de ceux qui produisent des richesses quand vous
favorisez ceux qui utilisent ces richesses à leur seul profit.
(Applaudissements sur les bancs du groupe FI.)
M. le
président. La parole est à M. Alain Bruneel.
M. Alain
Bruneel. Notre collègue ne cesse de nous accuser de faire de
l’obstruction.
M. Rémy
Rebeyrotte. Oui !
M. Alain
Bruneel. Mardi, nous avons défendu, en une seule intervention, quarante
amendements qui n’étaient pas identiques. Nous l’avons fait de nouveau depuis.
Nous sommes animés d’un état d’esprit constructif.
Je rappelle que
nombre de nos amendements ont été déclarés irrecevables au titre de
l’article 40. Ceux qui sont examinés ici sont donc recevables et méritent
d’être discutés.
Que nous vous interrogions sur la valeur du point, sur
les conclusions de la conférence de financement ou sur l’âge d’équilibre, nous
n’obtenons jamais de réponse. Lorsque vous sortez de votre chapeau
10 milliards d’euros, nous ne savons pas d’où ils viennent.
Nous
sommes tout de même en droit de savoir où nous allons ! C’est tout le sens
de nos interventions. (Applaudissements sur les bancs du groupe GDR. –
Mme Caroline Fiat applaudit également.)
M. le
président. La parole est à Mme Cendra Motin.
Mme Cendra
Motin. Je m’éloigne sans doute du sujet des amendements qui nous
occupent, mais je ne peux pas résister à la tentation de commenter le
contre-projet de La France insoumise,…
M. Éric
Coquerel. Eh bien voilà !
Mme Cendra
Motin. …auquel on pourrait donner pour sous-titre « La finance
magique ».
Vous promettez quarante ans seulement de
cotisations, et ce – abracadabra – sans plus de décote. Expliquez-moi
quel est l’intérêt de travailler pendant quarante ans si vous ne prévoyez pas de
décote pour ceux qui travaillent moins longtemps !
Vous souhaitez
ouvrir des droits à la retraite aux étudiants, aux chômeurs, aux nounous…
M. Adrien
Quatennens. Pouah, quelle horreur !
Mme Cendra
Motin. …et à tant d’autres en y consacrant 2 points de PIB
supplémentaires, mais, abracadabra, vous êtes partisans de la décroissance. Je
vous rassure, je ne fais pas de lapsus cette fois, c’est bien la décroissance
que vous prônez.
Vous voulez également augmenter les cotisations
– toujours pas de lapsus –, alors, abracadabra, vous augmentez les
salaires pour masquer cette hausse.
Enfin, vous voulez une
« retraite verte ». Là aussi, abracadabra, vous imaginez la création
de 800 000 emplois. Je vous invite à vous rapprocher de
M. Gattaz, qui, souvenez-vous en, arborait un pin’s affichant le nombre
d’emplois qu’il promettait de créer. Peut-être avez-vous – au mieux –
griffonné ces chiffres sur un coin de table comme vous nous le reprochez de le
faire, à moins que vous ne les ayez joués aux dés. Ici, nous essayons d’être
sérieux en matière de financement – cela vaut notamment pour les caisses de
retraite autonome. (Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe
LaREM.)
M. le
président. Je mets aux voix les amendements nos 26746 et
identiques.
(Il est procédé au scrutin.)
M. le
président. Voici le résultat du
scrutin :
Nombre de
votants 97
Nombre
de suffrages
exprimés 97
Majorité
absolue 49
Pour
l’adoption 29
Contre 68
(Les amendements
no 26746 et identiques
ne sont pas adoptés.)
M. le
président. Je suis saisi d’un amendement no 13699 et de
seize amendements identiquesdéposés par le groupe La France
insoumise.
Sur ces amendements identiques, je suis saisi par le groupe La
France insoumise d’une demande de scrutin public.
Le scrutin est annoncé
dans l’enceinte de l’Assemblée nationale.
La parole est à M. Adrien
Quatennens, pour soutenir ces amendements.
M. Adrien
Quatennens. Je suis ravi qu’à l’occasion de la discussion de ces
amendements, nous ayons l’occasion de parler du projet de La France insoumise.
Avoir réussi, en l’espace de dix jours de débats, à faire en sorte que nous
parlions presque exclusivement de notre projet représente pour nous une
victoire ! (Protestations sur les bancs du groupe LaREM.)
Je
constate d’ailleurs que vous l’étudiez d’assez près ; ce faisant, vous ne
tarderez pas à constater que, s’il est moins pléthorique que le vôtre – à
en juger par le volume de l’étude d’impact –,…
Mme Nicole
Trisse. Et les amendements ?
M. Adrien
Quatennens. …il apparaît plus clair, plus réaliste et, sans aucun doute,
plus sérieux, étant donné que, contrairement au vôtre, il est financé. (Mêmes
mouvements.)
Tout en soutenant ces amendements, je répondrai, madame
Motin, à quelques inexactitudes de votre intervention. Vous affirmez que nous
sommes pour la décroissance. J’ai cru comprendre que vous étiez très assidue
dans ces débats et que vous étiez notamment présente hier soir lorsque
j’expliquais à M. le rapporteur Turquois que nous souhaitions voir croître
un grand nombre de secteurs. La planification écologique, avec son potentiel
d’emplois, le suppose. Nous le souhaitons également dans les secteurs de l’aide
à la personne et des métiers du lien. En revanche, c’est vrai, nous considérons
qu’un grand nombre d’activités devraient décroître face à l’enjeu majeur de
l’époque : le changement climatique.
M. Julien
Borowczyk. Vous voulez une baisse du PIB !
M. Adrien
Quatennens. Je vous ai dit hier soir que vous invoquiez régulièrement
vos enfants dans l’hémicycle pour souligner que vous souhaitez vous montrer
responsables en ne leur laissant ni dette et ni déficit. Dans ce cas, il
faudrait commencer par ne pas en construire de toutes pièces par vos politiques
fiscales et sociales. Quant à la dette écologique, vous n’en faites
rien !
Nous admettons donc qu’il puisse y avoir de la croissance
économique. Ce n’est pas très compliqué d’en obtenir : creuser un trou y
contribue, un accident de la route aussi – vous n’en souhaitez pas
davantage ; moi non plus. Mais nous souhaitons qu’une direction soit donnée
à l’économie. De ce point de vue, créer des emplois par la planification
écologique permettrait de résoudre de nombreux problèmes. Cent mille nouveaux
emplois représentent en effet 1,3 milliard d’euros de cotisations
supplémentaires.
Mme Cendra
Motin. Rappelez-vous le petit pin’s !
M. le
président. Il faut conclure, monsieur Quatennens.
M. Adrien
Quatennens. Comme je ne disposais que de deux minutes de temps de
parole, je vous déclinerai le reste de notre programme plus tard.
M. Roland
Lescure. Nous sommes impatients !
M. Philippe
Gosselin. Il fait du teasing ! La suite au prochain
épisode !
Mme Cendra
Motin. Dommage que tout cela n’ait rien à voir avec les
amendements !
M. le
président. En attendant, quel est l’avis de la commission sur les
amendements ?
M.
Guillaume Gouffier-Cha, rapporteur général. J’avoue que je n’y
comprends plus rien. Monsieur Quatennens, vous nous parlez des avocats pendant
des heures et quand nous en arrivons aux alinéas qui les concernent, vous nous
parlez de tout autre chose. (Applaudissements sur les bancs des groupes LaREM
et MODEM.)
J’ai donné tout à l’heure un avis défavorable à une série
d’amendements qui visaient à supprimer les alinéas 13 à 15. Je ne peux
qu’émettre le même avis sur ces amendements qui tendent à supprimer
l’alinéa 13. Et il en ira de même s’agissant des amendements qui viseront à
supprimer les alinéas 14 et 15.
M. le
président. La parole est à Mme Caroline Fiat.
Mme
Caroline Fiat. Je remercie M. le rapporteur général d’avoir
remarqué que ses collègues de la majorité avaient totalement vrillé en passant
du projet de loi de la majorité au contre-projet de La France insoumise. C’est
bien d’avoir rappelé à la majorité qu’il fallait rester dans le sujet…
Plusieurs députés du groupe
LaREM. C’est le contraire !
Mme
Caroline Fiat. Mes collègues vous ont répondu, mais c’est bien vous qui
avez commencé à discuter de notre projet ; nous pourrons regarder la vidéo
pour le vérifier. Cessez donc de discuter nos contre-propositions, même si elles
vous plaisent, visiblement ! Si vous en avez véritablement envie, invitez
le Gouvernement, comme je vous l’ai déjà suggéré, à inscrire notre projet à
l’ordre du jour. Nous nous ferons un plaisir de répondre à vos questions, vous
pourrez déposer des amendements, mais, pour l’heure, nous examinons votre copie,
pas la nôtre. Respectez au moins l’ordre du jour que fixe votre
Gouvernement !
Rappels au règlement
M. le
président. La parole est à Mme Emmanuelle Ménard, pour un rappel au
règlement.
Mme
Emmanuelle Ménard. Il se fonde, monsieur le président, sur
l’article 100, alinéa 2.
Nous assistons, depuis quelque temps,
à une sorte de match de ping-pong entre les députés de la majorité et les bancs
occupés par la gauche.
M. Éric
Coquerel. C’est sûr que ce n’est pas Marine Le Pen qui joue au
ping-pong : pour ça, il faudrait qu’elle soit là !
Mme
Emmanuelle Ménard. Une fois n’est pas coutume, je suis d’accord avec ce
que vient de dire Mme Fiat : nous avons à discuter du projet de loi
soutenu par la majorité, pas de celui de La France insoumise. C’est sur ce
projet de loi que j’ai des propositions à formuler et des amendements à
soutenir. Je souhaiterais donc que nous nous y tenions, que la majorité cesse
ses digressions perpétuelles et, j’ose le dire, son obstruction à nos débats en
invoquant sans arrêt le projet de La France insoumise, qui n’est pas à l’ordre
du jour. (Exclamations sur les bancs des groupes LaREM et MODEM.)
M. Rémy
Rebeyrotte. Très drôle !
M. Philippe
Gosselin. Ce n’est pas faux !
M.
Jean-Paul Dufrègne. Ce n’est pas Marine Le Pen qui fait de
l’obstruction, c’est sûr !
Mme
Emmanuelle Ménard. Puisque nous souhaitons tous aller de l’avant et nous
montrer constructifs – ce que vous nous demandez depuis des jours –,
continuons, par pitié, d’avoir un débat sur le fond et non pas sur le projet de
La France insoumise.
M. Rémy
Rebeyrotte. C’est la synthèse des extrêmes !
M. le
président. La parole est à Mme Catherine Fabre, pour un rappel au
règlement.
Mme
Catherine Fabre. Il se fonde, monsieur le président, sur le même
article 100 de notre règlement.
Traiter les sujets de fond, c’est
bien ce que nous cherchons à faire. Si c’est ce que vous voulez, retirez vos
séries d’amendements identiques et discutons vraiment !
M. Thibault
Bazin. Il est temps, depuis dix jours !
M. Maxime
Minot. Arrêtez de ralentir les débats !
Mme
Catherine Fabre. S’agissant des avocats, alors que nous en venons aux
dispositions qui les concernent, vous n’en parlez plus au moment de défendre vos
amendements. Tous les éléments précis à leur sujet figurent plus loin dans le
projet de loi, donc, par pitié, chers collègues, si vous souhaitez débattre,
retirez vos amendements identiques qui nous bloquent aux premiers articles du
texte, ceux consacrés aux principes généraux et au périmètre de la réforme.
Venons-en au détail des dispositifs : nous n’attendons que ça ! Il est
encore temps de retirer vos amendements identiques et de progresser enfin, à un
bon rythme, dans la discussion de l’ensemble des articles.
M. Philippe
Gosselin. Quatre-vingts à l’heure, ce n’est pas mal ! On frise
l’excès de vitesse !
M. le
président. La parole est à M. Éric Coquerel, pour un rappel au
règlement – sur quel fondement, mon cher collègue ?
M. Éric
Coquerel. Je me disais qu’il n’y avait pas eu d’intervention de ce type
depuis longtemps…
M. le
président. Prenons l’habitude de donner le fondement des rappels au
règlement, je vous prie.
M. Éric
Coquerel. Le mien se fonde, monsieur le président, sur
l’article 100, relatif à la bonne tenue des débats.
Ce que je vais
dire ne s’adresse pas à la majorité, qui le sait très bien et entretient de
fausses polémiques à ce sujet, mais aux personnes qui nous
écoutent.(Exclamations sur les bancs du groupe LaREM.) Il faut savoir que
chaque série d’amendements identiques n’est défendue qu’une seule fois.
M. Rémy
Rebeyrotte. Il y en a 42 000 !
M. Roland
Lescure. Retirez-les donc !
M. Éric
Coquerel. Ne laissez pas croire que lorsque l’on en vient tout à coup à
dix-sept amendements signés par chaque député d’un groupe, ils seront tous
soutenus : ce n’est pas de cette manière que les choses se passent.
(Protestations sur les bancs des groupes LaREM et MODEM.)
M. Rémy
Rebeyrotte. C’est pourtant vrai !
M. Éric
Coquerel. Ils ne sont défendus qu’une fois, puis le président de séance
propose à un ou deux députés par groupe de s’exprimer, et enfin nous passons au
vote. Cessez donc de faire croire qu’il reste quelque
30 000 amendements.(Protestations sur les bancs du groupe
LaREM.)
M. Rémy
Rebeyrotte. Mais c’est vrai ! (M. Rémy
Rebeyrotte montre sa tablette.)
M. Éric
Coquerel. Le groupe La France insoumise n’en a soutenu que 1 300
depuis le début.
Les gens ne sont pas bêtes, vous savez : ils
suivent.
M. Pascal
Bois. Ils suivent aussi ce que vous faites !
M. Éric
Coquerel. Vous essayez de les convaincre, comme M. Le Gendre
ce matin, qu’il devient urgent d’utiliser l’article 49, alinéa 3, de
la Constitution, pour vous justifier par avance de le faire lorsque vous aurez
estimé que l’obstruction suffit ! Vous m’obligez à vous répondre pour
rétablir la vérité : cela nous oblige à utiliser quatre minutes de temps de
parole pour rien. (Mêmes mouvements.)
M. Rémy
Rebeyrotte. Et les 300 000 sous-amendements ? Retirez-les
s’ils ne servent à rien !
M. Patrick
Hetzel. La majorité a ses propres pompiers pyromanes…
M. le
président. Je vous invite, chers collègues, à relire l’article 54,
alinéa 6 du règlement, qui me paraît constituer un meilleur fondement aux
rappels au règlement qui viennent d’être faits.
Article 4 (suite)
M. le
président. Je mets aux voix les amendements no 13699 et
identiques.
(Il est procédé au scrutin.)
M. le
président. Voici le résultat du
scrutin :
Nombre de
votants 100
Nombre
de suffrages
exprimés 81
Majorité
absolue 41
Pour
l’adoption 11
Contre 70
(Les amendements
no 13699 et identiques ne
sont pas adoptés.)
M. le
président. Je suis saisi de l’amendement no 13716 et de
seize amendements identiques déposés par les membres du groupe La France
insoumise.
Sur ces amendements, je suis saisi par le groupe de la
Gauche démocrate et républicaine d’une demande de scrutin public.
(Exclamations sur les bancs du groupe MODEM.)
Le scrutin est
annoncé dans l’enceinte de l’Assemblée nationale.
Mme Nadia
Essayan. Nous voilà rassurés !
M. Cyrille
Isaac-Sibille. C’est sûrement pour la bonne compréhension des
débats !
M. le
président. La parole est à M. Éric Coquerel, pour soutenir ces
amendements.
M. Éric
Coquerel. Je défendrai en même temps la série d’amendements
no 10731 et identiques.
Pour revenir au sort des avocats,…
M. Bruno
Millienne. Encore ?
M. Éric
Coquerel. …concernés par l’alinéa en discussion et dont le traitement me
paraît tout à fait révélateur de l’ensemble de votre projet de loi, vous vous
employez à faire disparaître un régime qui fonctionne et qui génère
80 millions d’euros d’excédents par an – lesquels sont reversés au
régime général –, au profit d’une usine à gaz qui pénalisera une grande
partie de la profession. Je rappelle que vous proposez de multiplier par deux
les cotisations retraite sur les revenus allant jusqu’à 40 000 euros.
Cette mesure touchera donc les avocats les plus fragiles, notamment ceux qui
assurent l’aide juridictionnelle ; cela concerne 70 % des avocats dans
mon département de Seine-Saint-Denis. Cette situation est problématique non
seulement pour le métier d’avocat, mais aussi pour les personnes qui y
recourent.
Selon le bâtonnier du Val-de-Marne – présent à
l’Assemblée nationale hier –, qui a créé un simulateur des conséquences de
la réforme, tous les avocats y perdront entre 100 euros et la moitié de
leurs revenus. En guise de compensation, vous prévoyez de leur accorder un
abattement de 30 % sur l’assiette de la CSG, en dépit duquel les
cotisations à la charge des avocats devraient tout de même augmenter de
6 %. Si l’on rapporte cette augmentation aux 14 % de cotisations des
avocats concernés, ce sont 40 % de leurs revenus qui disparaîtront !
En d’autres termes, vous préparez un plan social majeur pour les avocats.
(Protestations sur les bancs des groupes LaREM et MODEM.)
M.
Jean-René Cazeneuve. C’est faux !
M. Éric
Coquerel. Mais si, chers collègues. J’ai même entendu Sacha Houlié nous
expliquer tout à l’heure qu’il pouvait y avoir une justice algorithmique, de
sorte que nous aurions moins besoin d’avocats à l’avenir
– M. Le Maire l’a également dit.
Mme Nadia
Hai. M. Houlié est lui-même avocat !
M. Éric
Coquerel. Cela me fait penser au numerus clausus, dont personne ne
voulait plus, vous les premiers, et que vous supprimez, car notre pays ne compte
pas assez de médecins. S’il y a moins d’avocats, savez-vous qui en paiera les
conséquences ? La justice !
Mme Nadia
Essayan. Fake news !
M. le
président. La parole est à M. Alain Bruneel, pour soutenir
l’amendement no 30983 et les quinze amendements identiques déposés
par le groupe de la Gauche démocrate et républicaine.
M. Alain
Bruneel. Je souhaite à nouveau évoquer les barreaux français, qui
contestent depuis plusieurs semaines votre réforme pour ses conséquences
néfastes, en particulier pour les petits cabinets. En voici quelques
témoignages.
Pour beaucoup, à l’instar de Kathleen, 40 ans, avocate
spécialisée en droit du travail, l’avenir ressemble à un point d’interrogation.
Son cabinet, monté il y a cinq ans avec deux associés et qui compte désormais
trois collaborateurs, pourra-t-il supporter une telle augmentation des
charges ? « C’est dur de se projeter », dit-elle,
« d’imaginer l’avenir du cabinet avec une telle réforme. Ces derniers
temps, on se demande si on va s’en sortir ou quelle concession on va devoir
faire si le Gouvernement maintient le projet ». Quant à Simon, il a monté
son cabinet seul il y a deux ans et lui aussi craint de ne pouvoir s’en sortir
après la réforme. « Aujourd’hui, je suis environ à 45 % de charges,
sans compter le loyer, mais si on passe à 55 % ou 60 %, je ne vois pas
comment je vais m’en sortir. Je ne peux pas augmenter mes honoraires, mes
clients ne pourraient pas me suivre », explique-t-il.
Au-delà même
de la question de leur retraite, c’est toute une conception de leur profession
que les grévistes mettent en avant. L’augmentation des cotisations met en péril
la défense des plus précaires : les petits cabinets ne pourront plus
consacrer le même temps qu’auparavant à l’aide juridictionnelle, le
dédommagement étant peu élevé quel que soit l’investissement de l’avocat pour
défendre le dossier. C’est donc le droit à une justice équitable, fondement même
de notre démocratie, qui est menacée. En Seine-Saint-Denis, par exemple,
70 % des justiciables sont éligibles à cette aide. Votre réforme nous
prépare ainsi des déserts judiciaires similaires aux déserts médicaux.
(Applaudissements sur les bancs du groupe GDR.)
M. le
président. Quel est l’avis de la commission sur ces
amendements ?
M.
Guillaume Gouffier-Cha, rapporteur général. Même avis défavorable
que sur les amendements précédents, dont la visée était comparable.
M. le
président. La parole est à M. Adrien Quatennens.
M. Adrien
Quatennens. Monsieur le rapporteur, monsieur le secrétaire d’État, je
souhaite vous alerter sur le caractère extrêmement grave de ce qui se
prépare.
Pour être franc, les avocats que nous avons rencontrés hier nous
ont assez peu parlé de leur situation particulière, de leur régime de retraite
et des implications directes de la réforme pour leurs propres conditions
d’exercice. Ce qui les inquiète véritablement, en revanche, ce sont les
conséquences prévisibles de la réforme pour les cabinets les plus fragiles,
sachant qu’il y a, derrière la profession d’avocat, des réalités matérielles
très diverses. Votre réforme, c’est clairement la fermeture programmée de nombre
de cabinets, et vous le savez.
Quelle est l’impression donnée, vu de
l’extérieur ? La justice est engorgée, et vous allez procéder à un
désengorgement en rendant plus difficile, pour bon nombre de nos concitoyens,
l’accès à une défense. (Exclamations sur les bancs des groupes LaREM et
MODEM.)
M. Bruno
Millienne. Comment peut-on sortir des conneries pareilles ? C’est
hallucinant !
M. Adrien
Quatennens. Vous allez le faire en particulier dans les territoires où
les gens sont extrêmement dépendants de l’aide juridictionnelle. Voilà ce qui va
se passer.
M. Bruno
Millienne. Vous n’avez peur de rien, monsieur Quatennens ! Ça ose
tout !
M. Adrien
Quatennens. Plus que jamais, nous aurons une justice à deux
vitesses : des cabinets d’avocats d’affaires pour ceux qui ont les moyens,
un barreau pour les pauvres gens. Voilà ce que vous préparez, en creux, avec
cette réforme des retraites, au-delà même de la question du régime des
avocats.
Il y a une réalité dans cette bataille contre votre
réforme : des gens de conditions matérielle et sociale très différentes
rejoignent les cortèges formés par les cheminots, les soignants et tous les
autres.
M. Rémy
Rebeyrotte. Les régimes spéciaux !
M. Adrien
Quatennens. Je répète ce que j’ai dit hier, une personne qui, pour tout
vous dire, ne faisait à mon avis pas partie de l’électorat insoumis en 2017 nous
a clairement affirmé que, de son point de vue, rien ne serait plus jamais comme
avant après cette réforme des retraites, quelle qu’en soit l’issue. Voilà ce que
dit une partie de votre propre électorat, souvent et régulièrement, s’agissant
du sort qui est réservé aux avocats.
M. Cyrille
Isaac-Sibille. Je vais voter insoumis !
M. Bruno
Millienne. Heureusement que cette personne n’a pas lu la
rubrique 31 de votre programme !
M. Adrien
Quatennens. Très franchement, quand des professionnels aussi dévoués et
aussi attachés à leur métier en sont à jeter leur robe au pied de leur ministre
de tutelle,…
M.
Jean-René Cazeneuve. Tous les Français sont comme ça !
M. Adrien
Quatennens. …cela signifie qu’il y a un vrai ras-le-bol. Or vous refusez
obstinément de l’entendre.
M. le
président. La parole est à Mme Marietta Karamanli.
Mme
Marietta Karamanli. Je prends à mon tour la parole pour préciser que
nous avons tous reçu, tant à Paris que dans nos permanences, les avocats et les
bâtonniers. J’y insiste, même si cela énerve certains collègues qui ne veulent
plus écouter ce que tout le monde dit : pensé depuis très longtemps par la
profession, le régime de retraite autonome des avocats est équilibré, mais aussi
solidaire et pérenne.
Notre groupe l’a dit à plusieurs reprises ici comme
en commission, nous ne pouvons pas comprendre qu’au nom de la volonté de
réformer les régimes spéciaux, l’on refuse d’examiner de plus près les régimes
qui sont équilibrés et jouent un rôle solidaire vis-à-vis des autres régimes.
Selon moi, le Gouvernement et la majorité n’ont pas pris la bonne décision en la
matière.
M. le
président. La parole est à M. Cyrille Isaac-Sibille.
M. Cyrille
Isaac-Sibille. Comme les professions médicales, les professions
juridiques peuvent être exercées en mode libéral ou en mode salarié. La tendance
actuelle, c’est que les médecins et les juristes sont de plus en plus attirés
par le mode salarié. Certaines entreprises préfèrent salarier des juristes ou
des avocats plutôt que de faire appel à des juristes ou des avocats exerçant en
libéral. Il nous revient dès lors de réfléchir à la meilleure manière de rendre
le statut libéral plus attractif, ce qui va bien au-delà du problème des
retraites.
Je suis heureux de constater que, sur tous les bancs, ici, à
droite et à gauche,…
Mme Nadia
Essayan. À l’extrême gauche !
M. Cyrille
Isaac-Sibille. …on défend les professions libérales, et je serais ravi
de vous voir vous associer à cette réflexion, monsieur Quatennens.
(Applaudissements sur les bancs du groupe MODEM et sur quelques bancs du
groupe LaREM.)
M. le
président. Je mets aux voix les amendements identiques
no 13716 et identiques.
(Il est procédé au scrutin.)
M. le
président. Voici le résultat du
scrutin :
Nombre de
votants 96
Nombre
de suffrages
exprimés 85
Majorité
absolue 43
Pour
l’adoption 14
Contre 71
(Les amendements no 13716 et
identiques ne sont pas adoptés.)
M. le
président. Sur l’article 4, je suis saisi par le groupe La
République en marche, le groupe Les Républicains et le groupe de la Gauche
démocrate et républicaine d’une demande de scrutin public.
Le scrutin est
annoncé dans l’enceinte de l’Assemblée nationale.
L’amendement
no 10731 et les seize amendements identiques déposés par le
groupe La France insoumise ont été défendus précédemment par
M. Coquerel.
Quel est l’avis de la commission sur cette série
d’amendements ?
(Les amendements no 10731 et
identiques ne sont pas adoptés.)
M. le
président. Je mets aux voix l’article 4.
(Il est procédé au scrutin.)
M. le
président. Voici le résultat du
scrutin :
Nombre de
votants 100
Nombre
de suffrages
exprimés 99
Majorité
absolue 50
Pour
l’adoption 68
Contre 31
(L’article 4 est
adopté.)
(Applaudissements sur les bancs du groupe LaREM et sur
quelques bancs du groupe MODEM.)
M. Patrick
Hetzel. Les avocats vous remercient !
Article 5
M. le
président. La parole est à Mme Hélène Vainqueur-Christophe.
Mme Hélène
Vainqueur-Christophe. J’interviens pour la première fois sur ce texte
avec l’espoir que nous obtiendrons enfin des réponses pour les outre-mer. Le
projet de loi ne comporte pas d’article particulier à ce sujet,
l’article 64 indiquant néanmoins qu’il y aura une adaptation de la loi pour
les outre-mer.
Les collègues qui sont intervenus jusqu’à présent n’ont
obtenu aucune réponse de votre part, monsieur le secrétaire d’État :
M. Serville vous a interpellé, il n’y a pas eu de réponse ;
M. Jumel vous a interpellé, il n’y a pas eu de réponse ; hier encore,
mon collègue Serge Letchimy vous a posé des questions, le même silence a été
observé. Je tente ma chance à mon tour, en espérant des réponses.
Pour
les ultramarins, c’est véritablement le flou. Si une forte inquiétude règne ici,
imaginez ce que cela peut être dans les outre-mer, où la réforme s’appliquera
quasi exclusivement par ordonnance !
Je vous pose donc clairement
les questions suivantes, monsieur le secrétaire d’État.
D’abord,
qu’adviendra-t-il de la bonification de dépaysement dont bénéficient les
fonctionnaires ultramarins ?
Ensuite, vous avez annoncé que la prime
de vie chère serait soumise à cotisation, de manière progressive, sur une
période de quinze ans. Quel sera le plafond de l’assiette sur laquelle
s’appliqueront les cotisations ? Quel sera le taux de la cotisation ?
Comment concrètement comptez-vous compenser le surcoût de cotisation que les
collectivités et les entreprises auront à supporter ? Avez-vous consulté
les organisations syndicales et les collectivités sur ce
point ?
Enfin, les agriculteurs ultramarins cotisent actuellement
sur des bases différentes de celles en vigueur dans l’Hexagone. Le régime
sera-t-il unifié ? (Applaudissements sur les bancs du groupe
SOC.)
M. le
président. La parole est à Mme Agnès Firmin Le Bodo.
Mme Agnès
Firmin Le Bodo. Nous abordons l’article 5, relatif à l’application
du système universel de retraite aux salariés et aux exploitants agricoles.
L’examen de cet article a un écho particulier au moment où le Salon de
l’agriculture bat son plein.
L’article 5 est évidemment cohérent
avec les articles précédents : les agriculteurs ne sauraient être exclus du
système universel de retraite. En outre, le groupe UDI, Agir et indépendants
considère qu’il est indissociable d’autres mesures qui seront discutées
ultérieurement, notamment des dispositions relatives à la pénibilité, à laquelle
les agriculteurs sont particulièrement exposés, mais aussi, bien sûr, de la
revalorisation des pensions agricoles. Pour une carrière complète, la pension
agricole minimale sera portée à 1 000 euros à compter de 2022, puis à
85 % du SMIC dès 2025. Il s’agit d’une mesure de justice pour nos
agriculteurs, qui sont les meilleurs du monde et nous nourrissent.
Nous
regrettons néanmoins que les retraités agricoles actuels ne soient pas concernés
par la revalorisation. La pension moyenne d’un chef d’exploitation s’établit
aujourd’hui à 750 euros par mois, contre 1 390 euros pour
l’ensemble des Français. Ce montant de 750 euros est bien en deçà du seuil
de pauvreté et du minimum vieillesse.
Si nous nous réjouissons que la
pension agricole minimale atteigne prochainement 1 000 euros, ce qui
garantira une retraite digne aux futurs retraités agricoles, nous souhaiterions
qu’une trajectoire soit rapidement définie afin que la pension des retraités
agricoles actuels atteigne ce même montant de 1 000 euros.
M. le
président. La parole est à M. Michel Castellani.
M. Michel
Castellani. Je souhaite évoquer à mon tour le sujet récurrent des
retraites des salariés et des exploitants agricoles.
Sur les
1,3 million de pensionnés relevant actuellement du régime de retraite des
agriculteurs, près de 300 000, je le rappelle, vivent au-dessous du seuil
de pauvreté. La retraite moyenne d’un chef d’exploitation ne dépasse pas
750 euros. Dès lors, il est difficile de justifier le choix de 2025 pour
porter de 75 % à 85 % du SMIC la pension minimale des non-salariés
agricoles.
La réponse au problème de précarité des agriculteurs est
repoussée loin dans le temps. Le projet de loi prévoit une revalorisation de la
pension agricole minimale, pour une carrière complète, à 1 000 euros à
compter de 2022, puis à 85 % du SMIC dès 2025. Mais force est de constater
que cette mesure ne concernera que les futurs retraités. Pourtant, la demande de
revalorisation est ancienne, et il est absolument indispensable de la
satisfaire. Il faut donc étendre le champ d’application de la mesure aux
agriculteurs déjà retraités.
Il convient également d’améliorer la
situation des collaboratrices d’exploitation, qui perçoivent aujourd’hui une
pension de 547 euros en moyenne pour une carrière complète, d’autant plus
que les règles permettant d’accéder à ce statut sont, on le sait, très
complexes.
Par ailleurs, l’exigence d’une cotisation au niveau du SMIC
pendant la carrière complète pour obtenir une pension minimale de
1 000 euros est inadaptée. En effet, moins de la moitié des
agriculteurs parviennent à cotiser chaque mois à hauteur du SMIC sur une période
aussi longue.
En l’état, le projet de loi ne répond pas aux difficultés
des retraités agricoles ; il ne leur permettra pas de toucher un revenu
décent.
Sans faire de démagogie, je rappelle un chiffre alarmant :
en France, presque chaque jour, un agriculteur se suicide. Or, sur les
372 suicides recensés en 2015, 274 ont été commis par une personne de plus
de 65 ans. Il faut en tirer les leçons. (Applaudissements sur les bancs
du groupe LT.)
M. le
président. La parole est à M. Adrien Quatennens.
M. Adrien
Quatennens. Dans notre pays, la situation des agriculteurs est
extrêmement préoccupante, pour ne pas dire dramatique. Tous les deux jours, un
agriculteur se suicide.
M. Jimmy
Pahun. Chaque jour, a dit l’orateur précédent…
M. Adrien
Quatennens. Un agriculteur sur trois gagne moins de 350 euros par
mois. L’an dernier, 20 % des agriculteurs français ont déclaré un revenu
nul, voire un déficit de leur exploitation.
Dans ces conditions, nous le
savons, le métier est peu attractif, et se pose la question du
remplacement : un agriculteur sur deux partira en retraite dans les toutes
prochaines années, et près de deux sur trois risquent de ne pas avoir de
successeur. Voilà le point auquel nous en sommes rendus.
M. Macron a
réaffirmé récemment que l’Europe protégeait les agriculteurs français. Pour
notre part, nous affirmons le contraire : telle qu’elle fonctionne
aujourd’hui, l’Union européenne ne protège pas les agriculteurs français.
D’abord, la politique agricole commune fonctionne selon un modèle obsolète qui
profite à quelques gros industriels. Surtout, cette absence de protection tient
aux traités de libre-échange. Le Parlement européen en a encore approuvé un
récemment, au moment même où M. Macron effectuait son énième tournant
écologique – qui devient, en définitive, un demi-tour.
Nous
souhaitons la transition du modèle agricole ; nous voulons passer à une
agriculture paysanne et relocalisée, intensive en emplois plutôt qu’en produits
chimiques, lesquels empoisonnent les agriculteurs et nos assiettes.
En
attendant, avec votre projet de réforme des retraites, vous avez fait aux
agriculteurs une promesse essentielle, à laquelle ils croyaient pouvoir
s’accrocher : vous leur avez assuré qu’ils pourraient bénéficier d’une
pension minimale de 1 000 euros. Or ce n’est pas vrai – problème
d’ailleurs récurrent dans ce projet de loi. En effet, près de 40 % des
agriculteurs seront exclus du dispositif : pour obtenir cette retraite
minimale de 1 000 euros, ils devront avoir cotisé toute leur carrière
au niveau du SMIC au minimum. (« C’est
faux ! » sur les bancs du groupe
LaREM.)
Seuls les chefs d’exploitation seront concernés ; les
conjoints d’agriculteur ne le seront pas. Bref, comme chaque fois lorsqu’il
s’agit d’être conséquent à l’égard des gens qui en ont le plus besoin, vous êtes
aux abonnés absents.
M. le
président. La parole est à M. Jean-Paul Dufrègne.
M.
Jean-Paul Dufrègne. L’article 5 prévoit en effet que le système
universel de retraite par points s’applique aux salariés et exploitants
agricoles. Depuis le début de l’examen du texte, vous prétendez que votre
réforme sera bénéfique pour le monde agricole ; pourtant, deux réalités
viennent contredire vos belles promesses. Premièrement, les retraités agricoles
actuels ne seront pas concernés et ne verront donc pas la couleur d’une retraite
minimum garantie à 85 % du SMIC. Le groupe de la Gauche démocratique et
républicaine a défendu une proposition semblable devant le Parlement, mais le
Gouvernement a empêché qu’elle soit adoptée au Sénat. Cette mesure, qui se
chiffre à quelques centaines de millions d’euros, est largement
finançable ; l’argent existe, puisque dans le même temps vous vous
permettez d’exonérer les cadres à hauts revenus de 4 milliards d’euros pas
an, en supprimant les cotisations sociales au-delà de trois fois le montant du
PASS, selon l’article 13 de votre projet de loi.
Deuxièmement, les
futurs retraités agricoles auront bien du mal à percevoir la retraite minimale à
85 % du SMIC à compter de 2022, puisque des conditions très strictes sont
requises : avoir atteint l’âge d’équilibre de 65 ans, pour la
génération 1975 ; avoir travaillé 43 ans et avoir cotisé sur une base
de 600 heures payées au SMIC par an. Quand on connaît les revenus de
nombreux agriculteurs, en particulier dans les zones défavorisées, on sait que
beaucoup n’auront pas droit à ce minimum de pension – 40 % seulement
d’entre eux en bénéficieront. Exit également les conjoints de paysans, ou les
agriculteurs aux carrières hachées pour cause d’incapacité ou
d’invalidité.
Plus de perdants que de gagnants : voilà la réalité de
ce projet. Rien ne justifiait une telle réforme ; nous pouvons améliorer
les retraites des agriculteurs sans instaurer un système par points. Il
suffisait de revaloriser les petites retraites agricoles, comme nous vous
l’avons proposé. (Applaudissements sur les bancs du groupe
GDR.)
M. le
président. La parole est à Mme Véronique Hammerer.
Mme
Véronique Hammerer. L’article 5 concerne l’intégration des
exploitants agricoles dans le système universel. Enfin, nous y sommes.
Aujourd’hui, sur 30 000 agriculteurs, 20 000 perçoivent une
retraite inférieure à 1 000 euros, certains n’ayant même que
600 euros par mois, voire moins.
M. Aurélien
Pradié. Ça ne changera pas !
Mme
Véronique Hammerer. Nous partageons ce constat, et nous souhaitons tous
trouver une solution pour ces futurs retraités, qui ont travaillé toute leur
vie, sans compter les heures, parfois pour dégager des revenus indécemment
faibles.
Il s’agit de garantir aux nouveaux retraités, à partir de 2022,
une pension minimum à hauteur de 85 % du SMIC net.
M. Aurélien
Pradié. Et les actuels retraités ?
Mme
Véronique Hammerer. Cette revalorisation est attendue par les
agriculteurs, par la Fédération nationale des syndicats d’exploitants agricoles
– FNSEA – et par la Mutualité sociale agricole – MSA. Concernant
cette dernière, je me suis récemment entretenue avec M. Pascal Cormery, son
président.
M. Stéphane
Viry. Ah !
M. Patrick
Hetzel. Alors…
Mme
Véronique Hammerer. Je profite de cet instant pour souligner
l’importance de la caisse de la Mutualité sociale agricole, qui continuera à
gérer les retraites agricoles ; elle constitue un organisme essentiel pour
nos territoires ruraux.
Le régime des agriculteurs est déficitaire ;
il compte un actif pour trois retraités. La création du régime universel, fondé
sur la solidarité de tous, qui en termine avec les régimes spéciaux, constitue
un geste fort pour nos agriculteurs ! (Applaudissements sur les bancs du
groupe LaREM.)
Plus que le besoin d’aider un régime déficitaire,
l’urgence concerne le niveau des pensions et le reste à vivre des exploitants.
La réforme apporte une réponse ; à mon sens elle ne doit pas rester la
seule : nous devons effectivement réfléchir à d’autres mesures, mais nous
vivons certainement le début d’une nouvelle histoire. (Applaudissements sur
les bancs du groupe LaREM.)
M. le
président. La parole est à M. Thibault Bazin.
M. Thibault
Bazin. L’article 5 concerne l’affiliation des exploitants agricoles
non salariés, au sens des dispositions du code rural, nés à partir du
1er janvier 1975, au régime général de sécurité sociale, en les
intégrant au champ d’application du futur système universel de
retraite.
De nombreux aspects méritent précision et doivent évoluer. La
hausse du taux de cotisation agricole passe de 21 à 28 %, mais d’un autre
côté vous promettez une réforme de l’assiette de la CSG avec un abattement
forfaitaire envisagé de 30 %. Or, vous avez déjà manipulé la CSG pour
pénaliser les retraités et elle peut changer chaque année. L’inquiétude est donc
légitime.
Celle-ci est également motivée par la question du cumul
emploi-retraite. Pourra-t-on devenir agriculteur dès lors que l’on sera
retraité ? Les jeunes agriculteurs s’en alarment à raison : ils sont
fortement mobilisés pour promouvoir les installations. Dans ce domaine,
peut-être faut-il restreindre l’accès au cumul emploi-retraite aux
salariés.
Pour les conjoints collaborateurs des exploitants agricoles non
salariés, vous avez prévu une cotisation identique à celle de l’aide familial.
Ne faudrait-il pas instaurer une limitation dans le temps pour ce dernier
statut ?
L’exonération sociale des jeunes installés agricoles
représente 15 millions d’euros par an. Votre projet prévoit la suppression
des exonérations non compensées du système actuel. Les aides accordées aux
jeunes agriculteurs vont ainsi disparaître. Vous engagez-vous à les
compenser ? Si elles doivent l’être intégralement, pourquoi ne pas prévoir
une transition immédiate ? Sinon, une transition rapide ne présente aucun
intérêt.
Enfin, les retraités agricoles actuels, et ceux qui le
deviendront dans les prochains mois, dont les retraites sont si modestes, ont
été trompés par la promesse du Président Macron de leur assurer une retraite
minimum de 1 000 euros par mois.
M. Vincent
Descoeur. Malheureusement.
M. Thibault
Bazin. C’est la douche froide ! Ils vous ont pourtant servi de
prétexte. Assurer cette retraite minimum aux chefs d’exploitation coûterait
400 millions d’euros. Le projet des Républicains permettrait de le
financer. Or, votre système n’est toujours pas financé : pas de financement
équilibré, pas de crédits pour les mesures de justice sociale. Voilà l’impasse
dans laquelle vous nous avez entraînés, en faisant le choix critiquable de
placer l’examen parlementaire du texte avant de connaître les conclusions de la
conférence de financement. Quand étudierez-vous enfin notre proposition de
mettre sur la table un projet complet et financé ? (Applaudissements sur
les bancs du groupe LR.)
M. le
président. La parole est à M. Stéphane Baudu.
M. Stéphane
Baudu. Nous sommes enfin parvenus à l’examen de l’article 5 relatif
aux personnes non salariées agricoles. Il fait partie des articles dont nous
sommes le plus fiers.
M.
Jean-Paul Dufrègne. Eh bien, il n’y a pas de quoi !
M. Stéphane
Baudu. Certes, il ne résout pas le problème des retraités agricoles
actuels, auquel les membres du groupe MODEM sont très sensibles : nous
devrons y travailler au cours des prochains mois.
Les retraités agricoles
souhaitent ardemment rejoindre le système universel que nous défendons parce
qu’il offre des avantages importants, comparativement à la situation actuelle.
Ils ont raison : jamais, dans l’histoire de notre protection sociale, les
agriculteurs n’auront été aussi bien protégés du risque vieillesse.
(Mme Nadia Essayan applaudit.)
La retraite
moyenne des agriculteurs s’élève à 953 euros pour les hommes et
852 euros pour les femmes – il s’agit bien d’une moyenne. Dès 2022,
dans le système universel de retraite, ils percevront au minimum
1 000 euros ; en 2025, le montant minimum de la pension sera
augmenté à 85 % du SMIC, soit un gain de 180 euros par rapport à
aujourd’hui.
Oui, les agriculteurs seront mieux lotis : pour ce
progrès en particulier, nous sommes très fiers de soutenir ce texte.
(Applaudissements sur les bancs des groupes MODEM et LaREM.)
M. le
président. Sur les amendements de suppression no 491 et
identiques, je suis saisi par les groupes Les Républicains et la Gauche
démocrate et républicaine d’une demande de scrutin public.
Le scrutin est
annoncé dans l’enceinte de l’Assemblée nationale.
Cette série comprend
les amendements nos 491, 950, 3905 et 13484 ; l’amendement
no 15726 et seize amendements identiques déposés par les membres du
groupe La France insoumise ; enfin, l’amendement no 31015
et quatorze amendements identiques déposés par les membres du groupe la Gauche
démocrate et républicaine.
La parole est à Mme Marie-Christine
Dalloz, pour soutenir l’amendement no 491.
Mme
Marie-Christine Dalloz. Trois arguments justifient la suppression de
l’article 5. Premièrement, nous dénonçons un mensonge : vous avez
laissé croire au 1,3 million de retraités agricoles qu’on allait augmenter
leur pension à hauteur de 85 % du SMIC ; or vous ne les intégrez pas à
votre réforme.
Ensuite, votre texte est incomplet. Quels seront les
droits à la retraite des conjoints collaborateurs ? En tant que femme, je
rencontre beaucoup de femmes d’exploitants agricoles ; toutes m’interrogent
sur cette disposition.
Enfin, en matière de financement, nous travaillons
totalement à l’aveugle. La variation des revenus agricoles doit être prise en
compte. En 2016, 22,1 % des agriculteurs vivaient en dessous du seuil de
pauvreté ; malheureusement, la situation s’est encore dégradée. Vous leur
proposez 85 % du SMIC en 2025, en exigeant des cotisations annuelles
équivalentes à celles de 600 heures payées au SMIC. Avec les variations des
revenus agricoles, ils n’y parviendront pas tous les ans.
Que se
passe-t-il ? Vous avez pris conscience de cette difficulté et, comme un
aveu, vous avez décidé d’aménager l’assiette de la CSG. Mais ils ont compris le
risque d’une telle disposition : chaque année, dans le cadre du projet de
loi de financement de la sécurité sociale, cette base pourra être révisée,
jusqu’à annuler le cadeau que vous leur faites dans cette réforme, afin de la
leur faire accepter.
Pour toutes ces raisons, nous considérons qu’il
convient de supprimer l’article 5 (Applaudissements sur les bancs du
groupe LR.)
M. Patrick
Hetzel. Très bien !
M. le
président. La parole est à Mme Marietta Karamanli, pour soutenir
l’amendement no 950.
Mme
Marietta Karamanli. Nous demandons la suppression de l’article 5.
La réforme accroît les inégalités pour l’ensemble des assurés : le montant
de la retraite sera calculé à partir de l’ensemble de la carrière plutôt que sur
les meilleures années, donc le revenu de référence sera mécaniquement plus
faible, et les pensions aussi.
Vous parlez d’égalité ; j’ai même
entendu des discours de défense des ouvriers. Je regrette, mais un ouvrier qui
aurait gravi au long de sa carrière les échelons jusqu’à devenir cadre connaîtra
une chute brutale de ses revenus lorsqu’il partira à la retraite, puisque la
prise en compte de son début de carrière amoindrira nettement sa
pension.
Le système à points engendrera une distorsion progressive entre
les assurés dont les revenus sont dynamiques et ceux dont les revenus stagnent
ou évoluent faiblement. En outre, il prévoit l’instauration d’un âge
d’équilibre, auquel les assurés d’une génération pourront liquider leur retraite
sans décote.
M.
Jean-René Cazeneuve. On parle des agriculteurs, ici !
Mme
Marietta Karamanli. J’énumère toutes les situations jusqu’à arriver à
l’article 5. La situation des agriculteurs est déjà notoirement
difficile ; elle sera encore aggravée, et même désastreuse. Vous leur
infligez une violence économique, comme aux autres. Celle-ci est inacceptable,
et plus injuste encore à l’égard des agriculteurs – nous proposons donc de
supprimer cet article.
M. le
président. La parole est à Mme Emmanuelle Ménard, pour soutenir
l’amendement no 3905.
Mme
Emmanuelle Ménard. Il est louable de vouloir concéder une retraite
décente à nos agriculteurs – ils le méritent. Néanmoins, il serait
préférable de préciser le détail du dispositif proposé par le Gouvernement. Il
serait en effet désastreux que les exploitants agricoles se voient accablés de
charges supplémentaires induites par leur agrégation au nouveau dispositif de
retraite.
Les revenus des agriculteurs varient fortement d’une année sur
l’autre : leurs carrières sont loin d’être linéaires. Selon l’INSEE,
22 % d’entre eux vivaient sous le seuil de pauvreté en 2016. Je ne
reviendrai pas non plus sur le taux de suicide dans cette profession,
particulièrement élevé en France. Le principal reproche que j’adresse à votre
réforme est qu’elle améliorera peut-être le sort des futurs retraités agricoles
– et encore, pas tous, cela a été démontré –, mais elle ne change rien
à celui des 1,3 million de retraités actuels. Rien n’est fait non fait non
plus pour les retraités conjoints collaborateurs, qui sont majoritairement des
femmes. Bref, parce que votre réforme est incomplète et trompeuse, je demande la
suppression de l’article 5.
M. Olivier
Damaisin. Scandaleux !
M. Rémy
Rebeyrotte. Elle se découvre !
M.
Jean-René Cazeneuve. Indécent !
M. Alain
Perea. Une honte !
M. le
président. La parole est à M. Nicolas Meizonnet, pour soutenir
l’amendement no 13484.
M. Nicolas
Meizonnet. Je me ferai l’écho de bien des propos déjà tenus, mais je
crois utile de les répéter. Depuis le début, les agriculteurs sont classés dans
le camp des grands gagnants de votre réforme : ils devaient tous percevoir
un minimum de 1 000 euros de retraite par mois. Seulement, il semble que ce
qui se voulait être une vraie bonne nouvelle se soit progressivement étiolé, au
même rythme d’ailleurs que les soutiens à cette réforme, jusqu’à se transformer
progressivement en « fake news » – fausse nouvelle en
français – car, pour citer les mots du Président de la République, se pose
la fameuse « question du stock » – expression détestable, soit
dit en passant. Dans ce flou artistique, nous comprenons désormais que la
réforme laissera d’entrée de jeu 1,3 million de retraités sur le
bas-côté.
D’autre part, seuls y seront éligibles les chefs d’exploitation
agricole ayant fait une carrière complète de quarante-trois ans et ayant cotisé
à hauteur du SMIC. Par conséquent, vous fermez la porte à tous ceux qui ont eu
une carrière hachée, souvent en raison d’incapacité ou d’invalidité – et
ils sont nombreux. Vous fermez également la porte à tous les conjoints
d’agriculteurs, qui, vous le savez, sont en grande majorité des
femmes.
En résumé, les plus fragiles continueront de percevoir des
pensions de misère : une moyenne de 750 euros pour les hommes et de
580 euros pour les femmes. Telle est la réalité du projet injuste que vous
défendez.
Alors, mesdames et messieurs les députés de la majorité, je
dirai, reprenant les mots de Sully, cités mardi dernier dans cet hémicycle par
Bruno Le Maire, que, si labourage et pâturage sont encore à vos yeux les
deux mamelles de la France, vous devez voter la suppression de l’article 5,
et plus largement renoncer à cette réforme injuste.
M. le
président. La parole est à M. Éric Coquerel, pour soutenir
l’amendement no 15726 et et les seize amendements identiques
déposés par le groupe La France insoumise.
M. Éric
Coquerel. Selon un de nos collègues de la République en marche, nous
pourrions débattre avec vous mais surtout pas remettre en cause votre bonne foi.
On est tout de même en droit de se poser quelques questions à propos de cet
article 5, qui ressemble vraiment à une arnaque, puisqu’il tente de faire
passer pour une conquête sociale un rattrapage incomplet, amputé et
ajourné.
En 2003, une disposition figurant à l’article 4 de la
loi Fillon a fixé le seuil de retraite pour les agriculteurs à 85 % du SMIC
net. L’application de la mesure, prévue pour 2008, a été différée. En 2017,
celle-ci a de nouveau été votée à l’unanimité par l’Assemblée nationale
– c’était la proposition de loi d’André Chassaigne. Votre gouvernement l’a
repoussée. Et voilà que vous la réintroduisez dans ce texte !
Quitte
à vous voir récupérer une avancée sociale dont vous avez retardé l’application,
on aurait pu au moins s’attendre à ce que vous l’appliquiez à tous. Mais
non : vous en écartez les agriculteurs actuellement à la retraite, leurs
conjoints, ainsi que ceux qui n’auront pas cotisé quarante-trois ans à hauteur
du SMIC – ce qui exclut 40 % de la profession. J’ajoute que la
disposition ne sera pas applicable avant 2021, et plus vraisemblablement
avant 2025.
Si vous retravaillez l’article 5, afin de nous
proposer un dispositif applicable à tous les agriculteurs – dont vous savez
que 22 % vivent en dessous du seuil de pauvreté –, immédiatement, nous
pourrons peut-être voter cet article du projet de loi. Mais, dans sa rédaction
actuelle, je le répète, cet article est une arnaque.
(M. Adrien Quatennens applaudit.)
M.
Jean-René Cazeneuve. Indécent !
M. Adrien
Quatennens. Prouvez donc le contraire !
M. le
président. La parole est à M. Pierre Dharréville, pour soutenir
l’amendement no 31015 et les quatorze amendements identiques
déposés par le groupe de la Gauche démocrate et républicaine.
M. Pierre
Dharréville. Cette semaine, au Salon de l’agriculture, le Président de
la République a confirmé une nouvelle trahison, qui est venue balayer le slogan
de votre réforme : « Nous allons relever les petites retraites,
notamment les retraites agricoles, pour qu’aucun retraité ne touche une pension
inférieure à 1 000 euros. » Finalement, en 2022 comme en
2025, de très nombreux agriculteurs continueront de percevoir une pension moins
importante.
Depuis décembre, nous avons compris que le minimum
contributif de 1 000 euros concernerait non les retraités actuels
mais les futurs retraités, et encore, à condition qu’ils aient effectué une
carrière complète. Vous laissez donc au bord du chemin une grande partie des
agriculteurs, qui ne rentreront pas dans les cases que vous avez dessinées parce
que vous ne prenez en compte ni les périodes pendant lesquelles ils ont eu le
statut de collaborateur ou d’aide familial, ni la pénibilité.
Comme
d’habitude, notre groupe n’avait pas manqué de formuler des propositions.
En 2017, André Chassaigne a déposé une proposition de loi tendant à
proposer pour tous les agriculteurs sans distinction une retraite minimum égale
à 85 % du SMIC. La proposition, que nous avions rédigée afin de la rendre
acceptable par tous les groupes, a été votée à l’unanimité à l’Assemblée
nationale, avant d’être retoquée par la majorité au Sénat. Selon celle-ci, il
fallait attendre la fameuse réforme des retraites – qui serait plus
ambitieuse, plus générale et qui traiterait le problème.
Nous voyons que
ce n’est pas le cas. Le fait est là : les agriculteurs n’auront rien. Vous
renvoyez le sort de milliers d’entre eux à une obscure mission d’information
visant à dresser un état des lieux qui nous est d’ores et déjà connu. Personne
n’est dupe de la manœuvre. Vous avez menti. Nous sommes certains que la réforme
ne répondra pas à leurs attentes.
Nous vous proposons donc de supprimer
l’article et de reconsidérer les termes de la proposition de loi Chassaigne. Le
passage à un système à points n’est en rien nécessaire pour relever les petites
retraites agricoles ; il suffirait d’améliorer le système actuel.
M. le
président. Quel est l’avis de la commission ?
M.
Guillaume Gouffier-Cha, rapporteur général. Cette série
d’amendements tendant à supprimer l’article 5 me laisse perplexe. Vous
proposez, au motif que nous n’avons pas encore trouvé une solution pour les
retraités agricoles actuels…
M. Pierre
Dharréville. Nous l’avons trouvée, nous !
M.
Guillaume Gouffier-Cha, rapporteur général. …de condamner les
futurs retraités, en faisant sortir les agriculteurs du système universel.
(Applaudissements sur les bancs du groupe LaREM.) Oui, voilà ce que vous
proposez, et nous ne pouvons pas l’accepter ! Je vous rappelle que ce
nouveau système leur ouvrira pourtant de nouveaux droits, améliorera leur
pension et que la MSA sera toujours leur interlocuteur.
M. Adrien
Quatennens. Tout le monde n’y aura pas accès, à ces nouveaux
droits !
M.
Guillaume Gouffier-Cha, rapporteur général. Au passage, je
m’étonne que certains députés de La France insoumise nous demandent d’appliquer
immédiatement le système de retraite universel aux agriculteurs.
Quoi
qu’il en soit, j’émets un avis fortement défavorable sur ces amendements, comme
sur tous ceux qui seront appelés ultérieurement et tendent à supprimer un ou
plusieurs alinéas de l’article. (M. Jean-Jacques Bridey
applaudit.)
M. le
président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. Laurent
Pietraszewski, secrétaire d’État. Je voudrais d’abord répondre à
Mme Vainqueur-Christophe. S’agissant de l’outre-mer, tous les gouvernements
travaillent par ordonnances, non parce qu’ils ne voudraient pas inscrire dans la
loi des dispositions propres à ces territoires, mais parce que les réalités
changent considérablement d’une collectivité territoriale à l’autre.
Le
Gouvernement ne considère pas que les ultramarins n’auraient pas leur place dans
le texte ! En écoutant Mme Vainqueur-Christophe, monsieur Letchimy, je
relisais l’excellent rapport que vous avez cosigné. Vous connaissez parfaitement
la situation. Nous faisons preuve de transparence : je vous ai écrit
qu’avec Mme Girardin, ministre des outre-mer, nous allions travailler en
concertation avec les élus pour identifier les réalités de chacun des
territoires que vous représentez et de traiter ceux-ci comme il convient. Loin
de moi l’idée de ne pas vouloir répondre sur telle ou telle spécificité
territoriale.
Depuis lundi, le monde agricole, sur lequel porte
l’article 5, a suscité les questions de divers groupes, notamment des
Républicains. On m’a interrogé sur l’avenir des dispositifs gérés par la MSA.
Celle-ci possède un bon réseau, qui offre une aide réelle en matière
d’accompagnement de la vieillesse agricole. J’ai confirmé que nous nous
appuierions sur elle. L’article comprend nombre de dispositifs que tous ceux qui
se soucient du monde agricole auront à cœur de soutenir.
Avis
défavorable.
M. le
président. La parole est à M. Damien Abad.
M. Damien
Abad. J’en reviens à l’intervention de M. Bazin. Même si l’on tient
compte de l’abattement que vous avez annoncé, beaucoup d’agriculteurs verront
finalement leurs cotisations augmenter.
D’autre part, les diverses
exonérations dont bénéficient notamment les jeunes agriculteurs qui s’installent
seront-elles compensées ? Nous attendons vos explications sur ce
point.
Enfin et surtout, après le temps de l’agribashing, nous voyons
venir celui de l’agridéception. Après avoir beaucoup promis aux agriculteurs,
particulièrement aux retraités agricoles actuels, vous voilà pris en flagrant
délit de publicité mensongère…
M. Vincent
Descoeur. C’est exact.
M. Damien
Abad. Nombre d’entre eux avaient compris qu’ils seraient concernés par
la réforme. Ils s’attendaient à percevoir ce fameux montant de
1 000 euros, correspondant à 85 % du SMIC, pour une carrière
complète. Au Salon de l’agriculture, le Président de la République a refermé la
porte en expliquant qu’une telle mesure aurait coûté 1,1 milliard. Nous
avons eu confirmation que ce chiffre est faux : l’application aux retraités
actuels de la mesure proposée pour les futurs retraités concernerait
220 000 personnes et coûterait 400 millions. Qui dit la
vérité ? Ce point doit être clarifié. Si le dispositif initialement promis
par le Président – et attendu avec impatience – coûte réellement
400 millions, il semble indispensable de faire ce geste.
(Applaudissements sur les bancs du groupe LR.)
M. le
président. La parole est à M. Serge Letchimy.
M. Serge
Letchimy. Monsieur le secrétaire d’État, je me contenterai de poser des
questions, en espérant obtenir des réponses claires.
Vous semblez penser
que votre réforme ne concerne pas les pensions des agriculteurs actuellement à
la retraite. Est-ce le cas, oui ou non ? Le Président de la République
s’est exprimé à ce sujet ; mais ce n’est pas son champ d’intérêt.
Ignorez-vous qu’en France, plus particulièrement en outre-mer, certains
agriculteurs vivent dans des conditions désastreuses, avec 40, 50 ou
100 euros de pension par mois ?
Prévoyez-vous de verser le
montant de 1 000 euros prévus aux seuls exploitants agricoles à la
retraite, à l’exclusion des ouvriers agricoles à la retraite ?
M.
Jean-René Cazeneuve. Mais non ! C’est faux !
M. Serge
Letchimy. Si c’est faux, dites-le. Je vous donne la possibilité de
répondre clairement. Faites-le et laissez-moi la possibilité de poser des
questions.
M. Roland
Lescure. La possibilité de répéter, surtout !
M. Serge
Letchimy. J’attends une réponse simple : oui ou
non.
Troisième question : ceux qui n’ont pas une carrière pleine
– sur ce sujet, je vous ai déjà interrogé – et qui, en outre-mer comme
dans l’Hexagone, ont vécu ce que l’on appelle des « temps informels »,
sans garder de trace de leur activité, sont-ils concernés par la mesure ?
Comment allez-vous traiter leur situation ?
Quatrièmement, vous
paraissez vouloir agir par ordonnances, mais il ne me semble pas que vous en
ayez prévu à cet article. Les ordonnances concernent en effet les
fonctionnaires, et non l’activité agricole. Dans ces conditions, comment
pourriez-vous traiter les enjeux de l’outre-mer par ordonnance ?
M. le
président. La parole est à M. Frédéric Descrozaille.
M. Frédéric
Descrozaille. Quoi que vous pensiez, monsieur Coquerel, je vais essayer
de vous prouver notre bonne foi sur ce sujet comme sur les autres.
Un
agriculteur n’est pas un salarié. Au cours de son activité professionnelle, il
capitalise, et il génère du flux de revenus. Dans ce secteur, on ne peut donc
pas se référer à un SMIC horaire sans constater qu’un tiers des agriculteurs
passe à la trappe, ce qui est vrai pour pratiquement toutes les générations.
(M. Roland Lescure applaudit.)
C’est dans ce
contexte que les retraites agricoles ont été sacrifiées depuis des décennies sur
l’autel d’une politique qui a privilégié dès 1972, quand Jacques Chirac
était ministre de l’agriculture, la transmission de l’exploitation
– c’est-à-dire la subvention de l’achat en vue d’obtenir une réalisation du
capital en fin de carrière. À cette époque, les taux d’inflation comme les taux
d’intérêt étaient à deux chiffres.
Nous sommes entrés dans une nouvelle
ère politique. Aujourd’hui, les générations ont du mal à se renouveler et les
taux d’intérêt ont chuté, de sorte que cette politique spécifique n’a plus de
sens, même pour les jeunes agriculteurs.
Nous sommes les premiers à
prendre ce sujet à bras-le-corps. Mais alors que nous nous attelons enfin à un
dossier qui a traîné trop longtemps – pardon si je peux paraître arrogant,
je suis en tout cas sincère –, vous jugez scandaleux que nous ne le
réglions pas immédiatement et pour tout le monde. Et vous nous suggérez plutôt
de ne rien faire ! (Applaudissements sur les bancs du groupe
LaREM.)
Les mots de « flux » et de « stock » sont
grossiers, mais ils nomment une réalité. Les agriculteurs eux-mêmes le
comprennent, et ne nous le reprochent pas.
Mme
Marie-Christine Dalloz. Pas réducteur du tout comme propos !
M. Thibault
Bazin. Ne réécrivez pas l’histoire !
M. Frédéric
Descrozaille. Je me rends au Salon international de l’agriculture tous
les matins depuis samedi, et n’ai pas rencontré un seul responsable
professionnel qui nous ait reproché notre projet pour les retraites.
(Applaudissements sur les bancs du groupe LaREM.) Ils nous font d’autres
reproches ; j’ai été alpagué, mais pas sur ce point. Ils sont même atterrés
par la tenue des débats dans l’hémicycle depuis dix jours. (Applaudissements
sur les bancs des groupes LaREM et MODEM.)
M. le
président. La parole est à M. Jean-Paul Dufrègne.
M.
Jean-Paul Dufrègne. Les agriculteurs à la retraite doivent être nombreux
à nous regarder aujourd’hui. Je les ai reçus très souvent ; je connais leur
colère et la partage, car je ne comprends pas que l’on puisse opposer autant de
mépris à celles et ceux qui ont travaillé dur pour nourrir la France et aménager
le territoire.
La proposition de loi visant à assurer la revalorisation
des pensions de retraite agricoles en France continentale et dans les outre-mer,
dite loi Chassaigne, faisait l’unanimité, mais vous l’avez enterrée, par un tour
de passe-passe,…
M. Roland
Lescure. Elle avait été adoptée à l’Assemblée début 2017 ! C’était
une pure manœuvre électorale !
M.
Jean-Paul Dufrègne. …en jurant, la main sur le cœur, que l’anomalie que
constituent les retraites agricoles serait corrigée lors de l’examen du présent
projet de loi. C’est un mensonge, et même un gros !
On ne peut
autant tromper ceux qui ont tant donné ; c’est une honte ! Vous n’avez
pas de quoi être fiers de ces manœuvres ! (Applaudissements sur les
bancs des groupes GDR, FI et LR. – Exclamations continues sur
les bancs des groupes LaREM et MODEM.)
M.
Alexandre Freschi. La loi Chassaigne, c’était du clientélisme !
C’était deux mois avant l’élection !
M. le
président. La parole est à M. Éric Coquerel. (Exclamations
persistantes et vifs échanges de banc à banc.) S’il vous
plaît, chers collègues !
M. Thibault
Bazin. Monsieur le président, rétablissez le calme !
M. Damien
Abad. Que la majorité modère ses réactions !
M. Éric
Coquerel. Je ne peux pas laisser passer les discours politiciens du
rapporteur général et de mon collègue de la majorité : vous règleriez des
problèmes qui auraient dû l’être plus tôt.
Vous n’avez pas voulu de la
loi Chassaigne, pourtant votée à l’Assemblée, parce que vous compliquez tout,
avec la retraite par points. À cause de ce système, vous êtes incapables de
prendre une mesure pourtant simple : établir une retraite minimale
équivalente à 85 % du SMIC pour tous les agriculteurs qui arrivent
aujourd’hui à l’âge de la retraite, quel que soit le nombre d’années de
cotisation.
Si vous ne prenez pas une mesure aussi simple, ce n’est donc
pas seulement faute de volonté politique, mais aussi parce qu’il vous faudrait
l’intégrer dans le système de retraite à point, qui complique tout et ne
constitue une bonne solution pour personne – c’en est une nouvelle
illustration.
Par ailleurs, si nous voulons traiter des problèmes globaux
du monde agricole – ce que je ferai volontiers – parlons d’abord de
ses revenus. Ils sont insuffisants, parce que le travail est insuffisamment payé
– cela doit être le point de départ de la réflexion. À cause de cela, les
cotisations sont insuffisantes.
Il faudrait donc remettre en question la
manière dont la politique agricole commune est menée. Elle favorise les plus
gros exploitants, qui travaillent avec l’agro-business, au détriment des petits.
Il faudrait instaurer un revenu minimum garanti ; il faudrait des
rémunérations qui récompensent les agriculteurs pour leur travail social
indispensable, notamment sur le plan environnemental, dans les zones fragiles ou
difficiles, entre autres.
Si vous meniez une réflexion globale sur le
monde agricole, oui, je pourrais vous suivre – mais ce n’est pas le
cas. Alors que vous êtes au pouvoir depuis deux ans et demi, vous pourriez faire
en sorte que les agriculteurs vivent mieux de leur travail.
M. Roland
Lescure. On l’a fait !
M. Éric
Coquerel. Je rappelle que 22 % d’entre eux vivent sous le seuil de
pauvreté.
Ne nous dites pas que votre projet de loi créera des miracles –
le dispositif est mal fichu, incomplet, et il ne constitue en rien un progrès
par rapport aux textes adoptés dès 2003. (Applaudissements sur les bancs du
groupe FI.)
M. le
président. La parole est à M. Éric Woerth.
M. Éric
Woerth. Comme Damien Abad l’a très bien résumé, nous vivons dans une
lourde atmosphère d’agribashing. Ce n’est pas propre à la France, mais comme
notre pays est une grande terre agricole, qui compte encore – et Dieu
merci – beaucoup d’agriculteurs, on est impressionné de constater qu’un tel
climat pèse sur le débat.
Le monde agricole est traversé par de multiples
interrogations – voire par de la désespérance, vous le savez bien. Votre
projet de loi offre quelques avancées – je pense au minimum de retraite, même
s’il ne couvrira pas tout le monde, comme Damien Abad l’a souligné.
La
situation des agriculteurs « en stock », pour reprendre l’expression,
constitue un vrai problème. Nous proposons pour notre part un
financement.
J’en viens à ma dernière remarque. Vous augmentez les
cotisations vieillesse des travailleurs non salariés – dont les exploitants
agricoles –, et diminuez leurs autres prélèvements, atteignant une sorte
d’équilibre, quoique l’impact de ces mesures soit différent d’une profession à
l’autre, puisqu’elles ne sont pas soumises, actuellement, aux mêmes taux de
cotisation.
Dans votre étude d’impact, un graphique très clair
montre que les exploitants agricoles perdront 100 millions d’euros avec
votre réforme : leurs cotisations vieillesse augmenteront de
400 millions, quand les autres prélèvements diminueront de
300 millions. Comment expliquez-vous ce problème ? Comment
comptez-vous compenser cette augmentation ? (« Très
bien ! » et applaudissements sur les bancs
du groupe LR.)
M. Damien
Abad. C’est ça, la vraie question !
M. le
président. La parole est à M. Alain David.
M. Alain
David. J’ai assisté à une assemblée générale des retraités de
l’agriculture de mon département. Ils relatent vos rencontres avec eux d’une
manière très différente de la vôtre – je ne sais pas quel genre de
retraités agricoles vous rencontrez. (Exclamations sur plusieurs bancs des
groupes LaREM et MODEM.)
M.
Jean-Paul Dufrègne. Ah, moi non plus !
M. Rémy
Rebeyrotte. Ceux de Saône-et-Loire – et il y en a !
M. Alain
David. En tout cas, ceux que j’ai rencontrés sont furieux !
(Mêmes mouvements.) Ils croyaient dans vos promesses. Quelle
déception !
M. Roland
Lescure. On croit rêver !
M. Alain
David. Certains avaient voté pour vous justement pour ces promesses.
M. Rémy
Rebeyrotte. Eh bien, les agriculteurs sont satisfaits, je crois.
M. Alain
David. Le Président de la République, sur une autre question, vous a
demandé de faire preuve d’humanité – mais en êtes-vous même capables…
(Vives protestations sur les bancs des groupes LaREM et
MODEM.)
…vis-à-vis de ceux qui nourrissent les Français ?
(M. Stéphane Peu applaudit.)
M. le
président. La parole est à Mme Fadila Khattabi.
Mme Fadila
Khattabi. Mes chers collègues, les amendements de suppression de cet
article sont lunaires. Moi aussi, j’ai participé à une réunion en Côte-d’Or. La
salle était bondée d’agriculteurs – au moins 250.
(« Oh ! »,
« Incroyable ! » sur
les bancs du groupe LR.)
Tous ont salué les avancées du projet de
loi.
Mme
Marie-Christine Dalloz. C’est qu’ils n’avaient pas encore
compris !
Mme Fadila
Khattabi. Ils m’ont fait part de leur espoir que nous ne reculions pas.
(Applaudissements sur plusieurs bancs des groupes LaREM et MODEM.)
M. Thibault
Bazin. Résultat, vous avez reculé samedi, au Salon de
l’agriculture !
Mme Fadila
Khattabi. Ils saluent le minimum contributif prévu dans ce texte et les
avancées en matière de solidarité, à tel point qu’ils souhaitent que le minimum
contributif ne vaille pas seulement pour le « flux », mais aussi pour
le « stock ». Le Président de la République a répondu.
Vous qui
siégez sur les bancs de droite et de gauche, vous avez été au pouvoir !
Pourquoi n’avez-vous pas pris cette mesure ? Pourquoi ?
M. Patrice
Verchère. Parlez pour vous ! Votre groupe est composé pour moitié
de députés de droite et de gauche qui ont trahi !
Mme Fadila
Khattabi. Vous demandez que ce projet de loi règle à la fois les
problèmes de l’avenir et ceux que vous n’avez pas su régler !
(« Bravo ! » et
applaudissements sur les bancs des groupes LaREM et MODEM. – Exclamations
continues sur les bancs du groupe LR.)
M. Maxime
Minot. Vite ! Une camomille pour Mme la députée !
Mme
Marie-Christine Dalloz. On croit rêver en entendant ça !
M. le
président. Chers collègues, s’il vous plaît.
Rappels au règlement
M. le
président. La parole est à M. Rémy Rebeyrotte, pour un rappel au
règlement.
M.
Jean-Paul Dufrègne. Et voici l’exercice d’obstruction qui
recommence !
M. Rémy
Rebeyrotte. J’ai participé aux mêmes réunions agricoles que
Mme Khattabi, aussi en Bourgogne, où elles sont larges.
M. le
président. Sur quel article se fonde votre intervention, cher
collègue ?
M. Rémy
Rebeyrotte. Sur l’article 58 du règlement.
M. Maxime
Minot. La majorité n’arrête pas d’interrompre les débats !
M. Rémy
Rebeyrotte. On nous a accusés pendant deux jours d’être
méprisants ; on nous qualifie maintenant
d’« inhumains ».
Pour ma part, je ne vous ferai jamais ce
procès-là, qui est scandaleux. (Vive approbation sur plusieurs bancs du
groupe LaREM.) Nous sommes humains, nous pratiquons l’humanisme, et je veux
que cela soit reconnu.
M. Aurélien
Pradié. Magnifique ! Nous sommes émus !
M. Rémy
Rebeyrotte. Vos propos sont inqualifiables. L’obstruction est une chose,
l’injure en est une autre ! (Applaudissements sur les bancs des groupes
LaREM et MODEM. – Échanges de bancs à bancs.)
M. Aurélien
Pradié. Quelle indignation touchante !
M. Stéphane
Peu. Le Président de la République lui-même vous reproche votre manque
d’humanité !
M.
Jean-Paul Dufrègne. Vous nous avez même appelés des
« riens » !
Mme Nadia
Hai. Vous pouvez parler ! Vous-mêmes, vous nous traitez de robots
et de Playmobils !
M. Aurélien
Pradié. Pauvres Caliméros !
M. le
président. S’il vous plaît, mes chers collègues !
M. Régis
Juanico. Il faudrait une suspension de séance pour ramener le calme…
(Sourires.)
M. le
président. La parole est à M. Adrien Quatennens, pour un rappel au
règlement.
M. Adrien
Quatennens. Il se fonde sur l’article 100, relatif à la bonne tenue
et la sincérité de nos débats. Vous vous plaignez d’invectives, mais, en
l’occurrence, c’est vous qui causez de nouveau des incidents de séance. On
connaît bien la technique,…
M. Rémy
Rebeyrotte. Ça suffit, les insultes !
M. Adrien
Quatennens. …que vous avez attendu 23 heures pour utiliser, les
deux jours précédents. (Vives exclamations sur plusieurs bancs des groupes
LaREM et MODEM.) Quand les débats sont de bonne tenue, que les échanges sont
argumentés, comme peut en témoigner le président, les arguments en faveur du
recours à l’article 49, alinéa 3, s’affaiblissent.
M. Roland
Lescure. Vous en rêvez, du 49.3 !
M. Adrien
Quatennens. Vous avez donc besoin d’organiser le bazar en séance, par ce
genre d’interventions.
Puisque mon rappel au règlement concerne la
sincérité des débats, je vous donne mon bilan de dix jours de débats sur ce
texte. Vous annoncez que les agriculteurs auront droit à 1 000 euros
de retraites minimum – c’est un mensonge ; que les femmes…
M. le
président. Monsieur Quatennens, s’il vous plaît, attendez !
M. Adrien
Quatennens. … seront les grandes gagnantes de ce projet de loi
– mensonge aussi. La valeur du point… (Vives protestations sur les bancs
des groupes LaREM et MODEM. – M. le président coupe le micro
de l’orateur.)
M. le
président. Monsieur Quatennens, vous ne pouvez pas profiter du rappel au
règlement pour traiter du fond. Je vous laisse conclure.
M. Adrien
Quatennens. Je ne cherche pas à relancer le débat, mais à montrer la
stratégie de la majorité, qui cherche à faire croire à une obstruction – si
nous poursuivions réellement cet objectif, nous ne serions vraiment pas à la
hauteur des pratiques qui ont prévalu lors des grandes heures de l’Assemblée, et
vous le savez très bien.
Par ailleurs, sur l’ensemble des points qui ont
été mis en avant auprès du grand public, qui nous regarde, malgré les éléments
de langage qui ont été ressassés, au point de s’imprimer dans les esprits, les
débats montrent les mensonges éhontés… (Vives exclamations sur les bancs des
groupes LaREM et MODEM.)
M. Jacques
Maire. Il recommence !
M. Adrien
Quatennens. …de la majorité, notamment sur les
agriculteurs.
Comment parler de sincérité des débats, quand vos éléments
de langage ont été vidés de leur sens ? Sur quoi s’appuient nos
débats ?
M. le
président. Sur des articles et des amendements, monsieur
Quatennens.
La parole est à M. Serge Letchimy, pour un rappel au
règlement.
M. Serge
Letchimy. Il se fonde sur l’article 58, relatif à la bonne tenue
des débats, à laquelle je suis attaché. Restons sages, calmons-nous et
poursuivons le débat. Je peux comprendre qu’il soit blessant de se voir
reprocher d’avoir une attitude inhumaine – faisons preuve de sagesse.
M. Aurélien
Pradié. Bien sûr qu’ils n’ont pas été blessés !
M. Serge
Letchimy. En même temps, l’incompréhension suscitée par la majorité
pourrait être justifiée. Qui a promis de régler le problème des faibles
pensions ? C’est Mme Buzyn, membre du Gouvernement. (Vives
exclamations sur plusieurs bancs des groupes LaREM et MODEM.)
M. Sylvain
Maillard. Elle n’est pas au Gouvernement ! Elle est candidate à la
mairie de Paris !
M. Thibault
Bazin. Elle a fui le coronavirus, dès qu’elle a vu la pandémie
arriver !
Mme
Marie-Christine Dalloz. Elle est partie en rase campagne !
M. Serge
Letchimy. Elle y était !
M. le
président. Cher collègue, je vous remercie pour les paroles d’apaisement
du début de votre intervention. Toutefois, vous ne pouvez pas revenir sur le
fond du débat lors d’un rappel au règlement. Je vous laisse néanmoins
conclure.
M. Serge
Letchimy. Quand elle était au Gouvernement, Mme Buzyn avait annoncé
clairement qu’en 2020, les petites pensions seraient revalorisées, en reprenant
des dispositions de la proposition de loi de M. Chassaigne. La promesse n’a
pas été tenue ; c’est notre droit de dire que ce n’est pas respectable.
M. le
président. La parole est à M. Patrick Mignola, pour un rappel au
règlement.
M. Patrick
Mignola. Ce rappel est fondé sur les articles 58 et 70,
alinéa 2, du règlement.
Prétendre que des collègues, dans
l’hémicycle, et quand bien même ils ne partageraient pas vos convictions, font
preuve d’inhumanité me semble bien un fait personnel caractérisé. En
l’occurrence, il est même collectif !
N’essayez pas de démontrer que
la majorité cherche à faire de l’obstruction, c’est risible. Depuis le début de
l’après-midi, les débats se déroulaient convenablement, et il a fallu que vous
nous traitiez d’inhumains ! Cela fonde bien un rappel au règlement tout à
fait légitime. (Applaudissements sur les bancs des groupes MODEM et
LaREM.)
M. Régis
Juanico. Calimero !
Article 5 (suite)
M. le
président. Je mets aux voix les amendements no 491 et
identiques.
(Il est procédé au scrutin.)
M. le
président. Voici le résultat du
scrutin :
Nombre de
votants 90
Nombre
de suffrages
exprimés 90
Majorité
absolue 46
Pour
l’adoption 29
Contre 61
(Les amendements no 491 et identiques
ne sont pas adoptés.)
Suspension et reprise de la séance
M. le
président. La séance est suspendue.
(La séance, suspendue à dix-sept heures trente, est reprise à dix-sept
heures quarante.)
M. le
président. La séance est reprise.
La parole est à M. Alexis
Corbière, pour soutenir l’amendement no 15675 et les quinze
amendements identiques déposés par les membres du groupe La France
insoumise.
M. Alexis
Corbière. Ces amendements, qui visent à supprimer l’alinéa 1 de
l’article 5, sont une manière de faire à nouveau entendre notre désaccord
avec votre proposition.
Tout d’abord, nous nous interrogeons sur
l’absence d’étude d’impact de plusieurs dispositions prévues dans
l’article.
Par ailleurs, les mesures proposées à l’article 5 ont
souvent été présentées dans la presse comme permettant aux agriculteurs de
bénéficier enfin d’une retraite de 1 000 euros. C’est inexact car, de
ce que nous en avons compris, ces mesures ne concernent en réalité que les chefs
d’exploitation agricole dont la carrière est complète, qui ont cotisé durant
quarante-trois ans à hauteur du salaire minimum de croissance – SMIC. Cela
ne représente qu’un segment extrêmement réduit des agriculteurs et, selon de
nombreux spécialistes, exclut près de 40 % des chefs d’exploitation. Il
semblerait également que les conjoints, le plus souvent des femmes, soient
exclus du dispositif, ce qui pose difficulté.
Enfin, je rappelle qu’au
moins 22 % des agriculteurs vivent sous le seuil de pauvreté et ne seront
pas concernés par la mesure que vous proposez. Nous sommes donc en désaccord
avec l’intégralité de l’article 5, raison pour laquelle nous avons déposé
ces amendements.
M. le
président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. Laurent
Pietraszewski, secrétaire d’État. Monsieur le député Corbière,
j’avais compris que vous étiez en désaccord avec cet article, comme d’ailleurs
avec l’ensemble du projet de loi. J’aimerais apporter quelques précisions à
l’avis défavorable que j’émets sur votre amendement, car pour ma part je défends
ce texte et j’y crois – même si je ne suis pas certain de parvenir à vous
convaincre au cours de nos séances.
Le président Woerth s’inquiétait tout
à l’heure d’une éventuelle hausse des cotisations pour les exploitants agricoles
percevant les revenus les plus élevés. Il s’agit au maximum de 2,5 points
d’augmentation et cette hausse progressive, limitée aux plus hauts revenus, sera
lissée sur quinze ans, en concertation avec la profession.
Ce qu’il faut
surtout noter concernant la profession agricole, c’est la baisse de cotisations
que j’ai déjà évoquée, liée au passage, à partir de 2025, de la base de
cotisation minimale de 800 heures à 600 heures payées au SMIC. Nous en
reparlerons lorsque nous évoquerons l’article 22. Cette évolution se fait
de concert avec une augmentation très significative du montant des pensions. Au
total, 40 % des exploitants agricoles verront ainsi leur pension
augmenter.
Une question technique m’a été posée par le président Abad au
sujet des jeunes agriculteurs. Sur ce sujet, nous avons déposé un amendement
no 33592 à l’article 20. Il permettra, je crois, de rassurer
M. Abad ainsi que l’ensemble des députés sur ces bancs, y compris
M. Corbière, quant au maintien pour les jeunes agriculteurs d’exonérations
compensées par l’État. Nous y reviendrons lors de la discussion sur
l’article 20.
M. Roland
Lescure. Si nous y parvenons !
M. le
président. La parole est à M. Patrice Verchère.
M. Patrice
Verchère. Je souhaite m’exprimer au sujet de l’article 5 en
général. Vous le savez, les agriculteurs demandent de longue date une
revalorisation urgente de leurs pensions de retraite ; ils ont renouvelé
leur revendication encore récemment à l’approche du Salon de l’agriculture. Le
Président de la République a jugé samedi dernier qu’il était impossible de
revaloriser les pensions actuelles à 85 % du SMIC. Pourtant, cette mesure
avait été largement promue par le Gouvernement lorsqu’il a commencé à présenter
votre projet de loi. Vous avez mis en avant ce nouveau dispositif en vous
gardant bien de préciser qu’il ne concernerait que les futurs retraités. Un
espoir était né chez l’ensemble des retraités agricoles actuels, qui a été déçu,
comme nous avons pu le constater cette semaine à l’occasion du Salon. Mais au
tout début, cela leur avait réellement été vendu comme cela ! Peut-être
est-ce une erreur de votre prédécesseur ; toujours est-il qu’elle a été
faite.
De nombreux agriculteurs considèrent aujourd’hui qu’ils ont été
menés en bateau par le Gouvernement. Il me semble important de rappeler qu’en
février 2017, l’Assemblée nationale avait voté à l’unanimité la proposition de
loi de notre collègue Chassaigne prévoyant cette revalorisation. J’ai bien
entendu la majorité, qui nous rappelle que c’était deux mois avant les élections
législatives…
M. Roland
Lescure. Eh oui !
M. Patrice
Verchère. C’est vrai ! Mais nombreux sont sur les bancs de la
majorité les anciens socialistes, anciens Républicains ou anciens membres
d’UDI-Agir qui avaient eux-mêmes voté cette proposition à l’époque – y
compris d’anciens ministres, ou députés devenus ministres !
M. Roland
Lescure. Pour ma part je n’étais pas là,
monsieur Verchère !
M. Patrice
Verchère. Cessez donc de prétendre que rien n’a été fait avant car, ce
faisant, vous critiquez la plupart de vos collègues qui ont retourné leur veste
au moment des élections législatives !
Le Gouvernement avait bloqué
cette proposition de loi au Sénat, où son examen en séance publique avait débuté
en mars 2018. Pour justifier ce blocage, il nous avait été précisé que la
revalorisation des pensions des agriculteurs serait intégrée à la grande réforme
des retraites. M. Castaner, qui était alors secrétaire d’État chargé des
relations avec le Parlement, l’avait précisé à une occasion où il avait remplacé
Mme Buzyn.
M. le
président. Il faut conclure, cher collègue…
M. Patrice
Verchère. Je ne pourrai citer l’ensemble de son propos mais je vous
invite à lire le compte rendu de la séance publique du Sénat du 7 mars
2018. (Applaudissements sur les bancs du groupe LR.)
M. le
président. La parole est à M. Yves Daniel.
M. Yves
Daniel. Je trouve vos propos choquants, mes chers collègues.
M. Vincent
Descoeur. Est-il choquant de défendre les agriculteurs ?
M. Yves
Daniel. Lorsque vous parlez des paysans, vous oubliez qu’il y en a dans
cet hémicycle – à commencer par le rapporteur M. Turquois. Vous parlez
de nous ! Quand je vous entends affirmer que les agriculteurs doivent
rester dans le système de retraite de 1945, je me dis qu’il y a un vrai
problème. (M. Jean-René Cazeneuve
applaudit.)
Pour une fois, le monde paysan dans sa globalité convient
de l’avancée historique que constitue ce projet de loi pour sa retraite, qui
témoigne d’une reconnaissance à son égard. Mais vous voulez revenir au système
de 1945 ! Ce n’est pas tolérable. Les paysans ont droit à une
reconnaissance, raison pour laquelle les nouveaux retraités se verront accorder
une pension minimale équivalente à 85 % du SMIC. Bien sûr, il faut aussi
traiter le stock. Ce sera le rôle de la mission parlementaire annoncée à ce
sujet, qui nous permettra d’avancer. (Mme Monique Limon
applaudit.)
Il est vrai enfin, comme certains l’ont dit, que la
reconnaissance des paysans passe d’abord par leur revenu et l’amélioration de
leur qualité de vie. À cet égard, la mission de notre collègue Damaisin
consacrée au mal-être paysan permettra elle aussi des avancées. Si vous croyez
que nous ne progressons pas vers plus de solidarité et vers une meilleure prise
en compte de l’humain, je ne comprends plus rien, et je suis choqué !
(Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe LaREM.)
M. le
président. La parole est à M. Régis Juanico.
M. Régis
Juanico. Il ne s’agit pas de pointer du doigt une majorité en
particulier. Ce n’est en tout cas pas mon propos. La situation objective,
aujourd’hui, est qu’un grand nombre de retraités agricoles sont pauvres :
300 000 d’entre eux vivent sous le seuil de pauvreté. Le montant moyen
de leurs pensions mensuelles s’établit à environ 750 euros ; c’est
l’un des plus faibles en France, et il équivaut à la moitié de la moyenne des
pensions françaises. Pour les femmes, le montant s’établit même à 580 euros
par mois.
C’est cette situation que, collectivement sur les bancs de
l’Assemblée, nous refusons. Les responsabilités passées sont bien sûr partagées.
Mais dire que rien n’a été fait n’est pas acceptable non plus. Des efforts,
certes insuffisants, ont été faits par les gouvernements Jospin et Ayrault
– Yves Daniel le sait bien. Une entente entre parlementaires a aussi existé
autour de propositions de loi issues de divers groupes, notamment de la Gauche
démocrate et républicaine, faisant l’unanimité.
Ce qui pose problème
aujourd’hui, c’est le revirement intervenu après qu’un engagement avait été pris
au sommet de l’État. Au-delà de cette question, ce qui est choquant concernant
la réforme des retraites, c’est que vous soyez capables d’attribuer un cadeau de
3,7 milliards d’euros au travers de la baisse des cotisations sur les plus
hauts revenus, mais que vous ne soyez pas capables d’accorder 400 millions
d’euros aux retraités agricoles actuels. C’est cela qui, selon moi, pose
problème ! Bien sûr, vous allez éluder la question en confiant des missions
à des parlementaires. Mais sommes-nous capables au moins de considérer tous
ensemble qu’il est inacceptable qu’il y ait autant de retraités pauvres dans le
milieu agricole ? Pour ma part je le crois. Il faut que nous puissions
intégrer à la réforme les agriculteurs aux carrières hachées, ainsi que leurs
conjoints et tous ceux qui doivent être concernés par cette mesure. Essayons
d’avancer et faisons de cet objectif une réalité, et non un revirement.
M. Serge
Letchimy. Très juste !
M. le
président. La parole est à M. M’jid El Guerrab.
M. M’jid El
Guerrab. Je suis très peu intervenu dans ce débat sur les retraites,
pour de multiples raisons. J’écoute beaucoup. Mais le sujet dont nous discutons
actuellement me touche de façon intime et personnelle. Nous avons souvent
entendu dans l’hémicycle des députés partager leurs témoignages personnels et
leur histoire. Pour ma part, il m’est difficile d’entendre les retraités
agricoles qualifiés de « stock ». Il s’agit de ceux qui sont
aujourd’hui à la retraite – celle de la MSA –, comme mon papa, qui
perçoit à peine quelques centaines d’euros de pension…
M.
Jean-Paul Dufrègne. C’est ce que nous dénonçons !
M. M’jid El
Guerrab. …alors qu’il a travaillé toute sa vie en tant qu’ouvrier
agricole, après être arrivé de son pays, le Maroc. Mon papa a dormi pendant de
nombreuses années sur de la paille, dans les années soixante-dix, et a travaillé
dans les bois, dans le Cantal. C’est pour ces retraités que je souhaite
intervenir, pour dire que ce stock, ces êtres humains, ces agriculteurs et
personnels agricoles méritent mieux qu’une mission ou un geste. Ils méritent de
la reconnaissance pour le travail qu’ils ont accompli.
Pour dire à quel
point nous attendons de ce geste et de cette mission, je voudrais citer
Geronimo : « Quand le dernier arbre aura été abattu, quand la dernière
rivière aura été empoisonnée, quand le dernier poisson aura été pêché, alors on
saura que l’argent ne se mange pas. » (Applaudissements sur les bancs du
groupe LT et sur quelques bancs des groupes GDR et SOC.)
M. le
président. La parole est à M. Alexis Corbière.
M. Alexis
Corbière. Je regrette, même si les échanges sont fructueux, que
M. le secrétaire d’État et M. le rapporteur n’aient pas répondu à ce
que j’ai dit en présentant cet amendement. Vous avez souvent indiqué, lors la
présentation de ce projet de loi, que certaines professions seraient moins
gagnantes que d’autres avec le nouveau système de retraite, mais que l’une
d’entre elles au moins serait gagnante : les paysans. Et, membres du
Gouvernement comme représentants de la majorité, vous avez répété dans le débat
public, dans les médias, qu’ils bénéficieraient d’une retraite de
1 000 euros.
J’ai souligné tout à l’heure que cela ne
concernait que les chefs d’exploitation ayant cotisé pendant quarante-trois ans
à hauteur du SMIC, ce qui ne représente qu’une petite partie de la profession.
Les 40 % de personnes qui ne sont pas concernées par votre dispositif, ça,
c’est un nombre significatif ! Or vous ne répondez pas à cet argument. Cela
rend mensongères, pardon de vous le dire ainsi, les annonces qui avaient été
faites aux Français auparavant, et suscite une colère dans la profession. De
nombreux chefs d’exploitation se sentent en effet floués. Vous ne répondez pas
sur ce point et les mesures que vous proposez ne s’attaquent pas à la réalité
terrible de la profession : des pensions moyennes de 760 euros par
mois et des femmes, les compagnes des chefs d’exploitation, qui ne bénéficieront
pas non plus de cette pension minimale.
Il est trop facile de nous dire
que la situation actuelle est terrible et que nous serions cruels de ne pas
voter l’article 5 : il ne règle pas la situation ! Il est en
total décalage avec les promesses que vous avez faites à beaucoup de gens, qui y
ont manifestement cru mais s’aperçoivent finalement que la réalité est bien
différente.
M. le
président. La parole est à M. Patrick Mignola.
M. Patrick
Mignola. Je vais répéter ce que j’ai déjà dit, mais un peu différemment,
car nous avons déjà abordé ce sujet à de nombreuses reprises.
J’aimerais
dire, au nom du groupe que j’ai l’honneur de présider, que les agriculteurs ne
sont ni un flux ni un stock. Ces mots sont technocratiques. (Applaudissements
sur plusieurs bancs du groupe MODEM et quelques bancs du groupe LaREM.)
M. Patrice
Verchère. Ce sont les mots du Président de la République !
M. Patrick
Mignola. Bien sûr, cette loi concerne les retraités futurs, les
agriculteurs qui seront les pensionnés de demain, et elle fera mieux pour eux
que pour les autres car elle le fera dès le 1er janvier 2022.
Mais tous les intervenants qui se sont exprimés ont ceci en tête : nous
devrons bien sûr traiter la question des retraités actuels ! Je fais
toutefois observer, car cela aura des incidences financières majeures, que si
nous le faisons pour les agriculteurs, il faudra le faire également pour les
commerçants et les indépendants, dans un souci de justice.
(Mme Monique Limon et M. Roland Lescure
applaudissent.)
M.
Jean-Paul Dufrègne. Commençons par les agriculteurs !
M. Patrick
Mignola. Avec d’autres membres de la majorité – mais je suis
certain, néanmoins, que nous pouvons nous entendre sur le sujet avec les groupes
d’opposition – nous souhaitons que les parlementaires puissent formuler des
propositions pour le projet de loi de financement de la sécurité
sociale 2021. Je comprends qu’il puisse y avoir des échanges entre majorité
et opposition avec, le cas échéant, des procès d’intention à la clé. C’est tout
à fait normal. Mais j’aimerais que nous puissions prendre l’engagement de
définir le périmètre des populations concernées – des femmes et des hommes
concernés – et le poids budgétaire que cela représenterait. On entend en
effet les chiffres les plus fous : c’est à un zéro près ! Nous
pourrions aussi définir le calendrier de réparation de ces situations
indignes.
Nous pouvons nous atteler à ce travail tous ensemble et prendre
l’engagement d’entrer, dès 2021, dans cette société qui, retrouvant du progrès
peut le partager et, retrouvant des moyens financiers, peut les redistribuer.
(Applaudissements sur les bancs du groupe MODEM et quelques bancs du groupe
LAREM.)
M. Roland
Lescure. Très bien !
M. Sylvain
Maillard. Excellent !
M. le
président. Un membre de chaque groupe s’étant exprimé, nous en resterons
là. Il ne s’agit jamais avec cet amendement que de la suppression d’un
alinéa.
Mme
Marie-Christine Dalloz. Très bien !
(Les amendements
no 15675 et identiques ne
sont pas adoptés.)
M. le
président. La parole est à M. Serge Letchimy, pour soutenir
l’amendement no 24941.
M. Serge
Letchimy. Monsieur le président Mignola, je souscris à votre
déclaration. Comme nous sommes tous d’accord et que les pensionnés actuels de
l’agriculture ne sont pas concernés par le présent projet de loi, vous demandez
officiellement, en tant que membre de la majorité – cette précision est
très importante – au Président de la République, au Premier ministre et au
secrétaire d’État chargé des retraites, ici présent, de prendre l’engagement de
réparer cette injustice dans le cadre de la prochaine loi de finances. Je vous
prends au mot. Que répond M. le secrétaire d’État ?
Je reviens
à la proposition de loi présentée en 2017 par André Chassaigne et Huguette
Bello, adoptée par l’Assemblée nationale à l’unanimité, sans dissensions ni
antagonismes. Au Sénat, la commission des affaires sociales lui a donné un avis
favorable mais c’est le Gouvernement qui, en 2018, en séance publique, a demandé
le rejet de cette mesure, par un amendement que Mme Buzyn avait justifié en
ces termes : « l’amélioration des petites pensions agricoles ne peut
être envisagée indépendamment des autres évolutions qui affectent notre système
de retraite ». Ainsi, le Gouvernement avait reporté cette mesure à 2020.
Nous y sommes ! Ma question est centrale : la majorité va-t-elle
respecter l’engagement du Gouvernement exprimé par Mme Buzyn ?
M. Bruno
Millienne. Les propos de Mme Buzyn ne contredisent pas notre
position !
M. Serge
Letchimy. La majorité vous respecte-t-elle, monsieur Mignola, au point
de prendre l’engagement de régler ce problème des petites retraites et de ne pas
tromper la population ? (Applaudissements sur les bancs du groupe
GDR.)
M. le
président. La parole est à M. Rémi Delatte.
M. Rémi
Delatte. Vous avez fait naître des espoirs dans le monde paysan. Vous
avez constamment répété une promesse, que ce soit dans cet hémicycle ou même
publiquement devant les organisations professionnelles. Aujourd’hui, on a du mal
à comprendre pourquoi l’ensemble des agriculteurs ne peuvent pas bénéficier de
cette réévaluation de leurs pensions.
C’est le Salon de l’agriculture.
Tous les responsables politiques, y compris le Président de la République, le
Premier ministre et les membres du Gouvernement, ont visité le Salon. Cela
aurait pu représenter une belle opportunité pour dire aux agriculteurs que vous
les aviez entendus, compris, et que vous proposiez une revalorisation des
retraites des paysans.
La revalorisation prévue ne concernera guère plus
d’un paysan sur deux. Ce n’est pas beaucoup, au regard des annonces qui ont été
faites ! L’examen de ce projet de loi sur les retraites doit être
l’occasion pour nous de reconsidérer cette situation.
J’ajoute que les
agriculteurs actuellement à la retraite ne pourront pas bénéficier de cette
réévaluation. Encore une fois, c’est un affront que vous faites à des
professionnels qui ont beaucoup travaillé, parfois dans des conditions très
difficiles, et qui sont soumis à des pressions de plus en plus fortes. Je le
répète, les exclure de cette mesure serait profondément injuste.
Enfin,
j’aimerais que nous retirions de notre vocabulaire le terme de
« stock ». (M. Erwan Balanant et
Mme Maud Petit applaudissent.) Imaginez l’image que cette
expression peut renvoyer du monde paysan, qui semble aujourd’hui bien
dévalorisé ! (M. Alain Ramadier
applaudit.)
M. le
président. La parole est à M. Jean-Paul Dufrègne.
M.
Jean-Paul Dufrègne. M. Delatte vient d’exprimer en partie ce que je
voulais dire sur l’utilisation du terme de « stock ». Quand je faisais
de la comptabilité, il fallait valoriser les stocks ; or nous parlons ici
d’hommes et de femmes, comme cela a été rappelé tout à l’heure. Nous avons
évoqué tout à l’heure la nécessité de faire preuve d’humanité. Si nous voulons
rendre hommage aux retraités agricoles, nous devons parler d’hommes et de femmes
qui ont travaillé dur toute leur vie. (Applaudissements.) Je ne
reviendrai pas plus longuement sur ces hommes et ces femmes dont nous avons déjà
longuement parlé et pour lesquels nous devons rapidement trouver une
solution.
Je souhaite revenir sur la mesure que vous proposez. Bien sûr
que non, nous ne rejetons pas une avancée, c’est une évidence. Cependant, nous
nous interrogeons sur le fait qu’elle présente encore des trous dans la
raquette. On estime que moins d’un agriculteur sur deux pourra bénéficier du
dispositif que vous proposez, à savoir percevoir une pension représentant
85 % du SMIC. En effet, pour bénéficier de cette mesure, il faudra avoir
cotisé sur une base de 600 heures de SMIC par an, validé quarante-trois
annuités et atteint l’âge d’équilibre de 65 ans ; or certaines
carrières hachées et certaines périodes ne sont pas reconnues. Je pense par
exemple aux agriculteurs qui ont été aides familiaux et ont participé à ce titre
aux travaux de l’exploitation avant la transmission de cette dernière par leurs
parents sans être déclarés : ils ont beaucoup travaillé et ne voient pas
aujourd’hui ce travail reconnu.
Si vous installez une mission, je propose
qu’elle s’attelle à évaluer les conséquences du fait que beaucoup d’agriculteurs
ne sont pas concernés par votre proposition – une situation que l’étude
d’impact n’a pas véritablement démontrée. (Applaudissements sur les bancs du
groupe
GDR. – Mme Caroline
Fiat applaudit également.)
M. le
président. La parole est à M. Bruno Millienne.
M. Bruno
Millienne. Je suis vraiment ravi des échanges que nous avons. Enfin, le
débat est constructif !
M. Régis
Juanico. Il l’est aussi sur d’autres sujets !
M. Bruno
Millienne. Enfin, nous parvenons à trouver des solutions communes !
(Applaudissements sur quelques bancs du groupe MODEM.)
Mes chers
collègues, nous ne pouvons évidemment pas régler le problème des agriculteurs
qui sont déjà à la retraite dans le présent projet de loi. Vous ne croyez
peut-être pas aux missions. Je ne veux pas entrer dans la polémique, mais on
nous a reproché, il y a deux ou trois jours, d’avoir quelque quatre-vingt-neuf
parlementaires en mission, et j’ai entendu dire que cela ne servait à rien… Mais
qu’il ne reste que celle-ci !
Le monde agricole souffre, et nous le
savons tous. Il n’y a pas un seul député dans cet hémicycle, y compris de
l’extrême-gauche et même de l’extrême-droite – et pourtant ce ne sont pas
forcément mes amis – qui ne veuille résoudre la crise agricole.
(Applaudissements sur quelques bancs des groupes MODEM et LaREM.) Tout le
monde veut en sortir ! Il n’est pas normal que les gens qui nous
nourrissent ne puissent pas profiter d’abord d’un salaire décent pour vivre et,
ensuite, d’une retraite décente pour continuer à vivre.
(M. Frédéric Petit applaudit.)
Chers amis,
cette mission est lancée, et elle se fera. J’accepte, au nom de mon groupe, la
proposition formulée par les députés communistes : dans le cadre de cette
mission, nous traiterons évidemment tous les angles morts qui ont été soulevés,
si angle mort il y a, et nous y répondrons pour le bien des agriculteurs. En
tout cas, merci pour ce moment d’humanité et d’unanimité !
(Applaudissements sur plusieurs bancs des groupes MODEM et
LaREM.)
M. le
président. La parole est à M. Alain Perea.
M. Alain
Perea. Depuis de très nombreuses heures, j’écoute les interventions de
chacun. De temps en temps, je m’énerve mais des collègues arrivent à me calmer…
Je ne suis pas intervenu dans le débat pour ne pas en rajouter. Mais là, je ne
peux pas me retenir !
Je suis député de la circonscription de
Narbonne. Narbonne, c’est le Midi rouge. Narbonne, ce sont les révoltes
viticoles depuis 1907. Narbonne, c’est l’endroit où, depuis toujours, les
agriculteurs souffrent et se révoltent. Je n’ai pas mesuré si j’avais rencontré
plus ou moins de retraités que vous, car nous avons tous fait le même boulot et
essayé d’être sur le terrain. Je vous rappellerai juste que, dans le Midi rouge,
les agriculteurs et plus particulièrement les viticulteurs n’attendent pas que
les élus viennent les voir : ils viennent les chercher s’ils ont besoin de
leur dire un certain nombre de choses ! (Rires.)
M.
Jean-Paul Dufrègne. Chez nous aussi !
M. Alain
Perea. Rassurez-vous, je les ai vus, et si je n’avais pas fait la
démarche, ils seraient venus me chercher !
Je voudrais juste dire
deux choses que j’ai sur le cœur.
Tout d’abord, nous allons travailler
sur la situation des agriculteurs actuellement à la retraite : je mets
beaucoup d’espoir dans la future mission et, sur ce point, je rejoins
complètement les propos de Bruno Millienne. Si nous avions traité ce sujet dans
le présent projet de loi, nous aurions également dû traiter la situation de
toutes les autres personnes actuellement à la retraite, et nous aurions alors dû
ouvrir un certain nombre de dossiers qui auraient pu être très compliqués. Mais
je ne veux pas polémiquer.
Cet article 5, je le défends de tout
cœur, parce que je suis issu d’une famille d’agriculteurs qui ont terminé leur
vie avec des retraites de misère, et parce que j’ai des voisins qui vivent
actuellement avec des retraites de misère. Depuis 1907, les uns et les autres,
sur ces bancs, n’avez pas forcément fait ce qu’il fallait faire. Alors, je veux
bien que vous nous reprochiez de ne pas faire assez, mais sachez que ces gens-là
n’oublieront jamais que vous, vous n’avez rien fait ! (Applaudissements
sur plusieurs bancs des groupes LaREM et MODEM.)
M.
Jean-Paul Dufrègne. On est sorti de l’unanimité !
M. Éric
Woerth. Vous êtes complètement déconnecté de la réalité ! Personne
ne vous a attendu pour agir en faveur du monde rural !
M. le
président. La parole est à Mme Jeanine Dubié.
Mme Jeanine
Dubié. Beaucoup de choses ont été dites. Il est important de tenir
compte de la situation particulière, en matière de retraites, des agriculteurs,
mais aussi des artisans et commerçants. Après la guerre puis dans les années
soixante, lorsque la proposition leur a été à nouveau adressée, ils n’ont pas
souhaité intégrer le régime général. Cependant, la situation a changé – le
nombre de cotisants, d’actifs, a baissé dans ces secteurs – et il est
aujourd’hui véritablement nécessaire de trouver une solution pour les prochaines
années.
Il n’en reste pas moins qu’aujourd’hui, certains exploitants
agricoles retraités vivent avec de toutes petites pensions. J’entends qu’une
mission va être lancée, mais il existe un moyen très simple d’améliorer leur
situation. Aujourd’hui, pour porter sa retraite à un peu plus de 900 euros
par mois, il faut demander l’allocation de solidarité aux personnes âgées
– ASPA –, autrement dit le minimum vieillesse. Or les agriculteurs ne
sollicitent pas cette allocation, car elle fait l’objet d’un recours sur
succession si l’actif successoral net dépasse 50 000 euros. Il serait
très simple de relever ce plafond, par exemple à 150 000 euros, et de
ne le conserver que pour les allocataires détenant un très gros patrimoine.
Ainsi, nous trouverions très facilement une solution pour de nombreux
agriculteurs.
M. le
président. Mes chers collègues, vous êtes nombreux à m’avoir demandé la
parole. Cependant, après le présent amendement visant à supprimer les
alinéas 2 à 5, j’appellerai des amendements de suppression de
l’alinéa 2, puis de l’alinéa 3, de l’alinéa 4 et de
l’alinéa 5. Cette configuration vous permettra d’intervenir très largement.
Je ferai en sorte que chaque groupe puisse s’exprimer.
Je vais donc
mettre aux voix l’amendement no 24941.
(L’amendement no 24941 n’est pas
adopté.)
M. le
président. Je suis saisi de dix-huit amendements identiques. Cette série
comprend l’amendement no 591 ainsi que l’amendement
no 15692 et seize autres amendements identiques déposés par les
membres du groupe La France insoumise.
La parole est à M. Vincent
Descoeur, pour soutenir l’amendement no 591.
M. Vincent
Descoeur. Je souhaite profiter de l’examen de cet amendement pour vous
demander, monsieur le secrétaire d’État, de lever un doute s’agissant des
conditions à remplir pour bénéficier de la garantie de 1 000 euros au
terme d’une carrière complète.
Pour prétendre à cette pension mensuelle
de 1 000 euros, un agriculteur devrait avoir exercé quarante-trois ans
la profession de chef d’exploitation, ce qui risque d’exclure ceux
– nombreux – qui ont été aides familiaux ou collaborateurs au cours
d’une partie non négligeable de leur carrière. Monsieur le secrétaire d’État, je
souhaiterais que vous nous disiez très clairement si les agriculteurs qui auront
eu une carrière complète mais n’auront été chef d’exploitation que pendant une
partie de celle-ci pourront prétendre ou non à ce montant garanti de
1 000 euros. Il est important que vous leviez ce doute et que vous
répondiez aux interrogations légitimes des chefs d’exploitation qui ont été
aides familiaux ou salariés agricoles avant de pouvoir s’installer et de devenir
chef d’exploitation – des situations qui reflètent les parcours
d’installation.
Puisque l’on parle de minimum garanti, l’on ne peut pas
ne pas évoquer la situation des retraités actuels. Sur tous les bancs, il a été
souligné qu’ils perçoivent des pensions très modestes. Ils ne peuvent être
ignorés. Le constat est partagé de tous. Il ne s’agit pas de savoir à qui
imputer la responsabilité de cette situation, mais d’apporter une réponse à ces
hommes et à ces femmes et de mettre ainsi un terme à une injustice.
(Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe LR.)
M. le
président. La parole est à M. Adrien Quatennens, pour soutenir les
amendements no 15692 et identiques.
M. Adrien
Quatennens. Collègues, s’agissant des agriculteurs, nous ne vous
reprochons pas de ne pas en faire assez : nous vous reprochons d’avoir
trahi une promesse. Ce n’est pas exactement la même chose. Vous aviez clairement
annoncé, à cor et à cri, à qui voulait l’entendre, que les agriculteurs
pourraient toucher une retraite minimum de 1 000 euros.
M. Roland
Lescure. C’est faux !
M. Adrien
Quatennens. Or ceux qui sont déjà retraités et qui comptaient sur vos
promesses n’y auront pas accès : compte tenu de la grande diversité des
situations et du fait, souligné par Alexis Corbière, qu’avoir travaillé pendant
quarante-trois ans au SMIC n’est pas à la portée de tout le monde, 43 % des
agriculteurs au bas mot ne pourront pas toucher ces 1 000 euros. C’est
donc une promesse trahie. Dans un contexte, nos collègues l’ont rappelé,
particulièrement douloureux pour les agriculteurs et alors que la profession a
le plus grand mal à remplacer ceux qui partent à la retraite, le défi est de
taille et la trahison de cette promesse ne fera qu’aggraver leurs
difficultés.
De quoi souffrent les agriculteurs de ce pays ? D’un
modèle absurde avec lequel il faut rompre et dont ils sont les premiers à pâtir,
il faut le dire ! J’entends parler d’« agribashing » mais le
« bashing » doit être mené contre un modèle agricole dont nos
agriculteurs ne sont pas responsables. Ils sont totalement dépendants de
l’injonction absurde du marché à produire toujours moins cher, favorisant les
gigantesques exploitations agricoles alors que nous avons besoin d’une
production relocalisée, d’une agriculture paysanne qui soit vertueuse et
permette de prendre soin de la nature et des hommes, et en définitive de nos
assiettes.
M. Bruno
Millienne. Ça n’a rien à voir avec le texte !
M. Adrien
Quatennens. Voilà ce qu’il conviendrait de faire : passer d’une
agriculture intensive en chimie à une agriculture intensive en main-d’oeuvre et
permettre à toutes et tous d’acheter au bon prix, parce que l’injonction à
produire moins cher dégrade toujours davantage les conditions de production, y
compris sur le plan écologique. Or l’Union européenne, tant au travers du
fonctionnement actuel de la politique agricole commune que par les traités de
libre-échange qu’elle signe, aggrave encore la situation de nos
agriculteurs.
M. le
président. Quel est l’avis de la commission ?
M.
Guillaume Gouffier-Cha, rapporteur général. L’avis sera
défavorable à cette nouvelle proposition de suppression d’un alinéa. Par
ailleurs, monsieur Descoeur, les articles 40 et 41 répondent à l’ensemble
de vos questions. (M. Jean-René Cazeneuve
applaudit.)
M. Vincent
Descoeur. C’est inexact ! Ou alors cela signifie que les aides
familiaux sont exclus !
M. le
président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. Laurent
Pietraszewski, secrétaire d’État. Défavorable. Je me suis déjà
exprimé sur la notion de carrière complète, en précisant en outre que pour les
agriculteurs le niveau de cotisation passerait de 800 à 600 heures par an
au SMIC. La carrière complète se calculera sur l’ensemble de l’année :
s’ils ont cotisé l’équivalent de 600 heures SMIC, leur année sera validée.
Si tel n’est pas le cas, on regardera sur combien de mois ils auront atteint le
nombre de 50 heures. Cela facilite la réalisation du nombre d’heures,
sachant en outre que l’abaissement du niveau de cotisation minimum se traduira
par un gain pour la plupart des agriculteurs.
J’espère avoir été clair
sur ce sujet mais nous pourrons y revenir en tant que de besoin.
M. le
président. La parole est à M. Frédéric Petit.
M. Frédéric
Petit. Je fais un rêve… Il est assez clair que ce que nous proposons
dans cet article est, au pire, quand même mieux que rien. Pourtant de nombreux
amendements proposent de le supprimer, partiellement ou entièrement. Est-ce
vraiment l’intérêt de qui que ce soit ici de le faire ? Ne pourrions-nous
pas, comme l’a proposé Bruno Millienne, voter cet article, même si nous sommes
tous conscients que cela ne suffit pas, et laisser tomber tous ces
amendements ? Je pense que ce serait la bonne attitude.
Vous parlez
d’agriculture verte, mais aujourd’hui les ouvriers agricoles rencontrent
exactement les mêmes problèmes qu’ils fassent de l’agriculture biologique ou
conventionnelle. Puisque donc même les plus agressifs à notre égard
reconnaissent que ce que cet article propose n’est pas tout à fait idiot, ne
pourrait-on pas se mettre d’accord et s’épargner la dizaine de discussions qui
nous restent à mener ? (Applaudissements sur plusieurs bancs des groupes
MODEM et LaREM.)
M. Bruno
Millienne. Sortons de ces polémiques ridicules !
M. le
président. La parole est à M. Aurélien Pradié.
M. Aurélien
Pradié. Respecter nos agriculteurs et nos paysans, c’est être précis
avec eux et ne pas leur mentir. Or, beaucoup d’imprécisions entourent le sujet.
Pardon, monsieur le rapporteur général, mais vous ne pouvez pas exciper des
articles 40 et 41 pour refuser de nous donner les précisions que notre
collègue Descoeur vous demande, d’autant que vous savez parfaitement que vous
aurez dégainé le 49.3 avant que nous n’y arrivions.
Mme
Brigitte Bourguignon, présidente de la commission spéciale.
Allons, monsieur Pradié, vous venez d’arriver !
M. Aurélien
Pradié. Arrêtez de nous renvoyer à des calendes inexistantes et répondez
à nos questions, en l’espèce aux questions très précises de Vincent Descoeur,
qui sont capitales. En effet, selon les réponses que vous y apporterez, vous
exclurez entre la moitié et les trois quarts des agriculteurs qui sont
aujourd’hui en activité.
Nos questions portent sur trois points très
précis qui appellent des réponses aussi précises, au-delà des slogans censés
donner bonne conscience aux uns et aux autres.
Notre collègue Descoeur a
demandé s’il fallait être chef d’exploitation tout au long de la carrière pour
que celle-ci soit considérée comme une carrière complète. Aujourd’hui près de
55 % de nos agriculteurs ne sont pas chefs d’exploitation tout au long de
leur carrière mais commencent en tant que salariés agricoles ou aides familiaux,
selon le parcours de transmission de l’exploitation. Cela veut dire que si l’on
vote le texte en l’état, qui ne prévoit que le cas des chefs d’exploitation,
plus de la moitié des agriculteurs seront exclus du bénéfice de votre belle
promesse.
M. Vincent
Descoeur. Malheureusement !
M. Aurélien
Pradié. Le deuxième point est le niveau de cotisation. Vous nous parlez,
monsieur le secrétaire d’État, de 600 heures payées au SMIC. J’ai calculé
qu’en 2018, 22 % de nos agriculteurs n’ont pas pu tirer de leur travail le
moindre euro de revenu. Pas un seul, vous m’entendez ? Même à la condition
de 600 heures SMIC, ils ne pourront pas valider une année.
M. Laurent
Pietraszewski, secrétaire d’État. Il s’agit de la cotisation, pas
du revenu !
M. Aurélien
Pradié. Vous ne répondez pas aux questions que l’on vous pose !
(Exclamations sur les bancs des groupes LaREM et MODEM.)
M. Laurent
Pietraszewski, secrétaire d’État. J’ai déjà répondu sur ce
point !
M. Roland
Lescure. Vous n’étiez pas là monsieur Pradié !
M. Aurélien
Pradié. Ils ne pourront pas valider le dispositif sur l’ensemble des
annuités.
Un dernier point me paraît capital : la situation des
retraités agricoles actuels. Je ne peux pas pour ma part me réjouir de voir le
traitement de cette question renvoyé à une mission. On nous a déjà fait le coup.
On a même fait pire : le Gouvernement a écarté par un subterfuge une loi de
la République votée ici à l’unanimité, affirmant que cette promesse serait tenue
lors de la grande réforme des retraites. Et voilà qu’aujourd’hui on nous renvoie
à une nouvelle mission… Pardon, mais nous ne nous ferons pas avoir deux fois,
une fois suffit. Et sachez que le fameux « stock » dont vous parlez
n’a pas non plus envie de se faire avoir une deuxième fois. (Applaudissements
sur les bancs du groupe LR.)
M. le
président. La parole est à Mme Corinne Vignon.
Mme Corinne
Vignon. Je voudrais répondre à nos deux collègues du côté droit et du
côté gauche de l’hémicycle. Monsieur Quatennens, je ne peux pas vous laisser
dire que le Président a menti. Je vous invite à écouter sa déclaration du
25 avril 2019 – vous la trouverez en ligne. Il y dit souhaiter que
toutes celles et ceux qui partent à la retraite aient droit à au moins
1 000 euros : il n’a jamais, au grand jamais, parlé des retraités
actuels. C’est un premier point.
Monsieur Pradié, en tant que rapporteure
du titre III, j’ai hâte d’aborder l’article 41 : je suis certaine
que nous le ferons. (Exclamations sur les bancs du groupe LR.) Il est
vrai que les agriculteurs ont en général une carrière mixte, étant salariés
avant d’être exploitants, mais avec notre projet ils pourront bénéficier du
minimum contributif même s’ils ont des carrières diverses.
Il faut
rappeler que le régime des agriculteurs est financé à 85 % par la
solidarité nationale, c’est-à-dire par l’impôt, et que sa démographie est très
défavorable, avec 1,3 million de retraités agricoles, soit dix retraités
pour trois actifs. N’oublions donc pas notre système cible : les
générations nés à partir de 1975 bénéficieront d’une pension au moins égale à
85 % du SMIC, et cela pour 600 heures travaillées par an, contre 800
aujourd’hui.
Nous aussi, nous avons rencontré les agriculteurs.
Lorsqu’ils ne sont pas d’accord, ils le font savoir dans la rue, ou en bloquant
le périphérique avec leurs tracteurs. Or aujourd’hui je ne vois rien de tel. Je
pense donc qu’ils sont d’accord avec nos propositions. (Applaudissements sur
plusieurs bancs du groupe LaREM.)
M. le
président. La parole est à M. Adrien Quatennens.
M. Adrien
Quatennens. Chers collègues, la parole du Président de la République a
de l’importance et quand le chef de l’État parle, je l’écoute toujours avec
beaucoup d’attention. Or il avait clairement dit que les agriculteurs auraient
accès à une retraite minimum de 1 000 euros.
Plusieurs députés du groupe
LaRem. C’est faux !
M. Adrien
Quatennens. On voit aujourd’hui que ce n’est pas le cas dans toutes les
situations que nous avons citées, compte tenu des conditions de carrière et de
rémunérations qu’il faut réunir pour y avoir accès. D’ailleurs la plupart des
syndicats agricoles reconnaissent effectivement que la promesse n’est pas tenue.
Allez faire un tour au Salon de l’agriculture – mais peut-être l’avez-vous
fait : vous y serez interpellés sur le fait que la promesse faite dans des
termes très clairs par le chef de l’État n’est pas tenue.
J’irai même
plus loin car j’écoutais déjà, et même lisais avec attention le chef de l’État
lorsqu’il n’était qu’un simple candidat. Vous me fournissez l’occasion de
rappeler que son programme parlait d’un système universel de retraite : il
n’en est rien. Il promettait qu’un euro cotisé ouvrirait aux mêmes droits :
il n’en est rien. Il promettait de ne pas toucher à l’âge de départ à la
retraite : au travers de l’âge d’équilibre vous touchez si ce n’est à l’âge
légal du moins à l’âge effectif, et donc au niveau des pensions.
M. Jacques
Marilossian. Faux ! Faux !
M. Adrien
Quatennens. Plus les débats avancent, plus on voit de promesses non
tenues. L’architecture de votre projet de loi est en train de s’écrouler sous
l’effet de la vérification, point par point, des arguments que nous
avançons.
M. Jacques
Marilossian. Tout cela est faux !
M. Adrien
Quatennens. Cher collègue, je regrette que vous ne saisissiez guère
d’occasions de prendre la parole pour démontrer vos positions avec des
arguments, comme nous le faisons, plutôt que de vociférer.
(Les amendements no 591 et
identiques ne sont pas adoptés.)
M. le
président. Je suis saisi de plusieurs amendements identiques, le
no 592 et dix-sept amendements du groupe La France
insoumise.
La parole est à M. Vincent Descoeur, pour soutenir
l’amendement no 592.
M. Vincent
Descoeur. Il est défendu.
M. le
président. La parole est à M. Alexis Corbière, pour soutenir les
amendements no 15709 et identiques.
M. Alexis
Corbière. Selon notre collègue En Marche Mme Vignon, le Président
de la République disait en avril 2019 à propos des agriculteurs que ceux qui
partaient à la retraite auraient 1 000 euros. Avouons que le
dispositif proposé ici ne correspond pas à cette déclaration : il n’est pas
exact que les agriculteurs qui feront valoir leurs droits à la retraite auront
1 000 euros de pension, à moins qu’ils aient cotisé pendant
quarante-trois ans et sur la base du SMIC, entre autres conditions qui, on le
sait, ne seront, en raison des difficultés propres à ce métier, pas réunies pour
au moins 40 % d’entre eux.
Si nous insistons sur ce point, c’est que
c’était votre argument massue pour justifier cette réforme : vous ne
cessiez de rabâcher que les agriculteurs en seraient les grands gagnants. Nous
vous disons en toute honnêteté et sincérité que ce n’est pas vrai, qu’il y a
beaucoup mieux à faire.
Par ailleurs, vous avez bien raison, cher Alain
Perea, d’évoquer les combats menés par les viticulteurs au siècle dernier et
c’est avec un grand plaisir que je vous vois vous inscrire dans la continuité de
ces luttes, qui ont été particulièrement âpres. C’est pour moi l’occasion de
rappeler qu’il fut un temps où la République s’écrivait par le peuple, quand la
colère le poussait à descendre dans la rue, voire à détruire certains
biens.
Parfois, il était demandé aux troupes de le réprimer. J’ai en
mémoire ce magnifique événement qui avait vu le 17e régiment de Béziers
rester crosses en l’air en signe de son refus de frapper les agriculteurs.
M. Roland
Lescure. Vous n’y étiez pas !
M. Alexis
Corbière. Souvenons-nous, à un moment où il arrive qu’on demande aux
forces de l’ordre de réprimer les mobilisations du peuple en colère, que
certains ont préféré mettre crosses en l’air plutôt que de frapper leurs
frères.
M. le
président. La parole est à M. Jean-Paul Dufrègne.
M.
Jean-Paul Dufrègne. J’avancerai un autre argument incontournable pour
quiconque entend assurer une retraite décente aux agriculteurs – sachant
qu’une pension de 1 000 euros n’est pas la panacée : le système
de retraite peut corriger les inégalités géographiques entre les territoires
riches et les territoires plus modestes, notamment ruraux, mais il peut aussi
les amplifier. Il n’a rien d’anodin pour l’économie locale, car les pensions que
perçoivent les retraités y sont réinjectées : lorsqu’elles sont faibles,
elles profitent moins à l’économie du territoire.
M. Alain
Perea. C’est vrai !
M.
Jean-Paul Dufrègne. Combien les retraites au rabais ont-elles fait
perdre aux territoires ruraux ? Je propose que M. Daniel Labaronne
intègre cette dimension dans l’« agenda rural ». Elle est
fondamentale, car les pensions représentent une plus grande part des ressources
totales dans les zones rurales que dans les métropoles. En outre, la proportion
de retraités percevant des pensions faibles est nettement plus importante dans
les territoires ruraux que dans les autres.
L’augmentation des pensions
de retraite des agriculteurs peut donc avoir un effet d’accélérateur économique
dans les territoires ruraux. Au-delà des difficultés qu’éprouvent déjà les
retraités, condamner les agriculteurs à des pensions faibles accentue la
fracture territoriale et le sentiment d’abandon qu’ils éprouvent, que nous ne
cessons de dénoncer. Les retraites constituent une forme de redistribution entre
les zones où se créent les richesses et celles qui rencontrent des difficultés.
La conférence de financement doit aborder ces questions : où se créent les
richesses, et comment sont-elles distribuées ? Au-delà des retraites, il y
va de l’aménagement du territoire. (Applaudissements sur quelques bancs du
groupe GDR.)
M. le
président. La parole est à M. Jean-René Cazeneuve.
M.
Jean-René Cazeneuve. Je rappellerai aux nouveaux chevaliers blancs de
l’agriculture, nos collègues du groupe La France insoumise, que leur projet ne
consacre pas un seul mot à l’agriculture et aux agriculteurs. Pas un mot !
(Applaudissements sur quelques bancs du groupe LaREM.)
Chaque
année, 20 000 agriculteurs partent à la retraite avec une pension
inférieure à 1 000 euros. Nous en sommes tous choqués. Au cours des
auditions de la commission spéciale, les organisations syndicales agricoles
majoritaires ont expliqué qu’elles avaient demandé une réforme systémique
– c’est ce que nous leur proposons – et qu’elles avaient été entendues
lors de la concertation. Notre proposition correspond exactement à leurs
demandes. Écoutez-les ! (Applaudissements sur les bancs du groupe
LaREM.)
Notre projet est d’autant plus juste qu’il réduit les
cotisations des 45 % d’agriculteurs les plus modestes. Sous prétexte que
nous ne résolvons pas tous les problèmes – cela, je le reconnais –,
vous vous y opposez en bloc. Vous allez voter contre une avancée sociale
majeure, contre une retraite minimum pour les agriculteurs et contre une baisse
des cotisations des agriculteurs les plus modestes ! C’est indécent.
Permettez-moi de vous le dire : c’est faire de la vieille politique que de
s’opposer à notre proposition. (Mêmes mouvements.) Depuis le début, il
est parfaitement clair que notre réforme s’adresse aux futurs retraités. Il n’a
jamais été question que nous résolvions simultanément les problèmes de
l’ensemble des retraités, quel que soit leur métier.
Si les agriculteurs
se trouvent aujourd’hui dans une telle situation, c’est justement parce qu’ils
ne relèvent pas du régime général. Voilà une illustration supplémentaire des
bienfaits du régime universel que nous proposons : il sera plus solidaire,
plus juste, plus global et plus solide ! (Applaudissements sur les bancs
du groupe LaREM et sur plusieurs bancs du groupe MODEM.)
M.
Jean-Paul Dufrègne. Non !
M. le
président. La parole est à Mme Marie-Christine Dalloz.
Mme
Marie-Christine Dalloz. Les députés du groupe MODEM nous proposent de
cesser de débattre, de voter l’article et de créer une mission. Soyons
sérieux ! Faut-il créer une énième mission ? Déjà à
l’article 1er, au sujet des sapeurs-pompiers, vous avez proposé
de créer un groupe de travail qui aboutirait à une proposition de loi. Vous ne
pouvez pas nous renvoyer sans cesse soit à une ordonnance, soit à une mission ou
à une réflexion ultérieure ! Si nous voulons vraiment traiter des retraites
des agriculteurs, nous devons connaître précisément le rapport entre leurs
revenus actuels et la retraite de base que vous leur proposez. Le chiffre qui a
été annoncé jusqu’à présent semble incohérent. Soyons crédibles, donnons une
perspective d’espoir au monde agricole, mais ne le trompons pas ! Les
agriculteurs demandent tout sauf d’être trompés.
La question posée par
M. Vincent Descoeur est pertinente. Vous ne trouverez aucun agriculteur qui
ait été chef d’exploitation pendant 45 ans et puisse prendre sa retraite à
65 ans. On ne s’installe pas comme chef d’exploitation à 20 ans :
non seulement les jeunes agriculteurs font des études, mais ils commencent aussi
souvent par prêter main forte à leurs parents, eux-mêmes exploitants agricoles.
Quoi qu’il en soit, le coût d’installation est bien trop élevé pour qu’ils
puissent l’assumer à 20 ans – à moins que vous ne vouliez les
surendetter. Les chefs d’exploitation auront donc très rarement des carrières
complètes. M. le secrétaire d’État a expliqué que la base de cotisation
minimale passerait de 800 à 600 heures travaillées au SMIC, mais cette
proposition mérite d’être fouillée. Sinon, nous aurons de nombreux « trous
dans la raquette », pour reprendre les termes de M. Jean-Paul
Dufrègne : les agriculteurs auront des trous dans la raquette de leur
carrière, et leur pension de retraite s’en ressentira.
M. le
président. La parole est à M. Frédéric Petit.
M. Frédéric
Petit. J’ai parfois le sentiment désagréable qu’on nous donne des
leçons. Ensemble, dans cet hémicycle, nous représentons la nation ; les
influences extérieures ne doivent pas s’exercer. Nous avons la liberté de
débattre et la responsabilité de décider, et les seules influences qui doivent
s’exercer dans l’hémicycle sont celles que nous avons les uns sur les autres.
Telle est la Constitution, et je souhaite que nous la
respections.
S’agissant des carrières incomplètes, nous souhaitons
– contrairement au groupe La France insoumise – que l’accès à la
pension minimale soit proportionnel aux cotisations. Comme nous l’avons observé
hier sur un mode humoristique, on ne peut pas avoir été agriculteur pendant un
an et espérer toucher une pension complète ! Je reconnais que cette
disposition est d’une définition complexe et demande des précisions.
Nous
avons par ailleurs reconnu que quelques statuts manquaient encore dans le
projet, comme celui des aides familiaux. Il nous reste donc quelques angles
morts à éclaircir, mais pas celui que vous pointez.
Madame Dalloz, vous
avez affirmé qu’une étude fouillée était nécessaire pour estimer le coût de
notre proposition : c’est exactement ce que nous voulons faire. Pour les
retraités actuels, cet exercice ne peut être réalisé que dans le cadre du projet
de loi de financement de la sécurité sociale – PLFSS. Il ne peut pas l’être
dans ce projet de loi.
Mme
Marie-Christine Dalloz. Le ministère a les chiffres !
M. Frédéric
Petit. Accordons-nous à considérer que nous marquons des points qui
constituent autant de progrès pour une partie de la profession, et mettons-nous
au travail pour aller beaucoup plus loin et résoudre un problème auquel nous
n’avons pas encore apporté de solution.
M. le
président. La parole est à Mme Caroline Fiat.
Mme
Caroline Fiat. Je serai brève, car nous sommes ici pour parler de votre
projet, pas du nôtre.
M. Bruno
Millienne. Cela vaut mieux !
Mme
Caroline Fiat. Notre programme considère les agriculteurs comme des
salariés ou des ouvriers comme les autres. Il affirme qu’aucun retraité ne doit
se trouver sous le seuil de pauvreté ni percevoir une pension inférieure au SMIC
s’il a fait une carrière complète. Les agriculteurs y sont évidemment
inclus.
J’ai été d’autant plus touchée par l’évocation qu’a faite
M. Alain Perea de ses terres rouges que je viens moi aussi de terres rouges
– rouges non de la vigne, mais des aciéries. Comme il l’a dit très
justement, si on ne va pas aux agriculteurs, ils savent venir à nous quand ça ne
va pas. De fait, ils ont su me trouver très rapidement ! Des promesses leur
ont été faites ; ils s’attendent à percevoir un certain niveau de pension.
Malheureusement, la règle du jeu a changé : seuls sont désormais concernés
les chefs d’exploitation ayant cotisé quarante-trois ans. Certes, la diminution
de la base de cotisation, passant de 800 à 600 heures travaillées au SMIC,
est favorable. Il faut néanmoins être chef d’exploitation pour percevoir la
retraite minimale : de fait, c’est presque la moitié des agriculteurs qui
est exclue.
M. Bruno
Millienne. Mais non !
Mme
Caroline Fiat. Qu’expliquerons-nous à nos concitoyens quand ils nous
reprocheront d’avoir voté cette loi sans lutter contre une telle mesure ?
Voilà pourquoi nous demandons des suppressions d’alinéas et d’articles. Vous ne
respectez pas vos promesses, et vous ferez inévitablement des déçus. Nous nous
faisons leur porte-parole dans l’hémicycle.
M. Adrien
Quatennens. Très bien !
(Les amendements no 592
et identiques ne sont pas adoptés.)
M. le
président. La parole est à M. Adrien Quatennens, pour soutenir
l’amendement no 18276 et les seize amendements identiques du groupe
La France insoumise.
M. Adrien
Quatennens. M. Petit vient d’affirmer qu’il croyait en notre
capacité d’influence. Cher collègue, je n’ai pourtant pas l’impression que nous
vous influencions, pour autant que nous prenions la parole !
Depuis
quelques heures, nous discutons en réalité du contre-projet du groupe La France
insoumise, dans lequel les agriculteurs sont considérés comme des travailleurs
comme les autres. Nous proposons qu’aucun retraité ne vive en deçà du seuil de
pauvreté et n’ait une pension inférieure au SMIC s’il a effectué une carrière
complète. Et cela, nous sommes capables de le financer. Vous êtes revenus sur
votre promesse d’attribuer une pension minimale de 1 000 euros aux
agriculteurs. C’était lors de votre rencontre avec le Président de la République
à l’Élysée : soyons honnêtes, a-t-il dit, reconnaissons que cette promesse
ne pourra pas toucher l’ensemble des agriculteurs. Mais je vous le dis : on
peut absolument tout si on s’en donne les moyens ! Si nous voulions voter à
l’unanimité un article 5 qui respecte votre engagement, et envoyer ainsi un
message clair aux agriculteurs, nous le pourrions – encore faut-il s’en
donner les moyens.
De notre point de vue, les Français produisent bien
assez de richesses pour financer un système de retraite qui garantisse à tous
une retraite à 60 ans et un bon niveau de pension. Une condition s’impose
néanmoins – nous la répéterons autant que nécessaire : consacrer une
plus large part des richesses aux retraites. Ce serait bien plus efficace pour
le pays que d’accorder toujours plus de richesses à une petite minorité, qui
ponctionne une part toujours plus grande de la valeur produite. Voilà le débat
que nous devons avoir. Votre texte est d’ailleurs bancal et plein de trous quant
au financement des transitions vers le nouveau système, voire quant au
financement du système tout court. En matière de retraite, le financement est le
nerf de la guerre, et les paramètres ne sont guère nombreux : l’âge, la
durée travaillée ou le salaire, et enfin les cotisations. C’est de cela que nous
souhaitons débattre.
M. le
président. Quel est l’avis de la commission sur ces amendements
identiques ?
M.
Guillaume Gouffier-Cha, rapporteur général. Il est, une nouvelle
fois, défavorable à ces amendements tendant à la suppression d’un alinéa. Qui
plus est, cette suppression irait à l’encontre de tout ce que vous venez de
défendre.
M. le
président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. Laurent
Pietraszewski, secrétaire d’État. Même avis. Un mot à l’adresse
de Mme Dalloz : l’article 20 prévoit une cotisation spécifique
pour les aides familiaux, et l’article 21, qu’elle devra être sur le
montant de la cotisation minimale, si bien qu’elle va générer des droits. Pour
être très clair, il ne faut pas quarante-trois ans comme chef d’exploitation,
mais quarante-trois ans de cotisations. Vous pouvez très bien, à un moment
donné, avoir cotisé comme salarié. Quel que soit votre type d’activité, ce qu’il
faut, c’est que l’on puisse reconstituer l’équivalent de quarante-trois années,
à raison de 600 heures au SMIC, cotisées.
C’est d’ailleurs aussi en
cela que le système est plus intéressant pour les agriculteurs, qui peuvent
compléter cette activité première par d’autres et accumuler ainsi à la fois des
points et des droits par rapport au minimum contributif. Merci de m’avoir
accordé ces quelques instants, monsieur le président, mais je voulais répondre à
cette question qui m’avait été posée à deux reprises.
M. le
président. Ce fut avec plaisir, monsieur le secrétaire d’État. Vous
savez que la parole des membres du Gouvernement n’est jamais
restreinte.
La parole est à M. Bruno Millienne.
M. Bruno
Millienne. Monsieur le secrétaire d’État, je suis désolé : vous
avez fourni les explications demandées au sujet des agriculteurs, mais je crains
que les membres du groupe La France insoumise, qui débattaient entre eux,
n’aient pas écouté. On vous reposera donc forcément la question dans très peu de
temps.
Par ailleurs, j’en ai assez des donneurs de leçons. J’ai étudié le
financement du contre-projet de la France insoumise.
M. Adrien
Quatennens. Ah !
M. Bruno
Millienne. Eh bien, il est confiscatoire ; autrement dit, il
installe une dictature. (Protestations sur les bancs des groupes FI et
GDR.) Moi, je n’ai pas envie de vivre sous une dictature !
(Applaudissements sur quelques bancs des groupes MODEM et LaREM.)
M.
Jean-Paul Dufrègne. Cela s’appelle de la solidarité !
M. le
président. La parole est à M. Adrien Quatennens.
M. Adrien
Quatennens. Cher collègue, nous n’avons jamais eu l’intention de
confisquer quoi que ce soit à qui que ce soit : nous parlons d’une
meilleure répartition. Dans le partage de la valeur produite, de manière
générale, dans ce pays, 67 % va à la sphère financière et seulement
25 % aux investissements productifs. Peut-être pourrions-nous nous accorder
sur le fait que ce dernier chiffre est trop faible, bien trop faible pour les
grands investissements que nous devons faire afin de relever les défis qui nous
attendent.
Quant à la part consacrée à la revalorisation des salaires,
elle ne dépasse pas 5 %. À propos des agriculteurs, songez un instant que
si l’on augmente les bas revenus, ces augmentations de salaire permettront des
cotisations supplémentaires qui financeront le grand objet de notre débat, les
retraites.
M. Bruno
Millienne. Et provoqueront du chômage !
M. Adrien
Quatennens. Rien que 1 % d’augmentation, ce que vous reconnaîtrez
n’être pas confiscatoire, ce sont 2,5 milliards de cotisations en plus dans
les caisses.
M. Bruno
Millienne. Sans compter les chômeurs en plus !
M. Adrien
Quatennens. Par ailleurs, vous savez aussi bien que moi que la petite
paie qui est augmentée, cela ne va pas se traduire par du boursicotage,
BlackRock et tout le reste, mais par la possibilité de mieux consommer, et
pourquoi pas d’acheter des produits alimentaires de meilleure qualité, ce qui
garantirait à nos agriculteurs une meilleure rémunération ?
D’ici à
2040, nous voulons récupérer 2 points de PIB pour financer nos retraites.
Ce n’est absolument rien en comparaison de la part de cette même richesse
produite qui a été confisquée aux travailleurs pour finir dans les poches du
capital, lequel ne sert pas l’intérêt général. C’est dans le souci de l’intérêt
général que nous nous adressons au patronat de ce pays, y compris au grand
patronat, pour lui demander de montrer qu’il est mû par ce même souci et pas
seulement par sa cupidité. Voilà la grande différence entre nos projets
respectifs. Encore une fois, notre proposition n’a rien de confiscatoire ;
elle est au contraire tout à fait rationnelle !
M. le
président. La parole est à M. Julien Borowczyk.
M. Julien
Borowczyk. Je suis surpris de constater à quel point les oppositions
sont mieux-disantes lorsque nous concrétisons des suggestions qu’elles-mêmes
n’ont jamais réussi à mettre en œuvre. Je suis également déçu de vous voir rater
ce formidable véhicule législatif de solidarité et d’universalité que nous
proposons. Vous le ratez d’ailleurs avec une volonté dont je tenais à souligner
le caractère pernicieux, puisque, comme l’a rappelé Frédéric Petit, le problème
des agriculteurs actuellement retraités ne sera résolu que par le projet de loi
de financement de la sécurité sociale, et en aucun cas par le texte que nous
examinons. Là encore, vous faites donc de l’obstruction !
Je parlais
à l’instant de véhicule. Imaginons que nous ne soyons plus dans cet hémicycle,
mais dans un bus – un bus Macron, me direz-vous –, et que nous allions
à Marseille, ville chère à M. Mélenchon. Depuis le début du trajet, la
multiplication de vos amendements revient à peu près à nous avoir fait arrêter
sur toutes les aires d’autoroute. Je dirai même plus : au bout d’une
semaine, nous n’aurions pas dépassé la porte d’Orléans ! (Sourires.)
Tout de même, depuis un petit moment, on nous dit que les débats avancent.
Certes, ils avancent ! Mais au lieu de nous diriger vers Marseille, nous
passons par Nantes, par Strasbourg, par Lille ; nous n’avançons absolument
pas vers notre destination ! (Mêmes mouvements.) Je le répète, vous
faites de l’obstruction permanente. Aussi, je vous accuse d’aller droit à
l’accident législatif, de le rechercher depuis le début de nos débats ; et
cela, c’est tragique ! (Applaudissements sur les bancs du groupe LaREM
ainsi que sur quelques bancs du groupe MODEM.)
M. le
président. La parole est à M. Stéphane Viry.
M. Stéphane
Viry. Il y a quelques instants, nous recherchions une sorte de concorde
nationale au sujet de nos agriculteurs et de notre agriculture. Manifestement,
il s’agissait tout au plus d’un vœu pieux ; en tout cas, cette attitude a
fait long feu.
Le sujet est pourtant d’importance. Chacun d’entre nous
sait fort bien que le fonctionnement des retraites agricoles en France est
anachronique, inégalitaire, injuste ; il convient donc de remédier à ces
problèmes. J’observe tout simplement, sans esprit polémique, que Mme Buzyn
avait annoncé dans cet hémicycle, lors d’une séance de questions au
Gouvernement, en janvier 2019, que ce projet de loi aborderait le sujet de
l’indigence des retraités agricoles. Je ne peux que constater que la réponse ne
sera pas apportée.
Monsieur le secrétaire d’État, je voudrais revenir sur
l’une de vos explications. S’agissant des questions de transition, vous avez
cité les articles 20 et 21 du texte. Je regrette l’absence du rapporteur,
M. Turquois, qui a beaucoup travaillé le sujet et qui le connaît également
bien en tant qu’agriculteur. Il s’était justement montré dubitatif au sujet de
cette période d’adaptation des règles générales de cotisation au secteur
agricole.
Concernant les conjoints collaborateurs, il écrit dans le
tome I du rapport de la commission : « S’agissant de ce dernier
statut, le rapporteur s’interroge sur l’opportunité offerte par cette réforme
globale pour réfléchir à son bornage dans le temps, à l’instar d’ailleurs de ce
qui existe pour les aides familiaux. » C’est là un véritable sujet. Si nous
pouvons aboutir à un progrès social sur cette question des conjoints
collaborateurs agricoles et des aides familiaux, allons-y ! Vous avez
ouvert le débat, monsieur le secrétaire d’État ; j’aurais donc souhaité que
vous puissiez nous apporter des éclaircissements. (Applaudissements sur les
bancs du groupe LR.)
M. le
président. La parole est à M. Jean-Paul Dufrègne.
M.
Jean-Paul Dufrègne. Nous venons une nouvelle fois d’avoir droit à une
séance dite « d’obstruction », où l’on brandit les épouvantails de la
démocratie en péril, de l’Assemblée otage, du blocage complet du Parlement, des
dangers extrêmes, et ainsi de suite ; vous l’avez répété à chaque fois.
M. Sylvain
Maillard. C’est vrai ! Il y a un blocage du Parlement !
M.
Jean-Paul Dufrègne. C’est une stratégie rhétorique : cette
catastrophe supposée, orchestrée à l’Assemblée nationale par quelques députés
qui se sont exprimés sur ce point, est censée faire admettre l’utilisation de
l’article 49, alinéa 3, qui n’était pas jugée acceptable au départ.
Somme toute, on veut banaliser l’idée qu’une opposition qui s’oppose, ce n’est
pas bien, c’est mal, c’est même antidémocratique.
M. Bertrand
Sorre. Quel est le rapport avec l’amendement ?
M.
Jean-Paul Dufrègne. Vous nous offrez de monter dans votre véhicule
législatif ; nous vous avons répété à de nombreuses reprises que nous ne le
souhaitions pas. Cela ne m’a pas empêché de dire tout à l’heure : tant
mieux pour ceux qui bénéficieront d’une revalorisation ! Mais nous voyons
dans ce projet beaucoup, beaucoup d’insuffisances, puisque nombre d’agriculteurs
partant en retraite à partir de 2022 ne pourront pas en bénéficier. Il ne
nous satisfait pas, et nous voterons contre ; non contre le fait
d’améliorer quelques situations, mais contre le fait que vous laisserez encore
bien trop de monde sur le bord de la route. (Applaudissements sur les bancs
du groupe GDR.)
M. le
président. La parole est à M. le rapporteur général.
M.
Guillaume Gouffier-Cha, rapporteur général. Je souhaitais
répondre à Stéphane Viry, qui a souligné l’expertise du rapporteur Nicolas
Turquois. Les réflexions de ce dernier en commission spéciale et au sein du
rapport que nous avons corédigé ont pris la forme d’un amendement, no
371148, portant article additionnel après l’article 20, que j’ai
cosigné et qui proposera de borner à cinq ans le dispositif destiné aux
conjoints collaborateurs agricoles, sur le modèle de ce qui existe aujourd’hui
pour les aides familiaux.
(Les amendements no 18276 et
identiques ne sont pas adoptés.)
M. le
président. Je suis saisi de deux amendements identiques,
nos 11883 et 11907, visant à supprimer le mot
« universel » de l’alinéa 4.
La parole est à M. Alain
Ramadier, pour soutenir l’amendement no 11883.
M. Alain
Ramadier. Cet amendement dû à Marc Le Fur est déjà revenu à
plusieurs reprises. Il est défendu.
M. le
président. Effectivement ! Je vous remercie.
M. Thibault
Bazin. Il faut bien faire avancer le débat !
M. le
président. La parole est à M. Vincent Descoeur, pour soutenir
l’amendement no 11907.
M. Vincent
Descoeur. Je ne souhaite pas revenir sur le caractère universel ou non
de la réforme, mais remercier M. le secrétaire d’État de sa réponse et lui
demander deux précisions.
Si j’ai bien compris, une période pendant
laquelle le chef d’exploitation aurait d’abord été aide familial pourrait être
prise en compte pour l’obtention du minimum garanti de 1 000 euros.
Supposons maintenant qu’un chef d’exploitation ait connu quelques années
difficiles, durant lesquelles le revenu de l’exploitation aurait été très
faible, voire nul. Est-ce que cela serait de nature à entraîner une
proratisation, ou les 1 000 euros seraient-ils garantis même dans ce
cas ? Ma question n’est pas malintentionnée ; j’essaie seulement de
comprendre le dispositif, et je voudrais m’assurer que 100 % des
agriculteurs pourront bénéficier de cette disposition.
Cela m’amène
d’ailleurs à une deuxième question, cette fois au sujet des collaborateurs et en
particulier des épouses. Nous avons entendu dire à plusieurs reprises que ce
texte allait améliorer le sort des femmes. Je souhaiterais donc savoir ce qu’il
adviendra de celles qui auraient été conjointes collaboratrices avant de devenir
chef d’exploitation.
M. M’jid El
Guerrab. C’est une excellente question !
M. le
président. Quel est l’avis de la commission ?
M.
Guillaume Gouffier-Cha, rapporteur général. Il est défavorable,
comme à chaque fois que nous avons examiné cet amendement. Je m’inquiétais
d’ailleurs de ne pas encore l’avoir vu cet après-midi.
M. le
président. Soyez rassuré ! (Sourires.)
Quel est
l’avis du Gouvernement ?
M. Laurent
Pietraszewski, secrétaire d’État. Tout le monde a bien compris
que mon avis serait également défavorable.
Monsieur Descoeur, vous savez
que le statut des aides familiaux est limité à cinq ans ; c’est aussi ce
que vous retrouverez dans le projet de loi. S’agissant des conjoints
collaborateurs, leur statut n’est actuellement pas limité dans le temps :
comme l’a évoqué le rapporteur général, un amendement du rapporteur Nicolas
Turquois proposera de le limiter à cinq ans, si j’ai bien lu. Nous pourrons en
débattre lorsqu’il viendra en discussion, après l’article 20.
Vous
vous posiez des questions sur le niveau de revenu. C’est aussi le point sur
lequel m’interpellait maladroitement votre collègue Aurélien Pradié – nous
avions évoqué sur ce sujet avec plusieurs membres de votre groupe mais votre
collègue était absent. Mme Rabault avait également pris les devants en nous
interrogeant sur ce point au début de la semaine dernière. En l’espèce, le sujet
n’est pas tant celui du revenu des exploitants agricoles que du niveau de
cotisation. Les exploitants agricoles acquittent aujourd’hui une cotisation
minimale sur la base de 800 heures au SMIC, ce qui génère des droits. Votre
collègue, qui est parti, s’est permis de me demander avec véhémence et sur un
ton péremptoire si je savais, moi, combien gagnent les agriculteurs. Bien sûr,
je le sais, et je suis aussi rassuré de constater que, vous au moins, monsieur
Descoeur, vous suivez de près ce dossier. Nous avons tous compris que le plus
important était le niveau de la cotisation. La cotisation minimale baissera, et
de ce fait les exploitants agricoles pourront accéder plus facilement à la
pension minimale.
La situation est différente pour l’aide familial dont
la cotisation minimale n’est pas au même niveau. Il faut donc connaître le
niveau de cotisation pour avoir une réponse précise.
J’ai essayé d’être
le plus complet possible.
Mme
Marie-Christine Dalloz. Merci pour votre réponse.
M. le
président. La parole est à M. Vincent Descoeur.
M. Vincent
Descoeur. Il reste deux points à préciser – pardonnez-moi d’être
difficile à contenter, je ne sollicite pas ces précisions pour moi mais pour les
professions concernées. Le premier est celui du niveau de rémunération de l’aide
familial, dont dépend la cotisation. S’agissant du conjoint collaborateur, vous
avez évoqué un amendement après l’article 20, qui viserait à limiter le
bénéfice du statut à cinq ans. Prenons garde, cependant, à ne pas prévoir une
trop courte durée qui aurait pour effet d’en écarter un trop grand nombre. Nous
en débattrons le moment venu sauf si une mauvaise surprise nous empêche
d’atteindre cet article. La question est fondamentale car nous devons trouver la
bonne durée, celle qui reflète l’implication des épouses dans l’exploitation
agricole. Plus la durée sera longue, plus nous aurons des chances de répondre
aux préoccupations de ces femmes qui ne peuvent être les oubliées de cette
réforme.
M. le
président. La parole est à M. Bertrand Pancher.
M. Bertrand
Pancher. Je voudrais remercier Vincent Descoeur pour ses interventions.
Cela fait une quinzaine d’années que je ne manque aucune assemblée générale des
anciens exploitants agricoles. Les réunions ne tournent qu’autour de ces
questions – la pension de 1 000 euros réservée aux prochains
retraités, le sort des pensionnés actuels, de ceux dont les carrières ont été
espacées, des conjoints.
Je suis persuadé que l’absence de réponses
précises pourrait à nouveau provoquer de la colère et de la frustration dans le
monde agricole. Je sais bien que l’on ne peut pas tout faire du jour au
lendemain, mais ce dossier est important. Je ne suis pas, pour ma part, opposé à
l’intégration du régime agricole dans le régime général – ce sera un autre
débat pour les autres professions indépendantes. Cette intégration progressive
me semble même assez logique, à conditions que nous obtenions des réponses
précises à nos questions. Pour l’instant, beaucoup restent en suspens et je me
sentirai encore assez mal à l’aise lors de la prochaine assemblée générale de ma
fédération des anciens exploitants agricoles.
(Les amendements identiques nos 11883 et
11907 ne sont pas adoptés.)
M. le
président. Je suis saisi d’un amendement no 24942 qui
fait l’objet de plusieurs sous-amendements.
La parole est à M. Alain
David, pour soutenir l’amendement.
M. Alain
David. Cette réforme ne créant pas un régime universel unique mais un
système de calcul par points applicables à plusieurs régimes, cet amendement
tend à corriger la rédaction de l’article.
M. le
président. Les sous-amendements nos 42578 de
M. Pierre Dharréville et 42579 de M. Sébastien Jumel sont
défendus.
Quel est l’avis de la commission ?
M.
Guillaume Gouffier-Cha, rapporteur général. Avis
défavorable.
M. le
président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. Laurent
Pietraszewski, secrétaire d’État. Je prends soin de lire
attentivement les amendements et les sous-amendements et je suis bien certain
d’avoir vu passer plusieurs fois, à des articles différents, et pour des alinéas
différents, celui qui tend à substituer aux mots « universel de
retraite » les mots « de retraite par points ». Je confirme mon
avis défavorable.
(Les sous-amendements nos 42578 et 42579,
successivement mis aux voix, ne sont pas adoptés.)
(L’amendement no 24942 n’est pas
adopté.)
M. le
président. Nous en venons à présent aux amendements tendant à supprimer
l’alinéa 5, après ceux qui tendaient à supprimer les alinéas 1 à 5
puis 2, 3 et 4.
La parole est à M. Alexis Corbière, pour
soutenir l’amendement no 18293 et les seize amendements identiques
déposés par le groupe La France insoumise.
M. Alexis
Corbière. Je ne comprends pas bien votre mise en scène.
M. le
président. Je remarquais simplement que nous arrivions aux amendements
tendant à supprimer l’alinéa 5, après avoir examiné une première série
d’amendements tendant à supprimer les alinéas 1 à 5, puis une somme
d’amendements tendant à supprimer chaque alinéa de cet article, les uns après
les autres. Cela a donné lieu à différentes prises de parole. Nous en arrivons à
présent à l’alinéa 5. Tous ceux qui l’auront voulu se seront ainsi
exprimés.
M. Erwan
Balanant. C’est beau ! De la belle légistique !
M. Alexis
Corbière. Cet amendement tend, en effet, à supprimer cet alinéa qui est
le cœur de l’article. Nos échanges auront eu le mérite de mettre en évidence ce
que plus personne ne peut contester, ni même le rapporteur général ou le
secrétaire d’État : tous les exploitants agricoles ne percevront pas une
pension de retraite de 1 000 euros. Nous avons bien fait de prendre le
temps du débat puisque, enfin, vous ne contestez plus cette évidence. Certes,
vous continuez à vous défendre en déclarant que ce serait toujours mieux que
rien. Il n’empêche que nous avons permis d’éclairer les débats.
Par
ailleurs, l’on nous a reproché, ici, de ne pas nous être suffisamment préoccupés
des paysans. Or, nous avons une proposition pour eux : aucune personne ne
doit percevoir une retraite inférieure au SMIC dès lors qu’elle a accompli une
carrière complète. Ajoutons que personne ne doit se retrouver au-dessous du
seuil de pauvreté ; cette remarque vaut pour tout le monde, et pas
seulement pour les agriculteurs à qui nous ne réservons pas un sort particulier
dans notre vision globale pour la société.
Enfin, après nous être réunis,
nous avons décidé, avec M. Quatennens, de remettre le FI d’or à
M. Borowczyk, député qui a le plus parlé du programme de La France
insoumise dans l’hémicycle. Nous l’en remercions chaleureusement. Bien sûr, ses
interventions nous font perdre du temps et obstruent les débats mais il semble
tant s’en amuser que ce sont de petites bouffées de bonheur dans des moments
parfois difficiles. Nous nous en réjouissons pour lui, en tout cas.
M. le
président. Quel est l’avis de la commission ?
M.
Guillaume Gouffier-Cha, rapporteur général. Ce sera un avis
défavorable, comme pour les précédents amendements visant à supprimer des
alinéas de cet article. Précisons simplement à M. Corbière que nous avons
pas apporté d’éclaircissements nouveaux cet après-midi puisque les réponses
concernant le champ d’application avaient déjà données précédemment, à plusieurs
reprises, par le rapporteur Nicolas Turquois et le secrétaire d’État.
(Les amendements no 18293 et
identiques ne sont pas adoptés.)
M. le
président. L’amendement no 24943 de Mme Valérie
Rabault, visant à supprimer les alinéas 6 et 7, est défendu.
(L’amendement no 24943, repoussé par la
commission et le Gouvernement, n’est pas adopté.)
M. le
président. La parole est à M. Adrien Quatennens, pour soutenir
l’amendement no 21543 et les seize amendements identiques déposés par
La France insoumise, qui tendent à supprimer, cette fois, l’alinéa 6.
M. Adrien
Quatennens. Nous voici arrivés à la fin des débats sur cet
article 5, et il ne nous reste plus que deux amendements pour tenter de
vous convaincre de ne pas commettre l’erreur de fouler aux pieds une promesse
essentielle – à en croire en tout cas les éléments de langage dont vous
vous êtes le plus souvent servis pour défendre ce projet de réforme des
retraites.
Nous vous avons expliqué qu’en renonçant à prendre en compte
les vingt-cinq meilleurs années des salariés du privé ou les six derniers mois
des fonctionnaires pour calculer les pensions de retraite, vous feriez une
écrasante majorité de perdants. Nous vous avons également démontré que vous ne
pourriez aboutir à l’équilibre financier sans consacrer davantage de richesses
aux retraites, à moins d’abaisser le niveau des pensions ou à jouer sur l’âge
pivot. Pour justifier votre entreprise, vous nous avez à chaque fois opposé le
sort que vous alliez réserver aux agriculteurs et la promesse, souvent
renouvelée, de leur accorder une pension au moins égale à
1 000 euros.
Or, nous voterons bientôt l’article 5 et il
sera alors établi que les agriculteurs devront renoncer, à leur tour, à leurs
espoirs. Ils n’auront pas droit à cette retraite minimale de
1 000 euros. Cette séquence ne vous honore pas !
M. Rémy
Rebeyrotte. Ah, elle vous ennuie, cette séquence de progrès
social !
M. Adrien
Quatennens. Il vous est peut-être encore possible de convaincre
l’ensemble de la représentation nationale – ce serait un immense
événement – de voter avec vous une mesure qui serait un progrès mais,
voyez-vous, nous n’en acceptons pas le principe. Nous n’avons qu’un mot
d’ordre : non pas tenter d’améliorer ce texte à la marger, mais en exiger
le retrait définitif, à la suite des cheminots de ce pays, des avocats et de
tous ceux qui sont mobilisés depuis plus de soixante-dix jours.
M. Éric
Bothorel. Et les agriculteurs ?
M. Adrien
Quatennens. Même les agriculteurs rejoignent le mouvement de
protestation, car ils se rendent bien compte que vous trahissez vos
promesses.
M. Éric
Bothorel. Ce n’est pas ce qu’on voit au Salon !
M. le
président. Sur l’article 5, je suis saisi par les groupes de la
Gauche démocrate et républicaine et de La République en marche d’une demande de
scrutin public.
Le scrutin est annoncé dans l’enceinte de l’Assemblée
nationale.
Quel est l’avis de la commission ?
M.
Guillaume Gouffier-Cha, rapporteur général. En effet, cher
collègue, vous ne parviendrez pas à nous convaincre de ne pas intégrer les
agriculteurs au futur système universel de retraite, ni de renoncer à les faire
bénéficier de nouveaux droits, à améliorer leur pension et leur quotidien. Vous
ne parviendrez pas à nous convaincre de cesser d’agir pour nos concitoyens, les
agriculteurs en tête. Avis défavorable.
M. le
président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. Laurent
Pietraszewski, secrétaire d’État. Monsieur le député, il nous
reste deux amendements, ou peut-être davantage, pour vous convaincre que les
agriculteurs attendent les mesures de justice sociale prévues dans ce texte. Si
vous voulez, comme nous, transformer le quotidien des futurs retraités agricoles
en leur attribuant des pensions de retraite décentes demain, vous devez voter,
non la suppression des différents alinéas de l’article 5, mais cet article
lui-même.
M. le
président. Il vous reste 30 820 occasions de convaincre,
monsieur le secrétaire d’État. (Sourires.)
La parole est à
M. Pierre Dharréville.
M. Pierre
Dharréville. Nous avons des regrets, mais nous ressentons aussi de la
colère face à votre refus de prendre en compte la situation des actuels
retraités agricoles. Ils n’ont cessé de répéter leurs demandes. Nous vous avons
fait une proposition qui avait recueilli un large assentiment, mais vous avez
préféré la repousser en nous expliquant que vous la reprendriez à l’occasion de
cette réforme. Or, ce n’est pas le cas. C’est un premier regret.
Par
ailleurs, votre proposition est pleine de trous et elle ne nous convient pas
davantage. Nous ne voulons de mal à personne, mais le système de retraite par
points s’apparente à un système de régression sociale organisée. Ce n’est pas
parce que vous avez consenti quelques efforts supplémentaires que vous êtes au
rendez-vous. Vous n’êtes pas au niveau et il faut remettre l’ouvrage sur le
métier pour proposer une véritable réforme progressiste des retraites.
Je
vous présenterai ce soir – tard hélas, à vingt-trois heures trente –
la proposition générale que nous avons construite en ce sens. En effet, nous
avons saisi l’occasion de débattre que vous avez proposée pour demander la
constitution d’une commission spéciale chargée d’examiner la proposition de loi
que nous avons déposée. Il faut trouver une sortie de crise car, comme vous le
voyez, votre projet ne convainc personne ou pas grand-monde. Il faut faire
autrement.
M. Rémy
Rebeyrotte. Ce n’est qu’un nouvel outil d’obstruction !
M. Pierre
Dharréville. Quant à votre volonté de justice sociale, elle manque de
crédit – au singulier comme au pluriel.
M.
Jean-Paul Dufrègne. Très bien !
M. Roland
Lescure. Je l’ai connu meilleur.
M. le
président. La parole est à Mme Véronique Hammerer.
Mme
Véronique Hammerer. Je souhaiterais recentrer le débat sur l’objet de
l’article 5, c’est-à-dire sur les futurs retraités agricoles. Cela ne nous
emmène pas très loin : en 2022, dans deux ans.
Je vais vous raconter
l’histoire de Christine, viticultrice du Bourget, dans ma circonscription. Elle
est née en 1965. En 2027, elle aura 62 ans ; en 2029, elle aura
64 ans et aura cotisé 178 trimestres. J’ai avec moi sa fiche
d’informations. J’en ai même plusieurs car, venant d’un territoire rural, je
rencontre régulièrement des agriculteurs. À 62 ans, Christine touchera
525 euros brut par mois en cumulant sa retraite de base et sa
complémentaire. Si elle part à 64 ans, elle touchera 585 euros
brut.
Dans le système de retraite que nous proposons, si elle le
souhaite, elle pourra liquider sa retraite à partir de 2022, à condition d’avoir
travaillé 50 heures par mois pendant 516 mois, c’est-à-dire un tiers
temps. Ne nous dites pas que les agriculteurs n’arriveront pas à prouver qu’ils
travaillent au moins un tiers temps par mois !
Christine touchera
alors 1 000 euros de retraite. Voilà ce que signifie
l’article 5 ! (Applaudissements sur les bancs du groupe LaREM.)
Elle verra sa retraite augmenter de 70 % : voilà une réforme de
justice sociale !
(« Bravo ! » et
applaudissements sur les bancs du groupe LaREM et quelques bancs du groupe
MODEM.)
M.
Jean-Paul Dufrègne. C’est de la charité !
M. le
président. La parole est à M. Adrien Quatennens.
M. Adrien
Quatennens. Chers collègues, ce n’est malheureusement pas parce que vous
parlez fort ou que vous répétez les mêmes choses que celles-ci deviennent
vraies. (Exclamations sur les bancs du groupe LaREM.) Je regrette de ne
pas être parvenu à vous convaincre sur l’article 5, ou plutôt à vous
influencer, pour reprendre les termes de notre collègue Petit. Pour nous, il ne
s’agit pas d’améliorer le texte mais de défendre le mot d’ordre du retrait. Nous
n’ignorons pas que nous sommes ici en minorité…
Plusieurs députés du groupe
LaREM. Et pas qu’ici !
M. Adrien
Quatennens. …mais il nous semble qu’à l’extérieur de l’hémicycle, le
pays tout entier souhaite le retrait du texte. (Exclamations sur les bancs du
groupe LaREM.) Ils sont beaucoup plus que 6 %, collègue Lescure :
si vous et moi nous lisons les mêmes enquêtes d’opinion, ils sont même une
majorité.
Monsieur le secrétaire d’État, monsieur le rapporteur général,
vous nous avez régulièrement appelés à la patience au cours de la discussion.
Vous nous avez demandé d’attendre que soient examinés les articles les plus
adaptés, à vos yeux, à tel ou tel point en discussion. Mais nous avons derrière
nous l’expérience d’une commission spéciale qui n’est jamais parvenue à terminer
ses travaux…
M. Roland
Lescure. La faute à qui ?
M. Adrien
Quatennens. …non du fait de l’obstruction parlementaire, qui est
franchement loin des grandes heures de l’obstruction dans l’hémicycle, mais en
raison d’un délai d’examen trop restreint. Monsieur le secrétaire d’État,
pouvez-vous garantir que nous atteindrons bien les articles 40, 41 et 60
que vous avez évoqués ? (Exclamations sur les bancs des groupes LaREM et
MODEM.)
Plusieurs députés des groupes
LaREM et MODEM. Cela dépend de vous ! Retirez vos
amendements !
M. Adrien
Quatennens. Non, cela ne dépend pas de l’opposition parlementaire, mais
du délai que vous voudrez bien accorder à l’examen de la réforme des retraites.
J’ai donc une question claire, qui pourrait peut-être changer notre stratégie
(Nouvelles exclamations sur les bancs des groupes LaREM et MODEM) :
avons-nous la certitude de parvenir au terme de l’examen du texte ? La
question mérite d’être posée.
M. le
président. La parole est à M. Frédéric Petit.
M. Frédéric
Petit. Je suis un peu déçu que nous n’ayons pas réussi à économiser le
temps passé sur cet article et à marquer une convergence sur un sujet qui, au
fond, nous rapproche. Le MODEM votera bien sûr pour l’article 5. Par
ailleurs, je voudrais dire qu’il n’appartient pas à M. le secrétaire d’État
de nous garantir quoi que ce soit ici.
M. Pierre
Dharréville. Ça, on l’a compris depuis longtemps !
M. Frédéric
Petit. Ici, nous sommes la nation souveraine. (Applaudissements sur
plusieurs bancs des groupes LaREM et MODEM.)
M. le
président. Je précise que nous en sommes toujours à l’examen des
amendement, pas au vote sur l’article.
(Les amendements no 21543
et identiques ne sont pas adoptés.)
M. le
président. La parole est à M. Alexis Corbière, pour soutenir
l’amendement no 21560 et les seize amendements identiques déposés par
les membres du groupe La France insoumise.
M. Alexis
Corbière. Nous continuons notre travail, et trouvons ces échanges tout à
fait intéressants. Il est donc inutile, chers collègues, de hausser le ton pour
dramatiser la situation. Nous sommes principes contre principes, vision de la
société contre vision de la société… Si vous pensez que discuter de la loi
représente une perte de temps, il fallait devenir autre chose que député !
(Exclamations sur les bancs des groupes LaREM et MODEM.) Vous pensez
peut-être que c’est une perte de temps que de consacrer cinq ou six semaines à
un texte qui concerne la vie de millions de gens. Mais l’histoire de la
République, l’histoire du Parlement est faite de débats très longs sur des
sujets importants. Vous avez peut-être l’habitude que tout aille vite dans vos
entreprises privées, mais quand on fait la loi, on prend le temps.
Grâce
à chacune de nos interventions, nous constatons deux choses : d’abord,
qu’en posant de vraies questions, des points s’éclairent ; ensuite, que
vous êtes en train de perdre la bataille de l’opinion, car vos attitudes
agressives achèvent de convaincre les Français que le recours à
l’article 49, alinéa 3 de la Constitution n’est là que pour masquer
vos difficultés. (Exclamations sur les bancs des groupes LaREM et
MODEM.)
Mme
Brigitte Bourguignon, présidente de la commission spéciale. Vous
êtes bien mal placé pour parler de méthodes agressives !
M. Alexis
Corbière. C’est nous qui posons des questions. Plus de la moitié des
interventions des députés de la majorité sont des réponses dilatoires, qui
éludent le sujet ou évoquent le programme prétendument dictatorial de La France
insoumise.
M. Rémy
Rebeyrotte. Vous faites de l’obstruction !
M. Alexis
Corbière. C’est sans doute cette difficulté qui vous fait hésiter à
recourir au 49.3 : vous voyez bien que cela ne passe pas dans l’opinion.
Ceux qui parlent d’autre chose, c’est vous ! (Agitation sur les bancs
des groupes LaREM et MODEM.) Ceux qui crient quand on intervient, c’est
vous !
Mme Nadia
Essayan. Restons calmes !
M. Alexis
Corbière. Ceux qui font des gestes… Je ne sais pas si c’est un geste à
caractère sexuel que vous faites, madame Cloarec-Le Nabour, mais c’est
assez indécent. (Exclamations sur les bancs des groupes LaREM et
MODEM.)
M. le
président. Monsieur Corbière, je sens que le débat dérape.
M. Alexis
Corbière. Je suis choqué, monsieur le président ! Une de nos
collègues a fait un geste de la main qui, personnellement, me choque !
(Mêmes mouvements.) J’ai eu peur que…
M. le
président. Pas du tout, monsieur Corbière. Passons.
Une députée du groupe
LaREM. C’est dans votre tête !
M. Cyrille
Isaac-Sibille. Sexiste ! C’est du harcèlement, monsieur
Corbière !
M. Alexis
Corbière. J’aimerais que tout le monde se calme. Moi, je suis calme.
M. le
président. Je vous remercie, monsieur Corbière. Il vous reste quelques
secondes pour conclure.
M. Alexis
Corbière. Je termine, monsieur le président. Je vous connais et je
trouve que vous êtes généralement un bon président, je le dis sans aucune
arrière-pensée. Je fais simplement observer que, quand j’interviens, mes
collègues se mettent à hurler et font des gestes indécents. J’aimerais, comme
tout le monde, pouvoir parler sans que l’on se mette à hurler.
Vous
recourrez peut-être au 49.3, mais vous en porterez la responsabilité. Vous ne
nous coincerez pas.
Mme Nadia
Essayan. On vous la laisse, la responsabilité !
M. le
président. Quel est l’avis de la commission ?
M.
Guillaume Gouffier-Cha, rapporteur général. L’objet de
l’amendement, c’était encore la suppression d’un alinéa. Avis défavorable. Je
souligne au passage que, sur l’article 5, à l’exception de deux amendements
rédactionnels portant sur les mots « universel » et « retraite
par points » – ils auraient manqué ! – nous n’avons eu que
des amendements de suppression.
(« Bravo ! » et
applaudissements prolongés sur les bancs des groupes LaREM et MODEM.) Je
laisserai les agriculteurs seuls juges des attitudes de chacun.
M. le
président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. Laurent
Pietraszewski, secrétaire d’État. Il s’agit en effet d’un article
important. Comme je l’ai dit tout à l’heure en réponse à l’un des amendements
défendus par Adrien Quatennens, j’espère que la représentation nationale réunie
ici ce soir décidera de voter massivement l’article 5, au regard des
avancées sociales significatives qu’il contient pour les agriculteurs. C’est un
moment important.
Plusieurs d’entre vous ont cherché à vérifier, avant de
voter, s’ils étaient bien renseignés, et je pense qu’ils l’ont été. Plusieurs
d’entre vous, sur tous les bancs, ont également souhaité témoigner des
rencontres qu’ils avaient faites avec les exploitants agricoles de leur
territoire. Plusieurs d’entre vous ont souhaité que l’on aille peut-être plus
loin…
M.
Jean-Paul Dufrègne. Peut-être ?
M. Laurent
Pietraszewski, secrétaire d’État. …tout en notant que de
nombreuses dispositions seraient prises dès 2022 pour les futurs retraités
agricoles et qu’une mission allait rapidement rendre des propositions pour ceux
qui sont déjà retraités.
Je crois que vous avez ici, mesdames et
messieurs les députés, l’occasion d’envoyer un signal fort à nos agriculteurs, à
ceux qui construisent notre environnement et nous nourrissent. Je suis sûr que
vous ne manquerez pas de leur envoyer ce signal positif en votant massivement
l’article 5.
(« Excellent ! » et
applaudissements sur plusieurs bancs des groupes LaREM et MODEM.)
M. le
président. La parole est à Mme Marie-Christine Dalloz.
Mme
Marie-Christine Dalloz. Nous sommes ici pour légiférer. N’allez pas nous
faire croire, monsieur le rapporteur général, monsieur le secrétaire d’État,
mesdames et messieurs de la majorité, qu’à travers cet article, nous votons pour
ou contre l’agriculture. C’est faux, pour deux raisons objectives.
La
première raison, c’est que, l’article 5 étant encore un article de
principe,…
M.
Guillaume Gouffier-Cha, rapporteur général. Mais non !
Mme
Marie-Christine Dalloz. …beaucoup des dispositifs sont définis à
l’article 20 et complétés à l’article 21 – M. le secrétaire
d’État lui-même nous a renvoyés aux articles 20 et 21. Nous ne traitons pas
encore du fond, mais d’un affichage de principes. Il est donc inutile de nous
donner des leçons : le monde agricole attend mieux, en termes de débat, que
celui qui consiste à dire que ne pas voter pour l’article 5, c’est dire
qu’on est contre les agriculteurs. (Exclamations sur les bancs du groupe
LaREM.)
Je voudrais aussi faire une remarque de fond, à laquelle
vous réfléchirez. À partir de 2025, vous allez garantir 85 % du SMIC aux
agriculteurs qui auront cotisé jusqu’à 65 ans.
(M. Cyrille Isaac-Sibille applaudit.) Mais, en
réalité, ils n’auront pas cotisé sur les 600 heures par an au SMIC que vous
leur demandez, parce que leurs revenus ne le leur permettent pas ! Arrêtez
cette course à la démagogie, elle est pitoyable. (Applaudissements sur les
bancs du groupe LR.)
M. Cyrille
Isaac-Sibille. Assumez ! (Plusieurs députés des groupes LR et
MODEM s’interpellent.)
M. le
président. Chers collègues, s’il vous plaît. La parole est à
M. Pierre Dharréville.
M. Pierre
Dharréville. Nous abordons ce sujet comme tous les autres, c’est-à-dire
avec beaucoup d’humilité, tant la situation de nombre d’agriculteurs est
préoccupante.
M. le
président. S’il vous plaît, mes chers collègues, gardez vos discussions
pour le dîner. Pardon, monsieur Dharréville.
M. Pierre
Dharréville. Face à cette situation, nous leur devons ici des réponses,
et des actes. Faut-il agir pour les retraites agricoles ? Oui. Je pense que
la réponse fait l’unanimité et, pour notre part, nous avons formulé des
propositions. La proposition que vous faites est-elle suffisante ? Non.
Est-elle satisfaisante ? Non. Est-elle cohérente ? Non. Le système de
retraite tel que vous l’imaginez est-il philosophiquement désirable ?
Va-t-il fonctionner ? Nous pensons que non. Voilà les raisons de notre
opposition.
Monsieur le rapporteur général, vous avez tout à l’heure, par
un petit artifice, indiqué que nous n’avions examiné que des amendements de
suppression. Évidemment, puisque nous sommes en désaccord avec le projet de
loi ! Mais je vous invite également à considérer – et je le dis pour
que chacun hors de l’hémicycle soit bien informé des contraintes auxquelles les
parlementaires doivent faire face – que l’article 40 de la
Constitution nous empêche de déposer un certain nombre de propositions que nous
aimerions faire valoir.
Mme
Marie-Christine Dalloz. Oui, c’est vrai.
M. Pierre
Dharréville. C’est la raison pour laquelle nous avons déposé une
proposition de loi qui contient des mesures en faveur des agriculteurs et qui
fera l’objet d’une petite séquence ce soir. Elle sera sans doute trop courte à
mon goût mais, qui sait, si nous prenions alors une bonne décision, la suite du
débat pourrait changer… (Sourires.) Quoi qu’il en soit, je vous rassure,
monsieur le rapporteur général : des propositions différentes de la vôtre
existent. (Applaudissements sur les bancs du groupe GDR.)
M. le
président. La parole est à Mme Caroline Fiat.
Mme
Caroline Fiat. Comme l’a souligné Marie-Christine Dalloz, appuyer sur un
bouton ne nous fera pas voter pour ou contre les agriculteurs. (Exclamations
sur les bancs du groupe LaREM.)
M. Rémy
Rebeyrotte. Non, mais pour ou contre leur retraite.
Mme
Caroline Fiat. Personne, ici, n’est contre notre
agriculture.
Nous avons tous rencontré des agriculteurs et discuté avec
eux – d’ailleurs, comme cela a très bien été dit, si nous n’allons pas vers
eux, ils savent très bien venir à nous. Nous connaissons leurs inquiétudes. Les
promesses que vous leur avez faites, nous pensons que vous ne les tenez pas, ce
qui engendrera de la déception. C’est la raison pour laquelle nous sommes
opposés à cet article.
Selon Mme Hammerer, nous laisserions entendre
que les agriculteurs ne travaillent même pas un tiers temps, puisque nous avons
affirmé qu’ils n’auraient pas les 600 heures nécessaires payées au SMIC.
Mais chacun sait que les agriculteurs sont ceux qui travaillent le plus, qu’ils
se lèvent très tôt et se couchent très tard, et cela du lundi au dimanche !
Dans cet hémicycle, personne ne pense le contraire. En revanche, nous savons
tous également que parfois ils se lèvent très tôt et se couchent très tard pour
ne rien gagner à la fin du mois, parce qu’il a grêlé, parce que la météo n’a pas
été satisfaisante, parce que le troupeau a attrapé une maladie : ils n’ont
alors même pas la possibilité de se verser un salaire ! Tel est le cœur du
problème.
Voter pour ou contre l’article 5 ne revient donc pas à
voter pour ou contre les agriculteurs. Nous avons simplement à nous demander si
vos propositions traduisent votre promesse de leur garantir une pension de
retraite d’au moins 1 000 euros. Or, non, vous ne respectez pas votre
promesse. C’est pourquoi nous appuierons sur le bouton
« contre ».
M. le
président. La parole est à Mme Célia de Lavergne.
Mme Célia
de Lavergne. Plus que sur l’article, je souhaite m’exprimer sur notre
attitude dans ce débat, notamment pour répondre aux provocations de la
gauche.
Depuis le début de l’examen du texte, notre attitude est calme,
déterminée et constructive, en dépit des provocations, voire du harcèlement dont
se rend responsable la gauche de l’hémicycle en posant sans cesse les mêmes
questions. Nos collègues du groupe Les Républicains ont eux aussi une attitude
constructive, je le reconnais bien volontiers même si nous ne partageons pas les
mêmes idées. Cette différence d’attitude ne concerne pas que cet article, elle
est générale.
S’agissant de l’article 5, alors que nous nous
réjouissons de ce que les exploitants et les salariés agricoles seront inclus
dans le nouveau système parce que cela leur permettra de bénéficier d’une
pension minimale de 1 000 euros, vous vous livrez à la critique, vous
êtes incapables de vous réjouir de cette avancée sociale.
Ce matin, une
de nos collègues de La France insoumise a déclaré ne plus vouloir de la
Ve République et souhaiter une
VIe République : vous critiquez, vous attisez la haine,
vous utilisez toutes les colères.
M. Alexis
Corbière. Monsieur le président ! Comment accepter cela ?
Mme Célia
de Lavergne. Vous envisagez chaque projet de loi avec une attitude
destructrice. Nous, nous adoptons, je le répète, une attitude constructive. Nous
voulons fonder un système universel plus solidaire, avec de vraies avancées
sociales pour les femmes, pour les agriculteurs, pour tous ceux dont les
carrières sont aujourd’hui hachées, pour les temps partiels. Nous voulons offrir
une solidarité nationale, au-delà des quarante-deux solidarités
professionnelles, sans rogner les pensions. Telle est, encore une fois, notre
attitude. (Applaudissements sur les bancs du groupe LaREM et quelques bancs
du groupe MODEM.)
M. le
président. La parole est à Mme Agnès Firmin Le Bodo.
Mme Agnès
Firmin Le Bodo. Faut-il agir pour les retraités du monde agricole ?
Notre réponse est oui. Faut-il exclure les agriculteurs du système universel de
retraite ? Notre réponse est non. Le groupe UDI, Agir et indépendants
votera donc pour l’article 5, afin d’envoyer un message fort et de
permettre notamment aux agriculteurs, qui, pour la grande majorité d’entre eux,
touchent des retraites inférieures à 1 000 euros, d’atteindre ce
montant dès 2022, et 85 % du SMIC dès 2025.
Un député du groupe LR.
Et pour le stock ?
Mme Agnès
Firmin Le Bodo. Non pas pour le « stock », cher collègue, mais
pour les « retraités actuels », dont la pension est inférieure à
1 000 euros, nous déposerons des amendements au projet de loi de
financement de la sécurité sociale visant à régler en partie et de façon
progressive leur situation.
Rappel au règlement
M. le
président. La parole est à M. Adrien Quatennens, pour un rappel au
règlement.
M. Adrien
Quatennens. Au titre de l’article 100 sur la bonne tenue de nos
débats. (Exclamations sur quelques bancs du groupe LaREM.) Nous avons des
points de vue différents, et argumentons. Serait-il possible, dès lors, d’éviter
de se jeter à la figure des « dictature » et autres
« attiser la haine » ? Nous souhaitons simplement défendre
un projet qui ne correspond pas au vôtre. S’agissant plus précisément de
l’article 5, vous ne traduisez pas dans le texte les promesses que vous
avez faites aux Français. C’est clair.
De la même manière que le système
que vous voulez créer n’est pas, de l’aveu même du rapporteur Turquois,
« parfaitement universel », de même tous les agriculteurs ne
percevront pas « parfaitement » une pension de retraite de
1 000 euros par mois. C’est le moins qu’on puisse dire – cela a
déjà été souligné à plusieurs reprises.
Sans revenir sur le fond de
l’amendement, je tiens à insister sur la cohérence de nos propos.
M. le
président. Je vous prie de conclure, cher collègue.
M. Adrien
Quatennens. Moi, je n’affirme pas que vous êtes des dictateurs en
puissance : je vous dis simplement que vous ne traduisez pas dans le projet
de loi la promesse que vous avez faite. C’est la raison pour laquelle nous
voterons contre cet article.
M. le
président. Monsieur Quatennens, respectez les règles du
jeu !
Article 5 (suite)
M. le
président. La parole est à M. Bruno Millienne.
M. Bruno
Millienne. Au cours de la discussion sur l’article 5, nous avons
failli parvenir à l’unanimité : le fait que les agriculteurs ne réussissent
pas à vivre de leur activité et que leurs pensions de retraite soient indignes
émeut tous les bancs de l’Assemblée.
Je tiens à remercier
M. Descoeur, qui a beaucoup travaillé avec le secrétaire d’État et le
rapporteur pour apporter des précisions utiles. (Applaudissements sur les
bancs du groupe LR et quelques bancs des groupes LaREMet MODEM.)
Malheureusement, elles n’ont pas été entendues par nos amis de La France
insoumise, plongés qu’ils étaient dans une discussion qui leur appartient. C’est
dommage, parce qu’ils auraient appris des choses.
Je tiens également à
remercier M. Dufrègne, qui est arrivé la main tendue, dans la perspective
de la mission, pour travailler en profondeur tous les problèmes de la profession
agricole : il n’y a pas que les futurs retraités, il faut traiter le
problème des retraités actuels ! Nous devons également permettre aux
agriculteurs de gagner dignement leur vie.
Je remercie également
M. Letchimy, qui lui aussi nous a tendu la main. Vous le voyez, une belle
unanimité était possible. Le groupe MODEM votera bien évidemment
l’article 5. Mon seul regret, pour le bien des agriculteurs, est que cet
article ne sera pas adopté à l’unanimité. (Applaudissements sur plusieurs
bancs des groupes MODEM et LaREM.)
(Les amendements nos 21560
et identiques ne sont pas adoptés.)
M. le
président. Je mets aux voix l’article 5.
(Il est procédé au scrutin.)
M. le
président. Voici le résultat du
scrutin :
Nombre de
votants 106
Nombre
de suffrages
exprimés 94
Majorité
absolue 48
Pour
l’adoption 74
Contre 20
(L’article 5 est
adopté.)
(Applaudissements sur les bancs des groupes LaREM, MODEM
et UDI-Agir.)
Article 6
M. le
président. La parole est à M. Boris Vallaud.
M. Boris
Vallaud. Cet article ouvre le régime universel à l’ensemble des
fonctionnaires. J’ai cru comprendre que le Gouvernement déposera un amendement à
l’article 61 pour, vraisemblablement, préciser des éléments relatifs à la
période de transition.
C’est utile, mais bien tardif : cette façon
de procéder, consistant à égrener en marchant les différentes étapes de la
réforme, ne nous permet pas d’en mesurer objectivement les effets. Des
inquiétudes demeureront – j’ignore si nous les évoquerons dans le cadre de
cet article ou dans celui de l’article 61 : je pense aux femmes, dont
les primes, dans la fonction publique, sont bien inférieures à celles des
hommes, ou aux agents qui bénéficient le moins de primes. De même, le fait de
cotiser sur les primes plutôt que d’intégrer les primes dans le traitement,
comme cela avait été engagé sous le précédent quinquennat, risque de perpétuer
des inégalités de pensions.
Quid également des conséquences pour les
fonctionnaires de la retraite par points, en l’absence de négociations
salariales importantes et suivies ? Vous avez tendance à appuyer la
construction de votre système universel sur une projection aussi contestable
qu’imaginaire. Je me plais, moi, à comparer la situation de fonctionnaires qui
partent aujourd’hui à la retraite avec celle qui résultera de votre réforme. Je
prends le cas d’une femme, professeur certifié, née en 1953 et qui prend sa
retraite en 2020 : en fin de carrière, son traitement brut s’élevant à
3 889 euros avec un taux de remplacement de 75 %, sa pension sera
de 2 940 euros. Si nous devions lui appliquer le régime par points que
vous envisagez, sa pension ne serait plus que de 2 197 euros, soit une
baisse de 25 % représentant une perte mensuelle de 743 euros.
M. le
président. Je vous demande de bien vouloir conclure, mon cher collègue,
vous avez dépassé votre temps de parole.
M. Boris
Vallaud. Je répondrai tout à l’heure au secrétaire d’État, qui m’a
renvoyé à l’étude du COR de juin 2019 alors que je contestais son calendrier de
l’augmentation de la part des primes dans la rémunération des enseignants, qui
passeraient de 9 % à 20 % en cinquante ans grâce à une hausse de
0,23 point par an durant cette période. J’ai regardé l’étude : ses
conclusions sont tout à fait différentes de celles que le secrétaire d’État a
présentées.
M. le
président. La parole est à Mme Nicole Sanquer.
Mme Nicole
Sanquer. L’article 6 assure la couverture des fonctionnaires, des
magistrats et des militaires par le système universel de retraite. Une telle
intégration est importante. Elle répond à une demande constante du groupe UDI,
Agir et indépendants, celle de la convergence entre le public et le privé. Elle
constitue un facteur de cohésion sociale : l’égalité de tous devant la
retraite, avec des règles communes.
Cependant, plusieurs points
retiennent notre attention. Il convient ainsi de s’assurer que l’intégralité des
financements aujourd’hui consacrés par l’État à garantir ses pensions de
retraite, dans le cadre de la contribution de l’État employeur, sera bien versée
dans le cadre du régime universel. Il convient également de prendre en
considération la situation particulière des enseignants. Cette refondation de
notre système de retraite doit être l’occasion de réaffirmer le contrat qui lie
la société tout entière à la communauté enseignante. Le traitement des
enseignants n’a pas été revalorisé depuis trente ans : une véritable
injustice alors que leurs missions sont décisives pour la société.
Il
serait par ailleurs souhaitable de tenir compte de l’avis du Conseil supérieur
de la fonction militaire sur le projet de loi, et de rappeler la distinction
entre pension militaire et retraite. La pension militaire n’est pas assimilable
à une retraite : elle traduit la reconnaissance de la nation à l’égard de
ceux qui engagent leur vie pour nous défendre. Il est nécessaire de l’inscrire
dans la loi : ce sera l’objet de l’article 18.
Il convient,
enfin, de prendre en considération la situation spécifique des outre-mer et les
conséquences de la réforme sur les ultramarins. Je souhaite relayer les
inquiétudes relatives au dispositif de remplacement de l’indemnité temporaire de
retraite – ITR – applicable aux fonctionnaires d’État rattachés aux
collectivités du Pacifique. En effet, à compter de 2019 et jusqu’à l’extinction
définitive de l’ITR au 1er janvier 2028, les fonctionnaires
d’État du Pacifique prenant leur retraite subiront une perte annuelle de
800 euros, sans qu’aucun dispositif compensatoire ait été mis en place
depuis 2009. Le dispositif prévu à l’article 17 du projet de loi compense
l’extinction de l’ITR en soumettant une partie de la surrémunération à
cotisation, ce qui entraînera à court terme une perte de pouvoir d’achat pour
les personnes concernées. Il nous faut travailler ensemble à une solution
pérenne, afin de garantir une retraite équivalente à ces fonctionnaires sans
pour autant obérer leur pouvoir d’achat.
M. le
président. La parole est à M. Michel Castellani.
M. Michel
Castellani. Ce texte pénalise particulièrement les fonctionnaires des
catégories B et C, qui constituent plus des trois quarts de la fonction
publique, qu’ils appartiennent à la fonction publique d’État, hospitalière ou
territoriale.
Les fonctionnaires qui n’avaient peu ou pas de primes
verront leur pension baisser. Les employeurs territoriaux, compte tenu de
l’élargissement des assiettes de cotisation, intégrant les primes, subiront une
augmentation massive de leurs cotisations, d’ailleurs non chiffrée par l’étude
d’impact.
Dans le système de retraite par points, la prise en compte de
la rémunération sur l’ensemble de la carrière est défavorable aux fonctionnaires
et particulièrement aux enseignants. Afin de pallier ce nouveau mode de calcul
désavantageux, le gouvernement a renvoyé la question de la revalorisation des
rémunérations à une loi de programmation dans un dispositif législatif
inconstitutionnel et sans aucune mesure précise et concrète. Pour que les
enseignants conservent dans le nouveau système la même retraite qu’aujourd’hui,
il faudrait augmenter de 25 % leur rémunération, soit une dépense de
12 milliards. Nous sommes bien loin des 100 euros promis par le
ministre de l’éducation nationale !
Nous alertons également sur la
situation des militaires et rappelons que le Conseil supérieur de la fonction
militaire a émis un avis particulièrement sévère sur cette réforme.
Les
catégories actives, qui représentent 600 000 agents, dont
500 000 agents hospitaliers, perdront la possibilité de partir de
manière anticipée à 57 ans et seront soumises au droit commun, à savoir un
départ à 62 ans avec une décote. C’est pourquoi il faudrait instaurer un
accès à la retraite progressive ou un mécanisme de départ anticipé tenant compte
de la pénibilité, notamment pour les personnels de la fonction publique
hospitalière.
Bref, le Gouvernement peut difficilement rester sourd aux
revendications légitimes des agents de la fonction publique. Nous devons
garantir à ces derniers un niveau de vie décent. (Applaudissements sur les
bancs du groupe LT.)
M. le
président. La parole est à M. Adrien Quatennens.
M. Adrien
Quatennens. Nous atteignons l’article 6, qui traite du sort réservé
aux fonctionnaires. Dans notre pays, ces derniers ont une rémunération très
faible, parmi les plus faibles de l’ensemble des grands pays de l’OCDE. Cela
justifiait la règle du calcul de la pension de retraite sur la base des six
derniers mois de carrière. Vous ne pouvez pas vous engager sur le taux de
remplacement, c’est-à-dire la part de leur dernier salaire qu’ils
conserveront : vous le devriez pourtant. Dans l’étude d’impact, les
salaires sont absolument mirobolants et sans commune mesure avec les salaires
réels des fonctionnaires, notamment dans le secteur hospitalier.
Monsieur
le secrétaire d’État, allons-nous vers la généralisation d’un système de primes
qui ferait en quelque sorte des fonctionnaires des agents définitivement à la
botte du pouvoir politique et de leur hiérarchie, ou allons-nous vers une
revalorisation considérable de leurs revenus ? En l’espèce, il apparaît
clairement que sans revalorisation considérable de leurs revenus, les
enseignants comme les autres fonctionnaires connaîtront une perte majeure. Le
calcul sur la base des six derniers mois doit absolument être préservé, afin de
garantir un bon niveau de pension aux fonctionnaires de notre pays.
(Mme Fiat applaudit.)
M. le
président. La parole est à M. Stéphane Peu.
M. Stéphane
Peu. Après deux ans et demi d’exercice de ses responsabilités, nous
avons pu constater certaines obsessions idéologiques de la majorité. L’une
d’entre elles concerne les fonctionnaires : force est d’admettre que vous
ne les aimez pas beaucoup. Après avoir voté un texte de modernisation de la
fonction publique qui ne vise en réalité pas autre chose que sa précarisation et
la contractualisation massive, après avoir perpétué le gel du point d’indice et
des salaires des fonctionnaires, vous vous attaquez désormais à leurs
retraites.
Mécaniquement, la prise en compte de l’ensemble des
rémunérations, y compris celles souvent très faibles du début de carrière,
pénalisera lourdement tous les agents du service public. L’intégration des
primes ne suffira pas à compenser cette perte gigantesque ; elle aura même
des effets pervers, aggravant l’inégalité entre les femmes et les hommes et les
inégalités entre catégories sociales. En effet, les agents de catégorie C,
et dans une moindre mesure ceux de catégorie B, perçoivent moins de primes
et auront une retraite plus faible. Quant aux professeurs, dont on sait qu’ils
figurent parmi les moins bien rémunérés des pays de l’OCDE, ils seront les
dindons de la farce, nous aurons l’occasion d’y revenir dans d’autres
articles.
Les fonctionnaires, dont le statut garantit la neutralité, la
laïcité et un service public à la française, sont l’une des principales forces
de notre pays. Avec la loi de transformation de la fonction publique et le
régime auquel vous voulez les condamner par le biais de cette réforme des
retraites, vous affaiblissez l’un de nos fleurons : un service public
puissant et des agents de la fonction publique forts de leur statut et d’une
rémunération digne. (Applaudissements sur les bancs du groupe
GDR.)
M. le
président. La parole est à M. Fabien Gouttefarde.
M. Fabien
Gouttefarde. Les règles des régimes de retraite des fonctionnaires sont
spécifiques et diffèrent de celles des salariés du privé. Le calcul de la
pension de retraite se fait sur les six derniers mois, hors primes, et les
fonctionnaires n’ont pas toujours les mêmes droits que les salariés du secteur
privé, notamment les droits familiaux et le nombre de trimestres qu’ils
permettent d’acquérir. Demain, pour une même rémunération, tous les
fonctionnaires disposeront à terme des mêmes droits à la retraite ; leur
pension sera calculée sur l’ensemble de la carrière, y compris sur leurs
primes.
Je vous invite à consulter la page 156 de l’étude d’impact,
qui montre que le système universel ne conduira pas à la baisse des pensions
moyennes et permettra leur maintien. Avec cette réforme, les fonctionnaires
cotiseront désormais sur l’ensemble de leur rémunération, primes comprises, ce
qui constitue une évolution majeure. En moyenne, ces primes représentent
22 % de leur rémunération.
Surtout, le système universel ouvre de
nouveaux droits aux fonctionnaires. J’aimerais en évoquer deux. D’abord, au
travers de cette réforme, nous étendons la prise en compte de la pénibilité à la
fonction publique. Nous estimons à 100 000 le nombre de fonctionnaires qui
seraient concernés : c’est une avancée sociale majeure. La pénibilité sera
désormais reconnue individuellement, en fonction du métier et de l’exposition
des agents et non plus en fonction des corps, des grades et des statuts.
Concrètement, un veilleur de nuit dans la fonction publique pourra se voir
appliquer cette prise en compte, qui aujourd’hui ne concerne que les veilleurs
de nuit du secteur privé. (M. Erwan Balanant applaudit.)
Nous étendons également aux fonctionnaires l’incapacité permanente. Ces deux
dispositifs permettent aux fonctionnaires concernés de partir à la retraite à
60 ans.
Monsieur Peu, bien sûr que nous aimons les
fonctionnaires ; nous mesurons avant tout les services qu’ils rendent à la
nation.
M. le
président. Cher collègue, je vous demande de conclure.
M. Fabien
Gouttefarde. Au travers de cette réforme, nous souhaitons sortir de la
logique selon laquelle la retraite compense toute une vie de bas salaires.
(Applaudissements sur les bancs des groupes LaREM et MODEM.)
M. le
président. La parole est à M. Thibault Bazin.
M. Thibault
Bazin. L’article 6 fait entrer dans le futur système universel de
retraite les agents publics nés à partir de 1975. La fonction publique
territoriale compte plus d’un million d’agents ; les associations d’élus
locaux sont donc inquiètes. L’État compensera-t-il auprès des collectivités
locales l’augmentation considérable des cotisations, due à l’élargissement de
l’assiette avec les primes ? Répondez-nous, monsieur le secrétaire
d’État !
Les enseignants, qui sont très peu concernés par les
primes, sont également inquiets, parce que les promesses d’augmentation de
salaire ne sont pas financées. Votre réforme semble mal ficelée sur bien
d’autres points, tels que l’alinéa 14 qui semble oublier les fonctionnaires
détachés sur contrat de droit public, victimes d’une iniquité de traitement dans
la prise en compte de l’indemnité de résidence à l’étranger en fonction de leur
statut. D’où l’intérêt d’aller au bout de l’examen de ce projet de loi, pour le
corriger au moins a minima.
M. Maxime
Minot. Eh oui !
M. Thibault
Bazin. Votre réforme semble vraiment mal ficelée : l’alinéa 18
mériterait quant à lui d’être précisé pour les assurés dont le contentieux
devrait demeurer régi par les règles du code de justice administrative. Comme
l’a relevé le Conseil d’État, il peut y avoir des questions relevant davantage
du droit de la fonction publique. Cette matière représentera une nouvelle charge
pour le juge judiciaire, même si, selon l’étude d’impact, elle est limitée.
Monsieur le secrétaire d’État, quels moyens prévoyez-vous ? Comment le
droit de la fonction publique s’articulera-t-il avec le juge administratif,
pratiquant l’essentiel du contentieux de la fonction publique
restante ?
Surtout, qui paiera les primes promises pour compenser
les pertes de pension de retraite des agents publics ?
Enfin, votre
réforme portera atteinte à la valorisation de l’ascension sociale. La
progression au mérite est pourtant au fondement des carrières publiques. Le
futur mode de calcul pénalisera les fonctionnaires qui ont eu une carrière
ascendante, ce qui est dommageable. Revoyez votre copie !
(Applaudissements sur les bancs du groupe LR.)
M. le
président. La parole est à Mme Nathalie Elimas.
Mme
Nathalie Elimas. Nous voilà enfin à l’article 6, un article
d’importance puisqu’il prévoit l’intégration des fonctionnaires, des magistrats
et des militaires au système universel. Il s’agit d’une étape d’envergure, celle
de la convergence des régimes de la fonction publique et du secteur privé. À
partir de cette réforme, les fonctionnaires et les salariés du secteur privé
verront s’appliquer les mêmes règles et obtiendront les mêmes
droits.
Cette mesure est attendue depuis de nombreuses années par nos
concitoyens. Les études d’opinion montrent le souhait des Français de voir les
fonctionnaires et les salariés du secteur privé logés à la même enseigne. Ce
sera chose faite dans cet article, qui crée d’ailleurs un titre spécifique au
sein du code de la sécurité sociale pour intégrer au système universel
l’ensemble des fonctionnaires : les fonctionnaires d’État, les
territoriaux, les hospitaliers, les magistrats de l’ordre judiciaire, les
militaires et les fonctionnaires parlementaires que je tiens à saluer ici pour
la qualité de leur travail depuis dix jours. (Applaudissements sur divers
bancs.)
M. Pierre
Dharréville. Ne leur saquez pas la retraite !
Mme
Nathalie Elimas. Nous aurons l’occasion, évidemment, de rediscuter des
conditions d’intégration de ces publics à l’article 17 pour les cotisations
et au titre V pour les transitions. Je tenais à le rappeler, afin que les
débats ne se déportent pas comme à l’accoutumée et que nous discutions bien de
cet article 6 sur le fond, et uniquement de cela. (Applaudissements sur
quelques bancs des groupes MODEM et LaREM.)
M. le
président. La suite de la discussion est renvoyée à la prochaine
séance.
3
Ordre du jour de la prochaine séance
M. le
président. Prochaine séance, ce soir, à vingt et une heures
trente :
Suite de la discussion du projet de loi instituant un
système universel de retraite.
Débat sur la demande de constitution d’une
commission spéciale sur la proposition de loi pour une retraite universellement
juste.
La séance est levée.
(La séance est levée à dix-neuf heures
cinquante-cinq.)
Le Directeur du service du compte rendu de la séance
de
l’Assemblée nationale
Serge Ezdra
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