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Assemblée nationale XVe législature Session
ordinaire de 2019-2020
Compte rendu intégral
Deuxième séance du vendredi 28 février 2020
SOMMAIRE
Présidence
de M. Sylvain Waserman
1.
Système universel de retraite
Discussion
des articles (suite)
Article 6
(suite)
Amendements nos 21839,
21840, 21841, 21842, 21843, 21844, 21845, 21846, 21847, 21848, 21849, 21850,
21851, 21852, 21853, 21854, 21855
M. Guillaume
Gouffier-Cha, rapporteur général de la commission spéciale
M. Laurent
Pietraszewski, secrétaire d’État chargé des retraites
Amendements nos 21856,
21857, 21858, 21859, 21860, 21861, 21862, 21863, 21864, 21865, 21866, 21867,
21868, 21869, 21870, 21871, 21872 , 25168
M. Nicolas
Turquois, rapporteur de la commission spéciale
Amendements nos 26822,
31045, 31046, 31047, 31048, 31049, 31050, 31051, 31052, 31054, 31055, 31056,
31057, 31058, 31059, 31060 , 38769,
39207, 40406 , 42061
(sous-amendement) , 21873,
21874, 21875, 21876, 21877, 21878, 21879, 21880, 21882, 21883, 21884, 21885,
21886, 21887, 21888, 21889, 21890 , 25169
, 31061,
31062, 31063, 31064, 31065, 31066, 31067, 31068, 31069, 31070, 31071, 31072,
31073, 31074, 31075, 31076 , 42647
(sous-amendement) , 40363
, 25170
, 21891,
21892, 21893, 21894, 21895, 21896, 21897, 21898, 21899, 21900, 21901, 21902,
21903, 21904, 21905, 21906, 21907 , 25172
, 25173
Rappel
au règlement
M. Thibault
Bazin
Article 6
(suite)
Suspension
et reprise de la séance
Article 7
Mme Nicole
Sanquer
Mme Mathilde
Panot
M. Stéphane
Peu
Mme Mireille
Clapot
M. Éric
Woerth
M. Frédéric
Petit
Amendements nos 958
, 8370
, 17852,
17853, 17854, 17855, 17856, 17857, 17858, 17859, 17860, 17861, 17862, 17863,
17864, 17865, 17866, 17867, 17868 , 26751,
27622, 27623, 27624, 27625, 27626, 27627, 27628, 27629, 27630, 27631, 27632,
27633, 27634, 27635
M. le
président
Rappels
au règlement
Mme Caroline
Fiat
M. Christophe
Blanchet
Mme Mathilde
Panot
M. le
président
Mme Brigitte
Bourguignon, présidente de la commission spéciale
Suspension
et reprise de la séance
Article 7
(suite)
Amendements nos 25175
, 11910
, 25174
, 42179,
42177, 42180, 42181, 42183, 42184, 42185, 42187, 42191 (sous-amendements) ,
17869,
17870, 17871, 17872, 17873, 17874, 17875, 17876, 17877, 17878, 17879, 17880,
17881, 17882, 17883, 17884, 17885 , 25176
, 26752,
27636, 27637, 27638, 27639, 27640, 27641, 27642, 27643, 27644, 27645, 27646,
27647, 27648, 27649, 27650 , 17886,
17887, 17888, 17889, 17891, 17892, 17894, 17896, 17897, 17899, 17900, 17902,
17903, 17904, 17906, 17908, 17909 , 25177
, 26753,
27651, 27652, 27653, 27654, 27655, 27656, 27657, 27658, 27659, 27660, 27661,
27662, 27663, 27664, 27665 , 406
, 17913,
17915, 17916, 17918, 17919, 17921, 17923, 17925, 17926, 17928, 17929, 17930,
17931, 17932, 18743, 18744, 18745 , 25178
, 26754,
27666, 27667, 27668, 27669, 27670, 27671, 27672, 27673, 27674, 27675, 27676,
27677, 27678, 27679, 27680 , 17935,
17937, 17939, 17940, 17942, 17944, 17945, 17947, 17949, 17950, 17952, 17953,
17955, 17957, 17958,17960, 17961 , 25179
, 25180
, 26755,
27681, 27682, 27683, 27684, 27685, 28686, 27687, 27688, 27689, 27690, 27691,
27692, 27693, 27694, 27695 , 18746,
18747, 18748, 18749, 18750, 18751, 18752, 18753, 18754, 18755, 18756, 18757,
18758, 18759, 18760, 18761, 18762 , 25181
, 26817,
27696, 27697, 27698, 27699, 27700, 27701, 27702, 27703, 27704, 27705, 27706,
27707, 27708, 27709, 27710
2.
Ordre du jour de la prochaine séance
Présidence de
M. Sylvain Waserman
vice-président
M. le
président. La séance est ouverte.
(La séance est ouverte à quinze heures.)
1
Système universel de retraite
Suite de la discussion d’un projet de loi
M. le
président. L’ordre du jour appelle la suite de la discussion du projet
de loi instituant un système universel de retraite (nos 2623
rectifié, 2683).
Discussion des articles (suite)
M. le
président. Ce matin, l’Assemblée a poursuivi la discussion des articles
du projet de loi, s’arrêtant à l’amendement no 21839 à
l’article 6.
Article 6 (suite)
M. le
président. La parole est à M. Jean-Luc Mélenchon, pour soutenir
l’amendement no 21839 et les seize amendements identiques
déposés par les membres du groupe La France insoumise.
M. Jean-Luc
Mélenchon. L’article 6 définit à qui s’applique le système de
retraite, énumérant dans une première partie les personnes visées par le futur
système et, dans une seconde partie, les personnes qui en sont
exclues.
Les alinéas 15 et 16, en particulier, précisent
respectivement que le système ne s’appliquera pas aux agents publics qui
« sont détachés dans une fonction publique élective locale » ni à ceux
qui, « sauf accord international contraire, sont détachés auprès d’une
administration ou d’un organisme implanté sur le territoire d’un État étranger
ou auprès d’un organisme international ».
Cela signifie donc que
nous décidons d’appliquer à nos ressortissants un statut opposé à celui de
travailleur détaché, puisqu’ils cotiseront dans le pays où ils se trouveront et
non dans leur pays d’origine. Je vois certains faire des signes de dénégation,
mais ils présenteront eux-mêmes un amendement tendant à faire en sorte qu’ils
cotisent en France !
Par conséquent, nous proposons la suppression
de l’alinéa 16, de manière à ouvrir le plus rapidement possible la
discussion sur le statut des travailleurs détachés et de savoir, au bout du
compte, auprès de qui ils doivent cotiser : comme les Français détachés à
l’étranger, doivent-ils cotiser au régime du coin, c’est-à-dire, dans leur cas,
au régime français ? Ou, au contraire, doivent-ils cotiser dans leur pays
d’origine ? En enlevant cet alinéa, tout ira mieux !
M. le
président. La parole est à M. Guillaume Gouffier-Cha, rapporteur
général de la commission spéciale, pour donner l’avis de la commission.
M.
Guillaume Gouffier-Cha, rapporteur général de la commission
spéciale. Nous avons déjà commencé d’en débattre ce matin.
Défavorable.
M. le
président. La parole est à M. Jean-Luc Mélenchon.
M. Jean-Luc
Mélenchon. J’ai bien l’intention de ferrailler sur ce sujet des
travailleurs détachés ! En effet, ils posent un problème à notre
pays : les travailleurs détachés chez nous paient leurs cotisations dans
leur pays d’origine ; or, pour accentuer la compétition entre statuts
sociaux, certains pays ont tout simplement décidé de supprimer les cotisations
sociales, de sorte que, quels que soient le pays d’origine et le pays de
destination, les travailleurs ne paient aucune cotisation. Ils sont
tranquilles : ils ne coûtent rien, où qu’ils
soient !
L’alinéa 16 dispose que les Français cotisent dans le
pays dans lequel ils sont détachés : cela semble assez raisonnable. Si nous
proposons de le supprimer, c’est uniquement pour que chacun comprenne bien la
situation paradoxale dans laquelle nous nous trouvons : nous demandons à
nos travailleurs ce que nous ne demandons pas aux autres !
Dans ce
cas précis, je propose donc que nous ne demandions rien à personne, et, dans un
instant, nous reviendrons à notre proposition que les travailleurs détachés chez
nous paient leurs cotisations chez nous.
(Les amendements no 21839 et
identiques ne sont pas adoptés.)
M. le
président. Je suis saisi d’une série d’amendements identiques composée
de l’amendement no 21856 et de seize amendements identiques
déposés par les membres du groupe La France insoumise, ainsi que de l’amendement
no 25168.
La parole est à M. Jean-Luc Mélenchon, pour
soutenir les amendements no 21856 et identiques.
M. Jean-Luc
Mélenchon. Même motif, même peine ! L’alinéa 17 dispose que
« les prestations de retraite des personnes mentionnées […] sont calculées
et servies dans les conditions prévues au titre IX du
livre Ier, sous réserve des dispositions du présent
titre ». L’argumentation est la même que celle déjà développée il y a un
instant à propos de l’alinéa 16 et justifie la même demande de
suppression.
M. le
président. La parole est à M. Régis Juanico, pour soutenir
l’amendement no 25168.
M. Régis
Juanico. L’article 6 concerne les fonctionnaires. Or un élément
très important doit être pris en compte dans toute réforme de leur système de
retraite : lors de l’examen par le Conseil d’État du projet de loi de
transformation de la fonction publique, la direction générale de
l’administration et de la fonction publique avait indiqué que la proportion de
contractuels au sein de la fonction publique pourrait, à terme, atteindre
40 %. C’est une proportion importante qui, à mes yeux, est le signal d’une
précarisation marquée de la fonction publique et du statut de fonctionnaire, que
nous avions d’ailleurs dénoncée à l’époque de l’examen du
texte.
Peut-être les rapporteurs pourraient-ils nous indiquer si l’étude
d’impact et les différentes simulations prennent en compte cette évolution vers
une contractualisation croissante, notamment s’agissant des montants des
pensions qui seront in fine versées à ces contractuels.
Plus
généralement, on le voit bien depuis hier, la majorité a un problème :…
M. Jean-Luc
Mélenchon. S’ils n’en avaient qu’un…
M. Thibault
Bazin. Oh, ils ont toujours un problème !
M. Régis
Juanico. …dès qu’il s’agit de certaines catégories de population, vous
avez, chers collègues de la majorité, une propension à penser que vous avez
raison contre tout le monde,…
M. Patrick Hetzel et M.
Thibault Bazin. Eh oui !
M.
Jean-Jacques Bridey. Mais non, nous sommes humbles !
M. Régis
Juanico. …et ce malgré la mobilisation des enseignants et celle,
exceptionnelle, des avocats, ainsi que l’avis défavorable du Conseil supérieur
de la fonction militaire…
M. Alain
Bruneel. Ça, c’est bien vrai.
M. Régis
Juanico. …qui est composé, je le rappelle, de représentants élus par
leurs pairs depuis les années 2000. S’agissant des contractuels, auriez-vous
aussi raison contre l’ensemble de la fonction publique ?
M. le
président. La parole est à M. Nicolas Turquois, rapporteur de la
commission spéciale pour le titre Ier, pour donner l’avis de la
commission.
M. Nicolas
Turquois, rapporteur de la commission spéciale.
Défavorable.
M. le
président. Sur les amendements no 26822 et identiques,
je suis saisi par le groupe de la Gauche démocrate et républicaine d’une demande
de scrutin public.
Le scrutin est annoncé dans l’enceinte de l’Assemblée
nationale.
La parole est à M. Jean-Luc Mélenchon.
M. Jean-Luc
Mélenchon. S’agissant des conséquences – ni maîtrisées, ni
calculées – des nouvelles règles de calcul, concernant notamment les
primes, sur l’évaluation de la retraite des personnels concernés, une fois n’est
pas coutume, je tiens à m’exprimer plus spécialement et avec force au nom des
militaires.
S’il est une profession dans laquelle il est odieux que la
traduction dans le niveau de pension de la reconnaissance de la nation envers
ceux qu’elles ponctionne puisse présenter un caractère inégalitaire, c’est bien
celle de militaire. En effet, leur contrat implique qu’ils mettent leur propre
peau dans la balance. Par conséquent, un être humain en valant un autre, un
sous-officier ou un soldat du rang valent bien un officier, fût-il supérieur ou
général. Je pense donc que vous ne devriez pas vous entêter : adoptez les
amendements de suppression de l’alinéa 17.
M. le
président. La parole est à M. Patrick Mignola.
M. Patrick
Mignola. Notre débat me paraît important, mais je souhaite que nous
soyons bien d’accord sur les alinéas concernés par les différentes
interventions. La question des salariés détachés a été évoquée alors que le
présent article traite de la fonction publique. Les mesures visent donc le
détachement de fonctionnaires pour travailler dans des organisations
internationales ou intervenir en territoire étranger. Par ailleurs, il existe
effectivement des passerelles offrant aux fonctionnaires la possibilité de
travailler aussi bien outre-mer qu’à l’étranger.
La question qui vient
d’être soulevée à propos des militaires ne relève donc pas de ces alinéas, non
plus que les salariés détachés – même si j’approuve tout à fait les
observations dont ils ont fait l’objet. Nous ne pourrons donc pas nous associer
à la demande de suppression.
M. le
président. Nous passons au vote, à main levée, sur cette série
d’amendements identiques.
M. Thibault
Bazin. C’est un scrutin public, monsieur le président !
M. le
président. Merci de votre vigilance, monsieur Bazin, mais le scrutin
public a été annoncé pour les amendements no 26822 et
identiques, que nous examinerons juste après.
M. Patrick
Hetzel. Il est pourtant affiché sur l’écran que les amendements mis aux
voix font l’objet d’un scrutin !
M. le
président. Mon annonce anticipée du scrutin s’est doublée d’une erreur
d’affichage ! Nous votons bien à main levée sur les amendements
no 21856 et identiques. Comme quoi l’humain reste encore parfois plus
fiable que la machine ! (Sourires.)
M. Patrick
Hetzel. Il faut dire cela à la majorité, qui veut utiliser des
algorithmes partout !
(Les amendements no 21856 et
identiques ne sont pas adoptés.)
M. le
président. La parole est à M. Stéphane Peu, pour soutenir
l’amendement no 26822 et les quinze amendements identiques
déposés par les membres du groupe de la Gauche démocrate et républicaine.
M. Patrick
Mignola. M. Jumel est malade ?
M. Thibault
Bazin. Non, il a pris deux jours…
M. Stéphane
Peu. L’alinéa 17 n’ayant pu être supprimé, nous proposons de
compléter sa rédaction de manière à conserver, pour les fonctionnaires, le mode
de calcul de la pension fondé sur les six derniers mois de traitement hors
primes, et non, comme vous le proposez, sur l’ensemble de la
carrière.
Nous avons déjà dit à quel point le système était injuste et
pénalisant pour les fonctionnaires. L’intégration des primes dans le calcul sera
peut-être avantageux pour les fonctionnaires de catégorie A et A+
– encore est-ce à vérifier –, mais pénalisera ceux de catégorie B
et, plus gravement encore, de catégorie C, puisqu’il prendra en compte les
salaires les plus bas de la carrière, qui sont parfois en dessous du SMIC pour
cette dernière catégorie.
Quant aux professeurs, ils auront l’obligation
d’effectuer des heures supplémentaires et pourront éventuellement intégrer leurs
primes à la base de calcul : c’est d’autant plus injuste que les
professeurs des écoles, par exemple, ne font pas d’heures supplémentaires et
n’ont pas ou guère de primes.
Notre proposition est bien plus juste que
votre réforme, qui se traduira par une baisse du niveau des pensions des
fonctionnaires.
M. le
président. Quel est l’avis de la commission ?
M. Nicolas
Turquois, rapporteur. Défavorable.
Cela a été souligné
dans différentes études, bien que le taux de liquidation soit chez les
fonctionnaires de 75 % sur la base des six derniers mois de traitement,
contre 50 % sur la base des vingt-cinq meilleures années dans le régime
général, le taux de remplacement constaté est sensiblement le même dans les deux
cas, car les primes sont intégrées au salaire pour le calcul de la pension dans
le régime général, alors qu’elles ne le sont pas dans la fonction
publique.
Cela se vérifie en moyenne, ce qui ne signifie pas que
certaines catégories de la fonction publique ne puissent pas être pénalisées.
C’est pourquoi le Gouvernement s’est engagé auprès des enseignants, en
particulier des enseignants-chercheurs, à compenser la diminution de pouvoir
d’achat qu’entraînerait, à la retraite, une application stricte de la réforme,
sans revalorisation de leur rémunération, notoirement plus faible que celle de
leurs homologues européens – allemands et belges en particulier. Il faut
tenir compte de ces éléments. C’est d’ailleurs pourquoi nous nous engageons à
ménager des transitions longues, permettant au besoin de corriger les effets de
la réforme.
M. le
président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. Laurent
Pietraszewski, secrétaire d’État. Monsieur Peu, je veux avant
tout vous féliciter pour votre imagination : la manière dont vous
réintroduisez le calcul fondé sur les six derniers mois est habile !
Évidemment, mon avis n’en reste pas moins défavorable : j’ai déjà
longuement souligné l’intérêt de prendre en compte l’intégralité de la carrière
– y compris, d’ailleurs, pour les fonctionnaires de
catégorie C.
À ce sujet, j’ai cru comprendre – mais peut-être
ai-je mal entendu – que vous indiquiez que de nombreux fonctionnaires
étaient payés moins que le SMIC. Or il existe un principe général, en droit, qui
oblige à payer les fonctionnaires au moins au niveau du SMIC. Peut-être
faisiez-vous allusion à des fonctionnaires travaillant à temps
partiel.
M. le
président. La parole est à Mme Jeanine Dubié.
Mme Jeanine
Dubié. La discussion sur ces amendements m’offre l’occasion de soulever
à nouveau une question que j’ai déjà posée, mais à laquelle je n’ai pas reçu de
réponse.
L’article 6 concerne notamment les fonctionnaires détachés
dans une fonction publique élective locale. Ils relèvent aujourd’hui de
l’IRCANTEC, l’institution de retraite complémentaire des agents non titulaires
de l’État et des collectivités publiques, supprimée par l’article 3,
section 4. Or, dans le texte, il n’est question à aucun moment des élus,
mais uniquement d’agents contractuels de droit public et d’autres agents publics
non titulaires. À moins qu’un élu local ne soit un agent contractuel de droit
public, ce que je ne savais pas – après tout, on peut ignorer certaines
choses –, je m’interroge sur ce qu’il adviendra de la retraite des
fonctionnaires détachés dans une fonction publique élective locale. Aujourd’hui,
en effet, un élu local cotise à l’IRCANTEC et peut, s’il le souhaite, cotiser au
complément d’assurance retraite des élus locaux – CAREL – et au fonds
de pension des élus locaux – FONPEL. L’adhésion à ces deux régimes par
capitalisation est laissée à la libre initiative de l’élu, alors que la
cotisation à l’IRCANTEC est obligatoire.
J’aimerais que le secrétaire
d’État ou le rapporteur me réponde quant à la situation de ces élus, qui ne sont
plus considérés comme des fonctionnaires et ne relèvent plus du titre II du
statut, c’est-à-dire de la fonction publique de l’État.
M. le
président. La parole est à M. Éric Woerth.
M. Éric
Woerth. Le nouveau régime va accroître les cotisations des
fonctionnaires, notamment du fait de l’intégration des primes dans l’assiette de
cotisation. Mais comment allez-vous expliquer aux salariés du privé que le
Gouvernement prendra en charge ces cotisations supplémentaires qui permettront
de servir aux agents publics une pension complète, primes comprises ?
Certes, leur pension restera identique, dans la mesure où le taux de
remplacement n’est pas le même – tout cela est très complexe. Quoi qu’il en
soit, au bout de compte, le fonctionnaire percevra la même pension à partir de
cotisations plus élevées puisqu’intégrant les primes. Or les salariés du privé,
contrairement aux fonctionnaires, payent eux-mêmes leurs cotisations.
De
cette façon, vous augmentez le taux de participation de l’État, sur une période
de dix-neuf ans. Cette hausse est quasiment équivalente, en pourcentage, à celle
que nous avions nous-mêmes fait subir aux fonctionnaires en augmentant leur taux
de cotisation sur une dizaine d’années – grosso modo, de 2010 à 2020.
Cependant, nous n’avions pas fait peser cette charge sur le contribuable, mais
sur le fonctionnaire lui-même, au fur et à mesure – il est essentiel,
effectivement, que la hausse soit progressive. Pourquoi n’avez-vous pas opté
pour la même méthode ?
M. le
président. La parole est à M. Alain Bruneel.
M. Alain
Bruneel. Nous allons avoir un problème. Vous commencez à reconnaître
– pourtant, cela ne date pas d’aujourd’hui – que les enseignants
exercent un métier difficile et sont sous-payés. Vous indiquez donc que, pour
leur octroyer une retraite convenable, vous allez leur attribuer des primes, au
travers d’une loi de programmation ; on ne sait trop comment cela va se
passer, ni combien cela va coûter ; on entend parler de 10 milliards
d’euros, sans savoir d’où viendra cette somme.
Quoi qu’il en soit, le cas
des enseignants fera jurisprudence : toutes les catégories de la fonction
publique étant sous-payées, comment allez-vous justifier l’octroi de primes aux
seuls enseignants – même si les primes, n’étant pas intégrées aux salaires,
peuvent être facilement supprimées ? Si vous souhaitez augmenter les
salaires des enseignants et de toutes les catégories de la fonction publique, il
faut le faire dès maintenant ; ce n’est pas la réforme des retraites qui
doit pallier ces insuffisances. Comment allez-vous donc faire pour que
l’ensemble des catégories de la fonction publique, notamment la
catégorie C, bénéficient des mêmes droits que les autres ?
Mme
Caroline Fiat. Eh oui !
M. le
président. La parole est à M. Jean-Luc Mélenchon.
M. Jean-Luc
Mélenchon. Monsieur le secrétaire d’État, vous avez salué l’imagination
de mes collègues communistes ; ils sont simplement constants et cohérents
lorsqu’ils réintroduisent la question des six derniers mois à ce stade du débat
où nous parlons précisément des fonctionnaires.
Les réponses qui leur
sont apportées soulèvent deux questions. Vous indiquez avoir pris l’engagement
d’améliorer la rémunération des enseignants, afin qu’ils puissent percevoir une
pension au moins équivalente à celle qu’ils percevaient dans les conditions
actuelles. Fort bien ! Mais n’oublions pas que ce point était inscrit à
l’article 1er du projet de loi et que vous l’avez supprimé après
que le Conseil d’État a souligné qu’il était inconstitutionnel d’intégrer dans
une loi ordinaire une disposition relevant d’une loi de programmation. En
adoptant, par scrutin public, l’amendement no 9998, vous avez
donc supprimé cette disposition de l’article 1er et l’avez
rétablie dans un article additionnel 1er bis après
l’article 1er. Vous savez en effet qu’ainsi isolé, cet article
sera retoqué par le Conseil constitutionnel et que vos promesses aux enseignants
n’ont ainsi aucune portée normative.
La question s’étend désormais aux
autres fonctionnaires, mais nous n’avons de réponses ni concernant les
enseignants, ni à propos des autres catégories. Souffrez que, sans faire excès
d’imagination, nous vous interrogions ; le sujet le mérite.
Hier,
dans cet hémicycle, quelqu’un a déclaré que le Gouvernement s’était engagé à
mettre sur la table 6 milliards d’euros. Nous ne savons pas d’où vient ce
chiffre, ni à quoi il correspond par rapport aux salaires actuels des
enseignants. J’ai lu de mon côté que, pour qu’ils retrouvent leur niveau actuel
de pensions après la réforme, il faudrait que leur paye soit revalorisée de
30 %. Je ne sais pas lequel de ces deux chiffres est le bon, et ce n’est
pas l’étude d’impact qui nous permettra de le savoir.
Enfin, combien
coûtera le nouveau système pour le reste des fonctionnaires ? Comprenez,
monsieur le secrétaire d’État, qu’abstraction faite de l’imagination supposée de
notre aile de l’hémicycle, la question est anxiogène pour les fonctionnaires
concernés. Vous ne pouvez pas vous contenter de renvoyer à
l’article 1er bis pour les seuls enseignants
– d’autant qu’il est, de surcroît, anticonstitutionnel.
(M. Alain Bruneel et Mme Caroline Fiat
applaudissent.)
M.
Jean-Paul Dufrègne. Très bien !
M. Stéphane
Peu. Je demande la parole, monsieur le président.
M. le
président. Non, je suis désolé, votre groupe s’est déjà exprimé.
M. Stéphane
Peu. C’était pour répondre au Gouvernement !
M. le
président. La parole est à M. le secrétaire d’État.
M. Laurent
Pietraszewski, secrétaire d’État. En réponse à Mme Dubié,
qui m’a interrogé au sujet des élus locaux, je souhaiterais rappeler qu’il
existe aujourd’hui deux possibilités. Les élus locaux qui ne sont pas
fonctionnaires sont affiliés au régime général, à l’IRCANTEC. S’ils le sont, ils
dépendent du code des pensions civiles et militaires de retraite ou de la
CNRACL, la caisse nationale de retraite des agents des collectivités locales. À
l’avenir, ils seront tous rattachés au régime universel, celui des salariés,
dans les mêmes conditions qu’aujourd’hui.
M. le
président. Je mets aux voix les amendements no 26822 et
identiques.
(Il est procédé au scrutin.)
M. le
président. Voici le résultat du
scrutin :
Nombre de
votants 62
Nombre
de suffrages
exprimés 53
Majorité
absolue 27
Pour
l’adoption 10
Contre 43
(Les amendements no 26822
et identiques ne sont pas adoptés.)
M. le
président. La parole est à Mme Anne Genetet, pour soutenir
l’amendement no 38769. Madame Genetet ?
Mme Anne
Genetet. Excusez-moi, monsieur le président. Le débat s’est
accéléré !
Mme
Caroline Fiat. Vous voyez, nous allons trop vite !
M.
Jean-Paul Dufrègne. Dès qu’on accélère un peu, ils ne suivent
plus !
Mme Anne
Genetet. Le présent amendement concerne les fonctionnaires détachés en
poste à l’étranger, mais dont nous avons absolument besoin qu’ils
reviennent : enseignants, diplomates, magistrats, militaires. Certains
d’entre eux sont recrutés dans le cadre d’un contrat local, dans le pays dans
lequel ils se trouvent. Nous souhaitons leur donner la possibilité de s’affilier
à notre système universel de retraite. Ce serait un progrès pour eux, mais nous
permettrait aussi de retenir les talents ou de nous assurer qu’ils reviennent en
France. Après des années passées à développer leurs talents à l’étranger,
certains d’entre eux décident d’y rester car on leur joue la petite musique
selon laquelle il n’est pas intéressant de rentrer en France pour la
retraite.
M. le
président. Puis-je considérer que vous avez également présenté les
amendements nos 39207 et 40406 ?
Mme Anne
Genetet. Oui, monsieur le président.
M. le
président. L’amendement no 39207 fait l’objet d’un
sous-amendement no 42061. La parole est à M. Jean-Luc
Mélenchon, pour le soutenir.
M. Jean-Luc
Mélenchon. Ce qui vient d’être dit confirme, cher collègue Mignola, que
nous parlions bien du même sujet : celui des fonctionnaires qui sont à
l’étranger et cotisent à un système de retraite dans le pays où ils exercent.
Ils peuvent subir, à l’étranger, un changement de régime de retraite – car
il peut arriver aussi dans d’autres pays que les systèmes de retraite changent,
comme c’est le cas aujourd’hui en France ! Ils peuvent aussi être soumis à
des conditions telles qu’ils ne peuvent pas percevoir leur retraite s’ils ne
sont pas présents sur place. Ce sont des réalités que nous infligeons nous-mêmes
à certaines personnes qui se trouvent sur notre territoire national, notamment
mes pauvres compatriotes chibanis, contraints de venir passer trois ou six mois
par an en France pour que leurs droits soient respectés.
Mme Genetet
propose que ces personnes puissent cotiser dans le système français. C’est une
excellente proposition, qui revient à appliquer la clause sociale la plus
favorable – ce qui est précisément l’objet de notre sous-amendement. Il
s’agit de faire en sorte que la personne s’affilie au régime le plus avantageux
pour elle. Je ne vous cache pas que notre intention n’a rien à voir avec le cas
particulier des fonctionnaires détachés à l’étranger, mais concerne les
personnes qui se trouvent en France et dont nous voudrions qu’elles payent leurs
cotisations sociales ici, et non dans leur pays d’origine. Chers collègues de La
République en marche, si vous votez les amendements qui viennent de nous être
présentés, vous devez voter mon sous-amendement, car il propose la même chose,
mais inclut une clause de réciprocité. (Mme Caroline Fiat
applaudit.)
M. le
président. Quel est l’avis de la commission ?
M. Alain
Bruneel. Bravo !
M. Nicolas
Turquois, rapporteur. Je ne peux que partager l’analyse de
Mme Genetet et de ses collègues quant à l’intérêt d’accorder une attention
particulière à nos fonctionnaires détachés à l’étranger, ne serait-ce que parce
que 1 000 fonctionnaires supplémentaires seront bientôt dans ce cas
pour contribuer au développement de l’enseignement français à l’étranger.
Néanmoins, l’article 27 du projet de loi dispose que les personnes ayant
été affiliées pendant au moins cinq ans à un régime de vieillesse obligatoire
national peuvent cotiser volontairement au système universel de retraite. Je
considère donc que votre demande est satisfaite et vous invite à retirer votre
amendement. Quant au sous-amendement no 42061, j’y suis
défavorable.
M. le
président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. Laurent
Pietraszewski, secrétaire d’État. Je précise, pour compléter les
propos de M. le rapporteur, que l’affiliation volontaire permise par
l’article 27 concerne également les fonctionnaires et peut donc s’appliquer
à ceux disposant d’un contrat de droit local, quelle que soit leur
position.
J’aimerais rappeler aussi qu’un amendement adopté ce matin, sur
lequel nous avions émis un avis favorable, prévoit déjà que les fonctionnaires
détachés sur contrat à l’étranger restent de plein droit affiliés au système
universel de retraite, en vertu du chapitre 2 du livre 7 du code de la
sécurité sociale, portant notamment des dispositions relatives aux
fonctionnaires.
Je pense, madame la députée, que le Gouvernement a ainsi
remédié au problème que vous soulevez ; je vous invite donc à retirer votre
amendement.
M. le
président. La parole est à Mme Anne Genetet.
Mme Anne
Genetet. J’ai bien noté que ce point est abordé à l’article 27,
mais seules sont concernées les personnes ayant déjà été affiliées pendant au
moins cinq ans au système français. Or certaines personnes débutent leur
carrière à l’étranger et n’ont donc pas cotisé cinq ans en France. Je voulais
vous alerter sur ce sujet dont l’enjeu est aussi la rétention des talents
français, parfois formés en France, ou leur retour après leurs débuts à
l’étranger. Cela peut donc concerner également des enseignants titulaires d’un
contrat de droit local.
Je vais retirer les trois amendements, mais
appelle votre attention sur le fait qu’il serait souhaitable de réfléchir à la
façon d’étendre à ces personnes le bénéfice des dispositions de
l’article 27 – si nous avons le temps d’y arriver. En effet, si elles
n’ont pas été affiliées pendant cinq ans en France, elles y ont bénéficié d’une
formation et sont des talents dont nous avons absolument besoin dans notre
pays.
M. Jean-Luc
Mélenchon. Je voudrais m’exprimer, monsieur le président.
M. le
président. Vous ne pouvez pas le faire sur un amendement retiré. Vous
pouvez néanmoins reprendre ces trois amendements si vous le souhaitez.
M. Jean-Luc
Mélenchon. Dans ce cas, nous les reprenons.
M. Stéphane
Peu. Quand pourrons-nous répondre à ce qui vient d’être dit, monsieur le
président ?
M. le
président. Vous ne pouvez pas vous exprimer sur des amendements qui ont
été repris. (Protestations sur les bancs des groupes FI et GDR.)
M. Jean-Luc
Mélenchon. Ah, nous ne pouvons pas éclairer le vote de nos
collègues ?
M. Stéphane
Peu. Dans ce cas j’interviendrai plus tard, quitte à être hors
sujet ! Il ne faudra pas vous en plaindre !
(L’amendement no 38769,
le sous-amendement no 42061 et les
amendements nos 39207 et
40406, successivement mis aux voix, ne sont pas
adoptés.)
M. le
président. Je suis saisi de dix-huit amendements identiques. Cette série
comprend l’amendement no 21873 et seize autres amendements
identiques déposés par les membres du groupe La France insoumise, ainsi que
l’amendement no 25169.
La parole est à M. Bastien
Lachaud, pour soutenir les amendements du groupe La France insoumise.
M. Bastien
Lachaud. À l’occasion de cet amendement, je veux revenir sur la question
des primes, notamment pour les militaires.
Aujourd’hui, la solde des
militaires est composée à 36 % de primes, mais ce taux moyen masque une
grande variété de situations. Les pilotes voient près de 50 % de leur solde
composée de primes tandis que les cuisiniers, qui ne peuvent pas partir en
opérations extérieures – OPEX –, n’en touchent jamais, pas plus que
les officiers d’état-major qui travaillent en administration centrale, à Paris.
Nous n’en avons pas moins besoin de cuisiniers et d’officiers
d’état-major.
Du fait des nouvelles modalités du calcul des pensions,
lequel ne sera plus fondé sur les six derniers mois mais intégrera les primes,
les militaires n’auront plus d’intérêt à occuper des fonctions d’état-major,
puisqu’elles constitueront une rupture dans leur carrière : il sera
beaucoup plus intéressant d’occuper un poste permettant de partir en OPEX et de
bénéficier des primes afférentes.
Ainsi, en voulant modifier profondément
le régime des pensions des militaires, vous remettez en question le modèle même
de notre armée. J’ai pris l’exemple des primes, mais je pourrais également
parler plus en détail de l’âge pivot, qui incitera les militaires à servir plus
longtemps. Je continuerai ma démonstration à l’occasion du prochain
amendement.
M. le
président. La parole est à M. Régis Juanico, pour soutenir
l’amendement no 25169.
M. Régis
Juanico. Monsieur le président, je constate une forte accélération du
rythme de nos débats cet après-midi.
M. Patrick
Hetzel. Auriez-vous du mal à suivre ?
M. Gilles
Le Gendre. Fatigué, peut-être ?
M. Régis
Juanico. Pas du tout ! Nous avons des gènes de marathoniens :
nous serons là jusqu’au bout.
M. Patrick
Hetzel. Nous aussi !
M. Régis
Juanico. Notre amendement tend à supprimer l’alinéa 18 de
l’article 6, dont l’objet est d’étendre le contentieux de la sécurité
sociale aux litiges afférents au futur système universel de retraite pour les
fonctionnaires, les magistrats et les militaires. Dans l’avis qu’il a rendu sur
le projet de loi, le Conseil d’État s’est interrogé sur l’opportunité du choix
de l’ordre judiciaire, puisque le juge administratif demeure compétent pour les
questions tenant au déroulement de la carrière des agents publics. Comment ces
deux contentieux vont-ils s’articuler ? C’est la grande question. Le
déroulement de la carrière a évidemment des conséquences sur la constitution de
la pension.
En outre, comme je l’ai dit tout à l’heure, nous avons
débattu il y a quelques mois d’un projet de loi portant de sévères coups au
statut de la fonction publique. Aujourd’hui, les militaires et fonctionnaires
civils ne perçoivent pas de salaire, mais une solde ou un traitement. Or, lors
de l’examen du projet de loi de transformation de la fonction publique, la
perspective d’avoir 40 % de contractuels dans l’administration a été
évoquée. En prenant en compte les dispositions de cette loi qui a modifié le
statut de la fonction publique, pouvez-vous nous indiquer les conséquences de
cette dissociation des juridictions compétentes en fonction des contentieux,
judiciaire ou administratif ? C’est très important.
M. le
président. Quel est l’avis de la commission sur ces dix-huit amendements
identiques ?
M. Nicolas
Turquois, rapporteur. Monsieur Lachaud, vous n’étiez pas présent
ce matin, mais une question similaire a été posée sur les militaires : en
réponse à un amendement de Mme Thill, il a été clairement précisé que
l’instauration du système universel de retraite n’aurait aucune conséquence sur
la durée de service des militaires – dix-sept ans pour les hommes du rang
et les sous-officiers, vingt-sept ans pour les officiers. L’enjeu est assez
évident : il y va de la jeunesse de nos armées. Je vous confirme que toutes
les primes seront intégrées dans le calcul de la retraite des militaires et que
ces nouvelles règles seront beaucoup plus favorables que la situation
actuelle.
Je suis défavorable à ces amendements et laisse M. le
secrétaire d’État répondre à la question sur le contentieux.
M. le
président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. Laurent
Pietraszewski, secrétaire d’État. Défavorable. Je développerai ma
réponse à l’occasion de l’examen d’une prochaine série d’amendements portant sur
le même sujet.
M. le
président. La parole est à M. Gilles Carrez.
M. Gilles
Carrez. Monsieur le secrétaire d’État, je voudrais revenir sur la
question posée tout à l’heure par notre collègue Éric Woerth, à laquelle vous
n’avez pas répondu.
En 2010, nous avons décidé d’augmenter de
2,25 points le taux de cotisation des fonctionnaires afin de l’aligner sur
celui des salariés du privé, dans un souci d’équité et de justice. Bien entendu,
cette augmentation n’a pas été payée par le contribuable, mais par les
fonctionnaires eux-mêmes, ce qui était tout à fait légitime. Or vous nous
expliquez que la prise en compte des primes dans la rémunération des
fonctionnaires pour le calcul de leur pension équivaut à une augmentation de
2,4 points de leur taux de cotisation retraite. L’augmentation est donc du
même ordre de grandeur que celle de 2010, mais vous dites que, cette fois-ci,
c’est l’État, donc le contribuable, qui va payer. En 2010, l’augmentation de
2,25 points a été échelonnée sur dix ans ; ici, vous prévoyez un
échelonnement sur dix-huit ans. Tout cela pose une question d’équité. On a du
mal à comprendre les raisons de ce régime particulier.
J’en profite pour
poser une autre question : combien ça coûte ? Vous prévoyez une loi de
programmation pour certaines catégories de fonctionnaires, notamment les
enseignants et les chercheurs. Par ailleurs, au printemps prochain, nous allons
être obligés de discuter d’un projet de loi de programmation des finances
publiques, puisque la loi actuelle est devenue totalement obsolète en raison de
déficits très supérieurs à ceux qui étaient prévus.
Mme Marie-Christine
Dalloz et M. Patrick Hetzel. Eh oui !
M. Gilles
Carrez. Pouvez-vous vous engager à ce que ces questions, qui
représentent plusieurs milliards d’euros, soient au moins traitées dans le
prochain projet de loi de programmation des finances publiques ?
(Applaudissements sur les bancs du groupe LR.)
M. le
président. La parole est à M. Bastien Lachaud.
M. Bastien
Lachaud. Vous ne m’avez pas du tout rassuré, monsieur le rapporteur,
notamment sur la question de la prise en compte des primes. Certains militaires
occupent des postes fondamentaux dans nos armées mais ne touchent aucune prime.
En voulant intégrer les primes dans le calcul des pensions au lieu de maintenir
la règle actuelle des six derniers mois, vous cassez l’escalier social qui était
l’un des principes de nos armées et avait d’ailleurs été réaffirmé ces dernières
années à la faveur d’un décloisonnement des textes. Aujourd’hui, un soldat
titulaire du bac peut se présenter directement au concours de l’École militaire
interarmes et les officiers sous contrat peuvent se présenter à celui de l’École
de guerre. Le parcours des officiers du rang est en train de se simplifier
fortement, mais, par le nouveau mode de calcul, vous allez casser cette
dynamique : quel est l’intérêt, pour un sous-officier, de passer officier
s’il gagne plus en OPEX avec des primes qu’à Balard sur un poste d’officier
d’état-major ?
M. Philippe
Vigier. C’est déjà le cas !
M. Bastien
Lachaud. Vous allez briser le modèle de progression sociale de nos
armées qui était en train de se mettre en place à la suite de la
professionnalisation. Cela montre une méconnaissance complète du milieu
militaire ! Cela n’a absolument aucun sens.
M. le
président. La parole est à M. Stéphane Peu.
M. Stéphane
Peu. Tout à l’heure, en défendant un amendement, j’ai évoqué l’existence
de fonctionnaires payés en dessous du SMIC. M. le secrétaire d’État m’a
répondu, sur un ton aimable mais un petit peu sarcastique, que ce n’était pas
possible et que mes informations étaient erronées. Comme le groupe de la Gauche
démocrate et républicaine a l’habitude de rédiger ses amendements de manière
précise et documentée, j’en ai été très étonné. Je suis donc allé à la source et
je peux vous confirmer qu’il existe, dans notre pays, des fonctionnaires payés
en dessous du SMIC.
M. Jacques
Marilossian. À temps plein ?
M. Stéphane
Peu. Cela serait totalement inacceptable dans le privé, où un employeur
qui embaucherait un salarié – à temps plein, oui – en dessous du SMIC
pourrait être traîné aux prud’hommes et condamné à 4 000 euros
d’amende. Dans la fonction publique, c’est possible, et c’est la CFDT de la
fonction publique qui a soulevé le problème.
M. Jacques
Marilossian. Mais quel rapport avec les amendements ?
M. Stéphane
Peu. Cela ne concerne pas des millions de personnes, mais
6 000 fonctionnaires, ce qui n’est tout de même pas rien. Votre
collègue du Gouvernement, M. Olivier Dussopt, a d’ailleurs reconnu…
M. Jean-Luc
Mélenchon. Ah !
M. Alain
Bruneel. Alors là !
M. Stéphane
Peu. …au début du mois, dans une déclaration, qu’il y avait au moins
6 000 salariés de la fonction publique, fonctionnaires ou contractuels
en contrat à durée déterminée, employés à temps plein mais payés en dessous du
SMIC. Je le cite : « C’est inacceptable, mais c’est
ponctuel. »
M. Jean-Luc
Mélenchon. Ah !
M. Stéphane
Peu. Je poursuis : « […] nous avons mis en place une indemnité
de compensation, une indemnité différentielle, pour faire en sorte que cette
différence soit comblée. » Sauf que cette indemnité n’est pas prise en
compte dans la base de cotisations retraite ! Il y a donc bien, dans notre
pays, des fonctionnaires payés en dessous du SMIC et qui cotisent pour la
retraite à un niveau de rémunération inférieur au SMIC.
(M. Jean-Luc Mélenchon applaudit.)
M. Jean-Luc
Mélenchon. Bravo pour cette démonstration !
M.
Jean-Paul Dufrègne. Eh bien ! Avec cela, ils vont avoir de belles
retraites !
M. le
président. La parole est à M. Jean-René Cazeneuve.
M.
Jean-René Cazeneuve. Monsieur Lachaud, les primes accordées à nos
soldats, à nos officiers, visent à indemniser une prise de risque, un
éloignement et des conditions de vie particulièrement difficiles. Elles sont
donc méritées !
M. Bastien
Lachaud. Je n’ai jamais dit le contraire.
M.
Jean-René Cazeneuve. Il est assez illogique qu’aujourd’hui, elles
n’ouvrent pas droit à des retraites supplémentaires. (Applaudissements sur
plusieurs bancs du groupe LaREM.) Je suis désolé, mais entre un soldat qui
vit dans une caserne en France et un soldat qui prend des risques toute sa vie
parce qu’il est en OPEX, je trouve normal que le second ait droit à une pension
plus importante. (Applaudissements sur les bancs du groupe LaREM. –
Exclamations sur les bancs du groupe FI.)
M. Jacques
Maire. C’est une évidence !
M. Jean-Luc
Mélenchon. Avez-vous déjà vu un soldat qui passe toute sa vie dans une
caserne ? Voilà qui ne va pas améliorer votre réputation dans l’armée…
M. le
président. S’il vous plaît, mes chers collègues !
(Les amendements no 21873 et
identiques ne sont pas adoptés.)
M. le
président. Je suis saisi de l’amendement no 31061 et de
quinze amendements identiques déposés par les membres du groupe de la Gauche
démocrate et républicaine.
Ces amendements font l’objet d’un
sous-amendement, no 42647.
La parole est à M. Alain
Bruneel, pour soutenir les amendements.
M. Alain
Bruneel. L’article 6 prévoit l’affiliation des agents publics au
système universel de retraite, au même titre que les agents du secteur privé.
Nous souhaitons substituer, à l’alinéa 18, le mot « inéquitable »
au mot « universel ».
M.
Jean-Jacques Bridey. Cela faisait longtemps !
M. Alain
Bruneel. Eh oui, cela faisait longtemps ! Merci, mon cher collègue,
d’avoir fait cette réflexion par derrière. Si vous voulez parler, levez la main
et prenez le micro pour que tout le monde puisse en profiter !
Par
ailleurs, mon collègue Stéphane Peu vient de faire une démonstration au sujet
des salaires dans la fonction publique. Mais permettez-moi de vous préciser ce
qu’est la fonction publique. S’il existe une fonction publique avec un statut et
des règles communes à tous, c’est parce que l’action publique a besoin d’agents
qui travaillent ensemble pour prendre en charge l’intérêt général, dans le
respect d’un certain nombre de principes fondamentaux
(M. Jean-Luc Mélenchon applaudit) : l’égalité, la
pérennité, la responsabilité et l’indépendance par rapport aux intérêts
particuliers. Les garanties dont ils bénéficient sont étroitement liées à ce
besoin et à ces principes. Les agents changeront-ils aisément de lieu de
travail, de fonction, de métier si aucune visibilité ne leur est garantie
concernant leurs droits et les conséquences de ces changements ?
Les
reculs et les coups de boutoir obstinés que votre réforme inflige à la fonction
publique sont nocifs et déstabilisants pour les agents, qui doivent continuer à
s’investir ensemble, comme ils l’ont toujours fait, pour faire fonctionner des
services publics indispensables à notre société. Votre réforme visant à créer un
système universel de retraite est inéquitable, car elle ne tient pas compte des
spécificités et de la pénibilité de chaque métier.
(M. Jean-Paul Dufrègne et M. Jean-Luc
Mélenchon applaudissent.)
M. le
président. La parole est à M. Jean-Luc Mélenchon, pour soutenir le
sous-amendement no 42647.
M. Jean-Luc
Mélenchon. Je continue à vous pourchasser avec cette question du travail
détaché que ce sous-amendement vise à réintroduire dans nos débats, parce que je
pense qu’elle n’est pas considérée avec assez de sérieux dans cet hémicycle.
J’ai présenté une proposition de loi pour l’interdiction du régime européen de
travail détaché sur le territoire national, afin que les 3,3 milliards
d’euros dus au titre des cotisations sociales par les travailleurs détachés dans
notre pays soient payés dans notre pays. Je prends avec vous le pari que, du
jour où ce serait le cas, les employeurs cesseraient de les embaucher :
s’ils le font, c’est pour l’unique raison qu’ils leur coûtent moins cher en
raison de cette exonération de cotisations sociales ; il feraient alors
appel à une main-d’œuvre locale.
Je vous rappelle qu’un million d’entre
eux travaillent dans le secteur des transports et 500 000 dans d’autres
secteurs tels que le bâtiment. C’est donc un nombre considérable de personnes
qui sont visées par ces accords, pris en violation des normes de l’Organisation
internationale du travail aux termes desquelles l’égalité de traitement en
matière sociale est un élément du principe « à travail égal, salaire
égal ».
L’amendement en discussion nous fournit l’occasion de voter
le principe selon lequel tous les travailleurs détachés doivent cotiser à nos
régimes de sécurité sociale. Bon sang de bois, nous sommes en train d’examiner
une réforme des retraites, lesquelles constituent un élément direct de notre
statut social ! Cela vous indiffère que nous perdions 3,3 milliards
parce que ces gens ne payent pas de cotisations ? Souvent, ces pauvres
diables n’en payent non plus dans leur propre pays et, quand ils le font, il
arrive que leurs droits ne soient même pas reconnus. Finalement, la seule chose
qu’on aura gagné à faire venir un travailleur détaché est de faire deux
malheureux : celui qui est venu travailler ici et celui qui n’a pas pu
travailler ici alors qu’il en était capable. (Mme Mathilde
Panot applaudit.)
M. le
président. Quel est l’avis de la commission ?
M. Nicolas
Turquois, rapporteur. Je comprends votre sensibilité au problème
du travail détaché, monsieur le président Mélenchon, mais je suis au regret de
vous dire qu’il est assez éloigné du sujet de notre débat, même s’il est
politique en soi.
Je vous remercierais presque de votre argumentation,
monsieur Bruneel. Vous avez dit que la fonction publique se caractérise par un
statut et par des règles communs à tous ; or des règles communes à tous,
c’est exactement ce que vise notre projet de réforme des retraites.
M. Frédéric
Petit. Oui !
Mme Danièle
Obono. Ça n’a rien à voir !
M. Nicolas
Turquois, rapporteur. Que le droit à la retraite, cette période
particulière de la vie, relève de règles communes à tous – et non pas
identiques, puisqu’il faut tenir compte de certaines spécificités, nous l’avons
suffisamment dit –, c’est à mes yeux une avancée sociale.
Vous avez
évoqué la question du changement de métier. Si la mobilité professionnelle est
parfois subie, elle peut aussi être l’opportunité de satisfaire une aspiration
et devrait peut-être à ce titre être facilitée compte tenu de l’évolution de
notre société. S’il est vrai, en effet, que certains sont contraints de changer
de métier, d’autres ne le font pas parce qu’ils appréhendent la perspective de
devoir changer de système. On entend souvent parler de fonctionnaires d’État qui
aimeraient bien poursuivre leur carrière dans la fonction publique territoriale
mais qui ne le font pas parce qu’ils ont du mal à évaluer l’incidence d’un tel
changement sur leur retraite. L’institution de règles communes et lisibles
permettrait de supprimer de telles appréhensions. C’est une raison importante de
mon soutien au projet de réforme des retraites.
M. le
président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. Laurent
Pietraszewski, secrétaire d’État. Le rapporteur a bien expliqué
ce qui peut justifier l’avis défavorable sur ces amendements et ce
sous-amendement.
S’agissant, monsieur Carrez, de ce qui incombera
respectivement à l’État et aux collectivités locales employeurs en matière de
financement, nous aurons des informations à ce sujet bien avant l’examen du
projet de loi de programmation des finances publiques, ce sujet étant à l’ordre
du jour de la conférence de financement. Cette préoccupation, que vous avez
exprimée à plusieurs reprises, est en effet partagée par le Gouvernement, qui a
souhaité que les partenaires sociaux puissent se prononcer à ce sujet puisqu’ils
sont concernés par les choix qui seront faits et les coûts qui en
résulteront.
Il n’y aura pas de coût supplémentaire, comme je l’ai dit ce
matin au président Vigier, même si je n’ai peut-être pas eu l’heur de le
convaincre. Les données sont pourtant claires ; elles figurent dans le
tableau que vous trouverez à la page 180 de l’étude d’impact et dont j’ai eu
l’occasion de discuter assez longuement avec le Conseil national d’évaluation
des normes.
Il est important de faire la comparaison avec les taux de
cotisation actuels : dans le cadre du régime universel, le taux sera de
16,75 %, très inférieurs aux taux en vigueur, d’environ 75 % pour
l’État et de 30,65 % pour la CNRACL. Il y aura certes de nouvelles charges,
dues notamment au transfert de certaines compétences régaliennes au bénéfice des
collectivités locales – je pense notamment aux pompiers ou aux polices
municipales – ou au financement de dispositifs de pénibilité. Mais elles
seront compensées par l’écart de cotisations, dont vous avez compris qu’il est
en faveur des employeurs publics.
J’espère avoir contribué à rendre plus
lisible le traitement d’un sujet qui vous tient à cœur, en complément de ce que
j’ai dit ce matin au président Vigier. Je vous remercie, monsieur le président,
de m’avoir donné quelques instants supplémentaires pour le faire.
M. le
président. La parole est à M. Patrick Hetzel.
M. Patrick
Hetzel. Nous n’avons toujours pas de réponse à la question précise que
notre collègue Thibault Bazin vous a posée ce matin, monsieur le secrétaire
d’État : pourquoi transférer les dispositions relatives aux militaires du
code de la défense à celui de la sécurité sociale ? Cela n’a rien d’anodin.
Vous dites que cela ne change rien ; alors pourquoi le faire ? Il y a
bien là un enjeu, qui n’est pas anodin du tout.
Selon l’exposé des motifs
de l’article 6, les fonctionnaires, les magistrats et les militaires
« bénéficieront de règles de calcul des droits à retraite et de dispositifs
de solidarité lisibles et équitables » alors que nous constatons depuis le
début du débat que rien de tout cela n’est lisible ni équitable. Je vous
proposerai donc, monsieur le secrétaire d’État, de renommer votre projet
« projet de loi instituant un système universellement illisible et
inéquitable ». (Exclamations sur les bancs des groupes LaREM et
MODEM.)
M. Alain
Bruneel. Bravo monsieur Hetzel ! Les mots sont
importants !
M. Vincent
Thiébaut. Parce que vous le trouvez clair, le système
actuel ?
M. le
président. La parole est à M. Jean-Luc Mélenchon.
M. Jean-Luc
Mélenchon. Je vous remercie, monsieur le rapporteur, d’avoir pris acte
du fait que cette question des travailleurs détachés me paraît importante ;
nous devrions tous en juger ainsi, mes chers collègues.
Qu’est-ce qu’un
travailleur détaché, sinon quelqu’un qui vient d’un autre pays pour travailler
dans notre pays ? Son salaire doit dorénavant, on vient de le dire, être le
même que celui des autres travailleurs de France ; mais cette règle n’est
pas appliquée partout, comme nous l’apprend la lecture des procès-verbaux des
inspecteurs du travail. Surtout, les travailleurs détachés ne paient pas de
cotisations sociales en France parce qu’ils sont censés les payer dans leur pays
d’origine, ce qui, très souvent, n’est pas le cas.
Le dispositif du
travail détaché était destiné à permettre à la France de disposer d’une
main-d’œuvre qu’elle ne trouve pas chez elle. Or ce n’est pas du tout ce qui se
passe. Je le répète, un million de contrats de ce type concernent le secteur du
transport et 500 000 d’autres secteurs ; si je veux bien comprendre
que des chauffeurs routiers, qui traversent notre pays, relèvent du droit social
d’un autre pays, pour le reste, il s’agit d’une sorte de délocalisation à
domicile par le biais de la main-d’œuvre, qui ruine notre système social en le
privant de 3,3 milliards d’euros de cotisations.
Plus grave, ce
système est en expansion, le nombre de ces contrats ayant augmenté de près de
400 % l’année dernière. Il y a plus de travailleurs du bâtiment slovènes
hors de Slovénie qu’en Slovénie même. Manquons-nous de travailleurs du bâtiment
en France ? Non !
M. Bruno
Millienne. Mais si !
M. Jean-Luc
Mélenchon. On voit donc que ce système d’embauche est un dévoiement qui
mine le système de sécurité sociale de notre pays. C’est pourquoi toutes les
occasions, y compris le présent texte, sont bonnes pour dire par notre vote que
nous ne voulons plus de ce système en France. (Applaudissements sur les bancs
du groupe FI et sur plusieurs bancs du groupe GDR.)
M. le
président. La parole est à M. Alain Bruneel.
M. Alain
Bruneel. Quand j’évoquais des règles communes, monsieur le rapporteur,
je ne parlais que de la fonction publique. Ces règles communes sont justifiées
par la spécificité de leurs tâches, qui relèvent toutes d’une mission publique,
destinée au public. Agents de proximité, d’accueil, de sécurité – routière,
par exemple –, on les rencontre partout, mais leur rôle est spécifique.
Cela n’a rien à voir avec votre réforme universelle.
(Le sous-amendement no 42647 n’est pas
adopté.)
(Les amendements
no 31061 et identiques ne
sont pas adoptés.)
(L’amendement no 40363 est
retiré.)
M. le
président. La parole est à M. Régis Juanico, pour soutenir
l’amendement no 25170.
M. Régis
Juanico. J’attends la réponse promise par le secrétaire d’État – je
pense que c’est à cet amendement qu’il faisait allusion en annonçant qu’il me
répondrait à un moment ultérieur du débat.
Aujourd’hui, le contentieux
portant sur les retraites des fonctionnaires, des magistrats et des militaires
relève de la justice administrative. Comme ils vont basculer vers le droit
commun de la sécurité sociale, ce contentieux deviendra
judiciaire.
Le Conseil d’État a déploré l’absence dans l’étude
d’impact d’une analyse suffisamment précise pour éclairer le choix retenu par le
projet de loi, notamment quant à la manière dont les juges du contentieux des
retraites pourront être amenés à se prononcer sur les questions relatives au
déroulement de la carrière des agents publics, lesquelles continueront pourtant
à relever, en matière de contentieux, de la compétence du juge
administratif.
Notre question porte donc sur l’articulation entre la
compétence de l’ordre administratif s’agissant des carrières et celle de l’ordre
judiciaire s’agissant des pensions. Ce que déplore le Conseil d’État, c’est que
l’étude d’impact n’en dise rien, alors que le lien entre carrière et pension est
patent.
M. le
président. Quel est l’avis de la commission ?
M. Nicolas
Turquois, rapporteur. Je voudrais d’abord répondre à
M. Mélenchon à propos du travail détaché, un sujet qui me tient à cœur. Je
vous rappelle qu’un accord a été trouvé en mai 2018 au niveau européen, grâce
notamment aux efforts de la députée européenne Élisabeth Morin-Chartier,
originaire de la Vienne où mon collègue Sacha Houlié et moi-même sommes élus.
Aux termes de cet accord, qui devait être transposé dans les deux ans, le
principe « à travail égal, salaire égal » doit s’appliquer au travail
détaché, à l’exclusion du secteur des transports, alors que jusqu’ici la
rémunération du travail détaché s’alignait sur le salaire minimal, sans
treizième mois ni prime de pénibilité.
Je voulais rappeler cette avancée
sociale permise par le travail de notre compatriote, parce qu’il est important
que la France soit leader en la matière et fasse progresser le droit social en
Europe. Certes, ce n’est qu’une étape, qui doit encore être consolidée et
retranscrite dans les droits nationaux, mais elle est incontestable et doit être
saluée en tant que telle.
Monsieur Juanico, le contentieux des droits à
pension est aujourd’hui réparti entre le juge administratif d’une part, pour les
assurés relevant de la fonction publique, et le juge judiciaire d’autre part,
pour tous les autres assurés. Demain, l’universalisation du système de retraite
entraînera une unification du traitement du contentieux – lequel sera
confié au juge judiciaire. Avis défavorable.
M. le
président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. Laurent
Pietraszewski, secrétaire d’État. J’avais en effet promis une
réponse à M. Juanico ; il ne l’a pas oublié et il fait bien de me le
rappeler.
Pourquoi confier le contentieux des carrières du privé et du
public à des ordres juridictionnels différents, et confier le contentieux des
retraites au seul juge judiciaire ? Précisément parce que les carrières se
déroulent dans un cadre différent selon que l’on relève du privé ou du public,
alors que nous proposons un cadre universel en matière de retraite. Vous pouvez
en contester le principe, monsieur le député, mais il est logique qu’un même
ordre juridictionnel traite le contentieux de l’ensemble des retraites, dès lors
qu’elles relèveront elles-mêmes d’un système unifié, et que des ordres
juridictionnels différents traitent le contentieux de carrières qui sont
elles-mêmes différentes.
Par ailleurs, je vous sais sensible, comme
parlementaire, à l’évolution de la jurisprudence. Il serait dommage que les
jurisprudences relatives à la retraite divergent selon l’ordre juridictionnel
dont elles émanent. Pour garantir une cohérence, mieux vaut qu’un seul et même
juge – judiciaire en l’occurrence – soit compétent en matière de
retraite. Je vous propose donc de retirer votre amendement ; à défaut, mon
avis sera défavorable.
M. le
président. La parole est à M. Gilles Carrez.
M. Gilles
Carrez. Cet amendement est très raisonnable, tout comme l’amendement
no 40363 de Mme Cariou qui vient d’être retiré. Aujourd’hui, le
contentieux portant sur les pensions civiles et militaires de retraite relève du
juge administratif, pour la simple et bonne raison que, dans la fonction
publique, les déroulements de carrière relèvent aussi du juge administratif. Ces
litiges sont nombreux : ce contentieux est l’un des plus importants de la
juridiction administrative. Or le contentieux des pensions est intimement lié au
déroulement de carrière, notamment en ce qui concerne les départs anticipés.
M. Jean-Luc
Mélenchon. Eh oui !
M. Gilles
Carrez. Vous transférez l’ensemble du contentieux lié à la retraite vers
le juge judiciaire, alors que les déroulements de carrière continueront de
relever du juge administratif. La pension des militaires sera régie par le droit
administratif, tandis que le contentieux correspondant, par esprit de système,
basculera vers le juge judiciaire – sans parler du reste de la carrière qui
relèvera, et c’est normal, du régime universel. Je ne comprends pas cette
logique. En pratique, vous serez confrontés à d’énormes difficultés. Le juge
judiciaire est déjà totalement débordé ; il croule sous les contentieux. Or
la justice doit être rendue dans des délais raisonnables. En outre, les
déroulements de carrière comportent d’innombrables subtilités, qui resteront
régies par le droit administratif. Si le juge judiciaire ne les maîtrise pas, il
risque de rendre des décisions inappropriées. Je ne comprends pas votre esprit
de système, monsieur le secrétaire d’État, en tout cas pour ce qui concerne la
période de transition. Vous prenez un énorme risque !
M. Patrick
Hetzel. C’est de la folie !
M. Gilles
Carrez. À force de toujours raisonner par système, vous oubliez d’être
pragmatique et de prendre en considération la réalité.
(« Bravo ! » et
applaudissements sur les bancs du groupe LR ainsi que sur plusieurs bancs du
groupe GDR.)
M. le
président. La parole est à M. Jean-Luc Mélenchon.
M. Jean-Luc
Mélenchon. Je remercie une nouvelle fois M. le rapporteur de nous
permettre de nous intéresser aux travailleurs détachés, un sujet dont
l’importance échappe manifestement à certains. Une négociation européenne a
effectivement eu lieu, car le scandale était à son comble. Elle a abouti à la
conclusion suivante : à travail égal, salaire égal. En d’autres termes, les
travailleurs détachés en France doivent percevoir la même rémunération que les
travailleurs exerçant le même métier sur le territoire français. Mais il y a
loin de la coupe aux lèvres ! Les contrôles, surabondants, révèlent
systématiquement des délits alors qu’ils ne permettent pas d’imposer le respect
de la règle ; ils ne suffisent donc pas à sa bonne application.
Pour
les Français, quoi qu’il en soit, le cœur du problème est moins la rémunération
que les cotisations sociales. De toute évidence, un travailleur exonéré de
cotisations sociales coûte moins cher à un employeur que son équivalent qui y
est assujetti ! Le système est intégralement vicié. Sachez qu’il existe en
France quelque 30 000 travailleurs français détachés du Luxembourg et
de Slovénie : ils habitent en France, mais sont embauchés par des
entreprises basées au Luxembourg ou en Slovénie !
Le travail détaché
a été conçu comme une machine à disloquer de l’intérieur et à opérer ce que je
qualifiais précédemment de délocalisations sociales. Ce n’est, somme toute,
qu’une histoire de malheur : quand la Roumanie manque de talents parce que
ses travailleurs sont partis en France, elle fait appel à des Ukrainiens payés
130 euros par mois. Telle est la ronde des malheureux qui vont d’un pays à
l’autre pour y être surexploités. Rompez cette ronde ! C’est l’objet de nos
amendements.
M. le
président. La parole est à M. Philippe Vigier.
M. Philippe
Vigier. Pour m’intéresser au sujet depuis plusieurs années, je confirme
le constat de M. Mélenchon. M. Turquois insiste sur l’importance du
fait que l’on ait harmonisé les rémunérations des travailleurs détachés et
celles de leur pays d’accueil. Mais dans le domaine du transport, la nouvelle
réglementation permet aux transporteurs étrangers de réaliser trois opérations
de cabotage en France après y avoir effectué une livraison internationale. Ils
représentent une concurrence totalement déloyale pour les petits transporteurs
français.
M. Jean-Luc
Mélenchon. Bravo !
M. Philippe
Vigier. Je confirme également que des Français employés par des
entreprises lituaniennes résident en France de façon permanente et y exercent en
tant que travailleurs détachés. J’en ai fait le constat à plusieurs reprises
dans ma région. Dans le même temps, on cherche des milliards d’euros pour
financer les retraites !
M. Jean-Luc
Mélenchon. Le travail détaché nous prive de 3 milliards !
M. Philippe
Vigier. Monsieur le secrétaire d’État, puisque cette réforme entend
apporter une meilleure réponse sociale, ayons pour exigence l’harmonisation
sociale – même si elle ne se fera pas en un claquement de doigts. Sinon, le
système nous tirera vers le bas et nous privera de rentrées fiscales.
(MM. Jean-Luc Mélenchon et Stéphane Peu
applaudissent.)
M. Jean-Luc
Mélenchon. Très bien, monsieur Vigier : vous avez bien résumé la
situation en matière de transports.
M. le
président. La parole est à M. Frédéric Petit.
M. Frédéric
Petit. Je partage la volonté de lutter contre le faux travail détaché,
mais je souhaite rappeler quelques chiffres. La France accueille deux millions
de travailleurs étrangers, qui payent leurs cotisations sociales en
France ; faisons attention à ce contre quoi nous déclarons vouloir lutter.
Elle compte par ailleurs quelque 400 000 travailleurs détachés, dont
la moitié, sans doute, est sujette à caution. À cela s’ajoutent
300 000 travailleurs clandestins, contre lesquels nous devons lutter,
nous en sommes tous d’accord.
Mme Danièle
Obono. Ce n’est pas contre les travailleurs qu’il faut lutter, c’est
contre l’exploitation des travailleurs !
M. Jean-Luc
Mélenchon. Comment savez-vous qu’ils sont 300 000 ?
M. Frédéric
Petit. C’est une évaluation. J’ajoute que 100 000 travailleurs
détachés français exercent à l’étranger, dans le respect de la législation.
Enfin, pour en revenir aux retraites, la France verse des pensions à
1,5 million de personnes qui ont cotisé en France mais résident à
l’étranger, souvent dans leur pays d’origine.
M. Jean-Luc
Mélenchon. Je ne vois pas le rapport !
M. Frédéric
Petit. Nous devons remettre les choses en perspective, au-delà du simple
fait qu’il y a des travailleurs détachés en France et des travailleurs français
à l’étranger.
M. le
président. La parole est à M. Sacha Houlié.
M. Sacha
Houlié. Il est cocasse que nous parlions des travailleurs détachés dans
un article qui prévoit le rattachement des fonctionnaires au régime
universel !
M. Jean-Luc
Mélenchon. Vous faites de l’obstruction !
M. Sacha
Houlié. Écoutez-moi, monsieur Mélenchon, vous allez
comprendre !
M. Régis
Juanico. Il va parler des algorithmes !
M. Sacha
Houlié. Je rappelle que les fonctionnaires dont nous parlons sont
obligatoirement de nationalité française lorsqu’ils exercent des missions
régaliennes.
La directive relative aux travailleurs détachés a permis un
premier mouvement d’harmonisation européen, et a notamment prévu qu’outre le
salaire, ces personnes perçoivent les mêmes primes que les travailleurs locaux.
Voilà qui me rappelle une disposition que nous examinerons prochainement
concernant l’intégration des primes des fonctionnaires dans le calcul des droits
à la retraite.
Enfin, vous vous émouvez de l’absence d’harmonisation
européenne en matière de cotisations. Or notre réforme vise précisément à
harmoniser les cotisations de retraite de tous les travailleurs de France,
monsieur Mélenchon.
Mme Danièle
Obono. Vers le bas !
M. Sacha
Houlié. Dans le cadre du système universel de retraite, tous les
travailleurs cotiseront à hauteur de 28,12 %, et tous bénéficieront des
mêmes droits. Commençons par harmoniser le régime français, avant de viser une
harmonisation plus large ! Tous les arguments sont donc réunis pour voter
l’article 6. (Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe
LaREM.)
M. Patrick
Hetzel. Ce n’est pas très convaincant, tout ça !
M. le
président. La parole est à M. le secrétaire d’État.
M. Laurent
Pietraszewski, secrétaire d’État. Monsieur Carrez, le contentieux
des retraites ne basculera vers le juge judiciaire qu’en 2037. La période de
transition se déroulera donc sans encombre.
M. Gilles
Carrez. Merci pour cette précision.
(L’amendement no 25170 n’est pas
adopté.)
M. le
président. La parole est à M. Bastien Lachaud, pour soutenir
l’amendement no 21891 et les seize amendements identiques
déposés par le groupe La France insoumise.
M. Bastien
Lachaud. Cette réforme est une catastrophe pour nos militaires et pour
nos armées : pour nos militaires, parce qu’elle est injuste, et pour nos
armées parce qu’elle met en cause leur fonctionnement et leur modèle de gestion
des ressources humaines. J’en donnerai trois illustrations.
Tout d’abord,
les officiers du rang qui se sont élevés dans la hiérarchie et sont devenus
colonels percevront une pension de retraite inférieure à celle des colonels
diplômés de Saint-Cyr. Une personne méritante, qui aura progressé socialement et
qui se sera élevée au-dessus de sa condition initiale, sera donc sanctionnée par
votre réforme.
Ensuite, vous maintenez les durées légales de cotisation,
mais vous augmentez la décote. Un adjudant-chef qui partira à la retraite après
dix-neuf ans de service touchera une pension de 450 à 600 euros, contre
850 euros aujourd’hui. C’est une estimation, puisque nous ne disposons
d’aucun outil fiable pour faire ce calcul – le Conseil supérieur de la
fonction militaire en a demandé un, mais ne l’a pas obtenu avant de devoir
rendre son avis.
Enfin, à force de vouloir que les militaires travaillent
plus longtemps, vous obtiendrez l’effet inverse, notamment de la part de ceux
qui possèdent le plus de compétences et qui suivent les formations les plus
longues. Il faut deux à trois ans pour former des spécialistes, mais ils
partiront au bout de sept ans dans le secteur privé, qui leur offrira de
meilleures carrières !
Ces trois raisons montrent à quel
point votre réforme détruit le modèle de gestion des ressources humaines de nos
armées. En misant sur la seule intégration des primes dans le calcul de la
retraite, vous affirmez en réalité que certains militaires sont plus utiles que
d’autres. Il n’en est rien ! L’intendance suivra peut-être, mais si elle ne
suit pas, ce sera la catastrophe ! Nos armées ont besoin de cuisiniers et
d’officiers d’état-major, lesquels ne touchent pas de primes. Aujourd’hui, les
militaires vont là où il leur est demandé d’accomplir leur mission pour servir
la France. Dans vingt ans, ils choisiront leurs affectations en fonction des
primes auxquelles elles donnent droit, pour ne pas pénaliser leur
retraite !
M. Jean-Luc
Mélenchon. Très bien !
M. le
président. Quel est l’avis de la commission sur ces
amendements ?
M. Nicolas
Turquois, rapporteur. Monsieur Mélenchon, je vais cesser de
répondre aux questions que vous soulevez, sans quoi nous continuerons, comme
depuis douze jours, à faire un discours de politique générale !
Mme
Mathilde Panot. À faire de la politique, tout simplement.
M. Nicolas
Turquois, rapporteur. Vous avez appelé notre attention sur les
travailleurs détachés, c’est fait ; ne nous détachons pas trop du sujet, si
vous me permettez le jeu de mots.
Les alinéas 19 et suivants sont de
simples alinéas de coordination précisant que les codes des pensions civiles et
militaires de retraite resteront applicables aux générations nées avant le
1er janvier 1975.
M. Nicolas
Turquois, rapporteur. Monsieur Lachaud, vous disiez tout à
l’heure que les hommes du rang finiraient par être mieux payés que les officiers
grâce aux primes que leur vaudraient les OPEX. Vous nous expliquez maintenant
que les colonels sortis du rang auront une retraite moindre que les colonels
issus de Saint-Cyr. À un moment donné, comme l’a excellemment dit Jean-René
Cazeneuve, il faut tenir compte de la prise de risque que constitue la
participation à une OPEX.
M. Bastien
Lachaud. Non ! Non !
M. Nicolas
Turquois, rapporteur. Bien sûr que si. Il est très important que
ces primes qui correspondant à la reconnaissance d’un risque soient intégrées à
l’évaluation de la pension de retraite. Cela nous paraît une mesure équitable.
M. Bastien
Lachaud. S’agissant des primes, oui ! Pas pour la
pension !
M. Nicolas
Turquois, rapporteur. Avis défavorable.
M. le
président. La parole est à M. Vincent Thiébaut.
M. Vincent
Thiébaut. Je peux me permettre d’aborder le sujet : je suis fils et
petit-fils de colonel. Aujourd’hui, les primes des militaires sont déjà prises
en compte, notamment les primes de l’air pour les pilotes. Nous ne faisons que
retranscrire dans le projet de loi ce qui existe déjà.
Quant à
l’évolution des carrières, elle concerne la majorité des Français. À mes débuts,
je n’étais pas cadre ; je n’ai pas eu la chance de faire une grande école,
mais j’ai vu évoluer ma carrière, ce qui aura des conséquences sur ma retraite.
Les différences entre militaires que vous évoquez, elles aussi, existent
actuellement. Certains exercent des fonctions d’intendance pendant quatre mois,
sont quatre mois en préparation, quatre mois en OPEX. Je ne peux vous laisser
tenir des propos qui révèlent votre méconnaissance du fonctionnement des armées
et de leur système de retraite actuel. (Applaudissements sur quelques bancs
du groupe LaREM. – M. Bastien Lachaud
rit.)
M. le
président. La parole est à M. Bastien Lachaud.
M. Bastien
Lachaud. Ce que je viens de décrire n’est pas une lubie de La France
insoumise ; c’est ce que disent les militaires, et même le Conseil
supérieur de la fonction militaire dans son avis, presque aussi acerbe au sujet
de cette réforme que celui du Conseil d’État.
À un moment donné, il faut
regarder les choses en face. Vous dites que tous les Français qui auront eu une
carrière ascendante seront pénalisés ; sur ce point, je vous rejoins,
et cela vaut des militaires comme des autres. Mais trouvez-vous normal que deux
colonels qui prennent leur retraite n’aient pas la même pension ?
M. Jacques
Maire. Absolument !
M. Bastien
Lachaud. Voilà, « absolument » ! Moi, je ne suis pas
d’accord. C’est contraire au principe d’égalité. Un militaire passé par le rang
qui termine colonel ne devra pas son grade à la reproduction sociale, mais à la
méritocratie républicaine ; il aura eu plus de mérite que celui qui est
passé par Saint-Cyr. (Applaudissements sur quelques bancs du groupe
FI.)
M. Jacques
Maire. Cela n’a rien à voir avec le mérite !
M. le
président. La parole est à Mme Marie-Christine Dalloz.
Mme
Marie-Christine Dalloz. Je voudrais rebondir sur les propos qui viennent
d’être tenus ; à ce stade de notre discussion, c’est un élément important.
Reprenons l’exemple des deux officiers. L’un, passé par Saint-Cyr, a fait toute
sa carrière en tant que colonel, en franchissant tour à tour les échelons de ce
grade. L’autre, parti de la base, a fini colonel en gagnant la reconnaissance de
ses pairs par son mérite, par son travail, par des formations complémentaires.
Au moment où ils prennent leur retraite, ils ont le même grade, voire le même
échelon au sein de ce grade, mais leur pension sera servie différemment. L’un,
qui a eu une carrière stable, bénéficiera d’une prise en compte bien plus
généreuse de ses contributions que l’autre, qui a connu une
progression.
Cela nous semble injuste. Dans la même fonction, avec les
mêmes qualifications, on doit pouvoir prétendre à la même retraite. Vous dites
qu’un euro cotisé donne les mêmes droits, mais, en l’occurrence, le système
induit une différence de traitement, et ce n’est pas normal.
(Applaudissements sur quelques bancs du groupe LR.)
M. Bastien
Lachaud. Tout à fait !
(Les amendements nos 21891 et
identiques ne sont pas adoptés.)
M. le
président. L’amendement no 21908 et les dix-huit amendements
identiques sont tombés du fait de l’adoption, ce matin, de l’amendement
no 37726.
M. Jean-Luc
Mélenchon. Pourquoi ?
M. le
président. L’amendement no 37726 réécrit
l’alinéa 23, que ces dix-huit amendements tendaient à supprimer.
Rassurez-vous : nous passons directement à l’amendement de suppression de
l’alinéa 24. (Sourires et applaudissements sur divers
bancs.)
La parole est à M. Régis Juanico, pour soutenir
l’amendement no 25172.
M. Régis
Juanico. Si je comprends bien, ces amendements sont tombés du fait de
l’adoption de l’amendement du rapporteur général concernant le transfert du
régime des fonctionnaires parlementaires au régime universel.
Je voudrais
poursuivre ma conversation avec le secrétaire d’État au sujet de la répartition
du contentieux entre les ordres administratif et judiciaire selon qu’il concerne
le déroulement des carrières ou les pensions de retraite.
Monsieur le
secrétaire d’État, vous avez évoqué un objectif d’unification et de
simplification, qui est louable. Compte tenu de la diversité des carrières, il
en découle la nécessité que le système de retraite soit le plus universel
possible.
À cet égard, je souscris à ce qu’a dit Gilles Carrez, et qui
est très important. Nous avons affaire à des litiges extrêmement complexes,
étroitement liés au déroulement des carrières. Le transfert de contentieux que
vous souhaitez comporte des risques. M. Carrez a entre autres relevé le
fait que le juge judiciaire croule aujourd’hui sous les dossiers, ainsi que le
risque que la période transitoire entraîne énormément de
difficultés.
Vous parlez de système universel, d’unification, de
simplification ; mais une nouvelle fois, dans cet article, vous prévoyez
des exceptions, des régimes spécifiques. Tous les agents publics vont être
versés au contentieux de la sécurité sociale, sauf les militaires sous contrat,
sauf les agents publics qui exercent une activité professionnelle indépendante,
sauf ceux qui sont détachés dans une fonction publique élective locale, ou
auprès d’une administration ou d’un organisme implanté sur le territoire d’un
État étranger, ou auprès d’un organisme international. Chaque fois, vous
réintroduisez des exceptions au sein de votre universalité. C’est
incompréhensible !
M. le
président. Sur l’article 6, je suis saisi par le groupe La
République en marche, ainsi que par le groupe de la Gauche démocrate et
républicaine, d’une demande de scrutin public.
Le scrutin est annoncé
dans l’enceinte de l’Assemblée nationale.
Quel est l’avis de la
commission ?
M. Nicolas
Turquois, rapporteur. Il me semble que l’argumentaire de
M. Juanico n’avait guère de rapport avec l’amendement en discussion…
L’alinéa 24, que cet amendement vise à supprimer, est de nature technique,
et il m’a fallu pas mal de réflexion pour le comprendre.
Dans le droit en
vigueur, les fonctionnaires territoriaux et hospitaliers qui occupent un emploi
permanent à titre non complet, dit TNC, relèvent du régime général pour leur
retraite de base et de l’IRCANTEC pour leur retraite complémentaire. Dans les
deux cas, leur régime de cotisation est très proche du système cible, alors que
les fonctionnaires territoriaux et hospitaliers, affiliés à la CNRACL, en sont
plus éloignés.
La dérogation prévue par cet alinéa vise donc à affilier
directement au régime général les fonctionnaires occupant un TNC. Cette
convergence s’achèvera à la date à laquelle ces agents cesseront d’occuper cet
emploi, et au plus tard le 1er janvier 2039, date à laquelle les
cotisations de l’ensemble des fonctionnaires auront rattrapé celles du système
universel.
Avis défavorable.
M. le
président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. Laurent
Pietraszewski, secrétaire d’État. Comme le rapporteur, j’ai
observé que la défense de l’amendement était asez éloignée de son objet.
Monsieur Juancio, je l’ai précisé à Gilles Carrez, le juge judiciaire ne sera
concerné que par le contentieux des retraites liquidées à partir de 2037, ce qui
nous laisse tout le temps d’opérer le passage d’une juridiction à l’autre. Avis
défavorable.
M. le
président. La parole est à Mme Catherine Fabre.
Mme
Catherine Fabre. Je souhaitais également inviter nos collègues à en
revenir au fond des amendements. Au bout de douze jours de débat, il nous reste
encore à en examiner 30 340, répartis entre 59 articles.
(Mme Marie-Christine Verdier-Jouclas applaudit, ainsi que
Mme Nadia Essayan applaudit. – Exclamations sur les bancs des
groupes FI et GDR.)
M.
Jean-Paul Dufrègne. Et c’est reparti… Il faudrait penser à changer de
disque !
Mme
Catherine Fabre. Étant donné qu’ils sont nombreux et riches, ce serait
intéressant de pouvoir discuter de leur contenu. Au lieu de cela, nous débattons
d’autres sujets, du travail détaché, qui n’a absolument aucun rapport avec
l’article 6,…
Mme Danièle
Obono. Trois milliards d’euros, le voilà, le rapport !
Mme
Catherine Fabre. …et maintenant de l’universalité du système, dont il a
été longuement question lors de l’examen de l’article 1er puis
de l’article 2.
M. Patrick
Hetzel. Et voilà ! Toujours la même rengaine. On les voit
venir !
Mme
Catherine Fabre. Vous nous expliquez encore une fois que nous n’allons
pas assez loin dans l’universalisation ; lorsque nous en viendrons à
l’article 7 – je vous attends –,…
Mme
Caroline Fiat. On sera là !
Mme
Catherine Fabre. …vous nous direz le contraire, c’est-à-dire que vous
combattrez l’intégration des régimes spéciaux au régime universel. Un peu de
cohérence, s’il vous plaît !
Au cas où vous ignoreriez le sujet de
l’alinéa dont vous demandez la suppression, sachez qu’il y est question des
fonctionnaires territoriaux et hospitaliers, et des mesures techniques visant à
accompagner leur intégration dans le système universel, comme l’a rappelé
M. le rapporteur. Le groupe La République en marche est évidemment
favorable au maintien de cet alinéa et, par conséquent, opposé à l’adoption de
l’amendement. (Applaudissements sur quelques bancs du groupe LaREM.)
Mme Danièle
Obono. Et voilà deux minutes de temps de parole qui n’auront servi à
rien, sauf à ralentir les débats !
M. le
président. La parole est à M. Jean-Luc Mélenchon.
M. Jean-Luc
Mélenchon. J’adore les interventions « ouin ouin », les
pleurnicheries sur le thème : « Venez-en au fond ! »
(Protestations sur les bancs du groupe LaREM. – Sourires et exclamations sur
divers bancs.)
M. Bruno
Questel. C’est scandaleux de parler ainsi !
M. le
président. S’il vous plaît, mes chers collègues !
M. Jean-Luc
Mélenchon. Attendez ! Ne glapissez pas ! Vous avez toujours ce
ton de mépris inimitable. Est-ce que quelqu’un qui nous écoute ne se rend pas
compte que nous sommes en train de parler du fond ? Le travail détaché,
pérorez-vous, n’aurait rien à voir avec le sujet. Nous sommes en train de parler
de régimes de retraite, et le travail détaché coûte 3,3 milliards
d’euros ; mais vous avez décidé que ça n’avait rien à voir !
(Protestations continues sur les bancs des groupes LaREM et MODEM.) Votre
splendeur n’admet d’opposition que si l’opposition est d’accord avec vous !
Voilà. Mon voisin a beau répéter comme un perroquet ce que disent les autres…
(Protestations sur les bancs des groupes LaREM et MODEM.)
M. le
président. S’il vous plaît, restons respectueux entre nous.
M. Jean-Luc
Mélenchon. Je n’ai pas fini ! J’en reviens au fond !
M. le
président. Vous n’aviez pas terminé ? Allez-y, monsieur Mélenchon,
il vous reste du temps.
M. Jean-Luc
Mélenchon. J’en reviens aux militaires, à l’intention de ceux que les
débats sur le fond intéressent ; les débats pour la forme, c’est autre
chose – voir Mme Fabre… (Exclamations sur les bancs du groupe
LaREM.) On l’a bien résumé : un militaire du rang qui s’élève jusqu’aux
plus hautes fonctions de l’armée n’aura pas, au moment de mettre un terme à sa
carrière, la même pension que les autres officiers du même grade. Vous nous
dites que c’est normal, puisqu’il n’a pas suivi la même trajectoire. Or des
situations différentes justifient certes des différences de rémunération en
cours de route, mais non des différences de pension.
Il y a deux raisons
à cela. La première, c’est que le devoir des militaires est de servir et
d’obéir. Si vous raisonnez ainsi vis-à-vis de l’armée, chaque militaire doit
savoir qu’il sera traité de la même manière ; il pourra recevoir les mêmes
ordres, mais il bénéficiera de la même conclusion à sa carrière. La seconde
raison est de nature philosophique, et je vous demanderai d’y réfléchir de ce
point de vue : une armée qui, pour améliorer ses retraites, aurait intérêt
à mener des OPEX ou à participer à des états-majors transnationaux ne serait
plus l’armée française telle qu’on l’imagine.
M. le
président. La parole est à M. Sébastien Huyghe.
M.
Sébastien Huyghe. Je voudrais citer à nos collègues de la majorité un
grand principe du droit français : « Nemo auditur propriam
turpitudinem allegans, nul ne peut se prévaloir de sa propre
turpitude. »
Mme Nadia
Essayan. On le sait !
M.
Sébastien Huyghe. Nous sommes dans cette situation parce que vous l’avez
voulu. (Exclamations sur les bancs du groupe LaREM.)
M. Jean-Luc
Mélenchon. Eh oui !
M.
Sébastien Huyghe. Vous l’avez voulu, en n’utilisant pas le temps
législatif programmé. (Mme Marie-Christine Verdier-Jouclas
proteste.)
Après deux mois et vingt-deux jours de grève, vous ne
pouviez ignorer que cette réforme des retraites ne passerait pas comme une
lettre à la poste dans cet hémicycle, où se retrouve finalement ce qui se passe
au dehors.
Si vous aviez voulu que nous débattions sereinement de
la réforme des retraites, il fallait appliquer le temps législatif programmé. Le
Gouvernement ne l’a pas voulu, à dessein me semble-t-il, pour justifier par la
longueur des débats le recours à l’article 49, alinéa 3, de la
Constitution.
M. Jean-Luc
Mélenchon. Exactement, collègue ! C’est un complot !
M. Bruno
Questel. C’est la France insoumise qui a refusé le temps législatif
programmé !
M.
Sébastien Huyghe. Il est une autre hypothèse : le Gouvernement
s’est montré incompétent au point de manquer la date de dépôt du texte pour
imposer le temps législatif programmé. Je vous laisse choisir entre le cynisme
ou l’incompétence du Gouvernement. (Applaudissements sur les bancs du groupe
LR.)
M. Thibault
Bazin. Ils sont fiers d’être des amateurs !
M. Jean-Luc
Mélenchon. Ils sont aussi cyniques qu’incompétents.
M. Sacha
Houlié. Nous sommes ouin ouin aussi !
M. le
président. La parole est à M. Jean-Paul Dufrègne.
M.
Jean-Paul Dufrègne. Ouin ouin ? C’est vous qui le dites.
M. Sacha
Houlié. Non, c’est M. Mélenchon !
M.
Jean-Paul Dufrègne. Pour ma part, je vous ferai remarquer que, pour la
énième fois, comme à chaque séance, nous avons eu droit à notre petite
leçon : nous ne déposerions que des amendements de forme ou destinés à
obstruer les débats, mais jamais nous ne nous préoccuperions du fond de votre
projet.
J’ai l’impression que nous sommes dans un grand couloir desservi
de part et d’autre par des pièces, numérotées de 1 à 65. À chaque
article, sa pièce, et notre regard ne devrait pas chercher à en dépasser les
cloisons pour voir si, par hasard, ne se trouverait pas plus loin une donnée
intéressante. Ce projet de réforme du système des retraites, particulièrement
important, devrait bouleverser la situation de nos concitoyens. Il est évident
que nous ne pouvons l’analyser et le discuter sans le comprendre dans son
ensemble, ce qui suppose d’approcher globalement bon nombre de
sujets.
Par ailleurs, nous n’avons pas tous eu la chance d’être membres
de la commission spéciale. De votre côté, vous êtes sans doute particulièrement
avertis du dossier pour avoir été associés à la rédaction ou sollicités pour
donner votre avis sur le projet de loi. Permettez, de fait, que nous fassions
des incursions dans d’autres parties du texte à l’occasion de l’examen d’un
amendement. C’est absolument nécessaire, d’autant plus que l’articulation des
articles est très mal pensée. Nous sommes bien obligés d’aller voir, de temps en
temps, dans les autres pièces.
M. le
président. La parole est à M. Régis Juanico.
M. Régis
Juanico. On m’a fait un mauvais procès, car mes amendements concernaient
bien l’article auquel ils avaient été déposés. Je poursuivais simplement une
discussion avec le secrétaire d’État qui a eu la bonté de me répondre aussi
précisément que possible. Nous examinions l’article 6, en particulier les
alinéas 18 à 25. Le Gouvernement prévoit de transférer de l’ordre
administratif à l’ordre judiciaire les contentieux relatifs à la mise en œuvre
du système universel de retraite des fonctionnaires. M. le secrétaire
d’État m’explique, en effet, que le Gouvernement souhaite unifier les systèmes,
ce qui m’amène à lui citer les exceptions prévues à ce même article – les
fonctionnaires détachés dans une collectivité d’outre-mer, les militaires sous
contrat, les fonctionnaires détachés dans un État étranger ou auprès d’un
organisme international, etc. Je présentais trois amendements, dont l’un est
tombé, car il visait à prévoir une exception supplémentaire pour les
fonctionnaires de l’Assemblée nationale. J’avais bien compris, évidemment, que
mes amendements tendaient à exclure du dispositif les agents de la fonction
publique territoriale et de la fonction publique hospitalière. Ces amendements
avaient toute leur place à cet article, tout comme le prochain, relatif aux
magistrats et aux fonctionnaires qui, au 1er janvier 2025,
seront détachés sur un contrat de droit public conclu ou renouvelé
antérieurement au 31 décembre 2024. J’aurai ainsi défendu cet
amendement !
En l’espèce, ces amendements portaient sur le fond du
projet de loi et concernaient l’article auquel ils étaient déposés ! La
discussion n’était pas hors sujet !
(L’amendement no 25172 n’est pas
adopté.)
M. le
président. L’amendement no 25173 de M. Guillaume
Garot est défendu.
Quel est l’avis de la commission ?
M. Nicolas
Turquois, rapporteur. Même si l’amendement est simplement
défendu, je répondrai aux quelques questions qui ont pu être
posées.
Monsieur Dufrègne, je ne vous reproche pas de ne vous occuper que
de la forme. Nous avons abordé des questions de fond et je conçois qu’il faille
partir de la situation générale pour aborder les cas particuliers.
Les
deux approches sont nécessaires, mais il ne faut pas systématiquement s’éloigner
du sujet.
M.
Jean-Paul Dufrègne. Merci de l’avoir précisé. Nous sommes d’accord.
M. Nicolas
Turquois, rapporteur. S’agissant de la commission spéciale, seuls
les commissaires pouvaient voter, mais tout le monde pouvait participer aux
réunions, et certains d’entre vous y étaient. À ce propos, monsieur Huyghe, il
ne me semble pas vous y avoir beaucoup vu durant les deux jours où elle s’est
réunie, et pourtant je ne me suis pas souvent absenté.
M.
Sébastien Huyghe. C’est faux ! Scandaleux !
M. Nicolas
Turquois, rapporteur. Votre propos m’étonne, par conséquent.
M.
Sébastien Huyghe. Si vous voulez que j’intervienne plus souvent, ça va
vous ralentir !
M. Nicolas
Turquois, rapporteur. Concernant le statut militaire, vous avez
comparé la situation d’un homme du rang qui finirait colonel à celle d’un
militaire qui commence colonel et finit colonel. Sans être un spécialiste de la
fonction militaire, je pense que ce dernier cas de figure est rare, à moins
qu’un problème ne soit survenu en cours de carrière.
M. Jean-Luc
Mélenchon. Vous avez bien compris qu’il s’agit de quelqu’un qui sort
d’une école !
M. Nicolas
Turquois, rapporteur. Nous nous sommes compris, monsieur
Mélenchon. Nous aimons jouer, parfois, avec la langue française. En tout cas, il
serait paradoxal de ne pas intégrer les militaires dans un régime que l’on
souhaite uniformiser. Je vous laisse y réfléchir. Avis défavorable.
Rappel au règlement
M. le
président. La parole est à M. Thibault Bazin, pour un rappel au
règlement.
M. Thibault
Bazin. Article 58 du règlement. Monsieur le rapporteur, vous avez
attaqué personnellement l’un de mes collègues. Personne ne vous a demandé où
vous avez passé la journée d’hier, tout simplement parce que nous pouvons avoir,
les uns et les autres, différentes missions à remplir au Palais, en dehors des
commissions et de l’hémicycle. Vous semblez perplexe, monsieur le secrétaire
d’État, mais porter un tel jugement sur un collègue qui n’aurait pas assisté à
certaines réunions d’une commission alimente l’antiparlementarisme. Il n’y a pas
que dans l’hémicycle que l’on travaille, dans cette maison. Les autres
commissions continuent de se réunir, par exemple. Vous le savez fort bien. Ces
attaques personnelles ne permettent pas de travailler sérieusement. Les
Républicains souhaitent débattre du fond de ce texte, projet contre projet.
Avançons et cessons ces interventions qui altèrent la qualité des débats.
(Applaudissements sur les bancs du groupe FI.)
Article 6 (suite)
M. le
président. La parole est à Mme Marie-Christine Verdier-Jouclas.
Mme
Marie-Christine Verdier-Jouclas. Personne n’a la légitimité, ici, de
contester l’ordre des articles, qui ne nous regarde pas.
M. Patrick
Hetzel. Si ! C’est le débat parlementaire !
Mme
Marie-Christine Verdier-Jouclas. Nous devons les examiner dans l’ordre
qui a été établi.
M. Patrick
Hetzel. Consternant !
Mme
Marie-Christine Verdier-Jouclas. Ce n’est pas parce que vous décidez de
ne pas en tenir compte et de discuter de tout autre chose que les articles ne
sont pas placés dans un ordre cohérent. Loin de là.
Rappelons par
ailleurs les épisodes du temps législatif programmé. Tout d’abord, les projets
de loi, depuis le début de la législature, ont toujours eu une date d’examen
butoir sans que cela ne dérange quiconque. Seule celle fixée par ce texte vous
perturbe.
M.
Jean-Paul Dufrègne. Parce que c’est le pire !
Mme
Marie-Christine Verdier-Jouclas. Cela étant, du fait de la nécessité
d’accorder un temps supplémentaire, le président Richard Ferrand a proposé en
conférence des présidents un temps programmé de 120 heures, que le
président du groupe La France insoumise et celui du groupe de la Gauche
démocrate et républicaine ont refusé.
Cessez donc de répéter que le temps
programmé n’a pas été prévu par notre faute. N’essayez pas de faire croire à
ceux qui nous écoutent que nous en serions responsables !
Pour notre
part, nous souhaiterions avancer dans l’examen des articles pour traiter des
sujets importants et répondre aux préoccupations de nos concitoyens qui nous ont
demandé de les représenter dans cet hémicycle. (Applaudissements sur les
bancs du groupe LaREM. – Exclamations sur les bancs des groupes LR, GDR et
FI.)
M. Patrick
Hetzel. Le pompier pyromane de permanence !
M. le
président. La parole est à Mme Jeanine Dubié.
Mme Jeanine
Dubié. Puisque Mme Verdier-Jouclas connaît si bien les subtilités
du calendrier, je lui demanderai pourquoi nous devions absolument commencer
l’examen de ce texte à partir du 27 février pour le finir avant le
3 mars. Pourriez-vous m’en donner une explication cohérente ?
(Applaudissements sur les bancs du groupe LR.)
Mme
Marie-Christine Dalloz. Le problème est là !
M. le
président. La parole est à Mme Caroline Fiat.
Mme
Caroline Fiat. En l’espèce, si nous ne parlons pas des amendements,
c’est bien à cause de la majorité qui nous invite à déborder. Pour ce qui est du
temps programmé, si le texte avait été déposé en conseil des ministres six
semaines avant d’arriver à l’Assemblée nationale, le temps programmé aurait été
de droit et nous aurait été imposé. Or vous avez voulu accélérer son examen pour
qu’il soit voté avant le 3 mars. Arrêtez de rejeter la responsabilité de la
situation sur l’opposition. Le Gouvernement a voulu imposer un délai bref et
accélérer l’examen. À lui d’en assumer les conséquences !
Vous, à la
rigueur, vous n’êtes que les victimes collatérales.
M. Thibault
Bazin. Ou les idiots utiles !
Mme
Caroline Fiat. Si vous n’êtes pas contents, dites au Gouvernement de
travailler correctement et de prévoir un délai de six semaines pour que les
débats se déroulent sereinement. Cette situation n’est pas imputable à
l’opposition mais au Gouvernement ! (Applaudissements sur les bancs des
groupes FI, GDR et LR.)
M. le
président. La parole est à M. Alain Bruneel.
M. Alain
Bruneel. Depuis le début de nos discussions dans cet hémicycle, on nous
répète la même rengaine : « Calmez-vous, discutons sereinement,
accélérons, vous n’êtes pas constructifs, vous obstruez. »
M. Patrick
Hetzel. Distribuons de la camomille à la majorité.
M. Alain
Bruneel. Nous l’entendons régulièrement.
M. Jean-Luc
Mélenchon. C’est de l’obstruction !
M. Alain
Bruneel. M. Mélenchon a raison : ces propos, de votre part,
relèvent de l’obstruction. Il faudra bien, cependant, que vous cessiez ce
refrain car nous ne cherchons pas à obstruer les débats. Nous donnons simplement
notre avis et nous vous soumettons des propositions dans un esprit constructif.
Nous vous posons des questions pour essayer de comprendre votre réforme mais
vous n’y répondez pas, ce qui nous oblige à insister. Tel est le rôle de
l’opposition. Nous aussi, nous avons un mandat et nous devons relayer les
inquiétudes de nos concitoyens qui manifestent sans interruption depuis
plusieurs mois pour protester contre votre mauvaise réforme.
Si vous
voulez accélérer les débats, organisez ce référendum que nous attendons
tous ! (Applaudissements sur les bancs des groupes GDR et
FI.)
M. le
président. La parole est à M. Bruno Millienne.
M. Bruno
Millienne. Il arrive, en effet, que les débats soient fructueux et
enrichissants. Nous l’avons vécu hier, lorsque nous avons examiné les
dispositions relatives aux agriculteurs. Le débat fut serein et riche des
propositions émanant de tous les groupes. Je tiens à le saluer et il serait faux
de prétendre que ces débats ne servent à rien.
Reconnaissons aussi que,
parfois, nous nous éloignons du sujet. Pardonnez-moi, président Mélenchon, mais
le sujet des travailleurs détachés est assez éloigné de l’article 6
– un peu, quelques centaines de kilomètres, ce n’est pas bien grave. Nous
ne vous avons reproché que cela. Hélas, ces écarts se produisent plus souvent
que l’inverse. C’est tout. Un peu d’objectivité, dans cet hémicycle, ne peut
faire de mal. (Applaudissements sur les bancs du groupe LaREM.)
(L’amendement no 25173 n’est pas
adopté.)
M. le
président. Je mets aux voix l’article 6, tel qu’il a été
amendé.
(Il est procédé au scrutin.)
M. le
président. Voici le résultat du
scrutin :
Nombre de
votants 78
Nombre
de suffrages
exprimés 73
Majorité
absolue 37
Pour
l’adoption 59
Contre 14
(L’article 6, amendé, est adopté.)
Suspension et reprise de la séance
M. le
président. La séance est suspendue.
(La séance, suspendue à seize heures quarante-cinq, est reprise à seize
heures cinquante-cinq.)
M. le
président. La séance est reprise.
M. Thibault
Bazin. Ah, fausse alerte ! Le 49.3 n’est pas pour tout de
suite.
Article 7
M. le
président. La parole est à Mme Nicole Sanquer.
Mme Nicole
Sanquer. L’article 7, qui concerne les assurés relevant des régimes
spéciaux, poursuit le passage en revue des catégories et professions qui
entreront dans le nouveau système universel de retraite en répondant à l’une des
attentes des Français, à savoir la fin des régimes spéciaux, pour d’évidentes
raisons d’équité. Cette fin sera progressive, sans brutalité et respectueuse des
parcours individuels. Le groupe UDI, Agir et indépendants la demandait depuis
longtemps.
Après plusieurs tentatives, nous nous réjouissons que la
réforme mette fin aux régimes spéciaux de retraite, qui permettent de partir
plus tôt avec des droits plus avantageux alors qu’ils sont financés par la
solidarité nationale. Chaque année, dans la loi de finances, le Parlement doit
en effet voter une lourde contribution de l’État au financement des régimes
spéciaux. Cette injustice est particulièrement mal vécue par nos
compatriotes.
La suppression de la majeure partie des quarante-deux
façons de calculer les retraites au profit d’un régime universel par points a
plusieurs avantages. Les assurés bénéficieront d’une meilleure visibilité grâce
à des règles de calcul des droits à la retraite et à des dispositifs de
solidarité lisibles et équitables qui s’appliqueront à tous de manière égale. Ce
nouveau système, construit sur des principes clairs et transparents,
compréhensibles et communs à tous les Français, renforcera la solidarité et le
sentiment de justice entre nos compatriotes.
Toutefois, du fait de
l’extinction des régimes spéciaux, il sera nécessaire de poser la question de la
prise en compte de la pénibilité durant la carrière.
M. le
président. La parole est à Mme Mathilde Panot.
Mme
Mathilde Panot. Avant de parler de cet article extrêmement important
pour beaucoup de salariés du pays, je tiens à redire aux députés du groupe La
République en marche, et surtout à ceux qui nous interpellent régulièrement
depuis les bancs du haut de l’hémicycle, qu’étant députés ils peuvent prendre la
parole, qu’un Parlement est fait pour parler et qu’en démocratie, ne leur en
déplaise, il y a une majorité mais aussi une opposition.
J’en viens à
l’article 7, sur lequel vous avez tant insisté dans la présentation de la
réforme. Vous souhaitez l’universalité, avec les mêmes droits pour tous, et
notamment pour la RATP, la SNCF, mais aussi l’industrie électrique et gazière ou
encore l’Opéra de Paris. Ces discussions reviennent souvent dans
l’hémicycle : quand nous avons parlé des femmes, par exemple, vous avez dit
que certaines femmes n’avaient pas besoin de huit trimestres de majoration de
durée d’assurance ; et hop, on supprime les huit trimestres. Concernant les
chauffeurs de bus, vous passez votre temps à dire qu’il existe une différence
anormale et injuste entre Paris et Amiens, et vous dites la même chose de
l’Opéra de Paris par rapport à l’Opéra de Lyon.
Mais, concrètement, cela
revient toujours au même, c’est-à-dire à une harmonisation par le bas, plutôt
qu’à une harmonisation par le haut qui améliorerait la situation de tous. Je
rappelle que, contrairement à ce que vous dites, les régimes spéciaux ne
concernent que 3 % des personnes qui travaillent en France. Ces régimes
sont issus de luttes pour la reconnaissance de fonctions historiquement marquées
par la pénibilité et ils reposent sur l’idée de droits collectifs. En passant à
un système fondé sur la justification individuelle, vous inversez la
logique.
En définitive, vous êtes le parti de la jalousie : au lieu
de faire en sorte que la situation s’améliore pour tout le monde, vous voulez
faire travailler les gens plus longtemps et pour moins d’argent. Il n’y a
pourtant aucune nécessité financière à le faire. Plutôt que de détruire des
régimes qui permettent à certains de partir plus tôt à la retraite pour des
raisons de pénibilité, permettez à tout le monde de partir plus tôt. C’est cela,
le progrès social. (Applaudissements sur les bancs du groupe
FI.)
M. le
président. La parole est à M. Stéphane Peu.
M. Stéphane
Peu. Avec l’article 7, nous abordons les régimes spéciaux. Tout
d’abord, en raison de nombreuses fake news de la part des médias, du
Gouvernement et de la majorité, je tiens à rappeler qu’il existe non pas
quarante-deux régimes spéciaux, mais dix – onze si l’on ajoute le régime
des cultes. Mais il y en a dix au sens du décret de 2014. Ils concernent non pas
3 %, comme on l’entend souvent, mais 1,4 % des salariés, soit un peu
plus de 400 000 actifs, qui versent des pensions à
950 000 retraités – soit 4 % des retraités.
M. Bruno
Millienne. Il faut les aligner sur les autres !
M. Stéphane
Peu. Le problème financier posé par ces régimes spéciaux ne tient pas à
leur spécificité mais à l’évolution démographique. Si je prends l’exemple des
cheminots, ils sont passés de 450 000 en 1950 à 250 000 en 1980 et à
142 000 aujourd’hui. Il n’est pas besoin d’avoir fait des études poussées
pour comprendre qu’une telle évolution démographique, qui rappelle celle des
mineurs, des agents de la RATP ou d’autres corporations, et qui se traduit pas
un nombre de retraités supérieur à celui des cotisants, provoque forcément un
déséquilibre.
C’est pourquoi nous avons déposé des amendements de
suppression de l’article 7, non pas dans un réflexe conservateur, mais pour
respecter l’esprit dans lequel Ambroise Croizat a créé le régime des retraites,
qui visait une harmonisation par le haut, non par le bas. Si j’évoque à mon tour
le célèbre chauffeur de bus du Havre qui partira à la retraite plus tard que
celui de la RATP, c’est pour souligner que notre projet de société vise non pas,
dans un alignement vers le bas, à dégrader les conditions sociales de l’ensemble
des chauffeurs de bus du pays, mais à construire un système de retraite marqué
par le progrès social. C’est ainsi qu’il a été pensé en 1945, à son origine.
(Applaudissements sur les bancs du groupe GDR.)
M. le
président. La parole est à Mme Mireille Clapot.
Mme
Mireille Clapot. Le moment est solennel : nous arrivons à un
article qui proclame l’universalité du système de retraite en intégrant les
régimes spéciaux dans le régime général, ce qui nous ramène aux fondamentaux de
notre système de solidarité.
Il fut une époque où les cheminots voulaient
une solidarité entre cheminots, les mineurs entre mineurs ou les gaziers entre
gaziers. Les limites de ce système tiennent à la démographie, à la statistique
et à la soif d’équité de nos concitoyens dans un monde devenu transparent. C’est
pourquoi nous organisons un système qui devra couvrir plusieurs générations en
intégrant les évolutions démographiques : parfois, après un grand haut, la
démographie ne connaît plus que des bas, comme vous venez de le
rappeler.
Ce n’est pas qu’une question de cohésion sociale, même si cela
l’est aussi : les personnes se comparent, elles veulent de l’équité, y
compris dans l’âge de départ à la retraite. Ce n’est pas qu’une question de
statistiques, même si cela l’est aussi : il s’agit de mutualiser le risque
en le faisant reposer sur une population plus nombreuse. C’est, enfin, une
question d’ouverture de droits sociaux – je pense en particulier au droit à
bénéficier du compte professionnel de pénibilité.
Pour toutes ces
raisons, soyons fiers de voter l’article 7 du projet de loi instituant un
système universel de retraite. (Applaudissements sur les bancs des groupes
LaREM et MODEM.)
M. le
président. La parole est à M. Éric Woerth.
M. Éric
Woerth. Cinq pour cent des retraités touchent une pension issue d’un
régime spécial et quatre régimes pèsent probablement pour 75 % du coût
budgétaire. La suppression du régime des gaziers, des électriciens, de la SNCF
et de la RAPT est sans doute une priorité. Nous avons d’ailleurs fait notre part
du travail en 2008 en augmentant la durée de cotisation et repoussé de deux ans
l’âge de départ.
Mme
Mathilde Panot. Vous n’avez pas besoin de vous en vanter.
M. Éric
Woerth. Ce n’est évidemment pas suffisant. Il n’y a aucune raison
objective, aujourd’hui, pour ne pas intégrer, enfin, les bénéficiaires de
l’ensemble des régimes spéciaux dans le droit commun. Ils n’ont plus aucune
raison d’être traités différemment des autres salariés.
Simplement, nous
contestons votre projet à deux titres : le temps et le
coût.
L’évolution que vous prévoyez est, tout d’abord, bien trop
lente ! Les phases de transition sont anormalement interminables, pouvant
atteindre un demi-siècle !
M. Thibault
Bazin. C’est énorme.
M. Éric
Woerth. La plupart des salariés, même très jeunes, qui bénéficient
aujourd’hui d’un régime spécial, n’en verront pas la fin. Très peu seront
concernés. Cette lenteur équivaut à une non-réforme.
Ensuite, le
coût global de la transition pour les finances publiques est inconnu, de nous en
tout cas. Peut-être le connaissez-vous, peut-être les participants à la
conférence de financement le connaissent-ils. Il n’est pas connu de nous. Nous
ne savons pas, en particulier, comment l’État, qui est employeur, compensera les
cotisations qui ne seront pas versées par les salariés, alors qu’ils devraient
s’en acquitter. (Applaudissements sur les bancs du groupe
LR.)
Votre texte n’apporte aucun éclairage sur ces problèmes
complexes.
M. le
président. La parole est à M. Frédéric Petit.
M. Frédéric
Petit. Nous voulons une réforme profonde, historique, et donc une
réforme progressive. C’est pourquoi nous prévoyons une large période de
transition.
J’écoute beaucoup l’opposition, parce qu’elle est légitime
– je l’ai encore dit hier – ce qui m’a permis de comprendre votre logique.
Nous voulons un système universel pour une prise de risque en commun. C’est
pourquoi l’harmonisation se fera souvent par le haut et quelquefois par le
bas.
L’article 3 intègre, au système universel, tous les salariés du
secteur privé et les contractuels du secteur public : vous avez déposé
1 000 amendements de suppression. L’article 4 intègre à ce système les
travailleurs indépendants et les professionnels libéraux : vous avez déposé
plus de 1 000 amendements de suppression. Vous avez, de même, déposé,
un millier d’amendements de suppression de l’article 5, qui porte sur les
agriculteurs, et de l’article 6, qui porte sur les fonctionnaires. Et vous
avez déposé un grand nombre d’amendements de suppression de l’article 7,
qui vise les régimes spéciaux.
Votre logique de cloisonnement prouve que,
contrairement à ce que nous croyions, vos amendements tendant à supprimer le mot
« universel » visaient non pas le mot mais le principe.
(Applaudissements sur les bancs des groupes MODEM et LaREM.)
M. le
président. Nous passons à l’examen des amendements.
Je suis saisi
de trente-quatre amendements de suppression de l’article 7.
Cette
série comprend les amendements nos 958 et 8370, l’amendement
no 17852 et les seize amendements identiques déposés par les
membres du groupe La France insoumise, l’amendement no 26751 et
les quatorze amendements identiques déposés par les membres du groupe de la
Gauche démocrate et républicaine.
La parole est à Mme Laurence
Dumont, pour soutenir l’amendement no 958.
Mme Laurence
Dumont. L’universalité : vous n’avez que ce mot à la bouche !
Permettez-moi de citer de nouveau les propos que le Président de la République a
tenus à Rodez, lors du fameux grand débat : « Si je commence à dire,
on garde un régime spécial pour l’un, ça va tomber comme des dominos. Parce que
derrière, on me dira : Vous faites pour les policiers, donc pourquoi pas
les gendarmes. Ensuite on me dira : Vous faites pour les gendarmes,
pourquoi pas pour les infirmiers et infirmières ? Et puis on va refaire nos
régimes spéciaux. En deux temps trois mouvements, on y est. » Non !
assénait le Président de la République.
Eh si ! « On y
est » ! Les cheminots, les hôtesses de l’air, les chauffeurs routiers,
les marins pêcheurs, les militaires, les policiers, les pompiers conservent des
spécificités, et c’est heureux ! Mais pour les autres, indépendamment des
sujétions de leur emploi, de l’autonomie de leur régime ou de leur participation
à la solidarité nationale, c’est non ! Ce mélange ne peut pas fonctionner.
Au nom de l’universalité, vous créez de l’injustice et de l’inégalité.
En
effet, un des éléments essentiels de la justice sociale est de permettre un
traitement différencié de situations dissemblables, en fonction de leurs
différences légitimes. Si nous demandons la suppression de l’article 7,
c’est parce que vous demandez à ces assurés de cotiser plus pour gagner moins et
partir bien plus tard à la retraite.
Cet article, c’est : « Sus
à quelques régimes spéciaux ! », afin que tout le monde soit perdant.
Un tel système sera une source d’inégalités accrues pour l’ensemble des
assurés.
M. le
président. La parole est à M. Nicolas Meizonnet, pour soutenir
l’amendement no 8370.
M. Nicolas
Meizonnet. Les régimes spéciaux de retraite ont été mis en place pour
répondre à des situations particulières : ils s’inscrivaient dans la suite
logique d’une carrière au sein de métiers à forte particularité.
Le fait
que certaines mesures doivent, bien sûr, être mises en œuvre pour réformer
certains de ces régimes, afin de les adapter à l’évolution des métiers ou des
branches – il en est ainsi du régime spécial de la RATP –, ne justifie
pas la totale disparition de ces régimes.
D’ailleurs, le Gouvernement
semble avoir déjà recréé plusieurs régimes particuliers, rebaptisé
spécifiques : c’est la preuve de la pertinence de l’existence de tels
régimes.
Lors du lancement de la réforme des retraites, le Gouvernement a
essayé d’utiliser le cas de certains régimes spéciaux pour la vendre aux
Français. Il n’y avait toutefois nul besoin de mettre à terre l’ensemble du
modèle français de retraite pour réformer certains régimes spéciaux, dont les
effectifs, de plus, ne représentent qu’une petite part des Français
retraités.
Nous avons bien compris que la disparition des régimes
spéciaux est l’arbre qui cache la forêt : elle n’est pas le véritable
objectif de la réforme. Celui-ci est moins avouable : il est d’abord de
faire baisser la part des retraites dans le PIB en diminuant les pensions, voire
en augmentant le nombre d’années de travail avec l’âge d’équilibre ; il est
ensuite de développer la retraite par capitalisation. Telle est la vérité du
projet que vous défendez.
M. le
président. La parole est à Mme Danièle Obono, pour soutenir
l’amendement no 17852 et les seize amendements identiques
déposés par les membres du groupe La France insoumise.
Mme Danièle
Obono. Ils visent à supprimer cet article, qui est comme la quintessence
de l’hypocrisie et de la mesquinerie du projet de loi. Les dix régimes spéciaux
ont été utilisés comme l’argument premier pour rendre prétendument notre système
plus équitable. La multiplication, ces derniers mois, des exceptions à la
réforme sous forme de spécificités a montré à quel point l’argument était
faux.
Cet article traduit le type de société que vous voulez construire,
une société dans laquelle chacun se jalouse et se montre du doigt. Comme il n’y
aurait pas assez pour tout le monde, chacun devrait faire son petit tas et
s’assurer que personne ne jouit d’une meilleure situation. Les régimes spéciaux
répondent – cela a déjà été souligné – aux spécificités de certains
métiers, qui demeurent importantes, et qui sont même appelées à se
développer.
Le fait que vous recouriez à l’argument démographique prouve
à quel point vous avez la vue courte. Aurons-nous besoin d’un plus grand nombre
de cheminots et de cheminotes ? Oui, parce que nous voulons développer le
service public ferroviaire dans le cadre d’une transition écologique ambitieuse.
Il conviendra dès lors de renforcer à la fois le nombre et le statut de ces
professionnels, dont il faudra sécuriser l’emploi et les retraites. C’est vrai
pour toutes les catégories qui sont aujourd’hui stigmatisées.
En vérité,
vous ne proposez pas de supprimer les régimes spéciaux pour instaurer un système
universel de meilleur droit : vous proposez de les supprimer, dans le seul
but de niveler les droits de tous les salariés par le bas : ils n’auront
plus rien, ou presque, à leur retraite, après avoir travaillé plus
longtemps.
Au contraire, notre conception de l’universalité consiste en
une harmonisation des droits par le haut : voilà pourquoi nous demandons la
suppression de l’article 7.
M. le
président. La parole est à M. Stéphane Peu, pour soutenir
l’amendement no 26751 et les quatorze amendements identiques
déposés par les membres du groupe de la Gauche démocrate et
républicaine.
M. Stéphane
Peu. Dans le prolongement de la réflexion d’Ambroise Croizat, que j’ai
évoquée dans ma précédente intervention, ces amendements de suppression me
permettent de rappeler que le projet initial était d’aller vers un régime unique
des retraites. Toutefois, certains régimes spéciaux étaient bien antérieurs à
1945 : celui des marins a été mis en place par Colbert en 1673 et celui de
la Banque de France par Napoléon Ier en 1808. C’est ainsi
dans un vieux pays : une démocratie comme la nôtre s’est constituée par
strates successives au fil du temps.
Lorsque la retraite par répartition
a été mise en place en 1945, il s’agissait de fondre toutes les professions en
un même régime, dans une optique d’harmonisation par le haut. Nous contestons
d’ailleurs moins votre volonté de regrouper les différentes catégories
professionnelles que de vous servir de cet artifice – ou de cet
argument – pour tenter de réviser notre système de retraite à la baisse en
faisant en sorte que les gens partent plus tard, aient moins de visibilité et
des pensions plus réduites. C’est l’inverse de la pensée d’Ambroize Croizat et
du gouvernement d’union nationale en 1945.
Voilà ce que nous contestons,
au fond, et c’est la raison pour laquelle nous proposons la suppression de cet
article. (Applaudissements sur les bancs du groupe GDR.)
M. le
président. Quel est l’avis de la commission ?
M. Nicolas
Turquois, rapporteur. Avant de m’exprimer sur ces nombreux
amendements de suppression, j’aimerais adresser mes excuses à mon collègue
Huyghe.
Mme Caroline
Fiat et M. Didier Quentin. Très bien !
M. Nicolas
Turquois, rapporteur. Si j’ai réagi un peu nerveusement à son
intervention, c’est qu’il est parfois difficile de rebondir sur tous les sujets.
Tout le monde a évidemment le droit de s’exprimer, mais il faut dire que tous
les sujets ont tendance à être abordés en même temps. Dont acte.
Sur les
amendements, je ferai d’abord une réponse de principe, car je suppose que nous
allons discuter ensuite de chaque régime spécial. Rappelons que l’extinction des
régimes spéciaux est un engagement de campagne, qu’elle est le fondement de
l’universalité du nouveau système. Nous parlons de régimes anciens, voire très
anciens, dont la base démographique est en général très étroite et très
déséquilibrée – le nombre d’actifs étant inférieur à celui des pensionnés.
Ils représentent 4 % des salariés.
L’ordonnance fondatrice
– celle du 4 octobre 1945 portant organisation de la sécurité
sociale –, qui avait généralisé le principe d’une assurance vieillesse des
travailleurs salariés, avait prévu le caractère provisoire des régimes spéciaux.
Son article 17 dispose : « Sont provisoirement soumises à une
organisation spéciale de sécurité sociale les branches d’activité ou entreprises
énumérées par le règlement général d’administration publique parmi celles
jouissant déjà d’un régime spécial. » Le provisoire a duré près de
soixante-dix ans.
Nous pouvons être fiers de retrouver l’ambition
originelle d’universalité en mettant fin à des régimes d’un autre temps. Je
tiens à souligner que l’intégration de ces régimes s’inscrit dans un travail
commencé par de précédentes majorités. Nous l’avons oublié mais je vous rappelle
que, jusque dans les années 1990, existaient le régime spécial de la Société
nationale d’exploitation industrielle des tabacs et allumettes
– SEITA –, celui de l’Imprimerie nationale, celui des agents au sol
d’Air France, celui des chemins de fer secondaires, celui du personnel de la
sécurité sociale ou celui des douze régimes bancaires. Il me semble que nous
n’en parlons plus et que leur suppression n’a pas suscité les vagues et les
catastrophes annoncées.
Voilà pourquoi je suis favorable à cet
article 7 et donc parfaitement défavorable à sa suppression.
M. le
président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. Laurent
Pietraszewski, secrétaire d’État. Je suis évidemment défavorable
à ces amendements de suppression d’un article important qui répond au besoin
d’équité qui s’exprime dans notre pays, tout en reconnaissant des spécificités.
C’est l’un des piliers de notre réforme.
Si des spécificités peuvent
exister, elles doivent se justifier par des éléments objectifs, comparables. Les
réalités de la seconde moitié du XXe siècle ne sont pas celles
de la première moitié du XXIe siècle, mais il peut néanmoins
exister encore des situations différentes. Là où des régimes spéciaux existent,
le principe de la pénibilité sera reconnu de la même façon qu’il le sera
ailleurs, dans le secteur privé ou le secteur public.
Cet article, dont
nous allons sûrement débattre de façon approfondie, marque bien la volonté du
Gouvernement de créer un système équitable et solidaire pour tous les
Français.
M. le
président. La parole est à M. Jean-René Cazeneuve.
M.
Jean-René Cazeneuve. Veuillez m’excuser de revenir sur des propos tenus
juste avant la suspension de séance, qui ne sont donc pas directement liés au
débat sur les amendements, mais que je trouve inadmissibles. Le président
Mélenchon a traité certains députés de « ouin ouin » ou de
perroquets.
C’est une position absolument méprisable. Je sais que le
mépris et l’insulte sont souvent le fonds de commerce de La France insoumise
(Applaudissements sur quelques bancs du groupe LaREM), mais, venant d’un
président de groupe, d’un président de parti, c’est tout à fait lamentable et
inacceptable.
Mme Danièle
Obono. Et sur l’article, qu’avez-vous à dire ?
M.
Jean-René Cazeneuve. Ça l’est encore plus quand on a été capable de
déposer 30 000 amendements…
Mme Danièle
Obono. Eh oui !
M.
Jean-René Cazeneuve. …points-virgules, synonymes, de forme, alibis comme
vous les appelez. (Exclamations sur les bancs des groupes FI et GDR.)
M. Maxime
Minot. Ça fait cinquante fois que vous le répétez !
Mme
Constance Le Grip. C’est une manœuvre dilatoire !
M.
Jean-Paul Dufrègne. Et on relance pour un quart d’heure !
M.
Jean-René Cazeneuve. C’est tout à fait incroyable ! Je le
répète : pour notre part, nous voulons débattre sereinement, aller sur le
fond des sujets, supprimer tous les amendements qui ne servent à à rien
(Vives exclamations sur les bancs du groupe FI), nous concentrer sur les
1 000 ou 2 000 amendements qui vont nous permettre de faire progresser
ce texte. Il faudrait se respecter et éviter l’invective.
M. Maxime
Minot. Faites de même !
Mme
Constance Le Grip. Vous faites de l’obstruction !
M.
Jean-Paul Dufrègne. Arrêtez de relancer ! Ce n’est pas une partie
de poker !
M.
Jean-René Cazeneuve. Une fois, deux fois, trois fois, ça va, mais dix
fois, c’est tout à fait inadmissible ! (Applaudissements sur les bancs
des groupes LaREM et MODEM. – Exclamations
sur les bancs des groupes FI et GDR.)
M. le
président. Le moins que l’on puisse dire, c’est que vous savez
revivifier un hémicycle.
Rappels au règlement
M. le
président. La parole est à Mme Caroline Fiat, pour un rappel au
règlement.
Mme
Caroline Fiat. Mon intervention se fonde sur l’article 56 du
règlement. Comme nous devions aller trop vite et, qui plus est, en débattant sur
le fond, M. Cazeneuve nous emmène une nouvelle fois hors sujet.
(Exclamations sur les bancs des groupes LaREM et MODEM.)
Vous
n’avez pas apprécié certains de nos propos, tout comme nous n’avons pas apprécié
certains des vôtres. Tous les groupes pourraient faire le même genre de constat.
Il y a une ambiance. N’incriminez pas notre seul groupe, parce que cela fuse de
tous les bancs et à tout moment.
Comme je n’aime pas parler de quelqu’un
en son absence, je ne vais pas citer le nom de la collègue qui a passé deux
minutes à dire que j’étais une personne indécente. Je n’ai rien dit, pourtant
les mots sont durs et on les reçoit en direct.
Mme
Brigitte Bourguignon, présidente de la commission spéciale.
Oui !
Mme
Caroline Fiat. Les mots doivent être pesés sur tous les bancs, alors ne
désignez pas un groupe en particulier.
Monsieur le président, je profite
de l’occasion pour vous alerter sur un phénomène. Dans cet hémicycle, chacun
peut s’asseoir où il veut, cela peut même nous permettre de faire des rencontres
sympathiques (Exclamations et sourires sur divers bancs) et de
discuter entre personnes qui ne sont pas du même bord. Mais il y a des personnes
qui viennent s’installer à côté de nous…
Mme
Dominique David. Moi, je suis à ma place !
Mme
Caroline Fiat. …pour mettre une ambiance délétère, faire monter la
pression, nous insulter hors micro.
Cela ne peut pas durer, monsieur le
président. On ne peut pas accepter cela.
M. le
président. J’ai bien noté votre rappel au règlement.
Mme
Caroline Fiat. Encore un mot, monsieur le président, et j’en aurai
terminé. Quand les invectives sont lancées au micro, de quelque banc qu’elles
viennent, elles sont au moins assumées.
Mme
Brigitte Bourguignon, présidente de la commission spéciale. C’est
bon !
Mme
Caroline Fiat. Parfois, ce sont des paroles qui partent trop vite. En
revanche, quand elles sont lancées hors micro et de manière systématique, il est
difficile de garder son calme.
M. le
président. La parole est à M. Christophe Blanchet.
M.
Christophe Blanchet. Mon intervention se fonde sur l’article 70,
alinéas 2 et 5, du règlement sur les manifestations troublant l’ordre de la
séance et les provocations.
Je voudrais revenir sur le terme de
« ouin ouin » qui est répété au micro et hors micro. Devons nous, sans
réagir, entendre parler d’« interventions ouin ouin », de « ouin
ouin de service », de « ouin ouin professionnels » ?
Mme Nadia
Essayan. De Playmobil !
M.
Christophe Blanchet. On peut voir Ouin-Ouin en personnage de bande
dessinée ou se souvenir du personnage interprété par Antoine de Caunes dans
l’émission Nulle part ailleurs. On peut d’ailleurs trouver le personnage
sympathique et le qualificatif bienveillant. Il me semble néanmoins que ce type
de références n’a pas sa place dans l’hémicycle lorsque nous discutons de sujets
aussi sérieux que la retraite de nos concitoyens. Admettons que les députés
s’interpellent en se donnant les noms de personnages créés par Antoine de Caunes
dans Nulle part ailleurs. Dans ce cas, accepteriez-vous
d’endosser le rôle de Didier l’embrouille ? (Applaudissements et
sourires sur quelques bancs du groupe LaREM.)
M. Maxime
Minot. Quel niveau !
M. Damien
Abad. On est reparti pour un ping-pong oral !
M. le
président. La parole est à Mme Mathilde Panot.
Mme
Mathilde Panot. Mon intervention se fonde sur les articles 56 et 58
du règlement.
Il y a quelques instants, une collègue a dit « je
t’emmerde » à l’une des députées de notre groupe. Il n’est pas possible de
poursuivre un débat serein dans des conditions pareilles. (Exclamations sur
les bancs du groupe LaREM.) Ce n’est pas possible ! Je n’accepte pas
que l’on vienne s’asseoir près de nos bancs pour nous insulter ! Je ne
l’accepte pas !
M. Mickaël
Nogal. Quel exemple vous donnez aux jeunes qui sont dans les
tribunes !
Mme
Mathilde Panot. Je n’accepte pas non plus que l’on nous dise constamment
que nous sommes hors sujet quand nous parlons des travailleurs détachés, qui
représentent une perte de 3 milliards d’euros pour notre système de
sécurité sociale, et que l’on dérive ensuite sur des mises en cause personnelles
et des insultes. (Exclamations sur les bancs du groupe LaREM.)
M. le
président. Nous ne sommes pas dans une cour de récréation.
M. Patrick
Hetzel. Très bien !
M. le
président. Ce qui est dit hors micro, je ne l’entends pas. Ne me
demandez donc pas d’intervenir dans les échanges que vous avez entre vous. Cela
n’a aucun sens. Pour que les débats puissent se poursuivre dans la sérénité, je
vous propose d’éviter tout terme offensant, ce qui est la base des relations
humaines. (Applaudissements sur les bancs des groupes LaREM et MODEM.) On
se respecte et l’on respecte l’orateur. Et je ne m’adresse pas à un groupe en
particulier. (Mme Mathilde Panot
proteste.)
Nous allons essayer de suivre cette règle. En ce qui me
concerne, je couperai le micro dès que cela commencera à dériver. J’appelle tout
le monde à la retenue pour la suite de nos débats.
La parole est à
Mme Brigitte Bourguignon, présidente de la commission spéciale.
Mme
Brigitte Bourguignon, présidente de la commission spéciale. Je
voulais abonder dans votre sens, monsieur le président, et demander que les
débats s’apaisent. Depuis un quart d’heure, j’avais vraiment la sensation d’être
dans une cour d’école. Toutes ces réactions du genre « c’est pas moi, c’est
lui ! » sont vraiment du niveau primaire. J’ai honte en pensant aux
élèves qui nous regardent aujourd’hui dans les tribunes de cet hémicycle. Je
demande une suspension de séance de cinq minutes pour que tout le monde reprenne
ses esprits.
Suspension et reprise de la séance
M. le
président. La séance est suspendue.
(La séance, suspendue à dix-sept heures trente, est reprise à dix-sept
heures trente-cinq.)
M. le
président. La séance est reprise.
Article 7 (suite)
M. le
président. La parole est à M. Sébastien Huyghe.
M.
Sébastien Huyghe. Je remercie le rapporteur pour ses excuses, que
j’accepte bien évidemment. Nous passons de longues heures dans cet hémicycle et
nos propos dépassent parfois nos pensées, c’est compréhensible.
Nous,
membres du groupe Les Républicains, avons fait le choix de ne pas prolonger les
débats inutilement. Nous n’intervenons donc pas sur chacun des amendements, à
tout bout de champ. C’est sans doute pourquoi le rapporteur n’aura pas remarqué
ma présence dans l’hémicycle. J’ai pourtant siégé sans interruption à partir de
dimanche en fin d’après-midi. Vous conviendrez qu’il est particulièrement
pénible d’être accusé d’absentéisme dans ces conditions – mais il est vrai
que nous ne nous connaissons pas très bien, monsieur le rapporteur, car nous ne
travaillons pas sur les mêmes sujets à l’Assemblée.
Quoi qu’il en soit,
je souhaite que nos débats se poursuivent en toute sérénité et qu’ils permettent
de faire avancer l’examen du projet de loi sur le fond. (Applaudissements sur
les bancs du groupe LR. – M. Bertrand Bouyx applaudit
également.)
M. le
président. Je vous remercie pour ces paroles apaisantes, cher
collègue.
La parole est à Mme Danièle Obono.
Mme Danièle
Obono. En réponse au rapporteur et au secrétaire d’État, je veux répéter
– car la politique est l’art de la répétition – que
l’universalité que nous défendons vise à améliorer les conditions de travail et
de retraite de l’ensemble des salariés, dans la lignée des fondateurs et des
fondatrices de la sécurité sociale. Vous prétendez que votre système dit
universel, le système par points, permettra d’atteindre cet objectif ;
c’est précisément là que réside notre désaccord.
Et les salariés
concernés le sauraient, si cette prétendue universalité de la réforme permettait
réellement de mieux prendre en considération la spécificité de leurs métiers, de
manière collective et non individuellement, comme il en est désormais question
avec le compte de pénibilité, et d’inciter de nouvelles générations à s’engager
dans ces secteurs – puisque, pour assurer la transition écologique, nous
pensons qu’il faudra, pour ce qui concerne le service public ferroviaire, des
cheminots et cheminotes en plus grand nombre et, du côté des industries
énergétiques et gazières des agents sécurisés dans leur emploi et dans leur
retraite.
Il s’agit, non pas de secteurs d’importance secondaire, mais de
secteurs stratégiquement importants, même s’ils ne concernent pas autant de
personnes que le Gouvernement veut le laisser entendre en insistant sur le poids
des régimes spéciaux. Voilà pourquoi il faut préserver et renforcer leur statut
spécifique. Or le projet de loi ne va pas dans ce sens.
Tous les salariés
aspirent à une retraite digne. C’est pourquoi la majorité d’entre eux sont
aujourd’hui opposés à votre réforme, qui remet en cause les régimes spéciaux et
opère un nivellement par le bas.
M. le
président. La parole est à M. Bruno Fuchs.
M. Bruno
Fuchs. J’entends bien que nos collègues du côté gauche de l’hémicycle
aspirent à un certain modèle de société. Ce qui nous sépare, ce n’est pas le
modèle de société dans lequel nous voulons vivre, mais la manière dont nous
pouvons le construire.
Comme vous, chers collègues, nous aspirons à une
plus forte solidarité et nous voulons des régimes de retraite qui ne se
jalousent pas les uns les autres ; or c’est précisément l’existence de ces
régimes spéciaux qui est de nature à susciter des jalousies entre les
Français.
M. Jimmy
Pahun. Tout à fait !
Mme Danièle
Obono. Mais non !
M. Bruno
Fuchs. Comme vous, nous souhaitons que chacun puisse partir à la
retraite le plus tôt possible. Fixer l’âge de départ à la retraite à 60 ans
est une ambition louable, mais vous ne pouvez pas la déconnecter de notre
capacité économique à produire la richesse nécessaire pour appliquer une telle
mesure. Je me suis penché sur vos programmes ; vous dites que si l’âge de
départ à la retraite était fixé à 60 ans, le coût des retraites
représenterait 16 % du PIB selon le parti communiste et 17 % selon La
France insoumise. Comment faire pour y arriver ? Par une augmentation des
cotisations sociales et des salaires, donc par l’élévation du coût du travail,
ce qui se traduirait immédiatement par une forte baisse des investissements et
par une hausse du chômage.
M. Jean
Terlier. Et par de l’inflation !
Mme Danièle
Obono. Mais non !
M. Bruno
Fuchs. Le financement des retraites représenterait de ce fait une part
du PIB bien plus grande !
Or je rappelle que deux points de PIB
représentent 50 milliards d’euros, c’est-à-dire le budget de l’éducation
nationale, ou encore trois mille collèges, cent vingt hôpitaux ou deux millions
de postes d’aides-soignantes. Comment trouver une telle somme ? Il est tout
à fait irréaliste de penser pouvoir le faire.
On le voit bien,
votre ambition ne repose sur aucune base économique solide. Je vous invite à
plutôt nous aider à améliorer le système existant et à déposer des amendements
en ce sens.
M. le
président. La parole est à M. Alain Bruneel.
M. Alain
Bruneel. Il s’agit là d’un débat de société, avec des avis divergents
qui se confrontent au sein de l’hémicycle. C’est normal : nous n’avons pas
tous la même perception, la même volonté ou la même stratégie par rapport à ce
que vous proposez en matière de système universel de retraite et de mesures
relatives aux régimes spéciaux.
Nous pensons, quant à nous, que les
régimes spéciaux doivent être maintenus : ils ont fait leur preuve et sont
la spécificité du service public. Or nous avons besoin de structures qui rendent
service au public dans notre pays. Là où il n’y a pas de services publics, par
exemple dans les chemins de fer, on voit bien qu’il y a de grandes difficultés,
notamment pour intervenir en cas de tempête. Nous, nous en avons, et nos
cheminots disposent d’un régime spécial, qu’ils ont obtenu du fait de la
pénibilité de leur métier.
Cher collègue Fuchs, la majorité
fait des choix financiers, qui sont contestables et peuvent être discutés. Par
exemple – ce n’est pas moi qui le dis, c’est la Cour des comptes –,
les exonérations de cotisations patronales que vous avez décidées coûteront
90 milliards d’euros. C’est un choix que vous avez fait, puisque, d’après
la loi, c’est l’État qui compensera – à l’exception des heures
supplémentaires. Quand vous supprimez l’impôt de solidarité sur la fortune,
l’ISF, vous faites également un choix.
Nous pensons, pour notre
part, que de l’argent, il y en a, et qu’il faut aller le chercher là où il se
trouve. On compte entre 20 milliards et 25 milliards d’euros de fraude
aux cotisations sociales ; il y a de l’évasion fiscale.
Allons-y !
Nous n’avons pas la même vision des choses. Nous
défendons pour notre part un autre système de retraite, aux côtés des
corporations, publiques ou privées, avec notamment pour objectif la retraite à
60 ans. Vous, au prétexte de la démographie, vous prévoyez au contraire
l’allongement de l’âge de départ à la retraite parce que vous dites qu’il n’y
aura plus d’argent pour payer les pensions des retraités.
Je schématise
certes un peu, mais ce sont des désaccords de cette nature qui s’expriment ici.
C’est ce qui explique que nous soyons favorables à la suppression de
l’article 7.
(Les amendements no 958 et
identiques ne sont pas adoptés.)
M. le
président. La parole est à Mme Laurence Dumont, pour soutenir
l’amendement no 25175.
Mme Laurence
Dumont. Cet article, c’est : « Sus aux régimes
spéciaux ! » – et tout cela pour que tout le monde y perde au
final. On l’a déjà dit : peu d’actifs sont concernés – 400 000,
soit même pas 1,5 % de la population salariée –, et le poids de ces
régimes dans le déficit prévu du système actuel ou leurs prétendus avantages
indus font l’objet de mensonges de votre part, mais leur suppression est votre
credo, celui que vous déclinez depuis des mois. Autre mensonge : ils ne
sont pas quarante-deux comme on l’entend partout, mais seulement dix
– certains étant d’ailleurs excédentaires –, et leur déficit total
représente 5,5 milliards d’euros pour un volume global de
300 milliards d’euros, soit moins de 2 %. On peut donc s’interroger
sur la cause de ce déficit et sur la nécessité de mettre tout le monde dans le
même panier, vu que ces régimes font déjà l’objet d’un rapprochement avec le
régime général, du fait de ce qui a déjà été voté par le passé.
M. le
président. Quel est l’avis de la commission ?
M. Nicolas
Turquois, rapporteur. Je vois bien l’habileté de nos collègues
socialistes, qui, après avoir tenté de supprimer l’article 7, proposent la
suppression de toutes les catégories qu’il concernera – mais cela fait
partie du jeu politique.
Au-delà, je crois que la question de la
suppression des régimes spéciaux a des enjeux philosophiques.
Mme Laurence
Dumont. Tout à fait !
M. Nicolas
Turquois, rapporteur. J’entends l’argument des spécificités
issues de l’histoire et l’on peut comprendre que ceux qui ont intégré ces
régimes y soient attachés. Toutefois, je vois, comme souvent, de nombreux jeunes
dans les tribunes, et je doute fortement que, quand ils entreront dans la vie
professionnelle d’ici quelques années et s’interrogeront sur un choix difficile
à faire – devenant pour certains infirmiers, pour d’autres conducteurs de
trains, policiers ou ingénieurs –, ils prennent un moment en considération
leur retraite future. (Mme Cendra Motin et
M. Jean-René Cazeneuve applaudissent.) Si l’on pouvait
procéder à un vote à main levée, on verrait, je crois, que c’est vraiment le
cadet de leurs soucis. Leur promettre, quel que soit le métier qu’ils auront
choisi, qu’ils auront les mêmes conditions de départ de retraite, me semble une
évidence dans le monde du XXIe siècle. Avis défavorable.
(Mme Maud Petit applaudit.)
M. Alain
Perea. Très bien !
M. le
président. La parole est à M. Damien Abad.
M. Damien
Abad. Mon collègue Éric Woerth a tout à l’heure soulevé plusieurs
questions qui sont centrales. Chacun sait en effet que le groupe Les
Républicains est pour la suppression des régimes spéciaux. J’ai entendu que cela
concernait 1,5 % de la population salariée, mais il ne faut pas oublier
qu’ils représentent tout de même un coût de 6 milliards d’euros par an pour
le contribuable.
Nous faisons néanmoins deux reproches à cet
article.
Le premier reproche, c’est le choix de la vitesse de sortie
complète des régimes spéciaux : nous pensons que cinquante ans, soit un
demi-siècle, c’est trop long, et qu’il faut accélérer le processus. Dans notre
contre-projet, nous proposons une sortie en douze ans, ce qui nous semble
tenable. D’autre part, j’ai une question très concrète, concernant la durée de
sortie, à poser à M. le secrétaire d’État : à quelle date le premier
conducteur de trains touché par votre réforme sera-t-il contraint de partir à
l’âge légal de 62 ans ? De même, quel est le pourcentage des assurés
actuels des régimes spéciaux qui pourront conserver le bénéfice d’un départ
anticipé ? Voilà, parmi d’autres, des questions extrêmement concrètes dont
nous attendons la réponse. Néanmoins, je le répète, nous sommes favorables à la
suppression de ces régimes et nous en demandons l’accélération du
timing.
Le second reproche, c’est le coût induit de cet article. Notre
grande crainte, c’est qu’après les régimes spéciaux, vous inventiez des
transitions spéciales, des transitions d’autant plus coûteuses que leur durée
sera longue, au point que ces régimes ne sembleront pas véritablement entrés
dans un processus d’extinction. (Mme Constance Le Grip
applaudit.)
M. le
président. La parole est à Mme Danièle Obono.
Mme Danièle
Obono. M. le rapporteur a évoqué le message qu’on envoie, avec ce
texte, à la jeunesse, mais je ne pense pas que faire comprendre à celle-ci
qu’elle est vouée à la précarité à perpétuité du fait des réformes mises en
place depuis le début de ce quinquennat soit un bon message.
S’agissant
de la question de la retraite, le Gouvernement a décidé que les spécificités des
uns étaient légitimes et celles des autres non, selon des critères encore moins
objectifs que ceux qui sont au fondement même des régimes spéciaux. Je rappelle
qu’il s’agissait de compenser des conditions de travail particulièrement
difficiles, qu’il s’agisse des cheminots, des marins ou de certaines autres
catégories, et que ces difficultés demeurent encore aujourd’hui, d’où les
départs anticipés à la retraite qui caractérisent ces régimes. Et je redis
qu’elles vont s’aggraver du fait de la remise en cause par la politique du
Gouvernement de secteurs pourtant cruciaux pour la transition écologique, la
seule perspective possible pour la jeunesse. Vous voyez, monsieur le rapporteur,
que ce texte va même à l’encontre de ce que vous prétendez vouloir.
Pour
conclure, je vais répondre à l’interpellation de notre collègue Fuchs sur le
financement de notre contre-projet. Oui, nous avons une autre logique :
nous pensons qu’augmenter les salaires permettrait à la fois d’augmenter le
niveau des pensions et d’abaisser l’âge légal de départ à 60 ans. Il y
aurait beaucoup de marges de manœuvre si l’on modifiait le coût du capital,
prohibitif pour la société par rapport au coût du salaire, en répartissant
différemment les richesses entre capital et travail. Je vous renvoie, mes chers
collègues, à l’excellente émission que nous avions réalisée sur le financement
de notre programme, où tout cela est très détaillé,…
M. Bruno
Millienne. Diffusée par votre webtélé Le Média, sans doute !
Mme Danièle
Obono. …et également à notre contre-projet, où nous expliquons comment
remettre l’argent du capital dans les salaires afin de revaloriser le prix du
travail et les pensions de retraite. C’est une autre logique que la vôtre, et en
vérité la plus progressiste. (Applaudissements sur les bancs du groupe
FI.)
M. le
président. La parole est à M. Stéphane Peu.
M. Stéphane
Peu. Pour répondre à M. Abad à propos du coût des régimes spéciaux,
je rappelle que le déficit des régimes spéciaux, au nombre de dix
– car il n’y en a que dix, contrairement à ce que véhiculent beaucoup
de fake news –, ne leur est pas intrinsèque, mais qu’il est dû à la
démographie.
M. Damien
Abad. Pas seulement !
M. Stéphane
Peu. Quand on passe de 1 million de mineurs à 100 000, ou de
450 000 cheminots en 1950 à 120 000, il n’est pas très compliqué de
voir le décalage entre le nombre de cotisants et le nombre de retraités,
décalage à l’origine du déficit des caisses. Ce n’est pas leur régime qui est
structurellement en déficit, c’est la démographie de ces professions qui crée le
déficit. Ce n’est pas du tout la même chose. (Exclamations sur les bancs des
groupes LaREM et LR.)
Et puis, concernant les jeunes, l’un des grands
engagements à leur égard, c’est d’avoir le sens de la parole donnée. Quand on
entre dans une de ces professions, on s’engage à en accepter les contraintes
particulières et un niveau de salaire relativement bas, voire plus bas que dans
d’autres professions à compétence équivalente, mais, en contrepartie, on
bénéficie d’un départ à la retraite anticipé. C’est la moindre des choses que de
respecter la parole donnée, le contrat moral.
M. Damien
Abad. Le projet de loi prévoit la clause du grand-père – ou
presque !
M. Stéphane
Peu. Mon voisin d’immeuble, à Saint-Denis, père de deux enfants, est
chauffeur de bus à la RATP depuis quatorze ans, et il n’a pu passer que deux
Noël avec eux. Je ne le plains pas, il a choisi un métier et les contraintes qui
vont avec,…
M. Éric
Bothorel. Eh oui !
M. Stéphane
Peu. …mais le contrat compensait le salaire relativement modeste, les
Noël, les nuits et les week-ends travaillés, par l’âge de départ à la retraite.
(Applaudissements sur les bancs des groupes GDR et FI.)
M. Damien
Abad. Et les infirmières alors ?
M. le
président. La parole est à M. Jacques Marilossian.
M. Jacques
Marilossian. J’ai écouté nos collègues avec vraiment beaucoup
d’attention, mais je trouve que le déroulement des séances est perturbé
régulièrement par des affirmations qui ne relèvent ni du factuel ni même d’une
opinion, mais de contrevérités. Les mots utilisés sont toujours les mêmes :
« réforme bâclée », « vous voulez bloquer les dépenses de
retraite », « l’objectif, c’est l’austérité », « vous mentez
aux Français », « votre projet consiste à broyer des vies »,
« votre projet est truffé de mensonges », « c’est de
l’hypocrisie ». Les jeunes Français qui sont dans les tribunes pourraient
se demander, avant qu’ils ne s’en aillent, s’il faut croire ces prophètes de
malheur… Je leur réponds : non – et j’ai un exemple très significatif
qui le prouve, jeunes gens.
M. Stéphane
Peu. Ils sont tellement convaincus qu’ils s’en vont !
(Sourires.)
M. Jacques
Marilossian. Il y a deux ans, notre majorité a voté les ordonnances
travail et La France insoumise, au son des trompettes, nous annonçait les
malheurs de l’Apocalypse : « vos ordonnances travail rendront le pays
encore plus malade qu’il ne l’est déjà », « vous allez permettre aux
employeurs de licencier abusivement », disait-elle. Que s’est-il
passé ? Un demi-million de personnes ont retrouvé un travail solide !
(Applaudissements sur de nombreux bancs des groupes LaREM et MODEM.) Près
de 500 000 jeunes sont aujourd’hui en apprentissage, soit 50 000
de plus qu’en 2018 ! (Mêmes mouvements sur les bancs du groupe
LaREM.) Voilà bien la preuve que les prophètes de malheur de La France
insoumise trompent les Français depuis deux ans et demi. J’invite mes
concitoyens à ne pas les croire ! (Mêmes mouvements.)
M. Maxime
Minot. Quel est le rapport avec les retraites ?
M. le
président. La parole est à M. Frédéric Petit.
M. Frédéric
Petit. Quelques précisions chiffrées concernant le contre-projet de La
France insoumise.
Selon vous, il faudrait consacrer deux points de PIB de
plus au système de retraite, c’est-à-dire augmenter non pas les salaires
– comme Mme Obono vient de le dire – mais les cotisations, ce qui
reviendrait à augmenter de 17 % tous les salaires du jour au lendemain. Or
je rappelle que le salaire est la conséquence d’un contrat passé entre un
employeur et un salarié, comme vous l’avez fait avec vos collaborateurs, et que
c’est du domaine de la liberté, tout comme le fait d’embaucher. Il faudrait donc
trouver le mécanisme – peut-être existe-t-il, mais je ne l’ai pas vu
mentionné dans les pages que j’ai étudiées – permettant d’obliger tous les
employeurs à augmenter d’un coup de 17 % les salaires qu’ils versent.
Mme
Mathilde Panot. C’est le SMIC !
M. Frédéric
Petit. Ensuite, il est exact, monsieur Peu, que le respect de la parole
donnée, c’est important. Au MODEM, c’est d’ailleurs ce que nous disons depuis
deux ans et, en l’occurrence, cela signifie transition longue. Or c’est ce que
nous nous apprêtons à voter. (Applaudissements sur les bancs des groupes
MODEM et LaREM.)
M. Patrick
Hetzel. Beaucoup trop longue !
M. Frédéric
Petit. Enfin, je souligne que les besoins de la transition écologique
appellent, non pas à plus de cheminots, mais à plus de trains. Ainsi, j’espère
qu’un jour je pourrai aller le lundi à Düsseldorf, une des villes de ma
circonscription, en TGV, et à l’avenir jusqu’à Varsovie, mais le TGV qui me le
permettra alors sera beaucoup plus automatisé, peut-être même complètement,…
Mme Danièle
Obono. Ça ! On a bien compris que vous vouliez remplacer les hommes
par des machines !
M. Frédéric
Petit. …et les successeurs des cheminots d’aujourd’hui, ceux qui
paieront leur retraite, devront donc travailler autrement, y compris dans des
activités liées à la transition écologique, c’est-à-dire dans d’autres métiers.
(Applaudissements sur les bancs des groupes MODEM et LaREM.)
M. Bruno
Millienne. Absolument !
(L’amendement no 25175 n’est pas
adopté.)
(L’amendement no 11910, repoussé par la
commission et le Gouvernement, n’est pas adopté.)
M. le
président. Je suis saisi d’un amendement no 25174, qui
fait l’objet de plusieurs sous-amendements.
L’amendement est-il
défendu ?…
Mme Laurence
Dumont. Je vais le défendre, monsieur le président.
M. le
président. Pour la bonne tenue de nos débats, je vous demande de rester
attentifs, chers collègues !
Mme Laurence
Dumont. Pardonnez-moi, monsieur le président, mais les débats
progressent tellement vite, cet après-midi (Rires),…
M. Bruno
Millienne. Excellent !
M. Patrick
Mignola. C’est le bon mot du jour !
Mme Laurence
Dumont. …que nous avons du mal à suivre !
M. le
président. Je prends cette remarque comme un trait d’humour, madame la
députée. (Sourires.)
Vous avez la parole.
Mme Laurence
Dumont. L’amendement vise à substituer, à l’alinéa 4, les mots
« de retraite par points » aux mots « universel de
retraite ».
M. Bruno
Millienne. Voilà qui est original !
Mme Laurence
Dumont. Nous souhaitons souligner ainsi, une fois de plus, que la
prétendue universalité du système est détricotée jour après jour. Vous affirmez
que votre but est d’instaurer un système universel de retraite. C’est faux,
comme sont mensongers les autres objectifs que vous affichez – que ce soit
la solidarité, la lisibilité ou l’équité.
Comme l’a très justement
indiqué le Conseil d’État, le système que vous proposez crée cinq régimes de
retraite, à l’intérieur desquels sont conservées des règles différentes. Le
maintien d’au moins huit régimes spéciaux a été confirmé, à commencer par ceux
des policiers et des gendarmes, sans oublier celui des contrôleurs aériens. En
même temps – pour reprendre une expression qui vous est chère –, le
Gouvernement a créé des régimes spécifiques, puisque les transporteurs routiers,
les marins pêcheurs ou les pilotes de ligne ont obtenu des dérogations à l’âge
de départ à la retraite de droit commun.
Tout cela pour dire qu’on ne
voit pas où est l’universalité, d’où la reformulation proposée à travers notre
amendement.
M. le
président. La parole est à M. Alain Bruneel, pour soutenir le
sous-amendement no 42179.
M. Alain
Bruneel. Si vous le permettez, monsieur le président, j’en profiterai
pour soutenir en même temps les sous-amendements suivants, nos
42177, 42180, 42181, 42183, 42184, 42185, 42187 et 42191, car ils
rejoignent tous l’idée exprimée par notre collègue. Je n’interviendrai ainsi pas
à de multiples reprises pour expliquer qu’il faut remplacer les mots « par
points » par le terme « individualisé » ou encore les compléter
par les mots « et par capitalisation », puisque nous en avons déjà
longuement discuté.
M. Bruno
Millienne. Monsieur est trop bon…
M. le
président. Je vous en prie, monsieur Bruneel, allez-y.
M. Alain
Bruneel. Cette réforme, qui se veut universelle, ne l’est pas,
puisqu’elle prévoit, comme cela vient d’être expliqué, des dérogations et des
spécificités. On a évoqué l’exemple des enseignants auxquels on versera des
primes supplémentaires pour qu’ils puissent partir à la retraite dans de bonnes
conditions, alors que, dans d’autres secteurs de la fonction publique, certaines
catégories d’agents ne bénéficieront d’aucune revalorisation et partiront donc à
la retraite avec de faibles pensions. Nous avons d’ailleurs clairement indiqué
que nous n’étions pas favorables aux primes dès lors que ces dernières se
substituaient aux augmentations de salaire. Nous avons également parlé des
agriculteurs et d’autres professions. Nous pourrions continuer longtemps
encore.
Je voudrais souligner à nouveau que des économistes de tous bords
torpillent la réforme – il faut le savoir. Qu’ils soient proches du
Président de la République, convaincus du bien-fondé d’une réforme par points ou
défenseurs du système actuel, huit analystes dénoncent les failles du projet de
loi gouvernemental. Cela ne remonte pas à très longtemps, puisqu’il s’agit d’un
article paru le jeudi 6 février dans un journal bien connu. Ils sont de
bords différents – marxistes, keynésiens ou néolibéraux – et
d’habitude opposés en tout points. Or, pour une fois, ces économistes réputés
s’accordent sur une chose : le projet de réforme des retraites, débattu à
l’Assemblée nationale, est mauvais – ce n’est pas moi qui le dis, ce sont
eux. Les arguments sont parfois contraires, mais le rejet est unanime.
« Absurde », « inutile », « dangereux »,
« mal préparé », « une hérésie » : voilà quelques
qualificatifs qui planent sur ce texte, tandis que l’exécutif est taxé
d’« amateur ». Ce n’est toujours pas moi qui le dis – je suis
innocent dans cette affaire (Sourires) –, mais je partage bien
évidemment cette analyse. « Outre la réforme, l’étude d’impact subit les
foudres des spécialistes », peut-on également lire dans cette tribune
publiée par un journal que je ne citerai pas. (Sourires.)
Mme Cendra
Motin. C’est l’Humanité !
M. le
président. Quel est l’avis de la commission sur l’amendement et la série
de sous-amendements ?
M. Nicolas
Turquois, rapporteur. Il s’agit, comme pour nombre d’amendements
déposés de façon récurrente, de supprimer le mot « universel » pour le
remplacer par d’autres – en l’occurrence, les mots « retraite par
points ».
Le nombre de régimes spéciaux est largement discuté. Je
confirme que le système actuel ne compte pas quarante-deux régimes
spéciaux : ce chiffre correspond à l’ensemble des régimes de retraite de la
sécurité sociale. Les régimes spéciaux, tels qu’ils sont énumérés à
l’article 7, sont au nombre de douze. Il s’agit des salariés de la SNCF et
de la RATP, des clercs et employés de notaires, des salariés des industries
électriques et gazières, des agents titulaires de la Banque de France, des
membres du personnel de l’Opéra national de Paris, des salariés de la Comédie
française, des ouvriers des établissements industriels d’État, des employés du
port autonome de Strasbourg, des mineurs, des ministres des cultes soumis au
régime concordataire et des membres du Conseil économique, social et
environnemental – CESE. Je tenais à le préciser.
Nous ne contestons
pas l’intérêt de ces métiers, ni de ceux exercés par des personnes qui ne
relèvent pas d’un régime spécial, comme les infirmières ou les avocats, que nous
avons cités à de nombreuses reprises. En revanche, nous voulons définir leurs
conditions de départ à la retraite en nous fondant sur des critères objectifs,
qui ne soient pas spécifiques à une corporation ou à un métier.
Parmi ces
critères peuvent figurer les sujétions spécifiques qui s’imposent par exemple
aux personnels exerçant dans les domaines de la sécurité ou de la défense, la
pénibilité – qui doit être évaluée objectivement –, les carrières
longues, les droits familiaux… Ils doivent s’appliquer de façon transverse et
uniforme, y compris aux métiers évoqués précédemment, qui doivent donc
s’intégrer au système universel.
Avis défavorable sur l’amendement et les
sous-amendements, comme sur tous les autres amendements tendant à nier le
caractère universel des dispositions contenues dans le projet de loi.
M. le
président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. Laurent
Pietraszewski, secrétaire d’État. Nous avons déjà échangé à
plusieurs reprises sur cette question et j’ai bien entendu les oppositions
politiques de fond qui pouvaient s’exprimer sur ce sujet, mais mon avis reste
inchangé. Mme Dumont ne sera donc pas surprise que le Gouvernement émette
un avis défavorable sur cet amendement rédactionnel.
M. le
président. Sur les amendements no 17869 et identiques à
venir, je suis saisi par les groupes Socialistes et apparentés, de La France
insoumise et de la Gauche démocrate et républicaine d’une demande de scrutin
public.
Le scrutin est annoncé dans l’enceinte de l’Assemblée
nationale.
La parole est à M. Régis Juanico.
M. Régis
Juanico. Le rapporteur a raison de rappeler qu’il existe douze régimes
spéciaux et non quarante-deux. Le nombre de régimes sera d’ailleurs porté à
quarante-trois avec le système universel par points, et même à quarante-quatre
avec la transition à l’italienne : nous comptons chaque semaine un régime
supplémentaire !
Vous parlez d’universalité. Rappelons ce que dit
avec précision le Conseil d’État dans son avis, à savoir que ce projet de loi ne
vise pas à créer un régime universel de retraite qui serait caractérisé, comme
tout régime de sécurité sociale, par un ensemble constitué d’une population
éligible unique, de règles uniformes et d’une caisse unique ; il s’agit de
créer un système universel par points à l’intérieur duquel coexistent cinq
régimes – créés ou maintenus –, au sein desquels s’appliquent des
règles dérogatoires à celles du système universel. Admettez qu’on est loin de
l’universalité rêvée !
À cette multiplicité des régimes s’ajoutent
les nombreuses exceptions à l’universalité que vous avez décidé d’accorder ces
dernières semaines, en particulier aux catégories de la fonction publique
exerçant des fonctions dangereuses – policiers, gendarmes, militaires,
personnel pénitentiaire –, mais aussi au personnel navigant, aux routiers,
aux marins pêcheurs, aux salariés de la SNCF et de la RATP – sur lesquels
nous reviendrons et qui se verront appliquer un régime transitoire adapté –
et à d’autres.
Tout cela confirme ce que nous avons déjà souligné en
commission spéciale et en séance la semaine dernière : ce système est tout
sauf universel.
Je vois par ailleurs que le secrétaire d’État prend du
miel ; peut-être pourra-t-il le partager afin que nous puissions nous aussi
préserver notre voix ! (Sourires.)
M. Laurent
Pietraszewski, secrétaire d’État. Avec plaisir !
M. le
président. La parole est à Mme Danièle Obono.
Mme Danièle
Obono. Le rapporteur explique qu’il faut définir des critères objectifs
en matière de retraite, comme si la prise en considération de la spécificité de
certains métiers se faisait aujourd’hui au doigt mouillé. Or des critères
objectifs expliquent déjà pourquoi le statut des agents de la SNCF est associé à
une retraite anticipée : il s’agit des horaires décalés et du travail de
nuit. Les salariés des industries électriques et gazières subissent eux aussi
des conditions de travail parfois extrêmement difficiles. Ce sont là des
éléments parfaitement objectifs. Nous reviendrons d’ailleurs à plusieurs
reprises sur la question de l’espérance de vie en bonne santé, laquelle varie
selon les catégories. Tout cela est objectif et explique pourquoi ces conditions
particulières sont prises en considération, aujourd’hui comme au siècle
dernier.
Un collègue de la majorité se félicitait tout à l’heure de la
casse du code du travail à laquelle vous avez procédé en 2017. Si mes souvenirs
sont bons, vous aviez alors remis en cause quatre critères de pénibilité
– ceux-là mêmes que vous réintroduisez aujourd’hui parce que vous vous êtes
rendu compte que vous aviez fait une bêtise. Il ne faudrait donc pas trop la
ramener pour ce qui est du présent projet de loi. (Vives protestations et
huées sur les bancs des groupes LaREM et MODEM.)
M. Bruno
Millienne. Où est le respect, là ?
Mme Danièle
Obono. Je ne vois pas en quoi mes propos sont problématiques. J’ai
simplement utilisé une expression.
Mme Nadia
Essayan. Non, ce n’est pas seulement une expression !
M. Bruno
Millienne. On n’est pas au bistrot du coin, ici !
M. le
président. Poursuivez, madame la députée, en faisant l’effort d’être
respectueuse.
Mme Danièle
Obono. Je ne sais pas comment vous souhaiteriez que je m’exprime,
mais…
Mme Nadia
Essayan. En vous excusant ! Vous êtes bien contente quand le
rapporteur ou le Gouvernement le font !
Mme Danièle
Obono. Calmez-vous, l’expression que j’ai employée n’est ni insultante,
ni grossière, ni vulgaire !
M. le
président. Un peu de calme, chers collègues, s’il vous plaît !
Poursuivez, madame Obono.
Mme Danièle
Obono. Ne la ramenez pas trop, disais-je : vous prétendez
réintroduire les quatre critères objectifs de pénibilité que vous avez
supprimés, mais en les individualisant et en donnant voix au chapitre aux
directions des entreprises, dont l’appréciation, pour le coup, sera loin d’être
objective. Les entreprises définiront ainsi individuellement le niveau de
pénibilité auquel sont exposés leurs salariés : il me semble qu’en matière
d’objectivité, on peut faire beaucoup mieux !
Si nous nous appuyions
sur les critères déjà appliqués aux régimes spéciaux pour les améliorer et les
renforcer – car ils deviendront encore plus nécessaires à l’avenir –,
les spécificités des différents métiers seraient bien mieux prises en
considération que dans votre projet, y compris en matière de retraite.
M. le
président. La parole est à M. Éric Bothorel.
M. Éric
Bothorel. Pardon de la ramener… (Sourires et applaudissements sur
quelques bancs du groupe LaREM. – Exclamations sur les bancs du groupe
LR.)
M. Peu parlait tout à l’heure de Colbert. Mon grand-père
était, au début du siècle dernier, chef mécanicien sur des câbliers, qui
fonctionnaient alors à vapeur – ils tiraient des câbles entre la France et
Halifax. Mon père était capitaine au long cours, et mon fil est officier de la
marine marchande. Mon grand-père naviguait sur des bateaux sans climatisation,
propulsés par une machine à vapeur. C’était probablement très pénible et
compliqué, mais il a passé davantage de temps en retraite qu’en activité, en
ayant démarré à la forge à quatorze ans. Quant à mon fils, dont je suis très
fier aujourd’hui…
M. Stéphane
Peu. Et mon père était maçon ! Où est le rapport ?
M. Éric
Bothorel. Vous citiez des exemples ; je fais de même. Vous évoquiez
des personnes qui travaillent le dimanche, notamment votre voisin.
(Applaudissements sur quelques bancs du groupe LaREM.)
M. Stéphane
Peu. Vous racontez votre vie !
M. Bruno
Millienne. Vous parliez de votre voisin il y a cinq minutes, monsieur
Peu !
M. Stéphane
Peu. Mais je ne raconte pas ma vie ! Nous ne sommes pas ici pour
ça !
M. Éric
Bothorel. Si vous voulez parler de votre père, vous pouvez le faire
aussi, monsieur Peu.
M. le
président. Poursuivez, monsieur Bothorel. Je vous rappelle que vous vous
adressez à l’Assemblée, et non à l’un de vos collègues.
M. Éric
Bothorel. Permettez-moi de dire que les choix d’orientation
professionnelle de certains jeunes ne sont pas dictés par l’éventualité d’une
retraite à 55 ans. Mon fils a choisi son métier par passion, par vocation,
et n’a jamais fait de l’âge de départ à la retraite un critère déterminant de
cette décision. Je ne peux pas entendre que s’appliqueraient, ici ou là, des
sortes de contrats qu’il faudrait garder à vie
(« Si ! » sur les
bancs du groupe FI) parce que les temps anciens se caractérisaient par
certaines formes de pénibilité. Les bateaux sont aujourd’hui climatisés :
vous ne pouvez pas comparer les conditions de travail actuelles d’un marin
embarqué et celles qui prévalaient au début du siècle
dernier !
Puisque vous avez l’indignation facile, je vous
rappellerai que, lorsque nous avons abordé la question des retraites, bien avant
le débat qui se tient actuellement dans l’hémicycle et même avant les élections
législatives, l’indignation était avant tout celle ressentie par nos concitoyens
à l’égard du régime particulier des parlementaires.
M. Bruno
Questel. Eh oui !
M. Éric
Bothorel. Un seul des élus qui siègent ici aurait-il choisi de se
présenter aux élections parce qu’il y avait un avantage à devenir député ?
Je ne le crois pas. (Applaudissements sur les bancs des groupes LaREM et
MODEM.) Je me trompe peut-être – peut-être certains l’ont-ils
fait –, mais une chose est sûre : c’est notre majorité qui a mis fin à
ce régime spécial. Alors si vous ne manquez pas d’indignation, une chose est en
revanche certaine, c’est que vous manquez de courage ! (Vifs
applaudissements sur les bancs des groupes LaREM et MODEM. – Protestations sur
les bancs du groupe FI.)
M. le
président. La parole est à Mme Marie-Christine Dalloz.
Mme
Marie-Christine Dalloz. En matière de courage, nous n’avons pas de
leçons à recevoir.
M. Bruno
Questel. Nous non plus !
Mme
Marie-Christine Dalloz. Et encore moins de la part d’une majorité qui a
provisoirement retiré du texte la disposition relative à l’âge pivot – car
c’est quand même une réalité. Le vrai courage eût été d’assumer, comme nous le
faisons dans notre contre-projet, un âge de départ à la retraite supérieur à ce
qu’il est aujourd’hui.
Mme Danièle
Obono. Tout à fait !
Mme
Marie-Christine Dalloz. Ce n’est pas ce que vous avez choisi de faire
– certainement par manque de courage. J’ai cependant bien noté que l’âge
pivot n’était que « provisoirement » retiré – quoique je ne sache
pas ce que cela signifie.
Pour ce qui est des régimes spéciaux visés par
l’article 7, je voudrais revenir sur le fond du débat, en citant un extrait
de l’avis du Conseil d’État qui dit : « de même que pour les
fonctionnaires qui font l’objet d’un article d’habilitation ayant un objet
analogue, il appartiendra au Gouvernement, dans le cadre de l’élaboration des
ordonnances auxquelles sont renvoyées ces mesures transitoires, d’assurer, afin
de prendre en compte les exigences constitutionnelles et celles découlant de la
Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés
fondamentales, un équilibre satisfaisant entre les considérations d’intérêt
général liées à l’harmonisation des règles applicables entre les régimes de
retraite dans le cadre de la mise en œuvre du système universel de retraite et à
l’équilibre des comptes de ce système […] » etc.
Pour ce qui est de
l’équilibre des comptes de ce système au terme de l’intégration des régimes
spéciaux, je pense que le compte n’y est pas. Le problème, c’est que comme nous
sommes renvoyés à la conférence de financement, nous n’avons aucune visibilité
sur ce que nous sommes en train d’adopter.
M. le
président. La parole est à M. Stéphane Peu.
M. Stéphane
Peu. Je n’avais pas prévu d’intervenir, mais je tiens à vous dire, chers
collègues de la majorité, que vous ne parviendrez pas à nous énerver ni à nous
faire sortir, mes collègues du groupe communiste et moi-même, de notre ligne,
qui consiste à défendre des amendements sans jamais proférer d’invectives ni
nous livrer à des attaques personnelles. Compte tenu de ma conception de la
décence et de mon rôle de parlementaire, je m’efforce d’éviter les exemples
personnels. Je pourrais certes raconter ma vie et celle de mes parents – ça
ne me pose pas de problème –, mais je ne le ferai pas,…
M. Éric
Bothorel. Pourquoi ?
M. Stéphane
Peu. …car je suis le représentant du peuple et j’ai le devoir de
défendre ici, non pas une accumulation de situations personnelles, mais ce qui
me semble être l’intérêt collectif, l’intérêt de la nation.
M. Jean-Luc
Mélenchon et M. Dominique Potier. Très bien !
M. Stéphane
Peu. Je peux le faire au moyen d’exemples rencontrés dans ma
circonscription, mais en évitant à tout prix – ce serait certes la
facilité, mais je me l’interdis, pour les raisons éthiques que j’ai rappelées
précédemment – d’évoquer ma situation personnelle ou celle de mes parents,
de mes grands-parents ou de mes enfants.
Mme
Constance Le Grip. Eh oui ! On ne raconte pas sa vie !
M. Stéphane
Peu. Efforçons-nous d’élever un peu le débat. Ne nous donnons pas de
leçons de courage, car ce n’est franchement pas digne de nos débats, et essayons
de nous en tenir au fond. Souffrez que, lorsqu’on n’est pas d’accord avec vous,
cela ne signifie pas nécessairement qu’on ne vous a pas compris, mais plutôt
qu’on n’est pas d’accord et qu’on souhaite pouvoir le dire. (Applaudissements
sur les bancs des groupes GDR, SOC, FI et sur plusieurs bancs du groupe
LR.)
M. le
président. La parole est à Mme Jeanine Dubié.
Mme Jeanine
Dubié. Je suis lassée d’entendre dire que cette majorité a modifié le
régime des parlementaires. Nous ne vous avions pas attendus !
Mme Laurence
Dumont. Exact !
Mme Jeanine
Dubié. Élue depuis 2012, je rappelle que, durant la précédente
législature, nous avons déjà pris des dispositions en ce sens.
Cependant,
puisque vous m’y poussez, je vais vous dire ce que vous avez fait : vous
avez supprimé le régime complémentaire pour lequel nous cotisions. Alors que
nous payions précédemment 500 ou 600 euros, prélevés sur notre indemnité,
pour alimenter ce régime complémentaire, vous avez, en fait, augmenté
l’indemnité parlementaire car, après votre décision, ces 500 euros s’y sont
ajoutés.
Mme
Marie-Christine Dalloz. Et le régime est en déséquilibre !
M. Éric
Bothorel. N’importe quoi !
(Les sous-amendements nos 42179, 42177,
42180, 42181, 42183, 42184, 42185, 42187 et 42191, successivement mis aux voix,
ne sont pas adoptés.)
(L’amendement no 25174 n’est pas
adopté.)
M. le
président. Je suis saisi de trente-quatre amendements identiques :
les amendements no 17869 et identiques déposés par les membres
du groupe La France insoumise, l’amendement no 25176 et
les amendements no 26752 et identiques déposés par les membres
du groupe de la Gauche démocrate et républicaine.
La parole est à
Mme Mathilde Panot, pour soutenir soutenir l’amendement
no 17869 et les seize amendements identiques déposés par le
groupe La France insoumise.
Mme
Mathilde Panot. Nous avons demandé un scrutin public sur ces
amendements, car nous abordons ici un sujet très important : la retraite
des cheminots de notre pays, dont le régime date de 1909 – c’est dire…
M. Bruno
Millienne. Qu’il était temps de le changer !
Mme
Mathilde Panot. …la régression historique dont nous sommes en train de
discuter aujourd’hui.
M. Bruno
Millienne. Un peu de modernité ne fera pas de mal !
Mme
Mathilde Panot. S’il est déjà très violent pour les cheminots de passer
d’un mode calcul reposant sur les six derniers mois de leur carrière à un autre
qui repose sur l’ensemble de celle-ci, ce dont il s’agit est encore pire :
en réalité, on parle là d’un régime qui a bien un problème d’équilibre
financier, mais ce déséquilibre tient à la politique de réduction des
effectifs.
M. Bruno
Millienne. La technologie a un peu évolué !
Mme
Mathilde Panot. Si vous voulez parler, cher collègue, prenez donc le
micro ! C’est insupportable ! C’est vous qui manquez de
courage !
Depuis quatre ans, 7 000 postes de cheminot ont
disparu, et 22 000 depuis quinze ans, ce qui crée, de fait, un déficit. Qui
plus est, la disposition visant à faire disparaître le statut à partir de
janvier 2020 aggravera encore ce déficit.
Les rumeurs les plus folles
courent sur les cheminots, qui partiraient à la retraite à je ne sais quel âge,
alors que l’âge moyen de départ est de 57 ans, et qui toucheraient je ne
sais quel chiffre mirobolant, alors que leur pension moyenne est de
2 106 euros bruts par mois. Ils sont, en revanche, touchés par une
pénibilité particulière et leur espérance de vie est de quatre ans inférieure à
celle de la moyenne des Français. On compte en outre une cinquantaine de
suicides chaque année chez les cheminots et, entre 2012 et 2017, le nombre
d’absences pour maladie a augmenté de 10 %, ce qui révèle un très fort
mal-être.
Ce n’est pas là un problème qui concernerait seulement les
cheminots ; il touche à l’intérêt général, car nous risquons de voir les
queues continuer à s’allonger devant les guichets et de connaître des problèmes
de sécurité ferroviaire. De fait, l’un des sujets actuellement en discussion à
la SNCF est que du fait de ces réductions d’effectifs, on n’aurait plus trois
professionnels au départ des trains, mais deux seulement. Or il s’est déjà
produit des accidents ferroviaires liés à l’insuffisance des effectifs présents
dans les trains – nous avons déjà discuté de cela.
Il existe donc
bien une pénibilité particulière pour les cheminots, que révèle leur espérance
de vie, et il faut la prendre en considération d’une manière collective, par
métier, et non à l’échelle individuelle. Il convient d’embaucher à nouveau des
cheminots et d’en finir avec cette ouverture à la concurrence à tout-va, qui se
fait au détriment de salariés. (Applaudissements sur les bancs du groupe
FI.)
Mme Nadia
Essayan. C’était long…
M. le
président. La parole est à Mme Laurence Dumont, pour soutenir
l’amendement no 25176.
Mme Laurence
Dumont. En mettant l’accent sur ces régimes spéciaux, vous les
stigmatisez, et nous vous avons déjà expliqué pourquoi. En fait, vous les
utilisez comme levier pour bouleverser tout le régime des retraites, alors que
ces régimes spéciaux convergents depuis longtemps déjà.
Puisque nous
parlons de celui des cheminots, je rappelle qu’il a déjà connu des réformes en
2008 et 2011, qui ont déjà entraîné une hausse des cotisations jusqu’en 2026.
Elles ont également eu pour effet qu’à partir de la génération de 1973 – je
voulais le dire à l’intention des jeunes qui étaient tout à l’heure dans les
tribunes de l’hémicycle, mais ils n’y sont plus –, ils doivent déjà cotiser
quarante-trois ans et, sur la période 2026-2060, dans leur régime de retraite
actuel, l’âge moyen de départ aurait été de 61 ans. Nous ne voyons donc ni
l’urgence ni le caractère indispensable de la suppression de ce
régime.
M. le
président. La parole est à M. Alain Bruneel, pour soutenir
l’amendement n° 26752 et les quinze amendements identiques déposés par les
membres du groupe GDR.
M. Alain
Bruneel. Quelques mots pour nous remettre en mémoire la réalité de la
situation des cheminots. Au 31 décembre 2019, il ne restait plus, au sein
du groupe public ferroviaire SNCF, que 123 997 cheminots du cadre
permanent et, si les suppressions d’emplois se sont multipliées depuis plusieurs
années, la réforme de 2018 a accéléré ce processus. En l’espace d’un an
seulement, ce sont 3 445 emplois de cheminots au statut qui ont été
supprimés. Il s’agit là d’une véritable politique de casse et d’attrition de
notre système de retraite, conduite depuis des années, qui dégrade le ratio
entre retraités et cotisants et explique le déficit du régime.
Si, comme
nos voisins allemands, souvent cités dans cet hémicycle, nous retrouvions une
ambition pour le rail à la hauteur de la contribution qu’il peut apporter à la
lutte contre le réchauffement climatique, nous n’assisterions pas au
développement de la sous-traitance, à la fermeture de lignes et de guichets, à
l’abandon du fret ferroviaire, et donc aux suppressions d’emplois – bien au
contraire. L’État a donc une forte part de responsabilité dans le déficit
démographique du régime des cheminots.
Cette remarque étant faite, la
réforme que vous proposez ne résoudra en rien l’équation financière. Le nombre
de cheminots au statut étant appelé à diminuer avant la fin des recrutements au
statut, le nombre de cheminots retraités demain sera de toute façon beaucoup
plus faible.
Ce qui vous motive est uniquement le désir de mettre à bas
un symbole des conquêtes sociales, d’aligner vers le bas les régimes de retraite
et de détricoter les acquis obtenus par les syndicats au fil des décennies
passées. Il s’agit de faire table rase des avantages sociaux sous toutes leurs
formes, pour précariser, fragiliser et décourager une main-d’œuvre toujours plus
malléable.
Nous pensons, au contraire, que le régime spécial des
cheminots a vocation à être étendu à l’ensemble de la branche ferroviaire et que
ceux qui exercent un métier dont la pénibilité est avérée doivent pouvoir
continuer à bénéficier d’une retraite à taux plein à 55 ans. C’est dans
cette optique que nous avançons la proposition d’un droit universel au départ
anticipé à 55 ans pour tous les métiers pénibles, y compris dans le
privé.
M. Bruno
Millienne. Y compris pour le comptable de la SNCF ?
M. le
président. Quel est l’avis de la commission sur cette série
d’amendements identiques ?
M. Nicolas
Turquois, rapporteur. Ces amendements tendent à revenir sur
l’intégration des salariés de la SNCF au régime général de retraite. Je me
permettrai de vous soumettre, sur cette question, quelques données.
Pour
ce qui est du déséquilibre démographique, je rappelle qu’il y a, en 2020,
127 000 cotisants pour 249 000 retraités projetés, avec une
subvention d’équilibre qui s’élevait à 3,4 milliards d’euros en 2018.
J’entends bien l’intérêt que peut avoir le développement du transport
ferroviaire, mais cet intérêt se conjugue avec un équilibre entre le service
apporté, l’efficacité et la sécurité, ainsi qu’avec le coût du service rendu. Il
s’agit là d’arbitrages auxquels il doit être procédé au sein de la
SNCF.
En tout cas, il s’agit là de l’exemple typique, emblématique de
cette réforme. Nous ne nions pas – bien au contraire ! –
l’intérêt du service rendu par la SNCF et ses cheminots, mais à quel titre y
aurait-il une appréciation différente des conditions de départ en retraite,
sinon selon des critères qui doivent être objectivés, liés à la pénibilité et,
peut-être, au travail de nuit ? Ces critères doivent être les mêmes quels
que soient les métiers exercés.
Pour ce qui est, enfin, des chiffres que
vous avez évoqués, madame Panot, notamment de la pension moyenne des agents
de la SNCF, je rappelle que certains d’entre eux sont roulants et d’autres
postés : à carrière complète, la Cour des comptes relevait que la moyenne
des pensions des agents de conduite était de 3 156 euros, soit bien
au-delà de la moyenne de celles de nos compatriotes.
Mme
Mathilde Panot. C’est faux !
M. Nicolas
Turquois, rapporteur. Avis défavorable.
M. le
président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. Laurent
Pietraszewski, secrétaire d’État. Il ne s’agit pas de contester
que, pendant de longues années, les circonstances aient nécessité l’instauration
d’un contrat social particulier dans certaines professions. Il ne s’agit pas non
plus de nier qu’il puisse encore exister, dans les entreprises, des formes de
pénibilité. Simplement, le Gouvernement souhaite prendre cette pénibilité en
considération de la même façon que celle qui existe dans n’importe quelle autre
entreprise ou administration. Il n’entend pas stigmatiser les uns ou les autres,
mais il souhaite instaurer une transition douce, tranquille, sereine, car un
contrat social lie certaines entreprises à leurs employés qui, ayant choisi de
les intégrer et y ayant passé une grande partie de leur carrière
professionnelle, attendent légitimement que les engagements soient respectés,
notamment en matière de retraite. Tout cela peut s’entendre.
Respectons
donc toutes celles et tous ceux qui se sont engagés dans ces entreprises il y a
un certain nombre d’années. Accompagnons ces transitions de façon douce et
intelligente. Et, en même temps, reconnaissons ensemble que, si la pénibilité
existe sans aucun doute dans le transport ferroviaire, elle est aussi présente
dans d’autres types de métiers et d’activités. Les Français attendent de nous
que nous fassions preuve de solidarité et d’équité en matière de conditions de
travail et de retraite, car c’est un bien commun qu’il nous faut protéger. Avis
défavorable.
M. le
président. La parole est à M. Jean-Luc Mélenchon.
M. Jean-Luc
Mélenchon. Commençons par dire que l’évaluation faite par le rapporteur
concernant la moyenne des retraites est démentie par la Cour des comptes qui,
elle, obtient une moyenne inférieure de 500 euros au chiffre que vous avez
donné. Au demeurant, les cheminots paient une surcotisation par rapport aux
autres assurés.
Je mettrai cependant ces éléments de côté, tout comme je
ne réagirai pas au fait que vous vous demandiez pourquoi il faut procéder
différemment pour les cheminots et pour les autres. J’aimerais néanmoins que
vous preniez conscience que, lorsqu’on choisit un métier, c’est en considérant
toutes ses composantes, parmi lesquelles figurent le nombre d’années où il
faudra l’exercer et le moment où on le quittera. Tous ceux qui, dans cet
hémicycle, connaissent des cheminots, savent que cette question a pesé dans leur
décision – de même que pour les salariés d’EDF. Il y a donc au départ une
forme de contrat, qui se transmet ensuite dans la tradition cheminote. Je mets
de côté tous ces aspects – la considération sociale, l’idée qu’on se fait
de son métier – qui sont pourtant très importants à nos yeux, et pour
toutes les professions, y compris celle de cheminot.
Vos calculs sont
injustes car on peut se demander pourquoi le régime général, ou l’État, ne
continuerait pas à abonder des caisses, comme il le fait actuellement, et comme
il le fera d’ailleurs encore car, à l’avenir, le ratio entre actifs et inactifs
ne s’améliorera pas si l’on continue à considérer le personnel des chemins de
fer comme trop nombreux, ce qui est le cas actuellement puisqu’on réduit les
effectifs.
Au passage, rappelons que la réduction des effectifs ne
s’explique pas par des progrès techniques qui réduiraient la pénibilité subie
par ces travailleurs. Celle-ci est toujours aussi importante. Bien sûr, ils ne
reçoivent plus d’escarbilles dans la figure, parce qu’il n’y a plus de machine à
vapeur, mais les contraintes et servitudes du métier de conducteur de train sont
au moins aussi intenses qu’hier, sur le plan psychologique ou sur celui du
rythme de travail lié au roulement de service.
Par conséquent, monsieur
le rapporteur et monsieur le Secrétaire d’État, vous ne pouvez, pour justifier
votre décision, arguer de cette plus faible pénibilité ni d’un calcul économique
qui, au fond, ne concerne pas les cheminots.(Applaudissements sur quelques
bancs du groupe FI.)
M. le
président. La parole est à M. Alain Bruneel.
M. Alain
Bruneel. Je ne partage évidemment pas l’avis du rapporteur et du
Secrétaire d’État – mais ils l’ont bien compris. Nous parlons d’un service
public de cheminots qui a fait ses preuves. À travers nos amendements, nous
souhaitons évoquer la situation actuelle : on a de plus en plus ouvert le
secteur ferroviaire à la concurrence, on a laissé au privé une place importante,
on a fermé des gares, on a mis fin à certaines lignes de TGV, ce qui a conduit à
un déficit de salariés à la SNCF.
On nous dit que le problème vient du
fait que la SNCF est soumise à un régime spécial, que tout le monde doit être
dans le socle commun, aussi bien le secteur privé que la fonction publique, et
qu’en repartant ainsi sur de nouvelles bases, tout ira bien. Eh bien non, tout
ne va pas bien, au contraire. Les cheminots partent à la retraite aujourd’hui à
57 ans, un peu plus tôt ou un peu plus tard selon les cas. Vous avez décidé
d’allonger leur période travaillée. Ils ne savent donc pas à quel âge ils
pourront partir à la retraite. Vous dites qu’en raison de la pénibilité ils
partiront deux ans plus tôt, mais, comme on ne connaît pas l’âge d’équilibre,
c’est un peu difficile à évaluer.
En alignant le régime des cheminots sur
celui du privé, vous détruisez le service public. Jamais vous n’avez eu l’idée
de réunir toutes les catégories de régimes – aussi bien ceux du privé que
les régimes spéciaux – dans la maison commune en imaginant un alignement
par le haut pour tous, qui consisterait à conserver les régimes spéciaux mais
aussi à réfléchir à une augmentation des salaires et à un départ à la retraite à
60 ans pour les salariés du secteur privé, le tout en tenant compte de la
démographie.
M. Sylvain
Maillard. Et on ferme les frontières ?
M. Alain
Bruneel. Mais vous n’étudiez pas cette hypothèse parce que vous dites
que ce n’est pas possible, qu’on n’a plus d’argent. La croissance démographique
nous permet pourtant d’agir dans ce sens. Tout le monde sait qu’en 2050 nous
serons 10 milliards sur Terre et qu’en France la population augmente
d’environ 2 millions d’habitants tous les sept ans. On peut donc agir, mais
c’est un choix politique qui n’est pas le vôtre.
M. le
président. La parole est à Mme Cendra Motin.
Mme Cendra
Motin. Depuis le début des discussions, vous nous dites souvent que nous
n’écoutons pas les Français, contrairement à vous, ce que vous justifiez en
expliquant que vous êtes attentifs aux sondages, contrairement à nous. Je vous
le confirme : nous ne nous appuyons pas sur des sondages pour prendre des
décisions. Je ne résiste pourtant pas à l’envie de partager avec vous le
résultat d’un sondage de janvier 2020. Il vous fera peut-être changer d’avis
puisque ces enquêtes sont si importantes à vos yeux. 71 % des Français…
Mme Laurence
Dumont. …ne veulent pas de cette réforme !
Mme Cendra
Motin. …sont favorables à la suppression des régimes spéciaux en
vigueur, notamment à la RATP et à la SNCF. Je vous laisse réfléchir à ce
sondage. (Applaudissements sur plusieurs bancs des groupes LaREM et
MODEM.)
M.
Dominique Potier. Vous allez faire un tabac aux municipales avec ce
genre d’informations !
M. le
président. La parole est à M. Patrick Mignola.
M. Patrick
Mignola. Nous sommes au cœur d’un débat très important. Je suis d’accord
avec l’idée que les questions relatives au métier de cheminot, et plus
globalement au secteur des transports publics, sont au centre des enjeux de
transition écologique. Notre volonté est de parvenir à instaurer un système qui
effacera progressivement les différences de traitement qui existent entre les
Français.
Aujourd’hui, comme le rappelait à l’instant notre collègue
Motin, les Français s’opposent entre eux. Cet antagonisme ne trouve pas sa
source dans la pénibilité spécifique du travail de cheminot mais dans le fait
que la pénibilité n’est pas déterminée en fonction d’un métier, d’une personne,
d’un effort ou d’un mérite – incontestable dans le cas d’un conducteur de
train –, mais appliquée aux emplois d’une entreprise publique dans son
ensemble, quel que soit le métier.
Sans même me lancer dans des
comparaisons internationales hasardeuses – élu d’une circonscription proche
de la Suisse, où les cheminots de CFF, les Chemins de fer fédéraux, partent à la
retraite à 65 ans – mais en se limitant à la situation française, il
est très difficile de dire à la secrétaire comptable d’une association qu’elle
doit partir à la retraite à 65 ans, voire à 67 ans si elle a eu une
carrière hachée, alors qu’une secrétaire comptable à la SNCF part à
55 ans.
Cependant, j’entends ce que vous dites à propos de la parole
donnée, et c’est précisément dans le respect de cet engagement que nous avons
voulu aborder la question de la disparition des régimes spéciaux. J’admets que
cela nous est reproché sur les bancs de la droite, où l’on estime qu’il
s’agirait d’une forme de clause du grand-père – ce serait plutôt une clause
du tonton en l’occurrence, parce que cette transition s’étend sur une trentaine
d’années. On ne peut pas dire brutalement, du jour au lendemain, à la secrétaire
comptable qui, aujourd’hui, a 50 ans et travaille à la SNCF, que finalement,
elle partira à 67 ans. Il ne s’agit pas d’avoir des positions totalement
antagonistes dans l’hémicycle, avec une partie des députés qui voudrait
absolument défendre les régimes spéciaux à long terme – ce qui pourrait
accroître fortement le sentiment d’inégalité dans notre société – et une
autre partie qui voudrait agir brutalement. Nous proposons aujourd’hui que tous
les Français soient soumis à un même régime, mais en prenant suffisamment de
temps pour réaliser cet objectif afin que personne ne soit brutalisé.
M. Patrick
Hetzel. « Brutalisé » ! Ça, c’est la
meilleure !
M. le
président. La parole est à Mme Marie-Christine Dalloz.
Mme
Marie-Christine Dalloz. Je n’avais pas l’intention de m’exprimer
maintenant, mais puisqu’on nous invite à nous expliquer, je le fais bien
volontiers, monsieur le président du groupe MODEM.
La réalité, c’est que
nous sommes aujourd’hui convaincus qu’il faut harmoniser les régimes qu’on
qualifiait autrefois de spéciaux avec l’ensemble des autres régimes. Je rappelle
qu’en 2010, nous avions eu la volonté – et le courage – de rapprocher
les durées de cotisation du public et du privé et en même temps de repousser
l’âge légal de la retraite pour tout le monde. Mais, s’agissant des régimes
spéciaux – nous l’avons toujours reconnu –, nous n’avions pas pris ce
chemin, car les difficultés étaient déjà assez nombreuses. Nous n’allons donc
pas vous reprocher de vous occuper des régimes spéciaux.
Nous constatons
aujourd’hui que ce n’est pas la clause de l’oncle, comme vous l’avez dit, mais
celle du grand-oncle ou du grand-père, car la période couvre quasiment deux
générations. Cinquante ans avant d’arriver à la convergence, c’est très long et
ce n’est certainement pas pour demain. Ceux qui intègrent aujourd’hui les
entreprises concernées bénéficieront encore de ces clauses spécifiques au
régime, quel que soit l’organisme concerné. Nous aurions souhaité que votre
volonté…
M. Patrick
Mignola. Soit faite ! (Rires.)
M. Patrick
Hetzel. Le MODEM a encore quelques références !
Mme
Marie-Christine Dalloz. …Non, je n’emploie pas un tel vocabulaire dans
ce lieu.
Nous aurions souhaité que votre volonté soit d’appliquer cette
mesure plus rapidement, plus fermement, ce qui n’est pas pour autant, monsieur
le président du groupe MODEM, de la brutalité. À 45 ou à 50 ans, il n’y a
plus de problème de violence. Si l’objectif de convergence avait été fixé à une
échéance de dix ou quinze ans, cela aurait été une preuve de cohérence, de
volonté et d’un réel courage. (Applaudissements sur les bancs du groupe
LR.)
M. le
président. La parole est à Mme Laurence Dumont.
Mme Laurence
Dumont. Je souhaitais simplement répondre à l’intervention de
Mme Motin à propos des sondages en citant deux enquêtes très récentes.
L’une, de BVA pour RTL, indique que 72 % des Français sont opposés à un
passage en force par le Gouvernement à travers le recours à l’article 49,
alinéa 3. Selon une autre, datant du 13 février, de l’IFOP, 67 % des
Français sont favorables à un référendum sur les retraites.
M. le
président. Je mets aux voix les amendements no 17869 et
identiques.
(Il est procédé au scrutin.)
M. le
président. Voici le résultat du
scrutin :
Nombre de
votants 80
Nombre
de suffrages
exprimés 78
Majorité
absolue 40
Pour
l’adoption 9
Contre 69
(Les amendements no 17869 et
identiques ne sont pas adoptés.)
M. le
président. Sur l’amendement no 17886 et les amendements
identiques, je suis saisi par les groupes La France insoumise et de la Gauche
démocrate et républicaine d’une demande de scrutin public.
Le scrutin est
annoncé dans l’enceinte de l’Assemblée nationale.
Je suis saisi de
trente-quatre amendements identiques, les amendements no 17886
et identiques déposés par les membres du groupe La France insoumise,
l’amendement no 24177, et les amendements no 26753 et
identiques déposés par les membres du groupe de la Gauche démocrate et
républicaine.
La parole est à Mme Caroline Fiat, pour soutenir
l’amendement no 17886 et les seize amendements identiques
déposés par les membres du groupe La France insoumise.
Mme
Caroline Fiat. Je répondrai à la collègue qui évoquait un sondage. En
commission, je vous ai parlé de mon ami Bertrand, et je vous ai félicités parce
que vous avez réussi à l’envoyer manifester, alors qu’en vingt ans de carrière à
la SNCF personne n’avait jamais réussi à le convaincre de faire grève. Pas peu
fier que je parle de lui en commission, il a montré la vidéo à ses collègues, si
bien que j’ai reçu de nombreux témoignages. On parle beaucoup des cheminots et
des conducteurs de la RATP, ce qui est bien normal. Mais il ne faut pas oublier
les cadres qui signent un contrat pour intégrer la SNCF et la RATP en acceptant
de gagner un salaire bien inférieur à celui qui leur serait proposé par une
entreprise privée. Ils font ce choix parce que, en compensation, ils pourront
partir plus tôt à la retraite. Or je ne suis pas sûre que vous ayez pensé au
recrutement des cadres quand vous avez conçu votre projet. Si, demain, cette
compensation disparaît, vous ne trouverez plus de candidats pour occuper ces
postes.
C’est pourquoi nous vous demandons de supprimer l’alinéa 7.
Peut-être auriez-vous dû augmenter au préalable tous les salaires, prendre en
considération les critères de pénibilité. Vous avez préféré mettre la charrue
avant les bœufs. (Mme Mathilde Panot
applaudit.)
M. le
président. La parole est à Mme Laurence Dumont, pour soutenir
l’amendement no 25177.
Mme Laurence
Dumont. Comme il n’est pas question d’instaurer un système vraiment
universel – vous l’avez reconnu il y a quelques jours, monsieur le
rapporteur – , nous comprenons que le problème, au fond, pour vous, c’est
le déficit des régimes spéciaux. Vous avez évoqué le déficit de
3,4 milliards d’euros du régime des cheminots, compensé par une subvention
d’équilibre. Reste que, dans le nouveau système, le « stock » de ceux
qui sont déjà pensionnés continuera d’exister et vous aurez donc toujours à
financer un déficit strictement équivalent.
Mais quelles sont les causes
de ce déficit ? C’est le déséquilibre démographique créé, notamment, par de
gigantesques suppressions d’emplois. Nous sommes donc bien confrontés à une
crise des dépenses et non à une crise des recettes.
M. Régis
Juanico. Très juste !
M. le
président. La parole est à M. Stéphane Peu, pour soutenir
l’amendement nos 26753 et les quinze amendements identiques
déposés par les membres du groupe de la Gauche démocrate et républicaine.
M. Stéphane
Peu. Nous souhaitons le maintien du système de retraite des agents de la
RATP. Vous avez beaucoup utilisé ceux-ci comme épouvantail pour tenter de
prouver à quel point la disparité des régimes de retraite était injuste. À force
de montrer ces agents du doigt, vous avez provoqué ce qu’on pourrait appeler un
RATP bashing. De nombreuses inexactitudes ont été diffusées par les journaux
– une page entière dans Le Parisien –, par des
éditorialistes, comme M. Lenglet. Parmi les assertions répétées à l’envi,
on relèvera celle selon laquelle la retraite mensuelle moyenne d’un agent de la
RATP s’élèverait à 3 700 euros. Or, à la vérité, cette retraite
moyenne est de 2 300 euros. Ce n’est pas du tout la même chose !
Je passe sur les erreurs concernant l’âge de départ à la retraite : on a
raconté n’importe quoi, si bien que tous les syndicats de la RATP – du
Syndicat autonome Tout RATP à la CGT, en passant par la CFDT et l’UNSA –,
se sentant visés, se sont mis en grève.
Si nous pouvons un jour nous
mettre d’accord sur la nécessité de faire converger les systèmes de retraite et
que vous évoquez à nouveau le chauffeur de bus du Havre ou d’Amiens, la vraie
convergence, celle qui se ferait dans l’esprit de Croizat, mettrait la pension
du chauffeur de bus du Havre au niveau de celle du chauffeur de la RATP, et non
l’inverse. Ce que vous êtes en train de faire a un nom : la régression
sociale. Croizat, lui, prônait le progrès social. Votre réforme est l’inverse de
celle qu’il faudrait mener.
Je tenais donc à rendre hommage aux salariés
de la RATP,…
M. Alain
Bruneel. Bravo !
M. Stéphane
Peu. …à rétablir un peu la vérité à la fois sur leurs conditions de
travail, leurs conditions salariales et sur le niveau moyen de leur retraite
– qui n’est pas celui que les médias ont honteusement propagé.
(M. Alain Bruneel applaudit.)
M. le
président. Quel est l’avis de la commission sur cette série
d’amendements identiques ?
M. Nicolas
Turquois, rapporteur. Nous devons donner la réalité des chiffres,
monsieur Peu : 2 300 euros par mois, telle est bien la pension
moyenne servie à tous les retraités de la RATP, ceux qui sont à la retraite
depuis vingt ou vingt-cinq ans compris. Quant à la pension moyenne de l’agent de
la RATP qui a pris sa retraite en 2018 après une carrière complète ou non, elle
est de 2 800 euros. Et, toujours en 2018, celui qui est parti à la
retraite après une carrière complète, en moyenne à 55,4 ans, touchera bien
3 700 euros par mois. Bien sûr, de très nombreux agents n’ont
travaillé que pendant une partie de leur carrière à la RATP et n’ont pas ce
niveau de retraite. Il faut donc être précis, tout examiner, et en tirer les
justes conséquences. (M. Bruno Studer
applaudit.)
La RATP fait partie d’un enjeu démographique global. Elle
compte 42 000 cotisants, 38 000 bénéficiaires directs,
11 000 bénéficiaires de droits dérivés. La RATP, c’est
1,1 milliard d’euros de pensions servies et, pour équilibrer le régime,
700 millions d’euros. Aussi, les cotisations des agents de la RATP
n’assurent que 400 millions d’euros sur 1,1 milliard, soit un peu plus
de 35 %.
Comme l’a très bien rappelé le président Mignola – si
je devais choisir un groupe politique ce serait le sien (Sourires
) –, évidemment qu’il ne faut pas revenir sur ses promesses. Il faut
donc concilier la nécessité de réformer et la nécessité d’honorer les promesses
qui ont été faites. C’est bien pourquoi il faut ménager des transitions longues
pour passer d’un système à l’autre.
M. le
président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. Laurent
Pietraszewski, secrétaire d’État. Nous avons évoqué la nécessité
d’instaurer un système de retraite équitable pour tous les Français, sans pour
autant nier l’existence de réalités professionnelles diverses – dans les
transports, dans l’industrie, dans l’administration, dans le secteur social ou
sanitaire. Nous devons faire preuve de cohérence et d’objectivité. Nous ne
devons pas chercher à opposer les uns aux autres. Certaines réalités ont été
prises en compte par les entreprises et elles ont évolué : 2020, je le
répète, n’est pas 1950. Nous devons donc prendre le temps de mesurer ces
évolutions et dire les choses comme elles sont. Le rapporteur a rappelé que
certaines catégories bénéficiaient d’un bon niveau de retraite et que leur
régime était subventionné. Or ces subventions sont la contribution de tous.
C’est pourquoi nous recherchons une forme d’équité dans la gestion de nos
retraites.
J’entends bien la nécessité de mettre un terme aux régimes
spéciaux, car ils ne correspondent plus à la réalité de la société et de
l’emploi. Ce qui n’empêche pas la reconnaissance de spécificités comme la
pénibilité. Il ne s’agit donc pas d’opposer les Français entre eux mais, au
contraire, de leur permettre de se retrouver dans une situation d’équité face à
la retraite. Avis défavorable.
M. le
président. La parole est à M. Jacques Marilossian.
M. Jacques
Marilossian. Certains de nos collègues ne cessent d’invoquer Ambroise
Croizat. On oublie un peu vite un homme, celui qu’on a appelé le père de la
sécurité sociale – et rares sont les réformes essentielles dans la vie
d’une nation qui doivent à la vision et à la constance d’un seul homme. Cet
homme, c’est Pierre Laroque : il a inspiré la réforme, avec Alexandre
Parodi, et a été le directeur de la sécurité sociale jusqu’en 1951. C’est donc
également à lui que nous devons souvent rendre hommage.
Ambroise Croizat,
lui, fut ministre de 1945 à 1947. Il a donc participé lui aussi à l’aventure.
Rappelons-nous son discours du 8 août 1946 devant l’Assemblée nationale
constituante : « La sécurité sociale est une. Cette unité s’affirme
d’abord sur le plan financier, car il s’agit d’aménager une redistribution
partielle du revenu national. […] Cette unité ne s’affirme pas moins,
contrairement à ce qu’on a dit trop souvent, sur le plan technique. […] Enfin,
et peut-être surtout, l’unité de la sécurité sociale s’affirme sur le plan
social. » Cet impératif conduit Ambroise Croizat à conclure :
« Ce résultat ne peut être atteint par une multiplicité d’institutions
entre lesquelles il serait impossible d’assurer une coordination suffisante. […]
L’unité de la sécurité sociale est la condition nécessaire de son
efficacité. »
Unité, donc, technique et sociale, justice et
équité ; voilà un des objectifs majeurs de Laroque, de Croizat :
l’harmonisation des règles et des acteurs du système de sécurité sociale. C’est
bien cette unité-là qui nous amène, nous, à construire un système universel de
retraite. Ce pacte social que nous voulons refonder, c’est le rêve de Laroque,
c’est le rêve de Croizat qui devient une réalité. (Applaudissements sur
quelques bancs du groupe LaREM.)
Mme Laurence
Dumont. Houlà !
M. le
président. La parole est à M. Bruno Fuchs.
M. Bruno
Fuchs. Il est un régime spécial dont personne ne parle, dont les
syndicats ne parlent pas, dont la gauche ne parle pas : c’est le régime
auquel appartient malheureusement Raymond Mayer. Celui-ci a 70 ans, il est
boucher à Colmar, et il vient de signer un CDI de 39 heures par semaine
dans un supermarché. Pourtant, Raymond Mayer a commencé à travailler à l’âge de
14 ans. Il a été porteur de presse pendant quinze ans puis il a ouvert sa
propre boucherie. Il a ensuite été salarié dans des supermarchés. À
57 ans, il est victime d’une crise cardiaque. Greffé du cœur, on lui
demande, à 60 ans, de prendre sa retraite et il se retrouve avec une pension de
98 euros après avoir cotisé toute sa vie ! Oui, 98 euros et, je
l’ai dit, il vient de signer un CDI à l’âge de 70 ans. C’est ce genre de
régime spécial auquel nous voulons mettre un terme. (Applaudissements sur les
bancs des groupes MODEM et LaREM.)
M. le
président. La parole est à M. Alain Bruneel.
M. Alain
Bruneel. Notre collègue Marilossian vient de citer un discours
d’Ambroise Croizat sur l’unité de la sécurité sociale, il a plaidé pour
l’équité, mais il a oublié une chose : Ambroise Croizat n’a jamais rien
fait contre le mouvement social mais a toujours agi à partir de lui. Vous ne
pouvez donc affirmer que votre réforme s’inspire d’Ambroise Croizat et nous ne
pouvons pas accepter vos propos. Vous tâchez de tenir les promesses du président
Macron : vous instaurez ce système universel de retraite, créez un compte
pénibilité, donnez plus d’argent à ceux qui n’en ont pas trop, comme les
enseignants – pour les autres catégories, on verra bien… Quand on vous
demande combien va coûter le nouveau système, vous ne répondez pas. Sur le fait
de savoir quel sera l’âge d’équilibre on n’en sait pas plus – de même que
pour la valeur du point.
Je regrette, mais votre système de retraite
universel n’a rien à voir avec Ambroise Croizat, et cela parce que vous voulez
l’instaurer sans le mouvement social mais entre vous, pour vous – au point
qu’on ne sait même pas si vous le faites pour les Français.
M. le
président. La parole est à Mme Mathilde Panot.
Mme
Mathilde Panot. C’est une différence de conception très marquée qui nous
oppose ici sur la pénibilité et sur le rôle de la loi. Pour nous, la loi doit
protéger l’ensemble des salariés, alors que, depuis le début du quinquennat,
vous vous livrez à la casse du droit du travail, instaurant de fait un code du
travail entreprise par entreprise et supprimant quatre critères de pénibilité.
Dans votre système, c’est l’employeur qui décidera des critères de pénibilité,
alors qu’ils doivent être définis métier par métier.
J’en reviens à la
RATP. Les agents qui y travaillent ont des problèmes de santé notamment liés au
fait qu’ils respirent des particules fines. On relève d’ailleurs une
surmortalité des agents de manœuvre de 21 % – notamment due au cancer
et à des maladies cardiovasculaires – par rapport à la population
d’Île-de-France, une surmortalité de 31 % pour les agents de station, un
taux qui passe à 33 % quand ils ont une ancienneté de vingt à trente ans.
Quant aux poseurs, régleurs et soudeurs, le taux atteint 38 % – une
surmortalité due pour 60 % à des cancers.
Telle est, aujourd’hui, la
réalité du travail à la RATP. La pénibilité est bien réelle et nous, nous ne
voulons pas l’individualiser : nous considérons que la loi doit comporter
des critères collectifs qui protègent l’ensemble des agents.
La question
a été posée tout à l’heure : comment augmenter les salaires ? On peut
le faire assez simplement. Dans notre pays, nous avons ce que l’on appelle le
SMIC. Je ne crois pas que nous pouvons nous satisfaire de constater qu’entre
1980 et aujourd’hui, le nombre moyen de jours pendant lesquels un salarié
travaille gratuitement pour les actionnaires est passé de neuf à quarante-cinq.
Il y a eu un déplacement proprement indécent de la richesse créée, des salariés
vers les actionnaires. C’est pourquoi il faut augmenter les salaires. Cela
permettra de faire rentrer davantage de cotisations en faveur des caisses de
retraite. (Mme Caroline Fiat applaudit.)
M. le
président. Je mets aux voix les amendements no 17886 et
identiques.
(Il est procédé au scrutin.)
M. le
président. Voici le résultat du
scrutin :
Nombre de
votants 73
Nombre
de suffrages
exprimés 70
Majorité
absolue 36
Pour
l’adoption 8
Contre 62
(Les amendements
no 17886 et identiques ne
sont pas adoptés.)
M. le
président. Je suis saisi de trente-cinq amendements identiques,
no 406, no 17913 et identiques déposés par les
membres du groupe La France insoumise, no 25178, et nos
26754 et identiques défendus par le groupe de la Gauche démocrate et
républicaine.
Sur les amendements no 406 et identiques,
je suis saisi par le groupe La France insoumise d’une demande de scrutin
public.
Le scrutin est annoncé dans l’enceinte de l’Assemblée
nationale.
La parole est à M. Maxime Minot, pour soutenir
l’amendement no 406.
M. Maxime
Minot. Pierre Cordier est le premier signataire de cet amendement qui
vise à supprimer l’alinéa 8 de l’article 7, car nous nous opposons à
la disparition du régime spécial des clercs et employés de
notaire.
M. le
président. La parole est à Mme Caroline Fiat, pour soutenir
l’amendement no 17913 et les seize amendements identiques déposés par
les membres du groupe La France insoumise.
Mme
Caroline Fiat. Le régime spécial des clercs et employés de notaire n’est
pas apparu en un claquement de doigts. Derrière tout cela, il y a une réflexion,
du travail, et nous ne voyons pas pourquoi il devrait être balayé d’un revers de
manche. Nous souhaitons que ces professionnels puissent conserver leur régime
spécial.
M. le
président. La parole est à M. Dominique Potier, pour soutenir
l’amendement no 25178.
M.
Dominique Potier. Avant de soutenir mon amendement, je tiens à vous
dire, monsieur Fuchs, que je suis aussi sensible que vous au parcours du porteur
de presse qui prend sa retraite avec une pension de 90 euros. Il n’y a pas
de monopole du centre, de la droite ou de la gauche sur de tels sujets. Nous
sommes réunis pour examiner et traiter ces situations ensemble.
J’en
viens à notre amendement. Je ne défends pas plus les clercs de notaire que les
danseurs de l’Opéra, les gaziers ou quiconque ; je conteste le principe
d’une absence de méthode. Ni moi-même ni le groupe socialiste que je représente
ne défendons les privilèges d’aucune corporation ; cependant, nous
regrettons qu’il n’y ait pas eu de véritable remise à plat. Parce que, après les
deux ans et demi durant lesquelles elle a exercé le pouvoir, un discrédit
profond frappe la majorité, parce que l’on peut douter du bien-fondé de
l’abandon de tous les régimes particuliers – certains se justifient à
partir d’éléments parfaitement établis, d’autres s’apparentent à des privilèges
qu’il faudrait remettre en cause, parce qu’il n’y a eu ni authentique
concertation ni véritable étude d’impact – celle dont nous disposons est
lacunaire et a été dénoncée comme telle –, il nous est aujourd’hui
impossible de distinguer entre ce qui est dû et ce qui ne l’est pas.
Si
nous sommes méfiants à l’égard de ce qui, selon vous, procède de la justice
sociale, c’est que vous avez déjà abandonné des pans entiers du droit du
travail, et qu’en matière de justice fiscale vous avez donné de telles leçons
d’iniquité que nous ne pouvons pas adopter une autre attitude. Citer Pierre
Laroque et la nécessité de l’unité financière n’y suffira pas !
Au
sein du groupe Socialistes et apparentés, il y avait des forces prêtes à
converger sur la construction d’un nouveau système de retraite universel avec
une comptabilité qui aurait pu être rénovée. Une profonde méfiance est née de
vos pratiques en matière de fiscalité et de droit du travail. Elle se traduit
par un amendement qui vous demande de renoncer à faire disparaître le régime des
clercs de notaire.
Abandonner les régimes spéciaux sans disposer d’une
grille claire relative à la pénibilité qui permette d’encadrer et de compenser à
partir d’une nouvelle donne plus universelle les différences d’espérance de vie,
en tenant compte du droit à vivre une retraite digne en bonne santé, c’est un
leurre. C’est le sens d’un amendement d’appel à caractère universel et non
corporatiste.
M. le
président. L’amendement no 26754 et les quinze
amendements identiques déposés par les membres du groupe de la Gauche démocrate
et républicaine sont défendus.
Quel est l’avis de la commission sur les
amendements identiques ?
M. Nicolas
Turquois, rapporteur. Monsieur Potier, vous parlez d’abandon de
pans entiers du droit du travail. Prenons la mesure de ce que nous avons
vraiment fait.
M.
Dominique Potier. Je parlais de la pénibilité !
M. Nicolas
Turquois, rapporteur. En la matière, nous avons constaté que,
parmi les mesures de la pénibilité mises en place par la majorité précédente, à
laquelle vous apparteniez, quatre critères pouvaient, dans certaines
circonstances, donner lieu à des difficultés d’évaluation. Cela était vrai, en
particulier, pour le milieu agricole, ou lorsqu’il fallait décliner ces critères
individu par individu, ou lorsque le port de charges n’avait pas de caractère
répétitif. Il y avait un problème de mise en œuvre.
M. Régis
Juanico. Il y avait surtout le MEDEF !
M. Nicolas
Turquois, rapporteur. Privilégier une approche par branche
pouvait avoir du sens dans ces circonstances. Il y a l’esprit parfaitement
honorable de ce qui a été fait, et je crois qu’il y aura des avancées dans la
mise en œuvre, pour que cela devienne effectif. Ce gouvernement a aussi fait du
chômage de masse une priorité et, pour moi, il s’agit aussi d’une souffrance,
une souffrance du non-travail plutôt que d’une souffrance au travail, certes,
mais une souffrance qui touche ceux qui vivent cette situation et leur
entourage.
J’en viens aux clercs et employés de notaire. Leur situation
en matière de retraite est très proche de l’objectif cible avec un taux de
cotisation des salariés de 12,93 % – l’objectif étant d’environ
11,5 % – et un taux de cotisation des employeurs de 16,6 %. Parce
que l’on compte 54 000 cotisants pour 77 000 bénéficiaires,
une taxe affectée sur les études notariales permet d’abonder le régime à hauteur
de 322 millions d’euros. La seule particularité par rapport au régime cible
tient au fait que ce régime spécial ne prend en compte que les dix meilleures
années pour le calcul de la pension. Sur ce point, une nouvelle fois, il faut
prévoir des transitions longues afin d’amener ce régime vers le système
universel.
Je suis défavorable aux amendements identiques qui visent à
supprimer l’alinéa 8.
M. le
président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. Laurent
Pietraszewski, secrétaire d’État. Avis défavorable. Monsieur
Minot, j’avoue qu’il est difficile de vous suivre : dans certains cas,
votre groupe est favorable à la disparition des régimes spéciaux, dans d’autres
cas, comme pour celui des clercs et des employés de notaire, vous voudriez
qu’ils perdurent. Je suis un peu étonné, même si j’imagine qu’il y a une
certaine logique dans votre position liée aux professions libérales.
Franchement, j’ai du mal à comprendre. Qu’il existe des spécificités pour les
marins ou pour l’exercice de fonctions régaliennes – je pense aux pompiers
ou aux militaires –, on l’entend bien. Je ne dis pas qu’il ne faut pas une
technicité particulière pour travailler comme employé ou clerc de notaire
– elle est reconnue car un certain nombre d’années d’études sont
nécessaires –, mais, franchement, rien dans l’exercice de ce métier ne
justifie que l’on maintienne des dispositions spécifiques telles que le
rapporteur les a décrites. Il faut simplement trouver une convergence douce et
adaptée pour que les conditions dans lesquelles les employés et clercs de
notaire prennent leur retraite aujourd’hui convergent tranquillement vers celles
de tous les Français, membres du Gouvernement et députés compris.
M. le
président. La parole est à M. Régis Juanico.
M. Régis
Juanico. Je ne reviens pas sur les clercs de notaire mais plutôt sur la
pénibilité que le rapporteur vient d’évoquer en réponse à Dominique Potier.
J’essaie de suivre cette question depuis que j’ai participé, en 2008, au sein
d’une mission de l’Assemblée, à un travail de définition de la pénibilité et de
ses critères, avant que les partenaires sociaux ne se mettent d’accord. Ces
éléments ont été transcrits dans la loi en 2014.
On peut considérer que
cette transcription n’était pas parfaite. Je me souviens qu’à l’époque Marisol
Touraine, alors ministre des affaires sociales et de la santé, avait confié à
Michel de Virville, ancien directeur des ressources humaines de Renault, une
mission pour voir comment les critères de pénibilité étaient pris en compte sur
le terrain et comment simplifier les choses. Cela allait dans le bon sens.
Peut-être, je veux bien le concevoir, n’aurait-il pas fallu fixer certains
seuils difficiles à mesurer quotidiennement, mais, à un moment donné, c’est bien
une organisation syndicale qui a parlé d’usine à gaz. Or, lorsqu’on parle
d’usine à gaz, c’est souvent pour remettre en cause les droits collectifs des
salariés. Curieusement, il s’agissait du MEDEF ! Il s’est battu pour que
l’on n’applique pas la loi et les dix critères de pénibilité avant de tordre le
bras au Gouvernement en 2017.
Monsieur le rapporteur, vous évoquez les
négociations de branche : nous sommes prêts à suivre, et je pense que c’est
aussi le cas de l’Union des entreprises de proximité et de la Confédération des
petites et moyennes entreprises, mais le MEDEF refuse : il veut recréer des
régimes spéciaux au sein du privé. Comment allez-vous à votre tour tordre le
bras au MEDEF sur la question de la pénibilité dans les branches
professionnelles ?
M.
Dominique Potier. Il vous faudrait un 49.3 !
M. le
président. La parole est à Mme Nadia Essayan.
Mme Nadia
Essayan. En écoutant la gauche, l’extrême gauche,…
Mme
Caroline Fiat. Il n’y a pas d’extrême gauche, ici !
Mme Nadia
Essayan. …et la droite, voire l’extrême droite de l’hémicycle défendre
les régimes spéciaux, j’apprécie de plus en plus notre projet et je comprends de
moins en moins ceux que vous défendez, et ce que vous voulez pour la France de
demain,…
Mme
Mathilde Panot. La retraite à 60 ans !
Mme Nadia
Essayan. …et, surtout, pour nos jeunes.
M. le
président. La parole est à M. Alain Bruneel.
M. Alain
Bruneel. Madame, vous n’avez pas le monopole de la jeunesse. Lorsque
nous défendons nos propositions, les régimes spéciaux et la retraite à
60 ans, croyez-vous que nous voulons envoyer nos jeunes se suicider ?
Pensez-vous que j’envoie mes enfants et mes petits-enfants vers le
suicide ? Je défends leur intérêt, je défends leur retraite, je défends
leur vie et je défends leur dignité. (Applaudissements sur les bancs des
groupes GDR et FI.)
M. Jacques
Marilossian. C’est aussi notre cas !
M. Patrick
Mignola. Reconnaissons que c’est notre cas à tous !
M. le
président. Je mets aux voix les amendements no 406 et
identiques.
(Il est procédé au scrutin.)
M. le
président. Voici le résultat du
scrutin :
Nombre de
votants 67
Nombre
de suffrages
exprimés 65
Majorité
absolue 33
Pour
l’adoption 10
Contre 55
(Les amendements nos 406 et
identiques ne sont pas adoptés.)
M. le
président. Je suis saisi de dix-huit amendements identiques : une
série d’amendements no 17935 et identiques déposés par les
membres du groupe La France insoumise, et l’amendement
no 25179.
Sur ces amendements, je suis saisi par le
groupe La France insoumise d’une demande de scrutin public.
Le scrutin
est annoncé dans l’enceinte de l’Assemblée nationale.
La parole est à
Mme Mathilde Panot, pour soutenir les amendements no 17935
et identiques.
Mme
Mathilde Panot. Chère collègue Essayan, je répète que notre position,
exposée dans notre contre-projet, tient en quelques mots : la retraite à
60 ans à taux plein pour une carrière complète.
Les présents
amendements concernent les électriciens et les gaziers – très mobilisés
contre le projet que vous leur proposez. Pour eux, la question des conditions de
travail et de retraite est particulièrement importante. En effet, on parle là
d’un bien commun : l’énergie. Son prix a déjà augmenté de manière
faramineuse : 75 % pour le gaz en dix ans ; hausse comparable
pour les autres types d’énergie. Chaque année, 572 000 familles qui
n’ont pas les moyens de payer leurs factures se voient couper l’électricité et
ne peuvent donc ni se chauffer ni se nourrir correctement. Les taux de grève
sont impressionnants parmi les gaziers et les électriciens, qui vous rappellent
que l’énergie est un bien commun en rétablissant, par exemple, l’électricité
chez les familles auxquelles on l’a coupée, ou en basculant des centaines de
milliers de foyers en tarif heures creuses.
De plus – une réforme
des retraites renvoie au temps long, donc il faut y penser –, l’urgence
climatique et écologique, déjà présente, va encore s’aggraver à l’avenir. La
multiplication des aléas climatiques, qui mettent à l’épreuve les réseaux de
télécommunication, renforce les besoins en gaziers et électriciens. Ainsi, le
directeur technique d’Orange France affirme : « Depuis 2016, nous
constatons une recrudescence des événements météorologiques violents, avec une
multiplication des tempêtes, des orages et des inondations. 2018 a d’ailleurs
été un record, avec environ 20 % en plus d’interventions de maintenance sur
notre réseau. » Enfin, le projet Hercule – démantèlement d’EDF et
privatisation d’une partie de l’entreprise – mettra encore plus en danger
les emplois. Les gaziers et les électriciens ont droit à une retraite
digne ; nous nous opposons donc à l’alinéa 9. (Applaudissements sur
les bancs du groupe FI.)
M. le
président. La parole est à Mme Laurence Dumont, pour soutenir
l’amendement no 25179.
Mme Laurence
Dumont. Le présent amendement, qui propose la suppression de l’alinéa
relatif aux gaziers, me donne l’occasion d’évoquer un autre problème posé par
l’article 7 : le renvoi aux ordonnances. Cet article est, à ce titre,
particulièrement important. Vous dites, monsieur le secrétaire d’État, que pour
plusieurs catégories d’assurés, notamment les cheminots, on aménagera une
transition douce, tranquille et sereine. Tant mieux si c’est le cas, mais ce qui
nous gêne, c’est que cette transition sera organisée par le moyen d’ordonnances.
Pour des projets de loi aussi importants que des réformes de retraite, c’est
regrettable ! En 2010, il n’y a eu aucune ordonnance, et en 2014, deux
– dont une ayant peu de conséquences. La définition de la façon dont les
spécificités des différents régimes – âge de départ, dispositifs de
pénibilité… – seront progressivement éteintes au cours de la transition est
renvoyée aux ordonnances. Or le Conseil d’État, dans son avis, « souligne
que le fait, pour le législateur, de s’en remettre à des ordonnances pour la
définition d’éléments structurants du nouveau système de retraite fait perdre la
visibilité d’ensemble qui est nécessaire à l’appréciation des conséquences de la
réforme et, partant, de sa constitutionnalité ». L’article 7 est
certes découpé en alinéas qui concernent chacun une catégorie, mais le renvoi
global aux ordonnances n’est pas acceptable.
M. Régis
Juanico. Très bien !
M. le
président. Quel est l’avis de la commission sur ces amendements
identiques ?
M. Nicolas
Turquois, rapporteur. Madame Panot, vous invoquez deux arguments
contradictoires. D’un côté, vous affirmez qu’il y aurait besoin d’un nombre
considérable de personnes pour travailler dans le domaine de l’énergie
– dont vous soulignez l’importance – et vous en déduisez qu’il est
nécessaire de maintenir des conditions spécifiques de retraite, lesquelles ont
un coût. De l’autre côté, vous dites que le prix de l’énergie a beaucoup
augmenté et que 570 000 personnes se sont vu couper l’électricité. Je
vous rappelle que l’augmentation du coût de l’énergie est due à l’instauration
d’une contribution tarifaire d’acheminement qui finance le surcoût lié aux
retraites des personnels concernés.
Mme Cendra
Motin. Eh oui ! C’est vous qui payez leurs retraites !
M. Nicolas
Turquois, rapporteur. Laisser certaines catégories bénéficier de
dispositions spécifiques me semble injustifié. Nous sommes pour l’équité dans le
traitement.
Pour ce qui est des ordonnances et de la transition douce et
sereine, celle-ci est nécessaire et doit être longue afin de concilier le
respect des promesses faites à certaines catégories à une époque antérieure et
le principe d’intégration de ces catégories dans le système universel. Dans
cette optique, le recours aux ordonnances me semble la voie la plus adéquate.
Voyez : nous discutons du projet de loi depuis douze jours, mais n’en
sommes qu’à l’article 7. Nous n’avons pour l’instant défini que les
principes généraux et sommes seulement en train d’inclure, à la fin de cet
article, l’ensemble des catégories qui vont relever du système universel. Comme
l’a fait remarquer M. Bruneel, nous n’avons même pas encore abordé la
question de la définition du point et de son indexation, qui viendra à
l’article 8. Si nous devions définir les modalités de toutes les
transitions, métier par métier, nous en aurions pour deux ans de débats dans
l’hémicycle ! Je vous invite à considérer cet argument.
De plus,
l’intérêt d’une habilitation à légiférer par ordonnance, par rapport à un
décret, est de définir le champ de l’intervention. Les ordonnances seront
suivies d’une loi de ratification permettant au Parlement de vérifier le respect
du périmètre de l’habilitation et les conditions de mise en œuvre de l’accord.
Les ordonnances me semblent donc constituer un bon compromis entre l’efficacité
et le contrôle parlementaire.
Examiner les modalités de chaque
transition, métier par métier, serait impossible tant il y a de catégories et de
statuts différents au sein de chacune d’entre elles. Le rôle des parlementaires
n’est pas d’entrer dans ce niveau de détails, il est plutôt de définir le cadre
de l’opération.
Avis défavorable.
M. le
président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. Laurent
Pietraszewski, secrétaire d’État. Ce qui est ici en débat, c’est
à la fois la question des ordonnances, soulevée par Mme Dumont, et la
situation spécifique des industries électriques et gazières – IEG. J’ai
déjà eu l’occasion d’aborder ce sujet, car on m’avait questionné dessus bien en
amont de cet article. Toutefois, en vous écoutant, je me suis dit que c’était là
le bon moment pour avoir ce débat. Il est dommage que celui-ci ait déjà eu lieu
à deux ou trois reprises, ce qui nous amène à le refaire et me donne donc
l’impression de me répéter et à vous, peut-être, de perdre en impact. Néanmoins,
je n’esquiverai pas la discussion et vous redonnerai des éléments de
réponse.
Ce matin, j’ai déjà répondu aux questions portant sur
l’évolution des ordonnances, formulées sur les bancs de droite. Vous vous
inquiétez du nombre des ordonnances, traçant une comparaison avec les réformes
de 2010 et 2014. Je vous entends ; en même temps, je me souviens qu’il y a
quelques jours, les membres de votre groupe, madame Dumont, ont pointé le fait
que nous menions une réforme de plus grande ampleur, ce qui justifiait de vous
fournir davantage d’informations que vous n’en aviez fourni à l’époque. Ainsi, à
certains moments, on me dit que je conduis une transformation de grande ampleur
et dois donc fournir plus d’informations que mes prédécesseurs ; à d’autres
moments, on m’oppose le fait que les réformes précédentes n’avaient pas fait
l’objet d’ordonnances. Mettons-nous d’accord : si le Gouvernement conduit
une réforme de grande ampleur – je pense que c’est le cas –, cela
justifie un recours plus massif aux ordonnances que lors des réformes
précédentes. Essayons de rester cohérent d’un point de vue
intellectuel !
Sur les vingt-neuf ordonnances que vous avez citées,
dont certaines avaient été vues en commission spéciale, nous avons déjà prévu
d’en transformer plus de huit en dispositions législatives, qui seront inscrites
aux articles 16, 18, 38, 46, 49, 52, 53 et 61. Je n’entre pas dans les
détails car vous avez dû relever une série d’éléments dans mes propos de ce
matin. Le but n’est pas de relancer le débat, je tiens juste à vous expliquer
que si le Gouvernement a déposé un projet de loi dont certaines dispositions
renvoient à des ordonnances, c’est parce que des concertations sont encore en
cours. Cela veut dire, non que nous ne sommes pas prêts, mais que nous voulons
aller au bout de toutes les concertations. Nous voulons donner toutes ses
chances au dialogue social et entendre les uns et les autres avant d’inscrire
les dispositions dans la loi. C’est cela, et rien d’autre, qui explique le
renvoi aux ordonnances.
M. Bertrand
Bouyx. Très bien !
M. Laurent
Pietraszewski, secrétaire d’État. S’agissant des IEG – nous
avons déjà évoqué ce sujet avec M. Juanico, me semble-t-il –, la
concertation a été très nourrie. Il y a eu de nombreuses réunions de
concertation, certaines avec moi, d’autres avec Élisabeth Borne, et beaucoup de
réunions techniques. Ces industries ont en effet une habitude de dialogue social
et, pour nous en assurer, nous avons reçu les partenaires sociaux. Le dialogue
social y fonctionne bien, je tiens à le dire.
Les points auxquels les
organisations représentatives des salariés tenaient beaucoup, relatifs aux
dispositions de transition, seront abordés à l’article 61. Les attentes
étaient cristallisées autour de la transition à l’italienne et du droit au
départ anticipé ; tous ces souhaits ont été satisfaits. Le problème est le
même que pour les autres régimes spéciaux : nous sommes en train de
construire un dispositif commun, un système universel ; les IEG présentent
des réalités qui leur sont propres et un travail est mené à l’intérieur de ces
entreprises pour les voir reconnues, mais au bout du compte, les mêmes efforts
donneront les mêmes droits, pour les salariés des IEG comme pour l’ensemble des
actifs de notre pays.
Avis défavorable. (Mme Cendra
Motin et M. Patrick Mignola applaudissent.)
M. le
président. La parole est à M. Frédéric Petit.
M. Frédéric
Petit. Madame Panot, votre contre-projet propose la retraite à
60 ans à taux plein pour une carrière complète, mais dans la carrière
complète, vous incluez les périodes au RSA et les études. On peine à comprendre
comment vous maintenez un minimum de justice entre ceux qui ont une carrière
complète sans RSA et ceux qui ont une carrière complète avec RSA.
Autre
remarque : augmenter brusquement tous les salaires de 17 % en moyenne
exige une sacrée augmentation du SMIC ! Or si celui-ci peut être piloté,
c’est plus difficile pour les autres salaires.
Troisièmement, il est
normal que la part du travail dans le PIB ait baissé : c’est dû aux gains
de productivité. En revanche, le PIB ne se limite pas aux parts du travail et de
l’actionnaire. Il faut faire attention : le coût d’une production comprend
certes le travail et les dividendes, mais aussi l’amortissement – dont la
part est énorme dans notre société – et la recherche.
Mme
Marie-Christine Dalloz. C’est bientôt fini, le cours ?
M. Frédéric
Petit. Enfin, vous dites que les IEG seront fondamentales dans la
transition écologique, mais comme je le disais à propos des cheminots, les
métiers vont changer ! Le métier d’agrégateur, par exemple, qui incarne la
transition électrique – donc la transition écologique –, était inconnu
il y a trois ans ; il commence tout juste à s’implanter. Il s’agit de gens
qui allient la très bonne connaissance des réseaux et celle des bases de données
et de l’intelligence artificielle, et qui sont capables de travailler à distance
comme sur le terrain. Ces métiers n’existent pas encore, mais il faudra les
intégrer dans un panier commun pour les construire tranquillement. Voilà ce
qu’est la transition écologique !
M. le
président. La parole est à M. Jean-Luc Mélenchon.
M. Jean-Luc
Mélenchon. Il m’apparaît très étrange d’attribuer l’augmentation du prix
du gaz à autre chose qu’à sa véritable cause, à savoir le fait que l’entreprise
subit dorénavant un prélèvement : celui des dividendes. Ce prélèvement,
collègue Petit, nous sommes capables de le distinguer des autres coûts de
production.
Bien entendu, vous avez raison de dire que le coût de
production de la richesse ne se résume pas à l’addition du capital et du
travail ; s’y ajoutent les parts destinées à l’amortissement, à
l’investissement, à la recherche. Cependant, n’oublions jamais qu’il reste une
part, le dividende, qui n’est jamais qu’une ponction sur le travail
gratuit ! Sans cela, on ne comprend pas comment les circuits de l’économie
pourraient être différents.
S’agissant du gaz, nous formulons deux
objections. D’abord, la privatisation des tarifs du gaz a entraîné une
augmentation telle que bien des gens n’y ont plus accès. Ensuite, c’est une
énergie dont il va falloir apprendre à se passer, car elle émet des gaz à effet
de serre : nous devons désormais chercher autre chose. Par conséquent,
comme l’a dit notre collègue Petit – que je rejoins sur ce sujet –,
nous allons assister non pas à une rétractation, mais à une augmentation du
nombre de personnes travaillant dans ces branches. En effet, de plus en plus de
monde sera nécessaire pour produire et dégager une énergie écologique :
nous n’en sommes qu’au début du processus. Des centaines de milliers de
personnes seront également nécessaires pour mettre au point les techniques qui
nous permettront d’être plus sobres dans notre consommation d’énergie ; il
y va de l’avenir du monde.
On retrouve tout cela dans notre débat
d’aujourd’hui. Jusqu’ici, on n’avait qu’une gestion purement comptable des
trajectoires des personnes embauchées dans les entreprises : il est temps
désormais d’avoir une vue d’ensemble, et le système de retraite qui nous est
proposé ne le permet pas. (Applaudissements sur les bancs du groupe
FI.)
M. le
président. La parole est à M. Alain Bruneel.
M. Alain
Bruneel. Je partage l’opinion selon laquelle tout évoluera et que,
s’agissant de l’énergie, nous devrions chercher bien plus activement d’autres
solutions, dans différents domaines – je pense notamment à l’hydrogène.
Cela signifie que les choses doivent évoluer, d’autant que la croissance
démographique entraînera une augmentation des besoins en matière d’énergie,
d’aménagement du territoire et de transports. Le lien entre l’évolution du monde
et l’évolution technologique est important.
M. le secrétaire d’État
affirme que le dialogue social fonctionne bien. Cette assertion est
étonnante ! Si le dialogue social fonctionnait bien, la réforme ne serait
pas telle que vous la proposez, puisque tout le monde n’est pas d’accord avec
votre proposition, et les syndicats et salariés, du public comme du privé, ne
seraient pas dans la rue.
Monsieur le secrétaire d’État, peut-être ce que
vous qualifiez de dialogue n’est-il qu’un monologue ? Peut-être
demandez-vous aux syndicats de dire ce qu’ils pensent mais qu’en définitive,
vous faites ce que vous voulez ? Votre réforme semble le fruit d’un
monologue, car le dialogue implique de construire et de trouver une issue
ensemble ; or ce n’est pas vraiment ce qui se passe. À mon avis, le
dialogue social ne fonctionne donc pas si bien que cela.
M. le
président. Je crois que nous avons épuisé les demandes de prise de
parole – peut-être pas qu’elles, d’ailleurs… (Sourires.) Ah,
non ! La parole est à Mme Sophie Beaudouin-Hubiere.
Mme Sophie
Beaudouin-Hubiere. Depuis tout à l’heure, on entend beaucoup parler du
statut des personnels des IEG. Vu que je le connais un peu, je trouve ce débat
très intéressant. J’aimerais toutefois que l’on m’explique pourquoi les salariés
des filiales du groupe ENGIE ne bénéficient pas de ce statut. C’est totalement
injuste !
Mme
Caroline Fiat. C’est vrai !
Mme Sophie
Beaudouin-Hubiere. Ils font le même métier, mais on leur demande de
travailler plus longtemps, et en ayant moins de protection. Ce n’est pas
normal !
M. Jean-Luc
Mélenchon. Vous voulez un nivellement par le bas !
Mme Sophie
Beaudouin-Hubiere. Non, monsieur Mélenchon, ce n’est pas vouloir un
nivellement par le bas que dire cela ! Une secrétaire de la direction
corporate chez ENGIE fait globalement le même travail qu’une secrétaire
chez ENGIE Cofely : ce n’est pas plus compliqué, et il n’y a donc
aucune raison que l’une soit traitée différemment de l’autre. Il n’y a aucune
raison pour que la secrétaire de chez ENGIE bénéficie de plus d’avantages que
celle de chez ENGIE Ineo ou ENGIE Cofely.
M. Jean-Luc
Mélenchon. Des avantages ?
Mme Sophie
Beaudouin-Hubiere. Oui, monsieur Mélenchon, des avantages !
Certains députés des groupes
LaREM et MODEM. Voire des privilèges…
Mme Sophie
Beaudouin-Hubiere. Effectivement, on pourrait peut-être parler de
privilèges, mais je n’irai pas jusque-là.
Enfin, n’oublions pas que ce
sont toujours les contribuables qui abondent le budget lorsqu’il manque de
l’argent pour payer les retraites de ceux qui bénéficient des régimes spéciaux.
(Applaudissements sur quelques bancs des groupes LaREM et
MODEM.)
M. le
président. Je mets aux voix les amendements no 17935 et
identiques.
(Il est procédé au scrutin.)
M. le
président. Voici le résultat du
scrutin :
Nombre de
votants 68
Nombre
de suffrages
exprimés 65
Majorité
absolue 33
Pour
l’adoption 5
Contre 60
(Les amendements no 17935 et
identiques ne sont pas adoptés.)
M. le
président. Je suis saisi de dix-sept amendements identiques :
l’amendement no 25180 et les amendements no 26755 et
identiques déposés par le groupe de la Gauche démocrate et
républicaine.
La parole est à M. Dominique Potier, pour soutenir
l’amendement no 25180.
M.
Dominique Potier. Il s’agit plus que jamais d’un amendement d’appel
– même si son texte vise à maintenir le régime spécial de la Banque de
France. Je souhaiterais revenir sur la remarque qu’a faite tout à l’heure le
rapporteur, selon lequel il serait impossible de fixer la transition de chaque
régime spécial sans procéder par ordonnances, à moins de passer six mois dans
l’hémicycle pour régler tous les détails de chaque régime. J’aurais aimé, cher
rapporteur, que nous puissions au moins définir des points cardinaux, points de
repère intangibles permettant d’asseoir la transition sur des principes sur
lesquels nous aurions pu nous accorder. Ce ne sera visiblement pas le cas, et
l’absence de ces points cardinaux, qui auraient permis de définir, en se fondant
sur un principe de justice, la durée adéquate de transition, nous décontenance.
Cela nous entraîne à déposer des amendements d’appel, pour défendre des choses
parfois indéfendables, parfois justifiées.
Monsieur le ministre chargé
des relations avec le Parlement, le Gouvernement n’a pas toujours été exemplaire
en matière d’ordonnances. Je suis particulièrement marri de ce qui s’est passé
dans le cadre d’un dossier qui ne vous concerne pas directement, puisqu’il
s’agit de la loi pour l’équilibre des relations commerciales dans le secteur
agricole et alimentaire et une alimentation saine, durable et accessible à tous
– EGALIM –, qui relève donc du ministère de l’agriculture et de
l’alimentation.
Cette loi prévoyait de réformer les certificats
d’économie de produits phytosanitaires. Lors de l’examen du texte dans
l’hémicycle, j’avais posé plusieurs questions à ce sujet, et le Gouvernement
avait affirmé que ces certificats seraient renforcés. Or l’ordonnance a procédé
à leur dévitalisation totale. Vu les enjeux de cette décision en matière de
sécurité sanitaire, de santé publique, de santé et d’environnement, le groupe
Socialistes et apparentés a, à mon initiative, déposé un recours auprès du
Conseil d’État. Vous comprendrez que ce type d’expérience ne nous rassure pas
totalement quant à l’état d’esprit du Gouvernement et au risque d’excès de
pouvoir dans la rédaction des ordonnances.
M. le
président. La parole est à M. Alain Bruneel, pour soutenir
l’amendement no 26755 et les quinze amendements identiques déposés
par le groupe de la Gauche démocrate et républicaine.
M. Alain
Bruneel. Ces amendements visent à maintenir le régime autonome des
salariés de la Banque de France. Depuis 2007, le régime de retraite de ce
derniers s’est profondément réformé, au point qu’aujourd’hui, leurs conditions
de départ sont quasi alignées sur celles de la fonction publique. Ainsi, l’âge
légal de départ à la retraite est de 61 ans et 3 mois pour les
salariés de la Banque de France, contre 62 ans pour la fonction publique
sédentaire.
Le système de retraite mis en place par la Banque de France
est fondé sur des réserves financières constituées de contributions salariales
que la Banque vient compléter afin qu’il atteigne l’équilibre. Depuis 2005, les
salariés de la Banque de France ont consenti à des efforts importants pour que
la Banque augmente le montant de son complément afin que leur système autonome
soit maintenu à flot. Ce régime ne coûte donc pas un euro à l’État.
À
partir de 2025, date d’entrée en vigueur du système universel, cette caisse sera
progressivement mise en extinction : seuls les droits acquis avant cette
date resteront financés par la réserve. Malgré cette concession, la CFE-CGC de
la Banque de France affirme n’être pas satisfaite, car une large partie des
salariés actuels ne verront leur retraite que partiellement financée par la
caisse. Aussi, dans la droite ligne de l’ensemble des syndicats de la Banque de
France, demandons-nous que ces salariés ne soient pas intégrés dans le système
universel.
M. le
président. Quel est l’avis de la commission sur ces amendements
identiques ?
M. Nicolas
Turquois, rapporteur. Je vais rappeler les données
démographiques : 10 500 cotisants, 16 800 retraités. Le
régime coûte 486 millions d’euros, la Banque abondant à hauteur de
440 millions d’euros pour qu’il atteigne l’équilibre.
Bien
évidemment, ce n’est pas l’État qui finance directement ce régime. Seulement,
ces coûts se répercutent ailleurs.
M. Jean-Luc
Mélenchon. « Ces coûts se répercutent ailleurs » ?
Entendez-vous les termes que vous employez ?
M. Nicolas
Turquois, rapporteur. Monsieur Potier, j’aimerais moi aussi que
l’on aborde le sujet des ordonnances, mais il en sera question à
l’article 39. La lenteur de nos débats nous empêche, voyez-vous, d’aborder
des questions de fond, comme celles traitées aux titres II et V. Après
douze jours de débat, nous n’en sommes qu’à l’article 7…
M.
Dominique Potier. Allons… Nous avançons bien.
M. Nicolas
Turquois, rapporteur. C’est une façon de voir les choses. Tout
est relatif !
Après douze jours, nous aurions tout de même pu avoir
défini des cadres plus précis.
Avis défavorable.
(Les amendements no 25180 et
identiques, repoussés par le Gouvernement, ne sont pas adoptés.)
M. le
président. Nous en venons à une série de trente-quatre amendements
identiques : les amendements no 18746 et identiques déposés
par les membres du groupe La France insoumise, l’amendement no 25181
et les amendements no 26817 et identiques déposés par les
membres du groupe de la Gauche démocrate et républicaine.
Sur ces
amendements, je suis saisi par le groupe La France insoumise d’une demande de
scrutin public.
Le scrutin est annoncé dans l’enceinte de l’Assemblée
nationale.
La parole est à Mme Mathilde Panot, pour soutenir
l’amendement no 18746 et les seize amendements identiques
déposés par le groupe La France insoumise.
Mme
Mathilde Panot. Nous en arrivons à la question des danseurs et danseuses
de l’Opéra national de Paris. Leur régime a été instauré en 1698 par
Louis XIV : il date d’il y a fort longtemps. Ces danseurs viennent de
mener la grève la plus longue de l’histoire de l’Opéra, en utilisant une méthode
particulièrement intéressante : estimant que la réforme des retraites
mettait en danger la culture, qu’ils considèrent comme un bien commun, ils ont
choisi de rendre gratuites leurs représentations. Ces représentations publiques,
à travers lesquelles ils ont défendu l’accès à la culture pour toutes et tous,
sont l’une des plus belles images du mouvement social que nous
vivons.
Reconnaissez que les danseurs et danseuses de l’Opéra de Paris ne
se mettent pas facilement en grève, notamment parce qu’ils exercent leur métier,
souvent commencé fort jeune, par passion. S’ils défendent leur système de
retraite, c’est en particulier parce que leur corps est leur outil de travail et
que le risque de blessure est extrêmement élevé. Il faut également être
conscient qu’ils peuvent difficilement danser après 42 ans, âge actuel de
leur départ à la retraite.
Pour que la grève cesse, le Gouvernement a
proposé d’appliquer la clause du grand-père et que seuls les danseurs et
danseuses recrutés après 2022 intègrent le régime universel. Mais ils vous ont
fait cette bien belle réponse : « Nous ne sommes qu’un petit maillon
dans une chaîne vieille de 350 ans. Cette chaîne doit se prolonger loin
dans le futur : nous ne pouvons pas être la génération qui aura sacrifié
les suivantes. »
Pour refuser de maintenir leur régime, vous
comparez souvent les conditions de départ en retraite des artistes de l’Opéra de
Paris avec ceux de l’Opéra de Lyon. Soit, mais dans ce cas, plutôt que de tout
tirer vers le bas, appliquez les conditions de l’Opéra de Paris à l’Opéra de
Lyon : si le système est bon pour les premiers, il doit être bon pour les
seconds ! Nous soutenons les danseurs et danseuses de l’Opéra national de
Paris dans le mouvement historique qu’ils sont en train de mener.
(Applaudissements sur les bancs du groupe FI.)
M. le
président. La parole est à Mme Laurence Dumont, pour soutenir
l’amendement no 25181.
Mme Laurence
Dumont. En complément de ce qui vient d’être parfaitement dit par
Mme Panot, j’ajouterai que les artistes du ballet de l’Opéra de Paris ont
aujourd’hui le droit de partir à la retraite à 40 ans. Nous avons donc
besoin que vous formuliez clairement vos engagements sur la façon dont les
spécificités de leur métier seront prises en compte.
Les techniciens,
dont les conditions de travail répondent aux critères de fatigue exceptionnelle,
risquent de ne plus pouvoir bénéficier du compte professionnel de prévention
– C2P – et de devoir attendre 62 ans, voire 64 ans, pour
partir avec une pension à taux plein, alors qu’ils peuvent aujourd’hui le faire
à 57 ans.
S’agissant des artistes des chœurs, l’âge actuel
d’ouverture des droits est également fixé à 57 ans, même s’il faut attendre
60 ans pour partir sans décote. En effet, dans la perspective de maintenir
le niveau d’excellence des prestations de l’Opéra de Paris, on considère que la
plupart d’entre eux ne peuvent aller au-delà.
Enfin, l’existence d’un
régime autonome se justifie aussi par le fait que les affiliés versent un droit
spécial sur les places occupées à l’opéra. Or vous prévoyez de le leur retirer
pour l’affecter au Fonds de solidarité vieillesse universel.
On lâche la
proie pour l’ombre. Pour ces métiers comme pour beaucoup d’autres, on ne sait
aucunement quelles sont vos intentions, mais il est peu probable que votre
réforme améliore la situation des uns et des autres.
M. le
président. La parole est à M. Alain Bruneel, pour soutenir
l’amendement no 26817 et les quinze amendements identiques du groupe
de la Gauche démocrate et républicaine.
M. Alain
Bruneel. Les moments de grâce offerts au public par les artistes de
l’Opéra de Paris, sur le parvis de l’opéra Garnier ou de l’opéra Bastille,
resteront comme un moment très fort de la mobilisation massive contre la réforme
des retraites. Musiciens, chœurs, danseurs, techniciens : ces femmes et ces
hommes participent tous pleinement au rayonnement de la France.
Comment
peut-on, sous le couvert de justice, revenir sur l’âge de départ à la retraite
des danseuses et danseurs ? À 42 ans, les corps sont meurtris, les
danseuses et danseurs ne peuvent plus danser dans les ballets de très haut
niveau ; souvent, ils deviennent professeurs de danse et perdent beaucoup
en salaire.
Leurs pensions leur permettent donc de compenser cette perte
de rémunération. Telle est la réalité qui se cache derrière ce que vous
qualifiez de « privilèges ». Les musiciens sont exposés à des bruits
pouvant atteindre 130 décibels, c’est-à-dire le même niveau que celui
produit par le décollage d’un avion. Les techniciens soulèvent continuellement
des charges très lourdes. Le régime spécial compensait la pénibilité ; ce
ne sera plus le cas dans le nouveau système. Où est la
justice ?
Incapable d’apporter les garanties suffisantes aux
salariés de l’Opéra national de Paris, le Gouvernement a joué une nouvelle fois
la carte de la division entre les générations – cela a déjà été dit, mais
je le répète. La réforme ne s’appliquerait en effet qu’aux générations nées
après 1977 pour les musiciens et après 1980 pour les choristes et pour les
techniciens dont les tâches présentent des fatigues exceptionnelles. Enfin, la
clause du grand-père a été introduite pour les danseurs et danseuses, sans doute
dans le but de briser la grève : la réforme ne s’appliquera que pour celles
et ceux entrés après 2022.
Les salariés de l’Opéra national de Paris ne
se battent pas dans leur propre intérêt. Ils se battent pour sauvegarder cette
institution tricentenaire ; ils sont un maillon dans la chaîne de son
histoire. Il est temps que le Gouvernement respecte ces hommes et ces femmes et
qu’il réponde point par point à leurs revendications et à leurs inquiétudes,
quant au niveau de leurs pensions et quant à la prise en compte de la pénibilité
dans la réforme – qui leur sera sans doute très défavorable.
M. le
président. Quel est l’avis de la commission sur ces amendements
identiques ?
M. Nicolas
Turquois, rapporteur. En intégrant les employés de l’Opéra
national de Paris au régime universel, nous n’avons aucune intention de
contester l’excellence de la qualité de leurs prestations ou de considérer
qu’ils bénéficient de privilèges. Cependant, comme vous l’avez évoqué
précédemment, monsieur Bruneel, certaines données évoluent
– notamment, comme dans le cas d’autres régimes spéciaux, la démographie.
Il y avait ainsi 1 894 cotisants en 2018, pour
1 811 bénéficiaires, ce qui implique le versement d’une subvention
d’équilibre de 14 millions d’euros de la part de l’État. Il faut mutualiser
les situations et faire en sorte que les conditions de départ en retraite soient
les plus objectives possible pour les uns et les autres, tout en tenant compte,
bien sûr, des spécificités liés à l’opéra.
En réponse à Mme Dumont,
j’ajoute que je ne vois pas à quel titre le C2P ne devrait plus être pris en
compte à l’avenir.
Enfin, je vous alerte sur un point souvent
évoqué : les charges lourdes sont une réalité mais pourquoi attendre la
retraite pour compenser cette pénibilité et régler le problème ? Il faut
travailler sur ce sujet. Dans n’importe quel métier, lorsqu’un employeur
confronte ses salariés à une situation pénible – le port de charges
lourdes, par exemple –, une incitation forte de la puissance publique est
nécessaire pour éliminer le problème à la base. Tout employeur a un intérêt
objectif – même s’il faut dans certains cas l’y inciter – à ce que ces
problèmes soient réglés durant la carrière et à ce qu’ils disparaissent ou
s’atténuent, plutôt que d’avoir à les compenser au moment de la
retraite.
Comme pour chacun des régimes, je réaffirme notre volonté
d’intégrer à terme l’ensemble des actifs dans le système de retraite
universel.
Avis défavorable.
M. le
président. La parole est à Mme Céline Calvez.
Mme Céline
Calvez. À entendre certains d’entre vous, universel ne pourrait pas
rimer avec excellence. Pourtant, l’Opéra national de Paris est bien caractérisé
par l’excellence depuis des siècles et sa vocation est, non pas de rester replié
sur lui-même, mais d’offrir à des générations l’expression de ce qui se fait de
mieux en France et à l’étranger. Nous sommes fiers de l’Opéra national de Paris,
et aussi conscients des sacrifices et du rythme de travail qui y sont imposés.
Nous savons aussi que les vies des danseurs sont tout entières tournées vers une
passion qui peut provoquer la souffrance du corps et de l’esprit pendant des
années – mais il s’agit de souffrir pour une passion.
Nous ne nions
pas que ce travail exige de nombreux sacrifices de la part de l’ensemble des
artistes, ainsi que des techniciens et des musiciens qui font le rayonnement de
l’Opéra national de Paris. Nous souhaitons plutôt les accompagner et les aider à
faire en sorte que leur vie ne se limite pas à leur passion. Ce qui est prévu
aujourd’hui, c’est de faire profiter les artistes et le monde professionnel de
l’Opéra national de Paris de l’universalité, afin de régler différents problèmes
qui n’ont pas été suffisamment anticipés. La pénibilité, par exemple, doit
pouvoir être appréciée. Je partage à cet égard l’avis de M. le
rapporteur : il ne faut pas attendre que les corps soient meurtris pour
s’en préoccuper ; il faut prévenir et identifier les problèmes.
Et
lorsqu’on a une passion, qui peut être la danse, il faut pouvoir penser à sa
reconversion. Or aujourd’hui, les petits rats de l’Opéra, qui n’ont pas
forcément achevé leur formation, ne consacrent pas assez de temps à leur
reconversion. Au cours des prochaines semaines, des prochains mois, des
prochaines années, les artistes seront mieux accompagnés dans l’appréhension de
leur avenir. Grâce à des formations tout au long de leur vie, ils pourront
continuer de danser à 40, 50 ou 60 ans tout en imaginant un autre avenir,
compatible avec une vie passionnante par ailleurs. (Applaudissements sur les
bancs du groupe LaREM.)
M. le
président. La parole est à M. Ugo Bernalicis.
M. Ugo
Bernalicis. J’ai un peu de mal à comprendre. Monsieur le rapporteur,
vous reconnaissez qu’il y a sans doute des métiers pénibles, mais vous estimez
qu’il relève de la responsabilité de l’employeur qu’ils le soient moins, par
exemple en allégeant les charges ; cela me semble difficile dans certains
métiers – mais admettons. En revanche, s’agissant de la reconversion des
danseuses, j’aimerais savoir à quel âge elles pourront partir en retraite après
votre réforme qui tiendrait compte de la « pénibilité ». Concrètement,
y aura-t-il des danseuses de l’Opéra âgées de, disons 50 ans, 55 ans,
60 ans, voire 65 ans ? Là est la question !
Mme
Brigitte Bourguignon, présidente de la commission spéciale. C’est
ridicule !
M. Ugo
Bernalicis. Comment vos critères de pénibilité
s’appliqueront-ils ?
Ce qui est certain, c’est que les danseuses
peuvent aujourd’hui liquider leur retraite à 40 ans et que ce ne sera plus
le cas avec votre système.
Pour tenir compte de la pénibilité, vous avez
indiqué, chère collègue Calvez, que l’on mettrait l’accent, pour une fois,
sur la reconversion. Mais la reconversion existe déjà ! J’imagine que
l’Opéra national de Paris prend déjà en charge ces aspects. Vous dites que l’on
n’y consacre pas suffisamment de temps. Eh bien, donnez du temps au temps, et
vous verrez que les gens pourront se consacrer à leur reconversion.
M. Régis
Juanico. Très bien !
M. Ugo
Bernalicis. J’aimerais comprendre, monsieur le rapporteur, ce que vous
réservez aux danseuses et aux danseurs de l’Opéra national de Paris, ainsi qu’à
tous les techniciens. J’ai l’impression que, dans cette affaire, tout le monde
va se faire avoir, que ce soit concernant la durée de travail ou concernant le
montant des retraites. (Applaudissements sur les bancs du groupe
FI.)
M. le
président. La parole est à M. Bruno Fuchs.
M. Bruno
Fuchs. Depuis le début de l’examen de l’article 7, le seul argument
que vous nous opposez au sujet des régimes spéciaux, chers collègues, est qu’ils
existent depuis 50 ans, 100 ans ou 150 ans. On ne peut pas fonder
le monde de demain uniquement sur les contraintes du monde d’hier ! L’Opéra
national de Paris bénéficie d’un régime spécial. J’ai cité, il y a quelques
jours, le cas de Stéphanie, qui fut danseuse de l’Opéra national du Rhin
– une institution qui rayonne dans l’Europe et dans le monde entier :
elle a dû quitter sa fonction de danseuse à l’âge de 42 ans et vit, depuis,
de petits métiers. Le but n’est pas, bien sûr, de demander aux danseurs d’aller
au-delà de leurs possibilités en dépassant l’âge de 40 ans, 42 ans ou
45 ans, il est d’imaginer dès le départ leur reconversion en prévoyant
celle-ci dès la signature du contrat. Un congé de reconversion de six mois est
ainsi prévu dans le nouveau système. Peut-être faudrait-il l’allonger pour les
danseurs, mais quand on s’engage dans un métier qui est aussi une passion, il
convient d’envisager, dès le départ, la fin de cette activité et de penser à la
deuxième, à la troisième, voire à la quatrième partie de carrière, entre l’âge
de 42 ans et celui de 60 ans, 62 ans ou 64 ans.
(M. Jean-René Cazeneuve applaudit.)
M. le
président. La parole est à M. Alain Bruneel.
M. Alain
Bruneel. Je ne doute pas un instant de la sincérité des propos tenus par
ma collègue Calvez concernant l’excellence des danseurs et danseuses de
l’Opéra national de Paris, des techniciens et des musiciens. Puisque nous sommes
d’accord sur ce constat au moins, je me permets de souligner que les régimes
spéciaux auxquels sont soumises ces professions ne peuvent pas être considérés
comme des privilèges. Vous dites qu’il faut penser à la reconversion – mais
quelles propositions faites-vous en la matière ?
On ne peut pas
parler de privilège : ce dont il s’agit, c’est d’un art difficile, qui
exige de participer à de nombreuses répétitions et qui met les corps à
l’épreuve. Nous savons bien que ceux des danseurs sont meurtris. Si nous
demandons la préservation de ce régime, c’est pour une raison très sérieuse,
car, sur la question de la pénibilité, vous n’avez pas forcément de réponses à
apporter – vous l’avez dit vous-même. Au lieu de répéter « il faudrait
que », dites-nous plutôt ce qu’on fait pour.
M. le
président. La parole est à Mme Christine
Cloarec-Le Nabour.
Mme
Marie-Christine Dalloz. Monsieur le président, il s’agit d’une deuxième
prise de parole pour le même groupe !
M. le
président. Certes…
Mme
Christine Cloarec-Le Nabour. Je voudrais simplement apporter un
témoignage supplémentaire.
Plusieurs députés du groupe
FI. C’est de l’obstruction ! (Sourires.)
Mme
Christine Cloarec-Le Nabour. D’abord, rappelons qu’il y a
10 000 danseurs en France, dont 99 % ne bénéficient pas d’un
régime spécial.
Ensuite, vous évoquez l’Opéra national de Paris. Or,
comme cela a déjà été dit à plusieurs reprises, les danseurs et danseuses des
nombreux autres opéras de France ne bénéficient pas d’un régime spécial.
Mme Laurence
Dumont. Eux aussi sont en grève !
Mme
Christine Cloarec-Le Nabour. De surcroît, au sein de l’Opéra national de
Paris ne travaillent pas que des danseurs. On y trouve par exemple du personnel
administratif, dont l’activité n’est certainement pas marquée par la même
pénibilité.
M. Ugo
Bernalicis. La distinction est déjà faite dans le système
actuel !
Mme
Christine Cloarec-Le Nabour. Enfin, je partage l’avis de
M. Fuchs : professeure de danse depuis plus de vingt ans, je sais que
la danse est une passion. Lorsqu’on entame une carrière dans ce domaine, on sait
que l’on va vieillir et que, vu la sur-sollicitation du corps, il va falloir
penser à sa reconversion. Les danseurs de l’Opéra national de Paris peuvent pour
certains s’orienter dans un second temps vers la danse contemporaine – la
danse classique étant beaucoup plus exigeante ; d’autres peuvent passer le
diplôme d’État – mieux vaut d’ailleurs le faire le plus tôt possible –
afin de pouvoir enseigner la danse. Toutefois, chers collègues, vous ne vous
interrogez pas sur les exigences et la pénibilité du métier qu’exercent les
professeurs de danse, qui sont pourtant moins bien rémunérés que les danseurs de
l’Opéra national de Paris ! (Applaudissements sur les bancs du groupe
LaREM. – M. Bruno Fuchs applaudit aussi.)
Mme
Mathilde Panot. Et voilà ! C’est le nivellement par le
bas !
M. le
président. La parole est à Mme Mathilde Panot.
Mme
Mathilde Panot. Nous sommes confrontés là à l’un des points de désaccord
majeurs qui nous opposent depuis le début de l’examen du texte : ce que
vous prônez, c’est un nivellement par le bas. Il se trouve que les travailleurs
de l’Opéra national de Lyon sont eux aussi en grève. Si vous souhaitez que des
gens puissent se consacrer à leur passion, en atteignant l’excellence, alors
harmonisez vers le haut avec un régime comme celui des personnels de l’Opéra
national de Paris ! (M. Ugo Bernalicis applaudit.
– Exclamations sur certains bancs du groupe LaREM.)
Notre
collègue Cloarec-Le Nabour vient de dire qu’il n’y avait pas que des
danseurs et des danseuses à l’opéra. C’est vrai. Au sujet des danseurs, je tiens
à répéter ce que j’évoquais précédemment quant au risque de blessure et à
l’usure des corps. Dans ces conditions, on ne peut exiger d’un danseur qu’il
travaille jusqu’à 64 ans, sans quoi nous perdrons nos danseurs et danseuses
d’excellence.
Mais les opéras emploient aussi des techniciens. L’un
d’entre eux, travaillant pour l’Opéra national de Paris, expliquait récemment
qu’il était impensable à ses yeux de décharger des camions jusqu’à l’âge de
67 ans. Effectivement, ce n’est pas possible ! À la Comédie-Française,
dont les personnels seront évoqués à l’alinéa suivant, se succèdent chaque jour,
sur la scène de la salle Richelieu, quatre opérations de montage ou de
démontage, sept jours par semaine. Ces opérations durent plusieurs heures
chacune : la première à huit heures, pour démonter le décor de la
représentation de la veille ; la seconde vers dix heures, pour monter le
décor de la répétition de treize heures, suivie d’un démontage vers dix-sept
heures pour installer le décor de la représentation du soir.
Vous avez
donc raison : il n’y a pas que les danseurs et les danseuses, il y a aussi
les techniciens, qui eux-mêmes ne peuvent pas travailler jusqu’à 67 ans. Il
serait irréaliste et dangereux pour eux de l’envisager.
M. le
président. Je mets aux voix les amendements no 18746 et
identiques.
(Il est procédé au scrutin.)
M. le
président. Voici le résultat du
scrutin :
Nombre de
votants 62
Nombre
de suffrages
exprimés 58
Majorité
absolue 30
Pour
l’adoption 7
Contre 51
(Les amendements
no 18746 et identiques ne
sont pas adoptés.)
M. le
président. La suite de la discussion est renvoyée à la prochaine
séance.
2
Ordre du jour de la prochaine séance
M. le
président. Prochaine séance, ce soir, à vingt et une heures
trente :
Suite de la discussion du projet de loi instituant un
système universel de retraite.
La séance est levée.
(La séance est levée à vingt heures.)
Le Directeur du service du compte rendu de la séance
de
l’Assemblée nationale
Serge Ezdra
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