|
Assemblée nationale XVe législature Session
ordinaire de 2019-2020
Compte rendu intégral
Troisième séance du vendredi 28 février 2020
SOMMAIRE
Présidence
de M. Sylvain Waserman
1.
Système universel de retraite
Discussion
des articles (suite)
Article 7
(suite)
Amendements nos 18763,
18764, 18765, 18766, 18767, 18768, 18769, 18770, 18771, 18772, 18773, 18774,
18775, 18776, 18777, 18778, 18779 , 25182
, 26818,
27711, 27712, 27713, 27714, 27715, 27716, 27717, 27718, 27719, 27720, 27721,
27722, 27723, 27724, 27725
M. Nicolas
Turquois, rapporteur de la commission spéciale
M. Laurent
Pietraszewski, secrétaire d’État chargé des retraites
Amendement no 30266
M. Guillaume
Gouffier-Cha, rapporteur général de la commission spéciale
Amendements nos 18780,
18781, 18782, 18783, 18784, 18785, 18786, 18787, 18788, 18789, 18790, 18791,
18792, 18793, 18794, 18795, 18796 , 25183
, 26756,
27726, 27727, 27728, 27729, 27730, 27731, 27732, 27733, 27734, 27735, 27736,
27737, 27738, 27739, 27740 , 1499
, 18797,
18798, 18799, 18800, 18801, 18802, 18803, 18804, 18805, 18806, 18807, 18808,
18809, 18810, 18811, 18812, 18813 , 25184
, 26841,
27741, 27742, 27743, 27744, 27745, 27746, 27747, 27748, 27749, 27750, 27751,
27752, 27753, 27754, 27755 , 18814,
18815, 18816, 18817, 18818, 18819, 18820, 18821, 18822, 18823, 18824, 18825,
18826, 18827, 18828, 18829, 18830 , 25185
, 26757,
27756, 27758, 27759, 27760, 27761, 27762, 27763, 27764, 27765, 27766, 27767,
27768, 27769, 27770 , 18831,
18832, 18833, 18834, 18835, 18836, 18837, 18838, 18839, 18840, 18841, 18842,
18843, 18844, 18845, 18846, 18847 , 25186
, 26758,
27771, 27772, 27773, 27774, 27775, 27776, 27777, 27778, 27779, 27780, 27781,
27782, 27783, 27784, 27785
Rappel
au règlement
M. Jean-René
Cazeneuve
Article 7
(suite)
Suspension
et reprise de la séance
Amendements nos 25187
, 25188
, 26852,
29942, 29943, 29944, 29945, 29946, 29947, 29948, 29949, 29950, 29951, 29952,
29953, 29954, 29955, 29956 , 25189
Rappel
au règlement
Mme Clémentine
Autain
Article 7
(suite)
Amendements nos 26851,
27801, 27802, 27803, 27804, 27805, 27806, 27807, 27808, 27809, 27810, 27811,
27812, 27813, 27814, 27815 , 26853,
27816, 27817, 27818, 27819, 27820, 27821, 27822, 27823, 29936, 29937, 29938,
29939, 29940, 29941 , 7608
, 11911
, 11912
M. le
président
Rappels
au règlement
Mme Caroline
Fiat
M. le
président
Mme Laurence
Dumont
Mme Caroline
Fiat
Article 7
(suite)
Amendements nos 29972,
29973, 29974, 29975, 29976, 29977, 29978, 29979, 29980, 29981, 29982, 29983,
29984, 29985, 29986 , 26840,
29957, 29958, 29959, 29960, 29961, 29962, 29963, 29964, 29965, 29966, 29967,
29968, 29969, 29970, 29971 , 10005
2.
Ordre du jour de la prochaine séance
Présidence de
M. Sylvain Waserman
vice-président
M. le
président. La séance est ouverte.
(La séance est ouverte à vingt et une heures trente.)
1
Système universel de retraite
Suite de la discussion d’un projet de loi
M. le
président. L’ordre du jour appelle la suite de la discussion du projet
de loi instituant un système universel de retraite (nos 2623
rectifié, 2683).
Discussion des articles (suite)
M. le
président. Cet après-midi, l’Assemblée a poursuivi l’examen des articles
du projet de loi, s’arrêtant à l’amendement no 18763 à
l’article 7.
Article 7 (suite)
M. le
président. Je suis saisi de trente-quatre amendements identiques. Cette
série comprend l’amendement no 18763 et seize autres amendements
identiques déposés par les membres du groupe La France insoumise, l’amendement
no 25182, ainsi que l’amendement no 26818 et
quinze autres amendements identiques déposés par les membres du groupe de la
Gauche démocrate et républicaine.
Sur ces amendements identiques, je suis
saisi par le groupe La France insoumise d’une demande de scrutin
public.
Le scrutin est annoncé dans l’enceinte de l’Assemblée
nationale.
La parole est à Mme Caroline Fiat, pour soutenir les
amendements no 18763 et identiques déposés par les membres du
groupe La France insoumise.
Mme
Caroline Fiat. Nous demandons la suppression de l’alinéa 12, qui
vise à supprimer le régime spécial de la Comédie-Française.
L’un des
avantages d’être député de la nation, c’est que l’on peut faire des rencontres
que l’on ne ferait peut-être pas autrement. Ainsi, j’ai rencontré un comédien de
la Comédie-Française, à qui j’ai parlé des régimes spéciaux. Sa réponse a été
très jolie : « Tu sais, Caroline, ce n’est pas pour nous que nous
défendons les régimes spéciaux. Pour un acteur de 70 ou 80 ans, il y a
toujours un rôle dans une belle pièce. Cela nous convient et nous y
arriverons ! » Mais il m’a parlé des costumières, dont je ne
connaissais pas le métier : derrière la scène, dans le noir, pendant le
spectacle, elles retouchent les costumes et s’abîment les yeux rien que pour
permettre la bonne tenue du spectacle.
La Comédie-Française, c’est la
culture française. C’est notre patrimoine, notre histoire, notre fierté. C’est
la France, c’est nous ! Si les membres de cette institution bénéficient
d’un régime spécial, ce n’est pas pour rien. Ma collègue Mathilde Panot vous a
expliqué tout à l’heure qu’à la Comédie-Française, quatre décors doivent être
démontés chaque jour. Il faut jouer avec des lumières. Des techniciens se
fatiguent, de nombreuses petites mains se fatiguent pour la culture de la
France, pour montrer que la France a un patrimoine culturel impressionnant…
(Exclamations sur plusieurs bancs du groupe LR.)
M. le
président. S’il vous plaît, mes chers collègues !
Mme
Caroline Fiat. Mais je vois que le patrimoine culturel, vous n’en avez
rien à cirer. (M. Ugo Bernalicis applaudit. –
Protestations sur plusieurs bancs du groupe LR.)
M. le
président. Votre conclusion est un peu abrupte…
L’amendement
no 25182 de Mme Sylvie Tolmont est défendu.
La
parole est à M. Stéphane Peu, pour soutenir l’amendement
no 26818 et les quinze autres amendements identiques déposés par
les membres du groupe de la Gauche démocrate et républicaine.
M. Stéphane
Peu. Par cet amendement, nous proposons de supprimer l’alinéa 12 de
l’article 7, consacré à la Comédie-Française, l’une des institutions
culturelles les plus prestigieuses de notre pays. Mais ce prestige culturel qui
rayonne par-delà nos frontières ne fait pas des personnes qui y travaillent des
nantis. À la Comédie-Française, il n’y a pas que des comédiens : il existe
120 corps de métiers différents. Sur les six dernières années, les salaires
de tous ces métiers ont augmenté de 1,2 %, ce qui est évidemment très
inférieur à la hausse du coût de la vie.
Dans ma ville de Saint-Denis, la
présidente de l’amicale des locataires d’une grande cité HLM est une retraitée
de la Comédie-Française. Pendant toute sa carrière, elle a été costumière, aux
studios des Buttes-Chaumont puis à la Comédie-Française. Je peux vous dire que
ses pensions sont extrêmement modestes : à l’âge de 68 ans, elle vit
toujours dans un petit F3 de sa cité HLM.
À moins de vouloir sacrifier ou
maltraiter une institution culturelle majeure de notre pays, il n’y a pas de
raison de revenir sur ce régime particulier. Si la culture est universelle,
votre système de retraite ne l’est pas. (Applaudissements sur les bancs du
groupe FI.)
M. Ugo
Bernalicis. Jolie punchline !
M. le
président. La parole est à M. Nicolas Turquois, rapporteur de la
commission spéciale pour le titre Ier, pour donner l’avis de la
commission sur ces trente-quatre amendements identiques.
M. Nicolas
Turquois, rapporteur de la commission spéciale. J’exprimerai des
arguments similaires à ceux que j’ai déjà formulés. Le régime de retraite de la
Comédie-Française compte 336 bénéficiaires de droit direct,
99 bénéficiaires de droit dérivé et 349 cotisants, pour une dépense
annuelle de 6 millions d’euros dont 3 millions sont versés par l’État.
Nous respectons notre engagement : le système de retraite universel a
vocation à intégrer tous les régimes particuliers. C’est pourquoi nous sommes
défavorables à la suppression de l’alinéa 12.
M. le
président. La parole est à Mme Caroline Fiat.
Mme
Caroline Fiat. Je suis désolée, monsieur le président, pour mon coup de
colère de tout à l’heure. C’est compliqué…
M. le
président. Aucun problème, madame Fiat. Nous vous écoutons avec
attention.
Mme
Caroline Fiat. Merci, monsieur le président.
Vous l’avez dit
vous-même, monsieur le rapporteur, le régime de retraite de la Comédie-Française
concerne moins de 500 personnes, et ces 500 personnes participent au
rayonnement du patrimoine culturel français dans le monde.
Si je défends
ce régime, ce n’est pas forcément pour les comédiens, qui continuent de jouer
vieux, mais c’est vraiment pour les techniciens et les costumières dont on m’a
parlé, qui refont des ourlets derrière la scène, dans le noir. C’est pour toutes
ces personnes qui bénéficient d’une petite compensation, d’un petit remerciement
pour leur contribution au rayonnement de la culture française au-delà de nos
frontières, qui fait notre fierté. Elles démontent des décors quatre fois par
jour, elles font des ourlets dans le noir, elles maquillent les comédiens dans
des conditions parfois très périlleuses pour que perdure ce savoir-faire
français. Cela vaut vraiment le coup de maintenir ce régime !
(M. Ugo Bernalicis applaudit.)
M. le
président. La parole est à M. Frédéric Petit.
M. Frédéric
Petit. Ne vous trompez pas, madame Fiat : nous aimons aussi
beaucoup la culture et sommes très attentifs à tous ces sujets.
Pour
essayer de faire avancer les débats, j’aimerais renverser le problème des
régimes spéciaux. Comment réagirions-nous si une profession assez récente, qui
fait rayonner la France à travers le monde et dont la démographie est
actuellement extrêmement favorable, venait nous demander aujourd’hui un régime
spécial ? Je pense au rugby professionnel,…
M. Alain
Perea. Excellent exemple !
M. Frédéric
Petit. …dont nous convenons tous qu’il a aujourd’hui une démographie
extrêmement positive et qu’il fait rayonner la France – et encore plus,
j’espère, dans quelques années.
M. Alain
Perea. Nous sommes d’accord !
M. Frédéric
Petit. Imaginez donc que les représentants du rugby professionnel
viennent devant la représentation nationale et arguent du fait que leur
profession compte beaucoup de jeunes et peu de retraités pour demander un régime
spécial, d’autant qu’ils exercent un métier difficile et risqué. Comment
réagirions-nous ? (Applaudissements sur quelques bancs du groupe
LaREM.)
M. Ugo
Bernalicis. Eh bien nous, nous ne réagirions pas comme vous…
M. le
président. Je mets aux voix les amendements no 18763 et
identiques.
(Il est procédé au scrutin.)
M. le
président. Voici le résultat du
scrutin :
Nombre de
votants 52
Nombre
de suffrages
exprimés 50
Majorité
absolue 26
Pour
l’adoption 8
Contre 42
(Les amendements no 18763 et
identiques ne sont pas adoptés.)
M. le
président. La parole est à M. Guillaume Gouffier-Cha, rapporteur
général de la commission spéciale, pour soutenir l’amendement
no 30266.
M.
Guillaume Gouffier-Cha, rapporteur général de la commission
spéciale. Par cet amendement, nous voulons parachever l’universalité du
nouveau système de retraite en y intégrant les sociétaires de la
Comédie-Française, qui sont laissés de côté par la rédaction actuelle du projet
de loi, comme le Conseil d’État l’a lui-même remarqué.
Le talent,
l’engagement et l’héritage historique porté par les sociétaires de la
Comédie-Française sont reconnus par toutes et tous. Ici même, les uns et les
autres, vous avez loué les talents de l’ensemble des personnels travaillant à la
Comédie-Française, qu’il s’agisse des costumières, des agents qui travaillent à
Sarcelles dans les ateliers des décors ou des techniciens parisiens. Néanmoins,
la couverture de l’ensemble des assurés, quels que soient leur statut, leur
métier et leur fonction, est au fondement de l’engagement pris par le Président
de la République en 2017 et défendu par la majorité devant les Français.
Aussi, il faut intégrer les quarante sociétaires de la Comédie-Française dans le
système universel de retraite. Je m’en remets d’ailleurs à la devise de cette
institution : « simul et singulis », « être ensemble et
rester soi-même ». C’est précisément le sens de cette intégration dans le
système universel. (Applaudissements sur plusieurs bancs des groupes LaREM et
MODEM.)
M. le
président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. Laurent
Pietraszewski, secrétaire d’État. Si l’on veut permettre à la
Comédie-Française de rester elle-même, il faut lui donner un petit peu de temps.
Je vais m’en expliquer.
La pension statutaire des sociétaires ne
ressemble à aucun type de retraite que nous avons examiné aujourd’hui. C’est, en
fait, une indemnité de départ pour les sociétaires, qui ne sont pas salariés et
n’ont d’ailleurs pas droit au chômage. Qu’il n’y ait pas d’ambiguïté dans mon
propos : le Gouvernement est favorable à l’affiliation des sociétaires au
système universel. Cependant, pour permettre le renouvellement de la troupe, il
faut continuer à couvrir les départs avant que n’intervienne l’âge de la
retraite.
Je vous propose de nous laisser un peu de temps pour une
expertise approfondie, nécessaire à la définition d’un nouveau dispositif adapté
à la situation des sociétaires, et en concertation avec eux. En conséquence,
monsieur le rapporteur général, je vous demande de bien vouloir retirer votre
amendement pour laisser le temps nécessaire à cette concertation avec les
sociétaires de la Comédie-Française. Je prends devant vous l’engagement de
déposer un amendement au Sénat, lorsque le texte y sera discuté, afin de traiter
ce sujet dans l’esprit qui est celui de votre amendement. À défaut, je donnerai
à ce dernier un avis défavorable afin que la concertation qui a débuté à la
Comédie-Française puisse s’achever dans de bonnes conditions.
M. le
président. La parole est à M. le rapporteur général.
M.
Guillaume Gouffier-Cha, rapporteur général. Merci, monsieur le
secrétaire d’État, pour votre réponse. Nous en avons parlé, et vous savez que je
suis attaché au fait que les sociétaires de la Comédie-Française intègrent le
régime universel, pour des raisons tenant non seulement au caractère universel
du système que nous mettons en place, mais aussi à l’unité de la
Comédie-Française elle-même. Dans cette institution, en effet, il n’y a pas que
les sociétaires : il ne faut pas oublier l’ensemble des agents qui y
travaillent. Tous forment une même maison et, je le répète, il est important de
maintenir cette unité.
Cependant, j’entends que des discussions sont en
cours et qu’il faut prendre quelques semaines de plus pour qu’elles aboutissent.
Je pense que nous pouvons laisser ce temps à cette magnifique institution, qui
fait la fierté de notre pays bien au-delà de ses frontières. Au vu de votre
engagement de déposer vous-même un amendement au Sénat, j’accepte de retirer le
mien.
(L’amendement no 30266 est retiré.)
M. le
président. Sur les amendements no 18780 et identiques,
je suis saisi par le groupe La France insoumise d’une demande de scrutin
public.
Le scrutin est annoncé dans l’enceinte de l’Assemblée
nationale.
La parole est à Mme Caroline Fiat, pour soutenir
l’amendement no 18780 et les seize amendements identiques du groupe
La France insoumise.
Mme
Caroline Fiat. Ces amendements tendent à maintenir aux ouvriers des
établissements industriels de l’État le bénéfice de leur régime spécial, comme
nous le faisons depuis cet après-midi pour chacune des catégories concernées. Je
ne vais pas faire à chaque fois l’historique du régime en cause, mais si on a
institué un régime spécial c’est bien qu’il y avait des raisons de le
faire.
M. Petit m’a cité tout à l’heure l’exemple des rugbymen.
Sans revenir sur nos discussions du début de la semaine dernière
car je sens que vous allez me dire que vous préférez avancer dans l’examen du
texte, je vous rappelle que nous avons déjà eu ce débat sur les sportifs de haut
niveau.
M. Frédéric
Petit. Je prenais l’exemple d’une profession qui n’a pas vingt
ans !
Mme
Caroline Fiat. Je veux bien qu’on reprenne ce débat, monsieur Petit,
mais vous allez m’accuser de faire de l’obstruction !
M. le
président. La parole est à M. Jean-Paul Dufrègne, pour soutenir les
amendements no 26756 et identiques.
M.
Jean-Paul Dufrègne. Ces amendements visent à préserver le Fonds spécial
des pensions des ouvriers des établissements industriels de l’État.
Les
personnels du ministère des armées, de celui de la transition écologique et
solidaire et de ses établissements publics, de celui des finances et de celui de
l’intérieur qui relèvent de ce statut s’inquiètent des menaces particulièrement
graves que votre projet de réforme fait peser sur le niveau de leurs pensions et
les conditions de départ des futurs retraités – calcul de la pension sur la
base des salaires perçus tout au long de la carrière, augmentation des taux des
cotisations salariales retraite de 11,10 % à 11,25 %, remise en cause
du dispositif de départ anticipé dans le cadre des travaux
insalubres.
L’intégration annoncée du régime indemnitaire dans l’assiette
de cotisation ne constitue pas à leurs yeux une compensation suffisante. En
effet les corps d’ouvriers de l’État ne sont pas tous soumis à un régime
indemnitaire identique. Par ailleurs la majeure partie de leur régime
indemnitaire et leurs heures supplémentaires sont déjà soumises à
cotisation.
Pour eux, le risque que votre réforme accentue leur précarité
est avéré. C’est pourquoi nous demandons le maintien de leur régime de
retraite.
M. le
président. Quel est l’avis de la commission ?
M. Nicolas
Turquois, rapporteur de la commission spéciale. Je n’ai pas tout
à fait compris, madame Fiat, pour quelle raison vous évoquiez le cas des
sportifs de haut niveau à propos des ouvriers d’État, à moins que vous ne
vouliez ainsi faire référence aux conditions d’examen de ce texte, qui
s’apparente à un marathon couru avec des rangers au pied – au moins !
Mme
Caroline Fiat. Je répondais à M. Petit !
M. Nicolas
Turquois, rapporteur. Je n’ai pas tout suivi,
excusez-moi !
S’agissant de l’importance des ouvriers d’État, je ne
peux que partager votre analyse, monsieur Dufrègne – j’ai même découvert
certains des métiers exercés par cette catégorie d’agents très
particuliers – mais c’est toujours la même logique démographique qui
s’impose : ce régime, c’est 24 000 cotisants pour
100 000 pensionnés environ. Ces 24 000 cotisants
dépendent essentiellement du ministère des armées, travaillant notamment dans
les arsenaux, mais pas uniquement. Si cette catégorie mérite une attention
particulière, là encore la démographie de ce régime nous impose de prévoir son
intégration, dans le respect de ses spécificités. L’avis est donc
défavorable.
M. le
président. La parole est à M. Jean-René Cazeneuve.
M.
Jean-René Cazeneuve. Nous ne souhaitons évidemment stigmatiser personne,
bien au contraire. On peut parfaitement comprendre qu’il y a un siècle voire un
peu plus, il y ait eu de bonnes raisons d’instituer chacun de ces régimes
spécifiques. Je sais aussi qu’un certain nombre de ces collaborateurs, dont les
compétences sont incontestables, souffrent de l’image qui est la leur…
M. Ugo
Bernalicis. Ouvrier, ce n’est pas un gros mot, vous savez !
M.
Jean-René Cazeneuve. Ce ne sont pas toujours des ouvriers. Ils peuvent
aussi être experts, ingénieurs, comédiens. Ils souffrent de l’image, parfois
fantasmée, que ces régimes leur valent parfois. L’intégration dans le régime
universel permettra de couper court à tous ces fantasmes. C’est le premier
bénéfice.
Deuxième bénéfice, nous avons prévu, de façon extrêmement
respectueuse, une phase de transition extrêmement longue, qui sera vue avec les
organisations syndicales de chacun de ces métiers. Cette phase leur apportera,
j’en suis certain, toutes les garanties.
Troisième bénéfice de cette
intégration, elle permettra de pérenniser les retraites servies par ces régimes
structurellement déficitaires.
Je voudrais enfin souligner l’ironie qu’il
y a à défendre systématiquement les régimes spéciaux – ainsi, celui de la Banque
de France est aujourd’hui un régime par capitalisation ! C’est toute la
beauté du système universel que de réunir tous les Français au sein d’un système
plus simple, plus juste et plus social.(Applaudissements sur les bancs du
groupe LaREM.)
M. le
président. La parole est à M. Ugo Bernalicis.
M. Ugo
Bernalicis. Je voudrais d’abord vous préciser, monsieur le rapporteur,
afin que vous puissiez suivre nos débats, que lorsque ma collègue Caroline Fiat
défendait le régime spécial de la Comédie-française, M. Petit lui avait
demandé pourquoi on ne créerait pas aussi un régime spécial pour les rugbymen
professionnels.
S’agissant des ouvriers d’État, collègue, vous avez parlé
de « collaborateurs ». Ce sont des ouvriers ! Et ce statut, que
vous niez, est pour eux toutes et tous une fierté. Il s’agit en effet de
travailleurs doués de compétences tant manuelles qu’intellectuelles extrêmement
poussées.
La démographie de ce régime n’est évidemment pas favorable
puisque cela fait des années que l’État n’ouvre plus de concours ! On a tué
ce corps et on vient nous dire ensuite que la démographie de son régime n’est
pas favorable ! Il ne tient qu’à vous de recruter, et d’assurer ainsi une
démographie irréprochable permettant aux actifs d’être en nombre suffisant pour
financer les pensions des retraités et à cette caisse de ne plus être
déficitaire.
Cet exemple illustre le fait que le déficit de ces régimes
est souvent dû à une volonté politique, et non pas à la démographie en soi.
Faites donc attention, monsieur le rapporteur, que les arguments que vous
avancez ne se retournent pas contre vous.
Quant à la spécificité de leur
régime, nous l’avons dit à maintes reprises : nous assumons une part de
solidarité nationale et les régimes spéciaux en font partie. Vous, vous
n’assumez qu’une idéologie dogmatique selon laquelle tout le monde devrait
relever par principe du même régime, en dépit de la réalité. Nous ne pourrons
jamais accepter ce dogmatisme, qui n’est pas justifié par le moindre argument.
(Exclamations sur les bancs du groupe LaREM.)
Mme
Brigitte Bourguignon, présidente de la commission spéciale. Il
vaut mieux en rire !
M. le
président. La parole est à M. Régis Juanico.
M. Régis
Juanico. Derrière chaque régime spécial, il y a une histoire. Chacun est
le produit d’une histoire sociale, du mouvement ouvrier. Les ouvriers d’État,
cela compte, dans notre pays. Ils sont les héritiers de la manufacture d’armes
de Saint-Étienne qui comptait à la fin du XIXe siècle
10 000 ouvriers et 9 000 machines, et a fourni à la France
les armes qui lui ont permis de se défendre. Je pense notamment au fusil
d’assaut de la Manufacture d’armes de Saint-Etienne, le fameux FAMAS, dont
certains ici ont peut-être eu l’occasion d’apprendre le maniement au cours de
leur service militaire.
M.
Guillaume Garot. Tout à fait !
M. Régis
Juanico. Ces ouvriers d’État, disposant de compétences techniques et de
savoir-faire extrêmement pointus, travaillaient dans le cadre d’une industrie
bien particulière, celle de l’armement, terrestre en particulier. Elle a de
beaux restes : je pense notamment à Nexter, qui a succédé à Giat Industries
et dont l’établissement de Roanne reconditionne les véhicules blindés et a
produit beaucoup des chars Leclerc qui permettent aux militaires français de
défendre les valeurs de la France aux quatre coins du monde. (Brouhaha sur
les bancs des groupes LaREM et MODEM.)
M. le
président. S’il vous plaît, chers collègues ! Ne soyez pas si
dissipés !
M. Régis
Juanico. C’est aussi une histoire dramatique, faite de reconversions et
de réindustrialisation. La baisse des commandes d’armement terrestre dans les
années 1990 et 2000 s’est en effet traduite par de nombreuses
restructurations et beaucoup d’entre eux ont dû se reconvertir dans d’autres
métiers. Nous leur devons le respect et il faut leur dire toute notre
reconnaissance au nom de l’histoire de notre pays.
M. Jean-Paul
Dufrègne et M. Stéphane Peu. Très bien !
M. le
président. La parole est à M. Jimmy Pahun.
M. Jimmy
Pahun. Il ne faut pas, monsieur Bernalicis, dresser un portrait aussi
noir de nos ouvriers, de nos savoir-faire, de nos compétences et de l’excellence
de la manufacture française, dans le verre, la haute couture, etc. Nos ouvriers
travaillent très bien et leurs savoir-faire s’exportent, constituant notre plus
grande richesse. Tout ce qui se crée actuellement dans le domaine de
l’apprentissage est la preuve que ces métiers ont un avenir.
S’agissant
de l’armement industriel, je connais bien Naval Group, dont le site de Lorient
est en face de chez moi : ils ont du boulot pour une quinzaine
d’années ! Ces métiers ont su évoluer, comme M. Petit le dit souvent.
Il fut un temps où on blaguait beaucoup chez nous des ouvriers de l’arsenal, et
de façon pas toujours très sympathique, alors que leurs savoir-faire sont
désormais reconnus et nourrissent la création d’entreprises.
M. le
président. Je mets aux voix les amendements no 18780 et
identiques.
(Il est procédé au scrutin.)
M. le
président. Voici le résultat du
scrutin :
Nombre de
votants 62
Nombre
de suffrages
exprimés 58
Majorité
absolue 30
Pour
l’adoption 9
Contre 49
(Les amendements no 18780 et
identiques ne sont pas adoptés.)
M. le
président. Je suis saisi d’une nouvelle série d’amendements identiques,
comprenant l’amendement no 1499, l’amendement no 18797 et
seize amendements identiques déposés par le groupe La France insoumise, et enfin
l’amendement no 25184, l’amendement no 26841 et quinze
amendements identiques déposés par le groupe de la Gauche démocrate et
républicaine.
Sur ces amendements identiques, je suis saisi par le groupe
La France insoumise d’une demande de scrutin public.
Le scrutin est
annoncé dans l’enceinte de l’Assemblée nationale.
La parole est à
M. Patrick Hetzel, pour soutenir l’amendement no 1499.
M. Patrick
Hetzel. Cet amendement de notre collègue Bazin, que nous sommes
quelques-uns à avoir cosigné, tend à supprimer l’alinéa relatif aux travailleurs
des mines. Il ne s’agit nullement de revenir en arrière, mais le régime minier
est déjà en extinction depuis septembre 2010 et tous les salariés embauchés
depuis cette date sont affiliés au régime général. Le régime compte actuellement
moins de 1 400 actifs et les derniers mineurs partiront à la retraite
à l’horizon 2040, soit trois ans après la date butoir fixé par le projet de loi
à janvier 2037.
La suppression de cet alinéa permettrait à ces
personnes de finir leur carrière dans les conditions qui étaient en vigueur lors
de leur embauche. Elle permettrait aussi de faire l’économie des coûts de
transaction et de gestion que suppose tout passage à un nouveau régime, pour des
mesures de transition qui ne seraient valables que pendant trois ans. La Caisse
des dépôts et consignations qui gère aujourd’hui ce régime le fait très bien.
Laissons-le donc s’éteindre de lui-même. L’intégrer de toute force au sein du
régime général serait du pur dogmatisme, alors que la question sera de
toute façon réglée en 2040, soit trois ans seulement après la date
prévue.
M. le
président. La parole est à Mme Caroline Fiat, pour soutenir les
amendements no 18797 et identiques.
Mme
Caroline Fiat. Rendons à César ce qui est à César : l’amendement de
notre collègue Thibault Bazin est très bien écrit. Il est vrai qu’il sait de
quoi il parle, les dernières mines, les salines de Varangéville, se trouvant sur
le territoire de sa circonscription.
Comme il l’explique très bien, ce
régime est en extinction depuis 2010 et s’éteindra en 2040, soit trois
ans après la date butoir de 2037. Dès lors, est-il vraiment utile de tout
remettre à plat pour trois années et 1 400 actifs ?
Ce
dossier inquiète nos concitoyens de Meurthe-et-Moselle, département où vivent
des retraités de la mine et où des mineurs travaillent encore dans les salines
de Varangéville, dans la circonscription de Thibault Bazin. Ne pouvez-vous pas
faire un geste, monsieur le secrétaire d’État, sachant qu’il n’y aura que trois
années à couvrir et que seules 1 400 personnes sont concernées ?
Faut-il vraiment créer une usine à gaz pour seulement trois ans ?
(Applaudissements sur les bancs des groupes FI et LT.)
M. le
président. La parole est à M. Régis Juanico, pour soutenir
l’amendement no 25184.
M. Régis
Juanico. Je ne voudrais pas donner l’impression de me répéter au sujet
du régime spécial des mineurs de fond… Les derniers puits ont fermé en
1983-1984, suivis des mines d’ardoise plus récemment, et il reste des mineurs de
sel en Meurthe-et-Moselle. Ce régime spécial, créé en 1946, est le fruit de
notre histoire et de celles des mineurs auxquels nous devons le respect. Il
n’est pas question de supprimer du jour au lendemain un régime qui compte
1 400 actifs et 240 000 bénéficiaires, des anciens mineurs
– souvent dans un état de santé dégradé, touchés par la silicose, la
sidérose, les maladies cardiovasculaires – ou leurs veuves, qui touchent
des pensions extrêmement faibles et vivent souvent dans la précarité.
Il
y a quelques années, M. Xavier Bertrand, alors ministre de la santé, a
tenté de mettre fin au régime spécial de sécurité sociale et de gratuité des
soins des mineurs. Les élus des bassins miniers s’y sont unanimement opposés,
quel que soit leur bord, et ont obtenu que le régime soit maintenu jusqu’au
dernier ayant droit. Faisons de même et maintenons ce régime jusqu’au dernier
bénéficiaire, au dernier mineur et à la dernière veuve de mineur. Laissons-le
tranquille, avec ses 1 400 actifs ! Il serait très malvenu que
l’État reprenne le milliard d’euros que ce régime coûte prétendument à la
solidarité nationale, alors que nous devons aux mineurs d’avoir reconstruit la
France après la guerre et d’en avoir fait un pays de liberté et de relative
prospérité. C’est une réparation que nous leur devons. sur les bancs du
groupe GDR.)
M. le
président. La parole est à M. Alain Bruneel, pour soutenir
l’amendement no 26841 et les quinze amendements identiques
déposés par les membres du groupe de la Gauche démocrate et républicaine.
M. Alain
Bruneel. Ils visent à défendre le régime spécial des mineurs. Bien qu’un
tel régime puisse paraître anachronique, 130 000 retraités y sont
toujours affiliés, ce qui en fait le troisième régime spécial de France en
termes de retraités. Ce régime reste emblématique et central dans certaines
régions, notamment dans le Nord – tout plus particulièrement dans ma
circonscription de Douai et du bassin minier de Lens –, en Lorraine et dans
les Pays de la Loire. Il permet aux mineurs de toucher une retraite dès
50 ans. Jamais un gouvernement n’a supprimé un tel régime spécial, dont les
affiliés ont souvent payé de leur vie leur travail au fond des puits.
Le
régime des mineurs coûte environ 1 milliard d’euros à l’État, non pas parce
que les mineurs profitent de conditions de départ avantageuses, mais parce qu’il
reste 1 400 ou 1 500 actifs pour près de
130 000 retraités affiliés à la caisse. Le basculement dans le système
universel ne changera pas la donne, puisqu’il faudra continuer de compenser ce
déséquilibre. Mais, en intégrant ces retraités dans le régime universel, vous
risquez de désorganiser la Caisse autonome nationale de la sécurité sociale dans
les mines. Au-delà des pensions, celle-ci gère également une offre de soins
complète et gratuite, avec notamment des maisons de soins pour ses affiliés, qui
sont essentiellement des veuves de mineurs.
En agissant à la hâte, alors
qu’elle est en extinction, vous désorganiserez le fonctionnement de cette caisse
qui restera quoi qu’il en soit déficitaire. Nous souhaitons qu’elle soit exclue
du dispositif, pour la laisser s’éteindre naturellement dans les années à venir.
(Applaudissements sur les bancs des groupes GDR et SOC.)
M. le
président. Quel est l’avis de la commission ?
M. Nicolas
Turquois, rapporteur. J’entends l’argument selon lequel les
derniers mineurs actifs cotiseront à cette caisse pendant trois ans après 2037,
et que le nombre de cotisants – 1 400 – est faible au regard
des quelque 200 000 pensionnés. Néanmoins, l’intégration de cette
caisse au régime universel est prévue à partir de 2025 : les cotisants le
rejoindront donc progressivement à compter de cette date, comme tous les autres
actifs de France. Ce sujet est emblématique de notre réforme. Si nous n’avons
presque plus de mineurs, c’est parce que les métiers ont évolué : en
matière d’emploi, ce qui était vrai hier ne l’est plus forcément aujourd’hui, et
ce qui l’est aujourd’hui ne le sera pas nécessairement demain. Le sens de notre
réforme est justement que l’ensemble des actifs de demain, tous métiers
confondus, paient pour les retraités de demain. Il est symbolique que les
mineurs y participent, même de façon très marginale, comme un signe de
transmission et d’intégration à la nation. Avis défavorable.
M. Patrick
Hetzel. C’est du dogmatisme !
M. le
président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. Laurent
Pietraszewski, secrétaire d’État. J’entends vos arguments :
est-il nécessaire de demander aux 1 400 cotisants restants d’intégrer
le système universel de retraite ? Je partage la volonté d’universalité
avancée par M. le rapporteur : il n’y a pas lieu d’exclure certaines
populations du futur régime au motif qu’elles sont trop peu nombreuses.
L’adhésion n’est pas fonction du volume d’adhérents. Nous faisons tous partie de
la collectivité nationale ; à ce titre, nous proposons à la représentation
nationale un système universel de retraite dont la clé d’entrée n’est pas le
poids que pèsent les uns et les autres, mais notre qualité commune à faire
République – car c’est bien ce qui nous mobilise profondément.
M. Patrick
Hetzel. Ce régime est déjà en extinction ! Je ne comprends
pas !
M. Laurent
Pietraszewski, secrétaire d’État. Ne croyez pas, monsieur
Bruneel, que nous remettions en cause les conditions et les pensions dont
bénéficient les 130 000 retraités de cette caisse. Il n’en est rien.
Les dispositifs auxquels ont accès les retraités actuels ne changeront
pas.
Rappelons aussi que pour l’ensemble des régimes – y compris
celui des mines –, les actifs qui sont à moins de dix-sept ans de la
retraite continueront de cotiser dans leur système actuel, et verront leur
pension de retraite liquidée selon les règles actuelles. Le Gouvernement est
clair : les mineurs qui liquideront leur retraite dans plus de dix-sept ans
cotiseront dans le système universel à compter de 2025 – à ce titre,
nous ferons République tous ensemble. Pour les raisons que nous avons déjà
évoquées, ceux qui prendront leur retraite dans moins de dix-sept ans
continueront de cotiser auprès du régime actuel des mines, et verront leur
pension liquidée selon les dispositions actuelles de ce régime. Pour les
retraités actuels, rien ne changera : ils continueront de percevoir leur
retraite dans les mêmes conditions qu’aujourd’hui.
Je vous demanderai
donc de retirer vos amendements. Si vos inquiétudes portaient sur les retraités
actuels, elles n’ont pas lieu d’être. Si elles portaient sur les mineurs qui
liquideront leur retraite dans quelques années, je viens de les lever. Enfin,
les mineurs qui sont à plus de dix-sept ans de la retraite suivront un chemin de
convergence, comme tous les Français, et intégreront progressivement le système
universel. Encore une fois, l’enjeu ne tient pas au nombre de personnes
concernées, mais à notre capacité à faire société et à être égaux devant la
retraite. À défaut du retrait des amendements, mon avis sera
défavorable.
M. le
président. La parole est à Mme Marie-Christine Dalloz.
Mme
Marie-Christine Dalloz. Thibault Bazin, auteur de cet amendement, a été
constamment présent dans l’hémicycle depuis qu’a débuté l’examen du texte, mais
a malheureusement dû regagner sa circonscription. Il est d’autant plus sensible
à la retraite des mineurs que les dernières mines de sel exploitées en France se
trouvent dans son territoire de Meurthe-et-Moselle. Le régime des mineurs compte
encore 1 400 actifs, mais ils n’y cotisent plus : depuis 2010,
ils ont intégré le régime général. Restent donc les 137 000 retraités
– nos chiffres diffèrent à cet égard, puisqu’ils sont
200 000 selon le rapporteur et 130 000 selon M. le
secrétaire d’État. Pour ma part, mes documents font état de
137 000 ressortissants de la Caisse autonome nationale de la sécurité
sociale dans les mines.
M. Régis
Juanico. Non !
Mme
Marie-Christine Dalloz. Vouloir impérativement intégrer ces
137 000 personnes dans le système à points universel relève d’une
vision dogmatique dont vous venez de donner une illustration, monsieur le
secrétaire d’État : tous ensemble, et que rien ne dépasse !
Ma
question est simple : combien coûtera le basculement de cette caisse vers
le nouveau régime ? Comme l’a rappelé M. Cazeneuve, la période de
transition sera extrêmement longue, jusqu’en 2037, alors que ce régime est
promis à une extinction en 2040. Y a-t-il vraiment un intérêt à le remettre
en cause pour trois années ? Tous derrière et lui devant : voilà votre
vision, pour citer le poète ! Votre dispositif ne peut-il tolérer aucune
exception ni entorse à la règle ? S’il est une particularité à prendre en
considération, c’est bien celle des travailleurs des mines. Je ne comprendrais
pas que vous créiez un surcoût en transposant ce régime, alors qu’il s’éteindra
en 2040. En 2010, nous avions fait preuve de courage en inscrivant son
extinction progressive dans la loi de réforme des retraites ; mais pour
trois années, est-il nécessaire de revenir sur cette mesure ?
(Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe LR.)
M. le
président. La parole est à Mme Nadia Essayan.
Mme Nadia
Essayan. Nous sommes en train de décortiquer un par un les régimes
spéciaux, et c’est bien la preuve qu’ils n’ont plus aucune lisibilité :
mineurs, employés du port autonome de Strasbourg, personnes qui organisent le
culte israélite, notaires, personnel artistique… Le système n’a plus aucun sens,
et contribue à nous diviser plutôt qu’à nous réunir. Je m’étonne que ce soit
vous, les communistes, en particulier, qui défendiez un système dans lequel les
individus sont séparés les uns des autres, et que vous ne misiez pas sur une
solidarité réelle pour que nous nous soutenions mutuellement, plutôt que de
laisser chacun faire son petit bazar de son côté ! (Protestations sur
les bancs du groupe GDR.)
M. Stéphane
Peu. Le petit bazar des mineurs, vraiment ?
M.
Jean-Paul Dufrègne. Le régime des mineurs, ce n’est pas un petit
bazar ! Ils apprécieront !
Mme Nadia
Essayan. Que la droite défende une telle logique, ce n’est guère
étonnant : elle fixe un minimum commun et laisse chacun se débrouiller pour
le reste. Mais vous, communistes, comment pouvez-vous en faire autant ?
Quant à La France insoumise, nous ne savons trop ce qu’elle veut, sinon détruire
les institutions – j’avoue ne jamais avoir compris le modèle de société
qu’elle défendait.
Mme
Caroline Fiat. Monsieur le président, est-il question de
l’amendement ?
Mme Nadia
Essayan. Mais de la part des communistes, je ne comprends pas !
Vous cherchez à nous diviser et à nous dépeindre comme des méchants qui se
moquent des plus petits et des plus fragiles, alors que c’est justement pour les
protéger que nous créons un nouveau système !
Vous nous jugez
dogmatiques, mais absolument pas ! D’ailleurs, la pénibilité sera
pleinement prise en considération dans notre système.
Mme Laurence
Dumont. Vous l’avez démolie, la prise en compte de la
pénibilité !
Mme Nadia
Essayan. Les plus fragiles seront protégés. Demain, le système sera plus
juste, plus solidaire et plus lisible.
M. Alain
Bruneel. Personne ne croit à vos promesses !
Mme Nadia
Essayan. Oui, il y aura une phase de transition ; oui, il faudra
faire des adaptations. Nous les mènerons à bien et ferons en sorte que les
règles du jeu ne changent pas en cours de route. Je ne comprends pas vraiment où
vous allez, mais nous déploierons notre projet, et il sera bon !
M. Patrick
Hetzel. C’est une vision manichéenne !
M.
Jean-Paul Dufrègne. Curieux, il n’y a pas d’applaudissements…
M. Guillaume Garot.
Et pourtant, c’est leur projet !
M. le
président. Chers collègues, j’ai eu cet après-midi plusieurs remarques
concernant le fait que les orateurs ne doivent pas être interpellés pendant
qu’ils parlent. Tout le monde l’a fait à un moment ou à un autre ; nous
allons donc tous rechercher à assurer une bonne tenue de nos débats, ne
serait-ce que par respect pour l’orateur.
M.
Jean-Paul Dufrègne. C’est le petit bazar qui n’est pas passé…
M. le
président. La parole est à M. Alain Perea.
M. Alain
Perea. J’ai écouté toute la journée les arguments des uns et des autres,
notamment au sujet des régimes spéciaux. Il n’y a pas de mineurs dans ma région,
mais je crois que nous serons tous d’accord pour dire que ce métier a été l’un
des plus durs que l’humanité ait connus, et qu’il l’est toujours pour ceux qui
l’exercent encore.
J’ai également entendu que les régimes spéciaux
étaient un héritage, le produit d’une histoire et d’une culture. À ce propos, je
voudrais avancer trois éléments. Premièrement, les jeunes que je rencontre sont
épris de carrières qui leur offrent une grande liberté. Ils veulent pouvoir
travailler cinq ans à un endroit, partir deux ans en voyage, revenir trois ans,
changer de métier, se former. (Mme Marie-Christine Dalloz
proteste.) Or ces régimes spéciaux les rendent prisonniers du métier qu’ils
ont commencé à exercer.
Deuxièmement, ce qui m’a vraiment choqué, c’est
d’entendre dire que la retraite est un élément important dans le choix d’un
métier par les jeunes. Pendant quinze ans, j’ai formé des jeunes à passer des
entretiens d’embauche ; ils m’ont posé beaucoup de questions, mais jamais
aucun ne m’a demandé quelle serait sa retraite ou quel serait son système de
retraite. Vous pouvez ouvrir tous les ouvrages qui traitent des entretiens
d’embauche : aucun ne mentionne ces questions.
(Mme Cendra Motin et M. Julien
Borowczyk applaudissent. – M. Patrick
Hetzel proteste.) Mettez-vous à la place d’un employeur qui cherche à
embaucher un jeune de 20 ans et l’entend poser la question de son futur
système de retraite : est-ce que ce serait pour vous un critère de
recrutement ? J’ai entendu cet après-midi que les jeunes cadres de la SNCF
y seraient entrés pour bénéficier d’un régime de retraite avantageux ; je
trouve ces considérations insultantes pour eux.
Troisièmement, j’en viens
aux mineurs. Il y a quelques décennies, on ne savait pas soigner un certain
nombre de maladies liées à ce métier. Comme il fallait tout de même, si je puis
dire, envoyer des gens au charbon,…
Mme
Marie-Christine Dalloz. Et dans les mines de fer !
M. Alain
Perea. …on leur proposait de partir tôt en retraite pour compenser en
quelque sorte leur exposition à ces maladies. Mais aujourd’hui, compte tenu des
efforts faits en matière de bien-être, de santé, comment peut-on continuer à
dire aux gens qu’on les envoie à tel endroit et qu’en contrepartie ils partiront
plus jeunes ?
M. le
président. Merci, cher collègue.
M. Alain
Perea. Ce que nous proposons, c’est qu’ils puissent se former, changer
de métier. En faisant ce que vous faites, vous êtes les gardiens des progrès du
passé, c’est-à-dire de la régression sociale ! (Applaudissements sur les
bancs du groupe LaREM ainsi que sur quelques bancs du groupe MODEM.
– Exclamations sur les bancs du groupe LR.)
M. le
président. La parole est à M. Régis Juanico.
M. Régis
Juanico. J’aimerais demander un peu de respect pour l’histoire des
conquêtes sociales dans ce pays, et en particulier pour la contribution décisive
des mineurs de fond à ce patrimoine. (Approbation sur divers bancs.)
En 1886, grève à Decazeville ; 1er mai 1891,
Fourmies ; 1892, Carmaux. Ce sont les mineurs de fond dont les luttes
sociales, les grèves, nous ont permis d’interdire le travail des enfants, de
limiter la journée de travail à huit heures, de construire la mutualité,
c’est-à-dire tout le système de la sécurité sociale avant la lettre, qui
provenait des caisses de mineurs. Après la deuxième guerre mondiale,
en 1946, un pacte social a été signé entre la nation et les mineurs de
fond. C’est pourquoi je n’accepte pas le terme de « petit bazar ».
Nous devons le respect, et un droit à réparation, à cette corporation.
(Applaudissements sur les bancs des groupes LR, SOC, FI et GDR.)
M. Patrick
Hetzel. Très bien !
M. Régis
Juanico. Le régime de sécurité sociale des mines couvre les accidents du
travail, les soins et les retraites. Il compte 100 000 affiliés et
240 000 bénéficiaires de pensions. Encore une fois, ces derniers sont
d’anciens mineurs, qui reçoivent très peu, et des veuves de mineurs, souvent
dans la précarité. Après 1946 a été construit un système de gratuité des
soins, comprenant des pharmacies, des médecins, des hôpitaux, qui était tout
simplement la contrepartie de la pénibilité du travail au fond des puits et de
la mortalité. Il ne s’agissait pas seulement des coups de grisou, mais de la
silicose, de la sidérose, des maladies cardiovasculaires. Laissons donc ce
régime aller jusqu’à son terme ; n’en rajoutons pas. Je vous le dis :
vous ne supprimerez pas le régime spécial des mines, et vous continuerez, par la
solidarité nationale, à lui verser 1 milliard d’euros par an. C’est
évident ! (Mêmes mouvements.)
M.
Guillaume Garot. Très bien ! Belle leçon d’histoire !
M. Patrick
Hetzel. Sinon, c’est franchement du dogmatisme !
M. le
président. La parole est à Mme Caroline Fiat.
Mme
Caroline Fiat. J’aurais volontiers répondu à mes collègues du MODEM et
de La République en marche, mais on sait nous rappeler à l’ordre dès que nous
nous écartons un peu des amendements.
Un député du groupe
LaREM. Vous plaisantez ?
Mme
Caroline Fiat. Absolument pas. Je vais donc parler des mines. Thibault
Bazin a très bien résumé la situation (M. Maxime Minot
applaudit) dans l’exposé sommaire de son amendement : « On compte
moins de 1 400 actifs aujourd’hui, et les derniers mineurs partiront
en retraite à l’horizon 2040, soit trois ans après la date butoir de janvier
2037 prévue dans ce projet de loi. » Vous êtes donc en train de créer un
régime, auquel les gens vont perdre, pour trois années et très peu de personnes,
puisque tous les actifs embauchés depuis septembre 2010 l’ont été au régime
général. Je ne comprends pas votre obstination à faire de la paperasse, à mettre
dans les administrations un bazar sans nom – pour trois années !
M.
Jean-Paul Dufrègne. C’est le progrès ! Ils explorent l’avenir, ce
sont des visionnaires !
Mme
Caroline Fiat. Vous nous répétez sans cesse qu’il faut penser à tout le
monde : pensez donc aux agents des caisses de retraite qui vont devoir
gérer votre usine à gaz, se former, modifier des logiciels, avec tous les coûts
supplémentaires que cela implique, et tout cela pour si peu de gens !
Réellement, supprimer l’alinéa 14 serait une mesure de bon sens.
M. Patrick
Hetzel. Mais oui ! Absolument !
M. le
président. La parole est à M. Alain Bruneel.
M. Alain
Bruneel. Le communisme se porte bien. Marx revient ; prenez garde à
vous ! (Exclamations sur les bancs du groupe LaREM.) Nous n’avons
pas les mêmes valeurs que vous : nous sommes pour le partage des
richesses…
M. Nicolas
Forissier. Encore faut-il d’abord les créer !
M. Alain
Bruneel. …et pour la taxation du capital, ce qui n’est pas votre cas. Il
a été dit que la jeunesse ne pose pas de questions sur les régimes de retraite.
En effet, la jeunesse demande à avoir un avenir, à étudier, à trouver du
travail. Les jeunes voient la retraite à travers la vie de leur famille, de
leurs parents ; c’est ainsi qu’ils découvrent le système – pas le
vôtre, puisqu’il n’existe pas encore.
S’agissant des mineurs, nous avons
un gros problème de communication avec M. le secrétaire d’État, qui dit que
les retraités du régime des mineurs ne seront pas concernés. Cela voudrait-il
dire que le régime de sécurité sociale des mineurs continuerait d’exister pour
verser les pensions de ces retraités, et donc de coûter 1 milliard par
an ? Que vont devenir les soins, les médecins des mineurs, leurs
pharmacies ?
Nous avons évoqué l’histoire des mineurs ; nous
aurions aussi pu vous citer leurs grèves de 1941, de 1942, pour réclamer du
savon et du pain. À la fin de la guerre, le pays n’avait plus rien, il fallait
le plus de charbon possible ; on a demandé aux mineurs de retourner au
fond ; ils l’ont fait. Et nous leur dirions maintenant : terminé, on
n’a plus besoin de vous, vous allez rejoindre un autre régime ? Ils ont ce
régime, ils doivent le garder. N’ayez pas peur de discuter avec eux, comme vous
savez le faire avec la Comédie-Française. Vous avez dit tout à l’heure que,
concernant celle-ci, vous prendriez le temps de discuter. Tant mieux pour elle,
mais vous n’avez pas le droit de raturer d’un coup de crayon le régime des
mineurs, qui continue d’exister. Nous ne vous demandons pas beaucoup
d’efforts ! (Applaudissements sur les bancs des groupes SOC, GDR et
FI.)
M. le
président. La parole est à M. Philippe Vigier.
M. Philippe
Vigier. Je voulais également, au nom du groupe Libertés et territoires,
soutenir l’amendement de Thibault Bazin. À certains moments, il faut savoir
faire un geste. Ces trois années ont-elles une importance vitale ? Comme
vous le savez fort bien, le régime des mineurs a été mis en extinction en 2010.
Vous allez me dire que cela coûte un peu d’argent ; c’est vrai. Mais cela
relève aussi du symbole, Régis Juanico l’a très bien exprimé.
J’ai grandi
en Haute-Loire, où il y avait des bassins miniers. Je peux vous l’affirmer,
monsieur le secrétaire d’État : l’espérance de vie y était inférieure de
dix ans à celle du reste de la population. Cela, il ne faut pas l’oublier. Nous
devons quelque chose à cette corporation qui a tant donné, qui a tant payé.
J’écoute toujours Nicolas Turquois avec beaucoup d’attention ; je l’ai
entendu dire que vous ne vouliez pas déroger à l’universalité du système. Mais
vous avez bien lâché prise pour le personnel navigant, en lui accordant une
retraite à taux plein à 60 ans ! Vous lui avez bien laissé un régime
complémentaire, même s’il est fondu dans le reste ! Ces mesures aussi
auront un coût, nous n’allons pas nous raconter d’histoires !
Encore
une fois, il y a des moments où il faut savoir se retrouver autour de symboles
tels que le régime des mineurs. Sinon, vous verrez que cette profession, qui a
payé un lourd tribut à notre pays, sera martyrisée une fois de plus.
(Applaudissements sur les bancs des groupes LT, SOC, FI et GDR. –
M. Patrick Hetzel applaudit également.)
M. le
président. Je mets aux voix les amendements nos 1499 et
identiques.
(Il est procédé au scrutin.)
M. le
président. Voici le résultat du
scrutin :
Nombre de
votants 65
Nombre
de suffrages
exprimés 63
Majorité
absolue 32
Pour
l’adoption 23
Contre 40
(Les amendements nos 1499 et
identiques ne sont pas adoptés.)
M. le
président. Je suis saisi d’une nouvelle série d’amendements identiques,
tendant à supprimer l’alinéa 15 de l’article 7 : l’amendement
no 18814 et seize amendements identiques déposés par le groupe La
France insoumise ; l’amendement no 25185 ; l’amendement
no 26757 et quinze amendements identiques déposés par le groupe de la
Gauche démocrate et républicaine.
Sur ces amendements, je suis saisi par
le groupe La France insoumise d’une demande de scrutin public.
Le scrutin
est annoncé dans l’enceinte de l’Assemblée nationale.
La parole est à
Mathilde Panot, pour soutenir l’amendement no 18814 et les
amendements identiques du groupe La France insoumise.
Mme
Mathilde Panot. L’alinéa 15 a trait à un régime qui, comme celui
des mineurs, est le fruit de l’histoire. Je veux parler du régime spécial des
ouvriers du port autonome de Strasbourg, autrefois appelé Port rhénan, qui
existait déjà au début du XXe siècle, à l’époque où l’Alsace
était allemande. Ce régime de retraite totalement indépendant ne reçoit aucune
subvention de l’État et ne coûte rien aux personnes extérieures au port ;
il concerne extrêmement peu de monde, et il est voué à
s’éteindre.
Depuis 2015, les nouveaux salariés recrutés par le port
autonome de Strasbourg cotisent au régime général. Le régime spécial compte
encore 137 cotisants, dont plusieurs dizaines ont fait grève pour vous
signifier leur angoisse de devoir changer de régime, alors qu’ils sont
vieillissants. Monsieur le secrétaire d’État, je vous fais part de leur
étonnement, que je partage, devant l’affirmation du Gouvernement qu’il avait
sondé tous les régimes spéciaux, alors que personne n’a daigné prendre contact
avec la délégation syndicale du port autonome. Peut-être sont-ils trop
petits ?
Nous demandons que l’on ne supprime pas ce régime, qui
disparaîtra de lui-même, et que ses 137 cotisants puissent, à la fin de
leur carrière, prendre leur retraite en toute tranquillité.
M. le
président. La parole est à M. Dominique Potier, pour soutenir
l’amendement no 25185.
M.
Dominique Potier. C’est un député lorrain qui s’apprête à défendre le
sort des salariés du port autonome de Strasbourg, dans un mouvement de
solidarité du Grand Est. Vous aurez compris qu’il s’agit là d’un amendement
d’appel. Peu de personnes sont concernées mais nous en faisons un principe.
Quitte à tout remettre à plat, autant le faire complètement, ce que votre projet
de loi ne permet pas. Vous vous contentez de prévoir des mesures de colmatage,
des opérations Shadoks pour réajuster l’équilibre financier par quelques
ajustements de cotisations. Nous n’avons aucune visibilité financière. Vous
menez une politique Shadok : pomper, repomper, inlassablement, sans aucun
fil directeur. Nous n’avons pas de point cardinal qui nous permette de
distinguer les règles qui présideront à la transition vers un système plus
juste. Aussi le groupe Socialistes et apparentés a-t-il déposé cet amendement,
en solidarité avec les hommes et les femmes du port de
Strasbourg.
M. le
président. La parole est à M. Stéphane Peu, pour soutenir
l’amendement no 26757 et les quinze amendements identiques
déposés par le groupe de la Gauche démocrate et républicaine.
M. Stéphane
Peu. Nous défendons, nous aussi, cette même position de principe
d’autant plus que la mesure prévue à cet alinéa n’a pas de sens. Le régime
compte 200 retraités, 180 salariés cotisants et ne coûte rien à
l’État ; depuis 2015, les salariés recrutés par le port autonome de
Strasbourg cotisent au régime général. Ce régime spécial s’éteindra donc de
lui-même. À moins de vouloir faire passer tout le monde sous la toise et de
vouloir compliquer ce qui est simple, supprimer ce régime n’a aucun
sens.
M. le
président. Chers collègues, le brouhaha ambiant est assez désagréable.
Je vous invite à bien écouter l’orateur – ce n’est pas parce que l’on parle de
Strasbourg que je vous demande d’être plus attentifs…
(Sourires.)
Quel est l’avis de la commission ?
M. Nicolas
Turquois, rapporteur. Je me demande, monsieur le président, si je
suis en mesure de parler de Strasbourg sous votre autorité.
Les salariés
des ports avaient, par le passé, un régime spécial. Souvenez-vous de celui de
Bordeaux, par exemple. Est-il sensé de maintenir un régime autonome pour
150 cotisants ? Posons-nous la question.
Je reviens au régime
de sécurité sociale des mines. J’ai écouté avec attention les différents
orateurs décrire avec émotion l’histoire de leur bassin minier. Assise à côté de
moi, la présidente de la commission spéciale m’a, elle aussi, parlé de son
territoire. Ce sont des expériences importantes, que je comprends même si je ne
les ai pas vécues, n’étant pas originaire d’un bassin minier. Mais intégrer ces
régimes dans le régime universel ne revient pas à nier leur histoire ! Au
contraire, ces corporations, par leur capacité à s’organiser et à se structurer,
ont été les précurseurs, en quelque sorte, du régime de la sécurité sociale. Que
l’ensemble de nos concitoyens en reçoivent aujourd’hui l’héritage a du
sens.
Les médecins, les informaticiens, tous ceux qui exercent les
métiers les plus divers et qui font vivre aujourd’hui nos territoires, sont les
enfants des mineurs de ces régions, comme d’autres, ailleurs, sont des enfants
d’agriculteurs. Ce sont ces métiers qui ont construit la France telle que nous
la connaissons aujourd’hui. Il me semble cohérent, dans cette perspective, que
tous ces métiers se retrouvent aujourd’hui et héritent des droits acquis par le
passé. Il n’est pas question, bien évidemment, de revenir sur les droits acquis
par ces professions mais de créer une certaine unité. M. Perea avait
raison : qui, parmi les jeunes, pense à ses conditions de départ à la
retraite ? Nous-mêmes nous en préoccupions-nous lorsque nous avions
20 ou 30 ans ? C’est un faux débat. L’enjeu de cette réforme est
justement de permettre à chacun de nos concitoyens de partir à la retraite dans
des conditions équitables, quels que soient ses choix de carrière. Avis
défavorable.
M. Laurent
Pietraszewski, secrétaire d’État. Même avis. Le rapporteur a très
bien expliqué les enjeux de société, mais aussi la situation de ce régime, et
notamment le nombre de personnes concernées, comme pour le régime des mines. Le
régime des salariés du port autonome de Strasbourg a son histoire et concerne à
peu de monde. Seules trente personnes seront concernées par le passage dans le
régime universel où elles auront toute leur place. Les régimes des salariés des
autres ports autonomes ont fermé et il en sera de même, si vous le décidez, pour
celui des salariés du port autonome de Strasbourg. C’est, du moins, ce que je
souhaite, d’autant plus que nous prendrons le temps, comme pour tous les autres
régimes spéciaux, d’aménager la transition vers le régime universel et de
rapprocher les droits. Je vous invite à repousser cet amendement, s’il n’est pas
retiré.
M. le
président. La parole est à M. Thierry Michels.
M. Thierry
Michels. Le port autonome de Strasbourg est une fierté pour la ville et
je remercie les agents qui dotent Strasbourg d’une infrastructure portuaire
efficace, puisqu’il est le deuxième port fluvial français et représente un atout
essentiel de l’attractivité économique de la ville.
Cependant, pourquoi
Strasbourg devrait-elle être la seule ville de France dont les salariés du port
bénéficient d’un régime spécial de retraite ? Du reste, est-ce un service à
leur rendre que de le pérenniser ? Rappelons qu’il compte 0,75 actif
cotisant pour 1 retraité. L’argument selon lequel ce régime ne coûterait
rien à personne ne tient pas, car il faut bien que le port assume ses retraités.
Ce régime coûte bien quelque chose au port. Il n’est pas nécessaire de
poursuivre la démonstration pour vous faire comprendre que ce régime autonome se
retrouvera bientôt dans une impasse. Son intégration dans le régime universel
permettra de lier les Français les uns aux autres par le jeu de la solidarité
nationale et d’ouvrir aux salariés du port autonome les nouvelles mesures de
justice sociale que nous avons prises, comme l’extension du compte pénibilité et
la rénovation des droits familiaux.
M. le
président. La parole est à Mme Mathilde Panot.
Mme
Mathilde Panot. Je ne comprends pas ces propos. Ce régime n’est pas dans
une impasse puisqu’il s’éteindra de lui-même : depuis 2015, les
nouveaux salariés du port autonome cotisent au régime général. Concrètement,
137 salariés cotisent et une trentaine de personnes sont concernées par le
passage au régime de retraite par points. Ce régime ne se retrouvera pas dans
une impasse, contrairement à ce que vous prétendez. Par ailleurs, le port
autonome de Strasbourg n’est pas le seul en France à ne pas être soumis au
régime général puisque les nouveaux salariés y cotisent.
Il est tout
aussi incompréhensible d’entendre le rapporteur déclarer qu’il n’était pas
question de revenir sur les droits acquis. Si, justement ! Ces
137 personnes cotisaient à un régime spécial jusqu’en 2015. Nous
souhaitons qu’elles puissent continuer à en bénéficier – même si nous nous
battons, d’une manière plus générale, pour que personne n’ait affaire à votre
régime de retraite par points.
Par ailleurs, monsieur le secrétaire
d’État, la délégation syndicale du port autonome de Strasbourg se demande
pourquoi vous ne l’avez pas contactée alors que le Gouvernement assure avoir
rencontré les syndicats de tous les régimes spéciaux. Vous n’avez pas répondu à
cette question.
M. le
président. La parole est à Mme Jeanine Dubié.
Mme Jeanine
Dubié. Je serai brève. Rappelons l’expérience du régime social des
indépendants – RSI – ou du logiciel unique à vocation interarmées de
la solde, dit Louvois. Je ne suis pas certaine que nous disposions de systèmes
informatiques capables de tout intégrer dans un régime unique. Puisque les
régimes des mines et du port autonome de Strasbourg sont en voie d’extinction et
n’accueilleront pas de nouveaux assurés, épargnons-leur ces désagréments.
M. Philippe
Vigier. Très bien !
M. le
président. Je mets aux voix les amendements identiques
no 18814 et suivants.
(Il est procédé au scrutin.)
M. le
président. Voici le résultat du
scrutin :
Nombre de
votants 66
Nombre
de suffrages
exprimés 63
Majorité
absolue 32
Pour
l’adoption 10
Contre 53
(Les amendements identiques no 18814
et suivants ne sont pas adoptés.)
M. le
président. Je suis saisi de plusieurs amendements identiques, déposés
par des groupes différents.
La parole est à Mme Clémentine Autain,
pour soutenir l’amendement no 18831 et les seize amendements
identiques du groupe La France insoumise.
Mme
Clémentine Autain. Cet amendement tend à supprimer l’alinéa 16 de
l’article. Tout d’abord, puisque nous nous opposons à l’ensemble de votre projet
de loi, nous refusons toute intégration d’un régime spécial au régime de
retraite par points. C’est une position de principe.
En l’espèce, il est
question des personnels cléricaux engagés et rémunérés par l’État en raison d’un
héritage historique, le Concordat. Le temps est peut-être venu de nous
interroger sur la pertinence de cet accord, en vertu du principe de laïcité qui
impose la séparation des Églises et de l’État. Vous comprendrez aisément qu’il
est compliqué d’expliquer dans notre pays que nous rémunérons des hommes
d’Église avec de l’argent public. Dès lors qu’ils sont payés comme des agents de
l’État, la réforme du régime des retraites leur est appliquée. Nous sommes
confrontés à un double problème et nous avons donc deux raisons de demander la
suppression de cet alinéa.
M. le
président. L’amendement no 25186 de M. Jérôme
Lambert est défendu.
La parole est à M. Alain Bruneel, pour soutenir
l’amendement no 26758 et les quinze amendements identiques
déposés par le groupe de la Gauche démocrate et républicaine.
M. Alain
Bruneel. Cet amendement tend à préserver le régime de retraite des
cultes, des membres des congrégations et des collectivités religieuses. La loi
du 2 janvier 1978 a créé le régime social des cultes, achevant ainsi le
mouvement de généralisation de la protection sociale, engagé en France en 1945.
Cette loi a intégré les cultes au régime général de la sécurité sociale tout en
préservant leur spécificité. Deux caisses avaient été initialement créées, l’une
pour la maladie, l’autre pour la retraite, avant d’être fusionnées en 1999 dans
la caisse d’assurance vieillesse, invalidité et maladie des cultes, la
CAVIMAC.
Le régime des cultes est aligné sur celui des salariés du privé
depuis 1998. Les droits, les cotisations et les modes de calcul pour
chiffrer les pensions sont identiques mais deux caractéristiques demeurent
propres au régime. La majorité des assurés plaçant leurs revenus en commun, il a
été décidé que chacun paierait des cotisations sur une assiette forfaitaire
équivalente à une rémunération au SMIC, même si la plupart d’entre eux
n’atteignent pas ce niveau de rémunération. Le salaire moyen d’un prêtre s’élève
en effet à 945 euros par mois. En contrepartie de ce niveau élevé de
cotisation, les assurés perçoivent une pension calculée sur la base d’un SMIC,
ce qui permet d’en relever le niveau. La notion de cessation d’activité est une
deuxième spécificité car elle n’a pas vraiment de sens pour un prêtre. En effet,
pour obtenir ses droits à la retraite, un salarié du privé ou un indépendant
doit prouver qu’il a cessé son activité pendant six mois.
Cet amendement
de suppression est en réalité un amendement d’appel destiné à appeler
l’attention du Gouvernement sur ces particularités qu’il convient de prendre en
considération.
M. le
président. Quel est l’avis de la commission ?
M. Nicolas
Turquois, rapporteur. J’ai bien compris le sens de votre
remarque, liée au Concordat et au principe de laïcité, madame Autain. Nous
devons respecter l’histoire de notre pays, en particulier lorsqu’elle est
douloureuse. Nous veillerons à favoriser l’intégration de ce régime spécial,
comme de tous les autres, dans le régime universel. Avis défavorable.
M. le
président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. Laurent
Pietraszewski, secrétaire d’État. Le Concordat prévoit des
dispositions spécifiques : en effet, pour la population concernée par cet
alinéa, la retraite n’est prévue qu’en cas d’inaptitude, ce qui n’est pas le cas
pour les autres citoyens. Il sera donc nécessaire d’examiner les modalités de
prise en charge des cotisations. De plus, les conditions spéciales de départ,
qui sont liées au droit local, seront dans doute maintenues grâce à un
amendement qui devrait être discuté au Sénat. Puisque le sujet sera donc traité
ultérieurement dans le cadre de la navette parlementaire, je vous demande de
rejeter l’amendement et de laisser les concertations avancer.
M. le
président. La parole est à M. Jean-René Cazeneuve.
M.
Jean-René Cazeneuve. Je salue la volonté de nos collègues communistes de
sauvegarder le régime de retraite des cultes : c’est assez drôle, mais je
salue leur ouverture d’esprit et leur cohérence.
(Sourires. – M. Jacques Marilossian
applaudit.)
Mais si je voulais prendre la parole, c’est pour signaler
que nous venons de passer la barre symbolique des 30 000 amendements
restants. (Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe LaREM.) Cela
vaut la peine d’être salué, car nous avons passé 117 heures en séance sur
ce projet de loi…
M. Patrick
Hetzel. C’est le jingle de rappel de l’arrivée du 49.3 !
M.
Jean-René Cazeneuve. …ce qui le place parmi les dix débats législatifs
les plus longs de toute la Ve République. C’est par exemple deux
fois plus long que le texte sur les retraites de 2010. (Agitation sur divers
bancs.)
M. François
Pupponi. C’est quoi, le sujet ?
M.
Jean-René Cazeneuve. Chers collègues, il est tout de même important de
savoir que nous venons de franchir la barre des
30 000 amendements ! (Exclamations sur les bancs des groupes
LR et LT.) Précisons que cela représente 10 % des articles du texte et
14 % des amendements.
Mme Laurence
Dumont. Merci, greffier !
Plusieurs députés du groupe
LR. C’est de l’obstruction !
M.
Jean-René Cazeneuve. Je le répète, nous souhaitons aller jusqu’au bout
de l’examen du projet de loi. (« Nous
aussi ! » sur les bancs des groupes LR et
LT.) Il faut cependant être raisonnable : si nous voulons y arriver, il
faut absolument supprimer les amendements de forme pour nous concentrer sur
ceux, venus de tous les bords, qui permettraient d’améliorer le texte.
(Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe LaREM.)
Mme Laurence
Dumont. Vous n’avez pas ce pouvoir !
M. le
président. J’ai plusieurs demandes de prise de parole. Certaines
concernent-elles le sujet de l’amendement, à savoir le Concordat ? Il est
plutôt frustrant d’être au perchoir et de ne pas pouvoir en parler, quelqu’un
voudrait-il s’exprimer sur le sujet ? (Sourires.)
La parole
est à Mme Clémentine Autain.
Mme
Clémentine Autain. J’apprécie la manière dont vous avez introduit le
sujet, monsieur le président, car nous parlons en effet du Concordat. Or, s’il y
a un sujet sur lequel ni le secrétaire d’État ni le rapporteur ne m’ont répondu,
c’est bien celui-ci. On a parlé du basculement du régime et des raisons pour
lesquelles il concernait peu de monde, mais j’aimerais tout de même qu’au moins
M. le secrétaire d’État nous donne le point de vue du Gouvernement sur le
Concordat – car ce n’est pas forcément le rôle de M. le rapporteur,
chargé d’un texte sur les retraites, même s’il a sans doute le sien, à titre
personnel.
Je profite d’avoir la parole pour remarquer que, depuis le
début du débat, il est arrivé à plusieurs reprises que mon micro soit coupé, ou
que je sois fermement rabrouée par un président ou une présidente de séance
– en général un président – au motif que mon propos était sans rapport
avec l’amendement en discussion. Je constate qu’il y a deux poids, deux
mesures…
M. Maxime
Minot. C’est vrai !
Mme
Clémentine Autain. …car bien souvent, il arrive aux députés En Marche de
tenir des propos sans rapport avec l’amendement. Je ne leur en fais pas
reproche : M. Cazeneuve a le droit de dire ce qu’il veut si le sujet
lui paraît important. Mais je prends à témoin l’ensemble des députés
présents : on ne peut pas me couper le micro au motif que je suis hors
sujet, comme ce matin quand j’ai parlé de Jacques Maire, et laisser un député La
République en marche compter le nombre d’amendements restants.
Je demande
que des règles un minimum démocratiques soient appliquées à l’ensemble des
députés, et non des règles à géométrie variable en fonction de l’intérêt de la
majorité. (Applaudissements sur les bancs des groupes FI et SOC.)
M. Dino
Cinieri. Tout à fait !
M. le
président. L’article 54, alinéa 6 du règlement dispose en
effet que l’orateur ne doit pas s’écarter de la question, mais on ne saurait
dire que les thèmes abordés au cours des débats ces deux dernières semaines
aient été en stricte adéquation avec le fond des amendements.
(Applaudissements sur plusieurs bancs des groupes LaREM et MODEM.)
L’article n’a donc pas été appliqué à la lettre : chaque président de
séance l’apprécie comme il le souhaite et comme il le peut.
La parole est
à M. Stéphane Peu.
M. Stéphane
Peu. Je me dois de répondre à l’interpellation de M. Cazeneuve, qui
s’étonnait que les députés communistes aient déposé un amendement préservant le
régime des cultes, comme s’il s’agissait d’une hérésie. (Sourires.) Nous
remarquions tout à l’heure que les débats historiques prenaient parfois une
drôle de tournure dans l’hémicycle. Je ne reprocherai à personne de ne pas
suffisamment s’inspirer de l’histoire politique de notre pays, mais songeons
tout de même au merveilleux poème « La Rose et le Réséda » où, pour
raconter la multitude de la résistance en France, Aragon parle de « Celui
qui croyait au ciel /Celui qui n’y croyait pas ».
Je viens
d’une ville, Saint-Denis, où se trouve une basilique. De tout temps, l’évêché de
Saint-Denis a été chargé des relations avec le mouvement ouvrier. En 1982,
j’étais alors jeune militant, le maire communiste de Saint-Denis a accueilli le
pape venu fêter les cinquante ans de la jeunesse ouvrière chrétienne devant la
basilique de Saint-Denis. Le pape a parlé devant un calicot immense où était
inscrit « La vie d’un jeune travailleur vaut plus que tout l’or du
monde ».
M.
Dominique Potier. C’est de Cardijn.
M. François
Pupponi. L’abbé Peu a raison !
M. Stéphane
Peu. Il y a, dans ma ville, dix-huit prêtres ouvriers, l’histoire de
l’action catholique ouvrière y est extrêmement importante. C’est aussi cela,
l’histoire du mouvement ouvrier : des communistes et des chrétiens qui ont
su se retrouver dans la résistance et dans les luttes sociales.
(Applaudissements sur divers bancs.) Je demande donc à nos collègues de
juger de ces affaires-là avec un peu plus d’épaisseur historique que n’en
donnent les aventures de Peppone et Don Camillo. (Applaudissements sur tous
les bancs.)
M. le
président. La parole est à M. Philippe Vigier.
M. Philippe
Vigier. Rapidement, après que Stéphane Peu a élevé le débat avec ses
références historiques, je dirai à notre collègue Cazeneuve qu’il fait preuve
d’un certain esprit de gourmandise en expliquant que nous venons de franchir les
30 000 amendements. Car, mon Dieu, nous avons tous envie d’aller au bout du
texte !
M. Maxime
Minot. Oui !
M. Philippe
Vigier. Vous ne pouvez pas nous accuser de faire de
l’obstruction !
M. Patrick
Hetzel. Très bien !
M. Philippe
Vigier. Alors avançons, ne remettez pas de sous dans le juke-box, et
travaillons sérieusement. (Applaudissements sur les bancs des groupes LT, LR,
SOC et GDR.)
M. le
président. La parole est à M. Frédéric Petit.
M. Frédéric
Petit. J’ai surtout entendu que notre collègue demandait, pour accélérer
le débat, le retrait de nombreux amendements très frustrants à discuter. Mais
revenons au Concordat : si je suis d’accord avec l’analyse historique de
M. Peu, je voudrais dire – comme je l’ai déjà fait plusieurs fois,
étant donné que cette discussion revient souvent, surtout à l’initiative de La
France insoumise – que j’ai été élevé dans cette région et que je ne pense
pas qu’on y soit plus ou moins libre, neutre ou laïque qu’ailleurs. Je tiens
également à rappeler, en réponse à un débat actuel, un événement assez récent de
l’histoire de notre pays : c’est que le maintien du concordat en
Alsace-Moselle a été décidé en 1921, par référendum, à une énorme majorité.
Plusieurs députés des groupes
SOC et GDR. Tiens ! Un référendum, quelle bonne idée !
M. Frédéric
Petit. Je me doutais que vous diriez cela, chers collègues. Mais la
question était alors assez simple : êtes-vous pour le maintien du
Concordat ? Je rappelle qu’au moment de l’abolition du Concordat,
l’Alsace-Moselle n’était pas en France : par conséquent, quand la région
décide de réintégrer la France, le concordat y est toujours en vigueur. Trois
ans après la fin de la guerre, on demande donc aux Alsaciens et aux Mosellans
s’ils veulent maintenir le Concordat ou non – car les politiques de
l’époque, sachant très bien comment poser une question référendaire pour ne pas
faire de bêtise, craignaient que l’Alsace-Moselle décide de ne pas réintégrer la
France si l’on supprimait le Concordat.
Concernant la réforme des
retraites, notre argument était, il y a 117 heures, que la question
référendaire à poser serait un peu plus compliquée. Je tenais néanmoins à
rappeler que la décision de maintenir le Concordat avait été prise par les
Alsaciens-Mosellans et par référendum.
M. le
président. La parole est à Mme Laurence Dumont.
Mme Laurence
Dumont. Je ne reviendrai pas sur le Concordat, mais je voudrais répondre
en un mot aux propos incroyables de M. Cazeneuve. Notre collègue Peu a dit
ce qu’il fallait et j’ai apprécié son appel à un peu d’épaisseur historique.
Cher collègue Cazeneuve, peut-être faudrait-il y ajouter un peu d’épaisseur
démocratique. Vous parlez, ici, dans l’hémicycle, de supprimer des
amendements ! C’est surréaliste ! Invraisemblable !
(Applaudissements sur les bancs des groupes SOC, FI, GDR et LR.) Il faut
que vous intégriez l’idée que le droit d’amendement est le droit essentiel d’un
parlementaire, a fortiori de l’opposition. Qu’un député demande de supprimer des
amendements, c’est proprement surréaliste. (Mêmes mouvements.)
M. Jacques
Marilossian. Vous voulez bien supprimer nos articles, vous !
Mme
Mathilde Panot. Oui : cela s’appelle un amendement.
M. le
président. La parole est à M. Patrick Hetzel.
M. Patrick
Hetzel. M. Petit a souligné que la question du Concordat avait été
tranchée par référendum en 1921. Nous sommes ici quelques élus des départements
d’Alsace et de Moselle et je peux vous assurer, chers collègues, que si nous
interrogions aujourd’hui la population, le résultat serait exactement le même.
On entend parfois certains députés demander la suppression du Concordat :
je pense qu’ils ne se rendent pas compte du degré d’attachement des
Alsaciens-Mosellans à ce régime.
Mme Cendra
Motin. Bien sûr !
M. Patrick
Hetzel. Deux sujets sont très sensibles dans la région : le droit
local en général et le Concordat en particulier. On peut se réclamer d’une
vision démocratique, mais vouloir le bien des gens à leur place, c’est assez
inquiétant. (Applaudissements sur les bancs des groupes LR et
GDR.)
Rappel au règlement
M. le
président. La parole est à M. Jean-René Cazeneuve, pour un rappel
au règlement.
M.
Jean-René Cazeneuve. C’est un rappel au règlement pour mise en cause
personnelle car je veux écarter toute ambiguïté au sujet de ma position, qui est
constante depuis douze jours. Premièrement, nous voulons aller jusqu’au bout du
texte.
M. Philippe
Vigier. Bravo !
M.
Jean-René Cazeneuve. Deuxièmement, nous voulons absolument passer du
temps sur les amendements constructifs qui permettront de faire progresser la
loi. Mais, franchement, si nous voulons aller sereinement jusqu’au bout,
sommes-nous obligés d’examiner autant d’amendements « point-virgule »
de pure forme ? Non.
M. Maxime
Minot. On a compris !
M.
Dominique Potier. Avançons !
M. le
président. S’il vous plaît…
M.
Jean-René Cazeneuve. Oui au droit d’amendement, mais attention à
l’obstruction. (Applaudissements sur quelques bancs du groupe
LaREM.)
Article 7 (suite)
M. le
président. Merci pour ces quelques moments alsaciens…
(Sourires.)
(Les amendements no 18831 et
identiques ne sont pas adoptés.)
Suspension et reprise de la séance
M. le
président. La séance est suspendue.
(La séance, suspendue à vingt-trois heures, est reprise à vingt-trois
heures dix.)
M. le
président. La séance est reprise.
Sur les trente-quatre
amendements no 18848 et identiques, je suis saisi par le groupe
La France insoumise d’une demande de scrutin public.
Le scrutin est
annoncé dans l’enceinte de l’Assemblée nationale.
Y a-t-il quelqu’un pour
défendre l’amendement no 18848 et les seize identiques déposés
par les membres du groupe La France insoumise ?
Ils ne sont pas
défendus.
L’amendement no 25187 de Mme Cécile
Untermaier est défendu.
Y a-t-il quelqu’un pour défendre l’amendement
no 26759 et les quinze identiques déposés par les membre du
groupe de la Gauche démocrate et républicaine ?
Ils ne sont pas
défendus.
Quel est l’avis de la commission sur l’amendement
no 25187 ?
(Il est procédé au scrutin.)
M. le
président. Voici le résultat du
scrutin :
Nombre de
votants 32
Nombre
de suffrages
exprimés 28
Majorité
absolue 15
Pour
l’adoption 3
Contre 25
(L’amendement no 25187 n’est pas
adopté.)
M. le
président. L’amendement no 25188 de Mme Cécile
Untermaier est défendu.
(L’amendement no 25188, repoussé par la
commission et par le Gouvernement, n’est pas
adopté.)
M. le
président. La parole est à M. Stéphane Peu, pour soutenir
l’amendement no 26852 et les quinze identiques déposés par
les membres du groupe de la Gauche démocrate et républicaine.
M. Stéphane
Peu. Ces amendements visent à protéger les marins et les professionnels
de la mer contre ce mauvais projet de loi.
Le monde de la mer est un
monde très particulier, nous avons déjà eu l’occasion de l’évoquer. Son régime
de retraite est l’héritage d’un compromis historique datant de Colbert :
ses racines sont demeurées intactes jusqu’à aujourd’hui. Les marins méritent
mieux qu’une réforme à trous. Or, le texte prévoyant des ordonnances à leur
sujet, ils n’ont pas, pour l’instant, reçu de réponses aux quatre questions
principales qu’ils se posent.
Oui ou non, les marins continueront-ils de
bénéficier de leur pension d’ancienneté dès 50 ans, lorsqu’ils ont effectué
plus de vingt-cinq ans de service en mer – c’est une question très
concrète ? Oui ou non, pourront-ils encore bénéficier d’un départ à la
retraite anticipée à 55 ans après quinze années de service en mer ?
Oui ou non, leur pension sera-t-elle toujours calculée sur le salaire
forfaitaire de la profession ? Oui ou non, leur période de cotisation
inclura-t-elle toujours les périodes de congés, de repos, d’accident, de chômage
et de service militaire ?
Les marins, je le répète, n’ont, pour
l’instant, reçu aucune réponse à ces questions très précises sur l’évolution de
leur système de retraite.
M. le
président. Quel est l’avis de la commission ?
M. Nicolas
Turquois, rapporteur. Nous sommes tous attachés à la préservation
d’un régime spécifique pour les assurés marins. Cet attachement se manifeste
déjà par l’existence d’un cinquième régime spécifique, qui leur est dédié, au
sein du système universel.
Le projet de loi demande une habilitation à
légiférer par ordonnance sur la situation spécifique des marins parce que des
statuts différents sont en jeu. Je remercie mon collègue Jimmy Pahun de m’avoir
fait rencontrer des représentants du régime spécial de la sécurité sociale des
marins, qui recouvre des structures différentes : ainsi, les
situations sont spécifiques selon qu’on appartienne à la marine marchande ou à
la marine de plaisance. Il faudra en tenir compte. C’est la raison pour laquelle
le Gouvernement souhaite légiférer par ordonnance : il veut construire
progressivement les solutions qui s’appliqueront à tous.
Je ne me
permettrai donc pas d’apporter des réponses aux questions précises que vous avez
posées : je pense que les équilibres ne sont pas encore définis – le
secrétaire d’État en dira peut-être deux mots.
Je peux simplement
préciser que l’objectif n’est ni de revenir sur le départ anticipé des marins à
la retraite ni de supprimer l’ENIM – Établissement national des invalides
de la marine. En revanche, l’intégration dans le champ du système universel et
le calcul des retraites à partir du point comme unité sont deux avancées qui
nous semblent acceptables et pragmatiques. Avis défavorable.
M. le
président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. Laurent
Pietraszewski, secrétaire d’État. L’exercice est un peu
répétitif : j’ai déjà répondu de façon très précise et en prenant mon temps
à M. Le Fur, qui m’avait interrogé au moins à quatre reprises sur le sujet.
C’est avec plaisir que je vais le faire aussi pour vous mais, étant donné qu’il
y a huit groupes à l’Assemblée, je redoute d’avoir à recommencer encore six
fois. Il faudra que l’on me donne acte d’avoir répondu sans qu’un groupe ne se
sente brimé.
S’agissant de la spécificité des marins, monsieur Peu, il
faut aussi tenir compte de l’environnement commercial dans lequel évoluent les
gens de la mer – pêcheurs ou marins de la marine marchande. Nous devons
être attentifs à ce contexte qui actuellement se trouve bouleversé par les
conséquences du Brexit sur les zones de pêche.
Dans un courrier aux
organisations représentatives, Jean-Baptiste Djebbari et moi-même avons rappelé
les engagements pris. La concertation en cours est clairement centrée sur les
attentes du monde de la mer, notamment en ce qui concerne le maintien de l’ENIM
et la mise en place d’une délégation de gestion qui permettra aux marins de
conserver un interlocuteur direct. L’État accompagnera les employeurs confrontés
à la concurrence internationale dans la marine marchande – il s’agit
notamment d’être attentif aux assiettes forfaitaires. Enfin, les marins pourront
faire valoir leurs droits à la retraite à l’âge de 55 ans, après quinze ans
passés en mer.
C’est un rappel que je fais très volontiers, monsieur le
député, pour que tout soit très transparent. Du coup, je vous invite à retirer
vos amendements puisque les marins garderont leurs spécificités. Le Gouvernement
est particulièrement attentif à ce secteur très exposé à la concurrence
internationale.
(Les amendements
no 26852 et identiques ne
sont pas adoptés.)
M. le
président. Je suis saisi de dix-sept amendements identiques,
no 25189, déposé par les membres du groupe Socialistes et
apparentés, et no 26851 et suivants, déposés par les membres du
groupe de la Gauche démocrate et républicaine.
La parole est à
Mme Laurence Dumont, pour soutenir l’amendement
no 25189.
Mme Laurence
Dumont. Stéphane Peu a bien défendu la spécificité du régime des marins.
Je vais, pour ma part, évoquer le recours aux ordonnances.
Ce texte
recourt à un grand nombre d’ordonnances et de décrets, contrairement aux
précédentes réformes des retraites. Nous trouvons insupportable d’avoir à nous
dessaisir ainsi de notre responsabilité législative. On nous demande tantôt
d’abandonner des amendements, tantôt d’accepter un recours aux ordonnances… Ce
n’est pas notre conception de la République parlementaire. C’est inconcevable
pour un texte aussi important, même si le régime des marins est
complexe.
Si vous n’êtes pas prêts au bout de deux ans, nous pouvons
l’entendre – nous l’entendons d’ailleurs tous les jours. Alors prenez le
temps et revenez quand vous serez prêts ! Les Français ont le droit de
savoir ce que contiendra le texte au moment où il sortira de l’Assemblée
nationale, ce qui ne sera pas le cas avec des ordonnances. Tout cela ne
contribue ni à la lisibilité du texte, ni à la prévisibilité de ses effets.
Peut-être n’avons-nous pas entièrement confiance ? En tout cas, nous
n’avons pas envie de parier.
Je m’en remets, une fois de plus, à l’avis
du Conseil d’État, qui estime que ces ordonnances font « perdre la
visibilité d’ensemble qui est nécessaire à l’appréciation des conséquences de la
réforme et, partant, de sa constitutionnalité et de sa conventionnalité ».
Après un tel avis, il vaut mieux reprendre le travail en interne au Parlement et
éviter les ordonnances. (Applaudissements sur quelques bancs du groupe
SOC.)
Rappel au règlement
M. le
président. La parole est à Mme Clémentine Autain, pour un rappel au
règlement.
Mme
Clémentine Autain. Il se fonde sur l’article 100 du
règlement.
Pour la sincérité des débats, je me permets de faire remarquer
à notre assemblée que l’intervention de M. Cazeneuve tout à l’heure
– hors sujet, comme vous l’avez tous remarqué – consistait à nous
signaler que nous venions de dépasser un certain nombre d’amendements examinés
et d’heures de débats écoulées, au point d’atteindre des records historiques en
la matière.
Après vérification, il se trouve que ce sont exactement les
termes que nous avons pu lire dans Le Monde et entendre sur France Inter
dans la bouche d’un président de groupe de la majorité.
Mme
Brigitte Bourguignon, présidente de la commission spéciale. On
dit ce qu’on veut !
Mme
Clémentine Autain. Ce sont exactement les arguments qui visent à
légitimer le recours à l’article 49, alinéa 3 de la Constitution.
(« Ah ! » sur les
bancs du groupe LaREM.) Ce que ce que j’entends aujourd’hui dans la bouche
de M. Cazeneuve est, mot pour mot, ce qui a été écrit dans la presse et dit
à la radio pour légitimer le recours au 49.3.
Mme
Brigitte Bourguignon, présidente de la commission spéciale. Ça,
c’est de l’enquête !
Mme
Clémentine Autain. Cela nous interpelle sur la sincérité de nos débats.
Si nos débats étaient sincères, nous pourrions travailler en nous disant que
nous irons au bout des soixante-cinq articles. (Applaudissements sur les
bancs du groupe FI.)
M. Patrick
Hetzel. Ça nous étonnerait un peu !
M. Nicolas
Forissier. Quel cinéma !
Article 7 (suite)
M. le
président. La parole est à M. Alain Bruneel, pour soutenir
l’amendement no 26851 et les quinze amendements identiques
déposés par les membres du groupe de la Gauche démocrate et républicaine.
M. Alain
Bruneel. Ils sont défendus.
M. le
président. Quel est l’avis de la commission ?
M. Nicolas
Turquois, rapporteur. Il n’y a pas grand-chose à ajouter aux
explications données par M. le secrétaire d’État sur les amendements
précédents. Peut-être peut-on rappeler les enjeux en termes
démographiques : il y a environ 30 000 cotisants marins, dont
11 500 relèvent de la marine de commerce, 16 000 de la pêche et
2 500 de la catégorie « autres », pour
109 000 pensionnés dont 67 000 de droit direct. Avis défavorable
aux amendements.
M. le
président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. Laurent
Pietraszewski, secrétaire d’État. Je ne vais pas revenir sur le
sujet des marins, je me suis déjà longuement exprimé. Avis
défavorable.
(Les amendements no 25189 et
identiques ne sont pas adoptés.)
M. le
président. La parole est à M. Alain Bruneel, pour soutenir
l’amendement no 26853 et les quatorze amendements identiques
déposés par les membres du groupe de la Gauche démocrate et républicaine.
M. Alain
Bruneel. Cet amendement vous offre une sorte de porte de sortie de la
casse sociale que vous vous préparez à appliquer au régime de retraite des
marins. Vous savez, les marins et leurs organisations syndicales ne sont pas
dupes. Les négociations que vous avez ouvertes ne répondent pas à leur
inquiétude, et ce n’est pas une lettre d’engagement qui fait force de
loi.
Engagez-vous à renoncer à réformer ce régime par ordonnances. Malgré
les garanties que vous avez souhaité apporter, des questions restent en suspens,
notamment l’application de l’âge pivot à ces professions, dont il est question
dans votre réforme.
Si un âge pivot entre en vigueur pour les marins,
comment pouvez-vous affirmer qu’ils pourront continuer à partir dès 55 ans
avec quinze ans d’ancienneté ? Comment seront traités les marins s’ils
n’atteignent pas cet âge pivot ? Comment cet âge sera-t-il défini et sur
quelle base ? Les marins subiront-ils une décote alors qu’ils bénéficient
d’un droit de départ anticipé ? Pour un marin qui partirait en retraite à
l’âge 55 ans en 2027, avec un âge pivot de 64 ans, à combien de
pourcentage s’élèverait la décote ?
Nous avons là une nouvelle
démonstration de votre amateurisme. Rien n’est inscrit dans la loi. Ne privez
pas les marins d’un débat de fond sur ce sujet. Expliquez-vous.
M. le
président. La parole est à M. Frédéric Petit.
M. Frédéric
Petit. Pour une fois, je voudrais soutenir la remarque de
Clémentine Autain : je trouve aussi qu’il est très désagréable et
très frustrant d’entendre dans l’hémicycle des propos qui ont tourné en boucle
sur les ondes des radios. Nous devrions tous y prendre garde.
(Les amendements
no 26853 et identiques ne
sont pas adoptés.)
M. le
président. Je suis saisi de trois amendements identiques,
nos 7608, 11911 et 11912.
La parole est à M. Dino
Cinieri, pour soutenir l’amendement no 7608.
M. Dino
Cinieri. Monsieur le secrétaire d’État, le système de retraite que vous
proposez n’est pas universel : il comporte au moins cinq régimes et trois
traitements générationnels différents, ainsi que des dizaines de dérogations et
d’exceptions, du fait de vos multiples reculades. Nous souhaitons donc, par
respect pour les Français, supprimer le terme « universel » dans
l’ensemble du texte.
M. le
président. La parole est à M. Pierre Vatin, pour soutenir
l’amendement no 11911.
M. Pierre
Vatin. Finalement, j’aime beaucoup répéter cette phrase : par souci
de cohérence avec l’ensemble de nos amendements, je pense qu’il serait bon de
supprimer le mot « universel » de ce texte.
M. le
président. La parole est à M. Maxime Minot, pour soutenir
l’amendement no 11912.
M. Maxime
Minot. Cet amendement proposé par mon éminent collègue Marc Le Fur
est défendu.
M. le
président. Quel est l’avis de la commission ?
M. Nicolas
Turquois, rapporteur. Pour reprendre l’expression de
M. Vatin, par souci de cohérence, je serai défavorable à ces
amendements.
M. le
président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. Laurent
Pietraszewski, secrétaire d’État. Nous en revenons au débat sur
le mot « universel ». Soyez assurés que j’ai bien compris que vous
considériez que le système n’était pas universel. Quant à vous, j’espère que
vous avez bien compris que je défendais un système universel doté de cinq
régimes. Avis défavorable.
M. le
président. La parole est à Mme Mathilde Panot.
Mme
Mathilde Panot. Frédéric Petit trouve lui aussi assez fatigant que des
arguments soient repris en boucle à la radio et dans la presse écrite. Il faut
dire que l’intervention de M. Cazeneuve ressemblait sérieusement à du
service commandé pour entretenir la petite musique du 49.3. (Murmures sur les
bancs du groupe LaREM.)
Mme
Brigitte Bourguignon, présidente de la commission spéciale.
Tandis que vous, vous n’êtes jamais en service commandé !
Mme
Mathilde Panot. Un député du groupe La République en marche a dit au
journal Le Monde : « L’idée est de dépasser le record
d’heures passées dans l’hémicycle avant de constater l’impossibilité d’adopter
le texte sans 49.3. » (Le bruit se poursuit.) M. Le Gendre
a dit il y a quelques jours, sur les ondes de France Info : « En début
de semaine prochaine, nous battrons le record de durée d’un débat parlementaire
pendant la Ve République. » C’est peut-être heureux, pour
quelque chose qui va détruire 150 ans de luttes sociales… Il
poursuivait : « Jamais nous n’aurons siégé autant. À l’heure où nous
parlons, deux articles ont été votés ; il en reste
soixante-trois. »
Nous faisons seulement remarquer que cela
ressemble sérieusement à du service commandé pour imposer ensuite l’usage
de l’article 49, alinéa 3 de la Constitution.
(Mme Caroline Fiat applaudit, ainsi que
Mme Jeanine Dubié.)
Mme
Caroline Fiat. Dorénavant, je ferai pareil, monsieur le président :
je parlerai tout le long des interventions de mes collègues !
M. le
président. Madame Panot, vous reprochez à M. Cazeneuve de
s’exprimer sur autre chose que les amendements, alors ne faites pas la même
chose, je vous en prie. Si vous voulez faire un rappel au règlement, faites-le.
Sinon, restez sur l’objet de l’amendement. Soyons cohérents.
La parole
est à M. Frédéric Petit.
M. Frédéric
Petit. J’ai bien compris votre logique, chers collègues. Depuis le début
de l’examen du projet de loi, vous vous opposez à l’intégration des salariés,
des assimilés, des libéraux, des autonomes et de tous les régimes spéciaux
rencontrés au fil des articles dans le système universel de retraite. Ce n’est
pas tant le mot « universel » que vous refusez, c’est le principe même
de l’universalité.
M. le
président. La parole est à Mme Véronique Louwagie.
Mme
Véronique Louwagie. Permettez-moi de rappeler ce qui s’est passé dans
cet hémicycle en 2006, lors de l’examen du projet de loi relatif au secteur de
l’énergie, qui autorisait la privatisation de GDF en vue de la fusion avec Suez.
Savez-vous combien d’amendements avaient alors été déposés ?
M. Philippe
Vigier. Cent trente-sept mille !
Mme
Brigitte Bourguignon, présidente de la commission spéciale. Tout
le monde le sait !
Mme
Véronique Louwagie. Cent trente-sept mille sept cent
quarante-trois ! Et pourtant, le gouvernement de l’époque, un gouvernement
de droite, n’avait pas utilisé le temps législatif programmé ni eu recours au
49.3.
M. Philippe
Vigier. C’est vrai !
Mme
Véronique Louwagie. Il avait respecté la démocratie et le Parlement, et
laissé l’ensemble des groupes politiques s’exprimer librement.
M. Stéphane
Peu. Vive la droite ! (Sourires.)
Mme
Véronique Louwagie. Je répète, 137 743 amendements !
Alors cessez vos discours et vos leçons, avec vos
37 000 amendements ! (Exclamations sur les bancs du groupe
LaREM.) Si vous êtes attachés à la démocratie, laissez s’exprimer tous les
courants de pensée ! C’est seulement ainsi que le peuple français pourra
être entendu. (Applaudissements sur les bancs du groupe LR.)
M. Jean
François Mbaye. À cette heure tardive, vingt-trois heures trente…
Mme
Caroline Fiat. C’est pour ça, c’est très calme !
Mme Cendra
Motin. Bon, on peut parler ? (Rires sur les bancs du groupe
FI.)
M. Jean
François Mbaye. …force est de constater que nous dévions de notre
objectif. Un grand nombre d’amendements ont été déposés sur le projet de loi,
dès les travaux de la commission spéciale. Leurs auteurs doivent faire
aujourd’hui leur examen de conscience et prendre leurs responsabilités.
À
titre personnel, je souhaite débattre du fond. Nous vous avons beaucoup entendus
depuis douze jours et je vous appelle, chers collègues, à revenir au cœur du
sujet : la réforme que nous proposons, reposant sur une exigence
d’universalité et de justice sociale. Ce système universel est attendu par de
nombreuses professions. Pour d’autres, il fait l’objet d’inquiétudes qui se sont
exprimées dans le débat.
Je rappelle aux uns et aux autres que les coups
de massue infligés à notre système de retraite ne datent pas de notre majorité.
Sa remise en cause a commencé en 1993 avec Édouard Balladur et s’est poursuivie
en 2003 et en 2010.
Mme
Véronique Louwagie. On n’a pas utilisé le 49.3 !
M. Jean
François Mbaye. De nombreux députés qui siègent aujourd’hui à
l’Assemblée, de droite comme de gauche, ont largement contribué à cette
évolution.
Si nos collègues de La France insoumise agitent le chiffon
rouge de l’article 49, alinéa 3, c’est peut-être tout simplement parce
qu’ils en ont peur ! Ce n’est en tout cas pas nous qui en parlons, car nous
souhaitons poursuivre le débat et dépasser l’article 7. Nous ne commentons
pas les propos des uns et des autres dans la presse : nous nous contentons
de commenter ce qui se dit ici.
Mme
Mathilde Panot. Alors parlez de ce qui se dit dans
l’hémicycle !
M. Jean
François Mbaye. Il faut se rendre à l’évidence. Si le 49.3 vous fait
peur, dites-le. Pour notre part, nous souhaitons avancer dans l’examen du texte.
(Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe
LaREM. – Exclamations sur les bancs du
groupe FI.)
M. le
président. Permettez-moi, chers collègues, de rappeler quelles sont les
règles du jeu : si vous voulez vous exprimer sur des sujets sans rapport
avec les amendements, alors faites un rappel au règlement, celui-ci étant, vous
le savez, soumis à des règles précises.
À défaut, je serai dans
l’obligation d’appliquer l’article 54, alinéa 6, selon lequel
l’orateur ne doit pas s’écarter de la question. Certes, nous n’avons pas
appliqué cet article strictement depuis le début de l’examen du texte, puisque
nous avons accepté des interventions qui dépassaient le strict sujet de
l’amendement tant qu’elles concernaient la réforme des retraites. Mais les
interventions sur la méthode, elles, doivent faire l’objet d’un rappel au
règlement.
M. Maxime
Minot. Allez, on va se calmer ! Il ne reste que vingt-cinq
minutes !
Rappels au règlement
M. le
président. Merci de m’avoir si bien écouté, madame Fiat : vous avez
la parole pour un rappel au règlement.
Mme
Caroline Fiat. Il se fonde sur l’article 70, alinéa 2
– vous voyez que je n’ai même pas l’intention de répondre à mon collègue
pour ce qui est des examens de conscience. Cet article concerne tout membre de
l’Assemblée « qui se livre à des manifestations troublant l’ordre ou qui
provoque une scène tumultueuse ».
Pour ma part, je respecte tant
l’hémicycle que je n’ai pas réussi à interrompre M. Mbaye plus de vingt
secondes, malgré mes résolutions. Mais dès qu’un des trois députés de La France
insoumise présents ce soir prend la parole, la majorité ne cesse de faire du
bruit. À quatre-vingts contre trois, c’est facile de couvrir nos voix !
Mme
Brigitte Bourguignon, présidente de la commission spéciale.
Franchement, c’est du niveau de la cour d’école !
Mme
Caroline Fiat. Lorsque j’ai tenté de faire de même avec M. Mbaye,
chers collègues de la majorité, vous avez aussitôt réagi : alors s’il vous
plaît, respectez l’opposition ! Nous devons nous écouter ! Oui, il y a
trente mille amendements, mais nous ne pouvons en défendre qu’un sur
dix-sept : faites la division. (Applaudissements sur les bancs du
groupe FI.)
M. le
président. J’approuve vos paroles, madame Fiat : il faut
respecter l’orateur, mais cela vaut pour tous. Tout à l’heure, l’une de nos
collègues n’a pas réussi à s’exprimer en raison du grand nombre
d’interpellations provenant de certains bancs. Balayons chacun devant notre
porte et soyons, vous avez raison, respectueux des orateurs.
La parole
est à Mme Laurence Dumont, toujours pour un rappel au règlement.
Mme Laurence
Dumont. Il se fonde sur l’article 100, alinéa 5.
Non,
monsieur Mbaye, nous n’avons pas peur du 49.3, même s’il constituerait un
évident déni de démocratie. Ce que nous souhaitons surtout, c’est défendre les
amendements – d’où ce rappel au règlement fondé sur
l’article 100.
Ce n’est pas du 49.3 que nous avons peur, c’est des
effets de la réforme pour les Français. Et pour démontrer les effets de la
réforme, nous avons besoin de défendre nos amendements. Nous avons besoin de
temps pour expliquer ce qu’il y a dans ce projet de loi illisible et nuisible.
Laissez-nous défendre nos amendements pour éclairer l’opinion publique !
(M. Joël Aviragnet et Mme Mathilde
Panot applaudissent.)
M. Patrick
Mignola. Tout à fait d’accord ! Peut-on reprendre nos débats à
présent ?
Mme
Brigitte Bourguignon, présidente de la commission spéciale. Ce
n’était pas un rappel au règlement !
M. le
président. La parole est à Mme Caroline Fiat, pour un dernier
rappel au règlement.
Mme
Caroline Fiat. Je serai rapide, monsieur le président : je faisais
partie des députés qui vous ont interpellé alors que l’une de nos collègues
avait la parole. En effet, vous pouvez me croire sur parole, mon micro a été
coupé au moins trois fois depuis le début de l’examen du texte lorsque je
m’exprimais sur un autre sujet que l’amendement. Et je vous interpellais
précisément, monsieur le président, pour vous faire remarquer que cette députée
s’écartait du sujet de l’amendement.
M. le
président. Les choses sont donc claires désormais. Nous reprenons le
cours normal de nos travaux.
Article 7 (suite)
(Les amendements identiques nos 7608, 11911
et 11912 ne sont pas adoptés.)
M. le
président. La parole est à M. Alain Bruneel, pour soutenir
l’amendement no 29972 et les quatorze amendements identiques
déposés par les membres du groupe de la Gauche démocrate et républicaine.
M. Alain
Bruneel. Il tend à supprimer l’alinéa 23.
Non seulement le
montant des pensions de retraite des marins ne sera plus garanti avec votre
réforme, mais il risque de s’effondrer. Dès lors qu’ils ont validé trente-sept
annuités et demi de cotisations, le système actuel garantit aux marins un
montant de pension équivalent à 75 % des salaires forfaitaires de la
meilleure catégorie acquise. Ce mode de calcul assure aux marins le maintien de
leur niveau de vie.
Le régime par points va mécaniquement détricoter ce
système. L’ensemble de la carrière sera pris en compte, y compris les années de
chômage, de précarité et de bas salaire, au lieu de la dernière catégorie. Rien
n’est écrit dans le projet de loi pour garantir que les assiettes de cotisations
forfaitaires sur la base des catégories seront maintenues. Que répondez-vous sur
ce point ? Quoi que vous en disiez, vous vous apprêtez à faire baisser le
niveau de vie des futurs marins retraités.
M. le
président. Quel est l’avis de la commission ?
M. Nicolas
Turquois, rapporteur. L’alinéa 23 de l’article 7
propose l’intégration du régime des marins au sein du système universel de
retraite. Vous contestez cette mesure au motif qu’elle entraînerait la
diminution substantielle des retraites des marins. Je l’ai indiqué à plusieurs
reprises, le montant global consacré aux pensions et le nombre de pensionnés
resteront les mêmes après la fusion au sein du système universel de retraite. En
moyenne, les pensions resteront donc identiques, contrairement à ce que vous ne
cessez de répéter. Si nous passons vraiment notre temps à baisser toutes les
pensions, il va falloir se demander où passe l’argent ! C’est tout
simplement mathématique.
Au sein du régime des marins, la répartition
sera simplement légèrement différente, puisqu’un mécanisme de redistribution
permettra d’améliorer la situation des marins les plus en difficulté, aux
carrières heurtées. En tout état de cause, je suis favorable à l’intégration du
régime des marins au sein du système universel, selon des modalités qui seront
précisées par ordonnance.
M. le
président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. Laurent
Pietraszewski, secrétaire d’État. Monsieur Bruneel, j’ai bien
compris votre opposition à l’intégration du régime des marins au sein du système
universel de retraite. Nous vous avons pourtant donné l’assurance que les marins
y avaient toute leur place : le système prendra en compte les spécificités
de la profession, que j’ai rappelées et confirmées par écrit à ses
représentants. Avis défavorable.
M. le
président. Sur les amendements no 26840 et identiques,
je suis saisi par le groupe de la Gauche démocrate et républicaine d’une demande
de scrutin public.
Le scrutin est annoncé dans l’enceinte de l’Assemblée
nationale.
La parole est à M. Cyrille Isaac-Sibille.
M. Cyrille
Isaac-Sibille. Cette soirée est assez émouvante : en fait, nous
sommes en train de feuilleter l’histoire de France. Nous parlons à présent des
marins, ce qui nous ramène à Colbert, mais nous avons également évoqué Napoléon,
le Concordat et les cultes, ou encore le XIXe siècle et le
régime des mines, l’Alsace-Lorraine et le régime du port de Strasbourg, 1945 et
les cheminots…
Nous passons en revue l’histoire de France, nous la
dépoussiérons et ce que nous en extrayons, c’est la République. La République,
c’est donner à l’ensemble des Français un destin commun. Cette réforme des
retraites vise à donner aux Français une retraite commune. Voilà ce qui fait la
République ! (Applaudissements sur plusieurs bancs des groupes MODEM et
LaREM.)
Mme Nadia
Essayan. Bravo !
M. le
président. La parole est à Mme Mathilde Panot.
Mme
Mathilde Panot. La République, c’est la soif d’égalité, pas
d’équité.
M. Cyrille
Isaac-Sibille. La République, c’est partager !
Mme
Mathilde Panot. Or l’égalité passe par des droits, et c’est pourquoi les
droits fondent la République. Je veux remercier les députés communistes des
amendements qu’ils défendent sur ce sujet essentiel. Reprenons des chiffres, qui
ne datent pas, eux, de Mathusalem, mais de 2016.
Sur les quinze mille
marins français aujourd’hui en activité, plus de mille se blessent chaque année
– il s’agit de données officielles du ministère de l’agriculture et de
l’alimentation, que personne ici ne peut mettre en cause. La profession
affichait même en 2016 un indice de fréquence d’accidents du travail de
23 %, supérieur à celui du bâtiment et des travaux publics. Elle enregistre
également la mortalité la plus élevée. On y meurt dix-neuf fois plus que dans
l’ensemble des professions françaises et six fois plus que dans le secteur du
bâtiment et des travaux publics.
De plus, du fait de la pression
économique, les pêcheurs prennent plus de risques que d’autres professions
– c’est un médecin-chef qui le dit. Les salariés comme les patrons sont
payés à la part : plus ils ramènent, plus ils gagnent et il faut donc que
le poisson rentre.
Ce métier a donc des conditions d’exercice extrêmement
spécifiques, et je remercie encore une fois nos collègues communistes de les
porter au cœur du débat afin d’obtenir des garanties pas seulement, monsieur le
secrétaire d’État, inscrites dans une lettre, mais bien dans la loi, ce qui,
vous le reconnaîtrez, n’est pas la même chose.
(Mme Caroline Fiat applaudit.)
M. le
président. Un autre orateur demande-t-il la parole ?
M. Maxime
Minot. Oh non, monsieur le président, nous voulons que le débat
avance !
M. le
président. Merci, monsieur Minot, pour cette contribution au
débat ! (Sourires.)
(Les amendements nos 29972 et
identiques ne sont pas adoptés.)
M. le
président. La parole est à M. Stéphane Peu, pour soutenir
l’amendement no 26840 et les quinze amendements identiques
déposés par les membres du groupe de la Gauche démocrate et républicaine.
M. Stéphane
Peu. Notre groupe a demandé un scrutin public,…
M.
Dominique Potier. Oui, ça le mérite.
M. Stéphane
Peu. …parce que ces amendements ne sont pas de suppression mais de
proposition : nous proposons une rédaction alternative des alinéas 23
à 29, réaffirmant la primauté du droit existant dans le calcul des droits à la
retraite des marins pêcheurs, ce qui permet de prendre en compte des différentes
situations des professions de la mer.
Nous réaffirmons ainsi que la
retraite à taux plein, pour les travailleurs de la mer, est atteinte avec
trente-sept annuités et demi. Je rappelle à mon tour que le métier de marin est,
devant les métiers du bâtiment, celui dans lequel il y a le plus d’accidents
– le taux est deux fois plus élevé que la moyenne – et de morts au
travail, que l’espérance de vie y est inférieure de cinq ans à celle de
l’ensemble de la population et aussi que les marins sont exposés à de multiples
critères de pénibilité : travail de nuit, horaires décalés, l’amplitude
horaire, éloignement de la famille, exposition à des substances chimiques, port
de charges lourdes, températures extrêmes, postures pénibles, bruit ou encore
expositions aux ondes électromagnétiques.
Voilà toute une série de
raisons qui devraient tout de même vous amener, mes chers collègues, à préférer
notre rédaction à celle du projet de loi, afin de donner des garanties aux
professionnels de la mer qui sont aujourd’hui dans un doute assez intenable
puisque leur avenir va être rédigé par ordonnance. En dépit de ce qu’a dit le
secrétaire d’État, beaucoup de zones d’ombre subsistent, qui sont le ferment à
mon avis d’une colère qui va grandir si on n’y répond pas précisément.
(Applaudissements sur les bancs du groupe FI.)
M. le
président. Quel est l’avis de la commission ?
M. Nicolas
Turquois, rapporteur. Pour l’illustrer, je vais prendre un
exemple que je connais depuis la rencontre dont j’ai déjà parlé, organisée par
notre collègue Jimmy Pahun avec des représentants de l’ENIM. Certains
mytiliculteurs, donc, ou certains ostréiculteurs relèvent du régime de la MSA
– Mutualité sociale agricole –, d’autres relèvent de l’ENIM. Il serait
pourtant logique que les conditions de départ en retraite soient les mêmes pour
eux, dans le cadre du système universel, qu’ils aient été historiquement
affiliés à l’un ou à l’autre.
C’est pourquoi il faut prendre en compte
toutes les particularités des métiers de la mer. Ainsi, le terme
« pêcheurs » correspond à des professions extrêmement
différentes : certains partent en pleine mer pendant de nombreuses semaines
tandis que d’autres pratiquent uniquement la pêche côtière… Seule une approche
basée sur la discussion avec ces professions permettra de surmonter les
difficultés le plus équitablement possible. Même si je ne doute pas des bonne
intentions des auteurs de cette série d’amendements, l’avis est
défavorable.
M. le
président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. Laurent
Pietraszewski, secrétaire d’État. Le rapporteur a expliqué de
façon particulièrement intéressante, à travers quelques exemples, la diversité
des métiers de la mer. C’est cela qui pose problème, et c’est la raison pour
laquelle nous menons une indispensable concertation, en lui consacrant le temps
nécessaire. J’ai assisté à quelques séances de travail au ministère avec les
représentants de ces métiers, qui étaient en grand nombre pour refléter leur
diversité.
Des dispositions garantissent que leurs spécificités seront
prises en compte, comme je l’ai confirmé tout à l’heure. Si le Gouvernement
souhaite ensuite procéder par voie d’ordonnance, c’est en raison même de la
diversité des métiers concernés et de la nécessité d’attendre les conclusions
des concertations.
M. le
président. La parole est à M. Jimmy Pahun.
M. Cyrille
Isaac-Sibille. Le loup de mer !
M. Jimmy
Pahun. J’avais déjà parlé il y a quelques jours des différenciations à
prendre en compte. Il n’y a pas moins de vingt catégories de navigation. Vous
avez raison de vouloir revaloriser les petites catégories, qui sont payées au
forfait, ou « à la part », comme on dit en mer. Les matelots sont
souvent les moins bien payés, sur ces parts. Vous entendez mieux rémunérer les
petits forfaits, mais aussi rééquilibrer l’ensemble du
système.
M. le rapporteur a cité le cas de l’ostréiculteur qui
relève soit de la MSA, soit de l’ENIM, mais il y a des situations bien plus
absurdes. Ainsi les marins pêcheurs sont-ils parfois dans une catégorie de
navigation inférieure à des gens qui ne font qu’assurer des liaisons maritimes
par exemple entre les rives de Locmiquélic et de Lorient, ce qui est tout de
même incroyable !
Je vous remercie, monsieur le secrétaire d’État,
d’avoir gravé dans le marbre le maintien de la retraite à 50 ans pour les
marins pêcheurs, mais il faut vraiment aussi clarifier la situation d’ensemble,
ce que vous comptez faire par ordonnance, après avoir écouté les différentes
professions. Et vous, monsieur le rapporteur, je vous remercie, alors que vous
étiez accaparé par votre travail au sein de la commission spéciale, d’avoir
trouvé le temps de parler aux marins pêcheurs, aux armateurs et aussi aux
caisses de retraite des invalides de mer. Je suis certain que nous allons
trouver des solutions pour que les petites retraites soient mieux valorisées.
(Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe MODEM.)
M. le
président. La parole est à M. Dominique Potier.
M.
Dominique Potier. Je me permets à ce stade de faire le parallèle entre
les travailleurs de la mer et les travailleurs de la terre. J’apprends beaucoup
de choses sur la diversité des situations des métiers de la mer. Dans le travail
de la terre existe le même type de diversité, que ce soit dans le monde paysan,
dans l’agroalimentaire, chez les exploitants ou chez les salariés
agricoles.
J’apprécie lorsque, sans démagogie, s’ouvre la perspective
d’une commission parlementaire qui prenne en compte les différences entre une
paysannerie sans patrimoine ni ressources, qui a besoin d’être reconnue dans sa
dignité, et ceux qui ont eu la chance de faire fructifier un patrimoine. Mais on
nous invite aujourd’hui à faire un pari, un acte de confiance sans connaître les
règles du jeu sur la convergence des systèmes et la prise en compte des
diversités.
En cette fin de séance où le ton est serein, chacun ne
cherchant qu’à traiter du sujet, j’ai quelques remarques. D’abord, certains ont
parlé du futur système comme étant universel et égalitaire. Mais pourtant nous
sommes en pleine confusion, et personne ne nous dit comment vont converger les
divers systèmes dont nous parlons.
Par ailleurs, la vraie inégalité
aujourd’hui, et qui ne sera pas réglée demain, c’est la pénibilité. Elle est le
trou noir de votre texte, monsieur le secrétaire d’État. Le MEDEF ne cesse de
répéter qu’il ne veut pas en entendre parler, il attend le 49.3 pour que tout
s’arrête à ce stade ! Nous sommes dans une situation de tension où la vraie
inégalité ne se mesure pas au regard de l’idéal d’un peuple des égaux, mais aux
différences d’espérance de vie selon les métiers – jusqu’à treize ans de
plus dans certains métiers que dans d’autres ! – et aux immenses
disparités de ressources.
Rien dans le nouveau système ne permettra de
résoudre vraiment cette inégalité. Cessons donc de donner des leçons sur
l’universalité et la République: construisons simplement et avec humilité des
outils de justice.
M. le
président. La parole est à Mme Mathilde Panot.
Mme
Mathilde Panot. L’intervention de Jimmy Pahun rejoint ce que
soulignaient les collègues communistes, notamment quant à la nécessité de
revaloriser la retraite des petits marins pêcheurs et des « petites
catégories de navigation », si j’ai bien compris. Mais la procédure prévue
pour y arriver, celle des ordonnances, ne nous rassure en rien.
Que le
Gouvernement ait besoin de temps est une chose – cette réforme fait tout de
même l’objet de discussions depuis maintenant plus de deux ans ! –
mais passer par les ordonnances en est une autre. C’est un problème pour notre
groupe de ne pas savoir ce qui va être vraiment décidé, et si les garanties
importantes que proposent d’inscrire dans la loi les députés communistes vont
être reprises. (Brouhaha.)
Je souligne que les marins sont
confrontés à une pénibilité extrêmement forte, avec un taux de mortalité et
d’accidents très important. Cela ne nous rassure pas que le Gouvernement puisse
décider lui-même de ce qu’il en sera, sans garanties inscrites dans la loi, sans
clarté et sans lisibilité.
Mme
Marie-Christine Dalloz. Si cela avait un sens, ça se saurait…
Mme
Mathilde Panot. Nous voterons donc bien évidemment ces amendements de
nos collègues communistes.
M. le
président. Je mets aux voix les amendements no 26840 et
identiques.
(Il est procédé au scrutin.)
M. le
président. Voici le résultat du
scrutin :
Nombre de
votants 68
Nombre
de suffrages
exprimés 66
Majorité
absolue 34
Pour
l’adoption 10
Contre 56
(Les amendements no 26840 et
identiques ne sont pas adoptés.)
(L’amendement no 10005, accepté par le
Gouvernement, est adopté.)
M. le
président. La suite de la discussion est renvoyée à la prochaine
séance.
2
Ordre du jour de la prochaine séance
M. le
président. Prochaine séance, demain, à neuf heures :
Suite
de la discussion du projet de loi instituant un système universel de
retraite.
La séance est levée.
(La séance est levée à vingt-trois heures cinquante-cinq.)
Le Directeur du service du compte rendu de la séance
de
l’Assemblée nationale
Serge Ezdra
|