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Assemblée nationale XVe législature Session
ordinaire de 2019-2020
Compte rendu intégral
Première séance du samedi 29 février 2020
SOMMAIRE
Présidence
de M. David Habib
1.
Système universel de retraite
Discussion
des articles (suite)
Article 7
(suite)
Amendements nos 12
, 387
, 2282
, 25190
, 26849,
29987, 29988, 29989, 29990, 29991, 29992, 29993, 29994, 29995, 29996, 29997,
29998, 29999, 30000, 30001
M. Nicolas
Turquois, rapporteur de la commission spéciale
M. Laurent
Pietraszewski, secrétaire d’État chargé des retraites
Amendements nos 19321,
19322, 19323, 19324, 19325, 19326, 19327, 19328, 19329, 19330, 19331, 19332,
19333, 19334, 19335, 19336, 19337 , 8041
, 26848,
30017, 30018, 30019, 30020, 30021, 30022, 30023, 30024, 30025, 30026, 30027,
30028, 30029, 30030, 30031 , 26761,
30002, 30003, 30004, 30005, 30006, 30007, 30008, 30009, 30010, 30011, 30012,
30013, 30014, 30015, 30016 , 36071,
26847, 36057, 36058, 36059, 36060, 36061, 36062, 36063, 36064, 36065, 36066,
36067, 36068, 36069, 36070 , 39120
, 30130,
30131, 310132, 30133, 30134, 30135, 30136, 30137, 30138, 30139, 30140, 30141,
30142, 30143, 30144, 30145 , 22734,
22735, 22736, 22737, 22738, 22739, 22740, 22741, 22742, 22743, 22744, 22745,
22746, 22747, 22748, 22749, 22751 , 30063,
30064, 30065, 30066, 30067, 30068, 30069, 30070, 30071, 30072, 30073, 30074,
30075, 30076, 30077 , 10012
, 26842,
36072, 36073, 36074, 36075, 36076, 36077, 36078, 36079, 36082, 36083, 36084,
36085, 36086, 36087, 36088
Suspension
et reprise de la séance
Avant
l’article 8
Amendements nos 2353,
2354, 2355, 2356, 2357, 2358, 2359, 2360, 2361, 2362, 2363, 2364, 2365, 2366,
2367, 2368, 2369 , 5812,
5813, 5814, 5815, 5816, 5817, 5818, 5819, 5820, 5821, 5822, 5823, 5824, 5897,
5898, 5899, 5900 , 23847
, 42192
(sous-amendement) , 42194,
42195, 42197, 42199, 42200, 42201, 42202 (sous-amendements) , 23848
, 42589
(sous-amendement) , 26762,
31077, 31078, 31079, 31080, 31081, 31082, 31083, 31084, 31085, 31086, 31087,
31088, 31089, 31090, 31091 , 2370,
2371, 2372, 2373, 2374, 2375, 2376, 2377, 2378, 2379, 2380, 2381, 2382, 2383,
2384, 2385, 2386, 5825, 5826, 5827, 5828, 5829, 5830, 5831, 5832, 5833, 5834,
5835, 5836, 5837, 5901, 5902, 5903, 5904
Article 8
Mme Laurence
Dumont
M. Paul
Christophe
M. Alexis
Corbière
M. Stéphane
Peu
Mme Christine
Cloarec-Le Nabour
M. Maxime
Minot
M. Frédéric
Petit
M. Philippe
Vigier
M. Joël
Aviragnet
M. Ugo
Bernalicis
M. Alain
Bruneel
Mme Florence
Granjus
M. Éric
Woerth
M. Bruno
Fuchs
M. Laurent
Pietraszewski, secrétaire d’État
Amendements nos 961
, 11913
, 16652,
16653, 16654, 16655, 16656, 16657, 16658, 16659, 16660, 16661, 16662, 16663,
16664, 16665, 16666, 16667, 16668 , 26763,
31171, 31172, 31173, 31174, 31175, 31176, 31177, 31178, 31179, 31180, 31181,
31182, 31183, 31184, 31185
2.
Ordre du jour de la prochaine séance
Présidence de
M. David Habib
vice-président
M. le
président. La séance est ouverte.
(La séance est ouverte à neuf heures.)
1
Système universel de retraite
Suite de la discussion d’un projet de loi
M. le
président. L’ordre du jour appelle la suite de la discussion du projet
de loi instituant un système universel de retraite (nos 2623
rectifié, 2683).
Discussion des articles (suite)
M. le
président. Hier soir, l’Assemblée a poursuivi la discussion des articles
du projet de loi, s’arrêtant à l’amendement no 12 à
l’article 7.
Article 7 (suite)
M. le
président. Sur les amendements nos 12 et
identiques, qui seront appelés dans un instant, je suis saisi par le groupe Les
Républicains d’une demande de scrutin public.
Le scrutin est annoncé dans
l’enceinte de l’Assemblée nationale.
Je suis saisi de vingt amendements
identiques : les amendements nos 12, 387, 2282 et 25190,
ainsi que les amendements, déposés par le groupe de la Gauche démocrate et
républicaine, nos 26849 à 30001.
La parole est à
M. Éric Woerth, pour soutenir l’amendement no 12.
M. Éric
Woerth. Trop d’ordonnances tue les ordonnances. Alors que nous n’avions
pas utilisé cette procédure pour des textes de nature similaire, le projet de
loi prévoit d’y recourir massivement, ce qui nuit à sa lisibilité et à sa
compréhension. C’est dans les ordonnances que figureront tous les détails. Or
c’est dans les détails que se trouve la réponse concrète aux questions que se
posent les Français.
Je ne sais pas combien d’ordonnances il y aura au
final, mais vous identifiez vingt-neuf sujets d’ordonnances, qui porteront,
selon le Conseil d’État, sur plus d’une quarantaine de questions. On ne peut pas
prétendre que le Parlement en discutera, puisque son rôle se limitera à
autoriser le Gouvernement à agir par cette voie, et que le processus de
ratification interviendra bien plus tard.
Il y a là une boîte noire. Nous
constatons d’ailleurs que, quand nos questions ne trouvent pas de réponse, c’est
parce que celle-ci figurera dans une ordonnance à venir. Nous contestons cette
manière d’agir.
M. le
président. La parole est à Mme Marie-Christine Dalloz, pour
soutenir l’amendement no 387.
Mme
Marie-Christine Dalloz. Le nombre d’ordonnances que vous prévoyez pose
problème. Le Conseil d’État le dit très bien : parmi la quarantaine de
sujets que vous vous apprêtez à traiter par cette voie, certaines sont
fondamentales, comme la définition du régime d’invalidité, d’inaptitude ou de
pénibilité corollaires des nouvelles dispositions régissant les droits à
pension, la gouvernance du nouveau système de retraites et les conditions
d’entrée en vigueur de la réforme.
Son avis contient une phrase que vous
n’avez pas dû apprécier : « Le fait, pour le législateur, de s’en
remettre à des ordonnances pour la définition d’éléments structurants du nouveau
système de retraite fait perdre la visibilité d’ensemble qui est nécessaire à
l’appréciation des conséquences de la réforme et, partant, de sa
constitutionnalité et de sa conventionnalité. » On court un risque
considérable en traitant ainsi un sujet aussi fondamental pour l’ensemble des
Français.
Allons plus loin. Vous nous proposez de porter atteinte à la
sécurité juridique des futurs retraités, ce qui représente un enjeu
considérable. M. Woerth a rappelé que la réforme de 2010 menée, sous la
présidence de Nicolas Sarkozy, par le gouvernement de François Fillon ne
contenait aucune ordonnance.
Depuis le début de nos débats, vous répétez
sans cesse qu’il s’agit d’honorer un engagement de campagne du candidat Macron.
Mais cet engagement remonte à avril ou à mai 2017. Nous sommes à la veille
de mars 2020. Qu’avez-vous fait pour nous présenter aujourd’hui un texte
non sécurisé ?
M. le
président. La parole est à M. Philippe Vigier, pour soutenir
l’amendement no 2282.
M. Philippe
Vigier. Lors de la discussion générale, puis lors de nos débats, nous
nous sommes interrogés sur le nombre élevé d’ordonnances que vous prévoyez de
prendre. Est-il toujours fixé à vingt-neuf ou pensez-vous pouvoir le
réduire ? Dans ce cas, quelles sont les ordonnances qui disparaîtront de
facto et quel sera le champ des autres ?
D’autre part, en admettant
que l’Assemblée nationale habilite le Gouvernement à légiférer par ordonnances,
comme l’annonçait Nicolas Turquois, quel sera le match retour ? J’imagine
que les rapporteurs de la commission spéciale, dont nul ne niera qu’elle a
beaucoup travaillé, seront associé à leur rédaction, mais, à tout le moins, leur
contenu sera-t-il présenté devant la commission des affaires sociales ou la
commission spéciale ? Ce serait de bonne démocratie. On ne peut écarter le
Parlement d’une grande partie de la déclinaison de la réforme, alors que les
députés, particulièrement assidus – hier, nous avons examiné en moyenne
quatre-vingt-deux amendements par heure, ce qui constitue un rythme normal
– souhaitent aller au fond des choses.
Nous pouvons comprendre que
vous recouriez aux ordonnances, comme le permet la Constitution. Certains sujets
ne peuvent d’ailleurs être traités que par cette voie. Mais il reste beaucoup
d’inconnues. Dès lors, monsieur le secrétaire d’État, il est indispensable de
clarifier le rôle que devra jouer le Parlement.
M. le
président. La parole est à Mme Laurence Dumont, pour soutenir
l’amendement no 25190.
Mme Laurence
Dumont. Pardon de nous répéter, mais, sur cette question, vous ne
parvenez pas à entendre raison. Je répète la phrase du Conseil d’État, déjà
citée par Mme Dalloz : « Le fait, pour le législateur, de s’en
remettre à des ordonnances pour la définition d’éléments structurants du nouveau
système de retraite fait perdre la visibilité d’ensemble qui est nécessaire à
l’appréciation des conséquences de la réforme. » Nous sommes en train de
bouleverser le régime de retraite et le Conseil d’État observe que nous nageons
en plein brouillard.
En outre, on ignore si vous utiliserez
l’article 49, alinéa 3, de la Constitution. Nous l’avons répété
hier : ce n’est pas cette utilisation qui nous inquiète, mais les
conséquences de la réforme, que nous devons discuter en détail, ligne à ligne,
ce qui ne sera pas possible si vous procédez par ordonnances. Lors des
précédentes réformes des retraites, il n’a pas été recouru à ce procédé, sinon à
la marge. Or vous en prévoyez vingt-neuf aujourd’hui – et demain, nous
verrons.
Nous n’aimons pas qu’on nous ordonne quelque chose. Je l’ai dit
hier : ce n’est pas seulement un problème de confiance. Nous n’aimons pas
cette manière de légiférer. La représentation nationale est là pour faire la
loi. Elle n’a pas à déléguer ce pouvoir à d’autres, qui l’exerceront ailleurs et
plus tard.
M. le
président. La parole est à M. Stéphane Peu, pour soutenir
l’amendement no 26849 et les quinze autres amendements
identiques déposés par le groupe de la Gauche démocrate et républicaine.
M. Stéphane
Peu. Après mes collègues, je viens à mon tour plaider pour la
suppression des alinéas 25 à 29, qui tendent à habiliter le Gouvernement à
agir par ordonnances. Si une telle procédure est acceptable pour apporter des
précisions techniques à un texte, la mise en garde du Conseil d’État est
éloquente. Nous ne pouvons pas vous accorder notre confiance pour vous laisser
rédiger, au coin d’un bois, des dispositions qui remettent en cause pour des
décennies un principe essentiel du contrat social – et que notre pays
connaît d’ailleurs depuis des décennies.
On le sait, vous avez totalement
« foiré » le dialogue social. Vous avez contre vous – dans une
proportion différente – l’ensemble des partenaires sociaux, des syndicats
de salariés aux syndicats d’employeurs. Le Conseil d’État vous a administré une
fessée magistrale. (Exclamations sur plusieurs bancs du groupe
LaREM.)
M. Alain
Perea. Personne n’a mis de fessée à personne !
M. Stéphane
Peu. Vous arrivez devant le Parlement avec un projet de loi plein de
trous, dont on ne possède pas l’équation financière, puisque la conférence de
financement est loin d’être achevée. Et vous prévoyez en outre de prendre
vingt-neuf ordonnances ? Vous n’avez pas l’impression, comme on dit, de
pousser mémé dans les orties ?
M. le
président. La parole est à M. Nicolas Turquois, rapporteur de la
commission spéciale pour le titre Ier, pour donner l’avis de la
commission sur ces amendements identiques.
M. Nicolas
Turquois, rapporteur de la commission spéciale. Je ne sais pas si
nous poussons mémé dans les orties, mais vous, vous poussez le bouchon un peu
loin. Le Conseil d’État est le conseil juridique du Gouvernement. Il est normal
que celui-ci sollicite son avis et en tire des conséquences. En la matière, il
n’est pas question d’autre chose.
En ce qui concerne le nombre
d’ordonnances, je me suis exprimé hier. La situation des marins, que j’ai citée
à titre d’exemple, me semble emblématique de l’utilité, voire de la nécessité,
de cette méthode. Gardons à l’esprit que le système universel de retraite
concerne tous les métiers qu’exercent nos concitoyens. Compte tenu de l’ampleur
de la transformation, ainsi que des critères techniques de chaque profession,
des statuts et des sous-statuts, légiférer par ordonnances semble la méthode la
plus adaptée. Pour ce faire, le projet de loi définit un champ d’habilitation,
après quoi les ordonnances devront être validées par le Parlement, alors que des
décrets d’application ne seraient pas soumis au même contrôle.
J’ai
appris, en rencontrant les marins, que certains conchyliculteurs dépendent du
régime des marins et d’autres, de celui de la MSA, la Mutualité sociale
agricole. Je ne suis pas sûr qu’il soit très intéressant, tant pour les
conchyliculteurs que pour les députés, que l’évolution de leur statut soit
débattu dans cet hémicycle. Une telle discussion ne me semble pas relever du
rôle du Parlement.
Avis défavorable.
M. le
président. La parole est à M. le secrétaire d’État chargé des
retraites, pour donner l’avis du Gouvernement.
M. Laurent
Pietraszewski, secrétaire d’État chargé des retraites. Depuis
deux semaines, nous avons déjà eu un débat assez fourni sur la question des
ordonnances. J’entends la position de certains d’entre vous, qui craignent de se
voir déposséder d’une partie de la loi, mais le rapporteur vient de rappeler la
double procédure d’habilitation et de ratification qui encadre cette
procédure.
Lorsque le Gouvernement vous demande de l’habiliter à
légiférer par ordonnances, l’occasion vous est donnée de lui apporter la
contradiction, mais aussi de l’éclairer. De même, le Gouvernement peut, chaque
fois, écouter les parlementaires et leur présenter sa vision, comme je m’emploie
à le faire : c’est la procédure parlementaire, la vie démocratique. Restons
donc sereins.
Monsieur Woerth, vous m’interrogez sur le nombre
d’ordonnances, et soulignez qu’elles porteront sur de nombreux sujets. Le
président Vigier souhaitait hier être rassuré sur le fait que l’objet de
certaines ordonnances serait inscrit dans le dur de la loi. Je l’ai déjà dit à
plusieurs reprises : le Gouvernement a pour ambition de faire vivre le
texte, en l’enrichissant grâce à nos échanges. J’ai annoncé hier que le contenu
de huit des vingt-neuf des ordonnances initialement prévues seraient finalement
inscrites dans le dur du projet de loi. Ce travail avait été amorcé en
commission spéciale, même s’il n’en reste pas trace dans le texte qui vous est
soumis puisque cette commission n’avait pu l’examiner jusqu’à son
terme.
Quoi qu’il en soit, sera concerné par cette transposition le
contenu des ordonnances initialement prévues aux articles 16, 18, 38, 46,
49, 52, 53 et 61. Je n’oublie pas, monsieur Paul Christophe, que vous attendez
avec impatience l’examen de ce dernier article, qui porte sur les modalités de
transition. Chaque fois, les dispositions transposées dans le projet de loi
portent sur des questions très importantes, notamment sur la
transition.
Monsieur Peu, vous vous inquiétiez de la qualité du dialogue
social. Pour avoir mené les concertations sur le minimum contributif et la
transition, je puis vous dire que, notamment pour cette deuxième question, le
texte est très attendu par les partenaires sociaux. Il est très important pour
eux que nous gravions les dispositions prévues à l’article 61 dans le dur
de la loi.
On ne peut pas dire non plus, madame Dumont, que le Conseil
d’État n’a pas été écouté : son assemblée générale a renvoyé au
Gouvernement un texte qui est précisément celui que nous vous soumettons. Vous
ne pouvez donc pas nous reprocher de ne pas avoir tenu compte des remarques du
Conseil d’État, tout en débattant sur des dispositions fondées sur son
avis ; ce serait à tout le moins incohérent.
Monsieur le Président
Vigier, je sais que vous maîtrisez parfaitement la procédure
parlementaire ; vous savez donc qu’une habilitation à légiférer par
ordonnances est suivie par un projet de loi de ratification, comme l’a rappelé
le rapporteur Turquois.
Je serai particulièrement attentif à la bonne
information du Parlement sur ces ordonnances. Même si je dois encore réfléchir à
la forme que cela prendra, j’ai bien pris note des attentes des uns et des
autres en la matière.
Avis défavorable sur les amendements.
M. le
président. La parole est à M. Philippe Vigier.
M. Philippe
Vigier. Je ne peux pas dire que j’ai été complètement rassuré, tant s’en
faut ! Nous n’avons toujours aucune visibilité sur le nombre d’ordonnances
prévues au bout du chemin.
Monsieur Turquois, le Parlement n’a pas la
possibilité d’amender les ordonnances ! Ne nous racontons pas d’histoire,
cela n’existe pas.
Un député du groupe
LaREM. Ce n’est pas ce qu’il a dit !
M. Philippe
Vigier. Cela revient au même : je ne veux pas avoir à ratifier les
dispositions en question les yeux fermés !
Il me paraît essentiel,
monsieur le secrétaire d’État, que le texte des ordonnances soit présenté à la
commission spéciale, à la commission des affaires sociales et aux groupes
parlementaires, afin de pouvoir avancer, comme je vous l’avais déjà demandé.
Nous ne pouvons laisser passer une telle réforme sans la marquer de sa
patte ! Passer entre trois semaines et un mois et demi à examiner un texte
pour devoir finalement voter sur une copie déjà écrite par d’autres n’aurait pas
de sens. Ce n’est pas ça, la démocratie parlementaire ; celle-ci exige la
navette dont je parle, d’autant que les députés ne disposent pas, à ce stade, de
tous les éléments d’appréciation.
Je ne vous fais pas de mauvais procès,
j’explicite seulement ce que toutes les personnes de bonne foi pensent ici. Si
vous étiez à ma place, monsieur le secrétaire d’État, vous formuleriez le même
constat : à un moment, il faut dire les choses franchement ! Nous
pouvons faire des pas dans votre direction mais, au bout d’un moment, nous ne
l’acceptons plus car nous atteignons les limites de ce qui est
soutenable.
Je vous redemande formellement combien d’ordonnances sont
finalement prévues, quel sera leur champ, et si le Gouvernement s’engage devant
les membres des groupes parlementaires et la commission des affaires sociales,
ici présents, à dialoguer avec eux sur leur contenu, avant leur
publication.
M. le
président. La parole est à Mme Véronique Louwagie.
Mme
Véronique Louwagie. Vous prévoyiez vingt-neuf ordonnances portant sur
quarante questions et réparties dans vingt-trois articles – soit un tiers
des articles au total. Nous savons que le diable se cache dans les
détails ; or, ici, nous ne parlons pas de détails mais de sujets
essentiels.
Je suis très surprise, monsieur le rapporteur, monsieur le
secrétaire d’État, par votre absence de réponse concernant l’avis du Conseil
d’État. Vous avez été interpellés par des députés de tous les bancs de cet
hémicycle sur l’avis très critique et les doutes qu’il a émis. Or vous n’avez
pas répondu sur ce point, comme si vous en faisiez fi.
Par ailleurs,
monsieur le rapporteur, vous insistez sur la différence entre ordonnances et
décrets d’application ; mais ce n’est pas la question ! Le texte
soumis aux députés doit inclure des réponses et des éléments de fond. C’est ce
que nous vous demandons, tout comme les Français qui veulent des réponses aux
nombreuses questions restées en suspens, qui les inquiètent
particulièrement.
Monsieur le secrétaire d’État, vous prétendez que le
Gouvernement écoute les parlementaires. Je ne crois pas que ce soit le
cas : la commission spéciale n’a pas pu aller jusqu’au bout de l’examen des
amendements, et vous n’apportez aujourd’hui aucune réponse à nos questions. Or
les Français sont en droit d’attendre des réponses : vous devez donc les
leur apporter. (Applaudissements sur les bancs du groupe LR.)
M. le
président. La parole est à M. Alain Bruneel.
M. Alain
Bruneel. J’irai exactement dans le même sens que mes collègues. Pour
justifier le recours à l’ordonnance prévue à cet article, le rapporteur explique
qu’au vu de la diversité des métiers exercés par les marins et de leurs
spécificité, il faut prendre le temps de discuter.
Depuis le début des
débats dans l’hémicycle, nous n’avons cessé de souligner la spécificité de tout
un ensemble de métiers ; or, monsieur le rapporteur, vous avez refusé d’en
discuter. Hier, concernant le régime minier, vous avez ainsi imposé une fin de
non-recevoir aux propositions d’aménagement de la réforme, alors que ce régime
concerne quelques 1 400 mineurs. En revanche, vous annoncez
aujourd’hui un débat avec les représentants du personnel de la
Comédie-Française, parce que les décisions les concernant n’ont pas été
finalisées. Vous êtes donc ouverts à la discussion concernant certains métiers,
alors que pour d’autre vous la refusez de manière très arbitraire.
Je
pense que vous marchez à l’aveugle. Vous aviez prévu vingt-neuf ordonnances,
parce que vous ne savez pas du tout où vous allez et que vous avez besoin
d’approfondir votre travail sur différents articles. Si vous étiez sûrs de vous,
nous pourrions discuter de toutes les dispositions de la réforme dans cet
hémicycle !
Vingt-neuf ordonnances pour cette réforme, et plus
de dix pour le projet de loi de financement de la sécurité sociale
– PLFSS – pour 2020 : vous ne procédez que par ordonnances,
privant les parlementaires, donc les citoyens, dont ils relaient la voix,
d’une discussion sur le fond. C’est un déni de démocratie !
M.
Jean-René Cazeneuve. Vous plaisantez, j’espère !
M. Alain
Bruneel. C’est anormal et scandaleux ! (Applaudissements sur les
bancs du groupe GDR. – Mme Jeanine Dubié applaudit
également.)
M. le
président. La parole est à M. Ugo Bernalicis.
M. Ugo
Bernalicis. Je laisserai Éric Coquerel traiter plus à fond des
ordonnances prévues pour les marins, préférant pour ma part reprendre les
remarques de mes collègues sur votre usage des ordonnances.
Dans son
avis, le Conseil d’État souligne que, pour le législateur, « s’en remettre
à des ordonnances pour la définition d’éléments structurants du nouveau système
de retraite » pourrait porter atteinte « à la constitutionnalité et à
la conventionnalité du texte en question ». Cette remarque vaut aussi pour
la version du texte que nous examinons, notamment pour le présent
article.
Les ordonnances qui y sont prévues portent-elles sur des
éléments structurants, ou sur des questions suffisamment marginales pour que
l’habilitation ne pose pas de problème de constitutionnalité ? Ce sont bien
des éléments structurants, puisqu’il s’agit de définir les modalités de la
période transitoire, la durée de cotisation, l’âge de départ et l’âge
d’équilibre : autant de sujets qui, à tout le moins, intéressent
directement les travailleurs concernés et touchent à des éléments structurants
de leurs vies.
S’agit-il aussi d’éléments structurants pour nous,
parlementaires ? Avons-nous besoin d’éléments supplémentaires pour nous
forger un avis sur ce texte ? Bien sûr que oui ! Ces ordonnances, de
plus, revêtent des enjeux budgétaires et financiers.
Nous en revenons à
un point déjà discuté : comment se fait-il que l’examen du texte en séance
ait lieu en même temps que la conférence de financement, laquelle doit définir
les propositions sur lesquelles nous devrons nous prononcer – sachant, en
plus, que cette conférence peine à avancer ? On marche sur la
tête !
Je partage l’avis de mon collègue Bruneel : avec ces
ordonnances, vous pilotez à vue ! Vous ne savez pas ce que vous
faites ! Que faites-vous depuis deux ans ? On pourrait se le
demander ! Que je sache, cela fait bien deux ans que vous bossez sur le
sujet, non ?
Mme
Véronique Louwagie. Exactement !
M. Ugo
Bernalicis. Et vous n’avez pas encore défini les mesures
transitoires ? Vous prétendez que c’est parce que vous voulez laisser la
place au dialogue social mais, quand on suit la conférence de financement, on se
dit : « peut mieux faire ! » Encore faut-il,
d’ailleurs, que les travaux de cette conférence débouchent sur des propositions.
Ainsi, nous discutons de cette réforme sans en connaître, ni les paramètres, ni
les conséquences, notamment budgétaires et financières.
M. le
président. La parole est à Mme Laurence Dumont.
Mme Laurence
Dumont. Monsieur le secrétaire d’État, c’est vrai, vous écoutez
poliment, mais vous n’entendez pas – ni le Conseil d’État, ni les députés.
Vous prétendez que « le Gouvernement a pour ambition de faire vivre le
texte ». Mais ce ne sont que des mots ! « Paroles,
paroles » ! Sur les vingt-neuf ordonnances initialement prévues, vous
en conservez vingt et une, si j’en crois votre décompte. Vous nous dites que les
dispositions relatives à la période de transition seront retirées des
ordonnances. C’est inexact, puisque vous comptez maintenir l’ordonnance prévue à
l’article 39, relative à l’Opéra de Paris, pour prendre un exemple au
hasard.
Comprenons-nous bien, y compris pour les échanges que nous avons
à l’extérieur : il n’est pas vrai que le contenu des ordonnances est
débattu au Parlement ; celui-ci peut seulement se prononcer sur leur
ratification, autrement dit répondre par oui ou par non, sans pouvoir les
amender ; c’est comme pour les traités internationaux.
Nous
n’acceptons pas de nous dessaisir ainsi de notre responsabilité et de notre
pouvoir législatif. Nous ne sommes pas d’accord ! Mon collègue a sans doute
raison, hélas : le texte est illisible, imprévisible, et il donne le
sentiment que vous ne savez pas où vous allez. J’en veux pour preuve le fait que
vous soyez incapables, depuis le début, de proposer un simulateur. Vous vantez
les mérites de cette réforme. Mais, pour que les citoyens en soient absolument
sûrs, ils doivent s’en rendre compte par eux-mêmes, se faire leur
avis !
Il faudrait que les Français, et a fortiori leurs
représentants, aient, avant de voter, pu prendre connaissance des effets de la
réforme. Or, comme vous le savez très bien, le flou le plus total règne, et
personne, ni vous, ni nous – mais vous, c’est plus embêtant – ne les
connaît ; tout au plus savons-nous que la réforme sera délétère pour
certains de nos concitoyens.
(« Bravo ! » et
applaudissements sur les bancs du groupe GDR.)
M. le
président. La parole est à M. Frédéric Petit.
M. Frédéric
Petit. Monsieur Bernalicis, vous avez dit que les ordonnances portaient
sur des éléments « structurants » de la réforme. Or l’ordonnance
prévue à l’article 7 ne traite pas de l’âge d’équilibre, mais de
l’application de la réforme à une profession particulière. Je vous rappelle que
l’âge d’équilibre sera fixé par la Caisse nationale de retraite universelle
– CNRU –, comme nous le verrons avec les titres suivants.
M. Ugo
Bernalicis. Si, l’ordonnance traitera bien de l’âge
d’équilibre !
M. Frédéric
Petit. Non, l’ordonnance dont nous débattons ici ne concerne pas l’âge
d’équilibre.
M. Ugo
Bernalicis. Si, c’est l’alinéa 26 !
M. le
président. Mes chers collègues, laissez M. Petit s’exprimer.
M. Frédéric
Petit. Il me semble que c’est l’alinéa 25, monsieur Bernalicis.
M. Ugo
Bernalicis. Non, le 26, mais ce n’est pas grave.
M. Frédéric
Petit. Quoi qu’il en soit, nous ne parlons pas, ici, d’un âge
d’équilibre structurant : ce qui est structurant, c’est le fait de confier
la décision à la nouvelle instance, la CNRU – Caisse nationale de retraite
universelle. L’âge d’équilibre, vous le soulignez vous-même, sera
redéfini : voilà le point structurant qui sera fixé, non par ce projet de
loi, mais par la future CNRU. Il n’est donc même pas question d’ordonnance, sur
ce point : il est écrit dans le marbre que la CNRU sera chargée de la
gestion de l’âge d’équilibre.
Enfin, madame Dumont, je suis membre de la
commission des affaires étrangères. Pour les ratifications d’ordonnances, des
rapporteurs sont nommés et des débats intenses ont lieu – comme ce fut le
cas, par exemple, pour une convention signée avec le Luxembourg. On se dispute,
on exprime son point de vue : le travail de ratification est tout sauf
léger, et dire le contraire est un peu méprisant à l’égard des membres de cette
commission, qui, sur chaque ratification – puisque tel est le sujet dont
ils sont presque exclusivement saisis – travaillent considérablement et
vont au fond des choses. (Applaudissement sur plusieurs bancs du groupeLaREM.
– M. Bruno Fuchs applaudit également.
– Exclamations sur plusieurs bancs des groupes LR, LT et
SOC.)
M. Patrick
Hetzel. Ça n’a rien à voir !
M. Damien
Abad. Ce n’est pas sérieux !
M. le
président. La parole est à M. le secrétaire d’État, et à lui
seul.
M. Laurent
Pietraszewski, secrétaire d’État. J’entends les propos de
Mmes Louwagie et Dumont. Nous pouvons avoir un vif débat sur le contenu des
ordonnances, mais vous ne pouvez pas à nouveau faire grief au Gouvernement de ne
pas tenir compte de l’avis du Conseil d’État, puisque nous débattons du texte
issu de son assemblée générale. Un point fait exception et vous l’avez
d’ailleurs relevé : le choix politique du Gouvernement de maintenir son
engagement vis-à-vis des enseignants et des enseignants-chercheurs. Je souscris
avec plaisir à la volonté de débattre qui s’exprime ici, mais soyons
transparents : le texte dont nous débattons reprend à 99 % l’avis du
Conseil d’État, à l’exception du point que je viens de mentionner. L’argument
selon lequel nous n’avons pas tenu compte des remarques du Conseil d’État ne
tient donc pas. (M. Jean-René Cazeneuve
applaudit.)
M. Éric
Coquerel. Ce sont vos arguments qui ne tiennent pas !
M. le
président. Je mets aux voix les amendements identiques
nos 12, 387, 2282, 25190 et 26849 à 30001.
(Il est procédé au scrutin.)
M. le
président. Voici le résultat du
scrutin :
Nombre de
votants 55
Nombre
de suffrages
exprimés 55
Majorité
absolue 28
Pour
l’adoption 16
Contre 39
(Les amendements nos 12 et
identiques ne sont pas adoptés.)
M. le
président. La parole est à M. Éric Coquerel, pour soutenir
l’amendement no 19321 et les seize autres amendements identiques
déposés par les membres du groupe La France insoumise.
M. Éric
Coquerel. « Il y a trois sortes d’hommes : les vivants, les
morts et ceux qui vont sur la mer », disait – a priori –
Aristote. Cette phrase est encore plus vraie concernant ceux qui travaillent en
mer. Elle illustre bien ce que nous ressentons tous, même ceux qui n’ont jamais
mis les pieds sur un bateau et, a fortiori, n’ont jamais travaillé en mer. Les
personnes qui pêchent, qui commercent sur la mer ou qui travaillent dans la
plaisance sont dans une situation particulière. C’est la raison pour laquelle il
existe un régime spécial, celui des marins de l’ENIM – Établissement
national des invalides de la marine –, qui leur permet de partir à la
retraite entre 50 et 55 ans, en fonction des années de
cotisation.
La phrase d’Aristote est d’autant plus vraie qu’en mer, on
meurt dix-neuf fois plus que dans n’importe quelle profession et six fois plus
que dans le BTP. Ceux qui font de la mer leur métier ont 23 % de plus
d’accidents corporels. S’il n’y avait qu’un seul exemple pour montrer
l’impossibilité d’envisager un régime universel qui ne tiendrait pas compte de
la pénibilité de tel ou tel métier, ce serait celui-ci. Vous en convenez
d’ailleurs, puisque vous proposez dans l’article 7 de tenir compte, plus
tard, de la situation spécifique de ceux qui vont sur la mer.
Le seul
problème, c’est que vous le faites avec l’idée que ce sont les ordonnances qui
décideront. Vous comprendrez que, compte tenu des négociations avec les
partenaires sociaux et la situation dans laquelle vous êtes au bout de deux ans,
nous ne vous fassions pas confiance pour garantir aux marins qu’ils ne vivront
pas une régression par rapport à leur situation actuelle.
Vous pourriez,
dans l’article, en appeler au principe de non-régression, pour assurer au moins
qu’à l’avenir, les marins ne subiront pas une régression, mais vous ne le faites
pas. Autrement dit, vous nous demandez de vous faire confiance, ce qui n’est pas
le cas. Enfin, nous avons entendu que vous comptiez peut-être régler le problème
de la pénibilité en interdisant à plusieurs professions de travailler au-delà
d’un certain âge.
M. le
président. Quel est l’avis de la commission ?
M. Nicolas
Turquois, rapporteur. Monsieur Vigier, vous avez parlé de
l’impossibilité d’amender une ordonnance. L’ordonnance relative à la
prévisibilité et à la sécurisation des relations du travail a fait l’objet d’une
habilitation au mois de juillet 2017, avant d’être publiée au mois de
septembre suivant. Elle a été ratifiée après une semaine en première lecture au
mois de novembre 2017, des amendements ayant alors été adoptés. Il est donc
possible d’amender une ordonnance, et cela est fait régulièrement.
M. Frédéric
Petit. Merci !
M. Patrick
Hetzel. On s’en souviendra !
M. Nicolas
Turquois, rapporteur. Monsieur Coquerel, vous parlez à juste
titre des marins, mais essentiellement des marins pêcheurs, qui présentent, au
sein du métier, une particularité importante en matière de pénibilité. Mais
n’oublions pas la marine de commerce et la marine de plaisance. De plus, comme
je vous l’ai dit précédemment, une partie des conchyliculteurs relèvent de
l’ENIM et l’autre de la MSA. Devons-nous ici aborder spécifiquement chaque
situation ou devons-nous définir un cadre ?
Il a également été dit
que nous n’allions pas discuter avec les marins : bien sûr que si !
Les représentants du Gouvernement chargés de ces dossiers prendront en
considération toutes les spécificités. Hier, nous avons parlé de la
Comédie-Française : l’indemnité de départ des comédiens est considérée
d’une manière spécifique et non comme une retraite en tant que telle. Nous avons
également beaucoup parlé des militaires, dont les statuts diffèrent selon les
corps d’appartenance – l’armée de terre, l’armée de l’air ou la marine. Le
Parlement pourrait se perdre dans l’examen de ce niveau de détails et telle
n’est pas sa vocation. Avis défavorable.
M. le
président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. Laurent
Pietraszewski, secrétaire d’État. Nous nous sommes longuement
exprimés au sujet des marins hier, et je ne souhaite pas répéter ce que j’ai
déjà dit à plusieurs reprises, d’autant que M. le rapporteur a été très
clair. Avis défavorable également.
M. le
président. La parole est à Mme Christine
Cloarec-Le Nabour.
Mme
Christine Cloarec-Le Nabour. Accepter le doute, ne pas mentir, ne pas
surpondérer son propre point de vue, ne pas prendre en compte uniquement les
éléments qui arrangent, considérer les faits avant tout et ne pas confondre la
réalité avec celle dont on rêve : ce sont les six traits principaux de
l’honnêteté intellectuelle.
M. Stéphane
Peu. Je le confirme !
Mme
Christine Cloarec-Le Nabour. La mauvaise foi semble avoir encore de
beaux jours devant elle dans cet hémicycle. Pour certains, elle est devenue une
façon d’être…
M. Alexis
Corbière. Et même de gouverner !
Mme
Christine Cloarec-Le Nabour. …et, pour d’autres, un moyen de survivre.
La remise en cause systématique de la parole du Gouvernement, de la probité de
l’étude d’impact et de la bonne foi des rapporteurs me désole. (Exclamations
sur les bancs des groupes LR, FI et GDR.)
M. Sylvain
Maillard. Eh oui !
M. Patrick
Hetzel. Voilà qui fait avancer le débat !
M. Ugo
Bernalicis. C’est de l’obstruction !
M. le
président. Mes chers collègues, laissez Mme Cloarec-Le Nabour
s’exprimer.
Mme
Christine Cloarec-Le Nabour. Nous croyons à ce projet de loi, parce
qu’il est plus juste, plus lisible et plus solidaire. Même si je comprends les
inquiétudes et les incertitudes de certains, je voudrais vous citer cette phrase
de Kant : « On mesure l’intelligence de l’individu à la quantité
d’incertitudes qu’il est capable de supporter. » (Applaudissements sur
les bancs du groupe LaREM. – Rires et exclamations sur les
bancs du groupe GDR.)
M. le
président. La parole est à M. Éric Coquerel.
M. Éric
Coquerel. Tout le monde en conviendra, je le crois : une démocratie
parlementaire, même si l’on en est souvent bien éloigné, ne peut pas s’établir
sur la bonne foi accordée à un exécutif. Ce n’est pas là un principe à partir
duquel nous travaillons.
Je ne parlais pas seulement des marins pêcheurs,
monsieur Turquois ; l’ENIM considère également les marins du commerce, de
la pêche, de la culture marine et de la plaisance. La question qui se pose est
la suivante : vous instaurez un système dont on sait qu’il consistera, pour
partir à taux plein, en un recul considérable de l’âge de départ à la retraite.
Cela concerne a priori tous les métiers ; lorsque certains ne sont pas
concernés, vous prévoyez une ordonnance. Ainsi, vous reconnaissez vous-même que
pour les marins, ce sera un peu compliqué. Souffrez que l’on ne vous fasse pas
confiance a priori.
Encore une fois, il y avait une solution :
adopter dans la loi un principe de non-régression assurant aux marins qu’en
aucun cas la loi les obligera à travailler plus longtemps qu’ils ne travaillent
aujourd’hui. Quiconque a déjà travaillé sur un bateau sait qu’après plusieurs
années, on se met beaucoup plus en danger, parce qu’on n’a plus le pied aussi
sûr qu’avant, entre autres raisons – je ne vais pas vous faire une
énumération trop longue. Le principe de non-régression est une solution simple,
mais vous ne la choisissez pas. Partant de là, nous ne vous faisons pas
confiance. Le projet de loi que vous préparez depuis deux ans et demi est un
projet de loi catastrophique de régression sociale pour tout le monde ; il
n’y a pas de raison qu’il ne le soit pas pour les marins.
(M. Ugo Bernalicis applaudit.)
M. le
président. La parole est à M. Stéphane Peu.
M. Stéphane
Peu. Il ne faut pas mélanger tous les débats, madame
Cloarec-Le Nabour : le doute et l’incertitude, comme traits du
comportement humain que chacun devrait avoir, sont bien évidemment des vertus.
Je ne vous cache pas que depuis deux ans et demi que je siège sur ces bancs, il
m’avait échappé que, collectivement – car je ne juge pas des cas
individuels –, la majorité était caractérisée par le doute et
l’incertitude. J’ai plutôt vu et subi une vision très dogmatique et idéologique
de la société, laissant assez peu de place au doute, à l’incertitude et au
débat.
Toutefois et surtout, l’incertitude et la loi ne vont pas très
bien ensemble…
M.
Jean-René Cazeneuve. Non, pas du tout !
M. Stéphane
Peu. …parce qu’une loi doit être précise et opposable. M. le
secrétaire d’État a évoqué le Conseil d’État : celui-ci dit des choses très
claires sur l’incertitude de votre texte. Ce faisant, il met en doute sa
qualité, comme le souligne ce commentaire de son avis : « L’extrême
complexité du texte […] peut heurter le principe constitutionnel de clarté et
l’objectif à valeur constitutionnelle d’accessibilité et d’intelligibilité de la
loi. » Une loi n’est pas une somme d’incertitude, mais un ensemble de
textes précis pour régir la règle commune, qui doivent être opposables par ceux
qui en contestent la valeur.
M. le
président. La parole est à M. Frédéric Petit.
M. Frédéric
Petit. Je tiens à préciser que le texte que nous étudions a répondu à
99 % des remarques du Conseil d’État. Il est compliqué d’évoquer sans cesse
un avis dont le Gouvernement a tenu compte.
M. Stéphane
Peu. Pas du tout, et il aurait été bon qu’il le fasse !
M. le
président. Monsieur Peu, s’il vous plaît.
M. Frédéric
Petit. Monsieur Coquerel, le principe que vous réclamez est dans la
loi : l’article 61 dit très clairement qu’il y aura un principe de
préservation des situations individuelles à l’identique de ce qu’elles auraient
été sans la réforme.
Si vous souhaitez le « bétonner »
davantage encore, attendez l’article 61 et amendez-le. Très tôt dans cette
réforme, le MODEM a fait de principe une exigence ; il est gravé dans le
marbre du projet de loi.
(Les amendements no 19321 et
identiques ne sont pas adoptés.)
M. le
président. La parole est à M. Dino Cinieri, pour soutenir
l’amendement no 8041.
M. Dino
Cinieri. Le Conseil d’État lui-même dénonce une étude d’impact
insuffisante et des projections financières lacunaires. Les délais qui lui ont
été laissés et les modifications apportées en cours d’examen ne lui ont pas
permis de mener sa mission avec sérénité en prenant le temps nécessaire pour
garantir la sécurité juridique du texte. Le grand nombre d’ordonnances fait
perdre la visibilité globale nécessaire à l’appréciation des conséquences de la
réforme et, partant, de sa constitutionnalité et de sa conventionnalité. Enfin,
ce projet ne crée pas un système universel de retraite puisqu’il existe cinq
régimes.
L’étude d’impact étant insincère et incomplète, l’amendement
vise à ce que le Gouvernement remette au Parlement un rapport présentant les
modalités précises de création de la caisse nationale de retraite universelle.
M. Alain
Perea. Merci d’avoir fait avancer le débat !
M. le
président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. Laurent
Pietraszewski, secrétaire d’État. J’entends votre désaccord avec
les simulations, parcours types et autres éléments de l’étude d’impact, mais il
est quelque peu étonnant pour tous ceux qui ont travaillé pendant des semaines
et des mois à l’élaboration de cette étude afin d’y présenter le maximum
d’informations aux parlementaires. Je le répète : l’étude n’est pas
insincère. Je me suis exprimé plusieurs fois et je le refais bien volontiers sur
les choix méthodologiques qui ont été faits et dont je suis prêt à discuter. On
peut les contester, méthode contre méthode, mais vous ne pouvez pas pointer du
doigt un choix méthodologique en nous reprochant qu’il soit insincère. En quoi
l’est-il ? Quelle autre méthode proposez-vous ? Je n’ai pas entendu
grand-chose à ce propos.
J’ai expliqué comment les cas types ont été
établis. Je veux bien qu’on m’explique – il existe sans doute des champions
du monde de la statistique capables de le faire – comment dresser des
comparaisons entre un modèle statique et un modèle dynamique, mais nous nous
sommes efforcés, comme à l’ordinaire, d’utiliser un modèle dynamique dans tous
les cas, selon des règles communes. Je comprends que vous souhaitiez débattre
des modalités techniques de la méthode employée, mais nous ne gagnons rien à
nous affubler de termes tels que l’insincérité. Je conviens du reste que ce
n’est pas là votre argument principal, mais j’y réagis parce que je l’ai entendu
à plusieurs reprises ces derniers jours – et j’ai répondu de même à tous
ceux qui jugent l’étude d’impact insincère. Je préfère que nous débattions de la
méthodologie, sur laquelle vous avez certainement des idées qui s’opposent au
choix que nous avons fait.
Enfin, sur les marins, puisqu’ils étaient le
sujet de votre intervention, vous avez entendu mon propos : nous voulons
rassurer – et ce ne sont pas que des mots, puisque nous l’avons écrit aux
organisations représentatives. Je l’ai dit en commission spéciale : le
recours à une ordonnance devrait vous convaincre. Je ne crois pas qu’il faille
tout faire à Paris, même si je reconnais qu’il y a dans cet hémicycle abondance
de qualité et de connaissances. Il faut aussi se donner les moyens d’agir
parfois près de celles et ceux qui sont concernés. C’est ce que nous vous
demandons par cette habilitation à légiférer par ordonnances, qui ne serviront
pas à prendre des mesures dont vous n’auriez pas à connaître – à preuve,
nous en débattons maintenant et en débattrons de nouveau lors de la demande
d’habilitation. Avis défavorable.
M. le
président. La parole est à M. Ugo Bernalicis.
M. Ugo
Bernalicis. Je relis l’avis du Conseil d’État, selon qui « le fait,
pour le législateur, de s’en remettre à des ordonnances pour la définition
d’éléments structurants fait perdre la visibilité d’ensemble qui est nécessaire
à l’appréciation des conséquences de la réforme et, partant, de sa
constitutionnalité et de sa conventionnalité ».
M. Laurent
Pietraszewski, secrétaire d’État. Il n’est donc pas question
d’insincérité !
M. Ugo
Bernalicis. Je regrette, monsieur le secrétaire d’État, mais vous avez
proposé ces ordonnances avant de soumettre le projet de loi à l’avis du Conseil
d’État et elles n’ont pas changé depuis ! La remarque du Conseil d’État est
donc toujours valable.
M. Frédéric
Petit. Mais en l’occurrence, il ne s’agit pas d’éléments
structurants !
M. Ugo
Bernalicis. Un collègue affirmait à l’instant qu’il n’est pas question
d’éléments structurants puisque les alinéas qui font l’objet d’amendements
– dont certains de suppression – ne portent pas sur l’âge d’équilibre.
Je le renvoie à l’alinéa 26 de l’article : l’âge d’ouverture du droit
à une retraite et l’âge d’équilibre mentionnés aux articles L. 191-1 et
L. 191-5 du code de la sécurité sociale font bien partie de la future
ordonnance !
M. Frédéric
Petit. Continuez de lire !
M. Ugo
Bernalicis. Elle portera également sur les cotisations dues par les
assurés concernés, ainsi que sur le fonctionnement, l’organisation et les
missions de l’organisme chargé de la gestion du régime des marins, entre autres.
En clair, vous nous proposez de fixer par ordonnances des éléments structurants,
en l’espèce pour les marins ; mais le texte prévoit bien d’autres
ordonnances. Faudrait-il se ficher d’inscrire dans la loi des éléments
structurants concernant les marins, et de la constitutionnalité du sort qui leur
sera réservé ? Nous sommes en désaccord avec cette appréciation et avec
votre méthode.
Le fait que l’étude d’impact mélange un modèle statique et
un modèle dynamique montre une seule chose, monsieur le secrétaire d’État :
le système que vous proposez est imprévisible. C’est pourquoi vous ne parvenez
pas à produire une étude d’impact qui tienne debout : il y a tant
d’inconnues que vous êtes infichu de nous expliquer le sort qui sera réservé aux
uns et aux autres ! La seule certitude que nous pouvons entrevoir est
celle-ci : du fait de la règle d’or et des 14 % du PIB dans lesquels
vous voulez cloisonner le système de retraite, tout le monde sera
perdant !
M. le
président. La parole est à M. Alain Perea.
M. Alain
Perea. À l’Assemblée, chaque député exerce son mandat comme il le
souhaite ; nous devons tous respecter cette règle. En ce qui me concerne,
je respecte chaque député, qui fait ce qu’il veut de son mandat. En
contrepartie, je souhaite être respecté moi aussi. Comme de nombreux collègues
sur tous les bancs, j’écoute les débats depuis dimanche soir. J’ai du mal à
entendre certains collègues arrivés il y a quelques heures seulement expliquer à
grands cris qu’on veut les empêcher de débattre ! (Applaudissements sur
plusieurs bancs du groupe LaREM.) C’est un peu fort ! Nous débattons
– sur tous les bancs ! – depuis des heures, et voilà que certains
débarquent en prétendant que nous empêchons le débat : bien sûr que
non !
M.
Jean-Michel Fauvergue. Il a raison !
M. Alain
Perea. Si vous ne voulez siéger que quelques heures pour participer au
débat, soit ; je respecte ce choix. Respectez quant à vous ceux qui
écoutent les débats depuis plusieurs jours !
M.
Jean-Michel Fauvergue. Eh oui !
M. Alain
Perea. Quant aux ordonnances, imaginons que le texte qui nous est
présenté ait été ficelé comme de la dentelle, tous les points étant déjà arrêtés
suite à une négociation. J’entends d’ici vos cris, chers collègues !
(Applaudissements sur les bancs du groupe LaREM.) Vous nous reprocheriez
le fait que tous vos amendements sont rejetés parce que le texte est déjà
ficelé !
Mme Nadia
Essayan. Absolument !
M. Alain
Perea. Vous nous accuseriez de ne vous laisser aucune marge de manœuvre
et d’avoir déjà arrêté tous les choix ! (Applaudissements sur les bancs
des groupes LaREM et MODEM.) De grâce, cessez de vous indigner des
ordonnances : nous menons un dialogue avec les représentants sociaux, avec
vous et avec tous les acteurs concernés ! Arrêtez ce cinéma !
Travaillons, respectons-nous et respectons les Français ! (Même
mouvement.)
M.
Jean-Michel Fauvergue. Excellent !
M. le
président. La parole est à M. Patrick Hetzel.
M. Patrick
Hetzel. Le texte n’est certes pas de la dentelle, monsieur Perea, mais
cela n’empêche pas que tous les amendements sont tout de même rejetés !
N’allez donc pas sur ce terrain : ce serait étrange.
(M. Ugo Bernalicis applaudit.)
Nous sommes
plusieurs, monsieur le secrétaire d’État, à affirmer que l’étude d’impact est
lacunaire, et nous ne sommes pas seuls : le Conseil d’État lui-même
l’indique très clairement. Dormez tranquilles, nous dites-vous : tout va
bien, car cette étude d’impact de plus de mille pages est formidable. La
question de fond, cependant, à laquelle il n’a pas été répondu depuis le début
des débats, est celle du financement, et vous le savez pertinemment !
Débattre d’un sujet comme celui-ci sans aborder le financement constitue
d’emblée un problème considérable, et vous ne pouvez pas faire comme s’il
n’existait pas, à moins de nous apporter des réponses – ce que vous ne faites
pas !
M. Damien
Abad. C’est vrai !
M. Patrick
Hetzel. Nous avons posé plus de cent questions auxquelles aucune réponse
n’a été apportée. C’est du jamais vu ! (Mme Véronique
Louwagie applaudit.)
M. le
président. La parole est à Mme Laurence Dumont.
Mme Laurence
Dumont. Je reste complètement stupéfaite d’entendre des députés
– M. Petit, par exemple – défendre le principe des
ordonnances ; je n’en reviens pas ! (Exclamations sur les bancs du
groupe LaREM.)
Mme
Véronique Hammerer. Plus de huit cents ordonnances ont déjà été prises
sous la Ve République ! Et beaucoup pendant le précédent
quinquennat !
M.
Jean-René Cazeneuve. Eh oui, presque 280 !
Mme Laurence
Dumont. Vous imaginez que le texte, ficelé comme de la dentelle, ne nous
laisse aucune marge de manœuvre : c’est précisément le cas ! Lorsque
des ordonnances sont prises, nous n’avons aucune marge de manœuvre puisque nous
n’avons plus le droit d’amendement ! Le choix est le suivant : oui ou
non, et circulez, il n’y a rien à voir !
Quant à l’étude d’impact
lacunaire, le secrétaire d’État nous indique que huit articles qui devaient
faire l’objet d’ordonnances sont finalement réintroduits « dans le
dur » du projet de loi. Or les huit habilitations à prendre des ordonnances
qui seront remplacées par des articles issus d’amendements du Gouvernement
portent sur des dispositifs essentiels – sans quoi vous ne les auriez pas
réintroduits dans le texte –, qui n’auront pas été analysés dans l’étude
d’impact. Était-ce une volonté délibérée de prévoir des ordonnances pour qu’ils
échappent à l’étude d’impact ? Quels progrès en résultent en matière de
sécurité juridique, de prévisibilité, de lisibilité de ces
articles ?
Je vous fais une proposition. Après douze ou treize jours
de débat, vous renoncez finalement à huit ordonnances : poursuivons !
Étudions tous les articles et discutons-en ! Avec un peu d’espoir, le
Gouvernement continuera de corriger sa copie et de réintroduire dans le texte
des éléments qui devaient donner lieu à des ordonnances ! Je vous fais
cette proposition, monsieur le secrétaire d’État. Vous avez déjà entendu nos
arguments sur huit articles essentiels, même si l’étude d’impact ne les
mentionne pas, ce qui pose problème. Continuons et espérons que nous pourrons
débattre ici, entre parlementaires, d’autres mesures qui doivent être arrêtées
par ordonnance. En attendant, je suis à 180 degrés de ce que j’ai entendu…
(Exclamations sur plusieurs bancs du groupe LaREM.)
Je suis à
180 degrés, disais-je, des propos qu’ont tenus plusieurs membres de la
majorité qui souhaitent continuer de légiférer par ordonnance.
M. le
président. La parole est à M. Bruno Fuchs.
M. Bruno
Fuchs. Nous sommes samedi matin et je vais suivre vos conseils, monsieur
le président, en restant calme et détendu – mais indigné !
Mme Dumont nous a dit tout à l’heure qu’elle n’accepte pas les ordonnances
et à l’instant qu’elle est stupéfaite : prenons un peu de recul et
penchons-nous sur l’histoire récente. Qui a pris le plus grand nombre
d’ordonnances sous la Ve République ? (Applaudissements
sur les bancs des groupes MODEM et LaREM.) Nous ne parlons pas de 1850 ou de
1920, mais de François Hollande : 274 ordonnances ! (Même
mouvement.) Et qui était vice-présidente de l’Assemblée nationale pendant le
quinquennat de François Hollande ? Mme Dumont ! (Nouveaux
applaudissements sur les bancs des groupes MODEM et LaREM.)
Mme Laurence
Dumont. Je n’y suis pour rien !
M. Patrick
Hetzel. À l’époque, M. Macron était ministre !
M. Bruno
Fuchs. Discutons des sujets sur le fond et cessons de faire le spectacle
avec des points d’histoire complètement infondés ! Soyons sérieux !
(Même mouvement.)
M. Stéphane
Peu. Qui était ministre de l’économie à l’époque ?
M. Macron !
M. le
président. La parole est à M. Philippe Vigier.
M. Philippe
Vigier. L’argument est facile, monsieur Fuchs : ce n’est pas parce
que trop d’ordonnances ont été prises dans le passé qu’il faut cesser de
contester le recours aux ordonnances aujourd’hui !
(M. Ugo Bernalicis applaudit.)
Ensuite, il y a
ordonnance et ordonnance. Vous riez ? C’est pourtant la vérité. Certaines
ordonnances ont une portée générale, d’autres sont plus
restreintes.
Enfin, un collègue affirme que tout est formidable et qu’il
faut avoir confiance a priori. Dans ce cas, à quoi servons-nous ?
M. Ugo
Bernalicis. Exactement !
M. Philippe
Vigier. Faut-il deux assemblées ? Faut-il des parlementaires qui
proposent des amendements ? Souvenez-vous de l’huile de palme.
(Exclamations sur quelques bancs du groupe LaREM.)
M.
Jean-René Cazeneuve. Oh, ça va !
M. Philippe
Vigier. Le sujet vous ennuie ?
M.
Jean-René Cazeneuve. Rien ne nous ennuie !
M. Philippe
Vigier. Eh bien je vous le rappelle ! L’Assemblée a adopté un
amendement contre l’avis du Gouvernement, mais le directeur des douanes est
passé derrière en nous contournant !
Lorsque j’étais jeune
député,…
M. Sylvain
Maillard. Vous êtes toujours jeune !
M. Philippe
Vigier. …il est arrivé que l’Assemblée se prononce à l’occasion de
l’examen d’un projet de loi de finances contre l’avis du Gouvernement. Le
lendemain matin, on nous annonce une deuxième délibération ; deux minutes
ont suffi à supprimer une partie de ce que nous avions voté. N’oubliez
pas : nous sommes tous concernés, et vous le serez un jour, chers
collègues ! Quand le Parlement est contourné, il est affaibli, et quand il
est affaibli, le peuple l’est aussi !
M. Paul
Christophe. Excellent !
M. le
président. La parole est à M. Alain Bruneel.
M. Alain
Bruneel. M. Perea commence son intervention en affichant son
respect pour chaque député, avant, quelques secondes plus tard, de pointer du
doigt l’un d’entre nous, qu’il n’aurait pas vu depuis dimanche dernier et auquel
il dénie le droit de s’exprimer. (Protestations sur plusieurs bancs du groupe
LaREM.)
Mme
Brigitte Bourguignon, présidente de la commission spéciale. Il
n’a pas dit cela !
M. Alain
Bruneel. Si vous respectiez tous les députés et nos débats, vous sauriez
que chaque parlementaire, même s’il ne vient qu’une heure ou une demi-heure, a
le droit de dire ce qu’il pense.
Monsieur Fuchs, vous faites référence à
la législature précédente, mais c’est l’actuelle qui m’intéresse. Si vous allez
sur ce terrain, on peut également dire que M. Macron était ministre de
l’économie, de l’industrie et du numérique. (MM. Patrick
Hetzel et Ugo Bernalicis applaudissent.)
M. Sylvain
Maillard. C’est vrai !
M. Alain
Bruneel. Nous ne nous en sortirons jamais si nous descendons à ce
niveau !
Monsieur le secrétaire d’État, vous parlez de méthodologie,
mais le Conseil d’État a souligné qu’il n’avait disposé que d’un délai très
court pour examiner l’étude d’impact que vous lui avez remise. Puisque vous
parlez de méthodologie, écoutez-nous ! Prenons le temps de débattre,
quatre, cinq, six semaines s’il le faut ! Suspendons nos débats !
Procédons à des auditions, puisque les discussions que vous menez depuis deux
ans avec les syndicats n’ont pas abouti ! Ce qui vous intéresse, c’est de
boucler l’examen de cette réforme en quelques semaines. La bonne méthode
consiste à respecter le Parlement, ce que vous ne faites pas !
(L’amendement no 8041 n’est pas
adopté.)
M. le
président. La parole est à M. Alain Bruneel, pour soutenir
l’amendement no 26848 et les quinze autres amendements
identiques déposés par les membres du groupe de la Gauche démocrate et
républicaine.
M. Alain
Bruneel. Il porte sur la retraite des marins. Vous vous apprêtez à
attaquer les droits relatifs à la solidarité : ainsi, la majoration pour
enfant, la validation des périodes de chômage et les pensions de réversion ne
seront plus financées par des cotisations mais par l’impôt, dans une enveloppe
indépendante. Ces droits obéiront aux mêmes règles, quel que soit le
régime.
Quatre-vingt-dix pour cent des bénéficiaires des pensions de
réversion sont des femmes ; la pension de réversion universalisée ne sera
versée qu’aux retraités, alors que la majorité des veuves et des veufs de marin
y ont accès sans condition d’âge dès le décès du conjoint. La pension de
réversion est actuellement disponible, dans ce régime, à la double condition
d’avoir au moins un enfant et quinze ans de service, sans condition d’âge ;
elle peut être touchée à partir de 40 ans lorsqu’il n’y a pas d’enfant et à
partir de 55 ans pour ceux dont le conjoint a effectué moins de quinze ans
de service.
Que répondez-vous aux marins, alors que votre mauvaise
réforme supprime les droits à pension de réversion temporaires pour les
orphelins ? Aujourd’hui, l’ENIM garantit le versement de 54 % de la
pension du conjoint décédé ; demain, la réversion devra maintenir 70 %
du niveau de vie du couple, si bien que, dans de nombreux cas, le montant de la
pension de réversion baissera.
La pension des marins est majorée de
5 % pour deux enfants, de 10 % pour trois enfants et de 15 % pour
quatre enfants, pour chacun des deux parents. Avec la réforme du Gouvernement,
la pension serait de 5 % par enfant, pour l’un des deux parents, attribuée
par défaut à la mère, ce qui signifie une baisse probable de la pension pour de
nombreux parents ayant au moins deux enfants. Que répondez-vous aux
marins ?
M. le
président. Quel est l’avis de la commission ?
M. Nicolas
Turquois, rapporteur. Certains ont évoqué le doute et
l’incertitude : tous ceux qui ont une formation scientifique savent que
c’est le doute qui fait avancer. Il ne faut pas avoir de certitudes, mais des
convictions. L’article 64 habilite le Gouvernement à prendre des
ordonnances sur les outre-mer. La diversité des statuts de ces territoires, la
diversité des métiers qui y sont exercés et, pour ce qui me concerne, le manque
de connaissance fine de ces sujets feront que tous nos collègues ultramarins
seront présents pour examiner cet article, car ils auront à cœur de partager
leur expertise. Lorsque nous parlerons des agriculteurs, des pêcheurs ou
d’autres catégories professionnelles, les plus intéressés ou les plus concernés
dans leur circonscription voudront enrichir le texte.
Nous en sommes à
l’article 7 : les six premiers articles définissent les principes
généraux, les générations concernées et les corps de métier, mais le point,
élément majeur, n’est traité que par l’article suivant. Le problème de
lisibilité soulevé par le Conseil d’État nous concerne aussi : nos débats
gagnent-ils en lisibilité en s’attardant autant sur les aspects qui ne
déterminent pas spécifiquement le régime de retraite ?
Vous êtes
sensible à la situation des marins, mais laissons le Gouvernement discuter avec
eux de l’ensemble des sujets que vous avez évoqués, puis revenir devant nous
pour nous présenter l’ordonnance qu’il aura rédigée. Avis défavorable.
M. le
président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. Laurent
Pietraszewski, secrétaire d’État. La situation des marins vous
préoccupe : j’ai donné le cadre tout à l’heure et j’ai rappelé, hier et à
plusieurs reprises depuis quinze jours, les spécificités, parfaitement
reconnues, des marins. Les autres éléments, qui ne sont pas du tout
inintéressants, monsieur le député, seront discutés avec leurs représentants.
Avis défavorable.
M. le
président. La parole est à M. Frédéric Petit.
M. Frédéric
Petit. Nous allons continuer à examiner la signification du terme
« structurant » : M. Bernalicis n’est plus là, mais il a lu
le texte, qui dispose que l’ordonnance visera à adapter « les règles du
système universel de retraite à la situation particulière des marins ».
L’ordonnance ne fixera pas l’âge d’équilibre, mais procédera à une adaptation
des droits et de l’âge de départ de cette population, qui exerce une profession
très spécifique et qui partira sûrement plus tôt à la retraite. Ces aspects ne
sont pas structurants pour la loi, car l’ordonnance ne portera pas sur l’âge
d’équilibre, point structurant de la loi qui sera défini aux articles suivants,
mais sur l’adaptation de la loi à la situation particulière des
marins.
On peut choisir entre une démocratie centralisée et une
démocratie participative. J’ai travaillé dans des pays qui sortaient d’un régime
de démocratie extrêmement centralisée : dans l’un d’entre eux, il était
interdit de construire un réseau de chaleur à moins de 1,50 mètre d’un
arbre ; cela ne s’était jamais produit, car les villes étaient construites
dans la campagne. Un jour, j’ai voulu faire passer un réseau à un endroit, mais
on m’en a refusé l’autorisation à cause de cette norme, définie par la loi.
Quand j’ai demandé si la distance s’entendait à partir de l’axe ou du bord du
tuyau, on m’a répondu que cette précision ne figurait pas dans la loi. Nous
sommes restés bloqués trois mois, parce que personne n’avait la réponse à cette
question. Il faut respecter la démocratie participative et faire confiance aux
citoyens ; les marins connaissent mieux que nous les adaptations
pertinentes à la structure de la nouvelle loi. (Applaudissements sur quelques
bancs des groupes MODEM et LaREM.)
M. Sylvain
Maillard. Excellent !
M. le
président. La parole est à M. Alain Bruneel.
M. Alain
Bruneel. C’est justement ce que nous proposons avec nos amendements, qui
tendent à rédiger ainsi l’alinéa 25 : « Afin de prendre toute
mesure visant à adapter les règles du système universel de retraite à la
situation particulière des marins mentionnés au dernier alinéa de
l’article L. 5552-1 du code des transports, une concertation est
organisée avec l’ensemble des organisations syndicales et patronales
professionnelles du secteur […]. » Nous disons la même chose, mais vous
rejetez l’amendement. Je ne le comprends pas, puisque nous sommes d’accord pour
que la loi prévoie la tenue d’une concertation. Parfois, j’ai de la misère à
vous suivre… M. Petit et M. le secrétaire d’État évoquent la
concertation avec les syndicats, mais vous refusez de l’inscrire dans la loi et
rejetez l’amendement : je m’excuse, mais je n’arrive pas à vous
suivre.
M. le
président. La parole est à M. Éric Coquerel.
M. Éric
Coquerel. Monsieur Fuchs, vous avez affirmé que certains de nos
collègues étaient mal placés pour critiquer le recours aux ordonnances, mais ce
n’est pas une raison pour que vous les utilisiez ! Nous avons évoqué, à
propos de la majorité précédente, un ancien ministre de l’économie que je crois
proche de vous aujourd’hui, mais nous pourrions parler du Premier ministre du
même Gouvernement, qui a eu beaucoup recours aux ordonnances et qui siégeait il
y a peu sur vos bancs. La majorité actuelle a, hélas, pris le pire de toutes les
majorités précédentes, ce qui explique peut-être la politique que vous faites
subir au pays.
Monsieur Petit, il est un peu fort de café que vous
associiez démocratie participative et législation par ordonnance ! La
démocratie participative et les discussions par branche ont abouti, dans le
passé, à l’élaboration du statut des marins, que vous cassez dans ce projet de
loi.
Nous ne vous faisons pas confiance sur les ordonnances car, la
réforme visant à diminuer la part de la richesse nationale affectée aux
retraites, elle pénalisera les marins pêcheurs, comme les marins
commerciaux.
M. Julien
Borowczyk. C’est faux !
M. Éric
Coquerel. Comme vous ne l’assumez pas et que vous voulez surtout
éteindre la contestation sociale et éviter la mobilisation de nouvelles
professions, vous renvoyez les mesures à des ordonnances. Lorsque la loi sera
promulguée, à la suite de vos fameuses négociations de proximité – dont
nous voyons les résultats : tous les syndicats sont soit totalement
hostiles à votre projet, soit opposés à sa rédaction –, les marins, à qui
je m’adresse, pâtiront de la réforme que vous êtes en train d’imposer. Ils
devront partir plus tard à la retraite : voilà la réalité que vous ne
voulez pas assumer et que vous maquillez sous le renvoi aux ordonnances !
Votre projet de loi constitue une régression, et les ordonnances visent à
tromper tout le monde.
(Les amendements identiques no 26848
et identiques ne sont pas adoptés.)
M. le
président. La parole est à M. Stéphane Peu, pour soutenir
l’amendement no 26761 et les quinze autres amendements
identiques déposés par les membres du groupe de la Gauche démocrate et
républicaine.
M. Stéphane
Peu. Ce n’est pas la première fois que nous faisons observer, comme
beaucoup d’autres, le caractère impropre de l’adjectif « universel »
pour qualifier le futur système de retraite. Nous contesterons jusqu’au bout cet
abus de langage. Vous vous évertuez à qualifier d’universel un système qui
érigera l’individualisme en principe absolu, en remplaçant la solidarité et la
répartition par la règle du chacun pour soi. Nous pensons que les mots, le
vocabulaire et la langue représentent un bien commun et social, et considérons
donc que votre obstination à qualifier votre système d’universel constitue un
abus de bien social. (M. Alain Bruneel applaudit.)
Mme Nadia
Essayan. Carrément !
M. le
président. Quel est l’avis de la commission ?
M. Nicolas
Turquois, rapporteur. Monsieur Peu, nos collègues et moi-même
avons compris que vous qualifiez la réforme d’inéquitable.
Penchons-nous
enfin sur le contenu de la réforme ! Pour l’heure, nous en restons aux
principes généraux et aux personnes concernées.
La valeur du point de
retraite, l’allocation de solidarité aux personnes âgées, le financement du
système de retraite et la fixation des périodes de transition, nous ne les avons
pas encore abordés, après deux semaines d’examen du texte ! Abordons les
dispositions du texte de façon ordonnée, bref, accomplissons notre travail de
députés : travaillons sur le cœur du texte. Avis défavorable.
M. le
président. La parole est à Mme Monique Limon.
Mme Monique
Limon. Je rappelle que le régime universel – et non unique –
tiendra compte de certaines spécificités, notamment celles des travailleurs
indépendants, des métiers de l’artisanat, du commerce de proximité et des
professions libérales, afin de ne pas bouleverser leurs équilibres économiques
respectifs. Tel est l’objet des ordonnances.
Nous sommes ici pour fixer
le système cible. Nous pensons, pour notre part, qu’il est plus pertinent d’en
fixer le détail par la voie de la concertation. Il ne nous semble pas
souhaitable de négliger la possibilité de recourir aux ordonnances, qui nous
reviendront pour approbation une fois rédigées, et qui sont donc largement
préférables aux décrets.
Mme Laurence
Dumont. Je ne vois pas en quoi !
Mme Monique
Limon. Nous sommes ici pour fixer le système cible. Par la suite, des
négociations auront lieu en vue d’élaborer des ordonnances, qui, en tout état de
cause, nous reviendront une fois rédigées, de sorte que nous aurons notre mot à
dire.
Mme Laurence
Dumont. Simplement « Oui ou non » !
Mme Monique
Limon. Mais non !
(Les amendements
no 26761 et identiques ne
sont pas adoptés.)
M. le
président. La parole est à M. Stéphane Peu, pour soutenir
l’amendement no 36071 et les quinze autres amendements
identiques déposés par les membres du groupe de la Gauche démocrate et
républicaine.
M. Stéphane
Peu. Sur le sens des mots et la nécessité d’en respecter la précision,
je ne répéterai pas pour la énième fois que « mal nommer les choses, c’est
ajouter au malheur du monde ». Toutefois, il est toujours préférable
– surtout dans un texte de loi – d’être précis.
Par le biais du
présent amendement, nous proposons de compléter l’alinéa 26 en ajoutant,
après le mot « équilibre », le mot « financier ». En effet,
en l’absence de prédicat, le mot « équilibre » peut signifier beaucoup
de choses.
Pour fixer l’âge d’équilibre du départ en retraite, nous
aurions pu prendre en considération bien d’autres notions. Nous aurions pu
définir un âge d’équilibre permettant de partir en retraite en bonne santé. Nous
aurions pu considérer que l’âge d’équilibre doit garantir une retraite dans la
dignité. En somme, nous aurions pu nous fonder sur de nombreuses considérations
pour préciser ce que nous entendons par « âge d’équilibre ».
Or
votre réforme, monsieur le secrétaire d’État – et c’est votre droit –,
ne comprend l’âge d’équilibre que sous l’angle de l’équilibre financier du
système, délaissant celui des hommes et des femmes concernés. Vous repoussez nos
propositions visant à assurer l’équilibre financier du système de façon plus
juste et plus solidaire que vous ne le faites. Vous retenez un âge d’équilibre
qui aura pour effet d’allonger le temps de travail, en reportant l’âge de départ
en retraite, et de diminuer le niveau des pensions, notamment celui des plus
modestes.
Pour justifier tout cela, vous mettez en avant un âge
d’équilibre ; mais il s’agit d’un âge d’équilibre exclusivement financier,
ne tenant nullement compte des exigences de dignité. Dès lors, pour être précis,
ajoutons au mot « équilibre » le mot « financier » à
l’alinéa 26 !
M. Alain
Bruneel. Bravo !
M. le
président. Quel est l’avis de la commission ?
M. Nicolas
Turquois, rapporteur. Le projet de loi n’est pas réductible à son
équilibre financier, qui est par ailleurs une nécessité. Avis
défavorable.
(Les amendements nos 36071 et
identiques, repoussés par le Gouvernement, ne sont pas
adoptés.)
M. le
président. La parole est à M. le secrétaire d’État, pour soutenir
l’amendement no 39120.
M. Laurent
Pietraszewski, secrétaire d’État. L’article 7, dont nous
débattons depuis quelques heures – nous en avons entamé l’examen hier
après-midi –, prévoit une habilitation du Gouvernement à légiférer par
ordonnance s’agissant de l’intégration des assurés qui relèvent du régime
d’assurance vieillesse des marins dans le système universel de
retraite.
Le Gouvernement souhaite élargir son champ d’application à la
détermination explicite de la première génération concernée. J’ai eu l’occasion
d’indiquer dans cet hémicycle qu’il s’agit de la génération née en 1987. Il
importe que le Gouvernement dispose d’une habilitation complète en la
matière.
M. le
président. Quel est l’avis de la commission ?
M. Nicolas
Turquois, rapporteur. Cet amendement a été adopté par la
commission spéciale dans le cadre de l’examen au titre de l’article 88 du
règlement. Avis favorable.
M. le
président. La parole est à M. Ugo Bernalicis.
M. Ugo
Bernalicis. L’amendement du Gouvernement vise à préciser la génération
concernée, mais nous ne savons toujours pas de laquelle il s’agit. Tel est bien
le problème que soulève cette habilitation à légiférer par ordonnance :
nous ne disposons d’aucun élément d’appréciation. Nous ignorons notamment la
génération concernée et l’âge d’équilibre, ainsi que le montant et la durée de
cotisation nécessaires.
La constitutionnalité d’un texte – ou sa
conventionnalité –, surtout s’il s’agit d’une ordonnance, dépend en partie
de la qualité des explications que le Gouvernement donne quant à ses intentions
en la matière. Le Gouvernement doit préciser les objectifs qu’il poursuit et
livrer des éléments d’appréciation aux parlementaires que nous
sommes !
Le compte rendu des propos tenus en séance publique fait
partie intégrante du contrôle de constitutionnalité mené par le Conseil
constitutionnel. Or, s’agissant de la présente habilitation à légiférer par
ordonnances, comme de tant d’autres, on ne nous a fourni aucun élément
d’appréciation concret, palpable et tangible.
Je crains donc, une fois
encore, que le recours à ce procédé, en plus d’être hallucinant, ne soit
inconstitutionnel. J’aimerais que nous obtenions des justifications un peu plus
étoffées que celle qui consiste à préciser la génération concernée – ce qui
est en effet souhaitable, merci…
M. le
président. La parole est à M. Bruno Millienne.
M. Bruno
Millienne. Depuis l’ouverture de la séance, il y a à peu près une heure,
je n’entends parler que de l’étude d’impact, de l’avis du Conseil d’État et des
ordonnances, utilisées pour affirmer que nous ne travaillons pas dans le bon
sens.
Chers collègues de gauche, si j’ai bonne mémoire – mais je
peux me tromper, car je n’étais pas député à l’époque –, il me semble que
le texte de loi dont nous nous apprêtons à modifier la philosophie, et qui est
depuis soixante-dix ans un texte essentiel de la République française, dès lors
qu’il régit notre système de retraite, ce texte que nous modifions, car nous
croyons qu’il n’est plus adapté, a été intégralement adopté par ordonnances,
sans étude d’impact, à une époque où la France était financièrement dans le
rouge !
Il est bon, de temps à autre, que les responsables
politiques prennent leurs responsabilités et adaptent les lois à la vie de tous
les jours, au lieu de se contenter de rester bloqués dans le passé. Je tenais à
le rappeler.
M. Ugo
Bernalicis. Si nous pouvions aussi avoir quelques arguments…
M. le
président. La parole est à M. Stéphane Peu.
M. Stéphane
Peu. Monsieur Millienne, nous sommes là dans la confusion historique la
plus totale. Vous ne pouvez pas tenir de tels propos : il faut un minimum
de rigueur vis-à-vis de notre histoire.
M. Alain
Bruneel. Bien sûr !
M. Stéphane
Peu. Comment pouvez-vous comparer une période où le programme du Conseil
national de la Résistance, dont la sécurité sociale et la retraite par
répartition sont issues, a été appliqué par un gouvernement d’union nationale,
allant des communistes aux gaullistes,…
M. Philippe
Vigier. En passant par les centristes !
M. Stéphane
Peu. …et où l’instauration de la sécurité sociale et d’un système de
retraite faisaient l’unanimité au sein de la société française,…
Mme Cendra
Motin. C’est vrai !
M. Stéphane
Peu. …avec une réforme qui dresse toute la société française contre
elle ?
M. Bruno
Millienne. Pas toute !
M. Stéphane
Peu. Comment pouvez-vous comparer deux périodes historiques n’ayant rien
à voir entre elles et deux contextes politique à fronts renversés ? Nous
avons, d’un côté, l’union nationale ainsi que le consensus politique et social,
dans un pays sortant de la guerre, pour élever notre niveau de protection
sociale et de retraite, et, de l’autre, un pays où l’immense majorité des
Français – nous l’avons encore rappelé hier soir – sont opposés à
votre réforme des retraites, où les partenaires sociaux – des employeurs
jusqu’aux représentants des salariés – le sont également, fût-ce pour des
raisons diverses, où l’Assemblée nationale est, disons-le ainsi, malmenée, où le
Conseil d’État a émis un avis d’une sévérité extrême et où, en vous entêtant
comme vous le faites, vous fabriquez non pas l’unité de la nation mais sa
fracturation, chose très grave qui est à l’origine d’un climat délétère dont
j’espère, chers collègues, qu’il vous inquiète tous !
M. Joël
Aviragnet. Oui !
Mme Nadia
Essayan. Que ne faut-il pas entendre !
M. Stéphane
Peu. Bref, les périodes historiques et les contextes politiques n’ont
rien à voir. Il y a quand même, dans le choix des mots et des exemples, des abus
insupportables.
M. le
président. La parole est à Mme Laurence Dumont.
Mme Laurence
Dumont. Sur le Conseil national de la Résistance, je ne saurai dire
mieux ni plus que ce que vient de dire M. Peu : je n’ajouterai donc
aucun commentaire.
En revanche, je prolongerai notre précédent débat, car
il faut comparer ce qui est comparable, chers collègues de la majorité, et ne
pas mettre sur le même plan, par exemple, l’application du programme du CNR avec
la situation dans laquelle nous sommes, causée par le fait que votre projet de
loi met tout le monde dans la rue.
M. Patrick
Mignola. N’exagérons rien !
Mme
Christine Cloarec-Le Nabour. Pas tout le monde !
M. Ugo
Bernalicis. Si, si, tout le monde !
Mme Laurence
Dumont. Comparons ce qui est comparable. M. Fuchs évoquait tout à
l’heure la loi Touraine, qui traitait du système de retraite, comme le texte
dont nous débattons. Elle comptait trente-quatre articles dans sa version
initiale, et cinquante-deux au terme de son examen par le Parlement.
Par
ailleurs, elle comportait deux habilitations à légiférer par ordonnances, dont
une visant à adapter les dispositions du texte pour les territoires de
Saint-Pierre-et-Miquelon et de Mayotte. Deux ordonnances sur un texte comparable
au vôtre s’agissant du nombre d’articles : comparons ce qui est
comparable !
Certes, les textes adoptés au cours de la précédente
législature comptaient de nombreuses habilitations à légiférer par
ordonnances,…
M.
Jean-René Cazeneuve. Ah !
Mme Laurence
Dumont. …mais elles étaient très souvent d’ordre technique, et visaient
notamment à adapter les dispositions législatives à des cas particuliers.
M. Philippe
Chalumeau. Celles dont nous débattons aussi !
Mme Laurence
Dumont. Au contraire ! En l’espèce, les ordonnances portent sur les
articles et les paramètres les plus importants de votre texte. Encore une fois,
comparons ce qui est comparable ! La comparaison entre le présent texte de
loi et la loi Touraine – ou d’autres encore antérieures – ne me semble
pas pertinente.
M. Philippe
Vigier. Comparaison n’est pas raison !
M. le
président. La parole est à M. Julien Borowczyk.
M. Julien
Borowczyk. J’aimerais moi aussi intervenir par rapport aux échanges
précédents.
Chers collègues de gauche, à l’aune des propos que vous tenez
depuis hier, il me semble que nous allons avoir beaucoup de mal à nous
comprendre. Vous évoquez avec gourmandise certaines luttes passées, notamment
celles menées par les mineurs. Même si mes origines polonaises et stéphanoises
me rattachent à l’histoire des bassins miniers et m’interdisent de dénigrer le
travail formidable qu’ils ont accompli, j’ai le sentiment qu’il y a là un point
de rupture entre nos visions respectives de la société.
Nous pensons que
celle-ci évolue. Nous pensons qu’un avocat peut éventuellement avoir envie,
demain, d’ouvrir une boulangerie, qu’un ouvrier peut avoir envie de créer son
entreprise et qu’un fonctionnaire peut avoir envie de rejoindre le secteur
privé.
Je m’apprête à prêter le flanc à la critique, car vous prenez
plaisir à nous critiquer à ce sujet : nous appelons de nos vœux un open
space social ! (Rires sur les bancs du groupe FI.) Nous sommes
adaptés à la société d’aujourd’hui, et délibérément ouverts à la société moderne
et positive.
M. Ugo
Bernalicis. « Il faut libérer les énergies » ! Dites-le
donc !
M. Julien
Borowczyk. Vous, au contraire, vous êtes définitivement bloqués dans une
vision passéiste et négativiste de la société, animés que vous êtes par la
volonté délibérée de maintenir les gens dans des cases,…
M. Alexis
Corbière. Ah, voilà… Bien sûr, rien que ça !
M. Julien
Borowczyk. …sur laquelle vous fondez votre modèle électoral et politique
depuis de nombreuses années. Vous estimez qu’on ne peut ni changer de
profession, ni évoluer au cours de sa vie professionnelle. Tel est le fondement
de votre façon d’agir et de penser. Il faut entendre les jeunes générations et
accepter le modernisme.
Pour conclure, je souhaiterais citer les propos
que tenait une personne, en 1968, devant une foule d’étudiants en colère :
« Je dis aux étudiants qu’ils sont l’avenir et que demain, il leur faudra
avoir devant leurs cadets l’attitude qu’ils ont raison d’exiger de nous, sans
quoi ils deviendraient leurs propres ennemis. » Cette personne, c’était
Louis Aragon, et il avait envie qu’on avance et qu’on écoute la jeunesse.
(Applaudissements sur les bancs du groupe LaREM.)
M. le
président. La parole est à M. Éric Coquerel.
M. Éric
Coquerel. Cher collègue, votre open space, c’est la jungle. Ce
que vous proposez, c’est une société dans laquelle vous cassez les lois pour que
ceux qui en ont besoin soient moins protégés – c’était la réforme Pénicaud.
C’est une société dans laquelle vous ne laissez pas la liberté aux gens,
contrairement à ce que vous prétendez.
M. Julien
Borowczyk. Si !
M. Éric
Coquerel. Vous obligez les gens à subir le fait que les plus puissants,
les plus riches que vous gavez, à travers les différentes mesures que vous avez
prises et les nombreux cadeaux fiscaux, l’emportent sans cesse.
Votre
société, c’est la loi de la jungle ! C’est le triomphe des intérêts
particulier au nom de cette évidence néolibérale selon laquelle la conjonction
des intérêts particuliers, dans un système d’exploitation, permettrait à tous de
s’enrichir. Ce n’est pas vrai ! Votre société, c’est
400 000 pauvres de plus l’an dernier et 400 millions
d’euros distribués aux plus riches ! (M. Ugo
Bernalicis applaudit.)
Votre société, c’est celle où vous dites aux
riches : « Enrichissez-vous ! » et aux plus pauvres ainsi
qu’aux salariés : « Continuez, nous nous assurons que vous resterez
exploités, sans loi pour vous protéger ! »
Mme
Christine Cloarec-Le Nabour. Ridicule !
M. Éric
Coquerel. Vous nous proposez un modèle du XIXe siècle
(Exclamations sur les bancs du groupe LaREM), le retour au travail à la
tâche, une époque où il n’existait ni système de retraite ni de sécurité
sociale. Vous êtes en train de tout privatiser et vous nous faites croire que
c’est du modernisme ! (M. Ugo Bernalicis applaudit.)
Un retour en arrière sans précédent sous la
Ve République : voilà ce qui est en marche !
Vous n’êtes plus « En marche », mais « En marche arrière,
toute » !
Mme
Christine Cloarec-Le Nabour. Plus personne ne vous croit !
Mme Nadia
Essayan. Vous êtes en train de craquer, monsieur
Coquerel !
M. le
président. Je vais donner la parole à ceux qui l’ont demandée, mais je
vous invite à être concis dans vos interventions, après lesquelles nous
passerons au vote.
La parole est à Mme Nadia Hai.
Mme Nadia
Hai. Je serai brève car mon collègue s’est déjà exprimé. Je voulais
rebondir sur les propos de M. Coquerel et de
M. Peu.
M. Coquerel se croit de nouveau dans un meeting
politique – nous en avons pris l’habitude avec La France insoumise depuis
presque plus d’un mois maintenant, en commission spéciale et dans l’hémicycle.
Rien ne nous étonne plus de leur part : mélanger tous les sujets et faire
du bougui-boulga,…
M. Alexis
Corbière. C’est « gloubi-boulga » ! Respectez
Casimir !
Mme Nadia
Hai. …ils en sont coutumiers.
M. Peu nous reproche de
comparer deux époques et deux contextes complètement différents : celle de
l’instauration du premier système de retraite après-guerre, au moment du plein
emploi…
M. Stéphane
Peu. Le plein emploi au lendemain de la guerre, vraiment ?
Mme Nadia
Hai. Il fallait reconstruire ; il y avait presque cinq actifs pour
un retraité.
M. Stéphane
Peu. Mais où avez-vous appris l’histoire ?
Mme Nadia
Hai. Quant à l’époque actuelle, il y a 1,7 actif pour un retraité.
Les époques sont différentes, il faut donc adapter notre système de retraite
dans un souci de protection.
M. Maxime
Minot. Cela ressemble à un meeting politique !
Mme Nadia
Hai. Vous nous faites le procès de ne pas protéger, mais c’est pourtant
ce que nous faisons avec ce système de retraite : nous protégeons les
générations futures et nos enfants. J’ai deux enfants, j’ai envie qu’ils aient
accès à ce système de retraite, comme mes parents, mes grands-parents ou moi. Ne
vous en déplaise, nous instaurons un système de protection bien plus juste et
égalitaire, nous sauvons le système par répartition.
M. Éric
Coquerel. Ce n’est pas du tout ce que fait ce projet de loi !
Mme Nadia
Hai. Vous n’avez pas le monopole de la justice sociale, messieurs de la
gauche et de l’extrême gauche ! (Applaudissements sur quelques bancs du
groupe LaREM.)
M. le
président. La parole est à M. Paul Christophe, qui ne va pas
relancer la controverse…
M. Paul
Christophe. Ce n’est pas ma nature, mais je ne peux pas m’empêcher de me
rappeler que, il n’y a pas si longtemps, un groupe d’opposition prenait pour
référence le Venezuela, pays dans lequel l’inflation a atteint l’année dernière
plus de 9 %. Je ne sais pas ce que cela donnerait si nous transposions ce
beau modèle économique dans notre pays. (Applaudissements sur quelques bancs
du groupe LaREM.)
M. Ugo
Bernalicis. Subtil, intelligent !
M. Paul
Christophe. Mais là n’est pas le sujet, vous avez raison, monsieur le
président.
J’entends parler de-ci de-là des ordonnances comme si on les
découvrait, comme si on apprenait subitement qu’on peut y avoir
recours.
Le choix des ordonnances était justifié par la volonté de
privilégier le dialogue social. Dans notre pays, cela a tout de même du sens,
surtout dans la période que nous vivons. Je note avec satisfaction que certaines
discussions ont abouti à des accords qui seront gravés dans le marbre de la loi
par le biais d’amendements. C’est tout l’objet de l’article 61 sur les
droits constitués. Ce n’est pas neutre.
Cette méthode, il faut le
rappeler, est originale. Le Conseil d’État l’a d’ailleurs souligné
– lorsqu’on se réfère au Conseil d’État, il faut tout dire. Cette méthode
avait pour objectif de développer le dialogue social et je suis très heureux de
voir celui-ci enfin traduit dans le texte. (Applaudissements sur quelques
bancs du groupe LaREM.)
M. le
président. La parole est à Mme Jeanine Dubié.
Mme Jeanine
Dubié. Je n’avais pas l’intention d’intervenir mais les propos de Paul
Christophe m’incitent à réagir.
Là est bien le problème : les
négociations se poursuivent en parallèle des débats à l’Assemblée nationale.
Cela signifie que nous examinons un texte qui n’est pas stabilisé ; au fur
et à mesure de l’avancement des négociations, les articles sont modifiés.
Pourtant, la logique aurait voulu que les négociations soient achevées avant de
présenter un texte dans l’hémicycle. C’est aussi simple que cela.
Nous
pouvons débatte des heures entières, mais il y a d’abord un problème de méthode.
Cette méthode est contestée et contestable. Pour ma part, je la conteste.
(Applaudissements sur les bancs du groupe LR.)
(L’amendement no 39120 est
adopté.)
M. le
président. Les seize amendements identiques nos 30130 à
30145, déposés par le groupe de la Gauche démocrate et républicaine, sont
défendus.
Quel est l’avis de la commission ?
M. Nicolas
Turquois, rapporteur. Je souhaite revenir sur ce qui vient d’être
dit. Vous semblez considérer que les députés devraient être omniscients et
omnipotents. Nous devons évidemment être capables d’analyser tous les sujets,
mais je vous invite à vous considérer l’ensemble des statuts et des
sous-statuts : ce sont alors des dizaines de cas particuliers que nous
devrions examiner. Je ne suis pas convaincu de la pertinence d’une telle
méthode.
Je reprends l’exemple de l’outre-mer et des situations
spécifiques de Saint-Pierre-et-Miquelon, de La Réunion, de la Polynésie ou
encore de la Nouvelle-Calédonie. Notre capacité à analyser l’ensemble des
statuts concernés serait certainement mise à l’épreuve. Il en va de même pour
les marins et les pêcheurs : les statuts varient considérablement selon les
situations. Nous devons cerner notre travail : il nous appartient de
définir les sujets à traiter ; ensuite, lorsque l’ordonnance sera publiée,
j’invite chacune et chacun à venir en discuter.
Monsieur Coquerel,
arrêtons la caricature ! Vous parlez d’un formidable recul, d’un retour au
XIXe siècle alors que nous essayons d’instaurer un système qui
fixe des règles les plus uniformes possible à l’ensemble de nos
concitoyens : si ce n’est pas cela, la définition du progrès social…
M. Éric
Coquerel. Vous êtes en train d’instaurer un système de régression pour
tout le monde !
M. Nicolas
Turquois, rapporteur. Que vous ayez des doutes sur le
fonctionnement…
M. Éric
Coquerel. Nous n’avons pas de doutes !
M. Ugo
Bernalicis. Nous avons des certitudes !
M. Nicolas
Turquois, rapporteur. Nous sommes nombreux à avoir été ou être
encore élu local, le fait d’expliquer et d’apaiser répond à une volonté profonde
de tout élu social. (Exclamations sur les bancs du groupe
FI.)
Avis défavorable. Je préfère ne pas discuter dans ces
conditions.
M. Ugo
Bernalicis. Ce n’était pas une discussion !
(Les amendements nos 30130 et
identiques, repoussés par le Gouvernement, ne sont pas
adoptés.)
M. le
président. Je suis saisi d’une série d’amendements identiques : les
amendements nos 22734 à 22751 et les amendements
nos 30063 à 30077.
Sur l’ensemble de ces amendements
identiques, je suis saisi par le groupe de la Gauche démocrate et républicaine
et par le groupe de La France insoumise d’une demande de scrutin
public.
Le scrutin est annoncé dans l’enceinte de l’Assemblée
nationale.
La parole est à M. Alexis Corbière, pour soutenir
l’amendement no 22734 et les seize autres amendements identiques
du groupe de La France insoumise.
M. Alexis
Corbière. Un rappel historique : en 1944, la situation de la France
est terrible, le marché noir domine, le franc a été dévalué, l’économie est à
bas. Considérer qu’il s’agit d’une période de plein emploi, où la situation
économique était simple, et que le bilan économique à lui seul aurait permis
d’instituer un système de retraite, est une vision totalement, comment
dirais-je, révisionniste de l’histoire de France – disons-le clairement. En
1944, il y avait une volonté politique, ce qui, manifestement, n’est pas le cas
aujourd’hui. Tout est question de volonté politique : selon nous, l’âge de
la retraite marque une tension dans la société sur le temps de travail.
M. Coquerel a raison, la volonté du Gouvernement de faire travailler les
Français plus longtemps qu’aucun gouvernement depuis la Libération constitue un
recul social. Acceptez notre point de vue. (Applaudissements sur les bancs du
groupe FI.)
L’amendement vise à compléter l’alinéa 26 par la phrase
suivante : « l’âge d’ouverture du droit à la retraite pour les marins
relevant de l’article L. 5552-4 du code des transports ne peut excéder
cinquante ans, dès lors qu’ils ont au moins vingt-cinq ans de
cotisations ; ».
Il reprend une revendication des marins
pêcheurs : le droit à la pension d’ancienneté qui leur permet de partir à
la retraite dès l’âge de cinquante ans, dès lors qu’ils ont cotisé pendant au
moins vingt-cinq ans. J’y insiste, car sur les 15 000 marins français
aujourd’hui en activité, plus de 1 000 se blessent chaque année. La
fréquence des accidents au travail, chacun s’accorde à le dire, est supérieure
de 23 % à celle dans le domaine du bâtiment, où les conditions de travail
sont marquées par des risques de blessure et une pénibilité
significatifs.
La mesure proposée nous semble prendre en compte la
condition très difficile des marins pêcheurs. (Applaudissements sur les bancs
du groupe FI.)
M. le
président. La parole est à M. Stéphane Peu, pour soutenir
l’amendement no 30063 et les quinze autres amendements
identiques du Groupe de la gauche démocrate et républicaine.
M. Stéphane
Peu. Je suis parfois abasourdi en entendant certaines remarques
historiques. Comment imaginer qu’on puisse dire ici, dans cette enceinte, qu’au
lendemain la guerre, la France était un pays tellement riche, tellement
prospère, tellement épanoui qu’il pouvait s’autoriser une réforme
progressiste,…
Mme Nadia
Hai. Ce n’est pas ce que j’ai dit !
M. Stéphane
Peu. …et qu’aujourd’hui la situation étant devenue plus compliquée, il
ne sera pas possible de le faire ? (Exclamations sur plusieurs bancs du
groupe LaREM.) Franchement…
Mme Nadia
Hai. J’ai parlé de période de plein-emploi ! Heureusement que la
mauvaise foi ne tue pas !
M. Stéphane
Peu. Mais passons, ce n’est pas le sujet de
l’amendement.
Celui-ci est de proposition : il tend à compléter la
rédaction de l’alinéa 26 pour garantir aux marins pêcheurs l’ouverture du
droit à la retraite à 50 ans dès lors qu’ils ont au moins vingt-cinq ans de
cotisations. Pourquoi cela ?
Le code des transports prévoit, pour
les marins, des dispositions dérogatoires au code du travail en vertu desquelles
ceux-ci peuvent – c’est même parfois une obligation – travailler
quatorze heures par jour et quatre-vingt quatre heures par semaine. En
contrepartie de ces conditions de travail très particulières, vous l’avouerez,
les marins bénéficient d’acquis sociaux.
La question est simple, et
l’objet de l’amendement est d’y apporter une réponse. Vous ne pouvez pas laisser
les marins dans l’incertitude. Les réponses du secrétaire d’État étant restées
floues sur ce sujet,…
M. Maxime
Minot. Quand c’est flou, il y a un loup !
M. Stéphane
Peu. …comptez-vous instaurer un âge pivot qui aura pour effet de
diminuer les pensions des marins, ou augmenter la durée de cotisation alors que
leurs corps ne pourront plus supporter de telles conditions de
travail ?
Plutôt que de les laisser dans l’incertitude et dans
l’angoisse, nous proposons, par cet amendement, de résoudre le
problème.
M. le
président. La parole est à M. Frédéric Petit.
M. Frédéric
Petit. Le recours aux ordonnances nous est souvent reproché. Nous
aurions dû, entend-on dire, boucler les négociations et présenter le projet de
loi ensuite plutôt que de mener des discussions en parallèle.
Le Conseil
d’État a pourtant salué avec force le choix de présenter une loi-cadre qui pose
certains principes avant d’achever les négociations. Si les interlocuteurs sont
encore dans leurs tuyaux d’orgue, la négociation est complètement différente de
celle dans laquelle le principe du système universel et de son instauration dans
cinq, dix ou dix-sept est connu. En l’occurrence, la négociation est encadrée.
Les négociations par branche ont toujours existé. Nous gravons dans le marbre de
la loi la direction dans laquelle nous voulons aller et nous demandons aux gens
concernés comment y aller dans leur cas.
Vous dites, madame Dumont, que
nous faisons figurer des éléments très importants dans les ordonnances, tels que
l’âge d’équilibre, mais vous jouez sur les mots. Si vous lisez l’ensemble de cet
article, ainsi que les amendements qui s’y rapportent, l’âge d’équilibre sera
connu pour les marins avant la rédaction des ordonnances : c’est celui que
nous avons défini dans les principes du projet de loi et sur lequel nous
débattrons avec les articles suivants.
Outre l’âge d’équilibre, figurent
parmi ces principes la première génération concernée par la réforme et les
droits. La première génération concernée, monsieur Bernalicis, est celle de
1975, sauf, justement, si les négociations en cours – qui donneront lieu à
des ordonnances encadrées par les principes de la loi – conduisent à
l’ajuster. Il y a, en l’occurrence, de fortes chances que les marins demandent,
les concernant, à ce que la première génération concernée soit plus tardive,
d’avancer l’âge de départ à la retraite et de modifier l’âge
d’équilibre.
M. le
président. La parole est à M. Éric Coquerel.
M. Éric
Coquerel. Si vous n’existiez pas, monsieur Petit, il faudrait vous
inventer ! Vous nous dites que l’âge d’équilibre est défini ; c’est le
cas, mais vous l’avez encadré par une règle d’or qui prévoit de résorber le
déficit du système de retraite en cinq ans et de ne pas augmenter ce que vous
appelez le coût du travail. Selon cette règle, vous reculerez l’âge d’équilibre,
au mieux, à 65 ans, avant d’aller au-delà.
M. Frédéric
Petit. Pas pour les marins !
M. Éric
Coquerel. Vous nous dites que cette donnée est connue ; je présume
donc qu’elle peut s’appliquer aux marins.
M. Frédéric
Petit. Mais non !
M. Éric
Coquerel. Les concernant, vous nous dites que, tout de même, cela posera
peut-être problème, et que vous légiférerez par ordonnance, c’est-à-dire de
manière autoritaire et sans l’avis du Parlement.
M. Frédéric
Petit. Après les négociations !
M. Éric
Coquerel. M. Turquois, qui m’a fait la leçon tout à l’heure,
s’étonnait que nous ne comprenions pas que ce projet de loi est celui du progrès
social. Mais, si tel est le cas, pourquoi donc ne pas prévoir qu’il s’appliquera
à tout le monde ? Ces amendements servent précisément à réaliser l’objectif
de progrès social, car ses dispositions se fondent sur la situation actuelle des
marins, laquelle a été négociée en proximité – pour reprendre votre
expression – au travers d’accords de branche historiques destinés à adapter
le système de retraite à la pénibilité et à la dureté du métier.
(M. Ugo Bernalicis applaudit.) Aussi, si votre texte
est bien celui du progrès social, comment justifier de ne pas voter en faveur de
ces amendements, dont je dirai justement qu’ils garantissent le principe de
non-régression ?
Ces amendements n’interdisent nullement d’aller
plus loin dans le progrès social, par exemple à travers une autre loi, ou
de permettre aux intéressés de prendre leur retraite plus tôt ! Non, ils
tendent à inscrire dans la loi qu’avec vingt-cinq annuités, le départ à la
retraite ne peut se faire au-delà de 50 ans, ce qui correspond à la
situation actuelle. Dès lors que vous ne soutenez pas ces amendements, c’est que
vous allez proposer une régression à tous les marins ; voilà la
réalité ! (Applaudissements sur les bancs du groupe
FI.)
M. le
président. Je mets aux voix les amendements nos 22734 et
identiques.
(Il est procédé au scrutin.)
M. le
président. Voici le résultat du
scrutin :
Nombre de
votants 76
Nombre
de suffrages
exprimés 74
Majorité
absolue 38
Pour
l’adoption 10
Contre 64
(Les amendements
nos 22734 et identiques ne
sont pas adoptés.)
M. le
président. La parole est à M. le rapporteur, pour soutenir
l’amendement no 10012.
M. Nicolas
Turquois, rapporteur. Cet amendement vise à préciser le champ de
l’habilitation et à indiquer que le caractère forfaitaire de l’assiette de
cotisations peut éventuellement être maintenu, afin de définir, par ordonnance,
les mesures permettant d’adapter les règles du système universel aux marins.
L’objectif est donc de permettre le maintien éventuel d’une assiette
forfaitaire, comme c’est le cas aujourd’hui.
Les marins et leurs
employeurs sont en effet opposés à toute augmentation des cotisations, et donc
au passage à des assiettes réelles, et souhaitent, dans le même temps, le
maintien du niveau des retraites, ce à quoi nous nous engageons. C’est pourquoi
nous permettons le maintien des assiettes forfaitaires et, si besoin, de les
faire évoluer pour limiter la perte de droits.
M. le
président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. Laurent
Pietraszewski, secrétaire d’État. Votre amendement, monsieur le
rapporteur, répond à une demande forte des organisations patronales et
syndicales du monde des marins. J’avais eu l’occasion de dire au président
Le Fur que j’étais favorable au maintien de la possibilité d’une assiette
forfaitaire, compte tenu notamment de la forte concurrence qui existe dans ce
secteur. Avis favorable.
(L’amendement no 10012 est
adopté.)
M. le
président. J’appelle les seize amendements identiques,
nos 26842 à 36088, déposés par le groupe de la Gauche démocrate
et républicaine.
Sur ces amendements identiques, je suis saisi par le
groupe de la Gauche démocrate et républicaine d’une demande de scrutin
public.
Le scrutin est annoncé dans l’enceinte de l’Assemblée
nationale.
La parole est à M. Stéphane Peu, pour soutenir ces
amendements.
M. Stéphane
Peu. Nous proposons, avec ces amendements, de revoir un alinéa de
l’article. Pourquoi ? D’abord, parce que nous ne souhaitons pas que les
marins servent de gages à cette réforme. Malgré les lettres d’engagement
informelles, la colère et l’inquiétude sont très grandes parmi les marins.
Ensuite, parce qu’ils savent bien que votre régime par points va mécaniquement
détricoter leur système de retraite, qui est, nous l’avons rappelé à de
multiples reprises, multicentenaire. Enfin, parce qu’en tenant compte de toute
la carrière, y compris les années de chômage, de précarité et de bas salaire,
rien ne permet, dans votre projet de loi, de garantir aux marins que les
assiettes de cotisations forfaitaires seront maintenues. De la même manière, en
ne comptabilisant plus les seuls derniers mois de salaire pour le calcul de la
pension, vous vous apprêtez à baisser mécaniquement le niveau de vie des futurs
marins à la retraite.
Tous ces éléments représentent non seulement une
immense source d’inquiétude, mais aussi une grande injustice à l’égard d’une
profession extrêmement dure et aux conditions de travail pénibles. C’est
pourquoi nous avons proposé de supprimer l’alinéa 26.
M. le
président. Sur l’article 7, je suis saisi par le groupe La France
insoumise d’une demande de scrutin public.
Le scrutin est annoncé dans
l’enceinte de l’Assemblée nationale.
Quel est l’avis de la commission sur
les amendements identiques e discussion ?
M. Nicolas
Turquois, rapporteur. L’ENIM a toute légitimité et une expérience
suffisante pour poursuivre son activité dans le système universel. L’adaptation
de ses missions ne remet en cause ni son existence ni son rôle central. Avis
défavorable.
M. le
président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. Laurent
Pietraszewski, secrétaire d’État. Dans la mesure où
l’Établissement national des invalides de la marine restera compétent aussi bien
pour les assurés non concernés que pour ceux concernés par la réforme, vos
amendements me semblent satisfaits, monsieur le député. Les éléments
complémentaires qui vous ont été apportés par M. le rapporteur me semblent
également pertinents. Si vous souhaitez que l’ENIM reste gestionnaire du régime
des marins, je crois que vous pouvez être pleinement rassuré. Je vous invite
donc à retirer vos amendements ; à défaut, l’avis serait défavorable.
M. le
président. La parole est à Mme Nadia Essayan.
Mme Nadia
Essayan. Vous passez votre temps, chers collègues, à parler du CNR et de
la fondation de la sécurité sociale, afin de l’opposer au système que prévoit ce
projet de loi.
M. Stéphane
Peu. Je n’en ai pas parlé !
Mme Nadia
Essayan. Or, justement, ce texte permet enfin d’atteindre l’objectif
fixé à l’époque : protéger, par les mêmes règles, tous les Français du
risque vieillesse. En 1944, certaines situations ont été oubliées. Certaines
professions ont souhaité ne pas participer régime général de retraite : je
pense aux indépendants, aux artisans, aux commerçants, et à d’autres qui,
aujourd’hui, ont beaucoup à gagner à rejoindre le système universel de retraite
que nous leur proposons.
Je vous signale également, car vous ne l’avez
peut-être pas remarqué, que nous tournons en boucle et en stéréo autour des
mêmes arguments et des mêmes réponses, que ce soit sur le fond ou sur la
forme.
M. Patrick
Hetzel. Non, ça c’est vous qui le faites !
Mme Nadia
Essayan. De temps en temps, pour nous réveiller, vous essayez d’être
blessants et de nous faire passer pour de grands méchants loups, mais, à ce
jeu-là, je vous assure que vous perdez votre crédibilité. (Applaudissements
sur quelques bancs des groupes MODEM et LaREM.)
M. le
président. La parole est à Mme Jeanine Dubié.
Mme Jeanine
Dubié. Nous examinons des amendements mais, comme nous entendons aussi
des déclarations générales, j’en ferai également une. Vous dites que cette
réforme apporte de la justice et réduit les inégalités. Je prendrai donc un
exemple pour vous montrer que ce n’est pas le cas. Nous avons appris, au cours
de nos débats, que pour obtenir le MICO – minimum contributif –, qui
s’élève à 1 000 euros, il est nécessaire de travailler quarante-trois
années et d’atteindre l’âge d’équilibre. Or quelqu’un qui commencerait sa
carrière avec un salaire convenable et qui aurait une carrière ascendante
pourrait atteindre cet âge d’équilibre sans nécessairement avoir accumulé
quarante-trois annuités ; cette personne pourra partir à la retraite avant.
Ce n’est pas juste ! Tout le monde n’aura pas à travailler autant d’années.
Ainsi, soit la nécessité d’accumuler un nombre d’annuités pour obtenir le MICO
s’applique à tout le monde, soit elle ne s’applique à personne !
Un député du groupe
MODEM. Si, elle est pour tout le monde !
Mme Jeanine
Dubié. Non, ce n’est pas le cas, ou alors qu’on me le prouve.
M. le
président. La parole est à M. Ugo Bernalicis.
M. Ugo
Bernalicis. Je tiens solennellement à dire que nous faisons toutes et
tous des efforts, notamment sur les bancs de l’opposition, pour suivre le
déroulé du texte. (Rires et exclamations sur les bancs des groupes LaREM et
MODEM.)
M. Patrick
Mignola. Ça n’a jamais été le cas !
M. Ugo
Bernalicis. Cela vous fait rire ? Depuis tout à l’heure, nous vous
parlons des ordonnances, tandis que vous faites des interventions de
pleurnichards en nous demandant : « Pourquoi vous nous reparlez des
ordonnances ou encore du Conseil d’État ? » (Exclamations sur les
bancs des groupes LaREM et MODEM.) Nous vous parlons du Conseil d’État et
des ordonnances, car nous discutons des articles qui feront l’objet d’une
ordonnance ! Qui est cohérent dans cet hémicycle ? Qui suit le
débat ? Qui avance des arguments de fond ?
M. Bruno
Millienne. Arrêtez !
M. Patrick
Mignola. On a fait trois fois le tour de chaque article !
M. Bruno
Millienne. La mauvaise foi ne vous étouffe pas !
M. le
président. Veuillez laisser M. Bernalicis poursuivre, mes chers
collègues.
M. Ugo
Bernalicis. Nous avançons des arguments de fond, alors que vous ne
faites que des interventions de forme. On se demande qui fait de l’obstruction
dans cet hémicycle et essaie de gagner du temps pour faire durer les débats
pendant des heures et des heures !
Nous vous proposons, avec ces
amendements, comme avec beaucoup d’autres, de renoncer aux ordonnances ou de
préciser les choses de telle sorte qu’il ne puisse y avoir de régression
sociale. Vous vous y refusez : c’est votre droit et votre responsabilité
politique de vous positionner ainsi ; ce n’est pas la nôtre. Mais respectez
que nous soyons sur le fond du débat ! Nous redonnons, bien sûr, des
éléments de contexte, mais qui, ici, a parlé du CNR ? C’est vous, sur les
bancs de la majorité, en disant d’ailleurs des horreurs. Qui a parlé du
Venezuela ? (M. Paul Christophe lève la main.)
Nous, peut-être ? Non, quelqu’un de vos bancs !
M. Alain
Bruneel. C’est vrai !
M. Ugo
Bernalicis. Bref, ça suffit ! (Mme Bénédicte
Taurine applaudit.)
M. le
président. La parole est à M. Éric Woerth.
M. Nicolas
Forissier. Enfin quelqu’un de sérieux !
M. Éric
Woerth. Je ne veux pas rallonger les débats, mais je voudrais dire à
notre collègue du MODEM qui, tout à l’heure, faisait référence à 1944 que la
France, heureusement, a changé depuis cette date. Je peux vous le dire : le
système de retraite a un peu évolué depuis la fin de la guerre…
(Applaudissements sur les bancs du groupe LR.) Peut-être pas assez, et
sans doute le pas de géant que vous allez lui permettre de faire le
propulsera-t-il vers le XXIIe siècle… Mais on ne peut pas dire
ce que vous avez dit.
J’ajoute que la France, elle non plus, n’est pas
née il y a quelques mois.
M. Philippe
Vigier. C’est vrai !
M. Éric
Woerth. Elle est née avant et a été dirigée par des gouvernements
successifs, certes avec plus ou moins de bonheur. Vous constatez d’ailleurs
qu’il est difficile de gouverner. Aussi, restons à peu près…
M. Philippe
Vigier. Humbles ?
M. Éric
Woerth. …équilibrés dans nos propos. (Applaudissements sur les bancs
du groupe LR.)
M. Philippe
Vigier. Très bien !
Un député du groupe LR.
Enfin un peu de sagesse !
M. le
président. La parole est à M. Stéphane Peu.
M. Stéphane
Peu. Permettez-moi de revenir sur les amendements, comme nous nous
efforçons de le faire depuis le début, malgré l’obstruction de certains…
(Sourires. – Exclamations sur les bancs des groupes LaREM et
MODEM.)
M. Rémy
Rebeyrotte. Ne soyez pas trop dur avec M. Bernalicis !
M. Stéphane
Peu. Notre préoccupation est de garantir aux marins que leur régime de
retraite continuera à être géré par l’ENIM. Est-il possible, en dépit des
ordonnances, que le Gouvernement nous en dise un peu plus à ce sujet que vous ne
l’avez fait jusqu’à présent, monsieur le secrétaire d’État ? À ce stade, à
moins que je n’aie mal compris, nous n’avons guère obtenu de réponse claire.
Rappelons que l’ENIM gère actuellement les pensions de
117 000 retraités, encaisse les cotisations de
96 000 actifs, tout en assurant, il faut le rappeler, une mission de
prévoyance et de protection face à différents risques sociaux.
M. le
président. La parole est à M. Jean-René Cazeneuve.
M.
Jean-René Cazeneuve. À entendre certains, on a l’impression que le
Parlement va travailler jour et nuit pendant deux, trois, quatre ou cinq
semaines puis que tout sera fini, qu’il ne se passera plus rien pendant quarante
ans ; bref, nous nous apprêterions à signer un chèque en blanc pour les
prochaines décennies.
Or c’est exactement le contraire : le projet
de loi prévoit de très nombreux garde-fous démocratiques.
Je vous renvoie
en particulier aux articles 51 à 56, relatifs à la gouvernance.
Les
ordonnances seront examinées par le Parlement !
M. Philippe
Vigier. Chiche !
M.
Jean-René Cazeneuve. Chaque année, bien évidemment, le PLFSS pourra
faire évoluer les choses !
M. Bruno
Studer. Très bien !
M.
Jean-René Cazeneuve. La Caisse nationale de retraite universelle
assurera le pilotage du système !
M. Bruno
Studer. Très bien !
M.
Jean-René Cazeneuve. Le Conseil de la protection sociale des
travailleurs indépendants, émanant des professions libérales, pourra lui aussi
peser ! Et un comité d’expertise indépendant sera créé !
Nous
ne donnons pas de chèque en blanc – d’autant que les majorités changeront à
l’avenir, car nous sommes en démocratie. Au contraire, avec cette loi, nous
posons les fondamentaux d’un grand débat démocratique. (Applaudissements sur
quelques bancs du groupe LaREM. – M. Bruno Fuchs applaudit
également.)
M. le
président. La parole est à M. le secrétaire d’État.
M. Laurent
Pietraszewski, secrétaire d’État. Monsieur Peu, je vous ai
confirmé tout à l’heure que l’ENIM resterait l’interlocuteur des marins après la
réforme. C’est pourquoi je vous ai invité à retirer vos amendements.
Vous
êtes revenue, madame Dubié, sur le minimum contributif. Sans m’éterniser, je
souhaite vous répondre car le sujet est important. Vous estimez que le
dispositif tel qu’il fonctionne aujourd’hui est difficile à analyser, et je ne
vous en fais pas grief.
Il existe aujourd’hui un minimum contributif, dit
« minimum de pension ». Pour l’obtenir, il faut satisfaire à la même
condition que pour toucher une retraite à taux plein, c’est-à-dire avoir cotisé
pendant quarante-trois ans – je prends pour référence la génération née en
1973. À défaut, il faut travailler jusqu’à 67 ans.
Ce point a fait
l’objet d’un débat. Nous considérons que l’instauration d’un âge d’équilibre à
64 ans constituera un progrès social, car il sera désormais possible
d’accéder au minimum contributif à cet âge d’équilibre alors qu’il fallait
auparavant attendre jusqu’à 67 ans.
La notion de durée de cotisation
existe donc actuellement. Demain, je le répète, si l’on ne respecte pas cette
condition de durée, on aura accès au minimum contributif plus tôt : dès
l’âge d’équilibre au lieu de 67 ans.
J’ignore d’ailleurs quel sera
l’âge d’équilibre – j’ai dit 64 ans car c’est ce qui est ressorti du
débat organisé par M. Delevoye.
M. Éric
Coquerel. Ce sera peut-être plus tard !
M. Laurent
Pietraszewski, secrétaire d’État. Ceux qui ont consulté l’étude
d’impact ont pu voir que, pour établir des comparaisons valables entre le
système actuel et le système futur, on avait retenu comme référence une carrière
de quarante-trois ans commençant à 22 ans.
Dans le système tel que
nous l’avons imaginé, il pourra arriver qu’à l’âge d’équilibre, on n’ait pas
atteint une durée de cotisation de quarante-trois ans. Néanmoins, je le rappelle
pour que les choses soient bien claires, les périodes pendant lesquelles on aura
bénéficié de points de solidarité seront comptabilisées dans la durée de
cotisation ; il ne s’agira pas uniquement des périodes d’activité.
Mme Jeanine
Dubié. Cela fait tout de même beaucoup !
M. Ugo
Bernalicis. Y aura-t-il des tombolas pour gagner des points ?
M. Laurent
Pietraszewski, secrétaire d’État. À l’âge d’équilibre, si l’on
n’a pas atteint les quarante-trois années requises, on bénéficiera du minimum
contributif au prorata de la durée de cotisation que l’on aura validée, soit au
titre des périodes d’activité, soit au titre de la solidarité. En d’autres
termes, on ne sera plus obligé d’attendre pour en bénéficier.
Mme Jeanine
Dubié. Ce n’est pas la question ! Aujourd’hui, la durée de
cotisation est une condition imposée à tout le monde, pas seulement à ceux qui
sollicitent le minimum de pension !
M. le
président. Je mets aux voix les amendements no 26842 et
identiques.
(Il est procédé au scrutin.)
M. le
président. Voici le résultat du
scrutin :
Nombre de
votants 72
Nombre
de suffrages
exprimés 70
Majorité
absolue 36
Pour
l’adoption 9
Contre 61
(Les amendements no 26842 et
identiques ne sont pas adoptés.)
M. le
président. Je mets aux voix l’article 7, tel qu’il a été
amendé.
(Il est procédé au scrutin.)
M. le
président. Voici le résultat du
scrutin :
Nombre de
votants 73
Nombre
de suffrages
exprimés 64
Majorité
absolue 33
Pour
l’adoption 55
Contre 9
(L’article 7, amendé, est adopté.)
Suspension et reprise de la séance
M. le
président. La séance est suspendue.
(La séance, suspendue à onze heures cinq, est reprise à onze heures
vingt.)
M. le
président. La séance est reprise.
Avant l’article 8
M. le
président. Je suis saisi de plusieurs amendements pouvant être soumis à
une discussion commune : l’amendement no 2353 et les seize
amendements identiques déposés par les membres du groupe La France
insoumise ; l’amendement no 5812 et les seize amendements
identiques déposés par les membres du même groupe ; l’amendement
no 23847, qui fait l’objet de huit sous-amendements,
nos 42192, 42194, 42195, 42197, 42199, 42200, 42201 et
42202 ; l’amendement no 23848, qui fait l’objet d’un
sous-amendement, no 42589.
Sur les amendements
no 2353 et les seize amendements identiques, je suis saisi par
le groupe La France insoumise d’une demande de scrutin public.
Le scrutin
est annoncé dans l’enceinte de l’Assemblée nationale.
La parole est à
M. Alexis Corbière, pour soutenir ces amendements.
M. Alexis
Corbière. J’espère que nos collègues du groupe La République en marche
comprendront que nous agissons à l’égard de cet article comme nous l’avons fait
pour les précédents : nous partons du principe que, si nul ne doit ignorer
la loi, celle-ci doit être rédigée de manière compréhensible. Nous proposons
donc de modifier un peu le titre, pour le rendre conforme à ce que l’article
nous semble réellement contenir : « L’obligation d’une retraite prise
plus tard et au montant plus faible ».
M. Bruno
Millienne. Ça fait avancer le débat…
M. Alexis
Corbière. Ce toilettage sémantique nous semble nécessaire ;
j’espère que les députés du groupe La République en marche admettront que notre
formulation est plus juste que la leur.
M. Bruno
Millienne. Il y a peu de chances !
M. le
président. Les amendements no 5812 et les seize
amendements identiques déposés par les membres du groupe La France insoumise
sont défendus.
La parole est à M. Joël Aviragnet, pour soutenir
l’amendement no 23847.
M. Joël
Aviragnet. Il vise également à traduire en mots la réalité de la
réforme, en rédigeant ainsi l’intitulé du chapitre II :
« Travailler plus longtemps pour les mêmes droits ».
En effet,
l’instauration d’un système par points axé autour d’un âge d’équilibre aboutit à
une transformation majeure de la logique de notre système d’assurance
vieillesse, qui repose depuis 1945, d’une part, sur la durée de cotisation et,
d’autre part, sur une pension calculée sur la période la plus favorable. Avec un
premier âge d’équilibre fixé à 65 ans en 2025, un assuré né par exemple en
1975 et ayant commencé à travailler à 20 ans, qui aurait dû pouvoir partir
à la retraite avec une carrière complète à 63 ans, devra tout bonnement
travailler deux années de plus pour ne pas perdre de droits. Quant à un assuré
né en 2004 et qui commencera également à travailler à 20 ans, son âge
d’équilibre devrait être supérieur à 67 ans selon la dynamique actuelle
mais il devra cotiser 47 ans pour partir à la retraite sans
décote.
Je crois qu’il faut dire la vérité aux Français pour leur
redonner confiance dans la politique. Or vous essayez d’enfumer tout le monde.
Plus personne ne croit vos éléments de langage : tout le monde a compris
que sous couvert de soi-disant justice sociale et de prétendue égalité, tout le
monde devra travailler plus longtemps. J’estime qu’il faut le dire aux Français
afin que ce soit clair.
M. Ugo
Bernalicis. Eh oui !
M. le
président. La parole est à M. Stéphane Peu, pour soutenir le
sous-amendement no 42192.
M. Stéphane
Peu. « Travailler plus longtemps pour les mêmes
droits » : l’intitulé du chapitre proposé par M. Aviragnet est
juste. Tout en partageant le souci de précision qui l’anime, je pense que nous
pourrions aller plus loin, comme le montrent ce sous-amendement et les suivants.
Nous vous laissons le choix des mots : travailler « toujours plus
longtemps » voire « indéfiniment » – c’est en réalité à cela
que tend votre réforme –, d’autres adverbes ou adjectifs vous étant
également proposés. La précision de la loi est notre constante préoccupation, ce
qui requiert des formulations précises. Nous faisons un effort de précision avec
ces différents sous-amendements, que je défends en bloc afin de ne pas ralentir
les débats.
M. le
président. Ce sera mis à votre crédit, monsieur Peu : les
sous-amendements nos 42194 de M. Sébastien Jumel, 42195 de
M. Pierre Dharréville, 42197 de M. Sébastien Jumel, 42199 de
M. Pierre Dharréville, 42200 de M. Sébastien Jumel, 42201 de
M. Pierre Dharréville et 42202 de M. Sébastien Jumel sont donc
défendus.
La parole est à Mme Laurence Dumont, pour soutenir
l’amendement no 23848.
Mme Laurence
Dumont. Dans la discussion commune, nous proposons pour notre part
l’intitulé suivant : « Travailler plus pour gagner moins », ce
qui nous rappelle des souvenirs…
Répétons-le, avec un système par points
qui prend en compte l’ensemble de la carrière plutôt que les six derniers mois
où les vingt-cinq meilleures années, l’assuré verra mécaniquement le montant de
sa pension diminuer par rapport au système actuel.
Ce mécanisme est
d’autant plus pénalisant pour les fonctionnaires que leurs échelles de salaires
sont normées et progressives tout au long de la carrière, sans possibilité
d’amélioration significative.
Ce système crée aussi une importante
inégalité entre assurés selon leur situation de départ. Un cadre qui aura
accompli toute sa carrière sous ce statut touchera forcément une meilleure
pension qu’un ouvrier qui aura gravi tous les échelons pour finir cadre, y
compris avec un salaire supérieur à celui du précédent. Dès lors, toute
dimension méritocratique d’une carrière est complètement abrogée.
Il
s’agit d’un système injuste, inéquitable et qui aura pour effet de diminuer les
pensions des Français.
M. Ugo
Bernalicis. Une réforme pourrie !
M. le
président. La parole est à M. Stéphane Peu, pour soutenir le
sous-amendement no 42589.
M. Stéphane
Peu. L’intitulé de chapitre proposé par Mme Dumont,
« Travailler plus pour gagner moins » est juste également car il
explicite parfaitement quelle réforme des retraites vous proposez. Notre
sous-amendement vise à davantage de précision encore car le chapitre serait
ainsi rédigé : « Travailler plus longtemps pour gagner
moins ».
M. le
président. Quel est l’avis de la commission sur les amendements et
sous-amendements en discussion commune ?
M. Nicolas
Turquois, rapporteur. Une suspension de séance était en effet
nécessaire pour préparer l’examen de ces amendements…
« Travailler
plus pour gagner moins » : vous avez évoqué des souvenirs, madame
Dumont, et je pense que la sentence exacte est protégée par le droit
d’auteur…
D’autres intitulés sont proposés pour le chapitre.
« L’obligation d’une retraite prise plus tard et au montant plus
faible » : M. Corbière souhaitait que la majorité reconnaisse que
cette formulation était plus juste ; mon avis est qu’elle vous trouvera
taquin.
M. Alexis
Corbière. Oh ! Monsieur le rapporteur !
M. Nicolas
Turquois, rapporteur. Je vois qu’un gros groupe de jeunes
arborant des écharpes tricolores pénètre dans les tribunes du public :
peut-être s’agit-il d’un conseil municipal des enfants. (Applaudissements sur
tous les bancs.)
Plusieurs députés du groupe
LaREM. Oui !
M. Nicolas
Turquois, rapporteur. Savez-vous, jeunes concitoyens, que les
maires portent la bande bleue au ras du col, tandis que, pour les députés, c’est
la rouge ?
M. Alexis
Corbière. Ça, c’est vrai !
M. Ugo
Bernalicis. Pour les députés et les sénateurs !
M. Nicolas
Turquois, rapporteur. Je pense que vous pourriez retourner la
vôtre et devenir députés : le niveau du débat de cette séance n’en serait
pas modifié. (Rires et exclamations.)
M. Maxime
Minot. Quel exemple pour la jeunesse ! Pourtant, il n’est pas
vingt-trois heures !
M. Alexis
Corbière. Prévenez-les plutôt qu’ils devront travailler jusqu’à
68 ans ! Ça leur fera plaisir !
M. Nicolas
Turquois, rapporteur. Avis défavorable sur les amendements et les
sous-amendements.
M. le
président. La parole est à M. Ugo Bernalicis.
M. Ugo
Bernalicis. Il est vrai que des enfants viennent d’entrer dans les
tribunes du public ; visiblement ils sont impliqués dans la vie
politique…
Mme
Brigitte Bourguignon, présidente de la commission spéciale. Dans
la citoyenneté !
M. Ugo
Bernalicis. …puisqu’ils siègent dans un conseil municipal des enfants.
Vous allez pouvoir leur expliquer qu’avec votre système par points, ils devront
travailler jusqu’à 67, 68, 69 ou 70 ans. (Applaudissements sur quelques
bancs des groupes FI, LR et SOC. – Exclamations sur plusieurs
bancs du groupe LaREM.)
Mme
Brigitte Bourguignon, présidente de la commission spéciale. C’est
très intelligent !
M. Ugo
Bernalicis. Et puisque la retraite s’appliquera aussi à ma génération,
je me sens également concerné.
Mme Nadia
Hai. C’est donc ça !
M. Ugo
Bernalicis. Ce système à points a un aspect ludique : comme dans
les jeux vidéo, on collecte des points pour passer les niveaux 1, puis 2,
puis 3, et, au bout d’un moment, on peut convertir les points pour obtenir une
nouvelle compétence. Si vous les utilisez trop tôt, vous aurez une décote ;
si vous les mettez de côté et que vous parvenez à franchir les étapes de la vie
– à vaincre les différents monstres que vous rencontrerez –, vous
aurez une surcote.
M. Nicolas
Forissier. Il existe un âge légal !
M. Ugo
Bernalicis. Mais nous ne sommes pas dans un jeu vidéo, monsieur le
secrétaire d’État, monsieur le rapporteur, c’est la vraie vie dont nous parlons.
Alors, utiliser l’aspect ludique pour expliquer aux gens qu’ils devront trimer
plus longtemps, ce sera sans nous. (Mme Bénédicte Taurine
applaudit.)
Mme
Brigitte Bourguignon, présidente de la commission spéciale. Ce
serait sans nous aussi !
M. le
président. La parole est à M. Frédéric Petit.
M. Frédéric
Petit. Enfin, nous y voilà. Selon vous, le point sera détricoté et
diminuera mécaniquement. Je voudrais rappeler les principes de la répartition.
Quand on répartit, il faut d’abord savoir quels sont les paniers sur la table.
Or, je le répète, nos paniers seront plus vastes. Surtout il n’y en aura pas
quarante-deux. Aujourd’hui, quarante-deux paniers sont sur la table :
Robert prend un peu ici et un peu là, quand Jacqueline s’attend à prendre mais
se voit répondre qu’elle n’a pas ses quarante-trois années. Nous, nous demandons
d’abord quels sont les paniers sur la table et surtout nous créons un panier
unique pour tout le monde.
M. Alexis
Corbière. Là, déjà, ce n’est pas bon ! Vous l’avez reconnu
vous-même !
M. Frédéric
Petit. Vous vous trompez. Mais j’aimerais qu’on me laisse parler,
monsieur le président.
M. le
président. On vous laisse parler. Allez-y, monsieur Bernalicis…
(Exclamations et rires.)
M. Alexis
Corbière. Pas d’injures, monsieur le président !
M. Frédéric
Petit. Vous faites de l’obstruction, monsieur le président !
(Sourires.)
M. le
président. Pardon, monsieur Petit ! Nous vous écoutons.
M. Frédéric
Petit. Notre réforme ne vise absolument pas à changer les montants
contenus dans les paniers, à ceci près que nous allons un peu agrandir leur
taille : qu’elle soit ou non adoptée, le montant à se répartir en 2050,
globalement, ne sera pas affecté. La répartition, au-delà d’un slogan que l’on
peut promener sur les plateaux de télévision, vise en réalité à répartir le
panier disponible – devenu unique – entre l’ensemble des pensionnés.
Cette répartition peut se fonder sur un système égalitaire : tout le monde
touche pareil.
M. Stéphane
Peu. Quelle horreur !
M. Frédéric
Petit. Actuellement, il y a 16 millions de pensionnés, voire
17 millions si j’ajoute tous ceux qui n’ont pas droit à une pension
digne ; le montant total à se partager étant de 325 milliards d’euros,
chacun touche alors 1 600 euros par mois.
M. le
président. Merci, monsieur Petit.
M. Frédéric
Petit. Je continuerai ma démonstration tout à l’heure.
M. le
président. La parole est à M. Éric Woerth.
M. Éric
Woerth. Le système par points, en soi, est l’une des nombreuses
modalités possible de calcul, et je n’y suis pas du tout opposé. L’AGIRC-ARRCO
– Association pour le régime de retraite complémentaire des salariés et
Association générale des institutions de retraite des cadres – fonctionne
d’ailleurs déjà ainsi. Les questions importantes concernent en réalité la
définition du point : quelle sera sa valeur ? comment
évoluera-t-il ? comment et quand est-il distribué ? La première des
questions touche donc à la gestion de ces paramètres.
S’y ajoutent
beaucoup d’autres questions, car la façon dont vous envisagez de traiter les
paramètres relatifs au point ne me semble pas donner beaucoup de visibilité, de
lisibilité et de simplicité au système. Ce sont pourtant vos objectifs ! Il
existera deux valeurs de point, deux périodes de décisions – l’une avant
2045, l’autre après –, deux méthodes de détermination – impliquant,
selon les cas, l’intervention ou non de la caisse et l’intervention du
Gouvernement.
Comme je l’ai déjà dit à plusieurs reprises, le taux de
rendement de l’AGIRC-ARRCO a diminué entre 2015 et 2018, tombant de 6,6 à
6 %. Cela montre bien que le point est en réalité une variable de
rentabilité entraînant une variation du niveau de pension. Toutes les garanties
qui pourraient être données sur ce sujet seront donc extrêmement importantes,
même si personne n’y croit.
Jean Pisani-Ferry – économiste sérieux,
qui a d’ailleurs largement inspiré le Gouvernement – a écrit récemment
qu’un système de retraite par points étant compliqué et anxiogène, il est
important d’en sécuriser les paramètres. Il a raison, surtout compte tenu de
l’instabilité de l’univers contemporain. Or vous voyez bien que vous ne
sécurisez pas suffisamment ces paramètres. En les faisant déterminer beaucoup
d’éléments différents, vous maintenez leur caractère anxiogène. La décorrélation
des valeurs d’acquisition et de service du point, qui peuvent évoluer
différemment, représente un réel danger. Ce n’est qu’en 2045 que ces valeurs
seraient presque corrélées : vingt-cinq ans, c’est un horizon beaucoup trop
lointain. (Applaudissements sur les bancs du groupe LR.)
Mme
Marie-Christine Dalloz. Bravo !
M. le
président. Je mets aux voix les amendements no 2353 et
identiques.
(Il est procédé au scrutin.)
M. le
président. Voici le résultat du
scrutin :
Nombre de
votants 72
Nombre
de suffrages
exprimés 71
Majorité
absolue 36
Pour
l’adoption 8
Contre 63
(Les amendements no 2353 et
identiques ne sont pas adoptés.)
(Les amendements no 5812 et
identiques ne sont pas adoptés.)
(Les sous-amendements nos 42192, 42194,
42195, 42197, 42199, 42200, 42201 et 42202, successivement mis aux voix, ne sont
pas adoptés.)
(L’amendement no 23847 n’est pas
adopté.)
(Le sous-amendement no 42589 n’est pas
adopté.)
(L’amendement no 23848 n’est pas
adopté.)
M. le
président. L’amendement no 26762 et les quinze
amendements identiques déposés par les membres du groupe de la Gauche démocrate
et républicaine sont défendus.
Quel est l’avis de la
commission ?
M. Nicolas
Turquois, rapporteur. Ces amendements visaient à remplacer le
mot : « points », par le mot : « trimestres ». Je
vous confirme, monsieur Woerth, que le point n’est qu’une modalité de calcul,
qui nous semblait cependant plus équitable que le trimestre. En effet, ce
dernier doit être corrélé avec la valeur portée au compte, et certains
trimestres, comme ceux liés à la maternité, pouvaient être validés sans valeur
portée au compte. L’avis est défavorable.
M. le
président. La parole est à M. Frédéric Petit. (Exclamations
sur les bancs du groupe LR.)
Mme
Marie-Christine Dalloz. La majorité veut visiblement s’exprimer…
M. Frédéric
Petit. Nous parlons du fond, c’est important ! Je vais reprendre
l’argumentation que j’ai précédemment commencée.
Je remercie le président
Woerth, avec lequel je suis tout à fait d’accord, d’être intervenu précisément
sur le point que j’essayais d’expliquer. Je crois vraiment qu’il existe, dans
l’hémicycle, des malentendus sur ce que signifie le mot
« répartition ».
En conservant le principe égalitaire que nous
souhaitons mettre en place, en 2050, au lieu de recevoir tous
1 600 euros – je rappelle qu’il faut partager 325 milliards
d’euros entre 17 millions de pensionnés –, nous recevrions environ
2 000 euros – vous avez lu comme moi les prévisions du COR, le
Conseil d’orientation des retraites.
Mais je voudrais préciser que le
partage du montant du panier sur la table entre les pensionnés ne dépend pas du
mode de répartition : notre réforme ne change donc globalement rien au
montant total à distribuer ni à celui versé à chacun. Nous changeons le système
pour qu’il soit fondé sur un seul panier plutôt qu’éclaté sur quarante-deux
paniers : ce n’est plus une sorte de self-service de la retraite, mais une
table commune. Nous changeons simplement le mode de répartition, en plafonnant
les très hautes retraites et en augmentant les très faibles retraites. Si ce
n’est pas de la redistribution et de la justice, alors comment cela
s’appelle-t-il ? (Applaudissements sur quelques bancs des groupes MODEM
et LaREM.)
M. le
président. La parole est à M. Ugo Bernalicis.
M. Ugo
Bernalicis. Ce qui vient d’être dit est assez inexact car la réforme ne
met pas tout dans le même panier. Certains paramètres, comme le taux de
cotisation, vont changer pour un certain nombre de professions, comme les
avocats. Par conséquent, ce qui sera placé dans le panier évoluera, d’autant que
vous avez également revu la part des cotisations entre le salaire brut et le
salaire net.
La seule vertu du point – pour tous ceux qui n’ont
qu’une vision comptable de la retraite, du moins – réside dans les
conséquences d’une crise financière sur le système. En effet, avec les critères
d’encadrement que vous avez définis – pas plus de 3 % du déficit,
plafonnement des dépenses de retraites à 14 % du PIB –, la génération
touchée par la crise aura beau avoir cumulé des points, elle aura des droits
inférieurs car vous serez obligés de moduler la valeur du point à la baisse.
Mais – l’astuce est là – le seul paramètre qui peut être revu à la
baisse est le coefficient d’ajustement, c’est-à-dire l’âge à partir duquel
s’applique la décote ou la surcote. Par conséquent, à la différence du système
actuel, qui a permis d’éviter une baisse des pensions des retraités lors de la
crise financière de 2008, votre système par point sera perméable à la
conjoncture économique.
M. Laurent
Pietraszewski, secrétaire d’État. Ça ne change rien !
M. Ugo
Bernalicis. La discussion ne porte donc plus sur les droits que l’on
veut octroyer aux pensionnés ayant effectué une carrière complète, en organisant
le budget de sorte que leurs pensions soient garanties quitte à réaliser des
ajustements sur d’autres postes : avec votre système, les retraités sont
eux-mêmes une partie intégrante de la variable d’ajustement de la situation
économique. Nous sommes contre car votre système est donc moins protecteur et
beaucoup plus imprévisible que le système actuel.
M. le
président. La parole est à Mme Cendra Motin.
Mme Cendra
Motin. Je suis un peu étonnée des demandes de changement sémantique
proposées avec cette série d’amendement et la précédente. En effet, j’ai entendu
demander tout à l’heure à plusieurs reprises, notamment sur les bancs de nos
collègues socialistes, d’inscrire clairement dans le texte que la réforme
prévoyait bien une retraite par points. Or, dans l’article 8, qui concerne
notamment la valeur du point, les choses sont dites clairement. Comme l’a très
bien dit M. Woerth, le point est d’ailleurs la modalité de calcul de la
retraite de 27 millions de salariés, dont les droits sont calculés sur
toute la durée de leur carrière professionnelle.
(M. Frédéric Petit applaudit.)
De plus,
contrairement à ce qui a pu être fait dans d’autres pays, comme la Suède, nous
inscrirons très clairement dans le texte que la valeur du point, dont nous
allons enfin parler concrètement, ne baissera pas, même en cas de crise. C’est
très important. Pour protéger le système des retraites en cas de crise, nous
instaurons un mécanisme de lissage sur cinq ans du déficit autorisé de la caisse
universelle et de ses réserves.
La valeur du point est un débat
technique, et il est important que nous l’abordions. Vous vouliez plus de clarté
quant à nos intentions : avec le chapitre II, c’est chose
faite.
M. le
président. La parole est à M. Alain Bruneel.
M. Alain
Bruneel. Nous pensons évidemment que, même s’il faut l’améliorer, le
système actuel doit être conservé, notamment l’âge de départ à 62 ans et la
modalité de calcul fondée sur les vingt-cinq meilleures années de la carrière
pour les salariés du privé ou les dix derniers mois pour les
fonctionnaires.
Monsieur Petit, j’ai l’impression que votre panier commun
a quelques trous et que tout ce que vous mettez dedans se perd petit à petit.
Nous ne disposons d’aucun élément concret permettant de savoir où l’on
va.
Par ailleurs, le système par points individualise la retraite, car
chacun sera comptable de ses points,…
M. Ugo
Bernalicis. C’est de la poudre de
« perlin-point-point » !
M. Alain
Bruneel. …alors que le système actuel repose sur la solidarité. Sans
éléments de nature à nous rassurer, permettez-nous d’avoir des doutes sur votre
réforme et de poser ces questions. Pour nous, le système actuel fonctionne bien,
même s’il est nécessaire de l’améliorer. Nous préférons conserver une
répartition par trimestres plutôt que par points.
(Les amendements no 26762 et
identiques ne sont pas adoptés.)
M. le
président. Sur l’amendement no 2370 et les seize
amendements identiques déposés par les membres du groupe La France insoumise, je
suis saisi par ce groupe d’une demande de scrutin public.
Le scrutin est
annoncé dans l’enceinte de l’Assemblée nationale.
Je suis saisi de deux
séries d’amendements pouvant donner lieu à une discussion commune, les
amendements no 2370 et identiques déposés par les membres du
groupe de La France insoumise d’une part, et les amendements
no 5825 et identiques déposés par les membres du groupe de La
France insoumise d’autre part.
La parole est à M. Alexis Corbière,
pour soutenir ces deux séries d’amendements.
M. Alexis
Corbière. Même s’il est sémantique, ce débat nous semble important. Nous
ne souhaitons pas que les Français soient abusés. Nous avons eu, hier ou
avant-hier, un débat sur les promesses qui avaient été faites aux paysans
lorsque vous avez présenté la réforme. Ce débat a eu le mérite de révéler que
des slogans avancés, comme « 1 000 euros pour tous » étaient
inexacts. La bataille des mots a donc son importance. D’ailleurs, vous usez
vous-mêmes de belles formules dans notre débat : la réforme que vous
proposez serait ainsi un « self-service de la retraite »…
M. Frédéric
Petit. Non, j’ai dit le contraire !
M. Alexis
Corbière. ou bien encore un « open space social ». Continuez
ainsi, c’est fabuleux ! Comme si chacun pouvait choisir ce qu’il veut,
comme dans un self-service, et comme si l’open space n’était pas aussi le lieu
– pas toujours favorable au travail – où, entre autres, le temps de
pause est surveillé par le supérieur hiérarchique.
Revenons à
l’essentiel. Notre collègue Motin a affirmé que le point ne baissera pas. Mais
par rapport à quoi ? Là est le débat, c’est un vrai sujet ! Sur quelle
référence vous fondez-vous ? Dès lors que vous acceptez l’idée qu’avec
l’âge d’équilibre, il faudra travailler plus longtemps pour que le point ne
baisse pas, vous acceptez de fait une dégradation des pensions ! Si, pour
obtenir la même somme, il faut travailler plus longtemps, chacun aura compris
qu’il s’agit bien d’une baisse du montant des retraites. Voilà le fond du
débat !
Pour moi, que le système soit à points ou pas, ce n’est pas
le problème. La question est toujours la même. La retraite n’est que le reflet
des cotisations accumulées pendant la carrière. Or, alors que nous allons
prochainement connaître une légère hausse de la démographie, vous considérez que
c’est le montant des cotisations qui ne doit pas évoluer. La seule chose dont
vous voulez débattre, c’est de la possibilité de travailler plus longtemps, donc
de faire reculer ce qui, selon nous, était un acquis social. Comme nous l’avons
dit tout à l’heure – et cela vous a vexés –, vous allez ainsi à
rebours du sens de l’histoire et de la marche du progrès, qui consiste à
s’émanciper, à se libérer du travail, pour consacrer du temps à des activités
non salariées. Vous dites au contraire aux gens qu’ils vont devoir travailler
plus longtemps. Entendez que c’est un recul !
M. le
président. Merci, monsieur Corbière.
M. Alexis
Corbière. Votre système n’est là que pour habiller ce recul social. Il
va de soi que des gens comme nous ne peuvent que le refuser !
M. le
président. Quel est l’avis de la commission ?
M. Nicolas
Turquois, rapporteur. Finalement, vous avez presque une approche
individuelle de la retraite, comme si chacun d’entre nous avait des droits
individuellement. Je peux le comprendre, mais un système par répartition a aussi
une dimension collective : les actifs, au travers de leur production de
richesse, paient non seulement pour les retraités mais aussi le système social
et pour l’éducation, notamment, et cette règle me semble juste.
Il faut
prendre en compte les évolutions démographiques, la hausse de l’espérance de vie
et l’entrée plus tardive sur le marché du travail, du fait des études.
L’équilibre doit pouvoir être discuté pour qu’une part de la hausse de
l’espérance de vie, donc du temps passé à la retraite, puisse être consacrée
aussi à la production de richesse, afin que le système soit financé. Il me
semble juste de rechercher cet équilibre, de telle sorte que les actifs
contribuent de façon raisonnable – à chaque majorité de définir ce qui lui
semble raisonnable – à la production de richesse pour eux-mêmes d’une part
et pour la collectivité, notamment les retraités, d’autre part.
L’avis
est donc défavorable.
M. le
président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. Laurent
Pietraszewski, secrétaire d’État. J’entends bien, monsieur
Corbière, votre volonté d’engager à nouveau un débat de fond au travers de vos
amendements. J’ai bien compris votre choix d’avoir ce débat politique. Vous
comprendrez, de la même façon, que je reste pour ma part sur le fond de
l’amendement, même si M. le rapporteur a souhaité – ce qui est très
bien – vous apporter l’éclairage de la majorité sur ce sujet. L’avis est
défavorable.
M. le
président. La parole est à M. Frédéric Petit.
M. Frédéric
Petit. Je salue ce débat de fond. Nous discutons enfin du bon article.
Monsieur Corbière, j’ai dit exactement le contraire de ce que vous
prétendez : j’ai indiqué que c’est aujourd’hui que le système s’apparente à
un self-service, je vous invite à lire mon intervention dans le compte rendu des
débats. Notre réforme vise au contraire à instaurer une table commune. Nous
avons aujourd’hui un self-service, avec quarante-deux paniers parmi lesquels
chacun peut piocher, selon le déroulé de sa carrière.
Effectivement, nous
parlons bien de modes de distribution. Or, à cet égard, vous revenez vingt ans
en arrière. La première question à se poser est celle de l’équilibre général,
donc du montant des paniers : comment abonder ce qui est à distribuer sur
la table et qui est disposé, grâce à nous, dans un panier commun à tous ?
Chacun comprend qu’en raison de l’évolution démographique, nous ne pouvons agir
que sur trois paramètres : les pensions, les cotisations et l’âge. Vous
choisissez le paramètre des cotisations. Nous choisissons celui de l’âge
– d’ailleurs, nous ne reculons pas l’âge de la retraite de 62 à 64 ans
mais plutôt de 63,7 à 64 ans. Nous avons aussi fait un choix fondamental
d’avenir, de solidité et de confiance, consistant à confier ce paramètre de
l’âge aux partenaires sociaux, pour les cinquante ans à venir.
Tout cela,
monsieur Corbière, n’a rien à voir avec les points. La vraie question est de
savoir si l’on donnera 25 000 euros de retraite à certains contre 350
à d’autres ! Je suis d’accord avec M. Woerth : effectivement, le
recours au point est complexe car il revient à regrouper, dans un même système,
deux paramètres aujourd’hui orthogonaux, à savoir les trimestres et les
montants, comme l’a très bien rappelé Nicolas Turquois. Nous sommes dans le
monde des nombres complexes. (Mme Motin
applaudit.)
Mme Cendra
Motin. Tout à fait d’accord ! M. Petit est un très bon
pédagogue !
M. le
président. La parole est à M. Ugo Bernalicis.
M. Ugo
Bernalicis. Le rapporteur a initié un débat très intéressant. C’est
effectivement du partage de la richesse dont il s’agit : quelle part de la
richesse produite souhaitons-nous consacrer à notre système de retraite ?
La variable du coefficient d’ajustement, qui reste en suspens, vous permettra
d’adapter la valeur du point génération après génération, crise financière après
crise financière. D’ailleurs, l’évolution que connaît actuellement la bourse en
raison du coronavirus devrait plutôt nous inquiéter quant à la fragilité de
l’économie mondiale et notre capacité à garantir une valeur stable du point et
un montant de retraite déterminé à une génération. Vous adossez ces paramètres
sur la conjoncture économique, sur des ressources que vous qualifiez de
dynamiques, mais une dynamique peut malheureusement être positive ou
négative.
Je voudrais également partager ici un message particulier. À
vous écouter, on croirait que le versement d’une pension à un retraité est de
l’argent perdu, comme si ces sommes disparaissaient dans la nature.
Mme
Brigitte Bourguignon, présidente de la commission spéciale. Ça
suffit, ce n’est pas sérieux ! Votre intervention n’est destinée qu’au
montage de vidéos !
M. Ugo
Bernalicis. Mais ce n’est pas le cas ! Les pensions participent au
circuit économique car elles seront dépensées, consacrées à la consommation.
Elles sont l’un des leviers qui font tourner l’économie nationale et les petites
entreprises de proximité.
De plus, Gabriel Attal lui-même a déclaré que
les associations permettaient d’éviter des coûts à l’État – c’est une drôle
de conception du rôle des associations mais passons. Or il se trouve que la
grande majorité des associations sont composées de retraités, dont on ne peut
que se féliciter qu’ils s’impliquent dans la vie collective et sociale de notre
pays.
Mme
Brigitte Bourguignon, présidente de la commission spéciale. C’est
de la malhonnêteté intellectuelle !
M. Ugo
Bernalicis. Cessez de nous faire croire que le fait de consacrer aux
retraites 15 % du PIB au lieu de 14 % provoquerait une atonie
économique et constituerait un coup de canif porté au capital, l’empêchant de
produire.
Mme
Brigitte Bourguignon, présidente de la commission spéciale. Mais
qui a dit cela ?
M. le
président. Merci, monsieur Bernalicis.
M. Ugo
Bernalicis. Or ce n’est pas vrai. La redistribution a bien une
vertu.
M. le
président. La parole est à Mme Marie-Christine Dalloz.
Mme
Marie-Christine Dalloz. Je n’avais pas l’intention de réagir mais,
puisque vous nous en donnez l’occasion, je vais la saisir.
Cher collègue
du groupe MODEM, vous affirmez que les partenaires sociaux seront à la manœuvre
pour déterminer la valeur du point et gérer le futur système de retraite pour
les cinquante prochaines années. C’est totalement faux ! En effet, c’est
l’État qui nommera le directeur de la Caisse nationale de retraite universelle.
Cela revient à une forme de reprise en main et d’étatisation du système. Cela
peut se comprendre, et c’est même heureux, puisque c’est bien le budget de
l’État qui financera l’équilibre des caisses de retraite – à ce sujet
d’ailleurs, nous nous interrogeons toujours sur la façon dont la majorité compte
atteindre l’équilibre en 2027. Nous avons posé la question à de multiples
reprises et manquons de visibilité puisque cela relève, encore une fois, de la
conférence de financement. Voilà pour le fond.
Sur la forme, nous avons
pu voir un large panel de méthodes d’obstruction. Je n’avais pas compris qu’il y
avait sur ce projet de loi un rapporteur général, des rapporteurs par titre,
mais aussi un super-rapporteur du MODEM qui intervient en réponse à chaque
intervention…
Mme Cendra
Motin. Et alors ?
M. Rémy
Rebeyrotte. Chacun a le droit de s’exprimer, madame Dalloz !
Mme
Marie-Christine Dalloz. …en jouant au rapporteur spécial au-dessus du
rapporteur général ! C’est extraordinaire ! La majorité dispose d’un
temps de parole pléthorique !
Mme Nadia
Hai. Vous êtes excellent, monsieur Petit !
M. Rémy
Rebeyrotte. Quel hommage vous est fait !
M. le
président. La parole est à Mme Carole Grandjean.
Mme Carole
Grandjean. Si, après quinze jours de débats, certains s’interrogent
encore sur le sens de la réforme, il va devenir très compliqué de
débattre.
Le point est une modalité de calcul qui permet de donner une
visibilité claire de l’état d’avancement des cotisations de chacun pour ses
droits à la retraite. Tel est le sens de cette réforme, permettez-moi de le
répéter si vous vous interrogez encore.
M. Ugo
Bernalicis. Cela n’a pas de sens !
Mme Carole
Grandjean. Nous avons choisi d’instaurer un système par points pour
assurer la lisibilité des droits et la prise en compte de chaque événement
– maternité, chômage, contrats courts, compensation de pénibilité –,
tout au long de la carrière. C’est cela, le sens de cette réforme, et nous le
répétons.
Le système de gouvernance que nous venons d’évoquer permettra,
dans le cadre du paritarisme, avec les organisations syndicales et patronales,
et avec l’État en tant qu’employeur, de redéfinir les paramètres et de les
ajuster pour assurer la solidité du système. Notre responsabilité, notre rôle de
parlementaires est d’adopter un texte qui assure la solidité, la pérennité et
l’avenir du système de retraite pour les jeunes générations. Nous avons
effectivement fait le choix de ne pas instaurer un système inéquitable, comme le
propose le groupe La France insoumise, ni un système injuste comme certains
l’ont proposé au travers de leurs amendements. Nous voulons justement
l’inverse : un système juste et solide, instauré de façon responsable avec
l’ensemble des partenaires. La gouvernance le prévoira…
Mme
Marie-Christine Dalloz. Par une ordonnance !
Mme Carole
Grandjean. …avec la nomination du directeur. Nous proposerons ainsi des
ajustements, pour que le Parlement puisse intégrer le dispositif de nomination
et surtout que les partenaires sociaux puissent également exprimer leur avis.
Nous en discuterons au titre IV. (Applaudissements sur plusieurs bancs
du groupe LaREM et sur quelques bancs du groupe MODEM.)
M. le
président. Je mets aux voix les amendements no 2370 et
identiques.
(Il est procédé au scrutin.)
M. le
président. Voici le résultat du
scrutin :
Nombre de
votants 72
Nombre
de suffrages
exprimés 71
Majorité
absolue 36
Pour
l’adoption 6
Contre 65
(Les amendements
no 2370 et identiques ne sont
pas adoptés.)
(Les amendements
no 5825 et identiques ne sont
pas adoptés.)
Article 8
M. le
président. La conférence des présidents a décidé d’autoriser deux
orateurs par groupe à intervenir sur l’article 8.
La parole est à
Mme Laurence Dumont.
Mme Laurence
Dumont. L’article 8 est au cœur du dispositif que vous souhaitez
instaurer. Rappelons que, dans le système par points, le montant de la pension
est obtenu en multipliant le nombre de points par la valeur du point et en
déduisant le malus. J’insiste sur cet élément, qui constitue un changement
majeur : pour la première fois depuis 1945, le malus est indexé sur l’âge
réel de départ à la retraite et non sur la durée de cotisation.
À titre
d’illustration, je reprendrai le cas désormais connu d’un ouvrier ayant commencé
à travailler à l’âge de 20 ans et qui, après avoir cotisé pendant
quarante-trois années, part en retraite à 63 ans. Dans votre système, cette
personne subirait l’application d’un malus de deux ans, soit une réduction de
10 % du montant de sa pension de retraite, ce qui est énorme.
Par
ailleurs, le seul élément tangible, la règle d’airain, c’est l’équilibre
financier. Tout le reste en dépend. Nous ne savons pas ce que sera la valeur du
point, et les règles d’indexation elles-mêmes sont contingentes, puisqu’elles
visent à respecter l’équilibre financier. La règle d’or constitue en quelque
sorte une camisole. Vous préméditez un échec des négociations et du paritarisme,
comme vous l’avez fait à propos de l’assurance chômage : vous aviez adressé
une lettre de cadrage dont le respect était impossible, ce qui s’est finalement
soldé par une ordonnance, avec à la clé des économies de 3,4 milliards
d’euros et la pénalisation de 40 % des chômeurs du pays. La réforme des
retraites est un deuxième coup porté aux chômeurs puisque, s’ils ne sont pas
indemnisés, ils ne recevront pas de points pour leur retraite.
En résumé,
votre seule règle d’or est celle de l’équilibre financier. Il n’y a aucune règle
d’or concernant les droits sociaux : voilà ce qui manque dans ce
texte.
M. le
président. La parole est à M. Paul Christophe.
M. Paul
Christophe. Avec l’article 8, nous entrons dans le cœur du sujet du
système universel. L’article définit le point comme unité de calcul de
l’ensemble des droits à retraite du système par répartition et en précise les
grands principes dans un nouveau chapitre du code de la sécurité sociale. Ce
faisant, il met en œuvre un choix fort : le principe selon lequel un euro
cotisé ouvre les mêmes droits. Il construit donc un système plus lisible, plus
juste et plus conforme à la réalité des métiers et des parcours du
XXIe siècle.
Le groupe UDI-Agir soutient pleinement cet
article, fort de la conviction que le système par points est plus adapté et plus
protecteur pour les travailleurs d’aujourd’hui. Le choix du calcul par points
plutôt que par trimestres permettra de prendre en compte l’ensemble des périodes
d’activité. Il permettra, par exemple, d’acquérir des points dès les premiers
emplois occupés dans la vie ; cela concerne notamment le travail saisonnier
exercé par les étudiants ou même les stages. Dans le nouveau système de
retraite, il sera possible, à la différence d’aujourd’hui, d’acquérir des points
au titre du cumul emploi-retraite : c’est un nouveau droit ouvert à tous
ceux qui le souhaitent, et il faut le saluer.
Je m’adresse à tous les
Français attentifs à nos débats : au-delà des procès d’intention et des
caricatures, l’objectif de ce projet de loi est bel et bien de créer des
nouveaux droits, mieux adaptés au mode de vie actuel. C’est d’ailleurs toute la
force de notre système de sécurité sociale que d’être capable de s’adapter
constamment aux besoins nouveaux des personnes qu’il protège. En cela, il est
conforme aux ambitions de ses fondateurs.
Notre groupe plaide enfin pour
une association plus étroite du Parlement à la définition de la valeur du point,
qu’il s’agisse de sa valeur d’acquisition ou de sa valeur de service aussi bien
que des variations apportées au niveau de l’âge systématique, que nous
évoquerons à l’article 9.
M. Antoine
Herth. Excellent !
M. le
président. La parole est à M. Alexis Corbière.
M. Alexis
Corbière. Mon collègue Ugo Bernalicis interviendra également sur
l’article 8.
Il s’agit là d’un aspect particulièrement problématique
de votre réforme : son manque de visibilité, souligné par le Conseil
d’État. Vous voulez instaurer un système à points, mais comment la valeur du
point est-elle calculée ? Il s’agit tout de même d’une question
importante ! Nous l’avons posée plusieurs fois en commission spéciale, et
il nous a été répondu – d’où l’intérêt de poser plusieurs fois les
questions – que la valeur du point serait définie en fonction du revenu
d’activité moyen par tête. Nous avons alors demandé de quoi il s’agissait, et le
rapporteur a concédé que cet indicateur n’était pas encore défini et que l’INSEE
nous en proposerait un prochainement. Avouez que c’est quand même une inconnue
assez lourde, s’agissant de l’un des éléments devant permettre de calculer la
valeur du point ! Ainsi, comme Mme Dumont l’a rappelé tout à l’heure,
vous êtes actuellement incapables de proposer à nos concitoyens un simulateur
qui leur permettrait de comprendre ce qui va leur arriver. Voilà l’un des grands
vices de notre discussion, qui nous amène à faire en sorte que ce texte ne soit
pas adopté rapidement : il y a trop d’inconnues, au détriment des
Français.
L’article 8 traite également de la question des malus.
Comme nous vous l’avons déjà dit plusieurs fois, ce que vous avez fait en la
matière n’est pas tolérable du point de vue démocratique. Vous avancez
régulièrement l’argument selon lequel vous aviez annoncé aux Français, à
l’occasion de l’élection présidentielle, que vous alliez réformer le système de
retraite. Mais vous aviez promis que vous ne toucheriez pas à l’âge légal de la
retraite, et tout le monde avait compris qu’il resterait donc autour de
62 ans. Or vous introduisez désormais la notion d’âge d’équilibre, et, si
l’âge légal est maintenu, il sera complètement décorrélé de l’âge d’équilibre.
Certes, les Français auront la possibilité de partir à l’âge légal, mais ils
subiront alors un malus.
M. Frédéric
Petit. Comme aujourd’hui !
M. Alexis
Corbière. C’est intolérable ! Vous dites à nos compatriotes :
« Si tu veux respecter la loi, tu subiras un malus pour cela ; il vaut
donc mieux ne pas la respecter et partir plus tard. »
M. Bruno
Millienne. C’est déjà le cas aujourd’hui !
M. Alexis
Corbière. Ces questions sociales ne sont pas secondaires. C’est aussi
l’objet de la controverse entre nous car vous avez floué les Français qui vous
ont fait confiance sur ce point.
M. le
président. Merci, monsieur Corbière.
M. Alexis
Corbière. Nous jugeons donc que votre texte est mauvais.
M. le
président. La parole est à M. Stéphane Peu.
M. Stéphane
Peu. Nous abordons l’un des articles les plus importants de ce texte,
puisqu’il substitue à notre système par annuités à prestations définies, où le
niveau de revenu détermine le niveau de pension, un système par points à
cotisations définies, où on sait ce qu’on paiera pendant notre carrière mais où
on touche une pension aléatoire. C’est un changement de paradigme majeur :
la retraite ne sera plus calculée sur la base des vingt-cinq meilleures années
dans le privé ou des six derniers mois de traitement dans la fonction
publique ; toute la carrière sera prise en compte, chacun capitalisant des
points dont la valeur sera évolutive et qui seront convertis en pension au
moment de la liquidation. C’est l’individualisation du droit à la retraite, qui
rend chacun comptable de son seul sort, sans visibilité sur la retraite
finale.
Depuis le début de nos débats, vous n’avez jamais réussi à
démontrer que le système par points sera meilleur et plus prévisible.
D’ailleurs, c’est le contraire : votre réforme grave dans le marbre l’aléa
permanent. À aucune de nos questions nous n’obtenons de réponse. Ces questions
sont pourtant essentielles pour évaluer l’impact de votre réforme sur nos
concitoyens. Je vais donc vous reposer quatre questions très précises, et
j’espère que nos débats permettront d’éclairer tant la représentation nationale
que les Français.
Première question : quel sera le taux de
remplacement des retraites après la réforme ?
Deuxième
question : à quoi correspond une carrière complète dans le système à
points ?
Troisième question : quelle sera la valeur
d’acquisition du point ? Faudra-t-il avoir cotisé 10 euros pour
obtenir un point de retraite, comme le prévoit le rapport Delevoye ? La
valeur d’acquisition évoluera-t-elle au même rythme que la valeur de
service ? Dans ce cas, les travailleurs devront travailler toujours plus
pour obtenir un point.
Quatrième question : quelle sera la valeur de
service du point, c’est-à-dire le rendement du point, en
2022 ?
Jusqu’à présent, nous n’avons obtenu de réponse à aucune de
ces interrogations. J’espère que le débat sur cet article permettra de nous
éclairer.
M. le
président. La parole est à Mme Christine
Cloarec-Le Nabour.
Mme
Christine Cloarec-Le Nabour. Les points seront acquis tout au long de la
vie, dès la première heure travaillée, et 1 euro cotisé vaudra la même
chose pour tous. Le montant de la retraite sera déterminé en multipliant le
nombre de points constitués par leur valeur de service, laquelle sera fixée
chaque année avec la participation des partenaires sociaux. Les garanties seront
inscrites dans la loi : les valeurs de service et d’acquisition des points
ne baisseront pas et seront indexées sur les salaires, qui augmentent plus vite
que l’inflation.
Le système à points existe déjà. Il est utilisé par les
caisses de retraite complémentaire et est bien plus simple à comprendre que le
régime de base.
Ce système sera plus lisible et plus visible : un
compte personnel de carrière permettra à chacun, à tout moment, de savoir où il
en est.
Ce système sera plus solidaire : des points de solidarité
seront attribués en cas d’inactivité pour cause de chômage, de maternité ou de
maladie, ainsi que pour les stagiaires, les personnes en situation de handicap
et les aidants, pendant les aménagements de fin de carrière et en cas de cumul
emploi-retraite.
Ce système sera plus juste car il valorisera tout
travail dès la première heure.
Je salue les belles avancées de ce système
universel de retraite par points, qui bénéficieront aux publics empêchés, à ceux
qui effectuent des petits boulots, à ceux qui ont des carrières hachées, en
particulier aux anciens étudiants, qui pourront enfin valoriser les jobs d’été
et petits boulots de leurs études ou de leur début de carrière.
J’ai
travaillé douze trimestres sans ouverture de droits à la retraite, je suis née
trop tôt : tant pis pour moi, tant mieux pour eux !
(Applaudissements sur les bancs du groupe LaREM et sur quelques bancs du
groupe MODEM.)
M. le
président. La parole est à M. Maxime Minot.
M. Maxime
Minot. Dans le système actuel, le montant des pensions de retraite est
calculé sur la base des vingt-cinq meilleures années de cotisation pour le
secteur privé et des six derniers mois pour la fonction publique, on l’a dit à
plusieurs reprises. Or l’article 8 vise à mettre en place un système de
calcul de pension prenant en compte l’intégralité de la carrière.
Cela va
considérablement réduire les pensions de retraite de la majorité des Français,
dans la mesure où les mauvaises années seront également prises en compte. De
plus, cela va défavoriser les personnes qui ont vu leur rémunération progresser
pendant leur carrière car elles ont occupé des fonctions à plus forte
responsabilité ; leur mérite ne sera donc plus valorisé dans le cadre de
leur retraite, comme c’est le cas actuellement – nous défendrons d’ailleurs
un amendement visant à préserver ce principe.
Beaucoup d’interrogations
restent sans réponse, notamment sur la valeur du point. Le rendement du point de
retraite devrait être fixé à 5,5 %, si l’on en croit le rapport Delevoye.
Ma question est donc la suivante : quels sont le détail et les hypothèses
du calcul ayant donné ce résultat ? (Applaudissements sur quelques bancs
du groupe LR.)
Mme
Marie-Christine Dalloz. Bravo !
M. le
président. La parole est à M. Frédéric Petit.
M. Frédéric
Petit. J’ai été très flatté par vos propos, madame Dalloz. J’ai toujours
pensé que la politique ne devait pas être un métier, mais j’ai pu constater que
cela nécessite un gros travail. Puisque nous en sommes aux indicateurs, j’ai
sans doute beaucoup parlé, mais le rapport entre mon temps de parole et mon
temps d’écoute, depuis le début de nos débats, est sans doute l’un des plus
faibles…
Vous avez dit, monsieur Bernalicis, que la loi encadrait la part
du PIB consacrée aux retraites. C’est faux : ce pourcentage ne sera qu’une
constatation après les décisions qui auront été prises en matière de
cotisations. Vous avez également évoqué la différence entre l’âge légal et l’âge
réel de départ à la retraite. Aujourd’hui, les Français prennent leur retraite à
63,7 ans en moyenne ; si l’on ne change rien, cet âge continuera
d’augmenter, sachant qu’il est possible de différer son départ à la retraite
jusqu’à 67 ans. Quant à la crise de 2008, monsieur Bernalicis, elle est
peut-être la cause de la réforme Touraine menée quelques années plus
tard.
J’en viens enfin aux dispositions de l’article 8. La question
du taux de remplacement et de la prise en compte des vingt-cinq meilleures
années ou de la totalité de la carrière est hors sujet. Comme je l’ai dit tout à
l’heure et comme le précise l’alinéa 7 de l’article 9, la valeur du
point sera d’abord calculée en divisant le gros panier – le nouveau panier
commun, pour reprendre l’image que j’ai utilisée tout à l’heure –, non pas
de manière égalitaire, mais en utilisant une moyenne pondérée des mérites.
J’entends dire que l’indicateur nécessaire n’existe pas, mais je précise que
l’indicateur en question ne servira pas à calculer la valeur du point : ce
n’est qu’une fois fixée la valeur initiale du point, avant le 30 juin 2021
pour le 1er janvier 2022, comme le précise l’alinéa 7 de
l’article 9, qu’il conviendra de déterminer son évolution en l’indexant sur
un indicateur. En effet, ce dernier n’existe pas encore à ce stade, mais sa
construction ne sera pas très compliquée : il suffira de regrouper trois
indicateurs existants portant sur l’évolution des salaires en général, sur
l’évolution des salaires dans le secteur privé et sur l’évolution des revenus
des indépendants. Nous devrions y arriver facilement !
Nous
discutons donc enfin du bon article. J’aimerais que nous démystifiions ces
dispositions :…
M. le
président. Merci, monsieur Petit.
M. Frédéric
Petit. …le point ne détricote rien du tout ; il ne fait que changer
un mode de calcul.
M. le
président. La parole est à M. Philippe Vigier.
M. Philippe
Vigier. Je ne renierai pas la position que je défends depuis de
nombreuses années : j’ai toujours été favorable à la mise en place d’un
système de retraite par points, et ne comptez pas sur moi pour changer d’avis.
Ce système offre davantage de souplesse : l’affilié n’est plus prisonnier
de la notion de trimestre, même si la possibilité d’annualisation du temps de
travail constitue une avancée incontestable. Pour autant, plusieurs questions se
posent, et la confiance que les Français accorderont au système dépendra des
réponses que vous y apporterez.
La première question sur laquelle il
faudra nous éclairer, monsieur le secrétaire d’État, concerne le fameux
indicateur que vous avez demandé à l’INSEE. Dans quelles conditions cet
indicateur sera-t-il élaboré et quelles garanties effectives pourra-t-il nous
apporter ? Cette question n’a pas été tranchée. À l’heure où je vous parle,
nous n’avons absolument aucune information précise à ce propos.
La
deuxième question porte sur le rôle du Parlement et la clause de revoyure. Il
est prévu que le Parlement se prononce sur la trajectoire tous les cinq ans,
mais ne pourrait-on pas profiter de la discussion du PLFSS, rendez-vous
important pour les parlementaires, pour veiller à la bonne tenue de la
trajectoire et à l’absence de tromperie en la matière ? Si nous nous
prononcions chaque année sur cette question, la démocratie parlementaire
s’associerait efficacement, me semble-t-il, à la démocratie
sociale.
Enfin, l’article 8 dispose que des points seront attribués
en fin de carrière. Lesquels ? On ne peut pas tout renvoyer aux
ordonnances : nos compatriotes et les parlementaires que nous sommes
doivent connaître les modalités d’attribution de ces points supplémentaires,
notamment au vu des critères de pénibilité. Au-delà du stock de points acquis de
manière classique, il y a tous les points qui seront attribués en plus :
ces derniers susciteront de la confiance et seront un gage d’efficacité de la
réforme. Sur ce sujet, il faut éclairer la représentation nationale. Monsieur
Turquois, nous ne pouvons pas renvoyer cette question à une ordonnance :
c’est notre rôle que de déterminer comment les différents critères seront pris
en compte, comment ils permettront d’obtenir des points supplémentaires et
comment ils rendront le nouveau système universel de retraite solide et
robuste.
Voilà des questions simples, qui ne font pas obstacle à la mise
en place du système par points mais qui, au contraire, cherchent à le sécuriser.
Il faut donc que vous nous apportiez des réponses.
M. le
président. La parole est à M. Joël Aviragnet.
M. Joël
Aviragnet. Je voudrais revenir sur cette farce, que vous nous faites
régulièrement, consistant à dire qu’on va faire confiance au dialogue social. Le
problème est qu’avec la règle d’or, c’est une véritable camisole que vous allez
imposer au paritarisme, cette règle servant de baguette pour taper sur les
doigts des partenaires sociaux. Tout est défini à l’avance, vous ne leur laissez
aucune marge de manœuvre. Ils ne pourront pas décider autre chose que
l’équilibre financier du système de retraite, ayez l’honnêteté de le
reconnaître. Vous êtes en train de préméditer l’échec des négociations et du
paritarisme, comme vous l’avez fait pour l’assurance chômage. Vous aviez alors
adressé une lettre de cadrage impossible à respecter, d’où le résultat, qui
était tout à fait prévisible. Il y a fort à craindre que la conférence de
financement soit elle-même beaucoup trop encadrée et que rien de bénéfique ne
puisse donc en sortir.
M. le
président. La parole est à M. Ugo Bernalicis.
M. Ugo
Bernalicis. Le carcan budgétaire que constitueront les règles définies
notamment par le projet de loi organique nous a fait dire que votre objectif
était de plafonner les dépenses de retraite à 14 % du PIB. Ce n’était pas
exact, vous avez raison, puisque le tableau 39 de votre étude d’impact
indique qu’à horizon 2050, l’objectif sera de les plafonner à 12,9 %
du PIB, soit encore moins que le montant des pensions servies aujourd’hui. Vous
prétendez que la valeur du point ne baissera pas – on peut d’ailleurs se
demander pourquoi, mais c’est une autre histoire –, pas plus sa valeur
d’acquisition que sa valeur de service, mais il y a ce fichu coefficient
d’ajustement, qui définit l’âge à partir duquel on applique le malus de 5 %
par an. Voilà l’arnaque.
En réalité, le seul gain attendu de la mise en
place d’un tel système est politique, voire politicien : vous ne serez pas
obligés de revenir devant le Parlement tous les trois, quatre ou cinq ans pour
faire voter une nouvelle réforme des retraites sous prétexte qu’il n’y a plus de
sous et qu’il faut travailler plus longtemps, ce qui suscite toujours du
mécontentement et des manifestations. Il suffira désormais à un conseil national
des retraites de faire varier ces valeurs discrètement, sur un coin de table, à
chaque projet de loi de financement de la sécurité sociale. Ce ne sera plus une
réforme des retraites, mais une simple modification des valeurs d’acquisition et
de service, et d’un coefficient d’ajustement auquel personne ne comprend rien.
Cela vous évitera d’avoir à assumer politiquement le fait de devoir dire
régulièrement aux gens qu’ils vont trimer plus longtemps. Voilà le seul gain,
politicien, de cette manœuvre consistant à substituer des points aux trimestres.
Nous ne sommes pas d’accord car le système actuel des trimestres est plus
protecteur.
M. le
président. La parole est à M. Alain Bruneel.
M. Alain
Bruneel. Depuis le commencement des débats, la majorité comme le
Gouvernement répètent à l’envi que le futur système de retraite par points
serait plus égalitaire et redistributif que le système actuel. Cet argument ne
tient pas quand on dévoile la réalité de votre réforme. Il n’est nul besoin d’un
système à points pour corriger des inégalités qui auraient très bien pu l’être
dans le cadre du système des annuités. Vous me permettrez de développer deux
éléments à l’appui de mon argumentation.
Premièrement, on découvre que,
si la réforme est plus égalitaire c’est au prix d’un nivellement des droits par
le bas. Ce qui vous permet d’afficher un effort de redistribution, c’est le fait
que les personnes aux bas revenus seront rattrapées par le filet social de
sécurité que constitue le minimum de pension de 85 % du SMIC. Encore
faudra-t-il qu’elles remplissent toutes les conditions pour en bénéficier :
avoir cotisé pendant quarante-trois années et avoir atteint l’âge d’équilibre de
65 ans. En revanche, si ces assurés doivent partir à la retraite avant
d’avoir atteint l’âge d’équilibre – à 62, 63 ou 64 ans –, les
simulations du collectif nosretraites.fr montrent que leurs retraites seront
inférieures dans le système par points que celles qu’ils auraient touchées dans
le système actuel.
Deuxièmement, on découvre que la réduction des
inégalités s’explique par l’exclusion des personnes à hauts revenus de la
répartition. Au-delà de 10 000 euros par mois, elles ne seront plus
assujetties à cotisations contributives, alors que le système actuel les y
soumet jusqu’à 27 000 euros par mois. Ce cadeau de 4 milliards
d’euros par an aux entreprises fera chuter de manière mécanique le niveau des
retraites les plus élevées, ce qui explique la réduction de l’écart entre
petites et grosses retraites.
Ces deux mesures expliquent l’essentiel de
la redistribution. Le système par points est une machine à reproduire les
inégalités.
M. le
président. La parole est à Mme Florence Granjus.
Mme
Florence Granjus. Nous avons l’ambition de mettre en place un système de
retraite universel, obligatoire pour tous, par répartition et par
points.
Le système par points vise à plus de justice, de clarté, de
lisibilité. L’article 8, que nous abordons, pose le principe que les droits
seront calculés en points et que ces points refléteront la vie professionnelle,
toute la vie professionnelle – périodes d’activité et périodes de chômage,
de maladie, d’interruption pour l’éducation des enfants. Le système par points
traduira fidèlement les droits constitués et mettra fin aux injustices
actuelles, que nul ne peut nier quand la France, un des pays les plus riches au
monde, compte 1 million de retraités pauvres, vivant avec moins de
1 000 euros par mois.
Alors oui, nous avons choisi de combattre
ces injustices, nous avons choisi de réformer le système de calcul des retraites
et nous avons choisi de mettre en place un système qui reflète mieux la carrière
professionnelle et qui la reflète tout entière. (Applaudissements sur les
bancs du groupe LaREM.)
M. le
président. La parole est à M. Éric Woerth.
M. Éric
Woerth. Il ne faut pas se noyer ainsi dans de fausses certitudes :
il est impossible de donner des garanties absolues aux futurs retraités.
(Applaudissements sur les bancs du groupe FI.) Ce n’est pas moi qui le
dis, mais Jean Pisani-Ferry dans un article du Monde d’hier.
Le
système par points sera-t-il plus lisible ? Pas vraiment puisque personne
ne connaîtra la valeur du point, alors qu’il était assez simple de modifier la
distribution des trimestres. Sera-t-il moins opaque que le système actuel ?
Pas vraiment non plus, pour la même raison.
Je n’ai, pour ma part, pas
d’opposition de principe à un tel système : il s’agit simplement d’une
modalité de calcul différente, déjà en vigueur pour un certain nombre de régimes
importants. J’ai cependant quelques questions à vous poser sur des paramètres
importants.
D’abord, pourquoi avoir retenu le taux de rendement de
5,5 % ? Comptez-vous le fixer dans le marbre ? Je ne le pense
pas.
Y aura-t-il ce que l’on appelle un « taux d’appel du
point », sur le modèle de ce que fait l’AGIRC-ARRCO, l’achat d’un point ne
permettant pas de bénéficier de 100 % des droits issus de ce point ?
Ce mécanisme assez discret fait que le point a perdu de sa valeur au moment
d’être transformé en droits à la retraite.
Le taux de rendement global
sera-t-il garanti jusqu’à 2045 ou plus longtemps ? Dans ce cas, c’est le
montant des pensions qui constituera la variable d’ajustement.
Pourquoi
n’avez-vous pas retenu un mode de calcul des pensions sur la base des vingt-cinq
meilleures années de points ? Nombre de problèmes sociaux qui se posent
pour les salariés ayant effectué une carrière longue auraient été ainsi résolus.
Cela aurait été possible sans devoir passer par un algorithme compliqué :
il aurait suffi d’additionner les points acquis au cours des vingt-cinq
meilleures années et d’établir une moyenne annuelle.
M. le
président. Merci, monsieur le président Woerth.
M. Éric
Woerth. Enfin, comptez-vous enfin distribuer des points pour les
périodes de chômage non indemnisées ?
M. le
président. La parole est à M. Bruno Fuchs.
M. Bruno
Fuchs. On prétend, pour la deux-centième ou la trois-centième fois, que
nous voulons baisser le niveau des retraites et que tout le monde va y perdre.
Je voudrais donc à nouveau expliquer ce que mon collègue Petit vient d’expliquer
ce que nous avons déjà tous expliqué des dizaines, des centaines de fois :
une projection à 2050 prévoit effectivement une baisse de la part des pensions
de retraites dans le PIB, mais cela se vérifie aussi dans le système actuel, à
epsilon près.
M. Ugo
Bernalicis. De combien l’epsilon ?
M. Bruno
Fuchs. À 0,1 point près. Si vous refusez cette baisse, aidez-nous à
transformer le système.
Vous voulez que 16 points de PIB soient
consacrés à ces dépenses, soit 50 milliards de prélèvements en plus.
M. Ugo
Bernalicis. Exactement !
M. Bruno
Fuchs. Moi, je ne voudrais pas vivre dans une France qui devrait
supporter 50 milliards de prélèvements supplémentaires.
M. Nicolas
Forissier. Pour les prélèvements, ils sont champions !
M. Bruno
Fuchs. Ce n’est pas 100 000 gilets jaunes que vous auriez en face
de vous, mais 20 millions ou 30 millions.
Je voudrais insister
sur la visibilité et la prévisibilité du système par points, en vous donnant
lecture d’un courrier électronique que d’autres collègues ont peut-être aussi
reçu, dans lequel un professeur de l’éducation nationale décrit sa situation. Il
a pris sa retraite, préparée avec le rectorat, en septembre 2019, à
62 ans et un jour, avec l’assurance de toucher une retraite à taux plein de
2 600 euros par mois. Deux mois plus tard, on lui apprend qu’il n’a
finalement pas droit à une retraite à taux plein, qu’un autre indice est retenu
et qu’il touchera 1 300 euros. En deux mois, sa pension est tombée de
2 600 à 1 300 euros, et il ne peut plus revenir en arrière
puisque ses droits ont été liquidés, tout cela parce qu’il aurait travaillé à
mi-temps quatre mois de trop. Il se retrouve donc dans une situation absolument
impossible, qui ne pourra plus survenir avec le système par points.
M. le
président. La parole est à M. le secrétaire d’État.
M. Laurent
Pietraszewski, secrétaire d’État. L’article 8 suscite de
nombreuses questions avant même que nous n’entamions l’examen des
amendements ; elles étaient même posées avant que nous n’abordions cet
article, puisque vous les avez posés lors de l’examen des
articles 1er, 2, 3, 4, 5, 6 et 7 – en un mot, vous les
posez depuis le début de nos débats il y a une dizaine de jours, alors que
c’était hors sujet. Mais j’ai toujours plaisir à être ici pour répondre à vos
questions !
M. Ugo
Bernalicis. Ah ! Vous y prenez donc plaisir !
M. Laurent
Pietraszewski, secrétaire d’État. Très franchement, monsieur Peu,
vous ne pouvez pas dire que vous n’avez pas obtenu de réponse sur ce que sera
une carrière complète ! Vous qui avez participé assidûment à nos débats,
vous savez très bien que j’ai répondu à cette question. Vous voulez dire
peut-être que ma réponse ne vous convient pas…
M. Stéphane
Peu. Voilà.
M. Laurent
Pietraszewski, secrétaire d’État. …mais vous savez que je vous ai
répondu : la durée exigée sera de 516 mois. Le calcul en mois sera
d’ailleurs plus avantageux que le calcul en trimestres et il se fera sur la base
d’une cotisation équivalente à 50 heures payées au SMIC. Cela représentera
quarante-trois annuités, soit en points de solidarité, soit en points
cotisés.
Sur les taux de remplacement, monsieur Peu, je trouve que
l’étude d’impact est relativement complète, même si j’ai bien compris qu’elle
n’avait pas l’heur de vous satisfaire. Les graphiques 59 et 61,
pages 176 et 177 – que, je vous l’accorde, nous n’avons pas encore
évoqués –, sont de nature à vous rassurer : ils montrent que la
pension annuelle moyenne de droit direct va progresser en euros constants ;
et le montant de la pension moyenne perçue sur le cycle de retraite – on
s’intéresse là à la durée passée à la retraite – progresse
aussi.
M. Peu et plusieurs autres députés, sur divers bancs, ont
évoqué les valeurs d’achat et de service du point, qui feront l’objet d’un
article spécifique. Comme vous le savez, elles seront fixées par la CNRU, la
Caisse nationale de retraite universelle. Cela ne fait pas débat – nous en
avons d’ailleurs parlé de nombreuses fois. Comme je l’ai déjà expliqué, nous
voulons que la gouvernance ait un fonctionnement proche de celui de
l’AGIRC-ARRCO et qu’elle endosse donc des responsabilités. Il n’y a pas
d’ambiguïté en la matière.
Cela nous amène au taux de rendement. Pourquoi
l’avons-nous fixé à 5,5 % ? D’abord parce qu’il est proche de celui
qui est constaté par l’AGIRC-ARRCO. Ensuite parce qu’il permet d’atteindre
l’équilibre au regard des autres paramètres. Il sera constant par défaut mais
sera piloté par la CNRU, comme je viens de le dire. Vous aurez beau me demander
cinquante ou mille fois quelle décision prendra la CNRU, je ne pourrai pas vous
répondre car c’est elle qui aura la main. Vous continuerez donc à affirmer que
je ne vous ai pas répondu précisément ! Le projet de loi que je défends a
précisément pour objet de confier les décisions à la gouvernance et aux
partenaires sociaux. Évitons donc de reproduire, après ces deux premières
semaines, un débat circulaire dans lequel vous posez des questions en sachant
pertinemment que je n’ai pas la réponse ! Une fois encore, le projet de loi
précise à qui il reviendra de déterminer cette valeur ! Je considère que
nous pourrions passer à autre chose !
Quant à la valeur du point,
elle est faciale ; c’est plutôt le rendement du point qui importe. Dans
notre simulation, nous avons retenu un taux de 5,5 %, proche de la réalité
constatée par l’AGIRC-ARRCO, je viens de l’expliquer. Il sera garanti dans le
temps puisque les valeurs d’achat et de service sont indexées de la même
façon.
En outre, certains m’ont interrogé, une nouvelle fois, sur le
revenu moyen par tête. Comme je l’ai déjà expliqué, un décret précisera le
détail de cet indicateur, et l’INSEE, organisme indépendant, le concevra.
(Exclamations sur les bancs du groupe FI.)
Mme Cendra
Motin. Il n’y a que La France insoumise pour mettre en cause
l’INSEE !
M. Laurent
Pietraszewski, secrétaire d’État. L’INSEE produit déjà
l’indicateur du salaire moyen par tête, dont personne ne conteste la qualité. Il
n’y a donc aucune raison que, demain, son indicateur du revenu moyen par tête
soit contesté. C’est la vie normale d’un institut de statistiques indépendant
que de fournir des éléments utiles à la société. Je lui fais confiance pour y
procéder, une fois que les choses auront été établies par décret.
M. Alexis
Corbière. Et voilà !
M. Laurent
Pietraszewski, secrétaire d’État. Ce sera une amélioration.
Certains nous ont reproché d’effectuer des simulations sur la base du salaire
moyen par tête. Il était pourtant normal que nous utilisions l’indicateur
disponible ! C’est même l’indicateur majoritaire disponible, qui détermine
largement le revenu moyen par tête, dans la mesure où 70 % des actifs sont
des salariés. Nous avons donc pris pour référence un indicateur parfaitement
clair et rigoureux, qui conditionnera significativement l’indicateur du revenu
moyen par tête : il décrira l’évolution du revenu de l’ensemble des actifs,
dont plus de 70 % sont des salariés. (Mme Cendra
Motin applaudit.)
Vous avez soulevé de nombreux autres sujets mais,
pour ne pas être trop long, je les traiterai volontiers à l’occasion des
amendements suivants. Je reviendrai toutefois sur la garantie du
rendement : une fois encore, les valeurs d’acquisition et de service
évolueront de la même façon, suivant les mêmes indicateurs. Dès lors que le taux
de rendement découle de ces deux valeurs, vous avez tout lieu d’être rassurés.
(Applaudissements sur les bancs du groupe LaREM et sur quelques bancs du
groupe MODEM.)
M. le
président. Je suis saisi de trente-cinq amendements,
nos 961 et 11913, nos 16652 et identiques
déposés par le groupe La France insoumise, et nos 26763 et
identiques déposés par le groupe de la Gauche démocrate et républicaine, tendant
à supprimer l’article 8.
La parole est à M. Joël Aviragnet,
pour soutenir l’amendement no 961.
M. Joël
Aviragnet. Le projet de loi engage une réforme sans précédent de notre
système de retraite depuis 1945, non seulement parce qu’il fait de l’âge de
départ à la retraite plutôt que la durée de cotisation le déterminant d’une
retraite à taux plein, mais aussi parce qu’il fait des revenus perçus – ou
plutôt non perçus – durant la totalité d’une carrière, et non durant les
meilleures années, le critère de calcul de la pension. C’est pourquoi ce système
sera une source d’inégalités accrues pour l’ensemble des assurés.
Dès
lors que le montant de la retraite sera calculé sur l’ensemble de la carrière
plutôt que sur les meilleures années, le revenu de référence sera mécaniquement
plus faible, ainsi que les pensions – de même que si l’on retient
uniquement les meilleures notes d’un élève, sa moyenne est plus élevée que si
l’on prend l’ensemble de ses notes. Un assuré dont les revenus évoluent moins
vite que la moyenne – ce qui est le cas de la majorité des employés,
ouvriers et fonctionnaires – verra son pouvoir d’achat en points diminuer
dans le temps et perdra chaque année un peu plus de points, de manière
cumulative.
Le système par points prévoit par ailleurs d’instaurer un âge
d’équilibre auquel les assurés d’une génération pourront liquider leur retraite
sans décote. Loin d’offrir aux assurés la liberté de choisir de partir avant ou
après cet âge, moyennant décote ou surcote, l’âge d’équilibre constitue une
violence économique.
Les failles, les insuffisances et les simulations
tronquées qui constituent ce projet de loi et ses annexes ne peuvent décemment
permettre au Parlement de mener un débat éclairé sur un sujet qui représente
14 % du PIB et concerne 67 millions de Français, sans compter les
générations à venir. Le présent amendement propose donc la suppression de
l’article 8.
M. le
président. Sur les amendements identiques nos 961 et
identiques, je suis saisi par le groupe La France insoumise d’une demande de
scrutin public.
Le scrutin est annoncé dans l’enceinte de l’Assemblée
nationale.
La parole est à Mme Marie-Christine Dalloz, pour soutenir
l’amendement no 11913.
Mme
Marie-Christine Dalloz. Dans son avis relatif au projet de loi, au
point 22, le Conseil d’État rappelle : « la fixation
d’orientations pluriannuelles des finances publiques relève du domaine exclusif
des lois de programmation des finances publiques » – la précision
n’est pas anodine – et « les lois de finances et de financement de la
sécurité sociale sont régies, quant à elles, par le principe d’annualité ».
Ainsi, des dispositions adoptées dans le champ organique ne peuvent interférer
avec le plafond de dépenses fixé par le législateur financier – je parle
ici sous le contrôle du président de la commission des finances. Comment ces
dispositions s’articulent-elles avec la ratification par la France du TSCG, le
traité sur la stabilité, la coordination et la gouvernance au sein de l’Union
économique et monétaire ? C’est une question fondamentale, mais rien de
tout cela n’est clair.
Vous expliquez, monsieur le secrétaire d’État,
qu’il existe une corrélation entre les valeurs d’acquisition et de service. Or
cette corrélation n’existe pas, et l’AGIRC-ARRCO en apporte la preuve :
elle ne montre aucune corrélation entre la valeur d’achat et la valeur de
service. Sinon, pourquoi retiendriez-vous l’échéance de 2045 ? Rappelons
d’ailleurs que le taux de rendement constaté à l’AGIRC-ARRCO n’est pas de
5,5 %, mais de 4,5 %. Si vous retenez le taux de 5,5 %, cela
signifie que vous fixez un âge d’équilibre à 65 ans. Si, en revanche, vous
aviez appliqué le même taux que l’AGIRC-ARRCO, cela aurait créé un important
déséquilibre et une perte de revenus. Vos projections n’étaient donc pas aussi
crédibles que vous l’auriez souhaité. Tout cela doit être précisé dans
l’article 8. (Applaudissements sur quelques bancs du groupe LR.)
Mme Cendra
Motin. Ainsi a dit le rapporteur !
M. le
président. La parole est à Mme Bénédicte Taurine, pour soutenir
l’amendement no 16652 et les seize amendements identiques
déposés par les membres du groupe La France insoumise.
Mme
Bénédicte Taurine. Pour nous, le système de retraite que vous proposez
n’est ni juste ni universel, et sera encore moins lisible que l’actuel. Il a été
question tout à l’heure du million de retraités pauvres que compte notre pays.
Or votre réforme ne résout en rien la situation, par exemple, des paysannes et
des paysans qui ont une recette indécente. Vous expliquez que votre système
prendra en compte les petits boulots des étudiants. Pour notre part, nous
considérons qu’un étudiant doit se consacrer entièrement à ses études, sans
avoir à travailler pour les payer. (Applaudissements sur les bancs du groupe
FI.) La vocation d’un étudiant, notamment de milieu modeste, est bien
d’étudier. On constate malheureusement qu’à l’université, les étudiants issus
des classes les plus défavorisés sont très peu nombreux.
(M. Alexis Corbière applaudit.)
M. Rémy
Rebeyrotte. Mais c’est faux !
Mme
Christine Cloarec-Le Nabour. Ce n’est plus le cas !
M. le
président. Laissez Mme Taurine poursuivre.
Mme
Bénédicte Taurine. Enfin, il est hallucinant de vous entendre invoquer
les partenaires sociaux. Vous n’avez pas hésité une seule seconde à supprimer
les CAPN et les CAPA – les commissions administratives paritaires
nationales et les commissions administratives paritaires académiques – au
ministère de l’éducation nationale et de la jeunesse, tout comme les CHSCT
– comités d’hygiène, de sécurité et des conditions de travail – et les
délégués du personnel. Vous renvoyez les discussions aux partenaires sociaux
quand ça vous arrange, mais quand il s’agissait de respecter leurs droits, vous
ne l’avez pas fait. (Applaudissements sur les bancs du groupe
FI.)
M. le
président. La parole est à M. Stéphane Peu, pour soutenir
l’amendement nos 26763 et les quinze amendements identiques
déposés par les membres du groupe de la Gauche démocrate et républicaine.
M. Stéphane
Peu. Avant d’en venir aux amendements, je souhaiterais m’adresser à
M. le secrétaire d’État, qui a donné des explications sur la durée de la
carrière complète, soit 516 mois cotisés. Or ces 516 mois ne
permettront de toucher que la pension minimale ; pour le reste, tout
dépendra de l’âge d’équilibre, que personne ne connaît. L’incertitude est totale
pour la majorité des assurés.
Quant à nos amendements, ils visent à
supprimer l’article 8. Le système de retraite actuel est à prestations
définies, principe qui fonde le pacte social de notre pays. Votre réforme
cassera ce pacte social puisqu’elle fera disparaître l’engagement explicite
garantissant un niveau de retraite dans la continuité du salaire perçu en fin de
carrière. En fait, les assurés cotiseront sans savoir quelle pension ils
toucheront. Le système que vous instaurez ne sera plus à prestations définies,
mais à cotisations définies.
En rendant la retraite aléatoire, vous
ouvrez la voie à la capitalisation. Tout au long de leur carrière, nos
concitoyens sauront combien ils cotiseront mais ignoreront combien ils
toucheront une fois à la retraite. Face à cet aléa et à cette incertitude, ceux
qui en auront les moyens, et eux seuls, s’orienteront vers une solution de
retraite par capitalisation. En cela, l’introduction d’un système à points
provoque un changement de paradigme et une ouverture, par petites touches, vers
la retraite par capitalisation. C’est la perversité de votre système, si je puis
dire : compte tenu des aléas et des incertitudes qu’elle fera peser sur les
retraites, votre réforme est extrêmement dangereuse pour notre contrat
social.
M. le
président. Quel est l’avis de la commission sur ces amendements de
suppression ?
M. Nicolas
Turquois, rapporteur. Si j’étais arrivé ce matin dans l’hémicycle
les yeux bandés, j’aurais pu croire que nous en étions encore à la discussion
générale : tout a été abordé, depuis les 12,9 % du PIB consacrés aux
retraites jusqu’au minimum social, en passant par les agriculteurs, les
étudiants, etc. ! Il ne manque que les trois et huit PASS, à moins que cela
ne m’ait échappé !
Mme
Marie-Christine Dalloz. Bonne idée ! On l’avait oublié !
M. Nicolas
Turquois, rapporteur. Je vous fais confiance !
M. Ugo
Bernalicis. Bien vu, monsieur le rapporteur !
M. Stéphane
Peu. On va être obligés d’intervenir de nouveau !
M. Nicolas
Turquois, rapporteur. Certains ont reproché au texte d’être mal
structuré. Nous avons examiné les principes généraux à
l’article 1er. À l’article 2, la seule décision concrète,
ayant un enjeu politique, concernait les générations qui entreront
progressivement dans le dispositif, nées après le 1er janvier
2004 ou après le 1er janvier 1975. Dans les articles suivants,
nous avons intégré toutes les professions, une à une. Ce matin, alors que nous
abordons enfin le cœur du projet, la définition du système à points, nous ne
parvenons même pas à discuter des éléments techniques ! Plutôt que d’en
rester à des considérations générales, parlons du point !
(Mme Monique Limon applaudit.)
M. Stéphane
Peu. Nous avons voulu rappeler les grands principes !
M. Nicolas
Turquois, rapporteur. L’article 8 définit clairement les
modes de liquidation : nombre de points multiplié par la valeur du point,
éventuel bonus ou malus – nous y reviendrons, et cela donnera assurément
lieu à des discussions politiques –, valeur d’acquisition rapportée aux
cotisations, modalités d’acquisition de points supplémentaires. Voilà l’enjeu de
l’article 8 : au bout de douze jours, nous en arrivons au point, à la
définition précise des modalités de calcul ! Concentrons-nous donc sur
l’objet du texte et, si possible, ne refaisons pas la discussion générale à tout
bout de champ. Nous y gagnerons en clarté et en pertinence politique, je
crois.
M. Nicolas
Turquois, rapporteur. Je suis défavorable aux amendements de
suppression de l’article.
M. le
président. La parole est à M. Jacques Maire.
M. Jacques
Maire. Je voudrais revenir sur les interrogations réitérées par Stéphane
Peu, relatives à la distinction entre système à cotisations définies et système
à prestations définies, sans pour autant apporter beaucoup de clarté.
Je
me permets de préciser que le système par points est un système à prestations
définies. Pourquoi ? Parce que les points représentent une créance sur le
système et qu’ils ont une valeur définie, garantie par la loi, ce qui interdit
de la remettre en cause. Les systèmes à cotisations définies obéissent au
contraire à la capitalisation. Ce sont ceux que vous évoquez, mais cela ne
figure pas dans le texte : ce sont les fonds de pension, souvent assortis
– pas toujours – d’une garantie de l’employeur, et, si cette garantie
vient à faire défaut, les prestations baissent. Encore une fois, nous ne
proposons pas du tout un tel système, mais un système à prestations définies,
universel, fondé sur la répartition et généralisant celle-ci à trois PASS, ce
qui, à ce jour, n’est pas le cas pour toutes les professions.
(Applaudissements sur les bancs du groupe MODEM.)
M. le
président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. Laurent
Pietraszewski, secrétaire d’État. D’abord, les décisions prises
par la Caisse nationale de retraite universelle seront clairement articulées
avec le PLFSS. Le projet de loi organique prévoit d’ailleurs que les tableaux
financiers figurent en annexe du PLFSS. Nous débattrons donc de ces
dispositions : vous aurez voix au chapitre, mesdames, messieurs les
députés.
Mme
Marie-Christine Dalloz. C’est le b.a.-ba de la démocratie !
M. Laurent
Pietraszewski, secrétaire d’État. Le Conseil d’État avait demandé
que les paramètres financiers soient approuvés par décret, et ce sera le
cas.
Par ailleurs, madame Dalloz, vous posiez la question du taux de
rendement. Je ne vous en fais pas grief, car les choses peuvent évoluer d’une
année à l’autre, mais le taux de rendement de l’AGIRC-ARRCO n’est pas inférieur
à 5,5 %, contrairement à ce que vous croyiez, mais légèrement supérieur à
ce taux : en 2019, il s’élevait à 5,81 % – j’ai vérifié et je
suis prêt à débattre avec vous sur cette base. Du reste, pour juger du taux de
rendement, il faut tenir compte de l’indexation de la valeur du point.
Mme
Marie-Christine Dalloz. Eh oui !
M. Laurent
Pietraszewski, secrétaire d’État. La valeur du point de
l’AGIRC-ARRCO a été indexée sur l’inflation. Nous proposons une indexation
beaucoup plus dynamique. (Exclamations sur les bancs du groupe LR.) Si
vous voulez établir une comparaison, vous devez considérer cet
élément.
Nous aurions pu décider, à l’inverse, d’inclure, dans nos
simulations, un taux de rendement inférieur à 5,5 % : cela aurait
entraîné un abaissement de l’âge d’équilibre, et tout le monde ici nous l’aurait
reproché. La difficulté de ce débat, c’est que tout raisonnement fondé sur un
seul indicateur est vite biaisé, car il suppose que tous les autres sont fixes.
Or le système ne fonctionne pas ainsi : il est dynamique, et les
indicateurs agissent les uns sur les autres.
Enfin, je souhaite vous
répondre à nouveau, monsieur Peu, puisque vous avez précisé votre question, en
confirmant que vous avez retenu qu’une carrière complète est nécessaire pour
bénéficier du minimum de pension, ce qui vous a conduit à reparler de l’âge
d’équilibre. C’est un peu la même chose que pour le taux de rendement :
comment voulez-vous que je vous réponde au sujet de ce qui sera fixé par la
gouvernance ? J’ai foi dans la gouvernance, dans les partenaires
sociaux ; ce système peut fonctionner, contrairement à ce que pense
Mme Taurine, et je ne peux vous répondre à leur place. Cela étant, vous
retrouverez les dispositions relatives à l’âge d’équilibre lorsque nous
débattrons du PLFSS ; vous aurez donc, mesdames et messieurs les
représentants de la nation, l’occasion d’y revenir chaque année.
Merci,
monsieur le président, de m’avoir donné ces quelques instants
supplémentaires.
J’émets un avis défavorable.
(Mme Mireille Robert applaudit.)
M. le
président. La parole est à Mme Annie Vidal.
Mme Annie
Vidal. À ce stade de la discussion, je voudrais évoquer le cas de deux
de mes anciennes collègues, cadres de santé à l’hôpital. En 2016, elles ont reçu
leur simulation de retraite, leur départ étant prévu en 2017. Elles sont
diplômées de la même école et ont commencé à travailler la même année ;
elles sont au même échelon, au même indice, reçoivent le même salaire, et ont
toutes deux atteint la note maximale. Chacune a eu un enfant. Il y a toutefois
une petite différence entre elles : l’une des deux, qui a travaillé quinze
ans dans le secteur privé, a constaté, en recevant la simulation, que sa pension
de retraite sera inférieure de 250 euros à celle de l’autre.
Si je
comprends bien, en voulant supprimer l’article 8, qui instaure le système
par points, vous souhaitez faire perdurer de telles inégalités. Si mes anciennes
collègues avaient toutes deux cumulé des points tout au long de leur carrière,
elles toucheraient la même retraite. (Applaudissements sur plusieurs bancs
des groupes LaREM et MODEM.)
M. le
président. La parole est à M. Ugo Bernalicis.
M. Ugo
Bernalicis. Je vais achever votre phrase : elles toucheraient la
même retraite, plus faible qu’aujourd’hui. Votre système consiste à niveler par
le bas, et c’est tout ce à quoi nous nous opposons. Nous ne disons pas qu’il
n’existe pas de différences, de divergences, de distorsions dans les régimes de
retraite actuels, mais qu’il faut les combler par le haut. C’est vrai, cela
coûte de l’argent.
Monsieur le secrétaire d’État, monsieur le rapporteur,
pardonnez-moi, mais je ne sais pas comment on peut discuter d’un article portant
sur les règles de calcul, d’acquisition et de service des points, sans parler de
la part de la richesse nationale que nous comptons y consacrer et des
conséquences que cela entraîne. Je ne sais pas comment vous faites !
Discuter de la valeur d’un point en oubliant tous les autres paramètres, comme
si cette valeur était suspendue dans les airs, je n’en vois pas l’intérêt. Quant
à la valeur réelle du point, évoquée par M. Maire, j’ignore comment on peut
faire pour la connaître avant le moment de liquider sa retraite, puisqu’elle
s’obtient par une multiplication à trois facteurs : valeur d’acquisition,
valeur de service et coefficient d’ajustement, dont chacun peut évoluer chaque
année au sein d’une trajectoire de cinq ans.
Voilà la réalité du système
que vous allez instaurer : toute la difficulté, c’est qu’il est aussi
illisible qu’imprévisible, comme nous le dénonçons depuis le début ! Au
contraire, dans un système où votre pension est calculée sur les vingt-cinq
meilleures années ou sur les six derniers mois, vous voyez à peu près ce que
vous recevrez à la sortie.
M. le
président. Merci, cher collègue.
M. Ugo
Bernalicis. J’ajoute un dernier mot, monsieur le président : il
n’est pas vrai que la valeur d’acquisition et la valeur de service, énoncées à
l’article 8, évolueront de la même manière ; rien n’est prévu en ce
sens dans le texte.
M. le
président. La parole est à M. Patrick Hetzel.
M. Patrick
Hetzel. Ce débat est important car nos concitoyens ont besoin de savoir.
La retraite est une question essentielle. Or, sur un point très précis, le
Gouvernement ne répond pas, monsieur le secrétaire d’État : peut-il
confirmer que la valeur d’achat du point n’évoluera en aucun cas plus vite que
sa valeur de service, c’est-à-dire que le rendement du point ne sera susceptible
de baisser ? Si tel n’est pas le cas, vous savez pertinemment que vous
êtes, là encore, en train de léser nos concitoyens. À un moment donné, il vous
faudra vous prononcer sur cette question. Le fait que vous ne répondiez pas
montre que votre réforme pose un vrai problème. Vous ne pouvez pas le
nier ! Encore une fois, ma question est simple : pouvez-vous assurer
ce matin à la représentation nationale que la valeur d’achat n’évoluera pas plus
vite que la valeur de service ? Oui ou non ?
(M. Maxime Minot applaudit.) Si c’est non, nos
concitoyens sortiront perdants de cette réforme, vous le savez.
(Applaudissements sur quelques bancs du groupe LR.)
M. le
président. La parole est à M. Frédéric Petit.
M. Frédéric
Petit. Monsieur Bernalicis, je reviens sur votre expression
« niveler par le bas ».
M. Ugo
Bernalicis. Très bien ! Allez-y !
M. Frédéric
Petit. Il ne faut pas partir d’exemples précis, comme celui des deux
cadres de santé, mais du panier.
M. Ugo
Bernalicis. Tout est dans le panier !
M. Frédéric
Petit. Vous parlez toujours de votre indice lié au PIB, mais le montant
du panier va augmenter environ quatre fois plus vite que le nombre de
pensionnés. Quelle que soit la décision que nous prendrons dans cet hémicycle,
changer ou ne pas changer, les évaluations sont les mêmes : une répartition
égalitaire donnerait 1 600 euros aujourd’hui, 2 000 euros en
2050. Vous dites que nous ne savons pas calculer. Je suis désolé, mais vous avez
la clé de ce calcul : les 28 % de cotisations, voilà tout. Dès lors
que vous connaissez à peu près le PIB, la valeur ajoutée du travail, et que vous
savez qu’on en prélève 28 %, vous pouvez faire vos projections. Même si
elles seront forcément approximatives, vous avez votre point de départ. Or, je
le répète encore une fois, c’est ce point de départ, décrit aux articles 8
et 9, qui permettra d’établir, avant le 30 juin 2021, la première valeur du
point, c’est-à-dire sa valeur au 1er janvier 2022. Sur cette
base, nous l’indexerons au moyen d’autres calculs, sans qu’il puisse jamais
baisser. Je ne comprends pas votre entêtement à soutenir que tout va baisser. Il
n’est pas possible que tout baisse, puisque le total augmente. Encore une fois,
si je divise la valeur des cotisations prévues en 2050 par le nombre de
personnes prévues…
M. le
président. Merci.
M. Frédéric
Petit. Je finis, monsieur le président.
M. le
président. Pardon, mais c’est moi qui décide, monsieur
Petit !
La parole est à M. Alain Bruneel.
M. Alain
Bruneel. J’ai lu un article de Jean Pisani-Ferry dont je vais vous citer
quelques passages. Au sujet de la modification des paramètres, il écrit :
« Cette redéfinition figure dans le projet de loi. Les principes en sont
posés : les droits – c’est-à-dire à la fois la valeur du point et son
taux de conversion en pension, qu’on appelle "valeur de service" – seront
indexés sur le revenu moyen par tête […] ; l’âge d’équilibre évoluera en
fonction de l’espérance de vie ; les pensions elles-mêmes seront, comme
aujourd’hui, indexées sur les prix. » Il poursuit : « Il faut
être clair : il est impossible de donner des garanties absolues aux futurs
retraités. » Voilà qui est d’importance.
Si je reprends maintenant
le rapport de M. Delevoye, 10 euros cotisés égalent un point, un point
égale 0,55 euro, le cumul des points égale une pension, soit complète, soit
morcelée. Vous nous dites que nous posons ici les grands principes, les jalons,
et que le reste sera déterminé par la gouvernance, ce qui signifie que nous
avançons à tâtons dans l’inconnu : c’est la gouvernance qui va décider de
l’âge d’équilibre et de la valeur du point. Je ne sais pas ce que cela donnera
pour les retraités futurs, qui vont entrer dans un système dont nous-mêmes ne
voulons pas, permettez-moi de le faire observer.
Lorsque la gouvernance
aura décidé, ce n’est pourtant pas elle qui aura le dernier mot : le
Gouvernement acceptera ou refusera sa décision. Imaginons que le rapport de
forces évolue en France et que les syndicats opposés à cette réforme deviennent
majoritaires : vous ne voudrez pas accepter toutes les décisions de la
gouvernance ! C’est pour cela que vous vous êtes réservé le dernier
mot ! (Applaudissements sur les bancs du groupe GDR.)
M. le
président. Je mets aux voix les amendements no 961 et
identiques.
(Il est procédé au scrutin.)
M. le
président. Voici le résultat du
scrutin :
Nombre de
votants 57
Nombre
de suffrages
exprimés 57
Majorité
absolue 29
Pour
l’adoption 10
Contre 47
(Les amendements no 961
et identiques ne sont pas adoptés.)
M. le
président. La suite de la discussion est renvoyée à la prochaine
séance.
2
Ordre du jour de la prochaine séance
M. le
président. Prochaine séance, cet après-midi, à quinze
heures :
Suite de la discussion du projet de loi instituant un
système universel de retraite.
La séance est levée.
(La séance est levée à treize heures.)
Le Directeur du service du compte rendu de la séance
de
l’Assemblée nationale
Serge Ezdra
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