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Assemblée nationale XVe législature Session
ordinaire de 2019-2020
Compte rendu intégral
Deuxième séance du samedi 29 février 2020
SOMMAIRE
Présidence
de M. David Habib
1.
Système universel de retraite
Rappel
au règlement
M. le
président
Mme Marie-Christine
Dalloz
Discussion
des articles (suite)
Article 8
(suite)
Amendements nos 16669,
16670, 16671, 16672, 16673, 16674, 16675, 16676, 16677, 16678, 16680, 16681,
16683, 16684, 16686, 16688, 16689
M. Nicolas
Turquois, rapporteur de la commission spéciale
M. Laurent
Pietraszewski, secrétaire d’État chargé des retraites
M. Patrick
Mignola
M. le
président
M. Stéphane
Peu
Article 8
(suite)
Amendements nos 16840,
16843, 16844, 16845, 16846, 16847, 16848, 16849, 16850, 16851, 16852, 16854,
16855, 16857, 16859, 16860, 16862 , 25016,
25017, 25018, 25019, 25020, 25021, 25022, 25023, 25024, 25025, 25026, 25027,
25028, 25029, 25030, 25031, 25032 , 26821,
31108, 31109, 31110, 31111, 31112, 31113, 31114, 31115, 31116, 31117, 31118,
31119, 31120, 31121, 31122 , 10341
, 5593
, 11915
, 26764,
31092, 31093, 31094, 31095, 31096, 31097, 31098, 31099, 31100, 31102, 31103,
31104, 31105, 31106, 31107 , 24999,
25000, 25001, 25002, 25003, 25004, 25005, 25006, 25007, 25008, 25009, 25010,
25011, 25012, 25013, 25014, 25015 , 24982,
24983, 24984, 24985, 24986, 24987, 24988, 24989, 24990, 24991, 24992, 24993,
24994, 24995, 24996, 24997, 24998 , 41095,
41097, 41098, 41099, 41100, 41101, 41102, 41103, 41104, 41105, 41106, 41107,
41108, 41109, 41110, 41111, 41113 , 25271
, 41181,
41182, 41183, 41184, 41185, 41186, 41187, 41188, 41189, 41190, 41191, 41192,
41193, 41194, 41195, 41199, 41200 , 16726,
16728, 16729, 16731, 16733, 16739, 16740, 16743, 16744, 16745, 16746, 16747,
16748, 16749, 16750, 16751, 16752 , 26765,
31123, 31124, 31125, 31126, 31127, 31128, 31129, 31130, 31131, 31132, 31133,
31134, 31135, 31136, 31137 , 16756,
16796, 16801, 16803, 16804, 16806, 16808, 16809, 16811, 16813, 16814, 16816,
16818, 16821, 16822, 16824, 16826
Suspension
et reprise de la séance
Amendements nos 26766,
31138, 31139, 31140, 31141, 31142, 31143, 31144, 31145, 31146, 31148, 31149,
31150, 31151, 31153, 31154 , 2555
, 42605,
42604, 42606, 42601 (sous-amendements)
Suspension
et reprise de la séance
Présidence
de M. Richard Ferrand
Application
de l’article 49, alinéa 3, de la Constitution
M. Édouard
Philippe, Premier ministre
M. le
président
Présidence de
M. David Habib
vice-président
M. le
président. La séance est ouverte.
(La séance est ouverte à quinze heures.)
1
Système universel de retraite
Suite de la discussion d’un projet de loi
M. le
président. L’ordre du jour appelle la suite de la discussion du projet
de loi instituant un système universel de retraite (nos 2623
rectifié, 2683).
Rappel au règlement
M. le
président. La parole est à M. Rémy Rebeyrotte, pour un rappel au
règlement.
Mme
Marie-Christine Dalloz. Ça nous manquait…
M. Rémy
Rebeyrotte. Pour la bonne organisation de nos travaux, je voudrais
simplement…
Mme
Marie-Christine Dalloz. Rappeler le nombre d’amendements qui restent à
examiner ?
M. Rémy
Rebeyrotte. …que vous confirmiez que si nous maintenons le rythme
observé durant la dernière heure de la séance de ce matin, nous terminerions
l’examen du texte dans 287 jours. En y consacrant huit mois de débats et en
tenant compte de la fermeture de l’hémicycle à l’été, nous pourrions ainsi
espérer adopter le texte durant l’année en cours – encore cela passe-t-il
tout juste, d’après mes calculs !
Pourriez-vous confirmer les
modalités d’organisation de nos travaux et le temps nécessaire pour qu’ils
aboutissent, au vu du rythme actuel ?
Mme
Marie-Christine Dalloz. En quoi cette intervention est-elle utile au
débat, franchement ?
Mme Nadia
Essayan. Bien sûr qu’elle l’est !
M. le
président. Merci, monsieur Rebeyrotte. Chacun aura compris que votre
intervention ne relève aucunement de la procédure de rappel au règlement. Je
n’en ferai donc pas cas. (Applaudissements sur les bancs du groupe LR. –
M. Philippe Vigier applaudit également.)
M. Rémy
Rebeyrotte. Mais il s’agit de définir l’organisation de nos
débats !
Mme
Marie-Christine Dalloz. Cela ne sert strictement à rien !
M. Rémy
Rebeyrotte. Le président est de mauvaise humeur…
Discussion des articles (suite)
M. le
président. Ce matin, l’Assemblée a poursuivi la discussion des articles
du projet de loi, s’arrêtant à l’amendement no 16669 à
l’article 8.
Article 8 (suite)
M. le
président. La parole est à Mme Bénédicte Taurine, pour soutenir
l’amendement no 16669 et les seize amendements identiques
déposés par les membres du groupe La France insoumise.
Mme
Bénédicte Taurine. Comme nous avions demandé la suppression de
l’article 8, nous demandons la suppression de son alinéa 1.
M. le
président. La parole est à M. Nicolas Turquois, rapporteur de la
commission spéciale, pour donner l’avis de la commission sur les amendements
identiques.
M. Nicolas
Turquois, rapporteur de la commission spéciale. Sans plus
d’arguments auxquels répondre, je me contente d’émettre un avis
défavorable.
M. le
président. La parole est à M. le secrétaire d’État chargé des
retraites, pour donner l’avis du Gouvernement.
M. Laurent
Pietraszewski, secrétaire d’État chargé des retraites. Avis
défavorable.
M. le
président. Sur les amendements no 16669 et identiques,
je suis saisi par le groupe La France insoumise d’une demande de scrutin
public.
Le scrutin est annoncé dans l’enceinte de l’Assemblée
nationale.
Acceptez-vous que nous procédions dès à présent au vote,
madame Taurine ? (Mme Bénédicte Taurine esquisse un
geste dubitatif.) Préférez-vous que nous attendions cinq minutes ?
M. Stéphane
Peu. Ah non !
M. le
président. Ce délai étant de droit si l’auteur de l’amendement en fait
la demande, nous attendrons donc quelques instants…
Mme
Marie-Christine Dalloz. Sereinement !
M. Stéphane
Peu. C’est la règle !
M. le
président. …avant de procéder au vote.
La parole est à
M. Patrick Mignola.
M. Patrick
Mignola. Je veux m’assurer que l’Assemblée nationale met chaque instant
à profit pour travailler dans le sens de l’intérêt général !
Sur le
fondement de l’article 100 du règlement, j’ai demandé, voilà maintenant
trente-six heures, à obtenir la répartition, en pourcentage, du temps de parole
entre les différents groupes parlementaires.
Mme Nadia
Hai. Tout à fait !
M. Rémy
Rebeyrotte. Nous n’avons toujours pas reçu de réponse !
M. Patrick
Mignola. Je me permets de réitérer cette demande : les services de
l’Assemblée peuvent-ils nous fournir cette information ?
M. le
président. Je suis extrêmement déçu, monsieur le président Mignola, que
ni le président de l’Assemblée nationale ni le ministre chargé des relations
avec le Parlement n’aient donné suite à votre demande – si elle a bien été
exprimée hier. (Applaudissements sur les bancs du groupe LR.)
Mme
Marie-Christine Dalloz. Bravo !
M. le
président. Je ne manquerai pas de signaler lors de la conférence des
présidents combien vous aspirez à disposer de ce document, monsieur le
président… (Sourires.)
M. Patrick
Mignola. Je m’adressais à la fonction et non à la personne, monsieur le
président – nonobstant tout le respect que je porte à votre personne.
Mme
Brigitte Bourguignon, présidente de la commission spéciale.
Exactement !
M. le
président. J’entends bien, monsieur Mignola, mais je profitais de votre
intervention pour gagner quelques secondes, puisque nous devons attendre cinq
minutes. (Sourires.)
La parole est à M. Stéphane Peu.
M. Stéphane
Peu. Je me joins à la demande de M. Mignola : un tel tableau
comparatif permettrait, entre autres choses, d’évaluer la quantité de travail
fournie par les différents groupes.
M. Bruno
Millienne. Cela irait dans votre sens, donc !
Mme Nadia
Hai. Parce que le niveau de travail d’un groupe s’apprécie par le nombre
d’amendements déposés ?
M. Rémy
Rebeyrotte. Si l’opposition fait cette demande au président, peut-être
obtiendrons-nous une réponse positive…
M. le
président. Chacun ayant pu s’exprimer de façon utile et précieuse sur
l’organisation de nos travaux, je vous propose de poursuivre l’examen de
l’article 8.
Article 8 (suite)
M. le
président. Je mets aux voix les amendements no 16669 et
identiques.
(Il est procédé au scrutin.)
M. le
président. Voici le résultat du
scrutin :
Nombre de
votants 46
Nombre
de suffrages
exprimés 45
Majorité
absolue 23
Pour
l’adoption 4
Contre 41
(Les amendements no 16669 et
identiques ne sont pas adoptés.)
M. le
président. La parole est à Mme Bénédicte Taurine, pour soutenir
l’amendement no 16840 et les seize amendements identiques
déposés par les membres du groupe La France insoumise.
M. Bruno
Millienne. Vos collègues ne sont pas gentils de vous avoir laissée toute
seule…
Mme
Bénédicte Taurine. Ils visent à supprimer l’alinéa 2.
M. le
président. Quel est l’avis de la commission sur ces
amendements ?
M. Nicolas
Turquois, rapporteur. L’alinéa 2 de l’article 8 dispose
que le montant de la pension de retraite sera égal au nombre de points inscrits
au compte personnel de carrière, multiplié par la valeur de service du point.
Cette définition est nécessaire à la lisibilité et à la compréhension du système
de retraite que nous défendons. Avis défavorable.
M. le
président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. Laurent
Pietraszewski, secrétaire d’État. Supprimer l’alinéa 2
rendrait en effet l’article 8 incompréhensible et inintelligible. Avis
défavorable.
(Les amendements no 16840 et
identiques ne sont pas adoptés.)
M. le
président. La parole est à Mme Bénédicte Taurine, pour soutenir
l’amendement no 25016 et les seize amendements identiques
déposés par les membres du groupe La France insoumise.
Mme
Bénédicte Taurine. Ils visent à supprimer la fin de
l’alinéa 2.
M. le
président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. Laurent
Pietraszewski, secrétaire d’État. La suppression de la partie de
l’alinéa 2 mentionnant la valeur de service du point fixée à la date
d’effet de la retraite rendrait cet alinéa complètement inintelligible et
incompréhensible. Avis défavorable.
(Les amendements
no 25016 et identiques ne
sont pas adoptés.)
M. le
président. Je suis saisi de dix-huit amendements pouvant être soumis à
une discussion commune. Cette série comprend l’amendement
no 26821 et quinze amendements identiques déposés par les
membres du groupe de la Gauche démocrate et républicaine, ainsi que les
amendements nos 10341 et 5593.
La parole est à
M. Alain Bruneel, pour soutenir les amendements no 26821 et
identiques.
M. Bruno
Millienne. Nous devrions entendre une argumentation un peu plus étayée
que sur les amendements précédents…
M. Alain
Bruneel. Nous proposons de modifier la rédaction de l’alinéa 2 afin
que la pension de retraite soit « calculée en annuités sur la base des
vingt-cinq meilleures années de salaire ou des six derniers mois de traitement
hors primes ».
Chacun sait que le fait de ne pas augmenter la part
de richesse dévolue aux retraites alors que la proportion de personnes âgées de
plus de 65 ans devrait augmenter de plus de 40 % d’ici à 2070 revient
à faire baisser les pensions dans une proportion équivalente. Les Français qui
en auront les moyens tenteront inévitablement de combler ces pertes en
souscrivant à des produits de retraite par capitalisation, à la grande
satisfaction de différentes compagnies d’assurance – notamment de BlackRock
et consorts.
Chacun sait également qu’un système par points constitue
l’outil idéal pour un gouvernement souhaitant faire baisser le niveau des
pensions. Vous ne pouvez pas le nier, car c’est ce qu’il s’est passé en Suède.
Si votre projet de loi était voté, vous n’auriez nullement besoin de faire
adopter une réforme et de risquer la gronde sociale pour diminuer le niveau des
pensions : une simple modification de la valeur de service du point, et le
tour serait joué !
C’est pourquoi nous souhaitons conserver un
système de retraite dans lequel la pension est calculée en annuités, sur la base
des vingt-cinq meilleures années de salaire ou des six derniers mois de
traitement.
M. le
président. L’amendement no 10341 de M. Marc
Le Fur est défendu.
La parole est à M. Maxime Minot, pour
soutenir l’amendement no 5593.
M. Maxime
Minot. Je l’ai évoqué lorsque je me suis exprimé en tant qu’orateur
inscrit à l’article 8.
Dans le système actuel, le montant des
pensions de retraite est calculé en fonction des vingt-cinq meilleures années de
cotisation pour le secteur privé et des six derniers mois de carrière pour la
fonction publique.
Le présent projet de loi propose quant à lui
l’instauration d’un système de calcul de la pension prenant en compte
l’intégralité de la carrière, ce qui entraînera une baisse considérable des
pensions de retraite pour la majorité des Français, dans la mesure où les
mauvaises années seront également prises en compte.
Les personnes ayant
vu leur rémunération progresser durant leur carrière à mesure qu’elles
occupaient des fonctions à plus fortes responsabilités seront également
défavorisées. Leur pension de retraite ne valorisera plus leur
mérite.
C’est pourquoi nous présentons un amendement visant à préserver
la prise en compte des vingt-cinq meilleures années de cotisation prévue dans le
système actuel.
M. le
président. Quel est l’avis de la commission sur cette série
d’amendements soumis à discussion commune ?
M. Nicolas
Turquois, rapporteur. Ils visent à ce que la retraite soit
calculée en annuités sur la base des vingt-cinq meilleures années de salaire ou
des six derniers mois de traitement, c’est-à-dire qu’ils tendent à rétablir l’un
des paramètres les plus antiredistributifs du système actuel. En effet, dans le
système existant, les bas salaires et les salariés aux fins de carrière les plus
difficiles ne bénéficient pas de la règle retenue en matière de salaire de
référence.
En créant un système fondé sur l’acquisition de points tout au
long de la carrière, nous revenons aux fondements de notre régime de retraite,
qui doit permettre aux assurés de toucher une pension aussi représentative que
possible de leur carrière, sans effets antiredistributifs ni avantages réservés
aux seules carrières ascendantes. Avis défavorable.
M. le
président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. Laurent
Pietraszewski, secrétaire d’État. Nous abordons un débat de fond,
que je ne veux pas éluder. Le système actuel renforce les inégalités – nous
l’avons dit et démontré à de nombreuses reprises, chaque fois que cette question
a été évoquée : en réalité, seuls les dispositifs de solidarité permettent
d’atténuer les écarts de pensions, qui sont amplifiés par le système actuel par
annuités. Ce dernier oblige certains de nos compatriotes à travailler jusqu’à
67 ans pour éviter de subir une décote et concentre les droits familiaux
– dont on sait qu’ils bénéficient essentiellement aux pères – sur les
familles de trois enfants ou plus.
Sans doute ce système avait-il un sens
à la période à laquelle il a été conçu – je ne songe pas à l’immédiat
après-guerre mais plutôt aux Trente Glorieuses –, dans une France dont la
dynamique économique était celle du plein emploi et où les carrières,
majoritairement ascendantes, s’effectuaient souvent dans la même entreprise du
début à la fin. Ce n’est plus la réalité du XXIe siècle, pas
plus d’ailleurs que ce n’était celle de la fin du
XXe siècle.
Il nous faut néanmoins préserver la
solidarité, le système par répartition, le vivre ensemble que notre système de
retraite nous a permis de construire. C’est pourquoi nous proposons d’adopter un
système par répartition – toujours – et par points, en définissant un
âge d’équilibre pour garantir durablement la solidarité et renforcer la
confiance des plus jeunes générations envers leurs aînés – rappelons que,
dans un système par répartition, ce sont les plus jeunes qui financent par leurs
cotisations les pensions des plus âgés.
Nous affirmons à nouveau que,
pour tous ceux qui effectuent une carrière plate, peu évolutive, heurtée ou non
linéaire, il sera plus intéressant de calculer la pension de retraite en prenant
en compte l’ensemble de la carrière, tout en maintenant les éléments de
solidarité constitutifs de notre capacité à vivre ensemble – mécanismes de
solidarité dont je sais qu’ils vous sont chers à vous aussi, monsieur
Bruneel.
Avis défavorable.
M. le
président. La parole est à Mme Marie-Christine Dalloz.
Mme
Marie-Christine Dalloz. Monsieur le secrétaire d’État, vous ne pouvez
pas affirmer que le système actuel est injuste pour les personnes aux carrières
heurtées.
M. Laurent
Pietraszewski, secrétaire d’État. Si !
Mme
Marie-Christine Dalloz. C’est faux : un mécanisme de solidarité
existe déjà.
M. Laurent
Pietraszewski, secrétaire d’État. Non !
Mme
Marie-Christine Dalloz. Peut-être n’est-il pas suffisant. Peut-être
fallait-il effectivement – nous nous accorderons sur ce point –
améliorer le dispositif de solidarité qui permet actuellement de prendre en
considération les carrières heurtées.
Mais vous ne pouvez pas prétendre
qu’il existe des carrières totalement linéaires ! Or c’est seulement dans
ce cas précis qu’un système prenant en compte l’intégralité de la durée de
cotisation pourrait être plus avantageux que le système actuel.
Il est
clair que votre dispositif de solidarité est plus favorable pour les carrières
heurtées que pour toutes les autres carrières, les carrières ascendantes. Or, au
cours d’une vie professionnelle, on observe une évolution. Qu’elles soient
salariales – on n’est pas rémunéré au bout de vingt ans d’ancienneté
comme en début de carrière, pour autant qu’il y ait encore de longues durées
d’ancienneté – ou liées à l’expérience et à la maîtrise des métiers
et du savoir-faire, il y a des progressions au sein des entreprises, voire des
changements d’orientation professionnelle.
Pour toutes ces raisons, votre
système, on y perdra. En effet, la prise en compte de la totalité de la carrière
fera nécessairement des perdants ; c’est ce contre quoi nous protestons au
moyen de ces amendements.
M. le
président. La parole est à M. Frédéric Petit.
M. Frédéric
Petit. Peut-être y aura-t-il en 2070, comme l’a dit M. Bruneel,
40 % de retraités de plus qu’aujourd’hui, mais le montant des retraites
distribuées – le contenu de ce que j’appelle le « panier » –
aura augmenté quatre fois plus. Certes, un point de PIB en moins sera consacré
aux retraites, mais le PIB aura énormément progressé et, quel que soit donc le
mode de répartition, les retraites versées seront, en moyenne,
supérieures. Évidemment – nous en avons beaucoup parlé –, il y aura
des gagnants et des perdants, mais il y aura, en moyenne, des
gagnants.
M. le
président. La parole est à M. Alain Bruneel.
M. Alain
Bruneel. Monsieur le secrétaire d’État, nous n’allons pas tomber
d’accord : pour nous, le système actuel est un système solidaire, qu’il
faut certes améliorer, mais qu’il faut aussi tirer vers le haut, en fixant à
60 ans l’âge de départ à la retraite.
Vous vous fondez sur l’idée
que la population mondiale, donc la population française, va être de plus en
plus nombreuse. En 2050, nous serons 10 milliards d’êtres humains et, dans
notre pays, la population augmente de 1,9 million tous les sept ans. Le
nombre de retraités étant supérieur à celui des salariés, il faut jouer la
solidarité pour tous.
Dans cet article 8, il est question du point.
Selon M. Delevoye, un point correspondait à 10 euros cotisés et sa
valeur de service serait de 0,55 euro. Prenons un exemple de carrière
complète : une personne née en 2004, et qui a donc aujourd’hui 16 ans,
entrant aujourd’hui sur le marché du travail, travaillera quarante-trois
annuités, soit 516 mois, et arrivera à la retraite à 64 ans. À l’âge
de 59 ans, cette personne devra travailler quelques années supplémentaires.
Quelle sera sa pension à ce niveau ? Dans le système actuel, on peut la
calculer en fonction du nombre de trimestres, sachant que l’intéressé n’a pas
encore accompli ses vingt-cinq meilleures années.
Je ne comprends donc
pas. Si je me réfère aux propos tenus ce matin par M. le secrétaire d’État,
c’est la gouvernance qui décidera, au fil du temps, de la valeur du point, mais
on est aujourd’hui incapable de savoir comment cela fonctionnera. Aujourd’hui,
on sait que, jusqu’à 3 428 euros de salaire mensuel, la cotisation est
de 6,90 % pour les salariés et de 8,55 % pour le patron ; mais
combien cela représente-t-il en points et combien de points faut-il par
mois ?
M. le
président. La parole est à M. Ugo Bernalicis.
M. Ugo
Bernalicis. Ce sont là, en effet, les questions que nous nous posons à
propos de cet article 8 : quelles seront la valeur d’acquisition et la
valeur de service du point, et quelle sera l’évolution de ces différents
paramètres ? Le système actuel, qui comporte certes des injustices que
chacun ici reconnaît, comporte aussi une certaine stabilité, une certaine
prévisibilité qu’on ne retrouve pas dans votre système par points.
Le
secrétaire d’État déclarait ce matin que les critères définissant la valeur
d’attribution ou la valeur de service du point sont connus ; mais ces
valeurs peuvent-elles être divergentes ? Le coefficient applicable à
l’évolution de la valeur d’acquisition du point peut-il être différent de celui
qui s’applique à la valeur de service ? Nous avons bien vu qu’il existait
un plancher : ce coefficient ne peut pas être inférieur à un, c’est-à-dire
que la valeur ne peut pas diminuer, et la valeur de service ne peut pas, si j’ai
bien compris, être inférieure à l’inflation, mais les deux coefficients peuvent
être divergents d’une année sur l’autre, du moment qu’ils se situent entre
l’inflation et le revenu moyen par tête.
Ce dernier, cela a été dit ce
matin, ne sera pas calculé par l’INSEE, l’Institut national de la statistique et
des études économiques, mais constaté par cet organisme sur la base d’un calcul
défini par le Conseil d’État, ce qui est sensiblement différent. De fait, si je
reconnais le professionnalisme de l’INSEE et sa capacité à élaborer des calculs
reflétant une réalité, je suis un peu moins sûr que ce soit le métier du Conseil
d’État, même si ce dernier est au moins capable d’émettre un avis tranché sur
votre étude d’impact.
M. Bruno
Millienne. Bref, le Conseil d’État a raison quand ça vous
arrange !
M. Ugo
Bernalicis. Vous dites que, par défaut, l’évolution de la valeur
d’acquisition et de la valeur de service seront fondées sur le revenu moyen par
tête, mais cela ne signifie pas pour autant que ce sera toujours le cas. Le
plancher que vous prévoyez pourra être modifié chaque année sur proposition du
conseil d’administration de la caisse nationale de retraite universelle. Je ne
sais donc pas comment vous pouvez dire qu’au bout du compte ce sera, en moyenne,
mieux pour les gens – ce qui ne veut strictement rien dire.
(Les amendements no 26821 et
identiques ne sont pas adoptés.)
(Les amendements nos 10341 et 5593,
successivement mis aux voix, ne sont pas adoptés.)
M. le
président. Je suis saisi d’une série d’amendements identiques, qui
comporte l’amendement no 11915, ainsi que l’amendement
no 26764 et quinze amendements identiques déposés par les
membres du groupe GDR.
Sur ces amendements, je suis saisi par le groupe
de la Gauche démocrate et républicaine d’une demande de scrutin public.
(« Ah ! » sur les
bancs des groupes LaREM et MODEM.)
Le scrutin est annoncé dans
l’enceinte de l’Assemblée nationale.
La parole est à M. Dino
Cinieri, pour soutenir l’amendement no 11915.
M. Dino
Cinieri. Dans le système actuel, on calcule le montant des pensions en
prenant en compte les vingt-cinq meilleures années de cotisation pour l’ensemble
des assurés et les six derniers mois pour les agents publics. La réforme
introduit à cet égard un changement apparemment accessoire du point de vue
technique, mais philosophiquement majeur, car elle postule qu’il ne peut y avoir
de retraite par points sans prise en compte de la totalité de la carrière
professionnelle du salarié ou du fonctionnaire. Le système par points et la
prise en compte de la totalité de la carrière sont deux sujets distincts, mais
que l’on a systématiquement liés dans le projet.
Dans le système actuel,
un ouvrier qui a commencé sa carrière au SMIC avant de progresser pour devenir
contremaître, puis cadre, peut bénéficier d’une pension de retraite calculée sur
ses vingt-cinq meilleures années, de la même façon que celui qui est entré dans
la vie professionnelle comme cadre en sortant d’une grande école. Dans la
fonction publique, un fonctionnaire qui a commencé son parcours comme
instituteur et l’a terminé comme recteur d’académie – cela
existe ! – touchera la même retraite qu’un autre recteur d’académie
qui a débuté sa carrière comme agrégé en sortant de l’École normale
supérieure.
Il n’en sera plus ainsi dans le nouveau système qu’on nous
propose. Désormais, parce que l’on prendra en compte la totalité de la carrière,
le retraité sera irrémédiablement rattrapé par la façon dont il est entré dans
la vie professionnelle et le mérite dont il aura fait preuve au cours de
celle-ci ne pèsera plus grand-chose. On lui rappellera, lors de son départ à la
retraite, qu’il a commencé son métier au bas de l’échelle. Il ne pourra pas
prétendre à la même pension que ceux qui ont commencé plus haut que lui :
« Tu as commencé ta carrière modestement, on ne l’oublie pas », tel
est le message qui lui sera adressé. Prenons deux salariés dont les vingt-cinq
meilleures années seront comparables : le montant de la pension de retraite
rappellera à l’un qu’il a commencé petit et à l’autre qu’il a, grâce à son
diplôme, débuté à une position plus élevée.
M. Sylvain
Maillard. Ce n’est pas très clair !
M. Dino
Cinieri. Est-ce un système juste ? Certes, notre système éducatif
est censé ouvrir à tous, et sur le fondement du seul mérite, l’accès à de belles
études,…
M. le
président. Merci, monsieur Cinieri.
La parole est à
M. Stéphane Peu, pour soutenir l’amendement no 26764 et
quinze amendements identiques déposés par les membres du groupe GDR.
M. Stéphane
Peu. L’alinéa que nous examinons dispose qu’« à compter de l’âge
prévu […], l’assuré a droit, sur sa demande, à une retraite d’un montant égal au
produit de l’ensemble des points inscrits à son compte personnel de carrière, à
la date d’effet de sa retraite, par la valeur de service du point fixée à cette
date […] ». Pour résumer, parvenu à l’âge d’équilibre, on regarde combien
on possède de points sur son compte et quelle est la valeur du point à cette
date, on multiplie le tout et, surprise ! on obtient son niveau de pension.
C’est bien ça ? Vous avez donc inventé la retraite loterie
(Protestations sur les bancs du groupe LaREM), dans
laquelle il est impossible de savoir au préalable quelle pension on touchera,
puisque cela dépendra du nombre de points et de leur valeur à la date donnée. On
passe donc ainsi clairement à un système de cotisations
définies.
M. Petit a pu dire que cette notion de cotisations
définies n’avait plus beaucoup de sens dans le futur système. Or, c’est bien,
selon nous, tout le problème. En effet, par ce système, vous remettez en cause
le contrat social clairement établi entre la société et les assurés, qui
garantit à chaque futur retraité un niveau de retraite qui est fonction de ses
meilleurs salaires, souvent les derniers – les vingt-cinq meilleures années
pour le privé et les six derniers mois pour le public. Vous introduisez donc, et
c’est bien là le fondement de votre système, un doute, un aléa :…
M.
Jean-René Cazeneuve. Mais non !
M. Stéphane
Peu. …plus personne ne saura quelle sera sa retraite et c’est, je le
répète, pour ceux qui le pourront, une invitation à s’orienter vers la
capitalisation, laquelle est bien, in fine, l’objectif de votre réforme.
M.
Jean-René Cazeneuve. Après treize jours de débats, dire ça,
franchement…
M. Ugo
Bernalicis. C’est que cela n’a pas changé en treize
jours !
M. le
président. Quel est l’avis de la commission ?
M. Nicolas
Turquois, rapporteur. Je sais bien que le but des oppositions est
de faire peur, mais on a l’impression, à vous entendre, qu’en arrivant au jour
de la retraite, on se verra présenter un sac rempli de billes, qu’on devra en
tirer une et voir si on a tiré le bon numéro et touché le super-point !
(M. Jean-René Cazeneuve applaudit.) Existe-t-il un
système qui fonctionne ainsi ?
M. Sylvain
Maillard. À part « Koh-Lanta », non !
M. Nicolas
Turquois, rapporteur. C’est comme si on annonçait que les prix de
demain seront un pur hasard, sans lien avec ceux d’aujourd’hui. À tout moment,
il se produit des évolutions des prix et des salaires – à en juger par ces
dernières années, elles représenteraient entre 1 % et 2 % de la valeur
du point. On peut donc, à tout moment, procéder à une simulation et calculer ce
que serait la retraite en euros d’aujourd’hui.
Pour une personne
percevant 2 000 euros par mois de salaire brut, compte tenu du taux de
cotisation retenu, la cotisation est de 6 000 euros par an. Avec une
valeur d’achat du point à 10 euros, cette personne acquiert chaque année
600 points. Comme nous le verrons à l’article 12, une simulation est
possible à chaque instant – même si, bien évidemment, l’évaluation est
d’autant moins précise qu’on est loin de la date d’arrivée. À l’âge de
50 ans, où l’on commence à se préoccuper sérieusement de ce que pourrait
être sa retraite, on peut, compte tenu du salaire que l’on perçoit, du nombre de
points accumulés chaque année et de la valeur du point de l’année considérée,
procéder à une simulation et faire une évaluation assez précise.
Il faut
également raisonner par comparaison avec le système actuel, qui repose sur des
trimestres auxquels il faut accorder une valeur, laquelle doit être revalorisée
en fonction de l’inflation intervenue depuis l’année où les droits ont été
acquis, en vérifiant qu’il s’agit bien de l’une des vingt-cinq meilleures
années. Sans compter que l’on peut aussi changer de métier, ce qui complique
encore le calcul.
Je vous assure que le système proposé est plus fin dans
son mode de calcul, puisque celui-ci descend en deçà du seuil de 150 heures
travaillées qui détermine actuellement la prise en compte des trimestres. Il est
aussi plus équitable, car, quels que soient le régime dont on relève et le
métier que l’on exerce, on accumule les points de la même façon. Il est, en
outre, plus lisible, car la multiplication du nombre de points par la valeur du
point est plus compréhensible qu’un calcul de trimestres dont le compte est
revalorisé selon l’inflation et qui doivent être interprétés en fonction du
régime dont on relève.
Madame Dalloz, loin de nous l’idée que tout serait
à jeter dans le système actuel ! D’abord, c’est un système par répartition,
caractéristique essentielle que nous reprenons ; ensuite, il a rendu
beaucoup de services aux retraites en France. Mais son organisation par régimes
auxquels s’appliquent des règles différentes en matière de maternité, par
exemple, et plus généralement e solidarité, en complique la compréhension et en
compromet l’équité.
Avis défavorable.
M. le
président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. Laurent
Pietraszewski, secrétaire d’État. Je reviendrai d’abord, puisque
le sujet est de nouveau abordé, sur l’alternative entre les vingt-cinq
meilleures années et la carrière complète comme base de calcul des pensions.
Vous n’avez pas toujours été très bienveillants vis-à-vis de l’étude d’impact,
mais je trouve intéressant de s’y reporter chaque fois que nous abordons ce type
de sujet, car on y trouve des tableaux très clairs. Ainsi le tableau 7
montre-t-il bien que le calcul du salaire de référence à partir de l’ensemble de
la carrière, avec indexation, profite aux carrières les plus linéaires, les plus
plates et essentiellement aux revenus modestes qui bénéficient du cœur
redistributif du nouveau système par répartition et par points.
Par
ailleurs, madame Dalloz, la retraite reflète la carrière, non le niveau d’études
ou la chance que l’on a eue d’intégrer telle ou telle entreprise. La retraite
rend compte de la vie professionnelle de chacun, avec la dynamique et la
progression qui lui sont propres.
Mme
Marie-Christine Dalloz. C’est ce que nous disons depuis le début. Nous
sommes bien d’accord !
M. Laurent
Pietraszewski, secrétaire d’État. J’ai eu le sentiment, en
écoutant votre comparaison entre deux carrières, que vous estimiez qu’il fallait
calculer la retraite de chacun en fonction du point d’arrivée de sa vie
professionnelle.
Mme
Marie-Christine Dalloz. Nous ne parlons pas du point d’arrivée mais du
cumul de points !
M. Laurent
Pietraszewski, secrétaire d’État. Selon moi, la retraite reflète
la totalité de la carrière. Voilà pourquoi je ne peux être d’accord avec vos
propos. Mais peut-être souhaitiez-vous souligner par là l’idée, que j’ai déjà
entendue sur vos bancs, selon laquelle le système que nous proposons serait
défavorable aux évolutions de carrière.
Aujourd’hui, pour que l’effet
positif se fasse ressentir, il faut en réalité que l’évolution intervienne
plutôt vers la fin de la carrière, c’est-à-dire que les vingt-cinq meilleures
années soient les vingt-cinq dernières, parce que, comme le sait bien
M. Woerth, on a décidé, pour des raisons d’équilibre financier, d’indexer
l’ensemble des salaires portés au compte sur l’inflation et non sur l’évolution
des salaires. Plus les meilleures années sont éloignées des dernières années,
plus elles ont été décapitalisées et moins elles ont de valeur. Nous pouvons en
discuter pendant quatre jours, mais c’est mathématique, tout le monde est
d’accord sur ce point. C’est pourquoi votre propos est assez ambigu. Je ne dis
pas que vous voulez mettre de côté cet aspect, mais la question est
complexe.
Je le disais ce matin à propos des taux de rendement : si
l’on s’en tient à un certain angle de vue, on peut avoir l’impression que le
dispositif est déséquilibré, mais cela reviendrait à oublier que le système est
dynamique et qu’il faut prendre en compte différents éléments. Voilà pourquoi
nous proposons un âge d’équilibre. D’ailleurs, cette logique n’a pas échappé à
certains des députés siégeant sur vos bancs, qui ont pris part aux précédentes
réformes des retraites et qui, à l’époque, avaient bien perçu cet enjeu. Nous
devrions nous rejoindre sur ce point, il est dommage que ce ne soit pas le
cas.
De même, les élus qui se situent à la gauche de l’hémicycle
devraient percevoir la dimension solidaire du nouveau système, qui favorise
notamment ceux qui ont les parcours professionnels les plus linéaires.
(Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe LaREM.)
M. le
président. La parole est à Mme Géraldine Bannier.
Mme
Géraldine Bannier. L’argumentation de M Cinieri me fait – pour
une fois – réagir. Il a cité l’exemple d’un agrégé et celui d’un ouvrier.
Mais qu’on soit l’un ou l’autre, ou si l’on exerce un tout autre métier, on se
rend au même repas de famille le dimanche. Et je vous assure qu’autour de la
table, cet agrégé, pour lequel le calcul se fait à partir des six derniers mois,
cet ouvrier, pour lequel il se fait à partir des vingt-cinq meilleures années,
ou encore l’agriculteur, qui ne reçoit même pas 700 euros de retraite par
mois, sont tout à fait conscients des inégalités du système actuel. Il faut le
rappeler ! (Applaudissements sur les bancs du groupe MODEM et sur
plusieurs bancs du groupe LaREM.)
Par ailleurs, j’ai rencontré à
l’instant un chauffeur de taxi qui m’a demandé de parler de son cas. Il aura
62 ans au mois de juin prochain. Il m’a dit qu’il toucherait alors
600 euros parce qu’il a cotisé 150 trimestres – il n’a pas fait
une carrière complète –, et que, pour toucher 800 euros, il lui
faudrait travailler jusqu’à 64 ans, et pour 1 000 euros jusqu’à
67 ans. Voilà le système actuel ! Franchement, est-il juste ?
(Mêmes mouvements.)
M. Alain
Bruneel. Et avec votre système, il touchera combien ? Vous n’avez
pas fait le calcul !
M. le
président. La parole est à M. Joël Aviragnet.
M. Joël
Aviragnet. Vous souhaitez que nos débats soient plus précis, que nous
soyons bienveillants vis-à-vis de l’étude d’impact, bref, vous souhaitez
beaucoup de choses.
Sachez que nos débats sont aussi précis que l’est le
texte. Ce n’est tout de même pas de notre faute si toutes ses dispositions qui
touchent à des valeurs essentielles sont renvoyées à des décrets et si le texte
prévoit, pour chaque règle, des exceptions. Lorsque vous dites qu’un euro cotisé
aura la même valeur pour tous, nous savons que ce n’est pas vrai. C’est au mieux
un slogan, au pire une vraie duperie. La valeur de service du point doit en
effet être pondérée en fonction de l’espérance de vie de la personne car, pour
en connaître le niveau réel, cette valeur doit être multipliée par le nombre de
mois pendant lesquels l’assuré en bénéficiera. On se rend alors que les écarts
de valeur, donc de droits acquis pour chaque euro cotisé, sont énormes. Nous
sommes sans cesse confrontés à des incertitudes, à des imprécisions. Ce projet
étant flou de bout en bout, je ne vois pas comment nous pourrions, nous, être
clairs.
M. le
président. La parole est à M. Stéphane Peu.
M. Stéphane
Peu. Je veux dire à ma collègue Bannier que lorsqu’il y a des
inégalités, il faut les corriger, et non les aggraver comme le fait votre projet
de loi. (Applaudissements sur les bancs des groupes GDR et FI. –
Protestations sur les bancs des groupes LaREM et MODEM.)
Mme Nadia
Hai. C’est faux !
M.
Jean-René Cazeneuve. Vous êtes un conservateur, voilà ce que vous
êtes !
M. Stéphane
Peu. C’est à cela que tiennent toutes les divergences entre
nous.
Je voudrais revenir sur un argument développé par M. Cinieri.
J’étais déjà intervenu à ce sujet à propos d’un autre article, mais je n’avais
alors pas obtenu de réponse. Une personne bardée de diplômes, qui commence
directement sa vie professionnelle en tant que conducteur de travaux dans le
secteur du bâtiment, directeur d’agence dans celui de la banque ou encore chef
de boutique dans celui du commerce, touchera une pension de retraite
relativement confortable si elle est calculée à partir de l’ensemble de sa
carrière.
La situation est en revanche bien différente pour celui
– et nous en connaissons beaucoup – qui, après un apprentissage,
débute comme maçon puis, grâce à son courage et à son abnégation, devient
contremaître et, enfin, conducteur de travaux, pour celle – je pense à
quelqu’un que je connais bien – qui a débuté comme couturière avant de
devenir chef d’atelier et est à présent responsable de boutique, ou encore pour
celui qui a commencé à travailler à la banque en tant que guichetier, puis est
devenu chef de bureau et a terminé sa carrière comme directeur d’une agence
bancaire.
Mme Nadia
Hai. C’est mon cas !
M. Stéphane
Peu. Tous ceux qui ont commencé en bas de l’échelle et ont gravi peu à
peu les échelons seront lésés par le nouveau système, puisque leur retraite ne
sera pas calculée, comme aujourd’hui, sur leurs vingt-cinq meilleures années,
mais sur l’ensemble de leur carrière. Ce nouveau système, qui profite aux
uns – ceux qui sont très diplômés – et pénalise les autres
– ceux qui sont très méritants – est fortement inégalitaire et porte
atteinte à la valeur travail. (Applaudissements sur les bancs des groupes GDR
et FI. – M. Dino Cinieri et M. M’jid
El Guerrab applaudissent également.)
M. Alain
Bruneel. C’est dit, bravo !
M. le
président. La parole est à M. Ugo Bernalicis.
M. Ugo
Bernalicis. Notre collègue Stéphane Peu a donné à l’instant des exemples
très pertinents qui devraient faire réfléchir la majorité. Je voudrais revenir
sur le cas du chauffeur de taxi qui devra travailler jusqu’à 67 ans pour
toucher 1 000 euros. Dans votre système, je ne suis pas sûr qu’il
doive travailler bien moins longtemps pour toucher le même niveau de pension.
S’il n’a pas fait une carrière complète, s’il a commencé à travailler tard, il
n’a pas accumulé de points. Le montant qu’il touchera dépendra donc du
coefficient d’ajustement, c’est à dire de l’âge à partir duquel s’appliquera une
décote ou une surcote.
Mme
Marie-Christine Dalloz. C’est exactement ça ! C’est un très bon
argument.
M. Ugo
Bernalicis. Même s’il cumule un grand nombre de points – parce que
son métier lui permet de cotiser plus –, cela ne suffira toujours pas à lui
procurer un montant de pension acceptable. Il continuera donc à bosser, d’autant
plus s’il n’atteint pas l’âge d’équilibre – que vous allez faire évoluer au
fil du temps et qui sera repoussé. Je ne suis pas sûr qu’à 67 ans il
touchera les 1 000 euros que vous promettez, puisqu’il n’aura pas fait
de carrière complète. Par conséquent, je doute que ce chauffeur de taxi doive
vous remercier d’avoir porté ainsi sa parole dans l’hémicycle.
(M. Alain Bruneel rit.) S’il souhaite que la situation
des personnes ayant des carrières hachées soit prise en considération, il a
plutôt intérêt à ce que le pays soit gouverné par des gens comme nous. (Vives
exclamations et rires sur les bancs des groupes LaREM et MODEM.)
M. le
président. Laissons conclure M. Bernalicis !
M. Ugo
Bernalicis. Heureusement, cela dit, que l’essentiel de votre réforme ne
s’appliquera qu’à partir de 2022 : nous pourrons ainsi plus facilement
revenir sur elle.
Mme Cendra
Motin. Une fois de plus, vous tombez d’accord avec Marine Le
Pen !
M. Ugo
Bernalicis. Il faut tout de même admettre que tout cela est
incompréhensible. Récapitulons (M. Rémy Rebeyrotte et
M. Frédéric Petit font signe que le temps de parole est
écoulé) : on ne connaît pas la valeur d’acquisition du point ni son
évolution, on sait uniquement qu’elle ne peut pas baisser. On ne connaît pas non
plus la valeur de service, ni son évolution. Le coefficient…
M. le
président. Je vous remercie, monsieur le député.
La parole est à
M. Dominique Da Silva.
M.
Dominique Da Silva. Je ne comprends pas cette opposition systématique à
la retraite par points qui, je le rappelle, existe déjà : l’AGIRC-ARRCO,
l’Association générale des institutions de retraite des cadres et Association
des régimes de retraite complémentaire, et l’IRCANTEC, l’Institution de retraite
complémentaire des agents non titulaires de l’État et des collectivités
publiques, sont des régimes par points. Aujourd’hui, au sein de la gouvernance
de ces organismes, des syndicats de salariés – qui, d’ailleurs, s’opposent
pourtant à la réforme – sont parvenus à signer des accords nationaux visant
à garantir la soutenabilité du point. Où est donc le
problème ?
S’agissant de la règle des vingt-cinq meilleures années,
comme cela a déjà été dit et redit, la base du calcul est la moitié du revenu
moyen de ces vingt-cinq ans, et non la totalité du revenu. En outre, la part de
la retraite complémentaire s’élève à 30 à 45 % du montant de la pension.
Aujourd’hui, une bonne partie de la retraite est donc calculée par points. Pour
les polypensionnés, c’est encore plus net puisque les vingt-cinq meilleures
années ne correspondent pas aux meilleurs revenus, le calcul se faisant au
prorata de la durée de cotisation dans chaque régime. (Applaudissements sur
plusieurs bancs des groupes LaREM et MODEM.)
M. Bruno
Millienne. Excellente intervention !
M. le
président. La parole est à Mme Marie-Christine Dalloz.
Mme
Marie-Christine Dalloz. Concernant les polypensionnés, je demande à
voir. (Exclamations sur les bancs du groupe LaREM.) Nous ne sommes pas
encore arrivés au moment de l’examen des articles portant sur cette
question…
Mme Cendra
Motin. Comme nous aimerions y être !
Mme
Marie-Christine Dalloz. …mais je pense que de nombreuses précisions
devront alors être apportées.
Pour revenir à l’exemple du chauffeur de
taxi, partons du principe que c’est un travailleur indépendant, une catégorie
dont nous avons déjà abondamment parlé lors de l’examen de l’article 4. La
réalité, c’est que celui qui a une carrière incomplète touchera une pension
minimum, non pas à 62 ans – il ne faut pas rêver –, mais à
65 ans au moins. Son collègue qui a fait une carrière complète, qui a
cotisé pendant toute sa vie professionnelle, touchera, lui, la même retraite que
celle à laquelle il peut prétendre dans le système actuel – et
encore –, mais en cotisant beaucoup plus et en travaillant plus longtemps.
Est-ce votre conception de l’équilibre et de l’équité ? Il me paraît
logique que celui qui a cotisé pendant une carrière complète touche une retraite
supérieure à celui qui n’a pas cotisé pendant toute sa vie professionnelle et
qui pourrait, lui, prétendre à une pension minimum.
Encore une fois, je
suis favorable au principe de solidarité s’agissant de la retraite de base.
Cependant, alors que la règle des vingt-cinq meilleures années assurait un
niveau de retraite satisfaisant, le nouveau système, dont la base de calcul est
la totalité de la carrière, aboutira à une réduction considérable du niveau de
pension auquel pourront prétendre les Français au cours des prochaines
années.
M. le
président. Je mets aux voix les amendements no 11915 et
identiques.
(Il est procédé au scrutin.)
M. le
président. Voici le résultat du
scrutin :
Nombre de
votants 75
Nombre
de suffrages
exprimés 74
Majorité
absolue 38
Pour
l’adoption 14
Contre 61
(Les amendements
no 11915 et identiques ne
sont pas adoptés.)
M. le
président. Je suis saisi de deux séries de dix-sept amendements
identiques chacune, déposés par les membres du groupe La France insoumise et
pouvant faire l’objet d’une discussion commune.
Sur les amendements
identiques nos 24999 et suivants, ainsi que sur les amendements
identiques nos 24982 et suivants, je suis saisi par le groupe La
France insoumise d’une demande de scrutin public.
Les scrutins sont
annoncés dans l’enceinte de l’Assemblée nationale.
La parole est à
Mme Bénédicte Taurine, pour soutenir les amendements
no 24999 et identiques.
Mme
Bénédicte Taurine. Il s’agit d’amendements de repli. Nous considérons
qu’il est nécessaire d’y voir plus clair concernant l’évolution de la valeur du
point. Nous proposons par conséquent que l’INSEE détermine un indicateur solide
qui intègre à la fois l’évolution des salaires et l’évolution du capital, afin
de permettre une réévaluation qui soit plus favorable aux travailleuses et aux
travailleurs. Aussi, à l’alinéa 2, après le mot : « point »,
nous souhaitons que soient insérés les mots : « déterminée par
l’Institut national de la statistique et des études économiques, sur la base
d’une combinaison entre l’évolution des salaires et l’évolution du capital,
après avis du Conseil économique, social et environnemental ».
M. le
président. La parole est à M. Ugo Bernalicis, pour soutenir les
amendements nos 24982 et identiques.
M. Ugo
Bernalicis. Nous ne sommes pas défavorables à la création d’un
indicateur de revenu moyen par tête à condition qu’il soit établi par l’INSEE
– et non pas par le Conseil d’État –, c’est-à-dire par des gens qui
savent faire ce genre de calcul, qui savent, statistiquement, à quelle réalité
un tel indicateur correspond. Nous voulons éviter la création d’un machin sur un
coin de table… Au départ, d’ailleurs, vous aviez décidé qu’un tel indicateur
concernerait le salaire moyen par tête, avant que vous ne vous décidiez pour le
revenu moyen par tête.
M. Frédéric
Petit. Parce que les indépendants n’ont pas de salaire, mais un
revenu !
M. Ugo
Bernalicis. Or, d’après les premiers éléments dont nous disposons, un
tel indicateur serait moins favorable, quant à sa dynamique, que s’il reposait
sur le salaire par tête,…
M.
Jean-Paul Mattei. Ce que vous dites ne correspond pas à l’évolution de
la société.
M. Ugo
Bernalicis. …même si j’ai bien entendu l’explication alambiquée du
secrétaire d’État…
M. Bruno
Millienne. Ce que vous pouvez être méprisant…
M. Ugo
Bernalicis. …selon lequel, l’un comportant l’autre, la dynamique serait
quand même au rendez-vous.
En tout cas, s’il faut un indicateur, nous
préférons, je le répète, qu’il soit défini par des gens qui savent le faire…
M. Bruno
Millienne. C’est ce qui est prévu !
M. Ugo
Bernalicis. …et non, donc, par le seul Conseil d’État. Ne me dites pas
que c’est ce qui est prévu puisqu’il est écrit noir sur blanc que c’est au
Conseil d’État que vous voulez confier la création de l’indicateur. Le texte
précise en effet que les taux de revalorisation de la valeur d’acquisition et de
la valeur de service du point doivent être « supérieur[s] à zéro et compris
entre l’évolution annuelle des prix hors tabac et l’évolution annuelle du revenu
moyen par tête, constatée par l’Institut national de la statistique et des
études économiques selon des modalités de calcul déterminées par décret en
Conseil d’État ». Ce qui ne revient donc pas à confier la définition
de l’indicateur à l’INSEE ni à lui confier le calcul et la constatation
mentionnés.
M. Sylvain
Maillard et M. Frédéric Petit. Mais c’est une commande !
M. Ugo
Bernalicis. Après, si vous voulez bidouiller les chiffres
(Exclamations sur plusieurs bancs des groupes LaREM et MODEM),…
M. Sylvain
Maillard et Mme Nadia Hai. Mais non !
M. Ugo
Bernalicis. …et ainsi obtenir des données sur lesquelles nous ne
pourrons pas nous appuyer…
Votre texte précise même qu’il s’agira de la
valeur qu’on retiendra « par défaut ». Il ne s’agit donc pas de la
valeur qu’on retiendra dans l’absolu. D’ailleurs, cette valeur sera discutée
chaque année au sein de la caisse nationale de retraite universelle.
M. Frédéric
Petit. Nous en sommes à l’article 8 et vous évoquez des
dispositions de l’article 9 !
M. Ugo
Bernalicis. La seule garantie que nous avons est que la valeur ne
baissera pas – maigre garantie quand on sait que le coefficient
d’ajustement ainsi que de nombreux autres paramètres peuvent être
modifiés.
Nous pointons donc modestement le fait que vous ne voulez pas
instaurer des indicateurs fiables.
M. le
président. Quel est l’avis de la commission sur ces deux séries
d’amendements identiques ?
M. Nicolas
Turquois, rapporteur. L’une d’elles inclut l’amendement
no 25000, déposé par M. Bernalicis lui-même : le chiffre
est éloquent, mais la quantité n’est pas la qualité… Je n’ai pas tout à fait
suivi votre argumentation, monsieur Bernalicis : remettez-vous en cause
l’indépendance du Conseil d’État ou celle de l’INSEE ?
Mme
Brigitte Bourguignon, présidente de la commission spéciale. L’un
ou l’autre selon ce qui l’arrange.
M. Nicolas
Turquois, rapporteur. Mais que ce soit l’un ou l’autre, cela me
semble suffisamment grave pour être relevé, s’agissant de professionnels qui
sont au service de l’État.
J’en viens aux amendements. Le coefficient de
revalorisation du point est prévu par l’article 9, et non pas par
l’article 8 que nous sommes en train d’examiner.
M. Frédéric Petit.
Eh oui !
M. Nicolas
Turquois, rapporteur. Quant au fond, si l’on prend en
considération l’évolution du capital, que va-t-il se passer ? Les années de
forte croissance, vous allez sensiblement augmenter la valeur d’acquisition du
point ; aussi, à cotisations égales, les salariés en activité
obtiendront-ils mécaniquement un nombre de points moindre. Si l’on vous suit,
l’année du retournement, pour ceux qui vont liquider leur retraite, la valeur du
point va beaucoup baisser puisque vous voulez que l’indicateur intègre
l’évolution du capital. Or le capital ne reflète pas les revenus ; c’est
pourquoi nous avons retenu le revenu moyen par tête qui agrégera les salaires,
les traitements des fonctionnaires et les revenus des indépendants, ce qui nous
semble bien plus fidèle à la réalité que d’intégrer le capital – par nature
variable.
Je reviens sur les exemples donnés avant même l’intervention de
M. Peu et selon lesquels une carrière ascendante serait perdante dans le
nouveau système. Les vingt-cinq meilleures années d’une carrière ascendante sont
les vingt-cinq dernières années. Or, entre l’évolution suivant l’inflation et
l’évolution suivant les revenus, on constate une sacrée perte de pouvoir d’achat
et de points retraite. Il est vrai qu’une carrière ascendante mono-pensionnée
sera a posteriori moins ascendante, en matière de droits à la retraite, que dans
le système précédent. Mais certains de nos concitoyens ont une carrière plate et
d’autres une carrière ponctuée d’accidents – celui qui a commencé une belle
carrière sera licencié, tombera malade, et, de ce fait, à 45 ans par
exemple, subira un sérieux décrochage ; tel cadre de haut niveau, après un
burn out, décidera de se reconvertir – nous en voyons beaucoup dans nos
campagnes qui s’installent comme artisans.
En somme, la revalorisation
des retraites en fonction de l’inflation, que prévoit le système actuel, est
beaucoup moins favorable à l’intéressé que si elle est calculée en fonction de
l’évolution des revenus. En effet, dans le système en vigueur, les revenus
anciens sont particulièrement sous-valorisés, ce que corrigera le système indexé
sur le revenu par tête. Avis défavorable.
M. Sylvain
Maillard. Voilà qui était très clair.
M. le
président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. Laurent
Pietraszewski, secrétaire d’État. La question du revenu moyen par
tête, monsieur Bernalicis, sera examinée au prochain article. Je comprends que
quand nous en sommes à l’article 8 vous vouliez évoquer l’article 9,
que quand nous en serons à l’article 9 vous discuterez de
l’article 12, comme à l’article 1er vous avez pu aborder
l’article 25… (M. Jean-René Cazeneuve rit.) Mais
cela ne facilite pas toujours la vie de ceux qui vous répondent, malgré leur
bonne volonté.
Le fait que les modalités de calcul de l’évolution
annuelle du revenu moyen par tête doivent être déterminées par décret en Conseil
d’État n’est pas une grande surprise, c’est même très rassurant. Le rapporteur a
d’ailleurs souligné que vous ne pouvez pas à la fois arguer de l’avis du Conseil
d’État sur le présent texte, tout en louant l’indépendance de cette institution
et les recommandations juridiques qu’elle adresse au Gouvernement, et avoir
l’air très inquiet de ce que le même Conseil d’État se prononce sur les
modalités de calcul mentionnées. (Applaudissements sur quelques bancs du
groupe LaREM.)
M. Bruno
Millienne. En effet, un peu de cohérence !
M. Laurent
Pietraszewski, secrétaire d’État. Vous attendez de nous que nous
soyons cohérents ; eh bien, admettez la réciproque.
L’INSEE,
organisme indépendant, suit déjà le revenu moyen des salariés, le traitement
moyen des fonctionnaires et les revenus moyens des indépendants.
M. Frédéric
Petit. Eh oui !
M. Laurent
Pietraszewski, secrétaire d’État. La représentation nationale n’a
donc pas à s’interroger gravement sur la question. Cet organisme indépendant
propose déjà trois indicateurs qui seront les principales composantes de
l’indicateur du revenu moyen d’activité – et même les seules puisqu’elles
concernent les trois catégories d’actifs concernées. On voit bien, a priori, que
l’INSEE, forte de sa compétence, de son expertise, va trouver la solution pour
suivre cet indicateur de façon indépendante. J’ai bien saisi qu’il s’agissait
d’un sujet de discussion : nous l’avons déjà évoqué en commission et
maintes fois en séance, mais il n’y a pas de quoi s’inquiéter puisque l’INSEE,
j’y insiste, a les moyens de suivre l’évolution du revenu d’activité moyen par
tête.
Enfin, malgré vos dénégations, monsieur Bernalicis, il est
clairement indiqué que la valeur d’acquisition et la valeur de service seront
réévaluées chaque année en fonction des mêmes critères. Vous avez relevé, dans
l’exposé des motifs, que « par défaut, l’évolution de la valeur du point
sera garantie par des règles d’indexation plus favorables » que celles en
vigueur. Pourquoi, « par défaut », monsieur le député ?
M. Ugo
Bernalicis. C’est vrai, ça, pourquoi ? Expliquez-moi !
M. Laurent
Pietraszewski, secrétaire d’État. Je tente depuis plus de deux
semaines, sans toujours y parvenir, de vous expliquer qu’il faut faire confiance
à la gouvernance et à la démocratie sociale. Je tente de vous expliquer
– et je croyais que de votre côté de l’hémicycle on y était sensible –
que les partenaires sociaux sont capables de prendre de bonnes décisions.
(Applaudissements sur de nombreux bancs du groupe LaREM.) Je tente de
vous expliquer que si l’on veut donner de l’espace à la démocratie sociale, il
faut lui donner des responsabilités et non se contenter de se payer de mots. Eh
bien, c’est ce que fait le Gouvernement avec ce texte. (Applaudissements et
« Très bien ! » sur les
bancs des groupes LaREM et MODEM. – M. Patrick Hetzel
s’exclame.)
M. le
président. La parole est à M. Ugo Bernalicis.
M. Ugo
Bernalicis. Il est intéressant que vous mentionniez le Conseil d’État,
puisque son vice-président sera auditionné la semaine prochaine par la
commission d’enquête sur les obstacles à l’indépendance du pouvoir judiciaire,
que je préside. Je vous invite à venir assister à cette audition, monsieur le
rapporteur. Oui, il y a un débat sur l’indépendance et l’impartialité du Conseil
d’État. Ses membres ne sont pas reconnus comme des magistrats, à la différence
des juges administratifs. Il existe par exemple une dualité entre la fonction de
conseil et la fonction juridictionnelle qui peut prêter à confusion quant à la
notion d’indépendance et à celle de séparation des pouvoirs. Ces discussions ont
toute leur noblesse, donc ne les balayez pas d’un revers de la main en avançant
que, selon moi, le Conseil d’État ne serait pas indépendant ou ne le serait
qu’en partie.
Ensuite, je n’ai pas affirmé qu’il avait rendu en toute
indépendance son avis sur le projet de loi ordinaire, le projet de loi organique
et sur l’étude d’impact. Nous avons même dit que si le Conseil en arrivait à ces
conclusions, étant donné son positionnement et les conditions de nomination de
ses membres, c’est que, quand même, vous avez vachement mal travaillé. C’est la
réalité ! Je n’idéalise pas le Conseil d’État et je n’ai pas non plus
d’acrimonie particulière contre ses membres ; il faut raison garder quand
on l’évoque.
Pour ce qui est des indicateurs, encore une fois, il est
important qu’ils soient d’emblée liés au point retraite alors que vous en
décorrélez certains éléments, si bien qu’on ne comprend plus
grand-chose.
Vous affirmez enfin qu’il faut que la démocratie sociale
fonctionne. Très bien, mais alors pourquoi refuser que les dépenses liées aux
retraites dépassent 14 % du PIB ? Ce n’est pas mon avis, c’est celui
du Conseil d’État.
M. Laurent
Pietraszewski, secrétaire d’État. Si, c’est le vôtre.
M. Ugo
Bernalicis. Vous le retrouverez au paragraphe 13 de l’avis, qui, en
outre, vous suggère de revoir vos calculs car le chômage des plus de 65 ans
pourrait poser problème.
M. le
président. La parole est à M. Éric Woerth.
M. Éric
Woerth. Vous créez un régime universel de retraite, mais pourvu de
sous-régimes : c’est un problème. Je ne pense pas qu’on puisse construire
tout un système en fonction des carrières hachées ou heurtées. On peut rendre le
système plus juste les concernant, certes, mais elles ne sont pas seulement
subies par des personnes qui vivent des situations sociales très
compliquées : elles concernent aussi des personnes qui ont décidé d’arrêter
de travailler – même si on ne doit pas oublier que de nombreuses femmes
sont touchées par ce phénomène.
Ces personnes n’ont pas validé
suffisamment de trimestres ; il ne s’agit pas seulement d’interruptions
pour maternité ou à cause d’une période de chômage – même si les règles ne
sont pas les mêmes dans tous les régimes. Pour que des trimestres manquent, il
faut avoir vraiment arrêté sa carrière. Il est dès lors assez naturel que le
montant de la pension le reflète. De nombreuses dispositions de justice ont pu
compléter ces pensions, mais il est assez logique qu’existe une différence entre
ceux qui ont validé tous les trimestres nécessaires pour toucher une pension à
taux plein et les autres.
Je suis par ailleurs quelque peu étonné que
nous soyons le seul pays au monde qui réforme son système dans le sens d’un
abaissement de l’âge de départ à la retraite : vous évoquez 64 ans
mais ce sera bientôt 67 ans, monsieur le secrétaire d’État.
Voilà
une drôle de manière de faire. Vous pouviez sans doute injecter un peu plus de
justice sociale, et il fallait poursuivre en ce sens, mais établir tout un
système dans le seul but de traiter la question des carrières heurtées ou
hachées, non !
Mme
Marie-Christine Dalloz. Très bien !
M. le
président. La parole est à M. Frédéric Petit.
M. Frédéric
Petit. Je vais parler de pondération avec pondération. Monsieur
Bernalicis, vous m’expliquez que ce que je dis ne veut rien dire parce qu’une
moyenne n’a pas de sens dans un régime par répartition. Bien au contraire, en
l’espèce, seule la moyenne a un sens. Dans un système par répartition, vous
prenez les cotisations de l’année pour servir les pensions de l’année :
c’est là que la moyenne a tout son sens. Il s’agit d’une moyenne pondérée, car
si l’on s’en tenait à une moyenne simple, on servirait la même pension à tous
les retraités – actuellement, par exemple, ils percevraient
1 600 euros par mois. Nous utilisons donc un mode de calcul, déjà en
vigueur aujourd’hui, qui consiste à diviser le contenu d’un panier entre des
bénéficiaires en pondérant selon les cotisations et les efforts des uns et des
autres, le nombre de leurs enfants, et la pénibilité de leur travail.
La
notion de moyenne est donc essentielle. Je l’ai dit ce matin : vous ne
pouvez pas analyser un système par répartition à partir d’exemples individuels
ou catégoriels. J’ai été très surpris que M. Coquerel parle des gens qui
ont « accumulé » tout au long de leur vie et qui seraient pénalisés
par notre réforme. Mais l’accumulation, c’est la capitalisation ! La
répartition, c’est une autre approche : pour une année donnée, on divise
l’ensemble de ce qui est versé dans le panier par le nombre de ceux qui en ont
besoin. (Applaudissements sur les bancs des groupes MODEM et LaREM.) On
obtient une moyenne qui est ensuite pondérée selon les mérites de
chacun.
M. le
président. Je vous propose de passer aux votes sur les amendements en
discussion commune.
Je mets d’abord aux voix les amendements
no 24999 et identiques.
(Il est procédé au scrutin.)
M. le
président. Voici le résultat du
scrutin :
Nombre de
votants 74
Nombre
de suffrages
exprimés 74
Majorité
absolue 38
Pour
l’adoption 4
Contre 70
(Les amendements
no 24999 et identiques ne
sont pas adoptés.)
M. le
président. Je mets aux voix les amendements no 24982 et
identiques.
(Il est procédé au scrutin.)
M. le
président. Voici le résultat du
scrutin :
Nombre de
votants 73
Nombre
de suffrages
exprimés 72
Majorité
absolue 37
Pour
l’adoption 4
Contre 68
(Les amendements no 24982 et
identiques ne sont pas adoptés.)
M. le
président. La parole est à Mme Bénédicte Taurine, pour soutenir
l’amendement no 41095 et les seize amendements identiques déposés par
les membres du groupe La France insoumise.
Mme
Bénédicte Taurine. Ils visent à assurer aux retraités la dignité de
leurs vieux jours. Nous considérons qu’il est nécessaire d’inscrire dans la loi
que les pensions de retraite garantissent le maintien du niveau de vie des
assurés, niveau de vie qui ne doit pas être subir les effets de leur départ à la
retraite.
M. le
président. Quel est l’avis de la commission sur les amendements
identiques ?
M. Nicolas
Turquois, rapporteur. Madame la députée, nous avons d’ores et
déjà adopté à l’article 1er un « objectif de garantie d’un
niveau de vie satisfaisant ». Nous avons même précisé qu’il devait être
« digne ». Ne confondons pas les objectifs du système universel, qui
relevaient du chapitre Ier du titre Ier, avec
les outils destinés à les atteindre, présentés au chapitre II ! Avis
défavorable.
M. le
président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. Laurent
Pietraszewski, secrétaire d’État. Avis défavorable. J’ajoute aux
arguments de M. Turquois que le rapport entre le niveau de vie des
retraités et celui des actifs a vocation à être déterminé par la gouvernance du
système universel. Laissons-lui ses marges de manœuvre et faisons confiance à la
démocratie sociale !
(Les amendements no 41095 et
identiques ne sont pas adoptés.)
M. le
président. Je suis saisi de dix-huit amendements identiques :
l’amendement no 25271 et les amendements
no 41181 et identiques déposés par les membres du groupe La
France insoumise.
La parole est à M. Joël Aviragnet, pour
soutenir l’amendement no 25271.
M. Joël
Aviragnet. Il vise à supprimer le mécanisme de calcul de la pension par
points, auquel nous sommes opposés. En effet, ce mécanisme a d’abord pour effet
de calculer le montant de la pension de retraite sur l’ensemble de la carrière
plutôt que sur les meilleures années. Pour un salarié qui débute sa carrière à
22 ans en gagnant 1 500 euros bruts par mois, si l’on fait
l’hypothèse d’une revalorisation annuelle de son salaire de 1,5 %, on
obtient une pension différente selon qu’elle se fonde sur les vingt-cinq
meilleures années de sa carrière – sa pension s’élèverait à
1 692 euros bruts par mois – ou sur l’ensemble de cette dernière
– en l’espèce, il toucherait 1 470 euros bruts par mois. Cet
exemple concret montre ce qu’il en est vraiment de votre réforme. Le calcul de
la retraite sur l’ensemble de la carrière pour ce salarié se traduirait par une
perte sur sa pension de 222 euros bruts par mois, soit
2 664 euros bruts par an.
Par ailleurs, le système par points
est aussi un mécanisme qui enferme l’assuré dans les phases les moins favorables
de sa carrière. Il ne valorise pas le mérite de ceux qui ont évolué et changé de
statut. Un ouvrier qui progresse gagnera moins qu’un salarié qui commence sa
carrière comme cadre. Ce système abroge toute dimension méritocratique dans le
calcul de la pension. C’est étonnant de la part d’un gouvernement libéral qui
promeut la réussite individuelle.
Globalement, vous baissez l’ensemble
des pensions comme vous l’avez fait pour les prestations sociales…
M. Sylvain
Maillard et M. Rémy Rebeyrotte. C’est faux !
M. Frédéric
Petit. « Globalement », ce n’est pas vrai !
M. Joël
Aviragnet. …et, dans le même temps, que vous le vouliez ou non, je vous
le répète : vous avez baissé les impôts sur les plus riches
(M. François Ruffin applaudit) et supprimé l’impôt sur
la fortune. Finalement, vous appliquez le même principe à tous les
sujets.
M. le
président. Sur les amendements no 25271 et identiques,
je suis saisi par le groupe La France insoumise d’une demande de scrutin
public.
Le scrutin est annoncé dans l’enceinte de l’Assemblée
nationale.
La parole est à Mme Bénédicte Taurine, pour soutenir
l’amendement no 41181 et les seize amendements identiques déposés par
les membres du groupe La France insoumise.
Mme
Bénédicte Taurine. Ils visent à supprimer les alinéas 4 à 8 de
l’article 8 auquel nous sommes totalement opposés.
M. le
président. Quel est l’avis de la commission ?
M. Nicolas
Turquois, rapporteur. Monsieur Aviragnet, votre amendement
supprime l’ensemble des modalités d’acquisition des points retraite. Autrement
dit, vous visez non seulement l’acquisition par cotisation, mais aussi les
points attribués au titre des interruptions de carrière et des droits familiaux
– je vous renvoie aux alinéas 6, 7 et 8 – et ceux destinés à
prendre en compte les situations de handicap ou à garantir une pension minimale
de 1 000 euros. Je ne crois pas que ce soit ce que vous
souhaitez ; pour notre part, en tout cas, nous ne sommes absolument
défavorables à la suppression de ces alinéas.
M. le
président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. Laurent
Pietraszewski, secrétaire d’État. Monsieur Aviragnet, je vous
avoue que je suis toujours un peu stupéfié quand je lis les exposés sommaires
des amendements de tous ceux qui, dans les rangs de gauche, s’opposent au
système de retraite par points. Je me demande parfois si vous avez fait part aux
partenaires sociaux de votre opposition à ce système.
M. Ugo
Bernalicis et M. Stéphane Peu. Bien sûr !
M. Laurent
Pietraszewski, secrétaire d’État. Savent-ils que vous êtes
fondamentalement opposés à la retraite par points ? Il ne faut pas hésiter
à le leur dire.
M. François
Ruffin. Ils sont au courant, et ils sont les premiers à s’opposer à ce
système !
M. le
président. Monsieur Ruffin, laissez M. le secrétaire d’État
s’exprimer !
M. Laurent
Pietraszewski, secrétaire d’État. Ils gèrent eux-mêmes un système
par points que vous connaissez bien. Je suis étonné que vous considériez non
seulement qu’un tel système n’est pas intéressant pour les salariés mais aussi
qu’il est totalement injuste. Si je prenais vos arguments au pied de la lettre,
je pourrais croire que les partenaires sociaux gèrent un système profondément
injuste au profit de 70 % des Français (Applaudissements sur de nombreux
bancs du groupe LaREM), c’est-à-dire les salariés qui perçoivent 40 à
60 % de retraite complémentaire grâce à l’AGIRC et à l’ARRCO. J’avoue que
j’ai du mal à vous suivre. Avis défavorable.
M. le
président. La parole est à M. Ugo Bernalicis.
M. Ugo
Bernalicis. Monsieur le secrétaire d’État, vous savez bien que ce ne
sont pas les syndicats eux-mêmes qui ont pris la décision de mettre en place
l’AGIRC et l’ARRCO ou un certain nombre de règles. Ce sont les gouvernements
successifs qui ont fait ces choix pour prendre en compte les primes. Pendant
longtemps, dans le secteur public comme dans le privé, on a cessé d’augmenter
les salaires au profit des primes. Comme on s’est aperçu que ces augmentations
n’étaient pas prises en compte pour le calcul des pensions, on a mis en place
des systèmes complémentaires, ce qui nous mène à la situation actuelle
– c’est vrai, pour faire plus simple, on a instauré des systèmes par
points.
On voit bien que vous voulez généraliser ce système pour que les
partenaires sociaux décident eux-mêmes de la façon dont ils se feront hara-kiri.
Ils pourront décider de la meilleure façon de se saigner, entre se couper un
bras, une jambe ou un orteil. Ils vont vraiment avoir le choix ; ça va
discuter !
J’ai tout de même l’impression, monsieur le secrétaire
d’État, que les partenaires sociaux sont majoritairement opposés à votre
retraite par points.
M. François
Ruffin. Tous, même !
M. Jean-René
Cazeneuve et M. Frédéric Petit. C’est faux !
M. Ugo
Bernalicis. Peut-être avons-nous mal lu les tracts de
l’intersyndicale ? Peut-être avons-nous mal vu ceux qui défilaient dans la
rue ? Peut-être avons-nous mal compris ? (Exclamations sur
plusieurs bancs des groupes LaREM, MODEM et UDI-Agir.) Quant à l’opposition
au système par points de notre côté de l’hémicycle, ce n’est pas une nouveauté.
Vous pouvez en faire état pour que tout le monde sache bien qui est favorable à
un système prétendument universel pourri (Exclamations sur les bancs des
groupes LaREM et UDI-Agir) et qui est favorable à une réforme des retraites
progressiste.
M. le
président. La parole est à M. Joël Aviragnet.
M. Joël
Aviragnet. Monsieur le secrétaire d’État, je crois avoir été clair en
soutenant mon amendement : je conteste le fait de calculer les pensions à
partir de l’ensemble de la carrière au lieu des vingt-cinq meilleures années. Ne
détournez pas mes propos !
M. Laurent
Pietraszewski, secrétaire d’État. L’AGIRC et l’ARRCO, c’est pour
l’ensemble de la carrière !
M. Joël
Aviragnet. Moi, ce qui me stupéfie, ce qui m’arrache les tripes, c’est
que vous baissiez les pensions de tout le monde ! (Applaudissements sur
les bancs des groupes SOC, FI et GDR.) Voilà ce que vous faites !
Plusieurs députés du groupe
LaREM. C’est faux !
M. Joël
Aviragnet. Quand on voit ce que vous avez distribué aux grandes fortunes
de notre pays, cela devient absolument ignoble !
M. le
président. Je mets aux voix les amendements no 25271 et
identiques.
(Il est procédé au scrutin.)
M. le
président. Voici le résultat du
scrutin :
Nombre de
votants 71
Nombre
de suffrages
exprimés 71
Majorité
absolue 36
Pour
l’adoption 6
Contre 65
(Les amendements no 25271 et
identiques ne sont pas adoptés.)
M. le
président. La parole est à Mme Bénédicte Taurine, pour soutenir
l’amendement no 16726 et les seize amendements identiques déposés par
les membres du groupe La France insoumise.
Mme
Bénédicte Taurine. Ils visent à supprimer l’alinéa 4 de
l’article 8.
M. le
président. Quel est l’avis de la commission sur ces
amendements ?
M. Nicolas
Turquois, rapporteur. Avis défavorable. Je ne reviens pas sur
l’alinéa 4 qui introduit les dispositions relatives à l’acquisition
annuelle des points inscrits au compte personnel de carrière.
Monsieur
Bernalicis, vous affirmez que les partenaires sociaux n’ont pas mis en place
eux-mêmes de système par points. Je vous invite vraiment à rencontrer des
historiens du système social français. La CGT a joué un rôle moteur lors de la
création de l’AGIRC, et FO a eu un rôle équivalent s’agissant de
l’ARRCO.
Monsieur Aviragnet, l’AGIRC et l’ARRCO procèdent à leurs calculs
en tenant compte de toute la carrière. Il faut arrêter de répéter que nous
baissons les retraites pour tout le monde : le montant des pensions versées
et le nombre de pensionnés seront sensiblement les mêmes avant et après la
réforme. Ce qui changera, c’est simplement la répartition entre les
pensionnés.
M. le
président. La parole est à M. Frédéric Petit.
M. Frédéric
Petit. Comment peut-on dire que la retraite de tout le monde baissera
alors que le montant des pensions versées – je ne parle pas en pourcentage
du PIB – sera multiplié quatre fois plus rapidement que le nombre de
retraités ? Si c’est cela, comme le disait le rapporteur hier soir, où
passe l’argent ? Arrêtez de dire que nous baissons la retraite de tous, et
cessez de vouloir jouer sur les sentiments ! Nous avons réfléchi : le
MODEM travaille sur le sujet depuis dix ans.
Je veux bien qu’on ne soit
pas d’accord : nous avons bien compris que la gauche veut qu’on augmente
les cotisations. Nous avons choisi un autre système, mais ne dites pas que
celui-ci change les grands équilibres de la répartition ! Notre loi ne
transforme absolument pas l’entrée des cotisations sauf en l’augmentant, puisque
le plafond passe d’un PASS à trois PASS et que le taux monte à 28 %. Le
nombre de retraités ne change pas – c’est une affaire de
démographie –, mais nous garantissons une retraite minimale aux plus
modestes et nous plafonnons les très hautes pensions. Alors vous pouvez donner
l’exemple de Jacqueline, de Robert ou de Gérard, mais arrêtez de dire que les
pensions vont baisser globalement, c’est complètement faux !
(Applaudissements sur les bancs des groupes MODEM et LaREM.)
M. Rémy
Rebeyrotte. Bravo !
M. le
président. La parole est à M. François Ruffin.
M. Sylvain
Maillard. Il va nous reparler de Jacqueline !
M. François
Ruffin. Oui, nous allons continuer à dire que les pensions vont
baisser…
M. Rémy
Rebeyrotte. Cela n’en fera pas une vérité !
M. François
Ruffin. …et à expliquer pourquoi nous sommes opposés à la retraite par
points. En plus de ce changement, vous baissez la part des retraites dans le PIB
de 14 à 12,8 %, alors que vous savez qu’il y aura des centaines de milliers
de retraités supplémentaires. (Protestations sur les bancs du groupe MODEM.)
Pourquoi la plafonner ?
M. Frédéric
Petit. Elle n’est pas plafonnée !
M. François
Ruffin. Vous ne plafonnez pas la part des dividendes, alors pourquoi
celle des retraites ?
Un député du groupe
LaREM. Il fallait venir ce matin !
Mme Nadia
Hai. Si tu avais suivi les débats, tu saurais, Ruffin !
M. François
Ruffin. Deuxième point : pourquoi voulez-vous calculer les pensions
sur la totalité de la carrière et non plus sur les vingt-cinq meilleures
années ? Ce n’est pas lié à la retraite par points, c’est une autre règle
que vous glissez dans le texte.
Enfin, vous instaurez un mode de calcul
complètement incompréhensible. Je cite l’article 8 : « une
retraite d’un montant égal au produit de l’ensemble des points inscrits à son
compte personnel de carrière, à la date d’effet de sa retraite, par la valeur de
service du point fixée à cette date » et l’article 9 :
« Chacun de ces taux doit être supérieur à zéro et compris entre
l’évolution annuelle des prix hors tabac et l’évolution annuelle du revenu moyen
par tête », et ainsi de suite. (Vives exclamations sur les bancs des
groupes LaREM et MODEM.)
M. Jacques
Maire. Respirez ! Vous allez étouffer !
M. le
président. Laissez M. Ruffin parler ! Il en est à une minute
quinze, il a le droit de s’exprimer comme chacun de nous.
M. Patrick
Mignola. Il parle trop vite, on ne comprend rien !
M. François
Ruffin. Apparemment, une minute quinze de Ruffin, c’est déjà trop pour
la majorité !
M. Sylvain
Maillard. Ça, c’est vrai !
M. François
Ruffin. M. Turquois était présent aux états généraux de
l’alimentation. Lors du débat sur la loi du 30 octobre 2018 sur
l’agriculture, je lui ai dit que vous construisiez une usine à gaz
incompréhensible qui ferait le jeu des distributeurs. Je n’ai cessé de le
répéter. On m’a dit : mais non, il n’en sera rien. On voit ce qu’il en est
aujourd’hui. À la fin de la foire, on voit qui est le gagnant !
Aujourd’hui, le gagnant des états généraux de l’alimentation, c’est la grande
distribution.
M. Rémy
Rebeyrotte. C’est faux !
M. François
Ruffin. De la même manière, je vous dis aujourd’hui – on pourra le
vérifier, même si vous ne serez plus sur ces bancs depuis très longtemps –
à quoi conduiront la retraite par points et tout le reste que vous faites passer
en même temps : oui, tout cela conduira à la baisse des
pensions !
M. le
président. La parole est à M. Joël Aviragnet.
M. Joël
Aviragnet. Vous dites que globalement les retraites ne baisseront pas,
mais calculer le montant de la pension sur l’ensemble de la carrière est
toujours moins avantageux que de le faire sur les vingt-cinq meilleures
années ;…
M. François
Ruffin. Évidemment !
M. Joël
Aviragnet. …c’est exactement le même calcul que pour les notes d’un
élève sur une année scolaire ! Comment voulez-vous qu’on vous croie ?
Depuis le début du mandat, vous avez baissé toutes les prestations sociales, par
exemple l’aide personnalisée au logement (Applaudissements sur les bancs du
groupe FI. – Protestations sur les bancs des groupes LaREM et MODEM)…
M. Rémy
Rebeyrotte. Nous avons augmenté l’AAH !
M. Joël
Aviragnet. La seule chose que vous n’avez pas baissée, ce sont les
grandes fortunes !
M. Bruno
Questel. Arrêtez !
M.
Jean-René Cazeneuve. Menteur !
M.
Jean-Michel Fauvergue. C’est faux ! Nous avons surtout baissé le
chômage !
M. Joël
Aviragnet. Elles ont bien profité de la flat tax. Alors assumez ce que
vous êtes – des libéraux – et arrêtez d’endormir tout le monde !
(Mêmes mouvements.)
(Les amendements no 16726 et
identiques ne sont pas adoptés.)
M. le
président. Sur l’amendement no 26765 et les quinze
amendements identiques déposés par les membres du groupe de la Gauche démocrate
et républicaine, je suis saisi par le groupe de la Gauche démocrate et
républicaine d’une demande de scrutin public.
Le scrutin est annoncé dans
l’enceinte de l’Assemblée nationale.
La parole est à M. Alain
Bruneel, pour soutenir les amendements.
M. Alain
Bruneel. Je voudrais poser plusieurs questions. Dans le système que vous
proposez, chacun devient seul comptable de son sort et les droits à la retraite
reflètent les difficultés vécues pendant la carrière professionnelle sans les
corriger, malgré les prétendus dispositifs de solidarité. À ce propos, j’ai lu
– vous allez le confirmer ou me contredire – que les périodes de
chômage non indemnisé ne seront plus prises en compte dans les droits à la
retraite, alors que le système actuel permet de valider jusqu’à six trimestres
au moment de la première inscription à Pôle emploi, ce qui aujourd’hui profite
aux jeunes qui entrent sur le marché du travail. Lorsque la période de chômage
non indemnisé suit une période de chômage indemnisé, on se voit accorder quatre
trimestres pour les moins de 55 ans et jusqu’à vingt trimestres pour les
plus de 55 ans.
Aux termes de votre réforme, les périodes de chômage
indemnisé ne seront prises en compte que sur la base des allocations versées,
alors que le système actuel permet, lui, d’acquérir des trimestres. Le nouveau
système sera donc très pénalisant. Si vous confirmez mon propos, dès lors que
l’on prend en compte la carrière complète, les maigres points cumulés en période
de chômage auront une incidence négative sur le montant des pensions, tandis
qu’aujourd’hui, le calcul sur les vingt-cinq meilleures années neutralise les
périodes d’interruption involontaire d’activité.
M. le
président. Quel est l’avis de la commission ?
M. Nicolas
Turquois, rapporteur. Les articles relatifs à la solidarité et à
la prise en compte des périodes de chômage se situent plus loin dans le texte.
Les présents amendements proposent, à l’alinéa 4, de substituer au mot
« points » le mot « trimestres », donc ils n’ont pas du tout
le même objet. Je veux bien qu’on refasse le débat à chaque fois, mais nous
verrons ces questions plus tard. Mes corapporteurs seront plus à même
d’expliquer les choix qui ont été retenus.
Monsieur Ruffin, je vous mets
au défi de trouver dans le texte la mention du fait que l’on plafonnerait la
part des retraites à 14 % de PIB. Si vous la trouvez, on en reparle !
(Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe LaREM.)
Avis
défavorable.
M. le
président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. Laurent
Pietraszewski, secrétaire d’État. Monsieur Bruneel, je comprends
que vous vouliez parler du chômage, mais nous pourrons le faire dans le
titre III. Je rappelle néanmoins que dans le système actuel, si les
périodes de chômage donnent bien droit à des trimestres, les salaires
correspondants portés au compte sont à zéro. Vous parlez toujours de trimestres,
mais si on peut en distribuer beaucoup, c’est que cela n’a aucun impact
puisqu’ils n’amènent aucun salaire. Vous dites que le fait de calculer le
montant des pensions sur les vingt-cinq meilleures années lisse les difficultés
liées aux périodes de chômage, mais c’est faux, d’autant que vous m’avez
expliqué à de nombreuses reprises depuis le début des débats que les plus de
55 ans étaient fortement touchés par le chômage.
Or, comme on l’a
souligné dans l’échange avec le président Éric Woerth, mieux vaut que les
vingt-cinq meilleures années soient les vingt-cinq dernières. Je sais bien que
vous voulez défendre ceux qui se retrouvent au chômage entre 55 et 62 ou
63 ans, mais le système actuel les dessert pour le calcul de la pension
puisque les trimestres de chômage donnent lieu à des salaires portés au compte à
zéro. Quant aux salaires des vingt-cinq meilleures années, ils renvoient à des
périodes bien antérieures aux vingt-cinq dernières années et subissent donc une
dépréciation significative depuis que les pensions sont indexées sur l’inflation
et non sur le salaire moyen.
Attention donc à vos prises de
position : je sais que vous êtes dans une démarche de solidarité, d’où
votre vigilance sur ce point ; mais votre proposition aboutirait à
l’inverse de ce que vous recherchez. Je vous propose de retirer votre amendement
et de voter avec nous en faveur de cette grande évolution sociale que nous vous
soumettons, la retraite par points, qui permettra à ceux qui sont victimes
d’accidents de la vie et de chômage de voir leur pension calculée sur une
carrière complète.
M. le
président. La parole est à Mme Charlotte Lecocq.
Mme
Charlotte Lecocq. On veut systématiquement nous donner l’image de
méchants libéraux sans cœur et qui auraient baissé les prestations sociales.
C’est totalement faux : nous avons augmenté le minimum vieillesse et
l’allocation aux adultes handicapés. Dans le cadre du système universel de
retraite, nous attribuons des points de solidarité pour les incidents de
parcours que chacun peut rencontrer : chômage, maladie ou invalidité
– une mesure dont je suis fière. Ces périodes seront ainsi prises en
compte. À l’occasion des ateliers citoyens, nous avions constaté que nos
concitoyens attendaient cette mesure, qui représente une façon de pérenniser
notre contrat social dans le cadre du nouveau système de retraite.
(Applaudissements sur de nombreux bancs du groupe LaREM.)
M. le
président. La parole est à M. Stéphane Peu.
M. Stéphane
Peu. Je ne suis pas sûr qu’on se comprenne parfaitement : j’ai bien
écouté la réponse du secrétaire d’État, mais je n’ai pas été totalement
convaincu. Alain Bruneel a expliqué qu’aujourd’hui, ce sont les trimestres
accumulés qui permettent d’être éligible à la retraite, et le montant des
pensions est déterminé sur la base des vingt-cinq dernières années ou des six
derniers mois. Un jeune actif qui entre sur le marché du travail et se retrouve
au chômage non indemnisé bénéficie de six trimestres qui sont validés pour le
calcul de la durée légale. Après une période de chômage indemnisé, ce sont
quatre trimestres de chômage non indemnisé qui sont pris en compte
– jusqu’à vingt pour ceux qui ont plus de 55 ans. Tous ces trimestres
cumulés permettent d’atteindre le nombre nécessaire pour partir à la retraite.
Mais le montant de la pension, lui, est calculé sur les vingt-cinq meilleures
années ou les six derniers mois, ce qui neutralise du point de vue financier les
périodes de chômage non indemnisé. En revanche, les trimestres auxquels elles
donnent droit comptent dans l’accumulation du nombre nécessaire pour avoir droit
à la retraite.
Ce qui nous inquiète légitimement – il ne faut pas y
voir malice ! –, c’est qu’à partir du moment où on calculera la
pension sur l’ensemble de la carrière, y compris les périodes de chômage, les
montants baisseront mécaniquement. Par ailleurs, pour les jeunes qui entrent sur
le marché du travail, aujourd’hui, le chômage non indemnisé donne lieu à des
trimestres ; demain, ce ne sera plus le cas. Selon nous, ce changement en
matière de chômage non indemnisé induit donc un risque de préjudice, quel que
soit l’âge auquel on le subit.
M. le
président. La parole est à M. Frédéric Petit.
M. Frédéric
Petit. Monsieur Ruffin, vous avez commencé votre intervention en disant
que vous alliez « continuer à dire » ; d’abord, ce serait bien si
vous pouviez dire et non pas crier ; ensuite, je ne suis pas là pour dire
ou pour répéter, mais pour débattre. Je vais donc essayer de vous
convaincre.
La loi ne mentionne pas de pourcentage de PIB. Si vous
cherchez une valeur mathématique dans le texte, il y en a une : 28 %,
le taux de cotisation auquel nous souhaitons aboutir. Je vous rappelle que nous
incluons dans l’assiette 97 % des revenus, au lieu de 60 %
aujourd’hui. Multipliez-les par 28 % et vous obtiendrez le montant global
des pensions ; celui-ci est bien sûr évolutif, mais le Conseil
d’orientation des retraites – COR – donne des chiffres. Ce montant
n’est pas plafonné, il sera constaté.
Le système par points en finit avec
ce que je qualifie de logique assurantielle cumulée, qui est la vôtre :
vous prenez des itinéraires personnels et les additionnez. Il nous fait revenir
à ce qu’est la répartition : une démarche qui part du global, à savoir le
montant des cotisations qui rentrent dans la caisse – un montant et non un
pourcentage de PIB –, qui sera multiplié par quatre d’ici l’échéance dont
nous parlons. Comme je l’ai longuement expliqué pendant votre absence, monsieur
Ruffin, ce montant ne sera plus sur la table dans quarante-deux paniers, mais
dans un seul panier commun, et il ne sera plus divisé en fonction de chaque
petite histoire personnelle, mais avec un mode universel.
Surtout
– c’est pourquoi vous ne pouvez pas affirmer que les pensions vont
baisser –, le montant ou le panier global sera quatre fois plus gros
qu’aujourd’hui, alors que le nombre de gens qui se le partageront, même si on y
inclut ceux qui aujourd’hui n’ont pas de retraite ou ont une retraite indigne,
passera de 17 à 20 ou 21 millions. Donc le montant moyen des pensions sera
forcément plus élevé.
M. le
président. Nous allons mettre les amendements aux voix.
M. François
Ruffin. Ah non, je veux répondre ! (Protestations sur les bancs
des groupes LaREM et MODEM.)
M. Frédéric
Petit. Vous avez déjà parlé !
M. le
président. Monsieur Ruffin, vous vous êtes déjà exprimé !
(Protestations sur les bancs du groupe FI.)
Inutile de vous
énerver ! J’avais l’impression que M. Ruffin s’était déjà exprimé sur
ces amendements. Tout à l’heure, j’ai failli donner la parole à
Mme Lasserre alors que M. Petit s’était déjà exprimé. De telles
erreurs peuvent concerner tous les groupes, n’ayez aucune crainte.
Vous
avez la parole, monsieur Ruffin.
M. François
Ruffin. M. le rapporteur m’a mis au défi de trouver mention dans le
texte que les pensions de retraite seraient plafonnées à 14 % du PIB. Voici
un extrait de l’avis du Conseil d’État : « Le Conseil d’État constate
que le projet a pour objectif de stabiliser la dépense liée aux retraites à
14 % du PIB. Or le nombre de personnes de plus de soixante-cinq ans [est]
appelé à augmenter de 70 % d’ici à 2070 […]. »
M. Frédéric
Petit. Ce n’est pas dans le texte !
M. François
Ruffin. Par ailleurs, si l’on se réfère au tableau no 39 de
l’étude d’impact intitulé : « Effet de la réforme sur les dépenses de
prestations à horizon 2050 », on constate que la trajectoire des dépenses
rapportée au PIB évolue de la manière suivante : 13,6 % en 2025,
13,5 % en 2030, 13,3 % en 2040, 12,9 % en 2050.
M. Frédéric
Petit. Et quels sont les montants, s’il vous plaît ?
M. François
Ruffin. Évidemment, cela ne figure pas tel quel dans votre projet.
(« Ah ! » sur les
bancs du groupe LaREM.)
M. Ugo
Bernalicis. Parce que vous êtes des hypocrites !
M. François
Ruffin. Vous n’allez pas dire franchement aux Français :
« Nous allons baisser la part consacrée aux retraites dans la richesse
nationale,…
M.
Jean-Michel Fauvergue. C’est faux !
M. François
Ruffin. …alors tournez-vous vers AXA et BlackRock (Vives exclamations
sur les bancs du groupe LaREM. – Applaudissements sur les bancs du groupe FI)
et débrouillez-vous pour capitaliser. Ils ne l’accepteraient pas. Alors vous
déguisez la réalité.
M. Rémy
Rebeyrotte. C’est le grand complot !
M. François
Ruffin. Le fondement de tout cela, c’est que nous n’avons pas confiance
en vous, et les Français non plus.
M. Rémy
Rebeyrotte. Faux populaire, vrai populiste !
M. François
Ruffin. On ne peut pas avoir confiance en une majorité qui parle de
justice sociale alors que les grands marqueurs de son quinquennat ont été la
suppression de l’impôt sur la fortune (Applaudissements sur les bancs du
groupe FI. – Vives exclamations sur les bancs des groupes LaREM et MODEM) et
la désindexation des pensions pour les retraités.
M.
Jean-Michel Fauvergue. Et la baisse du chômage, vous
l’oubliez ?
M. le
président. Mes chers collègues, je vous en prie !
La parole
est à M. Paul Christophe et à lui seul.
M. Paul
Christophe. Je n’assurerai pas autant le spectacle, mais il est vrai que
je n’ai pas besoin d’alimenter un site en vidéos… (Applaudissements sur les
bancs des groupes UDI-Agir, LaREM et MODEM.)
Nous sommes bien
d’accord : le plafonnement des pensions n’est nullement inscrit dans le
projet de loi.
Il serait bon de citer aussi l’estimation du COR qui, avec
les mêmes hypothèses de croissance que celles sur lesquelles se fonde notre
projet, prévoyait que la part des retraites dans le PIB passerait de 14 % à
12,9 %. L’étude d’impact indique 12,8 % : la trajectoire est donc
quasiment la même.
En outre, c’est bien beau de parler d’un pourcentage
du PIB, mais encore faut-il savoir ce qu’il advient du PIB lui-même !
Plutôt que de raisonner à PIB constant et d’en conclure que le montant des
pensions va baisser, ce qui témoigne d’une vision assez réductrice, on peut
imaginer une autre évolution qui permette d’anticiper des jours meilleurs.
(Applaudissements sur les bancs des groupes UDI-Agir, LaREM et
MODEM.)
M. le
président. La parole est à M. Nicolas Turquois.
M. Nicolas
Turquois. Monsieur Ruffin, vous avez vos convictions mais, en tant que
rapporteur, j’aimerais vous faire une remarque. Pour moi qui dois être présent
tous les jours pendant toute la durée des débats, il est physiquement difficile
de vous entendre crier en permanence dès que vous êtes là. Exprimez-vous, c’est
votre droit le plus strict, mais faites-le en adaptant le volume sonore. La
fatigue s’accumule et…
M. Ugo
Bernalicis. Dès lorsque l’on est interrompu, on parle plus fort, c’est
normal ! La preuve, c’est que votre volume sonore est en train d’augmenter
aussi à mesure que je parle !
M. le
président. S’il vous plaît, monsieur Bernalicis.
M. Nicolas
Turquois. Je vous invite donc à faire en sorte que nous ayons des débats
plus posés.
M. le
président. La parole est à M. Éric Woerth.
M. Éric
Woerth. L’étude d’impact indique clairement que la part des retraites
dans le PIB va plutôt baisser au cours des trente ans à venir, ce qui signifie
que le niveau de vie moyen des retraités augmentera moins vite que le niveau de
vie moyen global.
M. Ugo
Bernalicis. Et voilà ! Ce n’est pas plus compliqué que
ça !
M. Éric
Woerth. C’est un choix, mais nous en verrons le résultat dans trente
ans.
Les retraités font entièrement partie de la nation économique :
ils contribuent à l’augmentation de la richesse nationale, même s’ils le font
d’une autre manière que les actifs, et il semblerait naturel qu’ils en
bénéficient aussi. Ce n’a pas été le cas par le passé puisque les retraites
étaient uniquement indexées sur l’inflation. De votre côté, vous allez indexer
le prix d’achat du point sur l’inflation et la valeur de service sur les
salaires, et ainsi faire se décrocher leur évolution au moins jusqu’en 2045. Vos
graphiques ne reconnaissent pas le fait que les retraités ne participent pas
moins mais autrement que les actifs à la création de richesse.
(M. Patrick Hetzel et M. Ugo Bernalicis
applaudissent.)
M. le
président. Je mets aux voix les amendements no 26765 et
identiques.
(Il est procédé au scrutin.)
M. le
président. Voici le résultat du
scrutin :
Nombre de
votants 75
Nombre
de suffrages
exprimés 75
Majorité
absolue 38
Pour
l’adoption 4
Contre 71
(Les amendements identiques no 26765
et identiques ne sont pas adoptés.)
M. le
président. Sur les amendements nos 16756 et
identiques, je suis saisi par le groupe La France insoumise d’une demande de
scrutin public.
Le scrutin est annoncé dans l’enceinte de l’Assemblée
nationale.
M. Bruno
Questel. Vous cherchez encore à ralentir les débats !
M. le
président. La parole est à M. Ugo Bernalicis, pour soutenir
l’amendement no 16756 et les seize amendements identiques
déposés par les membres du groupe La France insoumise.
M. Ugo
Bernalicis. Ne vous inquiétez pas, cher collègue : le scrutin est
annoncé à l’avance ; tout le monde a le temps de regagner sa place et il
faut dix secondes pour appuyer sur le bouton. (Exclamations sur les bancs du
groupe LaREM.)
Tout va bien se passer, ce n’est pas la peine de crier
ainsi.
M. Bruno
Millienne. Quel mépris vis-à-vis de vos collègues !
M. Ugo
Bernalicis. L’intervention du président Woerth me conduit à poser cette
question importante : comment comptez-vous faire évoluer la valeur
d’acquisition du point et la valeur de service ? À vous écouter, on
pourrait croire que ces deux courbes suivent la même trajectoire. Or, au vu des
objectifs poursuivis et compte tenu de la baisse de la part des pensions dans le
PIB, il y aura une décorrélation entre les deux. Vous n’allez pas indexer de la
même manière le prix d’acquisition du point et la valeur de service. En la
matière, nous aimerions avoir des certitudes.
Quant au collègue Petit qui
nous rabâche…
Mme
Brigitte Bourguignon, présidente de la commission spéciale. Je ne
sais pas qui rabâche le plus !
M. Ugo
Bernalicis. …que le montant global des pensions sera bientôt de
400 milliards d’euros parce que le PIB augmente chaque année et le montant
des pensions avec lui.
M. Bruno
Millienne. Ah, vous commencez à comprendre !
M. Ugo
Bernalicis. Le problème est que le coût de la vie augmente aussi. De
plus, le raisonnement ne vaut que dans un monde pur et parfait où les courbes
progresseraient tranquillement ; or une nouvelle crise financière n’est pas
à exclure. Je prédisais sa survenue avant 2022 mais, finalement, elle sera
peut-être corrélée à l’épidémie du coronavirus qui bouleverse l’économie
mondiale.
Cela montre bien que vos projections ne tiennent pas debout et
qu’il existe de forts risques de perte pour les futurs retraités en cas de
variations économiques intempestives. Les futurs retraités n’auront aucune
certitude quant à la valeur de leur retraite. C’est pourquoi nous restons
opposés à votre système dit universel de retraite par points. Il n’est pas
juste.
M. le
président. Quel est l’avis de la commission ?
M. Nicolas
Turquois, rapporteur. Supprimer l’alinéa 5 revient à
supprimer le cœur de notre système. J’y suis donc défavorable.
Vous avez
raison de dire qu’une crise mondiale peut secouer le système. Dans ce cas, un
système par répartition – dans lequel les cotisations d’une année
alimentent les pensions versées la même année – est beaucoup plus résilient
qu’un système par capitalisation. (M. Frédéric Petit
applaudit.) Or, contrairement à ce que vous dites, je vous confirme que nous
n’avons aucune intention de développer un système par capitalisation.
M. François
Ruffin. Dites-le à Axa, monsieur Turquois !
M. le
président. Inutile de crier ! Le rapporteur a la parole ;
écoutons-le. Et cela vaut pour toutes les travées et tous les bancs.
M. Nicolas
Turquois, rapporteur. Monsieur Ruffin, je n’ai pas interpellé qui
que ce soit pendant son intervention.
La solidarité sera renforcée par la
mutualisation et l’intégration dans le système d’une plus large part des
revenus. En regroupant les différents régimes, le système permettra aussi
d’amortir les chocs que pourrait subir telle ou telle profession. Reprenons
l’exemple des agriculteurs. Il y a quelques années, les ressources de la
Mutualité sociale agricole – MSA – ont été très affectées par la crise
des matières premières qui a ébranlé le secteur. La mutualisation permet
d’atténuer les conséquences d’une crise : on est plus fort quand on est
plus solidaire. C’est l’objectif de cette réforme. (Applaudissements sur
quelques bancs du groupe LaREM.)
M. le
président. La parole est à M. Éric Bothorel.
M. Éric
Bothorel. Monsieur le président, merci de tenir ces débats avec beaucoup
de brio alors même que vous étiez attendu à un événement important dans votre
circonscription. Je fais mon Jean Lassalle. (Sourires et
applaudissements sur plusieurs bancs du groupe LaREM.)
M. le
président. Il doit y être, d’ailleurs ! (Sourires.)
M. Éric
Bothorel. Du côté de Lasseube, on doit être fier de vous
aujourd’hui !
Plus sérieusement, je m’interroge. J’entends certains
députés, siégeant à gauche de l’hémicycle, répéter depuis des semaines que
l’étude d’impact est truquée, qu’elle n’est pas fiable. Or les mêmes, depuis
quelques jours, en citent des passages pour étayer leurs arguments. Si cette
étude d’impact est vraiment bonne à jeter, pourquoi en faire état ici ?
J’aimerais comprendre ! (Applaudissements sur quelques bancs du groupe
LaREM.)
M. le
président. La parole est à M. Jean-Paul Mattei.
M.
Jean-Paul Mattei. À mon tour, je souligne l’excellence de la présidence.
(Sourires sur les bancs des groupes LaREM et MODEM.)
M. le
président. Cela devient suspect !
M.
Jean-Paul Mattei. Plus sérieusement, je me suis absenté hier après-midi
et ce matin, tout en essayant de suivre les débats, et je constate que la
méthode n’a pas changé : des amendements proposent de supprimer tous les
alinéas, l’un après l’autre.
Pour ma part, je trouve que cette réforme
est bonne. Le compte personnel et la méthode d’acquisition des points permettent
aux futurs retraités d’avoir une bonne visibilité de leur future pension. C’est
une méthode moderne. Quand j’entends mes collègues de l’opposition, j’ai
l’impression d’entendre des gens chagrins, inquiets.
(M. François Ruffin s’exclame.) Ils ne sont pas dans
la modernité, contrairement au bel outil que l’on nous propose – même s’il
n’est pas vraiment nouveau.
Il faudrait d’ailleurs aborder les sujets
dans l’ordre. Ainsi, M. Bernalicis évoque les méthodes d’acquisition de
points, dont il est question à l’article 9.
M. Ugo
Bernalicis. À l’article 8 aussi !
M.
Jean-Paul Mattei. Mais je voudrais surtout insister sur la modernité de
ce texte, sur son caractère lisible pour les jeunes, avec lesquels je discute
beaucoup. Avant les débats, j’entendais nombre de jeunes me dire qu’ils ne
comptaient pas avoir de retraite. Ils ont maintenant l’impression qu’ils en
auront une. C’est vraiment un point positif. (Applaudissements sur quelques
bancs des groupes MODEM et LaREM.)
M. François
Ruffin. Malgré votre difficulté à voir à 180 degrés, je veux, moi
aussi, saluer votre présidence.
Monsieur le rapporteur, vous m’avez lancé
au défi. Or les données relatives au plafonnement des retraites figurent bien
dans l’avis du Conseil d’État et dans l’étude d’impact. Je ne sais pas combien
de coups j’ai gagné à la buvette, mais le fait est que le défi est
relevé.
Ensuite, vous me dites que je crie trop fort. Je suis ce que je
suis. Mon éducation politique, je ne l’ai pas faite dans des bureaux feutrés.
(Protestations sur les bancs des groupes LaREM et MODEM.)
Mme
Brigitte Bourguignon, présidente de la commission spéciale. Nous
non plus !
M. Gilles
Le Gendre. Quelle caricature !
M. Rémy
Rebeyrotte. Faux populaire, vrai populiste !
M. François
Ruffin. J’en garde ici la trace. Ça ne peut pas vous faire de mal
d’avoir un fumet, un échantillon de ce que pourraient être le bruit et l’odeur
du pays réel…
M. Rémy
Rebeyrotte. Ah, la démagogie !
M. François
Ruffin. …lorsque vous rentrerez dans vos circonscriptions avec l’immense
satisfaction d’avoir réformé le système de retraite. Je viens vous en apporter
un avant-goût, et je pense que vous devriez m’en remercier.
M. Rémy
Rebeyrotte. Fouquier-Tinville d’opérette !
M. François
Ruffin. Quant au raisonnement de M. Petit selon lequel le PIB sera
multiplié par quatre au cours des prochaines décennies, depuis que je suis né
– c’est-à-dire depuis 1975 – et déjà même dans le ventre de ma mère,
je n’ai entendu que ce mot : croissance !
La croissance était
censée nous apporter le bonheur, l’emploi et la prospérité, et, aujourd’hui,
c’est sur cette croissance exponentielle que viendraient s’adosser nos
retraites. Eh bien, cela ne me rassure pas, ni pour nos retraites, ni pour la
planète ! (M. Ugo Bernalicis applaudit.)
Cela ne me rassure pas pour nos retraites car vos projections
économiques sont fondées sur des hypothèses plus qu’incertaines : nous
n’avons aucune garantie que le taux de croissance continuera de croître, nous
faisant prospérer indéfiniment. D’ailleurs, je ne le souhaite pas ! Notre
gâteau est déjà pourri : la solution n’est pas de le faire grossir encore
et encore. La croissance n’est pas compatible avec les exigences
environnementales ! Nous devons donc y renoncer. (Applaudissements sur
les bancs du groupe FI.)
M. Rémy
Rebeyrotte. Il faut une autre croissance, mais une croissance !
M. François
Ruffin. Ce qui est important aujourd’hui, c’est la répartition du
gâteau !
M. le
président. Je mets aux voix les amendements no 16756 et
identiques.
(Il est procédé au scrutin.)
M. le
président. Voici le résultat du
scrutin :
Nombre de
votants 71
Nombre
de suffrages
exprimés 70
Majorité
absolue 36
Pour
l’adoption 4
Contre 66
(Les amendements no 16756 et
identiques ne sont pas adoptés.)
Suspension et reprise de la séance
M. le
président. La séance est suspendue.
(La séance, suspendue à seize heures quarante-cinq, est reprise à seize
heures cinquante-cinq.)
M. le
président. La séance est reprise.
La parole est à
M. Stéphane Peu pour soutenir l’amendement no 26766 et les
quinze amendements identiques déposés par les membres du groupe de la Gauche
démocrate et républicaine.
M. Stéphane
Peu. M. Mattei l’a lui-même souligné : le mode de calcul du
point sera précisé ultérieurement. Les modalités d’acquisition des points sont
cependant évoquées à l’alinéa 5 de l’article 8, sur lequel portent nos
amendements.
Si j’ai bien compris, pour calculer le nombre de points
inscrits au compte personnel de carrière, il faudra diviser le montant de la
cotisation payée par la valeur d’acquisition du point. Un nouvel outil fait donc
son apparition : la valeur d’acquisition.
C’est un outil central
puisqu’il déterminera le nombre de points obtenus par un salarié et, in fine, le
montant de sa pension. Malheureusement, sur cette valeur d’acquisition du point,
nous ne disposons, une fois encore, d’aucune information. Le montant de
10 euros figurait dans le rapport de Jean-Paul Delevoye pour un système
universel de retraite, mais le projet de loi ne donne aucune précision. Cette
absence n’est pas la seule que nous déplorons – nous avons déjà souligné
les nombreux trous de la réforme –, mais elle est particulièrement criante
et préjudiciable.
Le problème soulevé par la valeur d’acquisition du
point est évident : si cette valeur augmente, il en résultera, pour un même
montant de cotisations, un moindre nombre de points. Pour obtenir un nombre de
points suffisant, un salarié devra donc travailler plus longtemps ou faire plus
d’heures supplémentaires.
Compte tenu des nombreux trous qui existent
aujourd’hui dans le projet de loi, le système universel de retraite n’est
absolument pas rassurant. C’est pourquoi nous pensons préférable de maintenir,
tout en l’améliorant, le système actuel, basé sur des trimestres et des
annuités.
M. le
président. Quel est l’avis de la commission ?
M. Nicolas
Turquois, rapporteur. Avis défavorable. J’ai déjà expliqué au
début de l’examen de l’article 8 pourquoi nous considérons que le système du
point est un outil de valorisation plus fin que le trimestre, puisque ce dernier
correspond à la fois à une durée et à une valeur portée au compte et qu’il peut
arriver que cette dernière soit insuffisante pour être comptabilisée.
Pas
plus que vous, je n’ai été élevé dans un bureau feutré, monsieur Ruffin ;
mais on m’a expliqué que le travail se manifestait dans la durée et pas par des
interventions ponctuelles. En outre, il n’interdit pas une politesse dans les
échanges : on peut avoir des positions extrêmement différentes, je ne le
conteste pas, mais il est possible de les défendre de façon plus
respectueuse.
M. le
président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. Laurent
Pietraszewski, secrétaire d’État. J’essaie de comprendre ce qui
fonde votre inquiétude, monsieur Peu. Vous soulignez que la valeur d’acquisition
du point va progresser – mais, je l’ai dit, ce sera comme celle de la valeur de
service. Par conséquent, même si un point coûte un peu plus cher à l’achat que
quelques années plus tôt, il vaudra aussi un peu plus cher lors de la
liquidation, puisque la valeur de service aura elle aussi augmenté. Et comme les
cotisations salariales se calculent en pourcentage du salaire et que, même si
celui-ci est modeste, il bénéficie au moins de la dynamique du SMIC et de
l’inflation, il y aura une progression, sachant que les valeurs d’achat et de
service seront réévaluées a minima au niveau de l’inflation et progresseront,
jusqu’en 2045, sur la base du revenu moyen d’activité par tête. La valeur
d’achat du point va augmenter, mais sa valeur de service aussi, et de la même
façon : un point vaudra un peu plus cher, mais donnera aussi un peu plus de
droits à pension et dans la même proportion. Avis défavorable.
M. le
président. La parole est à Mme Marie-Christine Dalloz.
Mme
Marie-Christine Dalloz. Je vais vous lire, monsieur le secrétaire
d’État, chers collègues de la majorité, des extraits de l’article très
intéressant, que vous découvrirez demain, de Jean Pisani-Ferry – il doit
vous dire quelque chose, le programme du candidat devenu depuis Président de la
République s’étant largement inspiré de ses travaux – : « Pour la
grande majorité des actifs, et en particulier pour les plus jeunes, la question
la plus lourde, en matière de retraites, est de savoir sur quel niveau de
pension ils vont pouvoir compter demain. » C’est la vraie question, et nous
en débattons depuis maintenant treize jours dans cet hémicycle. Mais votre
réforme est l’inverse d’une réponse, car vous n’avez réussi qu’à attiser les
angoisses : « Un régime par répartition », poursuit-il,
« est un contrat par lequel les actifs investissent collectivement dans les
performances économiques futures du pays. Au lieu d’acheter des titres
financiers, comme avec la capitalisation, ils acquièrent collectivement des
droits sur la croissance à venir. L’objet des règles de la répartition est de
définir avec précision ces droits. […] Mais le texte en discussion au Parlement
reste elliptique sur plusieurs points importants, [notamment parce que]
l’indexation ne sera complète qu’en 2045 […]. » Ce n’est pas moi qui le
dis : je viens de vous lire un extrait de l’article qui sortira demain.
2045… C’est cette période d’incertitudes de vingt-cinq ans qui devrait vous
conduire à vous interroger.
M. Nicolas
Forissier. Très bien !
M. le
président. La parole est à M. Ugo Bernalicis.
M. Ugo
Bernalicis. Premier point : j’aimerais vraiment comprendre quelles
sont les intentions du Gouvernement – par delà même les intentions du
conseil d’administration de la future Caisse nationale de retraite
universelle – quant à l’évolution de la valeur d’acquisition du point et de
la valeur de service. Vous dites que l’une comme l’autre vont monter, les effets
de l’éventuelle augmentation de la première étant annulés par ceux de
l’augmentation de la seconde. Mais la valeur d’achat est définie au moment où on
cotise, elle est fixée annuellement pendant toute la période d’activité,
éventuellement plus de quarante ans, alors que la valeur de service, c’est du
one shot : elle est définie au moment où on liquide ses droits à la
retraite. Si pendant quarante ans, l’évolution de la valeur d’acquisition a été
plus rapide que celle de la valeur de service, vous vous retrouverez avec un
capital de points achetés que vous ne pourrez utiliser qu’à une valeur moindre.
C’est une probabilité, parce que rien dans votre texte ne prévoit que
l’évolution des deux valeurs soit corrélée.
Second point : je tiens
tout de même à préciser au Gouvernement et à l’ensemble de la représentation
nationale que les dix-sept membres du groupe La France insoumise ont fait
l’effort de s’intéresser au fond du sujet et à celui des soixante-cinq articles
du texte. Comme dans tous les autres groupes, nous nous relayons pour tenir sept
jours sur sept et suivant les horaires que chacun connaît ; mais il y a des
groupes comme le nôtre, où tout le monde prend la parole, et d’autres où
interviennent toujours les mêmes, parce que ceux qui ne suivent que
ponctuellement le texte ne la demandent pas. Je préférerais entendre 100 %
des collègues, parce que nous aurons tous à nous prononcer sur ce texte. Oui, je
suis fier que nous nous relayions tout en intervenant ponctuellement davantage
sur tel ou tel article. Je voulais le dire, parce que cette méthode n’enlève
rien à la valeur de nos arguments et à nos valeurs individuelles.
(Applaudissements sur les bancs du groupe FI.)
(Les amendements identiques nos 26766
et identiques ne sont pas adoptés.)
M. le
président. Je suis saisi d’un amendement no 2555 qui
fait l’objet de plusieurs sous-amendements, nos 42605, 42604,
42606 et 42601.
La parole est à M. Joël Aviragnet, pour soutenir
l’amendement.
M. Joël
Aviragnet. Avant de défendre cet amendement, monsieur le président, je
souligne que la confrontation qui a eu lieu tout à l’heure sur la part du PIB
consacrée aux retraites illustre le manque de précision et même le flou du
texte. Il est extrêmement compliqué de travailler à partir d’éléments qui
manquent à tous les niveaux. J’ai bien vérifié : il n’y a rien dans le
texte sur les variables importantes, qui n’y figurent pas davantage que la part
du PIB consacrée aux retraites. Où trouver l’âge pivot, le taux de la décote, la
valeur d’acquisition du point, la valeur de service ? Dans ces conditions,
la représentation nationale est dans l’impasse : je ne vois pas comment
nous pourrions aller plus loin. Toutes ces lacunes nous placent dans une
situation extrêmement compliquée si nous voulons travailler sérieusement et de
manière profitable.
Cet amendement vise à s’assurer que toute heure
travaillée donne lieu aux mêmes droits en matière d’acquisition de points, sans
considération de temps de travail annuel. Là encore, il s’agit d’introduire une
précision qui manque. Je rappelle que le système actuel repose sur la notion de
temps plein travaillé, correspondant à tant d’heures par mois ou par an, avec
des incidences sur la comptabilisation des trimestres et donc du niveau de la
pension. Afin de lever toute ambiguïté quant à cette question de la valeur des
points en fonction du nombre d’heures travaillées, et donc de la définition
d’une carrière complète dans un régime par points, le présent amendement propose
de préciser que toute heure travaillée donnant lieu au versement de cotisations
ouvre les mêmes droits indépendamment du nombre d’heures travaillées dans
l’année, le référentiel annuel étant retenu pour se calquer sur la temporalité
de calcul des points.
M. le
président. Les sous-amendements nos 42605 et 42604 de
M. Sébastien Jumel, 42606 de M. Pierre Dharréville et 42601 de
M. Sébastien Jumel sont défendus.
Quel est l’avis de la commission
sur l’amendement et les sous-amendements ?
M. Nicolas
Turquois, rapporteur. Avis défavorable. Dans le système proposé,
monsieur Aviragnet, nous avons une valeur d’acquisition du point et une valeur
de liquidation – la valeur dite de service –, l’une et l’autre pouvant
évoluer de la même façon à la base ou légèrement différemment en fonction de la
décision du conseil d’administration de la CNRU ; nous avons aussi un âge
d’équilibre qui s’appliquera à tout le monde. Cela fait trois variables. Je vous
invite à faire un inventaire exhaustif des variables qui existent aujourd’hui
dans les différents régimes : vous verrez qu’elles ne sont pas les mêmes.
Il serait faux de dire qu’il faut multiplier le nombre de variables du nouveau
système par autant de régimes existants pour aboutir au nombre de variables
actuelles, car certains des quarante-deux régimes partagent des variables
communes, mais je vous assure que ce sera beaucoup plus clair : la CNRU
aura ces trois instruments de pilotage à sa main pour gérer au mieux le système
en tenant compte des évolutions démographiques et économiques.
J’ai
trouvé votre réflexion intéressante, monsieur Bernalicis, et je n’y ai vu aucune
malice. Vous vous inquiétez de la valeur que pourront avoir les points acquis
quarante ans plus tôt, estimant qu’ils vaudront moins cher si le taux de
rendement baisse ; mais je vous rappelle que nous restons dans un système
par répartition. Dans son rapport, M. Delevoye avait fixé à 10 euros la
valeur d’acquisition du point et à 55 centimes sa valeur de liquidation, soit un
taux de rendement de 5,5 % dans le cadre d’un système par répartition. Le
taux de rendement a donc été calculé à partir de la situation actuelle, comme si
les points étaient acquis et les pensions servies aujourd’hui, pas quand vous et
votre génération partiront à la retraite. C’est la différence avec un système
par capitalisation, où on rechercherait tel ou tel taux de rendement à partir du
montant du capital investi. Le système permettra d’acquérir des droits, qui
seront valorisés en fonction de l’évolution de l’équilibre entre pensions et
cotisations au moment de la liquidation des droits, soit dans quarante ans si
vous êtes en début de carrière. Ne réfléchissons pas comme s’il s’agissait d’un
placement à titre personnel, mais voyons le système comme un mécanisme annuel de
cotisation et de redistribution. Le taux de 5,5 % est le rapport entre la
valeur du point acquis chaque année et la valeur du point servi chaque
année.
S’agissant de l’indexation, j’ai entendu Mme Dalloz citer
Jean Pisani-Ferry pour critiquer l’échéance fixée à 2045. Mais dès l’entrée en
vigueur du système et jusqu’en 2045, on passera a minima d’une évolution des
pensions suivant l’inflation à une évolution suivant les revenus, ce qui sera
une variable meilleure parce que plus dynamique.
M. Éric
Woerth. Ce n’est qu’une intention !
Mme
Marie-Christine Dalloz. Il y aura des à-coups de croissance !
M. Nicolas
Turquois, rapporteur. Mais comme l’indexation sur l’inflation
n’assure qu’une augmentation minimale des retraites, mieux vaut un système plus
dynamique, sachant que la CNRU sera là pour assurer la transition, en
l’occurrence pour faire passer d’un mode d’indexation à un autre. Le texte
prévoit une échéance ; libre à la CNRU de faire une transition plus rapide
si elle estime en maîtriser l’ensemble des paramètres, sachant que sa
composition changera nécessairement au fur et à mesure, avec de nouvelles
entrées dans son conseil d’administration d’ici 2045. Le système général sera
généralisé pour les générations concernées en 2025, avec retour à l’équilibre en
2027, certaines professions relevant des régimes spéciaux y entrant plus tard.
Il faut donc laisser la main à la CNRU pour lui permettre d’utiliser les outils
à sa disposition afin de régler le plus finement possible cette intégration dans
le système universel. (Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe
MODEM.)
M. le
président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. Laurent
Pietraszewski, secrétaire d’État. Monsieur le député, votre
amendement porte sur la quotité annuelle de travail. Je crois que M. le
rapporteur vous a répondu assez complètement et que j’ai déjà indiqué à
plusieurs reprises comment la durée de travail serait comptabilisée. Elle n’aura
de toute façon de sens que dans des cas tout à fait particuliers, notamment
celui du minimum contributif ; elle sera alors reconstituée au travers
d’une recherche individualisée pour savoir s’il y a bien eu l’équivalent de
600 heures-SMIC de cotisation sur une année. Si la réponse est positive,
l’année sera entièrement validée, même s’il n’y a eu que quelques mois
travaillés – quelques mois à temps plein peuvent aboutir à
600 heures-SMIC sur l’année – ; si la réponse est négative, on ira
voir dans l’année le nombre de mois où la personne aura travaillé a minima
50 heures. Pour les personnes non concernées par le minimum de pension, je
confirme une nouvelle fois que la première heure travaillée donnera des droits.
Avis défavorable.
(Les sous-amendements nos 42605, 42604,
42606 et 42601, successivement mis aux voix, ne sont pas adoptés.)
(L’amendement no 2555 n’est pas
adopté.)
Suspension et reprise de la séance
M. le
président. La séance est suspendue.
(La séance, suspendue à dix-sept heures quinze, est reprise à dix-sept
heures vingt-cinq, sous la présidence de M. Richard
Ferrand.)
Présidence de M. Richard Ferrand
M. le
président. La séance est reprise.
Application de l’article 49, alinéa 3, de la
Constitution
M. le
président. La parole est à M. le Premier ministre. (Mmes et MM.
les députés des groupes LaREM et MODEM se lèvent et applaudissement
longuement.)
M. Ugo
Bernalicis. Rappel au règlement, monsieur le président ! Le Premier
ministre interrompt les travaux du Parlement ! Cela s’appelle la
démocratie !
M. Édouard
Philippe, Premier ministre. Depuis la fin du mois de janvier,
d’abord en commission spéciale, puis en séance publique, l’Assemblée nationale
examine les projets de loi – projet de loi simple et projet de loi organique –
instituant un système universel de retraite. Après plus de 115 heures de
débats en séance publique, de jour comme de nuit, week-end inclus, l’Assemblée
nationale en est arrivée à l’article 8 d’un projet de loi ordinaire qui en
compte 65. Plus de 29 000 amendements – 29273, si mon compte est bon –
restent à examiner.
Permettez-moi de rendre un hommage appuyé à tous les
membres de la commission spéciale, à sa présidente, au rapporteur général, ainsi
qu’aux différents rapporteurs (Applaudissements sur les bancs des groupes
LaREM, MODEM, UDI-Agir et LT), qui ont fait preuve d’une très grande
persévérance dans l’exercice de leur mission. Ils ont tenté de présenter un
texte, de le corriger, de le compléter, d’éclairer les Français sur les enjeux
d’une transformation majeure.
M. Ugo
Bernalicis. Et d’insulter l’opposition !
M. Édouard
Philippe, Premier ministre. Ce travail, qui a été conduit dans un
contexte parfois tendu, a témoigné d’exceptionnelles qualités de sang-froid et
de maîtrise.
Pour assumer leur mission et tout simplement faire leur
travail, beaucoup de députés, de la majorité comme des oppositions, ont dû faire
face dès le début de leurs travaux à une stratégie d’obstruction délibérée de la
part d’une minorité, une stratégie – je me permets de le rappeler puisqu’elle a
été présentée et assumée comme telle – qui avait pour unique finalité d’empêcher
la tenue du débat ou d’interdire le fait qu’il puisse arriver à son
terme.
Force est donc de constater que la discussion sur le fond n’a
jamais vraiment pu se lier, ou alors de manière parcellaire et souvent décousue.
Je le regrette profondément, comme vous tous sur ces bancs, comme des millions
de Français.
M. François
Ruffin. Vous pouviez parfaitement utiliser la procédure du temps
législatif programmé ! Vous aviez le choix !
M. Édouard
Philippe, Premier ministre. J’attendais beaucoup de ce débat.
Nous l’avons abordé, en ce qui nous concerne, dans un esprit d’ouverture.
(Exclamations sur les bancs du groupe FI.)
M. François
Ruffin. Vous avez choisi la procédure accélérée !
M. Édouard
Philippe, Premier ministre. Ce débat aurait dû permettre de
constater nos convergences et nos désaccords, de clarifier nos positions, de
confronter nos points de vue devant les Français,…
M. François
Ruffin. Vous n’avez pas cherché le débat, mais les incidents !
M. le
président. S’il vous plaît ! Calmez-vous !
M. Édouard
Philippe, Premier ministre. …en respectant les règles de cette
assemblée. (Applaudissements sur les bancs des groupes LaREM, MODEM et
UDI-Agir.)
M. Ugo
Bernalicis. Monsieur le président ! Rappel au règlement !
M. Édouard
Philippe, Premier ministre. Ce débat aurait dû nous permettre de
répondre aux questions parfaitement légitimes et très précises que des
oppositions ont soulevées.
M. François
Ruffin. Vous avez fait campagne au Havre ! Vous débarquez au
milieu de la discussion et vous dites : « Le débat est
terminé ! »
M. Édouard
Philippe, Premier ministre. Et je dois dire, mesdames et
messieurs les députés, qu’il n’y a pas beaucoup d’illustrations aussi éloquentes
que ce à quoi nous assistons en ce moment ! (Applaudissements sur les
bancs des groupes LaREM, MODEM et UDI-Agir.)
M. Patrick
Mignola. Cela fait deux semaines que ça dure !
M. Édouard
Philippe, Premier ministre. Le débat aurait dû nous permettre de
répondre aux questions parfaitement légitimes et très précises que des
oppositions ont soulevées – des oppositions qui, parce qu’elles ont respecté la
démocratie en choisissant de déposer des amendements qui portent sur le fond,
ont été in fine privées du débat auquel elles avaient droit.
(Applaudissements sur les bancs des groupes LaREM, MODEM et UDI-Agir. – M.
Nicolas Forissier applaudit aussi.)
M. François
Ruffin. Vous n’aviez qu’à choisir le temps législatif
programmé !
M. Ugo
Bernalicis. Assumez !
M. Édouard
Philippe, Premier ministre. Voilà ce à quoi aurait dû ressembler
ce débat. (Applaudissements sur les bancs des groupes LaREM et MODEM.)
Rien à voir avec les dizaines de milliers d’amendements qui, pour
l’essentiel, n’avaient pas d’autre but que de bloquer l’examen du texte. Rien à
voir avec les incidents de séance à répétition orchestrés pour donner l’illusion
de l’action et du débat quand l’effet recherché était la paralysie. (Mêmes
mouvements.)
M. Ugo
Bernalicis. Il paraît que nous ne sommes rien ! Et vous, vous êtes
quoi ?
M. Édouard
Philippe, Premier ministre. Je ne m’étendrai pas sur l’image
particulièrement triste que renvoient de nos institutions les événements de ces
derniers jours.
Toutes les oppositions sont légitimes, bien sûr.
M. François
Ruffin. On ne dirait pas !
M. Édouard
Philippe, Premier ministre. Toutes les contestations doivent
évidemment s’exprimer, mais il me paraît qu’elles doivent le faire dans le
respect des institutions et des pratiques du débat républicain. Je n’ai pas le
sentiment que ce à quoi nous avons assisté soit ce que les Français, favorables
ou non au projet de loi, attendent de leurs représentants. Je n’ai pas non plus
le sentiment que notre démocratie puisse se payer le luxe d’un tel
spectacle,…
M. François
Ruffin. Et que pensent les Français de ce gouvernement ?
M. Édouard
Philippe, Premier ministre. …ni que notre pays puisse, au regard
des défis auxquels il fait face, gaspiller l’énergie de ses représentants dans
un tel exercice, (Applaudissements sur les bancs des groupes LaREM, MODEM et
UDI-Agir) énergie considérable, dévouée au bien public, que je veux saluer
sur tous les bancs de cet hémicycle. (Mêmes mouvements.) C’est un
bien dangereux et bien mauvais service que cette obstruction a pu lui rendre.
M. François
Ruffin. C’est un bien mauvais service que vous rendez au pays !
(« Chut ! » sur
plusieurs bancs des groupes LaREM et MODEM.)
M. le
président. Monsieur Ruffin, cela fait trois fois que je vous
reprends !
M. François
Ruffin. Que ce soit trois, quatre ou cinq fois, je ne me tairai
pas !
M. Édouard
Philippe, Premier ministre. C’est la raison pour laquelle,
conformément à l’article 49, alinéa 3 de la Constitution de 1958, et
après en avoir obtenu l’autorisation du Conseil des ministres du
29 février…
M. François
Ruffin. Il arrive tout seul, et prétend nous dicter…
(« Chut ! » et vives
exclamations sur plusieurs bancs des groupes LaREM et MODEM.)
M. Sylvain
Maillard. Ces interruptions sont honteuses !
Mme
Véronique Hammerer. Ça suffit !
Plusieurs députés des groupes
LaREM et MODEM. Ruffin, dehors !
M. le
président. Que tout le monde garde son calme et que personne ne réponde
aux provocations. Si vous persistez, monsieur Ruffin, la situation sera évoquée
devant le Bureau de l’Assemblée !
M. François
Ruffin. Qu’elle le soit ! Si vous croyez que cela me fait
peur !
M. le
président. Vous avez la parole, monsieur le Premier ministre.
M. Édouard
Philippe, Premier ministre. Je disais donc que c’était la raison
pour laquelle, conformément à l’article 49, alinéa 3 de la
Constitution de 1958, et après en avoir obtenu l’autorisation du Conseil des
ministres du 29 février, j’avais décidé…
M. François
Ruffin. D’en repasser par le peuple !
M. Édouard
Philippe, Premier ministre. …d’engager la responsabilité du
Gouvernement sur le projet de loi instituant un système universel de retraite,
non pour mettre fin au débat,…
M. François
Ruffin. Bien sûr que si !
M. Édouard
Philippe, Premier ministre. …mais pour mettre fin à cet épisode
de non-débat, qui prive le Parlement de sa fonction éminente de faire la loi
(De nombreux députés des groupes LaREM, MODEM et UDI-Agir se lèvent et
applaudissent vivement) et pour permettre à la suite du processus législatif
de s’engager. (Mêmes mouvements.)
M. Ugo
Bernalicis. Il y a un règlement, monsieur le président ! Vous ne
m’avez pas autorisé à faire un rappel au règlement ! Le règlement, vous y
faites référence quand ça vous arrange !
M. Édouard
Philippe, Premier ministre. Nous le savons bien, mesdames et
messieurs les députés : bien souvent, l’article 49, alinéa 3 de
la Constitution a été utilisé par des gouvernements obligés de faire face à
l’hostilité de leur majorité sur un texte de loi ou sur une ligne politique.
C’est arrivé. Ce n’est pas le cas aujourd’hui.
M. Ugo
Bernalicis. Et les démissions et départs, vous en faites quoi ?
M. Édouard
Philippe, Premier ministre. Cette majorité, dont la diversité est
une chance, s’est engagée, lors des élections législatives de 2017, à créer un
système universel de retraite (Applaudissements prolongés sur plusieurs bancs
des groupes LaREM, MODEM et UDI-Agir) – une des réformes les plus
ambitieuses et les plus complexes, c’est vrai, de ces dernières
années.
Je suis pour ma part fier de cette majorité, fier de sa
détermination et de sa mobilisation sans faille pour tenter de proposer un débat
démocratique à la hauteur des enjeux. Je suis fier qu’ensemble, depuis
juin 2017, mois après mois, nous ayons mis en œuvre le programme de
transformation voulu par le Président de la République – des transformations
qui, parfois, attendaient depuis bien trop longtemps d’être mises en œuvre.
(Applaudissements sur plusieurs bancs des groupes LaREM et MODEM.)
M. Ugo
Bernalicis. Des transformations antisociales ! Dites-le !
M. Édouard
Philippe, Premier ministre. À bien des égards, la situation dans
laquelle certains ont voulu nous mettre aujourd’hui est la preuve que ces
transformations nécessitent de l’abnégation et de la volonté politique.
M. Ugo
Bernalicis. La suppression de l’ISF, c’est de l’abnégation,
peut-être ?
M. Édouard
Philippe, Premier ministre. Pour respecter le travail du
Parlement et tenir compte de la pluralité de son expression politique,…
M. François
Ruffin. Et de la confusion entre l’exécutif et le législatif ! Tout
ça n’est que de l’habillage !
M. Édouard
Philippe, Premier ministre. …par esprit de dialogue et de
compromis avec les partenaires sociaux, j’engage la responsabilité du
Gouvernement sur un texte qui n’est pas le texte initial que nous avons déposé
sur le Bureau de l’Assemblée nationale. (Applaudissements sur les bancs des
groupes LaREM et MODEM.)
C’est un texte, mesdames et messieurs les
députés, amélioré, profondément enrichi, grâce à tous les amendements que nous y
intégrons.
M. Ugo
Bernalicis. Si ça, ce n’est pas autoritaire !
M. Édouard
Philippe, Premier ministre. Il traduit tout d’abord les deux
derniers mois des concertations engagées avec les partenaires sociaux sur les
sujets liés à la pénibilité, à l’emploi des seniors et à la transition.
(Mêmes mouvements.)
Prévention de la pénibilité dans les branches
professionnelles, développement de la retraite progressive et du compte épargne
temps dans les entreprises comme dans le secteur public : je ne cite là que
quelques exemples des nombreuses avancées issues de la démocratie sociale.
M. Ugo
Bernalicis. Que de mensonges !
M. Édouard
Philippe, Premier ministre. Vous le savez, les discussions avec
et entre les partenaires sociaux vont se poursuivre – sur la pénibilité dans sa
dimension de réparation, sur le financement et sur la gouvernance, notamment
dans le cadre de la conférence de financement.
M. Bruno
Millienne. Très bien !
M. Ugo
Bernalicis. La blague de la conférence de financement !
M. Édouard
Philippe, Premier ministre. Sur ces sujets, le texte reste donc
ouvert. Je veux le dire avec force : je fais confiance au dialogue social.
J’ai dit aussi à plusieurs reprises que je saurai prendre mes responsabilités si
cela s’avère nécessaire.
Le texte a été amélioré et enrichi aussi,
évidemment, grâce au travail parlementaire qui permet de consolider d’autres
mesures de justice sociale pour les personnes handicapées, pour les femmes et
pour les jeunes.
M. Ugo
Bernalicis. Quel tissu de mensonges !
M. Édouard
Philippe, Premier ministre. Je pense à la consolidation des
pensions de réversion ; je pense à des droits familiaux encore plus
protecteurs pour les femmes ; je pense à la retraite progressive à 55 ans
pour les personnes en situation de handicap.
(« Bravo ! » et vifs
applaudissements sur les bancs des groupes LaREM, MODEM et UDI-Agir.)
Le texte évolue, enfin, pour traduire l’engagement pris par le
Gouvernement de transformer des habilitations en articles rédigés « en
dur », comme on dit parfois. Ainsi, près de sept articles d’habilitation
sont transformés par des dispositions législatives d’application directe.
M. Ugo
Bernalicis. Plus que vingt-deux ordonnances ! Bravo !
M. Édouard
Philippe, Premier ministre. J’ose espérer qu’après l’adoption de
ce texte en première lecture, le débat pourra poursuivre son cheminement au
Parlement dans un climat apaisé. C’est le sens de la décision que j’ai prise de
recourir aux dispositions qui figurent à l’article 49, alinéa 3
de la Constitution,…
M. Ugo
Bernalicis. Vous le referez !
M. Édouard
Philippe, Premier ministre. …comme d’autres, dans des
circonstances analogues, l’ont fait avant moi. C’est le vœu du Gouvernement, et
je sais aussi que c’est le vœu de la très grande majorité d’entre vous. Je vous
remercie. (Mmes et MM. les députés des groupes LaREM, MODEM et UDI-Agir se
lèvent et applaudissent longuement.)
M. le
président. Merci, monsieur le Premier ministre.
L’Assemblée
nationale prend acte de l’engagement de la responsabilité du Gouvernement,
conformément aux dispositions de l’article 49, alinéa 3, de la
Constitution.
La liste des amendements que le Premier ministre a évoqués
est en train d’être distribuée. Le texte sur lequel le Premier ministre engage
la responsabilité du Gouvernement sera inséré en annexe au compte rendu de la
présente séance.
En application de l’article 155,
alinéa 1er, du règlement, le débat est immédiatement suspendu.
Ce texte sera considéré comme adopté, sauf si une motion de censure, déposée
avant demain, dix-sept heures trente-cinq, est votée dans les conditions prévues
à l’article 49 de la Constitution.
Dans l’hypothèse où une motion de
censure serait déposée, la Conférence des présidents fixera la date et les
modalités de sa discussion.
La séance est levée.
(La séance est levée à dix-sept heures quarante)
Le Directeur du service du compte rendu de la séance
de
l’Assemblée nationale
Serge Ezdra
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