Assemblée nationale XVe législature Session
ordinaire de 2019-2020
Compte rendu intégral
Première séance du mardi 03 mars 2020
SOMMAIRE
1.
Dépôt de motions de censure
2.
Questions au Gouvernement
Coronavirus
M. Maxime
Minot
M. Olivier
Véran, ministre des solidarités et de la santé
M. Maxime
Minot
Coronavirus
M. Pascal
Bois
M. Olivier
Véran, ministre des solidarités et de la santé
Recours
à l’article 49, alinéa 3 de la Constitution
M. Adrien
Quatennens
M. Édouard
Philippe, Premier ministre
Crise
migratoire
M. Vincent
Ledoux
M. Jean-Yves
Le Drian, ministre de l’Europe et des affaires étrangères
Crise
migratoire
M. Julien
Aubert
M. Jean-Yves
Le Drian, ministre de l’Europe et des affaires étrangères
M. Julien
Aubert
Hôpital
public
Mme Jeanine
Dubié
M. Olivier
Véran, ministre des solidarités et de la santé
Coronavirus
M. Hervé
Saulignac
M. Olivier
Véran, ministre des solidarités et de la santé
M. Hervé
Saulignac
Réforme
des retraites
Mme Nathalie
Elimas
M. Laurent
Pietraszewski, secrétaire d’État chargé des retraites
Réforme
des retraites
M. Jean-Paul
Lecoq
M. Laurent
Pietraszewski, secrétaire d’État chargé des retraites
Réforme
des retraites
Mme Valérie
Beauvais
M. Laurent
Pietraszewski, secrétaire d’État chargé des retraites
Situation
à Idlib et crise migratoire
M. Pieyre-Alexandre
Anglade
M. Jean-Yves
Le Drian, ministre de l’Europe et des affaires étrangères
Situation
de l’hôpital et crise du coronavirus
M. Robin
Reda
M. Olivier
Véran, ministre des solidarités et de la santé
Diplomatie
féministe
Mme Céline
Calvez
Mme Marlène
Schiappa, secrétaire d’État chargée de l’égalité entre les femmes et les hommes
et de la lutte contre les discriminations
Retour
et libération de djihadistes
Mme Marie-France
Lorho
Mme Nicole
Belloubet, garde des sceaux, ministre de la justice
Commission
d’enquête sur l’étude d’impact relative à la réforme des retraites
M. Boris
Vallaud
M. Édouard
Philippe, Premier ministre
M. Boris
Vallaud
Situation
des femmes en Afghanistan
Mme Frédérique
Dumas
M. Jean-Yves
Le Drian, ministre de l’Europe et des affaires étrangères
Lutte
contre les violences sexuelles
Mme Danièle
Obono
Mme Marlène
Schiappa, secrétaire d’État chargée de l’égalité entre les femmes et les hommes
et de la lutte contre les discriminations
Coronavirus
M. Jean-Pierre
Door
M. Olivier
Véran, ministre des solidarités et de la santé
Cités
éducatives
Mme Sylvie
Charrière
M. Julien
Denormandie, ministre chargé de la ville et du logement
Cumul
des mandats
Mme Valérie
Lacroute
M. Édouard
Philippe, Premier ministre
Mme Valérie
Lacroute
Situation
en Syrie
M. Joaquim
Pueyo
M. Jean-Yves
Le Drian, ministre de l’Europe et des affaires étrangères
Livre
blanc de la sécurité intérieure
M. Stéphane
Baudu
M. Christophe
Castaner, ministre de l’intérieur
Coronavirus
M. Alain
Bruneel
M. Olivier
Véran, ministre des solidarités et de la santé
Inclusion
numérique
Mme Dominique
David
M. Cédric
O, secrétaire d’État chargé du numérique
Loi
de programmation pluriannuelle de la recherche
Mme Sylvie
Tolmont
Mme Frédérique
Vidal, ministre de l’enseignement supérieur, de la recherche et de
l’innovation
Éolien
terrestre
Mme Laure
de La Raudière
Mme Élisabeth
Borne, ministre de la transition écologique et solidaire
Harcèlement
scolaire
M. Sébastien
Leclerc
M. Jean-Michel
Blanquer, ministre de l’éducation nationale et de la jeunesse
M. Sébastien
Leclerc
Suspension
et reprise de la séance
Présidence
de M. Richard Ferrand
3.
Motions de censure
M. Damien
Abad
M. André
Chassaigne
M. Patrick
Mignola
Mme Valérie
Rabault
M. Jean-Christophe
Lagarde
M. Philippe
Vigier
M. Jean-Luc
Mélenchon
Mme Jennifer
De Temmerman
M. Gilles
Le Gendre
M. Édouard
Philippe, Premier ministre
4.
Ordre du jour de la prochaine séance
Présidence de
Mme Annie Genevard
vice-présidente
Mme la
présidente. La séance est ouverte.
(La séance est ouverte à quinze heures.)
1
Dépôt de motions de censure
Mme la
présidente. J’informe l’Assemblée que le président de l’Assemblée
nationale a pris acte, le 29 février 2020, du dépôt de deux motions de
censure, en application de l’article 49, alinéa 3 de la Constitution,
le Premier ministre ayant engagé la responsabilité du Gouvernement sur
l’adoption du projet de loi instituant un système universel de
retraite.
La première motion, déposée à dix-neuf heures une, est signée
par M. Damien Abad et quatre-vingts députés. La seconde, déposée à vingt
heures trente-deux, est signée par MM. André Chassaigne et Jean-Luc
Mélenchon, Mme Valérie Rabault et soixante députés.
2
Questions au Gouvernement
Mme la
présidente. L’ordre du jour appelle les questions au
Gouvernement.
À l’occasion de la semaine internationale des droits des
femmes, la séance de questions au Gouvernement est traditionnellement présidée
par une vice-présidente. Je remercie le président de l’Assemblée nationale,
Richard Ferrand, de veiller au respect de cette tradition à laquelle nous sommes
tous particulièrement attachés. (Applaudissements sur tous les
bancs.)
Coronavirus
Mme la
présidente. La parole est à M. Maxime Minot.
M. Maxime
Minot. J’associe à cette question mes collègues de l’Oise Olivier
Dassault et Éric Woerth, sans oublier notre collègue Pierre Vatin, confiné
depuis hier soir. (Applaudissements sur les bancs du groupe
LR.)
Alors que le coronavirus a atteint la France, l’Oise se trouve
en première ligne et paye un lourd tribut. Je tiens à saluer le courage et la
résilience de ses habitants et de ses élus locaux, qui font face à la situation
avec dignité malgré les inquiétudes légitimes qui les assaillent. J’ai également
une pensée pour les victimes et tous les personnels de santé confinés ou
travaillant dans les hôpitaux, qui luttent pied à pied contre la maladie et qui
accompagnent nos malades. Enfin, je remercie les services de l’État, qui, dans
le contexte extrêmement difficile que nous connaissons, accomplissent leurs
missions avec dévouement et abnégation. (Applaudissements sur tous les
bancs.)
Depuis quelques jours, l’Oise est mise sous cloche, des
mesures de sauvegarde – manifestations interdites, déplacements limités,
établissements scolaires fermés dans certaines communes – ayant été prises,
en plus des gestes de bon sens qui s’imposent à chacun d’entre nous, pour
limiter la propagation du virus.
Si le manque de transparence qui a
accompagné les premières heures de l’apparition de cas dans notre département a
été en partie résorbé, une plus grande pédagogie est nécessaire, notamment pour
ce qui concerne le zonage des interdictions et des fermetures. En outre, des
interrogations demeurent, notamment sur la recherche du patient zéro et la prise
en charge des militaires de la base de Creil à leur retour de Chine. J’appelle
donc à ce que toute la lumière soit faite et à ce que des réponses soient
apportées sans délai.
Monsieur le Premier ministre, que dites-vous aux
habitants de l’Oise ? Comment pouvez-vous, afin d’éviter la psychose, les
rassurer sur l’action de l’État ?
M. Pierre
Cordier. Très bonne question !
M. Maxime
Minot. Alors qu’il fait peu de doute que la phase 3 de l’alerte
sanitaire sera déclenchée dans les prochaines heures ou dans les prochains
jours, comment comptez-vous associer l’ensemble des personnels soignants du
département – y compris les médecins de ville et les infirmiers
libéraux – à la gestion de l’épidémie ? (Applaudissements sur les
bancs du groupe LR.)
Mme la
présidente. La parole est à M. le ministre des solidarités et de la
santé.
M. Olivier
Véran, ministre des solidarités et de la santé. Je vous remercie
de votre question, qui me permet de faire un point sur la situation du
département de l’Oise, lequel est particulièrement touché par l’épidémie,
puisqu’il compte désormais soixante-quatre malades du coronavirus et que des
zones de circulation active du virus s’y concentrent.
Je rappelle, sans
visée polémique aucune, que nous tenons, depuis le premier jour, au moins une
conférence de presse quotidienne, au cours de laquelle nous livrons la totalité
des informations disponibles.
M. Pierre
Cordier. On le sait ! On vous écoute tous les jours…
M. Olivier
Véran, ministre. J’ai d’ailleurs annoncé, au cours d’une de ces
conférences de presse, la détection de trois malades dans la base militaire de
Creil. Nous avons depuis reçu des informations permettant d’exclure l’hypothèse
selon laquelle l’infection se serait propagée à partir de cette base militaire,
mais qu’importe : les chaînes de contamination doivent être identifiées et
toutes les pistes doivent être explorées.
M. Maxime
Minot. C’est sûr !
M. Olivier
Véran, ministre. Le patient zéro, vous l’avez parfaitement dit,
doit être recherché par tous les moyens et nous devons protéger la
population.
Je me suis rendu dès vendredi soir dans les communes de
Vaumoise et de Crépy-en-Valois – dont je salue le maire, qui a été testé
positif au coronavirus. J’y ai rencontré les différents acteurs concernés
– le préfet, la rectrice, les élus, le directeur général de l’ARS, l’agence
régionale de santé – ainsi que la population de la commune de Vaumoise, qui
m’a posé des questions auxquelles j’ai répondu sans filtre.
M. Pierre
Cordier. Sans filtre, c’est le cas de le dire !
M. Olivier
Véran, ministre. J’ai trouvé cette population extrêmement
courageuse et faisant preuve de beaucoup de sang-froid et de cran, ce qui, dans
la période actuelle, me semble important.
Je me suis par ailleurs
entretenu avant-hier avec le maire de Creil après le déploiement de diverses
mesures de confinement et de fermeture d’écoles. Il m’a fait savoir combien il
était satisfait de constater que les services de l’État étaient pleinement
opérationnels dans l’ensemble du département de l’Oise.
Soyez assuré,
monsieur le député, qu’en la matière, nous faisons le maximum, depuis le premier
jour, pour protéger les populations. (Applaudissements sur plusieurs bancs
des groupes LaREM et MODEM.)
Mme la
présidente. La parole est à M. Maxime Minot.
M. Maxime
Minot. Merci de ces éléments de réponse, monsieur le ministre. Je vous
rejoins sur un point : le coronavirus n’est ni de droite ni de gauche. Vous
pouvez compter sur nous pour être à vos côtés afin d’éradiquer ce virus qui fait
tant paniquer les Français. (Applaudissements sur les bancs des groupes LR,
LaREM et MODEM.)
Coronavirus
Mme la
présidente. La parole est à M. Pascal Bois.
M. Pascal
Bois. Ma question, relative aux mesures accompagnant la limitation du
virus covid-19, s’adresse à M. le ministre des solidarités et de la santé.
Je me permets d’y associer ma collègue Carole Bureau-Bonnard. J’irai même
jusqu’à y associer l’ensemble de mes collègues de l’Oise,…
M.
Pierre-Henri Dumont. Quelle audace !
M. Pierre
Cordier. Quel courage…
M. Pascal
Bois. …car nous sommes tous concernés par cette situation.
Le
département de l’Oise est devenu l’un des épicentres du virus en France. À ce
jour, on recense plusieurs dizaines de personnes contrôlées positives et
d’autres placées en confinement. Permettez-moi d’avoir une pensée pour les
familles des deux personnes décédées ainsi que pour les militaires de la base
aérienne de Creil, qui ont permis le rapatriement de nos compatriotes de Chine
et dont certains sont hospitalisés.
Des mesures strictes ont depuis été
prises pour circonscrire la propagation du virus. Vous en avez été témoin,
monsieur le ministre, à l’occasion de la création de la cellule de crise placée
sous l’égide du préfet de l’Oise et du directeur de l’ARS des Hauts-de-France,
qui sont eux-mêmes confinés depuis hier tout en restant
opérationnels.
Limiter la propagation du virus sans verser dans la
psychose constitue un impératif. C’est pour cette raison que de nombreux
événements publics ont été annulés et que tout rassemblement collectif est
interdit.
M. Fabien
Di Filippo. Vous êtes en retard, comme toujours !
M. Pascal
Bois. Plusieurs communes font l’objet de contraintes spécifiques
incitant leurs habitants à limiter leurs déplacements et à recourir au
télétravail. C’est la même prudence qui a conduit au placement en quarantaine
des personnels soignants des centres hospitaliers de Creil et de Compiègne, mais
aussi à la fermeture d’établissements scolaires et à l’annulation de toutes
sorties scolaires en cette rentrée.
Mme la
présidente. Veuillez conclure, monsieur le député.
M. Pascal
Bois. La situation est évolutive et nous devons garder notre sang-froid
et faire appel au sens des responsabilités de chacun. Des questions me sont
adressées par des citoyens et des élus confrontés à l’anxiété ou à la pénurie de
masques ou de solutions hydro-alcooliques pour se protéger.
Mme la
présidente. Merci de conclure, s’il vous plaît.
M. Pascal
Bois. Quelles sont les mesures envisagées pour assurer
l’approvisionnement en matériel et le renfort des personnels hospitaliers ?
Quelles sont les autres…
Mme la
présidente. La parole est à M. le ministre des solidarités et de la
santé.
M. Olivier
Véran, ministre des solidarités et de la santé. J’évoquais à
l’instant la mobilisation des services de l’État. Votre question me permet de
souligner la mobilisation pleine et entière de l’ensemble des services de santé,
dans tout le pays, en particulier dans le département de l’Oise, qui a payé à
cette heure le plus lourd tribut à la maladie liée au
coronavirus.
S’agissant d’abord des hôpitaux, le plan blanc, qui prévoit
l’activation de tous les services et la réorganisation de l’activité de manière
à pouvoir traiter les urgences et à laisser la place aux patients les plus
sévères, a été déclenché très précocement, notamment à l’hôpital de Compiègne,
mais également à l’hôpital de Creil. Les hôpitaux disposent du matériel
adéquat.
J’adresse d’ailleurs un message particulier de soutien et
d’encouragement – auquel, je le crois, la représentation nationale
s’associera – à tous les soignants du secteur hospitalier
(Applaudissements sur tous les bancs), qui sont mobilisés, dans ces deux
hôpitaux en particulier mais également dans toute la France, et sur lesquels
nous pouvons compter. Nous avons la chance de disposer d’un système de santé de
très grande qualité. Les Français le savent.
Je dirai ensuite un mot de
la médecine de ville, en y incluant l’ensemble des soignants paramédicaux, qui
participent aussi de la lutte contre la diffusion du virus. J’ai veillé à faire
du département de l’Oise le premier département dont toutes les pharmacies
d’officine sont approvisionnées en masques. Les soignants peuvent ainsi s’y
rendre pour s’y fournir en masques, qui leur sont délivrés gratuitement
– c’est bien normal, puisqu’il s’agit d’un stock d’État – afin qu’ils
puissent travailler dans de bonnes conditions de sécurité sanitaire. Cette
mesure est aujourd’hui étendue à toute la France.
Quant au gel
hydro-alcoolique, après m’être entretenu avec les élus et le directeur général
de l’ARS, je peux vous annoncer qu’il arrive. Il n’y avait pas de pénurie, mais
simplement une demande extrêmement forte concentrée sur une période très brève.
La production bat son plein et les industriels – français, en
l’occurrence – seront capables de répondre à cette demande dans les
prochaines heures. (Applaudissements sur les bancs des groupes LaREM et
MODEM.)
Recours à l’article 49, alinéa 3 de la Constitution
Mme la
présidente. La parole est à M. Adrien Quatennens.
M. Adrien
Quatennens. « Le 49.3, ça n’a jamais été une arme destinée à
museler l’opposition. C’est une arme destinée à museler la majorité. C’est quand
le Gouvernement n’a pas de majorité à l’Assemblée, quand il n’est pas sûr de
faire adopter un texte par l’Assemblée, qu’il utilise le 49.3. »
(Exclamations sur de nombreux bancs des groupes LaREM et
MODEM.)
Ces mots, monsieur le Premier ministre, ne sont pas les
miens : ce sont les vôtres, prononcés en 2016 !
M. Pierre
Cordier. Pris les doigts dans le pot de confiture !
M. Adrien
Quatennens. Vous parlez d’une « arme ». Or aujourd’hui, ce LBD
parlementaire – lanceur de balles de défense – d’une Ve
République à bout de souffle, c’est vous qui le dégainez !
(Protestations sur les bancs des groupe
LaREM et MODEM.)
Vous êtes seul contre tous :
contre la représentation nationale, contre la majorité de Français opposée à
votre texte, contre les grévistes et les manifestants, contre les engagements
pris devant les Français par le candidat devenu Président. Et vous voudriez nous
faire porter le chapeau !
(« Oui ! » sur de
nombreux bancs du groupe LaREM.)
Nous aurions empêché le débat de
fond ?
M. Rémy
Rebeyrotte. Votre obstruction l’a empêché !
M. Adrien
Quatennens. Peut-être auriez-vous pu, entre deux allers-retours au
Havre, jeter un œil à nos discussions : le débat de fond, c’est nous qui
l’avons permis ! (Applaudissements du groupe FI.
– Protestations sur les bancs des
groupes LaREM et MODEM.)
Vous prétendez
que nous aurions débattu pendant des heures pour savoir s’il fallait par exemple
remplacer les mots « tous les ans » par « chaque année ».
Vous mentez et vous le savez ! (Exclamations sur les bancs des groupes
LaREM et MODEM.) Car si nous avons en effet déposé ce type d’amendements,
c’était pour disposer d’autant d’occasions de prendre la parole pour animer le
débat de fond, sous la menace permanente de votre recours à l’article 49,
alinéa 3.
Notre bilan est plutôt bon : en quinze jours de
débat, nous vous avons fait avouer que votre système n’est pas universel, que
les agriculteurs ne verront pas la couleur des 1 000 euros que vous
leur promettiez ou encore que la valeur du point sera indexée sur un indice qui
n’existe pas – on comprend mieux pourquoi vous avez souhaité interrompre la
discussion ! (Exclamations sur les bancs des groupes LaREM et
MODEM.)
Reste une autre hypothèse : on assiste depuis le début
de l’année à des démissions en cascade de parlementaires du groupe de La
République en Marche. Ne sont-ce pas plutôt ces départs qui vous ont poussé à
utiliser l’article 49, alinéa 3 de la Constitution ?
(Applaudissements sur les bancs des groupes FI et GDR.)
M. Jean-Luc
Mélenchon. Très bien !
Mme la
présidente. La parole est à M. le Premier ministre.
(Applaudissements sur les bancs des groupes LaREM et MODEM.)
M. Édouard
Philippe, Premier ministre. Vous avez commencé votre question en
citant les bons auteurs – pardonnez-moi cette immodestie. (Sourires sur
plusieurs bancs du groupe LaREM) Il est vrai qu’il m’arrivait, sous la
législature précédente, de commenter le choix du gouvernement d’alors d’avoir
recours à l’article 49, alinéa 3 de la Constitution. Cette situation
se présentait d’ailleurs régulièrement, puisque le gouvernement précédent avait
décidé d’utiliser cet article à plusieurs reprises,…
M. Pierre
Cordier. Votre ami Valls, notamment !
M. Patrick
Hetzel. Sur le texte Macron, d’ailleurs !
M. Édouard
Philippe, Premier ministre. …conduisant les observateurs et les
acteurs de la vie politique à se prononcer fréquemment sur cet
usage.
L’article 49, alinéa 3 de la Constitution est parfois
utilisé, c’est vrai, comme un instrument permettant à un gouvernement de faire
passer un texte lorsque sa propre majorité paraît relative ou
fragile.
Lors des quatre-vingt-huit précédents recours à l’article
49 alinéa 3 depuis 1958 – quatre vingt-huit ! –, il est
en effet arrivé que cet instrument soit utilisé pour résoudre une difficulté
causée par sa propre majorité.
M. Pierre
Cordier. Il a révisé ses statistiques !
M. Édouard
Philippe, Premier ministre. Mais il est également arrivé
– et vous le savez car vous êtes un observateur attentif de la vie
politique française – que des Premiers ministres utilisent cet instrument
mis à leur disposition par la Constitution de 1958 pour s’extraire d’une
stratégie d’obstruction – assumée d’ailleurs par les oppositions.
(Applaudissements sur les bancs des groupes LaREM et MODEM.) Je me
permets de vous renvoyer à ce Premier ministre qui eut recours à l’article
49 alinéa 3 avant même que ne débute l’examen du texte à l’Assemblée
nationale – c’est arrivé ! – ainsi qu’à ce qui s’est passé en
2003 à l’occasion de la discussion sur le mode de scrutin pour les élections
régionales. Autrement dit, pour employer le vocabulaire des juristes, il y a des
précédents. C’est tout à fait dans cette optique que nous nous situons.
M. Michel
Herbillon. Cet instrument n’a jamais été utilisé pour les
retraites !
M. Édouard
Philippe, Premier ministre. Vous pouvez prétendre – et après
tout, je ne peux vous en vouloir pour cela – qu’il est important de
discuter pour savoir si le mot « analogue » doit être remplacé par
« similaire » et inversement. (Applaudissements sur les bancs
des groupes LaREM et MODEM.) Vous pouvez débattre pour savoir s’il est plus
intelligent de dire « chaque année » plutôt
qu’« annuellement » lorsqu’on évoque la retraite des Français. Vous en
avez le droit, c’est vrai. Il me semble personnellement – et j’ai aussi le
droit de le penser – qu’il s’agit d’un débat d’obstruction. Et, puisque
vous avez voulu commencer votre question en mettant l’accent sur d’éventuelles
différences entre ce qui a été dit hier et ce qui est assumé aujourd’hui,
permettez-moi de vous renvoyer au président de votre propre groupe qui, non pas
il y a trois ans, non pas il y a deux ans mais il y a deux semaines, expliquait
que l’objectif de votre groupe était littéralement de procéder à de
l’obstruction et qui, aujourd’hui, dit l’inverse. (De nombreux députés LaREM,
MODEM et UDI se lèvent et applaudissent.)
M. Jean-Luc
Mélenchon. Non !
Crise migratoire
Mme la
présidente. La parole est à M. Vincent Ledoux.
M. Vincent
Ledoux. « La grandeur de l’homme est grande en ce qu’il se connaît
misérable », nous a appris Blaise Pascal. En utilisant des dizaines de
milliers de pauvres migrants comme instruments de pression, en les mettant
délibérément en mouvement vers la frontière grecque, le président turc nous
montre une des faces les plus sombres de notre humanité. Aujourd’hui, la
frontière européenne se situe à Kastani, au nord de la Grèce. C’est là que
l’Europe doit enfin déployer ses moyens et témoigner de sa solidarité. Devant le
drame humanitaire qui se déroule, la crise migratoire qui se profile et les
interrogations sécuritaires qui se posent, les Européens ne peuvent plus se
payer de mots. Car à trop attendre, nous risquons fort de voir se multiplier
dans le fleuve Evros les décès de nouveaux petits Aylan Kurdi.
Dans cette
affaire comme dans d’autres, l’Europe s’est montrée dispersée, indécise, sujette
à la procrastination ; notre communauté internationale s’est trouvée prise
au piège de ses nombreuses contradictions. Nous attendons que l’Europe fasse
front commun car il y va de notre sécurité mais aussi de la vie d’hommes, de
femmes et d’enfants pris en otage d’un chantage migratoire
inacceptable.
Dès lors, monsieur le ministre de l’Europe et des affaires
étrangères, pouvez-vous nous présenter la feuille de route que vous proposerez
au conseil extraordinaire du 6 mars à Zagreb ? Quelle sera la nature
du soutien que la France instaurera vis-à-vis de la Grèce ? Quels seront
les moyens dévolus à la mission Frontex ? Quel message la France, à travers
l’Europe, adressera-t-elle à la Turquie ? Enfin, quel regard portez-vous
sur l’accord migratoire conclu entre l’Union européenne et la Turquie en
2016 ? Quelles nouvelles pistes de partenariat explorez-vous ? Gageons
qu’après le Brexit et en pleine impasse budgétaire, l’Europe pourra restaurer
son unité – une unité durable et paisible – autour de cette cause
commune. (Applaudissements sur les bancs du groupe UDI-Agir et sur plusieurs
bancs des groupes LaREM, MODEM et LR).
Mme la
présidente. La parole est à M. le ministre de l’Europe et des
affaires étrangères.
M. Jean-Yves
Le Drian, ministre de l’Europe et des affaires étrangères. La
crise que traverse actuellement le nord-ouest de la Syrie est sans doute la plus
grave qu’ait connue ce pays en neuf ans de guerre. Sa cause, connue, est
simple : c’est la décision du régime syrien, fortement soutenue par la
Russie, de pilonner l’ensemble de la province d’Idlib au mépris des accords de
Sotchi, passés entre la Russie et la Turquie en septembre 2018, du droit
international et humanitaire et des populations syriennes.
Comme tous nos
partenaires européens, nous avons fermement condamné cette décision et cette
offensive. Cependant, vous le savez, une escalade militaire est en cours. Cette
crise se caractérise par deux symptômes. Tout d’abord, un cataclysme se dessine
sur le plan humanitaire car, comme au début de la guerre conduite par le régime
syrien contre sa population, les principales victimes sont les syriens
eux-mêmes, civils, femmes et enfants visés délibérément par le régime et par ses
alliés russes. Une crise migratoire s’ajoute à ce drame, la Turquie ayant décidé
d’instrumentaliser les réfugiés et migrants déjà présents sur son territoire
pour faire pression sur l’Europe au mépris total de l’accord de 2005. Il ne faut
pas confondre ces deux questions.
Nous avons condamné l’attaque conduite
la semaine dernière contre les forces turques et qui a tué trente-quatre de
leurs soldats. Le Président de la République a demandé au Président Vladimir
Poutine de faire cesser l’offensive d’Idlib et de se situer de nouveau dans le
cadre défini par Sotchi. Mais l’exigence de solidarité est valable des deux
côtés. L’usage par la Turquie des migrants comme moyen de pression et de
chantage sur l’Europe est absolument inacceptable. (Applaudissements sur
quelques bancs du groupe LaREM.)
M. Claude
Goasguen. Évidemment !
Crise migratoire
Mme la
présidente. La parole est à M. Julien Aubert.
M. Julien
Aubert. M. le ministre de l’Europe et des affaires étrangères nous
a beaucoup parlé de la Syrie, j’aimerais lui poser une question à propos de la
Grèce et de la frontière de l’Union européenne.
Vous l’avez rappelé, dans
un contexte de tension militaire avec la Russie en Syrie et dans le but
d’obtenir le soutien de l’Union européenne et de l’OTAN, la Turquie a annoncé
qu’elle ne retiendrait plus à ses frontières les migrants désireux de rejoindre
l’Europe. Selon l’ONU, 13 000 migrants se masseraient à la frontière
gréco-turque avec l’intention de pénétrer sur le territoire de l’Union
européenne. Le ministre de l’intérieur turc estime, lui, que ce sont
76 000 migrants qui convergeraient vers cette zone, parfois même avec
l’aide de bus mis à disposition par des municipalités tenues par le parti de
M. Erdogan. La Grèce est débordée, les tensions se font chaque jour de plus
en plus vives, l’armée grecque multiplie les exercices militaires à balles
réelles tandis que la population locale excédée tente, par ses propres moyens,
de repousser les migrants. Un enfant est également mort noyé lors d’une
tentative de traversée sur une embarcation surchargée. Ce chantage mené par la
Gouvernement turc est scandaleux et irresponsable, en totale violation de
l’accord relatif à la réadmission des migrants conclu en 2016 avec l’Union
européenne
Mme Valérie
Boyer. Bravo !
M. Julien
Aubert. Cela s’ajoute à d’autres actes inamicaux comme la livraison
d’armes et l’envoi de combattants djihadistes. Monsieur le ministre, pouvez-nous
indiquer ce que fera la France, en pleine crise épidémiologique mondiale, pour
faire cesser cette situation ? (Applaudissements sur les bancs du groupe
LR. M. Nicolas Dupont-Aignan et Mme Agnès
Thill applaudissent aussi.)
Mme la
présidente. La parole est à M. le ministre de l’Europe et des
affaires étrangères.
M. Jean-Yves
Le Drian, ministre de l’Europe et des affaires étrangères. Vous
avez rappelé quelle était la situation migratoire à la frontière entre la Grèce
et la Bulgarie d’une part et la Turquie d’autre part. Nous observons en effet un
afflux de migrants à la frontière terrestre et des arrivées sur les îles.
Présents depuis longtemps en Turquie, ces migrants, qu’ils soient iraniens,
afghans, syriens ou – pour beaucoup – africains, sont sans doute
poussés par les autorités turques à essayer de franchir la frontière. La Grèce a
pris des mesures fortes visant à empêcher cela. Comme le Président de la
République l’a fait avec son homologue grec, j’ai moi-même exprimé au ministre
grec des affaires étrangères, hier et avant-hier, la pleine et entière
solidarité de la France. Ce message a été transmis aux autorités bulgares car ce
qui passe en Grèce nous concerne tous dans le cadre de l’espace
Schengen.
Je veux vous dire clairement qu’il est inacceptable que la
Turquie instrumentalise la question des migrants pour faire pression sur
l’Europe. Nous avons conclu en mars 2016 un accord que tous les pays membres de
l’Union européenne appliquent depuis quatre ans. La Turquie doit également le
respecter, d’autant plus que les engagements financiers sont très significatifs.
Plusieurs députés LR.
Qu’est-ce qu’on fait ?
M. Jean-Yves
Le Drian, ministre. Pour que notre organisation soit plus
efficace, nous avons décidé de tenir deux réunions, un conseil des ministres de
l’intérieur demain et, en soutien à la Grèce, une réunion du conseil européen
vendredi…
Mme Valérie
Boyer. Et pourquoi pas plus tard !
M. Jean-Yves
Le Drian, ministre. …afin de déployer des moyens d’intervention
rapide destinés à soulager les autorités grecques, d’activer le mécanisme
Frontex et de faire en sorte que les Grecs aient les moyens de réagir et de
s’opposer à cette intrusion et à ce chantage. Telle est la position de la
France.
Mme
Frédérique Meunier. Vous ne savez pas ce que vous allez
faire !
Mme la
présidente. La parole est à M. Julien Aubert.
M. Julien
Aubert. Permettez-moi, monsieur le ministre, de vous proposer quelques
contre-mesures concrètes. Le minimum serait de rappeler notre ambassadeur
français à Ankara…
M.
Christian Hutin. Très bien !
M. Julien
Aubert. …et de suspendre notre participation aux exercices militaires
dans les bases de l’OTAN en Turquie.
M.
Christian Hutin. Très bien !
M. Julien
Aubert. Nous pourrions déployer la marine française dans le cadre de
l’accord bilatéral de partenariat franco-grec. Pour prévenir le risque de
submersion migratoire, une suspension de l’espace Schengen et un rétablissement
des contrôles aux frontières paraissent incontournables. Enfin, indépendamment
de ces mesures circonstancielles, il me semble que la Turquie vient de commettre
un acte qui la disqualifie du processus d’adhésion à l’Union européenne.
(Applaudissements sur les bancs du groupe LR. M. Nicolas
Dupont-Aignan applaudit également.)
Hôpital public
Mme la
présidente. La parole est à Mme Jeanine Dubié.
Mme Jeanine
Dubié. Ma question s’adresse à M. le ministre des solidarités et de
la santé. Les personnels soignants des hôpitaux publics sont en première ligne
pour faire face à l’épidémie de coronavirus qui se dessine. Vous leur avez
récemment transmis un guide détaillant les procédures à appliquer pour éviter la
propagation du virus. Cependant, les inquiétudes persistent concernant les
moyens disponibles pour appliquer une telle stratégie, d’autant plus que, depuis
plus d’un an, l’hôpital public traverse une crise sociale sans
précédent.
Alors que le manque d’effectifs et de ressources financières
freine déjà le fonctionnement quotidien des établissements hospitaliers, cette
crise épidémique ne peut qu’aggraver la situation. En novembre dernier, Agnès
Buzyn annonçait un plan en faveur de l’hôpital public. Parmi les mesures
présentées figurait la reprise de la dette des hôpitaux par l’État, à hauteur de
10 milliards d’euros sur trois ans, soit un tiers de la dette totale. Cette
mesure, essentielle pour redonner de la capacité d’autofinancement mais aussi
pour faire repartir l’investissement hospitalier, divisé par deux en dix ans,
nécessite, pour être appliquée, la promulgation d’une loi. S’agit-il,
d’ailleurs, d’une loi ordinaire ou d’une loi organique ? Lors de la
présentation de ce plan, le Premier ministre annonçait que cette loi serait
débattue au Parlement au premier semestre 2020, en même temps que la loi de
programmation des finances publiques. Or, en janvier dernier, Agnès Buzyn
évoquait le second semestre 2020.
Monsieur le ministre, pouvez-vous nous
éclairer sur le calendrier et les modalités de reprise de la dette ? Par
ailleurs, qu’en est-il des autres mesures présentées dans ce plan, notamment le
fléchage de 150 millions d’euros pour l’investissement courant des
établissements hospitaliers ? Face à l’urgence sanitaire qui s’impose
aujourd’hui à nous, le Gouvernement envisage-t-il de nouvelles mesures pour
permettre aux hôpitaux de mener à bien leurs missions de service
public ?(Applaudissements sur plusieurs bancs des groupes LT, LaREM,
MODEM et UDI.)
Mme la
présidente. La parole est à M. le ministre des solidarités et de la
santé.
M. Olivier
Véran, ministre des solidarités et de la santé. Madame Dubié, je
connais, pour vous avoir côtoyée pendant de nombreuses semaines en commission
des affaires sociales de l’Assemblée, votre engagement au service de l’hôpital
public. Aussi vos interrogations et vos attentes ne me surprennent-elles pas. Je
partage d’ailleurs votre souhait de soutenir l’hôpital – que nous aimons
tous ici, sur chacun des bancs –, notamment en période de crise épidémique
mais au-delà mêmes de ces circonstances, pour lui permettre de répondre
pleinement à ses missions.
Vous me demandez quelles sont les nouvelles
mesures. Permettez-moi d’abord de saluer celles qui ont déjà été prises et celle
qui viennent d’être annoncées, grâce au travail de ma prédécesseure au poste de
ministre des solidarités et de la santé, Agnès Buzyn
(M. Sylvain Maillard applaudit.) : l’allocation
de 150 millions d’euros aux professionnels de santé pour des
investissements courants dans les différents hôpitaux français ;
l’engagement que les tarifs hospitaliers, après près de dix ans de baisse,
augmenteraient pendant au moins trois ans consécutifs ; l’engagement
d’assurer une visibilité pluriannuelle des budgets hospitaliers accordés et
signés par l’ensemble des représentants du monde hospitalier.
À propos de
la reprise de la dette à hauteur de 10 milliards d’euros, que vous avez
évoquée, je me suis engagé, devant le monde hospitalier, à rendre publiques
d’ici à la fin mars les conclusions essentielles de la mission d’inspection
générale qui est en cours et qui permettra de déterminer quelle partie de la
datte doit être reprise, à quel type d’hôpitaux et dans quelles conditions. Je
me suis engagé à ce que, sans attendre la fin de l’année, les directions de
chaque hôpital puissent savoir, dès le mois de juin, quel montant de la dette
serait repris, de façon à ce que des dépenses nouvelles puissent être engagées
avant l’été. Celles-ci devront-elles être consacrées à de l’investissement, à
des ressources humaines, à l’un et à l’autre ? Nous verrons – je
souhaite lancer de vastes concertations.
Pour conclure à propos des
mesures nouvelles, j’ai annoncé ce matin même le dégel de 260 millions
d’euros de budget supplémentaire destinés directement et dès à présent aux
hôpitaux français pour les aider à passer le cap et à poursuivre la
transformation amorcée. (Applaudissements sur les bancs des groupes LaREM et
MODEM.)
Coronavirus
Mme la
présidente. La parole est à M. Hervé Saulignac.
M. Hervé
Saulignac. Monsieur le Premier ministre, notre pays fait face à un
risque sanitaire sans précédent avec la propagation du coronavirus. Je tiens à
souligner combien le personnel soignant a toute notre confiance dans l’épreuve
qui, probablement, nous attend. (Applaudissements sur les bancs du groupe SOC
et sur quelques bancs du groupe GDR.) Loin de nous l’idée de vouloir nourrir
d’obscènes polémiques, à l’instar de celles qui émaillent la campagne des
élections municipales à Paris. Sur ce sujet, l’heure est à l’unité nationale.
(Applaudissements sur les bancs du groupe SOC.
– Mme Catherine Fabre applaudit
également.)
Dès lors qu’un péril menace la nation, c’est la
République qui nous commande de dépasser nos clivages pour protéger les Français
et l’ensemble de la population présente sur notre sol. À cet égard, monsieur le
Premier ministre, j’appelle votre attention sur les règles d’accès aux soins
pour les personnes d’origine étrangère en situation irrégulière ou demandeuses
d’asile.
Le décret du 30 décembre 2019 prévoit un délai de
quatre-vingt-dix jours avant que ne leur soit accordée l’aide médicale d’État
– AME. Quatre-vingt-dix jours pendant lesquels, en refusant leur prise en
charge médicale, nous les abandonnons à leur sort tout en faisant courir un
risque insensé à la population. (Applaudissements sur les bancs des groupes
SOC et GDR et sur quelques bancs du groupe FI.
– M. Bertrand Pancher applaudit
également.)
Monsieur le Premier ministre, il ne peut pas y avoir de
protection sélective face à la menace d’une épidémie. Dans un contexte sanitaire
inédit, cette règle est une folie. L’Académie de médecine a dit hier sa très
grande préoccupation à ce sujet. De même, et à l’initiative de notre collègue
Jean-Michel Clément, de nombreux parlementaires ont demandé l’abrogation de ce
décret. Cette abrogation s’impose à la fois pour les personnes concernées, mais
aussi dans l’intérêt de la population française que nous avons à
protéger.
Monsieur le Premier ministre, je vous demande donc de vous
prononcer sans délai en faveur de cette abrogation. (Applaudissements sur les
bancs des groupes SOC, FI et GDR.
– M. Bertrand Pancher et
Mme Bénédicte Pételle applaudissent également.)
Mme la
présidente. La parole est à M. le ministre des solidarités et de la
santé.
M. Olivier
Véran, ministre des solidarités et de la santé. Votre question me
permet de vous apporter une réponse très factuelle, s’agissant du coronavirus et
du lien que vous faites avec les populations les plus fragiles, notamment celles
qui ont quitté leur pays et franchi des frontières dans des conditions souvent
très difficiles pour arriver en France.
M.
Christian Hutin. Merci, nous avions compris la question !
M. Olivier
Véran, ministre. Pas plus aujourd’hui qu’hier, qu’avant-hier,
qu’avant l’existence même de l’aide médicale d’État, aussi loin que nous
puissions remonter dans le temps, à savoir au moment de la création du système
d’assurance maladie, de la création de la sécurité sociale, il n’a été question
de priver les personnes malades – et souffrant notamment d’une maladie
infectieuse en période épidémique – du moindre soin.
(M. Florian Bachelier applaudit.)
M.
Christian Hutin. Et le décret du 30 décembre 2019 ?
M. Olivier
Véran, ministre. Même avant la création de l’aide médicale d’État
– et vous savez mon attachement à l’AME…
M.
Christian Hutin. Et le décret ?
Mme la
présidente. Monsieur Hutin, s’il vous plaît…
M. Olivier
Véran, ministre. …et à la protection sociale des plus fragiles,
vous connaissez mes engagements en la matière et je connais les vôtres, monsieur
Saulignac –, quand une personne avait besoin de soins, qu’elle souffre de
syndrome infectieux, de syndrome fébrile pouvant laisser soupçonner une
épidémie, de quelque nature qu’elle soit, ces soins lui ont toujours été
prodigués. (« Et le
décret ? » sur plusieurs bancs du groupe
SOC.)
Aussi, monsieur Saulignac, je ne peux pas imaginer qu’un
médecin de ville ou d’hôpital,…
M.
Christian Hutin. Le décret du 30 décembre 2019, allez-vous
l’abroger, oui ou non ?
M. Olivier
Véran, ministre. …quand bien même il n’y aurait pas de couverture
de soins – alors que cette couverture est bien réelle, l’ensemble des
examens et des soins étant couverts par les dispositifs en vigueur –, je ne
peux pas imaginer une seconde, disais-je, qu’une blouse blanche refuse de
soigner quelqu’un en période d’épidémie, ou hors période d’épidémie, qui
présenterait un syndrome fébrile ou des troubles respiratoires.
M.
Christian Hutin. Nous ne savons toujours pas si vous avez l’intention
d’abroger le décret !
M. Olivier
Véran, ministre. Soyez donc pleinement rassuré, monsieur
Saulignac (Exclamations sur les bancs du groupe SOC), l’ensemble de nos
concitoyens, quelle que soit leur origine, quelle que soit leur situation
sociale, sont protégés par notre système de santé et peuvent être soignés tant
en ville qu’à l’hôpital.
M.
Christian Hutin. Il vous reste dix-huit secondes pour nous dire si vous
allez abroger le décret du 30 décembre 2019 !
M. Olivier
Véran, ministre. J’ajoute que sur la question particulière des
mineurs non accompagnés, des migrants et des personnes logées en hébergement
d’urgence,…
M.
Christian Hutin. Dix secondes ! (Protestations sur plusieurs
bancs du groupe LaREM.)
Mme la
présidente. Monsieur Hutin, s’il vous plaît !
M. Olivier
Véran, ministre. …sujet que j’ai évoqué avec Julien
Denormandie…
M.
Christian Hutin. Sept secondes !
Mme la
présidente. Monsieur Hutin !
M.
Christian Hutin. Cinq secondes !
M. Olivier
Véran, ministre. Il me semble que le sujet est sérieux…
M.
Christian Hutin. Trois secondes !
Mme la
présidente. Monsieur Hutin, s’il vous plaît !
M.
Christian Hutin. Mais le ministre ne répond pas !
M. Olivier
Véran, ministre. Je réponds à un collègue de vos bancs, c’est
dommage. Je disais donc que je me suis entretenu avec le ministre Denormandie
pour m’assurer que tout était fait pour que l’ensemble des tests de dépistage,
des soins et des examens (« Et le
décret ? » sur plusieurs bancs du groupe
SOC) puissent être réalisés pour n’importe quel citoyen sur le territoire
français, quelle que soit sa situation. (Applaudissements sur de très
nombreux bancs du groupe LaREM.)
Mme la
présidente. La parole est à M. Hervé Saulignac.
M. Hervé
Saulignac. Vous comprendrez, monsieur le ministre, que je ne sois qu’à
moitié rassuré. Je le serai pleinement le jour où vous abrogerez le décret du
30 décembre 2019. En attendant, je souhaite par-dessus tout qu’on n’ait pas
à constater qu’il y a des porteurs du coronavirus parmi les populations au nom
desquelles j’ai pris la parole. (Applaudissements sur les bancs des groupes
SOC, FI et GDR.)
Réforme des retraites
Mme la
présidente. La parole est à Mme Nathalie Elimas.
Mme
Nathalie Elimas. Monsieur le secrétaire d’État chargé des retraites,
aucun parlementaire ne peut se réjouir de l’utilisation de l’article 49,
alinéa 3, de la Constitution.
M. Pierre
Cordier. Ça, c’est vrai !
Mme
Nathalie Elimas. Cependant, l’impossibilité de débattre du fond du texte
et des propositions concrètes de tous les groupes ont abouti à ce résultat.
(Applaudissements sur les bancs des groupes MODEM et LaREM.)
M. Alexis
Corbière. C’est faux !
Mme
Nathalie Elimas. Certes, on nous a empêchés de débattre du fond, mais la
position du groupe MODEM était très claire : il était hors de question
que l’Assemblée soit privée de la possibilité d’enrichir le texte.
(« Supplétifs ! »,
« Playmobil ! » sur les
bancs du groupe LR.)
M. Pierre
Cordier. Godillots !
Mme
Nathalie Elimas. C’est pourquoi nous saluons l’intégration de plus de
300 amendements issus de tous les groupes politiques (Applaudissements
sur les bancs des groupes MODEM et LaREM) qui ont bien voulu travailler
sérieusement sur le texte, qui ont œuvré de bonne foi pour améliorer la réforme
mais dont les propositions n’ont pu être examinées du fait de l’obstruction.
(Protestations sur les bancs des groupes FI et GDR.
– « Nous n’avons pas fait
d’obstruction ! » et exclamations sur les
bancs du groupe LR.) Le texte a également été enrichi des avancées négociées
avec les partenaires sociaux.
Parmi les principales avancées, je me
réjouis des engagements forts en matière de justice sociale et d’égalité des
droits. Nous célébrerons dans quelques jours la journée des droits des femmes et
j’en profite pour saluer la présidence de notre collègue Annie Genevard.
(Applaudissements sur tous les bancs.)
Mme Émilie
Bonnivard. C’est la seule phrase de bon sens dans cette
intervention !
Mme
Nathalie Elimas. Mais, chacun en est conscient ici, les droits des
femmes ne sauraient se manifester uniquement de manière symbolique. Notre groupe
s’était particulièrement engagé sur la protection des femmes et sur les nouveaux
droits familiaux, d’abord pour des raisons de justice sociale, ensuite parce
qu’une politique familiale forte est la condition nécessaire à la robustesse de
notre système par répartition.
M.
Jean-Marie Sermier. Quelle est la question ?
M. Thibault
Bazin. Les femmes vont être perdantes !
M. Pierre
Cordier. Elle a mal lu la réforme !
Mme
Nathalie Elimas. C’est l’un des plus forts enjeux de cette
réforme : faire en sorte que les femmes les plus en difficulté n’aient plus
à travailler jusqu’à 67 ans comme les y contraint le système actuel ;
faire en sorte que les mères de familles aient des garanties fortes en
contrepartie de carrières hachées ou de préjudices de carrière trop souvent
sous-estimés. (Exclamations sur les bancs du groupe SOC.)
Mme Pascale
Boyer. C’est l’inverse !
M.
Jean-Louis Bricout. Votre temps de parole est écoulé !
Mme
Nathalie Elimas. Monsieur le secrétaire d’État, pouvez-vous rappeler les
avancées que le Gouvernement a intégrées dans le projet de loi en la matière et
confirmer à la représentation nationale qu’il sera davantage protecteur pour les
femmes les plus fragiles ? (Applaudissements sur les bancs des groupes
MODEM et LaREM.)
M. Thibault
Bazin. Vous sacrifiez la politique familiale !
Mme la
présidente. La parole est à M. le secrétaire d’État chargé des
retraites.
M. Laurent
Pietraszewski, secrétaire d’État chargé des retraites.
Permettez-moi de saluer à mon tour la présidence de
Mme Genevard.
Vous avez raison, madame Elimas, notre objectif est
bien d’améliorer le niveau des pensions des femmes par une meilleure prise en
compte des droits familiaux.
M. Michel
Herbillon. Personne ne le croit !
M. Laurent
Pietraszewski, secrétaire d’État. Je tiens à cet égard à saluer
votre investissement personnel mais aussi celui des députés de votre groupe.
Nous avons en effet eu l’occasion de travailler ensemble pour enrichir le texte
grâce, vous l’avez rappelé, à de nombreux amendements proposés par de nombreux
députés, et grâce aux échanges que nous avons eus, fût-ce en dehors de
l’hémicycle.
Mme Émilie
Bonnivard. Menteur !
M. Laurent
Pietraszewski, secrétaire d’État. Oui, nous avons souhaité que le
projet de loi intègre de nombreuses avancées.
Mme
Frédérique Meunier. Il n’y en a pas !
M. Laurent
Pietraszewski, secrétaire d’État. J’en rappellerai quelques unes.
Seront accordés 5 % de majoration de pension…
M. Pierre
Cordier. Financés comment ?
M. Laurent
Pietraszewski, secrétaire d’État. …pour chaque enfant avec
2,5 % au moins pour la maman, puisque ce sera au titre de la maternité.
Sera mis en place un plancher minimum pour la mère…
M. Thibault
Bazin. Et le père, il n’aura droit à rien ?
M. Laurent
Pietraszewski, secrétaire d’État. …qui sera modulable en fonction
du nombre d’enfants, ce qui permettra, par exemple, de mieux prendre en
considération l’arrivée du troisième enfant – c’était l’objet de votre
question et d’attentes exprimées par les députés de votre groupe.
Mme
Frédérique Meunier. Vous tenez toujours le même discours, c’est
honteux !
M. Laurent
Pietraszewski, secrétaire d’État. Je rappelle par ailleurs que
nous allons majorer les droits familiaux pour les parents isolés – je sais
que cette question vous préoccupe également –, améliorer le dispositif de
reversion pour les conjoints divorcés et instaurer d’autres mesures qui tiennent
compte de l’évolution de la société comme la suppression de la réversion en cas
de condamnation pénale – si la majoration a été attribuée au papa et que ce
dernier est condamné pour violence conjugale, la majoration lui sera retirée. Je
pense, donc, que nous avons bien travaillé. (Applaudissements sur quelques
bancs des groupes LaREM et MODEM.)
Réforme des retraites
Mme la
présidente. La parole est à M. Jean-Paul Lecoq.
M.
Jean-Paul Lecoq. Monsieur le Premier ministre, ultime symbole de votre
fiasco sur la réforme des retraites, deux organisations syndicales de salariés
viennent d’annoncer la fin de leur participation à la conférence de financement.
Cette réforme, c’est l’histoire d’un échec annoncé. À chaque étape, vous avez
échoué à convaincre : deux ans de pseudo-concertation, l’opposition de la
majorité de nos concitoyens, les avertissements inédits du Conseil d’État, une
étude d’impact lacunaire et truquée, un débat parlementaire
escamoté.
Pour faire adopter en force ce projet de loi, vous avez donc
décidé de recourir à l’article 49, alinéa 3, de la Constitution,
dernière marque de votre brutalité et de votre isolement. Ce recours, c’est le
symbole de votre violence contre le peuple. Après avoir été sourds à
l’expression légitime de la rue, après avoir rejeté la souveraineté du peuple en
refusant d’organiser un référendum, vous avez décidé de couper la parole à ses
représentants. Vous réformez seuls contre tous : contre les citoyens,
contre les syndicats, contre le Conseil d’État, contre le Parlement et,
désormais, contre une partie de votre propre majorité.
Ce recours, c’est
aussi un moyen de chercher à dissimuler un mauvais projet. Ce que vous qualifiez
d’obstruction, c’était la possibilité pour nous de démontrer, amendement après
amendement, les arnaques de votre texte concernant la valeur du point qui sera
indexée sur un indicateur inexistant (Applaudissements sur les bancs des
groupes GDR et FI. – Mme Laurence Dumont
applaudit également), l’absence de revalorisation des retraites agricoles,
le recul de l’âge de départ à la retraite à 65 ans, la baisse des pensions
ou encore la création d’un régime spécial pour les plus riches.
Ce
recours, c’est enfin le signe de votre faiblesse. Au pouvoir, la violence, c’est
l’arme du faible. Prenez acte de votre propre échec. Votre recours à
l’article 49, alinéa 3 de la Constitution ne passera pas auprès de la
population. La colère grandit : vous n’avez pas de majorité populaire. Les
députés communistes vous demandent de retirer votre projet ou d’annoncer la
tenue d’un référendum sur le texte final. (Applaudissements sur les bancs du
groupe GDR et sur quelques bancs des groupes SOC et FI.)
Mme la
présidente. La parole est à M. le secrétaire d’État chargé des
retraites.
M. Laurent
Pietraszewski, secrétaire d’État chargé des retraites. Vous avez
raison : les travaux de la conférence de financement se poursuivent même si
deux organisation représentatives de salariés ont exprimé le souhait de la
quitter. Ce n’est jamais une bonne nouvelle, sur le fond, que des syndicats
représentatifs décident de quitter une conférence qui accorde une large place au
dialogue social. Cela étant, vous savez que le paysage syndical français est
riche et divers et d’autres organisations syndicales restent autour de la
table.
M. Jérôme
Lambert. Mais pour combien de temps ?
M. Laurent
Pietraszewski, secrétaire d’État. Je les appelle toutes à revenir
négocier pour trouver de quelle manière trouver l’équilibre financier du système
universel de retraite. Il s’agit en effet de garantir la solidité du dispositif
de solidarité dont vous vous souciez et que les Français réclament tant
également.
M.
Jean-Paul Lecoq. Les Français ne vous croient pas !
M. Laurent
Pietraszewski, secrétaire d’État. Le minimum de pension à
1 000 euros équivaudra à 85 % du SMIC en 2025. J’ai évoqué les
droits familiaux en répondant à Mme Elimas. Demain, 5 millions de
femmes pourront percevoir une pension majorée de 5 % dès le premier
enfant.
M.
Jean-Paul Lecoq. Je répète : les Français ne vous croient
pas !
M. Laurent
Pietraszewski, secrétaire d’État. Les personnes en situation de
handicap pourront prendre une retraite progressive dès l’âge de 55 ans.
M. Fabien
Roussel. En fait, vous allez faire travailler les gens plus
longtemps.
M. Laurent
Pietraszewski, secrétaire d’État. Le bénéfice des critères de
pénibilité sera étendu à l’ensemble de la fonction publique et à tous les
régimes spéciaux.
M. Fabien
Roussel. Assumez les départs à la retraite à l’âge de
65 ans !
M. Laurent
Pietraszewski, secrétaire d’État. Autant d’éléments qui
nécessitent que le système soit équilibré financièrement afin qu’il soit solide
pour les générations à venir.
Monsieur Lecoq,…
M. Michel
Herbillon. Votre temps de parole est écoulé.
M. Laurent
Pietraszewski, secrétaire d’État. …vous êtes sans doute déçu,
préoccupé par ce dispositif, mais je vous invite à l’améliorer avec nous afin
que vous soyez rassuré et afin que vos attentes en matière de solidarité soient
exaucées. (Applaudissements sur quelques bancs du groupe LaREM.)
M.
Sébastien Jumel. Faibles applaudissements pour le secrétaire
d’État…
Réforme des retraites
Mme la
présidente. La parole est à Mme Valérie Beauvais.
Mme Valérie
Beauvais. Monsieur le Premier ministre : « Plus de
quatre-vingts 49.3 ont été utilisés sous la Ve République. Il
faut arrêter d’être fasciné par l’impuissance collective. » Ces mots ont
été tweetés le 4 mai 2017 par Emmanuel Macron. (Applaudissements sur de
nombreux bancs du groupe LR.) Près de trois ans plus tard, il a visiblement
changé d’avis et vous aussi…
M. Sylvain
Maillard. Mais non !
Mme Valérie
Beauvais. …puisque vous avez imposé l’article 49, alinéa 3 de
la Constitution alors que votre gouvernement dispose d’une très large
majorité.
M. Sylvain
Maillard. Précisément !
Mme Valérie
Beauvais. Que vous l’ayez déclenché en catimini, un samedi après-midi,
en profitant de manière très cynique d’un conseil des ministres censé traiter de
la seule question du coronavirus, n’a donc qu’un seul objectif, priver le
Parlement et les Français d’un vrai débat sur la question des
retraites.
Cela signifie que cette réforme qui déterminera l’avenir de
millions de Français pendant des décennies ne sera pas votée par l’Assemblée
nationale, ni en commission spéciale, ni en séance publique. Cela signifie que
des questions complexes et potentiellement redoutables, comme la fixation de la
valeur du point, la mise en place d’une super-décote, la prise en compte de la
pénibilité, n’auront jamais pu être évoquées. Au fond, vous avez encouragé
l’obstruction, puis activé l’article 49, alinéa 3 de la Constitution
pour éviter d’expliquer votre réforme, et pour en masquer les lacunes.
(Applaudissements sur les bancs du groupe LR.
– M. Joël Aviragnet et
M. Alain David applaudissent également.)
M. Michel
Herbillon. Elle a raison !
Mme Valérie
Beauvais. Et ne nous faites pas croire que vous avez généreusement
accepté d’intégrer dans le texte sur lequel vous avez engagé la responsabilité
du Gouvernement des propositions de l’opposition !Nous avons fait les
comptes : vous n’avez repris, en tout et pour tout, que cinq amendements
venant des seuls Républicains, et ces cinq amendements étaient soit purement
rédactionnels, soit très symboliques – dans les deux cas, ils sont sans
incidence sur votre réforme.
M. Damien
Abad. Eh oui !
Mme Valérie
Beauvais. Pourtant, nous avons choisi, nous, Les Républicains,
d’incarner une opposition responsable en refusant l’obstruction et en défendant
un projet de réforme financé, crédible et juste. Nous vous avons proposé une
alternative à l’application de l’article 49, alinéa 3 de la
Constitution…
M. Maxime
Minot. Excellent !
Mme Valérie
Beauvais. …en vous demandant, dans une proposition de résolution,
de déposer un nouveau texte, retravaillé, qui serait examiné en temps programmé
pour éviter tout nouveau risque d’obstruction. Pourquoi avoir refusé ces
propositions destinées à sortir de l’enlisement par le haut ? Pourquoi
avez-vous tout fait pour imposer ce recours à l’article 49, alinéa 3
de la Constitution… ? (Vifs applaudissements sur les bancs du groupe
LR.)
Mme la
présidente. La parole est à M. le secrétaire d’État chargé des
retraites.
M. Laurent
Pietraszewski, secrétaire d’État chargé des retraites. Madame
Valérie Beauvais, j’ai participé, sans doute comme vous, à plus de
soixante-quinze heures de débat dans l’hémicycle au cours de trente-deux
séances, après avoir assisté à vingt-six réunions de la commission spéciale
durant plus de soixante-dix heures. (Exclamations sur les bancs du groupe
LR.)
M. Pierre
Cordier. C’est votre job, et puis sur une réforme pareil c’est bien
normal !
M. Fabien
Di Filippo. Vu comment la réforme a été préparée, ce n’est manifestement
pas assez !
M. Laurent
Pietraszewski, secrétaire d’État. Comme vous, peut-être, j’ai
constaté que nous consacrions plus de temps à débattre d’amendements de
suppression que d’éléments de fond. (Exclamations sur les bancs du groupe
LR.)
M. Pierre
Cordier. Menteur : nous n’y sommes pour rien !
M. Laurent
Pietraszewski, secrétaire d’État. Comme vous, peut-être, j’ai
constaté qu’il nous avait fallu presque une semaine pour examiner
l’article 1er du projet de loi, article consacré à des principes
généraux, principes que l’on retrouve dans tous les projets de loi visant à
réformer les retraites préalablement examinés par votre assemblée, qu’il
s’agisse de celui de 2010 ou de 2014. (Mêmes mouvements.)
M. Fabien
Di Filippo. Nous sommes là pour débattre, cela n’a rien
d’exceptionnel !
M. Laurent
Pietraszewski, secrétaire d’État. Vous m’interrogiez sur
l’intégration de vos amendements dans le texte sur lequel le Gouvernement a
engagé sa responsabilité. Il ne vous a pas échappé, madame la députée, que nos
projets politiques étaient différents…
M. Pierre
Cordier. Ça, c’est sûr !
M. Laurent
Pietraszewski, secrétaire d’État. …et que nous défendons,
pour notre part, un projet d’universalité et de liberté que vous ne soutenez
pas. (Mêmes mouvements.)
M. Patrick
Hetzel. C’est un mensonge éhonté : ce n’est pas un projet
universel !
M. Damien
Abad et M. Jean-Marie Sermier. Et le financement ?
M. Thibault
Bazin. Répondez sur le fond ! Vous fuyez le débat !
M. Laurent
Pietraszewski, secrétaire d’État. Vous ne pouvez donc pas être
surprise que les amendements de votre groupe n’aient pas été repris aussi
largement que ceux de la majorité. Ils ont sans doute dans votre lecture
politique une cohérence qu’ils n’ont pas dans le cadre de notre projet. Ce n’est
pas vous faire injure que vous dire que les amendements des membres du groupe
Les Républicains n’étaient pas forcément ceux que nous voulions intégrer au
projet de loi.
M. Damien
Abad. Alors, ne dites pas le contraire à la presse !
M. Thibault
Bazin. Soyez fiers d’être des amateurs !
M. Laurent
Pietraszewski, secrétaire d’État. Enfin, vous le savez, le
parcours de ce projet de loi se poursuit : il sera examiné par le Sénat
après avoir été largement enrichi par les travaux des députés, comme je l’ai
indiqué il y a un instant en répondant à Mme Nathalie Elimas. (Vives
exclamations sur les bancs du groupe LR.)
M. Pierre
Cordier. Menteur !
M. Laurent
Pietraszewski, secrétaire d’État. Il ira au Sénat puis il
reviendra en deuxième lecture. J’espère que nous retrouverons alors à
l’Assemblée des oppositions qui auront envie de débattre projet contre projet
plutôt de défendre amendement de suppression sur amendement de suppression.
(Applaudissements sur les bancs des groupes LaREM et
MODEM.)
Situation à Idlib et crise migratoire
Mme la
présidente. La parole est à M. Pieyre-Alexandre Anglade.
M.
Pieyre-Alexandre Anglade. J’associe mes collègues Sandrine Mörch et
Nicole Trisse à cette question qui s’adresse à M. le ministre de l’Europe
et des affaires étrangères.
Après les raids syriens meurtriers contre
Idlib, la Turquie a décidé de laisser partir vers l’Europe les réfugiés dont
elle a la responsabilité depuis l’accord de 2016. Face à l’ampleur de la crise
humanitaire en Syrie et face au chantage cynique et indigne du président turc,
l’Europe tout entière est mise à nouveau au défi. En Syrie, la situation reste
extrêmement grave et préoccupante. L’action de la France a été déterminante ces
dernières années pour résoudre ce conflit, mais le martyr insoutenable des
habitants d’Idlid exige une voix et une action européennes fortes et
cohérentes.
Dans le même temps, à nos frontières européennes, notamment
en Grèce, les menaces inqualifiables auxquelles nous assistons depuis
quarante-huit heures constituent une atteinte à la souveraineté de l’Europe, et
une atteinte manifeste à la dignité d’enfants, de femmes, d’hommes. Nous ne
pouvons pas nous résoudre à les voir utilisés comme une vulgaire marchandise
dans une provocation infamante ; nous ne le devons pas ! Ce sont les
valeurs et la crédibilité de l’Europe qui sont défiées.
Cette situation
illustre à nouveau le fait qu’aucun pays ne peut relever seul ces défis. Parce
que les pays membres de l’Union européenne continuent trop souvent d’agir en
ordre dispersé, la lutte contre l’immigration illégale manque d’efficacité et
l’accueil des réfugiés manque d’humanité. Nous ne pouvons plus accepter de
déléguer notre politique migratoire à des États tiers, comme nous ne pouvons
plus accepter que certains égoïsmes nationaux entravent la réforme de la
politique d’asile ou de Frontex, l’agence européenne de gardes-frontières et de
gardes-côtes.
Chacun sait que l’absence d’une politique migratoire
européenne efficace a provoqué des clivages profonds et qu’elle a eu des effets
dramatiques. Elle a fait de la Méditerranée un cimetière, une honte qui restera
parmi les pages les plus sombres de l’Europe. Un peu partout en Europe, elle a
provoqué des séismes politiques de forte intensité.
Monsieur le ministre,
pour nous, Européens, cette crise est un test. Je sais la détermination totale
du Président de la République et de ce Gouvernement à faire entendre la voix de
la France auprès de ses partenaires européens pour mettre un terme au martyre
d’Idlib et résoudre la situation migratoire à la frontière grecque de l’Union
européenne. Pouvez-vous nous dire quelle position la France entend adopter avec
ses partenaires pour y parvenir ? (Applaudissements sur les bancs du
groupe LR.)
Mme la
présidente. La parole est à M. le ministre de l’Europe et des
affaires étrangères.
M. Jean-Yves
Le Drian, ministre de l’Europe et des affaires étrangères. Vous
avez raison de souligner que les intérêts et les valeurs de l’Europe sont
directement en jeu dans la crise qui se déroule à Idlib.
M.
Jean-Paul Lecoq. Et la lutte contre le terrorisme, vous n’en parlez
pas ?
M. Jean-Yves
Le Drian, ministre. Tout d’abord parce que les populations
civiles souffrent les premières dans des conditions extrêmes, otage d’un jeu
condamnable de puissances cyniques.
M.
Jean-Paul Lecoq. Il n’y a plus de terroristes à Idlib : êtes-vous
sûr de cela ?
M. Jean-Yves
Le Drian, ministre. Ensuite, parce que si cette offensive se
poursuit, cela fait peser un risque de dispersion des éléments terroristes qui
se trouvent à Idlib. Enfin, dans le contexte de l’offensive en cours, les
décisions de la Turquie ont des conséquences migratoires très négatives pour la
Grèce et les pays riverains, en particulier la Bulgarie.
Depuis le début
de cette crise, les Européens n’avancent pas « en ordre dispersé ».
Ils ont déjà eu l’occasion d’affirmer une position unique lors du Conseil
européen du 20 février dernier au niveau des chefs d’État et du
Gouvernement. Au niveau des ministres des affaires étrangères, nous avons
élaboré l’agenda d’une désescalade qui puisse répondre à la foi à la situation
immédiate, par l’ouverture des accès humanitaires, par le retour au dispositif
de Sotchi, par le respect par la Turquie des engagements pris en septembre
2016.
Nous avons aussi décidé ensemble de nous réunir, vendredi, entre
ministres des affaires étrangères, après qu’aura eu lieu, demain, la réunion des
ministres de l’intérieur, pour élaborer, en réponse à la demande des Grecs, des
positions communes de soutien pratique et concret face aux difficultés que
rencontre ce pays. Nous serons amenés à les faire connaître à l’issue de ces
réunions.
Au-delà de cela, il faut revenir à la cause c’est-à-dire à la
crise en Syrie. La réponse à cette crise ne pourra pas être militaire ;
elle ne pourra être que politique. Il importe que le comité constitutionnel
syrien, aujourd’hui en panne à Genève, puisse se réunir pour ouvrir des
perspectives plus sereines.
Situation de l’hôpital et crise du coronavirus
Mme la
présidente. La parole est à M. Robin Reda.
M. Maxime
Minot. Un homme libre !
M. Robin
Reda. Monsieur le Premier ministre, la motion de censure qui sera
soutenue par les membres du groupe Les Républicains, cet après-midi, viendra
sanctionner la légèreté avec laquelle vous avez traité le dossier des
retraites,…
M. Pierre
Cordier. Très bien !
M. Robin
Reda. …mais elle sanctionnera en réalité bien d’autres échecs, parmi
lesquels celui que traduit la crise de l’hôpital public.
Alors que
l’arrivée annoncée de l’épidémie de coronavirus fait de notre système de santé
une matriochka, nous faisons face à une crise dans la crise à l’hôpital.
L’hôpital c’est un peu comme votre gouvernement : quand ceux qui sont en
première ligne sont épuisés, il y a de moins en moins de monde en deuxième ligne
pour prendre le relais tant vous avez asséché les territoires.
(M. Maxime Minot et M. Jean Lassalle
applaudissent.)
Entre la gestion des patients courants,
l’intensification des urgences et le besoin d’espaces isolés d’accueil pour les
patients touchés, les Français s’inquiètent de voir nos grands hôpitaux démunis
face à la probable épidémie. Postes non pourvus, gardes à rallonge, personnels
en souffrance : c’est toujours la réalité dans nos établissements de santé,
malgré vos mesures d’urgence.
Cette crise ne va faire qu’aggraver la
violence des déserts médicaux, là où, les uns après les autres, les hôpitaux de
proximité sont torpillés par le pouvoir central. Dans la ruralité mais aussi en
banlieue, comme dans ma ville de Juvisy-sur-Orge, la souffrance des urgences de
proximité ne permettra pas d’assurer le bon fonctionnement de la « deuxième
ligne » pourtant nécessaire pour éviter la psychose et traiter correctement
l’arrivée d’une épidémie.
Monsieur le Premier ministre, le plan d’urgence
pour hôpital, « ma santé 2022 », présenté en novembre dernier par
votre ancienne ministre des solidarités et de la santé, montre déjà ses limites.
Vous n’aviez rien annoncé, ni création de postes ni ouvertures de lits :
c’est cela qui pèsera le plus dans ce contexte de vigilance maximale. Cela
revient-il à dire aux 4 millions de personnes qui vivent dans un désert
médical qu’elles seront moins bien prises en charge que les autres
Français ?
Les questions qui se posent sont simples et très
concrètes. À ce stade de l’épidémie, nos hôpitaux sont-ils vraiment prêts ?
Comment comptez-vous associer les médecins du premier recours dans nos
territoires ? Êtes-vous conscient que ces moments de crise révèlent
l’importance de conserver des hôpitaux de proximité et des services d’urgence
dans tous les territoires ? (Applaudissements sur les bancs du groupe
LR. – Mme Marie-France Lorho applaudit
également.)
Mme la
présidente. La parole est à M. le ministre des solidarités et de la
santé.
M. Olivier
Véran, ministre des solidarités et de la santé. Figurez-vous que
nous allons dans les hôpitaux – j’y travaille. Nous étions hier matin à
Bordeaux, avec le Premier ministre, à la rencontre des équipes hospitalières.
Personne ne nous a dit que l’hôpital ne serait pas à la hauteur pour prendre en
charge les malades. (M. Erwan Balanant
applaudit.)
Il y a eu des médecins et des soignants pour nous dire
que l’hôpital était sous tension, et qu’il avait besoin d’être soutenu pour
tenir. C’est évident, et c’est ce à quoi nous nous employons. Mais, personne n’a
affirmé devant nous que l’hôpital ne serait pas à la hauteur. Vous êtes le
premier à me dire cela depuis quinze jours. (Applaudissements prolongés sur
les bancs des groupes LaREM et MODEM.)
Je vous le dis :
l’hôpital sera à la hauteur, la médecine de ville sera à la hauteur, nos
infirmiers seront à la hauteur, nos ambulanciers et nos pompiers seront à la
hauteur de cette crise virale. Monsieur Robin Reda, ne vous transformez pas en
prédicateur de malheur ! (Exclamations sur les bancs du groupe
LR.)
M. Pierre
Cordier. Ce n’est pas du tout ce qu’il a dit ! Il faut écouter les
questions !
M. Olivier
Véran, ministre. Nous pouvons être fiers de notre système de
santé et c’est pour cela que nous le soutenons. J’ai répondu à la question de
Mme Jeanine Dubié en annonçant 260 millions de financements
supplémentaires pour l’hôpital public. Nous faisons le tour des hôpitaux, et
j’ai annoncé qu’il n’y a pas un département de France, pas un seul département,
dans lequel il n’y aura pas un hôpital capable de prendre en charge l’ensemble
des malades de A à Z !
M. Maxime
Minot. Vous n’avez pas écouté : personne n’a dit le
contraire !
M. Olivier
Véran, ministre. Nous devons travailler le lien pré-hospitalier
avec le lien hospitalier, et préparer, dans l’hypothèse d’une épidémie, le lien
entre l’hôpital et la médecine de ville. Tout cela mobilise beaucoup d’énergie.
Nos soignants sont parmi les meilleurs du monde parce qu’ils sont parmi les
mieux formés du monde et qu’ils ont une vocation extrêmement forte. Je crois que
la représentation nationale s’honorerait à le reconnaître et à les soutenir.
(Applaudissements sur les bancs des groupes LaREM, MODEM et
UDI-Agir.)
M. Pierre
Cordier. Menteur !
Diplomatie féministe
Mme la
présidente. La parole est à Mme Céline Calvez.
Mme Céline
Calvez. Madame la secrétaire d’État chargée de l’égalité entre les
femmes et les hommes et de la lutte contre les discriminations, il y a plus de
deux ans, le Président Emmanuel Macron faisait de l’égalité entre les femmes et
les hommes la grande cause du quinquennat. Depuis, la France s’inscrit dans une
dynamique nouvelle, celle d’une diplomatie féministe. Une diplomatie pour la
lutte contre les violences sexuelles et sexistes. Une diplomatie pour
l’éducation des filles et des femmes, des garçons et des hommes, partout dans le
monde. Une diplomatie pour l’émancipation économique des femmes à travers le
monde. Une diplomatie qui n’oublie aucun sujet. Une diplomatie concrète qui ne
se contente pas de discours.
M. Aurélien
Pradié. C’est faux ! Quel blabla !
Mme Céline
Calvez. Ainsi, au mois d’août dernier, dans le cadre de sa présidence du
G7, la France lançait le partenariat de Biarritz pour l’égalité entre les femmes
et les hommes. Ce partenariat engage chaque pays à adopter au moins une loi
parmi les lois les plus favorables pour l’égalité entre les femmes et les hommes
dans le monde, qu’elles viennent du Canada ou encore de Finlande où j’ai eu
l’honneur de vous accompagner il y a maintenant quelques semaines.
M. Maxime
Minot. Nous y sommes !
Mme Céline
Calvez. Au cours de ce déplacement, nous avons pu mesurer les progrès
qu’il nous reste à faire, en France, pour renforcer la place des femmes en
politique, dans l’art, dans le sport ou encore dans l’économie. C’est la tâche à
laquelle s’attelleront les parlementaires, à vos côtés, pour honorer le
partenariat de Biarritz en adoptant une loi ambitieuse et de grand progrès pour
l’émancipation économique des femmes.
Cette diplomatie féministe
s’inscrit aussi dans la préparation du forum Génération Égalité qui se tiendra à
Paris, en juillet 2020, vingt-cinq ans après la conférence mondiale sur les
femmes de l’ONU, qui avait eu lieu à Pékin. Ce forum permettra de dresser un
bilan des progrès accomplis et d’élaborer des mesures pour atteindre l’égalité
avant 2030.
À quatre mois du forum Génération Égalité, pouvez-vous nous
dire comment faire de ce rendez-vous un franc succès, et comment associer
l’ensemble des parties prenantes pour que cette grande cause du quinquennat
devienne, si ce n’est la seule, du moins une grande cause mondiale.
(Applaudissements sur les bancs du groupe LaREM.)
M. Aurélien
Pradié. Pipeau et compagnie !
Mme la
présidente. La parole est à Mme la secrétaire d’État chargée de
l’égalité entre les femmes et les hommes et de la lutte contre les
discriminations.
M. Aurélien
Pradié. Pipeau en chef !
Mme Marlène
Schiappa, secrétaire d’État chargée de l’égalité entre les femmes et
les hommes et de la lutte contre les discriminations. Madame la députée, je
vous remercie tout d’abord pour votre présence lors de notre déplacement en
Finlande. Votre expertise sur la culture, l’éducation et l’égalité entre les
femmes et les hommes a été très précieuse, de même que celle des députées
Bérangère Couillard et Alexandra Louis, et de l’ambassadrice Delphine O…
M. Maxime
Minot. La petite sœur du ministre !
Mme Marlène
Schiappa, secrétaire d’État. Il y avait là une illustration
concrète de la diplomatie féministe portée par la France. Pourquoi agir en ce
sens ? Parce qu’en 2020, aucun pays dans le monde n’a atteint
l’égalité entre les femmes et les hommes dans tous les domaines. Aucun pays, pas
même la France, et aucun pays ne pourra l’atteindre seul. C’est le sens de la
diplomatie féministe que nous soutenons depuis près eux ans avec Jean-Yves
Le Drian, ministre de l’Europe et des affaires étrangères, sous l’impulsion
du Président de la République.
C’est pourquoi, hier, à l’Élysée, nous
avons participé à une session de travail autour du Président Emmanuel Macron,
avec Mme Margot Wallström, l’ancienne ministre suédoise, initiatrice du
concept de diplomatie féministe, et Mme Phumzile Mlambo-Ngcuka,
directrice exécutive d’ONU Femmes, entité des Nations unies sous l’égide de
laquelle nous préparons le forum Génération égalité.
Mme Marlène
Schiappa, secrétaire d’État. Ce matin, avec Jean-Yves
Le Drian, ministre de l’Europe et des affaires étrangères, et Amélie
de Montchalin, secrétaire d’État chargée des affaires européennes, nous
avons remis le prix Simone Veil de la République française, doté de
100 000 euros, à une ONG d’Amérique du Sud qui lutte pour les droits
sexuels et reproductifs.
C’est ce même thème que la France a choisi de
promouvoir au forum Génération Égalité où, le Président de la République l’a
annoncé hier, la France lancera une coalition mondiale pour la défense de
l’accès à la contraception et à l’interruption volontaire de grossesse.
M. Pierre
Cordier. Mais c’est formidable ! Merci, Manu !
Mme Marlène
Schiappa, secrétaire d’État. Ce forum, qui se tiendra en juillet
à Paris, marquera le vingt-cinquième anniversaire de la déclaration de Pékin, la
plus aboutie à ce jour en matière de droits des femmes.
À l’occasion du
8 mars et toute l’année, nous devons nous battre, en France et partout dans
le monde, pour l’égalité entre les femmes et les hommes ; c’est ce que fait
le Gouvernement. (Applaudissements sur les bancs des groupes LaREM et
MODEM.)
M. Aurélien
Pradié. Ce n’est pas vrai !
Retour et libération de djihadistes
Mme la
présidente. La parole est à Mme Marie-France Lorho.
Mme
Marie-France Lorho. Le 21 novembre 2018, Thibault
de Montbrial, avocat au barreau de Paris et membre du conseil scientifique
de l’École de guerre, tirait la sonnette d’alarme : selon lui, les
terroristes islamistes français ou francophones se comptent par milliers, et
nous risquons d’assister, en 2021-2022, à une montée en puissance des attaques
qui s’apparenteront à ce qui se passe au Mali, en Syrie et en
Afghanistan.
Madame la garde des sceaux, le 11 janvier dernier, vous
avez évoqué la possibilité d’un retour des djihadistes français en France, mais
votre cabinet ministériel a démenti l’information, soulignant que les
djihadistes devaient être jugés dans les endroits où ils ont commis leurs
exactions. Par ailleurs, depuis quelques jours, la Turquie ne retient plus les
flux de migrants qui cherchent à gagner l’Europe.
En 2018, Thibault
de Montbrial prévenait que 56 % des détenus radicalisés condamnés pour
terrorisme sortiraient de prison avant 2020. Officiellement, une quarantaine de
djihadistes ont retrouvé la liberté depuis lors. Demain, leur nombre ne fera
qu’augmenter : quarante-trois djihadistes devraient sortir de prison en
2020 et une soixantaine en 2021. La loi du 30 octobre 2017, qui a assorti
la sortie de prison des terroristes islamistes d’un arsenal de mesures de
surveillance administrative et d’une assignation à résidence, n’est évidemment
pas suffisante. Comment nos services de renseignement pourront-ils surveiller
chacune des personnes suspectes vingt-quatre heures sur
vingt-quatre ?
Madame la ministre, quelles dispositions fortes le
Gouvernement entend-il prendre pour empêcher la sortie de prison de plusieurs
dizaines de détenus dangereux dans les prochaines années ? Comptez-vous
frapper ces personnes, qui haïssent viscéralement notre nation, d’une légitime
déchéance de nationalité ? En dix ans, la France n’en a prononcé que
treize. Comptez-vous laisser les États souverains juger les terroristes français
qui ont agi sur leurs terres ? (Applaudissements parmi les députés non
inscrits. – Mme Emmanuelle Anthoine et
M. Jean-Claude Bouchet applaudissent
également.)
Mme la
présidente. La parole est à Mme la garde des sceaux, ministre de la
justice.
Mme Nicole
Belloubet, garde des sceaux, ministre de la justice. Vous
m’interrogez sur le suivi en détention et post-détention des personnes
condamnées pour des faits de terrorisme. Deux éléments me semblent
importants.
D’une part, en détention, elles font l’objet d’un encadrement
très précis visant à prévenir les phénomènes de violence qui les ont conduites à
accomplir les actes pour lesquels elles ont été condamnées. Elles sont également
suivies par le renseignement pénitentiaire, qui est ainsi en mesure d’empêcher
les éventuelles récidives.
D’autre part, à la sortie de prison – qui
dépend évidemment de la peine prononcée par le juge –, elles font l’objet
d’un suivi judiciaire, décidé par le juge d’application des peines en matière de
terrorisme, ou d’un suivi administratif, mis en place par l’autorité
préfectorale et les services de renseignement. L’ensemble de ces mesures nous
permet de savoir ce que font et où se trouvent les personnes qui ont été
condamnées pour des faits de terrorisme.
Il est sans doute possible
– mes services travaillent actuellement en ce sens – d’améliorer
l’arsenal juridique applicable en la matière, mais cela doit se faire dans le
cadre de l’État de droit et dans le respect des libertés et des garanties
fondamentales prévues par la Constitution. C’est cela, l’État de droit :
assurer la sécurité et garantir les exigences constitutionnelles – tels
sont les deux objectifs que nous nous assignons. (Applaudissements sur
quelques bancs du groupe LaREM.)
Commission d’enquête sur l’étude d’impact relative à la réforme
des retraites
Mme la
présidente. La parole est à M. Boris Vallaud.
M. Boris
Vallaud. Monsieur le Premier ministre, après l’échec, en commission
spéciale puis en séance publique, de l’examen du projet de loi relatif à la
réforme des retraites, trente-neuf articles, vingt-sept habilitations à
légiférer par ordonnance et des centaines d’amendements n’auront fait l’objet
d’aucun examen de fond. Nul ne peut sérieusement prétendre aujourd’hui que la
représentation nationale est correctement informée des tenants et des
aboutissants de cette réforme importante, une telle information relevant
pourtant d’une obligation constitutionnelle. Il est regrettable que vous ayez
préféré la démocratie expéditive au débat de fond.
Demain, à dix heures
trente, la commission des affaires sociales examinera la proposition de
résolution du groupe Socialistes et apparentés tendant à la création d’une
commission d’enquête sur la sincérité de l’étude d’impact – une étude
critiquée par le Conseil d’État, les organisations syndicales et la plupart des
analystes, y compris des économistes jadis proches de vous qui prennent
aujourd’hui leurs distances. La recevabilité juridique de cette proposition ne
fait aucun doute, et il est d’usage républicain d’accepter comme un droit
fondamental de l’opposition la création d’un telle commission d’enquête.
Celle-ci permettrait d’éclairer utilement la représentation nationale, toute la
représentation nationale.
J’entends pourtant dire dans vos rangs et parmi
vos ministres que le Gouvernement et la majorité pourraient être tentés d’y
faire obstacle. Ce serait une décision grave et funeste pour notre démocratie
parlementaire, et une vilenie supplémentaire faite aux Françaises et aux
Français.
Monsieur le Premier ministre, comme chef du Gouvernement et
dans le respect de la séparation des pouvoirs, mais surtout comme chef de la
majorité – que vous venez souvent voir à l’Assemblée –, pouvez-vous
nous assurer que nos craintes ne sont pas fondées et que vous ferez tout votre
possible pour que ce droit fondamental du Parlement soit respecté ?
(Applaudissements sur les bancs des groupes SOC et GDR. –
Mmes Valérie Beauvais et Frédérique Meunier applaudissent
également.)
Mme la
présidente. La parole est à M. le Premier ministre.
M. Édouard
Philippe, Premier ministre. Vous m’interrogez sur un sujet qui
sera évoqué demain en commission des affaires sociales. Vous commencez par
exprimer le sentiment qu’en faisant usage d’une disposition constitutionnelle,
le Gouvernement méconnaît le rôle du Parlement ; c’est un avis qui vous
appartient. Mais immédiatement après avoir ainsi regretté la façon dont le
Gouvernement traiterait, si j’ose dire, la représentation nationale, vous
demandez au chef du Gouvernement de se prononcer sur une question qu’il
appartient à la commission des affaires sociales de trancher souverainement.
(Vifs applaudissements sur les bancs des groupes LaREM et
MODEM.)
Votre agilité intellectuelle me laisse pantois ! Vous
avez, par le passé, cautionné six fois l’usage de l’article 49,
alinéa 3, et vous voilà aujourd’hui qui critiquez un gouvernement qui y
recourt pour la première fois !
M.
Christian Hutin. Ce n’est pas la question !
M. Édouard
Philippe, Premier ministre. Vous accusez le Gouvernement de
s’immiscer dans les affaires du Parlement et de ne pas respecter ses droits,
mais vous me demandez ce que le Gouvernement pense d’une question qu’il
appartient au Parlement de trancher ! (Exclamations sur les bancs du
groupe SOC.) Monsieur le député, soyons sérieux ! Les commissions
d’enquête, vous le savez, font l’objet de dispositions précises ; une
discussion juridique peut se nouer et se nouera.
M.
Christian Hutin. Vous opposerez-vous, oui ou non, à la création de la
commission d’enquête ?
M. Édouard
Philippe, Premier ministre. Demain, la décision sera prise par
les députés membres de la commission des affaires sociales, et c’est très bien
ainsi ! (Applaudissements sur les bancs des groupes LaREM et
MODEM.)
M. Cyrille
Isaac-Sibille. Bravo !
M. Olivier
Marleix. Quelle hypocrisie, monsieur le Premier ministre ! Vous
êtes le chef de la majorité !
Mme la
présidente. La parole est à M. Boris Vallaud.
M. Boris
Vallaud. Monsieur le Premier ministre, je ne me serais pas permis cette
question si je n’avais pas eu des confidences – que certains ministres
présents dans l’hémicycle déplorent peut-être – sur les intentions du
Gouvernement. Je m’en fais l’écho. J’aurais été heureux d’être rassuré, mais je
ne le suis pas à cet instant ! (Applaudissements sur les bancs du groupe
SOC. – Exclamations sur les bancs des groupes LaREM et MODEM.)
M.
Jean-Charles Colas-Roy. Lave-toi les oreilles !
Situation des femmes en Afghanistan
Mme la
présidente. La parole est à Mme Frédérique Dumas.
Mme
Frédérique Dumas. Monsieur le ministre de l’Europe et des affaires
étrangères, depuis 2001, grâce aux efforts de la communauté internationale et à
la constitution adoptée en 2004, les femmes afghanes avaient acquis certains
droits : elles pouvaient sortir de chez elles, aller à l’école et à
l’université, avoir accès au système de santé et à la justice, au Parlement et à
la gouvernance. Tous ces droits étaient certes absents de pans entiers du
territoire et très fragiles, d’autant plus que la sécurité était, depuis des
mois, remise en cause, mais ils constituaient des acquis.
Samedi dernier,
le représentant spécial américain Zalmay Khalilzad et le cofondateur du
mouvement taliban Abdul Ghani Baradar ont signé un accord dit de paix. Cet
accord bilatéral, qui fait moins de quatre pages, donne aux talibans ce pourquoi
ils se battaient depuis 2002 : le retrait total des troupes américaines
dans les quatorze mois et la perspective du rétablissement de l’État islamique.
Or nous savons ce que ce que cela signifie pour les femmes.
En juin 2019,
mon collègue Aurélien Pradié et moi-même avons reçu une délégation de femmes
afghanes, qui nous ont suppliés de ne pas les abandonner. Le 3 juillet
suivant, nous avons adressé au Président de la République une lettre cosignée
par soixante-quinze députées, députés, sénatrices et sénateurs. Nous n’avons
reçu aucune réponse.
Dans 135 jours environ, 5 000 soldats
américains auront quitté l’Afghanistan ; les 8 500 restants
partiront dans les quatorze mois. Par ailleurs, 5 000 prisonniers
talibans seront libérés d’ici au mois de mars ; les autres, dans les trois
mois.
Deux jours après avoir signé l’accord dit de paix, les talibans ont
repris les combats. Les Américains nous avaient expliqué qu’ils pouvaient
suspendre cet accord à tout moment, mais ne soyons pas naïfs : nous savons
qu’il n’en sera rien, élections américaines obligent.
Nous sommes tous
complices de cet abandon. En 2011, la France prenait la décision de retirer ses
troupes d’Afghanistan. Le 31 décembre 2014, l’armée française quittait le
pays après treize ans de présence. Selon l’accord dit de paix signé samedi, les
sanctions américaines contre le mouvement islamiste seront levées d’ici au
27 août prochain, et on nous annonce que les sanctions de l’ONU seront
levées à la même date.
Monsieur le ministre, la France va-t-elle donner
son accord à la levée des sanctions ? Quel rôle va-t-elle jouer dans le
cadre de l’ONU ? Allez-vous laisser la lourde porte se refermer sur les
femmes afghanes et sur l’Afghanistan – et donc sur l’humanité ?
(Applaudissements sur les bancs des groupes LT et UDI-Agir ainsi que sur
quelques bancs des groupes LaREM et MODEM. – Mme Valérie
Lacroute applaudit également.)
Mme la
présidente. La parole est à M. le ministre de l’Europe et des
affaires étrangères.
M. Jean-Yves
Le Drian, ministre de l’Europe et des affaires étrangères. Vous
avez évoqué les deux textes qui ont été rendus publics le 29 février
dernier : la déclaration des gouvernements américain et afghan signée à
Kaboul et l’accord entre les États-Unis et les talibans signé à Doha. La
signature de ces accords représente une étape significative pour le processus de
paix. L’accord entre les États-Unis et les talibans comporte en particulier un
engagement de ces derniers à lutter contre le terrorisme. De plus, vous l’avez
rappelé, le gouvernement afghan et les talibans devront procéder à des échanges
de prisonniers d’ici au 10 mars prochain. Le sujet sera ensuite inscrit à
l’ordre du jour du Conseil de sécurité des Nations unies.
À ce stade, la
France n’a pas adopté de position définitive sur la question, sous réserve
d’inventaire. De notre point de vue, il importe surtout que s’ouvrent des
négociations interafghanes. Nous souhaitons que, préalablement au retrait des
troupes américaines, l’ensemble des parties s’engagent sur un cessez-le-feu
complet et sur une feuille de route inclusive, qui intègre la préservation des
acquis en matière de droits humains accumulés depuis le début des
années 2000, fruit des discussions au sein de la société civile afghane. Le
maintien des acquis démocratiques est la condition d’une paix
durable.
Nous poursuivrons nos discussions avec les représentants afghans
des droits de l’homme, en particulier Mme la ministre Sima Samar que je
recevrai vendredi. Nous prenons, à l’égard des femmes afghanes, des initiatives
très fortes dans le cadre de l’agenda Femmes, paix et sécurité ; je pense
en particulier au lycée pour filles Malalaï et à l’Institut médical français
pour la mère et l’enfant, situés à Kaboul.
Nous sommes très attachés à la
préservation des droits des femmes. Nous serons attentifs à leur insertion dans
la logique amorcée par la signature de ces accords, qui doivent désormais être
examinés par les différentes parties prenantes. (Applaudissements sur
quelques bancs du groupe LaREM.)
Lutte contre les violences sexuelles
Mme la
présidente. La parole est à Mme Danièle Obono.
Mme Danièle
Obono. Il y a le courage : celui d’Adèle Haenel, d’Aïssa Maïga, des
femmes grévistes de l’hôtel Ibis Clichy-Batignolles, de toutes ces personnes qui
défoncent depuis bien longtemps les murs du silence patriarcal ; de celles
encore qui, en réaction au César de la honte, ont dénoncé les violences subies
lorsqu’elles étaient enfants, sous le mot-dièse #jesuisvictime.
Il y a le
courage : un geste de la main et des mots qu’on lit sur les lèvres ;
une prise de parole qui fige une assemblée ; des manifestations, des
collages, des dépôts de plainte – ils sont en hausse de 42 % ; le
fait de regarder un monde minable en face et de lui tourner le dos.
Et il
y a les réactions des dominants et des dominantes, et leurs réponses, de la
salle Pleyel à Matignon, honteuses, indignes, décidément pas à la hauteur,
carrément au-dessous de tout : récompenser par des prix – non pas le
pédocriminel, mais l’artiste, bien sûr ! –, refuser de mettre sur la
table les moyens humains et financiers nécessaires.
Il faut, au bas mot,
1 milliard ; là, maintenant, et non étalé sur plusieurs années en
autorisations d’engagement. (Applaudissements sur les bancs du groupe
FI.)
Il faut 1 milliard pour les 130 000 filles et
35 000 garçons qui subissent chaque année des viols et tentatives de
viol.
Il faut 1 milliard non pour faire de la com’ ni pour récupérer
830 millions dans les budgets de l’aide au développement ou de la
solidarité, mais parce que 65 % des femmes tuées par leur partenaire ou
ex-partenaire avaient déposé plainte.
Il faut 1 milliard pour que
les survivantes, celles qui parviennent à franchir la porte d’un commissariat,
soient correctement reçues et écoutées, pour garantir qu’elles soient hébergées
et puissent ainsi quitter leur domicile.
Il faut 1 milliard pour
leur fournir un suivi social et psychologique, pour former des juges, des
enquêteurs et des enquêtrices, des travailleurs et des travailleuses sociales,
des infirmiers et des infirmières.
Il faut 1 milliard, au bas mot,
consacré uniquement à la politique de lutte contre les violences sexuelles, afin
qu’elle soit un tant soit peu conséquente.
Monsieur le Premier ministre,
où est-il, ce milliard ? (Applaudissements sur les bancs du groupe FI et
sur quelques bancs des groupes GDR et SOC.)
Mme la
présidente. La parole est à Mme la secrétaire d’État chargée de
l’égalité entre les femmes et les hommes et de la lutte contre les
discriminations.
Mme Marlène
Schiappa, secrétaire d’État chargée de l’égalité entre les femmes et
les hommes et de la lutte contre les discriminations. Vous avez commencé par
saluer le courage des femmes qui parlent et, bien évidemment, je ne peux que
vous rejoindre. Depuis quelques années, notamment depuis le
mouvement #MeToo, ces femmes ont le courage de dénoncer les violences
sexistes et sexuelles qu’elles ont vécues, qu’il s’agisse de harcèlement sexuel
sur le lieu de travail, de viol ou de violences conjugales, voire d’excision et
d’exploitation sexuelle.
Pendant quelques années, il a été de bon ton de
parler de « libération de la parole des femmes ». Personnellement, je
ne me reconnais pas dans cette expression, à laquelle je préfère celle de
« libération de l’écoute des femmes ». En effet, cela fait des
générations que les femmes parlent, sans être entendues.
(Mme Laure
de La Raudière applaudit.) Ce qui a
changé, au cours des dernières années, ce n’est pas que les femmes se mettent à
parler ; c’est qu’enfin la société se met à les écouter.
(Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe LaREM.)
M. Bruno
Millienne. Très bien, madame la secrétaire d’État ! Ça, ce n’est
pas du bla-bla !
Mme Marlène
Schiappa, secrétaire d’État. Les écouter, c’est précisément le
travail du Gouvernement, afin qu’elles ne parlent pas dans le vide et que les
réseaux sociaux ne soient pas leur dernier recours.
M. Aurélien
Pradié. Il faut agir, pas écouter ! Voilà votre travail !
Mme Marlène
Schiappa, secrétaire d’État. C’est pourquoi nous avons créé la
plateforme numérique Arrêtons les violences, sur laquelle des policières et des
policiers spécialement formés répondent vingt-quatre heures sur vingt-quatre,
sept jours sur sept, aux femmes victimes de violences sexistes et
sexuelles.
C’est pourquoi nous avons augmenté les subventions à la
plateforme téléphonique 3919, qui peut désormais répondre à 100 % des
appels, grâce à de nouvelles écoutantes formées, et sera bientôt ouverte
vingt-quatre heures sur vingt-quatre.
C’est pourquoi nous avons organisé
le Grenelle des violences conjugales, sous l’égide du Premier ministre. Je n’ai
d’ailleurs pas compris votre allusion à Matignon, madame Obono : notre
Premier ministre est le premier à avoir lancé une mobilisation
interministérielle contre les violences sexistes et sexuelles.
(Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe LaREM.)
M.
Jean-Paul Lecoq. Il faut des places d’accueil dans les
structures !
Mme Marlène
Schiappa, secrétaire d’État. Nous avons engagé 1 milliard
d’euros dans un cadre interministériel, dont une partie provient effectivement
du ministère de l’Europe et des affaires étrangères. Nous ne le cachons pas,
nous en sommes fiers ; nous sommes d’ailleurs salués dans le monde entier
pour cela, et c’est pourquoi la France a été choisie pour organiser le forum
Génération Égalité.
M. Aurélien
Pradié. Ce n’est pas vrai ! Vous mentez !
Mme Marlène
Schiappa, secrétaire d’État. Voulez-vous donc que la France
revienne sur son engagement de soutenir, à hauteur de 6 millions d’euros,
le fonds du docteur Denis Mukwege, prix Nobel de la paix, plus connu sous le nom
de « l’homme qui répare les femmes » ? Il soigne les femmes qui,
partout dans le monde, sont victimes de viols de guerre.
M. Aurélien
Pradié. Ce n’est pas 1 milliard ! Quel bobard ! Sur un
sujet aussi important !
Mme Marlène
Schiappa, secrétaire d’État. Je ne pense pas que telle soit votre
intention.
Nous subventionnons 1 300 associations féministes
partout sur le territoire. Aucun gouvernement n’a auparavant consacré autant
d’argent à la défense des femmes, non seulement le 8 mars, mais tout au
long de l’année ! (Applaudissements sur les bancs du groupe LaREM et sur
quelques bancs du groupe MODEM – Exclamations sur les bancs du groupe
LR.)
Mme la
présidente. La parole est à Mme Danièle Obono.
Mme Danièle
Obono. Madame la secrétaire d’État, vous dites que vous écoutez et que
vous entendez, mais vous n’agissez pas. Et nous avons bien compris, à la lumière
de votre réponse, que vous continuerez à ne rien faire. Néanmoins, nous ne
sommes pas déçus, puisque nous n’attendions rien de vous.
M. Sylvain
Maillard. C’est nul de dire ça !
Mme Danièle
Obono. De toute évidence, comme toujours, nous n’obtiendrons rien que
nous n’ayons arraché. Il ne nous reste plus qu’à appeler à une nouvelle
mobilisation, comme le 23 novembre dernier,…
Mme la
présidente. Merci, madame Obono.
Mme Danièle
Obono. …notamment le 5 mars prochain, contre la réforme des
retraites, dont les femmes seront les grandes perdantes !
(Applaudissements sur les bancs du groupe FI. –Protestations sur les bancs du
groupe LaREM.)
Coronavirus
Mme la
présidente. La parole est à M. Jean-Pierre Door.
M.
Jean-Pierre Door. Monsieur le ministre des solidarités et de la santé,
depuis l’épidémie du SRAS – syndrome respiratoire aigu sévère – en
2003, puis celle du virus H5N1, le monde s’est préparé à la possibilité d’une
pandémie grippale. Cette préparation s’est intensifiée avec la crise liée au
virus humain H1N1, qui est apparu au Mexique en 2009 et s’est répandu à
l’échelle de la planète jusqu’en août 2010 – nous nous en souvenons
tous.
Aujourd’hui, nous sommes confrontés à la multiplication, sur
plusieurs continents, de foyers de contamination par le coronavirus, identifié
en Chine. Il y aurait environ 200 cas en France, quatre malades étant,
malheureusement, décédés.
Il est indispensable de prévoir et de se
préparer, compte tenu de la mutation possible des virus, de leur migration et de
leur éventuelle combinaison avec d’autres virus, comme ce fut le cas de la
grippe espagnole en 1918.
De nombreux exercices nationaux
– neuf – ont été organisés. La France est donc parfaitement préparée.
Grâce à son plan national de prévention, notre pays est le mieux armé pour faire
face à un risque de pandémie grippale grave. La loi du 9 août 2004 impose
en effet un plan blanc élargi à tous les hôpitaux afin de faire face à une
situation sanitaire exceptionnelle. La loi du 5 mars 2007 a créé, quant à
elle, la réserve sanitaire, qui peut être appelée rapidement en renfort. Tout
cela, monsieur le ministre, est l’héritage des gouvernements précédents, en
particulier de ceux du quinquennat de Nicolas Sarkozy.
En 2006,
200 millions de masques FFP2 et 6 000 respirateurs ont été
stockés. Que sont-ils devenus et quel est leur état ? Vos prédécesseurs ont
en outre commandé 550 millions de masques.
La gestion d’une crise ne
s’improvise pas. La gestion de celle-ci doit être non seulement sanitaire, mais
aussi politique. Tel est le problème fondamental auquel nous sommes à présent
confrontés. (Applaudissements sur les bancs du groupe LR.)
M. Pierre
Cordier. Oui, quel est l’état des stocks ?
Mme la
présidente. La parole est à M. le ministre des solidarités et de la
santé.
M. Olivier
Véran, ministre des solidarités et de la santé. Je vous
communique tout d’abord cette information : à treize heures, 204 cas
positifs de coronavirus étaient dénombrés dans notre pays ; nous avons par
ailleurs à déplorer un quatrième décès, celui d’un homme de 92 ans, dans le
département du Morbihan.
La question que vous posez est intéressante,
monsieur Door – je vous sais fin connaisseur de l’histoire des crises
sanitaires et de la santé publique dans notre pays. Vous vous rappelez sans
doute qu’en 2011, à la suite de l’épisode de la grippe H1N1, une grande
concertation avait été lancée afin de déterminer les stocks de différentes
marchandises nécessaires en cas de nouveaux épisodes viraux. Or il a été établi
alors que la France n’avait pas besoin de constituer un stock d’État des fameux
masques FFP2. Du fait de cette décision prise en 2011, l’État n’a donc pas de
stock de masques FFP2.
M. Thibault
Bazin. C’est dommage ! C’est malheureux !
M. Olivier
Véran, ministre. En revanche, il a été décidé cette même année
que la France devait se doter d’un stock de 145 millions de masques
chirurgicaux, les masques anti-projection. L’État dispose donc d’un stock de
145 millions de masques de ce type. (Exclamations sur les bancs du
groupe LR.)
M. Pierre
Cordier. Sont-ils en état d’être utilisés ?
M. Olivier
Véran, ministre. On n’avait probablement pas été anticipé en 2011
– je le dis sans aucun esprit de polémique – que les crises sanitaires
peuvent parfois engendrer des crises industrielles. L’épisode viral qu’a connu
la Chine a été d’une telle ampleur qu’il a entraîné le ralentissement de
l’économie chinoise, en particulier des industries qui produisent les masques de
protection FFP2 et les masques anti-projection.
M. Pierre
Cordier. Parlez-nous des stocks ! Dans quel état les masques
sont-ils ?
Mme Valérie
Beauvais. Il fallait anticiper !
M. Olivier
Véran, ministre. Fort heureusement, sur le territoire national,
quatre grandes entreprises fabriquent de tels masques. Nous venons de leur
passer une commande publique massive, en leur demandant – j’ai encore
vérifié hier que tel est bien le cas – de travailler jour et nuit,
vingt-quatre sur vingt-quatre, sept jours sur sept, pour fournir le maximum de
masques possible.
Toutefois, comme cela ne suffit pas à garantir que
chaque soignant et chaque personne fragile pourra obtenir un masque,…
M. Thibault
Bazin. Vous ne protégez même pas les soignants !
M. Olivier
Véran, ministre. …je vous annonce officiellement que le Président
de la République…
M. Thibault
Bazin. Il n’est pas confiné, le Président ?
M. Olivier
Véran, ministre. …vient de signer un décret de réquisition de
l’ensemble des stocks et des masques en cours de production sur le territoire
national. (Applaudissements sur les bancs du groupe LaREM.)
Cette
mesure témoigne de l’engagement de notre pays afin de compléter le dispositif de
santé publique élaboré en 2011, qui a permis d’anticiper certaines situations,
mais pas toutes. (Mêmes mouvements.)
M. Pierre
Cordier. Quel est donc l’état des stocks ?
Mme Émilie
Bonnivard et M. Fabien Di Filippo. Vous n’avez pas répondu à
la question !
Cités éducatives
Mme la
présidente. La parole est à Mme Sylvie Charrière.
Mme Sylvie
Charrière. Ma question s’adresse à M. Julien Denormandie, ministre
chargé de la ville et du logement.
M. Fabien
Di Filippo. Du mal-logement !
Mme Sylvie
Charrière. J’y associe mon collègue Jean François Mbaye.
Comme
l’a rappelé le Président de la République à Amiens, il est essentiel que la
jeunesse puisse véritablement se saisir de son destin. Il est donc légitime que
l’éducation soit au cœur de notre projet.
L’éducation doit favoriser
l’apprentissage, l’insertion et l’émancipation. Cette bataille qui permettra à
notre jeunesse de se tourner sereinement vers l’avenir, nous devons la conduire
collectivement, à tous les niveaux, dans les ministères, dans les régions et
dans les communes, avec tous les acteurs qui entourent les enfants – les
parents, les enseignants, les éducateurs et les bénévoles.
Les inégalités
de destin, nous le savons, sont plus prégnantes dans nos quartiers. Les
statistiques relatives au chômage des jeunes issus des quartiers prioritaires de
la politique de la ville nous le rappellent.
Le Gouvernement a donc lancé
le dispositif des cités éducatives, afin de favoriser l’innovation et de nourrir
l’intelligence collective grâce à des échanges de bonnes pratiques. Les cités
éducatives nourrissent une ambition forte : rétablir l’égalité des chances
en renforçant les dynamiques territoriales, ainsi que les liens entre l’école et
le territoire, car le cadre scolaire ne peut compenser, à lui seul, un
environnement familial et social défavorisé.
D’autres mesures ambitieuses
et évolutions législatives adoptées par la majorité contribuent à cet
objectif : le plan 1 000 premiers jours, la stratégie nationale
de prévention et de lutte contre la pauvreté, le plan mercredi, le développement
des tiers-lieux, la formation obligatoire des jeunes âgés de 16 à 18 ans,
le lancement du pass culture.
Il est essentiel de travailler sur tous les
temps de vie de l’enfant – scolaire, périscolaire, extrascolaire –, de
la naissance jusqu’à l’insertion, pour l’aider à développer les compétences qui
lui seront essentielles et qui favoriseront son engagement, sa mobilité, son
autonomie et sa citoyenneté.
Monsieur le ministre, quelles mesures
comptez-vous prendre pour que les quatre-vingts cités éducatives disposent des
moyens de leur ambition ? (Applaudissements sur plusieurs bancs du
groupe LaREM.)
Mme la
présidente. La parole est à M. le ministre chargé de la ville et du
logement.
M. Julien
Denormandie, ministre chargé de la ville et du logement. Vous
avez raison, madame Charrière : l’éducation est la clé ; elle est
au cœur de la promesse républicaine qui veut que tout individu puisse
s’émanciper par soi-même, accéder à un travail et, en définitive, choisir son
propre destin.
L’éducation doit être le pilier de toute l’action que nous
menons. C’est précisément ce que fait le Gouvernement et ce que fait ici la
majorité présidentielle : nous mettons l’éducation et le travail au centre
de toutes nos politiques publiques.
M. Thibault
Bazin. Et les autres députés ? Nous ne sommes rien ?
M. Julien
Denormandie, ministre. Dans les quartiers prioritaires de la
politique de la ville,…
M. Pierre
Cordier. Il faut redéfinir les critères de cette politique !
M. Julien
Denormandie, ministre. …notre action doit effectivement être plus
forte encore, notamment grâce à la politique d’équité que nous menons avec le
ministre de l’éducation nationale et de la jeunesse, Jean-Michel Blanquer.
L’enjeu des cités éducatives est précisément l’excellence dans l’éducation.
Celle-ci doit non pas être réservée à quelques-uns, mais offerte à tous les
enfants de la République qui vivent dans ces quartiers.
J’aimerais
rappeler cette très belle phrase de Paul Valéry : « L’enseignement ne
se limite pas à l’école. » L’éducation ne s’arrête pas, en effet, aux
frontières du collège. C’est aussi le sport, la musique, les relations avec les
parents et avec tous les acteurs associatifs qui, au jour le jour, œuvrent pour
améliorer le quotidien de tous les enfants de la République.
M. Thibault
Bazin. Vous avez maltraité ces associations !
M. Julien
Denormandie, ministre. Tel est le projet politique des cités
éducatives.
Nous allons donc créer quatre-vingts cités éducatives,
partout en France, dans les territoires qui en ont le plus besoin. La majorité a
adopté des crédits de 100 millions d’euros pour accompagner ce dispositif
sur trois ans. Près de 300 000 enfants de la République seront ainsi
accompagnés, du matin jusqu’au soir, par les associations, par les écoles, par
les proviseurs et par les parents, dans l’accomplissement de leur propre
destin.
M. Thibault
Bazin. Et les autres enfants ?
M. Julien
Denormandie, ministre. Il s’agit d’un dispositif essentiel, au
cœur de la politique de réussite républicaine que nous menons. Je vous remercie
donc vivement de toute votre action en ce sens. (Applaudissements sur les
bancs du groupe LaREM. – Mme Géraldine
Bannier applaudit également.)
Cumul des mandats
Mme la
présidente. La parole est à Mme Valérie Lacroute.
Mme Valérie
Lacroute. Monsieur le Premier ministre, l’utilisation de
l’article 49, alinéa 3, en pleine crise du coronavirus et en pleine
campagne des municipales marquera de manière indélébile ce quinquennat. Comment
les Français peuvent-ils accepter votre refus de débattre d’un texte aussi
important que ce projet de loi de réforme des retraites ?
M. Pierre
Cordier. Eh oui !
Mme Valérie
Lacroute. Comment les parlementaires que nous sommes, quels que soient
les bancs sur lesquels ils siègent, peuvent-ils accepter ce mépris envers leur
travail ?
M. Thibault
Bazin. Elle a raison !
Mme Valérie
Lacroute. Le recours à une procédure aussi exceptionnelle que la
délibération secrète en conseil des ministres…
M. Thibault
Bazin. Scandaleux !
Mme Valérie
Lacroute. …témoigne d’un véritable cynisme envers la représentation
nationale et nos concitoyens.
Mme
Virginie Duby-Muller. Exactement !
Mme Valérie
Lacroute. Mais après tout, monsieur le Premier ministre, comment vous en
vouloir ? Vous vous occupez à la fois des retraites, d’une crise sanitaire
mondiale et d’une campagne électorale – on vous a vu débattre un mercredi
soir alors que votre porte-parole avait juré que votre campagne aurait lieu
uniquement le week-end.
Plusieurs députés du groupe
LR. Très juste !
M. Pierre
Cordier. On ne peut pas tout faire !
Mme Valérie
Lacroute. Les Français sont inquiets et attendent légitimement que le
chef du Gouvernement soit totalement mobilisé au service de l’intérêt national.
Ils attendent que le Premier ministre privilégie son pays, non son
parti.
Monsieur le Premier ministre, il s’agit peut-être de la dernière
question que j’adresse au Gouvernement, parce que je ferai le choix du cœur, le
choix du local, comme d’autres collègues dans cet hémicycle.
M.
Jean-Paul Lecoq. Moi aussi !
Mme Valérie
Lacroute. Si nous sommes élus maires, la loi nous imposera de renoncer à
notre mandat de député. Ce n’est pas le cas pour les membres du Gouvernement,
puisque rien ne les empêche d’être à la fois ministre et maire. Pourquoi une
telle différence de traitement ?
M. Pierre
Cordier. C’est injuste !
Mme Valérie
Lacroute. Les Français ont besoin d’élus non pas amateurs, mais
expérimentés ! (Applaudissements sur les bancs des groupes LR et sur
quelques bancs du groupe SOC.)
M. Laurent
Furst. Très bien !
Mme Valérie
Lacroute. Par mesure d’équité, envisagez-vous de permettre au maire,
l’élu préféré des Français, de siéger à nouveau dans l’hémicycle ?
(Applaudissements sur les bancs du groupe LR.)
Mme
Frédérique Meunier. Le nouveau monde, ce sont les
privilèges !
Mme la
présidente. La parole est à M. le Premier ministre.
M. Stéphane
Peu. Ça va être imputé sur les comptes de campagne !
M. Édouard
Philippe, Premier ministre. Vous avez dit, madame la députée, que
cette question était peut-être la dernière que vous posiez dans cet hémicycle,
tout du moins pour un temps.
M.
Jean-Pierre Door. On le lui souhaite !
Mme la
présidente. Je vous souhaite bon courage pour les élections municipales
dans votre commune, comme je le fais systématiquement à tous ceux qui se
présentent aux suffrages de leurs concitoyens. Bonne chance et bon
courage !
M. Fabien
Di Filippo. Elle vient de perdre 5 ou 10 points dans les
sondages !
M. Édouard
Philippe, Premier ministre. Car, comme vous, je considère que se
soumettre au suffrage universel, dans une démocratie, ce n’est pas rien. Et je
ne comprends pas que l’on puisse reprocher à des responsables politiques de se
soumettre au suffrage universel alors qu’ils exercent une fonction.
(Applaudissements sur les bancs du groupe LaREM.)
Plusieurs députés du groupe
LR. Ce n’est pas ce qu’elle a dit !
M. Édouard
Philippe, Premier ministre. Vous savez parfaitement que c’est ce
qu’implique votre question.
M. Maxime
Minot. Arrêtez ces mensonges, ce n’était pas la question !
M. Thibault
Bazin. Consacrez-vous à votre poste de Premier ministre !
M. Édouard
Philippe, Premier ministre. De même qu’il ne me viendrait pas à
l’esprit de vous critiquer pour ce choix, je trouve curieux que l’on veuille
faire en sorte que des responsables politiques ne puissent…
M. Pierre
Cordier. Mais Valérie Lacroute n’est pas Premier ministre !
M. Édouard
Philippe, Premier ministre. Pas encore, mais cela viendra
peut-être ! Ne la dénigrez pas : elle en a toutes les qualités !
(Sourires.)
M. Fabien
Di Filippo. Ce serait une bonne nouvelle ! Elle ne pourrait que
faire mieux que vous !
M. Édouard
Philippe, Premier ministre. Je suis certain, madame Lacroute, que
le fait que des responsables politiques se soumettent au suffrage universel est
une bonne chose.
Mme Valérie
Lacroute. Mais oui !
M. Édouard
Philippe, Premier ministre. Vous dites – et je vous
entends – que vous préférerez votre mandat local à un mandat national.
C’est parfaitement votre droit,… (Exclamations sur les bancs du groupe
LR.)
M. Pierre
Cordier. Et vous ?
M. Édouard
Philippe, Premier ministre. …et c’est d’ailleurs ce que j’avais
fait moi-même en ne me présentant pas aux élections législatives lorsque j’étais
maire du Havre, parce que je jugeais – comme vous demain,
peut-être – plus intéressant, plus propice à l’accomplissement, plus
épanouissant de présider aux destinées de sa ville que de participer au travail
législatif. (Exclamations sur les bancs du groupe SOC.)
Mme Sylvie
Tolmont. Il ose tout !
M. Édouard
Philippe, Premier ministre. C’est le choix que j’avais fait, et
peut-être est-ce celui que vous ferez ; nous aurons alors eu la même
appréciation. (Mme Sandra Marsaud applaudit. –
Exclamations sur les bancs des groupes LR et SOC.)
Sur le fond,
soyons clairs. Il n’y a aucune utilisation de moyens publics dans la campagne
des ministres aux élections municipales.
M. Stéphane
Peu. Ça coûte combien, dans les comptes de campagne ?
Mme Sylvie
Tolmont. Répondez !
M. Édouard
Philippe, Premier ministre. Il n’y a aucun membre du Gouvernement
qui soit maire, président de conseil départemental ou président de conseil
régional.
M. Thibault Bazin et
plusieurs députés du groupe LR. Darmanin, premier adjoint !
M. Édouard
Philippe, Premier ministre. J’ai dit avec beaucoup de clarté
quelle était la règle qui s’appliquait et qui continuerait de s’appliquer :
les membres du Gouvernement ne peuvent pas présider un exécutif local ;
c’est la règle que nous avons fixée. (« Et
Darmanin ? » sur les bancs du groupe
LR.) C’est cette règle qui explique que les ministres qui étaient élus
locaux et qui présidaient des exécutifs locaux aient cessé leurs fonctions dès
lors qu’ils étaient nommés au Gouvernement. Je le répète, nous continuerons
d’appliquer cette règle. (Exclamations sur les bancs du groupe LR.) Je
regrette que vous n’écoutiez pas ma réponse,…
Mme la
présidente. S’il vous plaît, mes chers collègues !
M. Édouard
Philippe, Premier ministre. …car, de mon côté, j’ai pris beaucoup
de plaisir à vous la donner. (Applaudissements sur les bancs du groupe LaREM.
– Mme Nadia Essayan applaudit également.)
Mme la
présidente. La parole est à Mme Valérie Lacroute.
Mme Valérie
Lacroute. Je ne vous ai pas senti très à l’aise dans votre réponse,
monsieur le Premier ministre.
M. Frédéric
Reiss. Faites ce que je dis, ne faites pas ce que je fais !
Mme Valérie
Lacroute. Je ne vous ai intenté aucun procès. Il s’agissait simplement
de souligner qu’il est bien dommage que les maires, élus préférés des Français,
ne puissent plus siéger dans l’hémicycle, alors que les ministres ont en ce
domaine le choix du roi ! (Applaudissements sur les bancs du groupe LR
et sur plusieurs bancs du groupe SOC. – M. Stéphane Baudu
applaudit également.)
Situation en Syrie
Mme la
présidente. La parole est à M. Joaquim Pueyo.
M. Joaquim
Pueyo. Monsieur le ministre de l’Europe et des affaires étrangères,
depuis 2011, la Syrie est plongée dans une guerre civile qui déchire le pays et
a causé la mort d’au moins 600 000 personnes, dont la moitié sont des
civils. Plus de 10 millions de Syriens ont dû fuir les combats, et
4 millions d’entre eux ont quitté leur pays.
Voici plusieurs
semaines que se joue ce qui est peut-être l’un des derniers épisodes de cette
effroyable tragédie. Les troupes du régime syrien ont entamé la reconquête de la
région d’Idlib, dernier territoire où s’entassent des forces d’opposition au
régime, des groupes djihadistes et plusieurs millions de personnes déplacées au
gré des événements de la guerre civile.
Depuis le début de cette
offensive, en décembre dernier, 900 000 civils ont fui les combats. Le
bilan provisoire fait état de plusieurs centaines de tués, dont certains
seraient morts de froid. L’escalade des affrontements dans la région d’Idlib
accroît fortement les risques d’un conflit d’ampleur et menace les populations
civiles. Selon le haut-commissaire des Nations unies pour les réfugiés, des
sites de déplacés et des hôpitaux ont été visés par des frappes. Une nouvelle
fois, nous devons condamner avec la plus grande fermeté toute attaque, délibérée
ou non, de populations civiles.
La Turquie accueille sur son sol plus de
3,5 millions de réfugiés, ce qui représente, reconnaissons-le, un défi pour
ce pays membre de l’Organisation du traité de l’Atlantique Nord, l’OTAN. Dans le
même temps, plus de 15 000 réfugiés se sont massés à la frontière
gréco-turque, dans des conditions particulièrement difficiles. La situation
humanitaire y est désastreuse. La communauté internationale doit se mobiliser
pour faire face à cette crise humanitaire aux portes de l’Europe, mais également
pour mettre un terme aux affrontements meurtriers en Syrie. Au-delà de la
réunion des ministres européens de l’intérieur, c’est toute la diplomatie
européenne qui doit se mobiliser, car seule une solution politique associant les
pays concernés peut mettre fin à cette situation.
Face à ce constat,
quelles mesures très concrètes notre pays et ses alliés européens comptent-ils
engager pour faire cesser les combats et la catastrophe humanitaire à
Idlib ? Qu’en est-il du sommet qui devait se tenir cette semaine entre la
France, l’Allemagne, la Turquie et la Russie ? Il m’apparaît
indispensable.
Mme la
présidente. Merci…
M. Joaquim
Pueyo. Quelles mesures les États européens comptent-ils prendre pour
faire face à la crise des réfugiés à la frontière grecque et pour aider…
(Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe SOC. –
M. Florian Bachelier applaudit également.)
Mme la
présidente. Merci, mon cher collègue.
La parole est à M. le
ministre de l’Europe et des affaires étrangères.
M. Jean-Yves
Le Drian, ministre de l’Europe et des affaires étrangères. Vous
avez bien fait, monsieur le député, de replacer l’ensemble des questions qui se
posent dans le contexte historique et dans le contexte actuel. Je l’ai dit tout
à l’heure en répondant à d’autres députés qui m’interrogeaient à ce sujet :
la cause profonde de la situation est bien le pilonnage engagé par le régime
syrien, avec l’appui de la Russie, pour récupérer le territoire d’Idlib.
M. Jean
Lassalle. Ils n’ont pas le choix !
M. Jean-Yves
Le Drian, ministre. Il faut dire la vérité ! C’est cela, la
cause profonde !
M.
Jean-Paul Lecoq. Et la souveraineté syrienne ?
M. Fabien
Roussel. Et les terroristes qui sont là-bas, vous n’en dites
rien ?
M. Jean-Yves
Le Drian, ministre. Dès lors, les conditions dans lesquelles se
trouvent les populations de la zone concernée deviennent dramatiques :
1 million de personnes sont de nouveau déplacées après l’avoir été une
première fois ; la population est soumise à des bombardements ; les
centres d’accueil sont saturés ; les déplacés s’entassent dans des
conditions terribles à proximité de la frontière turque, à la merci du froid, de
la faim et des épidémies. On observe aussi une recrudescence des violences
contre les femmes et les filles. L’offensive du régime syrien, rendue possible
par le soutien aérien russe, est également marquée par des violations
systématiques du droit international humanitaire.
M.
Jean-Paul Lecoq. Les terroristes s’appellent Daech, au cas où vous
l’auriez oublié !
M. Jean-Yves
Le Drian, ministre. Nous estimons – je m’adresse à vous,
monsieur Pueyo, mais aussi à M. Lecoq – que ces violations sont
potentiellement susceptibles d’être considérées comme des crimes de
guerre ; en tout cas, nous allons les documenter.
M.
Jean-Paul Lecoq. Et pour l’Arabie Saoudite au Yémen, vous allez faire la
même chose ?
M. Jean-Yves
Le Drian, ministre. Parallèlement, un accord a été conclu entre
les Russes et les Turcs en vue de préserver un cessez-le-feu minimal dans la
zone d’Idlib. Il n’est pas respecté, ce qui se traduit par une grave
conflictualité entre la Turquie et la Russie. Nous voulons que l’on revienne à
l’accord de Sotchi, pour que le cessez-le-feu soit respecté.
Concernant
la Turquie, nous considérons – je l’ai dit à deux reprises tout à
l’heure – que le fait d’utiliser les réfugiés comme des otages pour faire
pression sur l’Europe est parfaitement inacceptable, et nous le refusons.
(Applaudissements sur quelques bancs des groupes LaREM et
MODEM.)
Livre blanc de la sécurité intérieure
Mme la
présidente. La parole est à M. Stéphane Baudu.
M. Stéphane
Baudu. Monsieur le ministre de l’intérieur, le 12 juin 2019, lors
de sa déclaration de politique générale, le Premier ministre a annoncé, pour
2020, un livre blanc de la sécurité intérieure. Le 14 octobre, vous avez
vous-même précisé les objectifs des quatre groupes de travail chargés de
préparer ce livre blanc.
M. David
Habib. Il était prévu pour janvier !
M. Stéphane
Baudu. L’un d’eux a pour objet le continuum de sécurité, autrement dit
la construction d’une stratégie globale de sécurité pour notre pays.
Le
groupe du Mouvement démocrate et apparentés s’en félicite, ayant lui-même fait
valoir cette exigence de continuité depuis la loi de programmation militaire. Ce
groupe de travail devrait donc œuvrer pour que tous les acteurs publics et
privés soient pris en considération dans la construction de cette
stratégie.
Pourtant, ni ce groupe de travail ni aucun autre ne semblent
appréhender le rôle des armées. La position des forces armées n’a pas non plus
été entendue dans nos préfectures lors des récentes assises territoriales de la
sécurité intérieure. Or les armées contribuent quotidiennement à garantir la
sécurité des Français, dans notre espace aérien, sur nos eaux territoriales,
mais également sur notre sol, grâce aux opérations Sentinelle et Cuirasse,
Harpie et Titan, Héphaïstos, et plus généralement par leur appui lors des
catastrophes naturelles et des pandémies.
Il est par ailleurs utile de
rappeler que les menaces contemporaines sont de plus en plus hybrides :
civiles et militaires, ouvertes et clandestines, nationales comme
transnationales. Ainsi, aux côtés des forces de police et de gendarmerie, nos
forces armées ne contribuent pas moins à la sécurité intérieure que la sécurité
civile, les polices municipales ou la sécurité privée.
Dès lors, monsieur
le ministre, pouvez-vous nous donner des éléments concernant l’intégration de
nos forces armées dans les réflexions en cours sur le livre blanc de la sécurité
intérieure ? (Applaudissements sur les bancs du groupe MODEM. –
M. Rémy Rebeyrotte applaudit également.)
Mme la
présidente. La parole est à M. le ministre de l’intérieur.
M. Maxime
Minot. Et du Macumba !
M.
Christophe Castaner, ministre de l’intérieur. La réponse à votre
question n’est pas celle que vous avez évoquée : il est évident que le
ministère des armées, fort de ses experts, de son savoir-faire, de son
expérience, de la coopération quotidienne avec le ministère de l’intérieur,
notamment dans le cadre de l’opération Sentinelle, a toute sa place dans la
réflexion que nous conduisons au sujet du livre blanc.
Pour préparer ce
dernier, j’ai souhaité la concertation la plus large possible. Ainsi, avec
Laurent Nunez, j’ai réuni un collège de citoyens français pour organiser une
conférence citoyenne sur les questions de sécurité et sur le rapport entre la
police et nos concitoyens. Naturellement, tous les acteurs ont leur place dans
cette réflexion, dont l’armée.
C’est en particulier le cas dans deux
groupes de travail. D’abord, dans celui que vous avez mentionné sur le continuum
de sécurité, auquel le ministère des armées a bien sûr été associé d’emblée et
auquel il a apporté une contribution écrite. C’est singulièrement dans le
domaine cyber que son expérience apporte un éclairage absolument indispensable.
Ensuite, le groupe de travail sur les technologies a associé à sa démarche la
direction générale de l’armement, pour bénéficier dans ce domaine également,
surtout pour la recherche et l’innovation, d’un savoir-faire dont nous avons
besoin. Il en est allé de même du comité stratégique de filière des industries
de sécurité. Nous avons donc tenu à associer à notre réflexion le ministère des
armées dans ses différentes composantes.
Je vous le redis de la façon la
plus claire, la coopération entre le ministère des armées et celui de
l’intérieur est absolument indispensable, dans le cadre de notre action
internationale comme au niveau national. Florence Parly et moi-même promouvons
cet engagement collectif de la façon la plus claire et la plus nette, s’agissant
de sujets aussi sensibles et essentiels que la menace terroriste, mais aussi
pour la sécurité de nos concitoyens au quotidien. Votre question va dans le sens
de nos travaux, et je vous en remercie. Vous serez d’ailleurs vous-même entendu
par l’un des groupes de travail en raison de votre engagement sur ces questions.
(Applaudissements sur plusieurs bancs des groupes LaREM et
MODEM.)
Coronavirus
Mme la
présidente. La parole est à M. Alain Bruneel.
M. Alain
Bruneel. Monsieur le ministre des solidarités et de la santé, la
situation sanitaire actuelle est particulièrement délicate. Ma question
s’inscrit pleinement dans un esprit de solidarité nationale : notre but est
d’enrichir les dispositions déjà mises en œuvre, mais aussi de relayer les
inquiétudes des citoyens. En effet, les médias ne cessent de faire la lumière
sur une application à géométrie variable du principe de précaution, créant une
certaine confusion dans les esprits.
Ainsi, certaines écoles ou crèches
restent ouvertes quand d’autres sont placées en quarantaine. Certains salariés
exercent leur droit de retrait, quand d’autres, tout aussi exposés à un brassage
de population internationale, doivent continuer le travail. Certains maraîchers
se voient refuser la possibilité de vendre leurs produits sur des marchés locaux
alors que, quelques mètres plus loin, des supermarchés continuent de fonctionner
normalement.
Les personnels soignants s’interrogent sur le manque de
moyens, par exemple de masques pour les médecins généralistes, mais aussi pour
les différents services des hôpitaux. Un protocole strict destiné à garantir la
sécurité sanitaire de ces personnels est-il observé ?
Concernant les
établissements d’hébergement pour personnes âgées dépendantes
– EHPAD –, la situation est particulièrement sensible. Certains
établissements appliquent déjà des consignes comme le lavage des mains des
visiteurs ou les questions sur leur état de santé et leurs voyages récents. Plus
généralement, une note, et des moyens, ont-ils été fournis à ces
établissements ?
Des questions se posent également sur d’éventuels
problèmes d’approvisionnement. Je pense particulièrement aux masques et au
paracétamol, entre autres. Malheureusement, aujourd’hui encore, des laboratoires
pharmaceutiques n’hésitent pas à vendre leurs stocks de médicaments et
d’accessoires médicaux aux pays les plus offrants. Pour sortir de cette logique
de marchandisation, il serait intéressant de réfléchir à la proposition formulée
par les parlementaires communistes : la création d’un pôle public du
médicament. Cette mesure forte permettrait d’assurer une régulation sereine du
secteur.
Qu’il s’agisse du SRAS ou du Covid-19, les chercheurs vous
diront qu’il est impossible de trouver un vaccin en vingt-quatre heures. Il est
urgent de leur donner les moyens financiers nécessaires, à l’échelle de
l’Europe, pour préparer l’avenir sanitaire. (Applaudissements sur les bancs
du groupe GDR.)
Mme la
présidente. La parole est à M. le ministre des solidarités et de la
santé.
M. Olivier
Véran, ministre des solidarités et de la santé. Je crains que
vous n’ayez posé trop de questions – ce n’est pas une critique – pour
que je puisse y répondre de façon exhaustive.
Je crois avoir répondu au
sujet des masques : j’ai annoncé la réquisition de l’ensemble des stocks de
production ; vous y êtes certainement sensible.
S’agissant des
EHPAD, j’ai réuni ce matin à mon ministère, en présence de Sophie Cluzel,
secrétaire d’État chargée des personnes handicapées, l’ensemble des acteurs du
secteur médico-social et social afin de travailler avec eux à la publication,
dans les quarante-huit heures, de protocoles de bonnes pratiques. Il faut
évidemment protéger les personnes les plus fragiles vis-à-vis de la maladie,
c’est-à-dire les personnes âgées ou porteuses d’autres maladies ou d’autres
types de fragilité.
Croyez en l’engagement total du Gouvernement. L’enjeu
n’est nullement politique, il est de bon sens et humain.
S’agissant des
mesures de confinement et des fermetures d’écoles, nous raisonnons territoire
par territoire. Au sein de ceux où le virus circule beaucoup, nous pouvons être
amenés à fermer des écoles, mais il ne s’agit pas de fermetures sèches : ce
sont des fermetures accompagnées, dans le cadre desquelles des volontaires de la
réserve sanitaire – je les salue car nous avons une réserve formidable dans
notre pays (Applaudissements sur plusieurs bancs des groupes LaREM et
MODEM) – sont mobilisés pour accueillir dans les écoles les familles et
les enfants, les interroger, parfois les examiner et réaliser, lorsque
c’est nécessaire, des tests-diagnostics.
Au sein de ces territoires, le
Gouvernement a demandé d’éviter les grands rassemblements et encouragé le
télétravail, mais sans interdire les mobilités, parce qu’il ne faut évidemment
pas paralyser les voies de communication entre les habitants, la vie sociale, le
pays. Dans les périphéries de ces zones à forte concentration virale, nous avons
demandé d’éviter là aussi les grands rassemblements et pris des mesures
nationales.
Nous raisonnons, je le répète, territoire par territoire.
Chaque décision de santé publique que j’annonce est prise après concertation
avec des blouses blanches qui y ont réfléchi. Croyez-moi, toutes les décisions
sont raisonnées, et le Gouvernement va continuer à les expliquer aux Français,
parce que leur adhésion à l’action que nous menons, au-delà des clivages
politiques – je sais que c’est aussi l’esprit de votre question –, est
fondamentale dans la période que nous vivons. (Applaudissements sur quelques
bancs des groupes LaREM et MODEM.)
M.
Jean-Paul Lecoq. Et pour les médicaments ?
Inclusion numérique
Mme la
présidente. La parole est à Mme Dominique David.
Mme
Dominique David. Monsieur le secrétaire d’État chargé du numérique,
l’inclusion numérique avance. Nous sommes allés tous deux il y a quelques
semaines, dans le Béarn, pour observer comment la politique publique innovante
que nous avions imaginée il y a deux ans se matérialisait. De jeunes gens
étaient réunis par la mission locale pour apprendre à utiliser un service public
dématérialisé, en l’occurrence le site ameli.fr. C’est grâce au pass numérique
qui leur avait été distribué aux guichets de l’assurance maladie qu’ils ont pu
facilement payer la formation au numérique à laquelle ils venaient
d’assister.
M. Maxime
Minot. Ce n’est pas une question d’actualité ! Il y a d’autres
urgences !
Mme
Dominique David. Déjà 50 000 pass numériques sont en cours de
distribution dans quarante-sept territoires qui expérimentent ce dispositif,
l’objectif étant d’atteindre 1 million d’ici à la fin de l’année. Le pass
numérique concerne tous les publics, des personnes âgées mais aussi des jeunes,
des personnes de toute condition sociale, des ruraux comme des urbains, parce
que l’illectronisme a ceci de particulier qu’il touche tout le monde ! Il y
a aujourd’hui 13 millions de Français éloignés du numérique.
Il nous
faut monter en puissance, non seulement parce que la dématérialisation
s’accélère dans les services publics, mais aussi, et peut être davantage encore,
dans le privé – banques, assurances, transports. Celui-ci devra d’ailleurs
prendre sa part dans l’accompagnement de l’inclusion numérique.
Grâce au
travail entrepris à l’école, l’inclusion numérique est également l’occasion
d’aider les Français à devenir des citoyens numériques éclairés, maîtrisant la
technique, bien sûr, mais aussi conscients des risques et des opportunités, de
leurs droits et de leurs devoirs.
Monsieur le secrétaire d’État, comment
comptez-vous accélérer l’inclusion numérique, compte tenu des enjeux majeurs que
cela représente en matière d’égalité des chances et de nouvelles
citoyennetés ? (Applaudissements sur quelques bancs du groupe
LaREM.)
Mme la
présidente. La parole est à M. le secrétaire d’État chargé du
numérique.
M. Cédric
O, secrétaire d’État chargé du numérique. Je vous remercie pour
cette question qui touche à la réalité quotidienne et aux difficultés
qu’éprouvent nombre de nos concitoyens avec le numérique – vous avez évoqué
le chiffre de 13 millions. Il est vrai que c’est à la fois un vecteur
absolument extraordinaire de simplicité et d’ouverture au monde, à la culture et
à la connaissance, mais aussi un vecteur de complexité dans le quotidien de
nombre de Français, parce que l’ensemble des services deviennent numériques
– pour s’inscrire à Pôle emploi, déclarer ses revenus ou accéder à des
services privés, il faut maintenant en passer par internet. Il est parfois
difficile de comprendre un monde de plus en plus numérisé.
C’est pourquoi
le Gouvernement s’engage fortement en la matière. Nous procédons, avec
Jacqueline Gourault, au déploiement des maisons France Service et à la
réouverture de nombreux guichets, afin d’apporter des solutions au plus près des
citoyens. Nous menons, avec l’ensemble des ministres, un travail de
simplification des services publiques numériques et d’amélioration de leur
accessibilité. Nous mettons en œuvre la politique d’inclusion numérique que vous
avez évoquée, qui repose notamment sur le déploiement du pass numérique. Nous
avons travaillé avec les collectivités et les associations pour engager à cet
effet 10 millions d’euros dès 2019 et 30 millions cette année
– nous avons donc triplé l’effort. L’objectif est de couvrir l’ensemble du
territoire et de former tous les Français qui ont besoin de l’être à
l’utilisation des outils numériques, qui deviennent de plus en plus
indispensables.
Nous travaillons également avec les entreprises, et je
vous remercie, madame la députée, de votre mobilisation à cet égard. Nous devons
réunir les entreprises, les aidants, les médiateurs, les associations et les
collectivités territoriales pour construire cette politique d’inclusion
numérique, ce qui suppose d’outiller les aidants et tous ceux qui accompagnent
au quotidien les Français qui font face à des difficultés en ce domaine. C’est
absolument indispensable si nous voulons continuer à faire société dans un monde
de plus en plus numérique. (Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe
LaREM.)
Loi de programmation pluriannuelle de la recherche
Mme la
présidente. La parole est à Mme Sylvie Tolmont.
Mme Sylvie
Tolmont. Madame la ministre de l’enseignement supérieur, de la recherche
et de l’innovation, 111 universités et écoles, 278 laboratoires,
7 instituts universitaires de technologie, 145 revues scientifiques,
16 sociétés savantes… et la liste est encore longue : le monde
universitaire est en lutte depuis plus de trois mois contre la dégradation
générale des conditions de l’enseignement supérieur et de la recherche, au point
d’organiser une journée « Facs et labos à l’arrêt » le 5 mars
prochain.
Laissez-moi rappeler le contexte : une politique
systématique d’assèchement des crédits de la recherche censée être compensée par
des financements sur projet, qui suscitent une compétition accrue ; un
recours croissant aux recrutements par voie contractuelle ; une évaluation
administrative permanente et chronophage à tous les niveaux et à tous les
échelons de toutes les structures ; une réforme des retraites qui réduira
significativement les pensions.
Le projet de loi de programmation
pluriannuelle de la recherche se fait désirer ; c’est peu dire que les
attentes sont grandes. Or les rapports préparatoires nous inquiètent, car ils
assignent des d’objectifs de compétitivité et de performance, au détriment des
valeurs d’indépendance et de liberté qui nous paraissent pourtant fondatrices de
la recherche. Autrement dit, ce sont les objectifs d’une loi inégalitaire, le
président-directeur général du Centre national de la recherche scientifique
ayant récemment appelé de ses vœux une loi « darwinienne ».
En
effet, la généralisation du financement sur projet au profit de quelques sites
dits d’excellence renforcerait la concurrence et les inégalités entre
établissements et entre chercheurs. Dans la même logique, la création de
nouveaux contrats de travail dérogatoires et la remise en cause profonde du
statut d’enseignant-chercheur entraîneraient une précarisation accrue du milieu
de la recherche.
Pouvez-vous nous assurer, madame la ministre, que le
projet de loi de programmation pluriannuelle de la recherche, qui sera examiné
très prochainement, sera le grand texte ambitieux et vertueux tant
attendu ? Plus précisément, permettra-t-il enfin un investissement massif
dans la recherche, à hauteur de 3 % du PIB, et la reconnaissance de nos
chercheurs par une revalorisation de toutes les rémunérations ?
(Applaudissements sur les bancs du groupe SOC.
– Mme Marie-George Buffet et
M. Stéphane Peu applaudissent également.)
Mme la
présidente. La parole est à Mme la ministre de l’enseignement
supérieur, de la recherche et de l’innovation.
Mme
Frédérique Vidal, ministre de l’enseignement supérieur, de la
recherche et de l’innovation. Laissez-moi dresser un état des lieux. Le
Premier ministre a annoncé que la future loi de programmation pluriannuelle de
la recherche aurait trois objectifs très clairs : du temps, des moyens et
de la visibilité pour la recherche.
M. Régis
Juanico. Pas comme la réforme des retraites, donc !
Mme
Frédérique Vidal, ministre. Il s’agit d’une loi budgétaire, qui
permettra de prévoir, pour les années qui viennent, l’investissement de la
nation dans la recherche. Pour la première fois, au lieu d’organiser des
assises, de rédiger des livres blancs, de tenir des réunions ou de mener des
discussions, nous allons inscrire dans la loi un tel investissement.
Ce
texte comporte d’ores et déjà des avancées très fortes en matière
d’attractivité. J’ai annoncé, vous le savez, que plus aucun jeune chercheur ou
enseignant-chercheur ne serait recruté à un salaire inférieur à deux SMIC, ce
qui représentera en moyenne 2 600 à 2 800 euros supplémentaires
par an. Pour ceux qui étaient recrutés à 1,4 SMIC, ce seront plus de
8 500 euros supplémentaires. Voilà du concret. (Applaudissements
sur quelques bancs du groupe LaREM. – Mme Maud Petit
applaudit également.)
J’ai annoncé que 92 millions d’euros
seraient consacrés, l’année prochaine – et je ne parle évidemment que de
l’année prochaine –, à une revalorisation de tous les métiers de la
recherche, afin de mieux reconnaître ceux qui s’investissent dans ce
domaine.
L’objectif principal de cette future loi de programmation est
que la France, grand pays de recherche, continue à rayonner ; il me paraît
essentiel de le rappeler. Tous les laboratoires, centres de recherche et
universités avec lesquels j’ai pu échanger et à qui j’ai dit la vérité sur son
contenu la soutiennent fortement. (Protestations sur plusieurs bancs du
groupe SOC.)
M. Régis
Juanico. Pas du tout !
Mme
Frédérique Vidal, ministre. Le monde de la recherche ne croit pas
aux rumeurs à partir du moment où les faits sont démontrés. (Applaudissements
sur de nombreux bancs du groupe LaREM et sur quelques bancs du groupe
MODEM.)
Éolien terrestre
Mme la
présidente. La parole est à Mme Laure de La Raudière.
Mme Laure
de La Raudière. Madame la ministre de la transition écologique et
solidaire, je vous félicite et vous remercie d’avoir reconnu, devant le Sénat,
que l’éolien terrestre se développait de manière anarchique en France et qu’il
était nécessaire de l’encadrer beaucoup mieux. (Applaudissements sur les
bancs du groupe UDI-Agir et sur plusieurs bancs du groupe
LR.)
Certains promoteurs éoliens se comportent comme des chasseurs de
primes sur nos territoires. (Mmes Cécile Untermaier et
Valérie Rabault applaudissent.) Ils ne tiennent nullement compte de l’avis
de la population ni même de celui des élus de l’ensemble des communes
concernées, celles qui sont situées à proximité du parc éolien
envisagé.
Tel est le cas en Eure-et-Loir, en Lozère, en Indre-et-Loire,
dans les Hauts-de-France, en Charente-Maritime… partout en France !
Mme Bérengère
Poletti. Et dans les Ardennes !
Mme Laure
de La Raudière. Cela provoque de la colère dans nos
campagnes.
Les préfets sont démunis, car ils ne disposent d’aucune
possibilité réglementaire solide pour interdire un projet éolien à proximité
d’un monument historique ou dans un territoire où ce projet est totalement
rejeté par la population. Les promoteurs ont beau dire que les élus ont les
moyens d’encadrer le développement de l’éolien par les documents d’urbanisme,
c’est tout simplement faux, c’est un mensonge. (Mme Sophie
Auconie, M. Thierry Benoit et
Mme Bérengère Poletti applaudissent.) En effet, les
services de l’État rejettent les plans locaux d’urbanisme dans lesquels une
commune rurale interdit l’éolien sur tout son territoire, même si c’est là le
souhait des élus.
Doit-on encore rappeler ici que l’implantation
d’éoliennes terrestres en France n’a strictement aucun impact du point de vue de
la lutte contre le réchauffement climatique ? Dès lors, au nom de quelle
transition écologique accepte-t-on de détruire les paysages et le patrimoine
français avec ces machines tournantes et clignotantes de 200 mètres de
haut ?
Madame la ministre, quelles mesures législatives et
réglementaires avez-vous prévues pour que vos propos courageux contre le
développement anarchique de l’éolien soient réellement efficaces ?
(Applaudissements sur les bancs du groupe UDI-Agir et sur quelques bancs du
groupe LR.)
Mme la
présidente. La parole est à Mme la ministre de la transition
écologique et solidaire.
Mme
Élisabeth Borne, ministre de la transition écologique et
solidaire. Ma position sur les éoliennes est très claire : elles sont
indispensables à la transition énergétique de notre pays. (Applaudissements
sur de nombreux bancs du groupe LaREM.)
Mme
Bérengère Poletti. Vous dites une chose et son contraire !
M. Pierre
Cordier. Et en même temps…
Mme
Élisabeth Borne, ministre. Du reste, la programmation
pluriannuelle de l’énergie prévoit un doublement de leur production
d’électricité en dix ans. Je rappelle que cette production a augmenté de
21 % l’an dernier, contribuant à une baisse de 6 % de nos émissions de
gaz à effet de serre. (Exclamations sur plusieurs bancs du groupe
LR.)
Pour autant, je considère que nous ne réussirons pas le
déploiement de l’éolien si nous n’écoutons pas les craintes de certains élus et
de certains citoyens ; c’est une question de bon sens puisque sept projets
sur dix font l’objet d’un recours. Voilà ce que j’ai indiqué lorsque j’ai été
auditionnée au Sénat. Certains se sont alors empressés de dire que j’étais
contre l’éolien, mais c’est une caricature…
M. Vincent
Descoeur et M. Pierre Cordier. Dommage !
Mme
Élisabeth Borne, ministre. …et le symptôme d’une écologie qui ne
se préoccupe pas de mise en œuvre concrète. Telle n’est pas mon approche :
pour ma part, j’entends défendre une écologie qui suscite l’adhésion et non pas
le rejet.
M.
Jean-Paul Lecoq. Ça change de De Rugy !
Mme
Élisabeth Borne, ministre. Un travail est donc en cours pour
trouver un bon équilibre entre le déploiement de l’éolien et son acceptabilité,
condition d’une telle l’adhésion. Une circulaire sera adressée aux préfets, leur
demandant d’identifier, avec les élus, les zones dans lesquelles les éoliennes
peuvent se développer sans porter atteinte à nos patrimoines naturel et
culturel.
M. Pierre
Cordier. Et en même temps…
Mme
Bérengère Poletti. Chez nous, il n’y a plus de zones de cette nature,
c’est fini !
Mme
Élisabeth Borne, ministre. Il appartiendra aux élus d’introduire
les protections paysagères correspondantes dans leurs documents
d’urbanisme.
Le Gouvernement continue donc de soutenir la filière
éolienne, madame de La Raudière. Il convient de favoriser un
développement équilibré et harmonieux, mais aussi ambitieux de cette énergie
renouvelable. (Applaudissements sur les bancs du groupe LaREM et sur quelques
bancs du groupe MODEM.)
Harcèlement scolaire
Mme la
présidente. La parole est à M. Sébastien Leclerc.
M.
Sébastien Leclerc. Monsieur le Premier ministre, selon toute
vraisemblance, ils sont plus d’un million, qu’ils soient écoliers, collégiens ou
lycéens, à vivre un calvaire quotidien dans leur établissement scolaire, mais
également en dehors. Je veux parler des jeunes victimes du harcèlement
scolaire.
Les chiffres sont effrayants : en moyenne, trois enfants
par classe sont victimes d’attaques verbales, physiques ou psychologiques. Le
harcèlement scolaire existe depuis longtemps, mais l’essor des réseaux sociaux
et leur utilisation massive par les jeunes en ont favorisé le
développement.
Les conséquences du harcèlement scolaire sont multiples et
assez diverses : le jeune peut devenir violent envers lui-même ou envers
les autres, ou bien c’est le repli sur soi, suivi fréquemment d’un décrochage
scolaire. À l’extrême, certains jeunes en arrivent au suicide. Nous avons tous,
dans nos circonscriptions, le souvenir d’une situation dramatique. À Lisieux,
Juliette, 15 ans, élève de seconde, à l’heure d’entrer au lycée, à huit
heures trente-cinq, a couru se jeter sous un train.
Mme Émilie
Bonnivard. Quelle horreur…
M.
Sébastien Leclerc. C’était il y a quatre ans, jour pour jour, le
3 mars 2016.
Pour protéger nos enfants, pour éviter à de nouvelles
familles de connaître un tel drame, il faut agir.
Agir, c’est d’abord
prévenir, en parler dans les établissements scolaires.
Agir, c’est aussi
former les personnels, aussi bien les enseignants que les agents des
collectivités qui travaillent dans les établissements.
Agir, ce serait
enfin s’interroger sur l’utilisation des réseaux sociaux par les plus
jeunes.
Monsieur le Premier ministre, l’école ne doit-elle pas demeurer
le lieu de l’épanouissement de nos enfants, et non un lieu qui les expose à la
violence ? (Applaudissements sur les bancs du groupe LR et sur plusieurs
bancs du groupe LaREM.)
Mme la
présidente. La parole est à M. le ministre de l’éducation nationale
et de la jeunesse.
M.
Jean-Michel Blanquer, ministre de l’éducation nationale et de la
jeunesse. Je souscris à l’ensemble des termes de votre question. Ce sujet
est fondamental et nous renvoie aux enjeux de l’éducation en général :
tirer le meilleur de chaque être humain. Nous voyons, dès l’école, se développer
des phénomènes qu’il faut évidemment endiguer. Cela a tout à voir avec les
valeurs de la République et les savoir fondamentaux : lire, écrire,
compter, respecter autrui – cette dernière expression indiquant ce qu’il
convient de faire.
Le phénomène est mondial et grave ; il touche
environ 10 % des élèves et personne ne doit le considérer comme marginal,
parce qu’il pollue la vie quotidienne des enfants et peut amener à des actes
gravissimes.
Il y a une véritable stratégie contre le harcèlement
scolaire en France et elle ne date pas d’hier : elle a commencé au début
des années 2010, et j’ai plaisir à dire qu’elle s’est poursuivie durant trois
quinquennats successifs ; nous l’approfondissons désormais. Nous sommes un
pays en pointe en ce domaine et nous obtenons de premiers résultats, néanmoins
largement insuffisants. De 2015 à 2018, le harcèlement tel qu’on peut le mesurer
a baissé de 5 %. En revanche, vous l’avez dit, monsieur Leclerc, le
cyberharcèlement a augmenté, ce qui est très inquiétant.
J’ai annoncé
l’année dernière un plan massif de lutte contre le harcèlement et le
cyberharcèlement, qui passe par l’ensemble des outils que vous avez mentionnés,
en particulier par la formation désormais systématique des professeurs. Grâce à
la loi pour une école de la confiance, nous avons inséré dans le code de
l’éducation un droit à la scolarité sans harcèlement, qui est désormais la base
juridique des luttes que nous menons. Nous avons également créé la plateforme
Net écoute, qui s’ajoute à la plateforme contre le harcèlement, dont nous avons
étendu la capacité d’écoute ; plus de 20 000 élèves l’ont
contactée l’année dernière.
Nous prenons de nouvelles initiatives. Nous
procédons notamment à des expérimentations dans sept académies, qui seront
étendues dès l’année prochaine. En outre, chaque établissement scolaire fera
l’objet d’une évaluation en fonction de son action en matière de lutte contre le
harcèlement ; c’est évidemment un enjeu majeur. Enfin, une conférence
internationale sera organisée en France afin de constituer une alliance mondiale
contre le harcèlement scolaire. (Applaudissements sur quelques bancs des
groupes LaREM et MODEM.)
Mme la
présidente. La parole est à M. Sébastien Leclerc.
M.
Sébastien Leclerc. Je vous remercie de votre réponse, monsieur le
ministre. Vous avez évoqué de nouvelles initiatives. Peut-être l’État
pourrait-il aussi accompagner les communes qui veulent créer des dispositifs
pour déceler les situations de harcèlement. Les directeurs académiques des
services de l’éducation nationale – DASEN – pourraient prendre contact
avec elles à cette fin. (Applaudissements sur les bancs du groupe LR et sur
quelques bancs des groupes LaREM et MODEM.)
Mme la
présidente. Nous avons terminé les questions au Gouvernement.
Suspension et reprise de la séance
M. le
président. La séance est suspendue.
(La séance, suspendue à dix-sept heures, est reprise à dix-sept heures
trente, sous la présidence de M. Richard Ferrand.)
Présidence de M. Richard Ferrand
M. le
président. La séance est reprise.
3
Motions de censure
Discussion commune
M. le
président. L’ordre du jour appelle la discussion commune des motions de
censure déposées, en application de l’article 49, alinéa 3, de la
Constitution, par M. Damien Abad et 80 députés, et par M. André
Chassaigne, M. Jean-Luc Mélenchon, Mme Valérie Rabault et
60 députés.
La parole est à M. Damien Abad. (Mmes et
MM. les membres du groupe LR se lèvent et
applaudissent.)
M. Marc Le
Fur. Où sont les marcheurs ?
M. Christian
Jacob. Ils pourraient tout de même être présents !
M. Fabien
Di Filippo. Non, ils ne veulent pas entendre la vérité !
M. Damien
Abad. Du fait du coronavirus, la France, l’Europe et le monde doivent
affronter une crise sanitaire majeure. Or cette crise, monsieur le Premier
ministre, ne vous a pas empêché de dégainer l’article 49, alinéa 3, de
la Constitution un samedi après-midi. L’article lui-même n’est pas en
cause : il s’agit d’un outil constitutionnel que nous défendons. Ce que
nous rejetons, c’est la précipitation et la brutalité de la méthode utilisée,
par pure tactique politique, à l’issue d’un conseil des ministres qui devait
être consacré au coronavirus.
En pleine urgence sanitaire, nous pensions,
monsieur le Premier ministre, que vous privilégieriez le 15 plutôt que le 49.3.
(Applaudissements sur les bancs du groupe LR.) Privilégier le 15, c’était
préserver un indispensable consensus national face à la menace chaque jour
grandissante du coronavirus. Privilégier le 15, c’était faire du conseil des
ministres de samedi un acte fort de mobilisation nationale et non le théâtre
d’une délibération secrète sur l’article 49, alinéa 3.
Mme
Véronique Louwagie. Très bien !
M. Damien
Abad. Privilégier le 15, c’était choisir la politique des grandes causes
et non celle des petits bras.
M. Frédéric
Reiss. Bravo !
M. Damien
Abad. Monsieur le Premier ministre, en voulant masquer votre recours à
l’article 49, alinéa 3, derrière le paravent du coronavirus, vous avez
préféré choisir les basses manœuvres politiciennes à la grandeur gaullienne.
(Applaudissements sur les bancs du groupe LR.) Parce que vous avez
privilégié l’opportunisme politique à l’intérêt général, vous assumez et
assumerez tout au long de la crise sanitaire que traverse la France la
responsabilité d’avoir ouvert un front politique au moment où la gestion de la
crise sanitaire imposait l’unité nationale.
M. Thibault
Bazin. Il a raison !
M. Damien
Abad. Vous aviez pourtant voulu insuffler cette unité nationale jeudi
dernier, en recevant l’ensemble des présidents de groupe et de parti à Matignon.
En cédant aux sirènes de l’instrumentalisation, vous avez choisi de mettre le
cynisme au cœur de votre politique.
Le comble du cynisme a consisté, dans
les rangs de la majorité, à justifier le recours à l’article 49,
alinéa 3, par la nécessité de mettre fin au débat sur les retraites pour
que le Gouvernement tout entier soit mobilisé sur le coronavirus. Alors soyons
cohérents : comment pouvez-vous, monsieur le Premier ministre, appeler à
une mobilisation de tous les instants et accepter en même temps que votre
ministre de la santé abandonne son poste en pleine crise du coronavirus ?
(Applaudissements sur les bancs du groupe LR.) Pourquoi avez-vous demandé
à votre ministre de la santé de choisir entre Paris et le coronavirus alors que
vous-même refusez toujours de choisir entre votre avenir électoral et l’avenir
de la France ? (Mêmes mouvements.)
M. Michel
Herbillon. Il a déserté !
M. Damien
Abad. Comment voulez-vous vous concentrer pleinement sur la gestion de
la crise et, en même temps, rester candidat à la mairie du Havre ? Je vous
le dis avec gravité et dans un esprit de responsabilité : dans quel pays
touché par le coronavirus un premier ministre sacrifie-t-il de son temps pour sa
propre campagne électorale ? (« Eh
oui ! » et applaudissements sur les bancs
du groupe LR.)
M. Édouard
Philippe, Premier ministre. Aux États-Unis ? (Sourires
sur les bancs du Gouvernement.)
Mme
Véronique Louwagie. Ce n’est pas drôle !
M. Damien
Abad. Comment le Premier ministre de la France peut-il encore animer des
réunions publiques en pleine crise sanitaire ? Au Havre ou à Paris, ce
gouvernement privilégie les intérêts de son parti plutôt que ceux du pays. Votre
mission consiste à protéger les Français, non à être en campagne électorale.
(« Bravo ! » sur les
bancs du groupe LR.)
Le cynisme tout comme l’amateurisme sont votre
marque de fabrique depuis le début de cette réforme des retraites.
L’amateurisme, c’est un texte mal ficelé, bancal, lacunaire, qui met toutes les
professions – ou presque – dans la rue. L’amateurisme, c’est une
concertation ratée, un calendrier précipité, un ministre remercié, un
financement oublié, une loi bâclée.
M. Patrick
Hetzel. Rien que ça !
M. Damien
Abad. Par votre cynisme et par votre amateurisme, vous avez bâti une à
une les fondations d’un fiasco parlementaire sans précédent.
M. Michel
Herbillon. Oui, un fiasco inédit !
M. Damien
Abad. Cette succession d’erreurs nous impose désormais de censurer votre
gouvernement.
Revenons sur la chronologie d’un désastre annoncé, en
commençant par la concertation ratée : dix-huit mois de concertation pour
aboutir à un accord sur rien avec personne ! Votre double langage et votre
duperie permanente ont rompu les fils du dialogue social, et les syndicats vous
ont définitivement tourné le dos. (Applaudissements sur les bancs du groupe
LR.)
M. Michel
Herbillon. Tout à fait !
M. Damien
Abad. C’est l’échec d’une méthode de concertation qui préfère les
postures à l’exigence de clarté et les faux-semblants au devoir de vérité, et
qui cristallise les angoisses depuis des mois. Du reste, cet échec se poursuit
puisque votre conférence de financement se délite de jour en jour, confirmant
notre crainte d’un déficit explosif. (« C’est
vrai ! » sur les bancs du groupe
LR.)
Puis votre gouvernement a fait le choix de jouer sciemment la
carte de la précipitation en présentant un texte en catastrophe, juste avant les
élections municipales, et en ne consacrant que deux semaines à son examen dans
l’hémicycle.
M. Michel
Herbillon. Improvisation !
M. Thibault
Bazin. Amateurisme !
M. Damien
Abad. Comment peut-on examiner avec rigueur et sérieux une réforme aussi
complexe selon un calendrier aussi contraint ?
Mme
Véronique Louwagie. En si peu de temps, c’est impossible !
M. Damien
Abad. Le prétendu nouveau monde aurait pu faire le choix d’une
discussion parlementaire démocratique et sérieuse mais, en faisant le choix d’un
calendrier impossible, c’est tout simplement le débat que vous avez rendu
impossible ! (Applaudissements sur les bancs du groupe LR.)
M. Sylvain
Maillard. Ce n’est pas nous !
M. Damien
Abad. Enfin et surtout, votre majorité est directement responsable de
l’enlisement du débat – enlisement qu’elle a elle-même encouragé, organisé
et soutenu. D’emblée, votre gouvernement aurait pu appliquer le temps législatif
programmé…
M. Marc Le
Fur. Bien sûr !
M. Damien
Abad. …pour garantir un débat de qualité et pour s’assurer qu’il irait à
son terme. Mis en place lors de la réforme constitutionnelle de Nicolas Sarkozy
en 2008, le temps législatif programmé permet de limiter le nombre d’heures de
débat ; il aurait évité toute obstruction parlementaire.
(Applaudissements sur les bancs du groupe LR.)
M. Philippe
Vigier. Eh oui !
M. Damien
Abad. Encore fallait-il pour ce faire disposer d’un texte prêt, en bonne
et due forme, afin de respecter le délai légal de six semaines.
M. Thibault
Bazin. Il a raison !
M. Damien
Abad. En refusant délibérément cette option, par amateurisme ou par
cynisme…
Mme
Véronique Louwagie. Les deux !
M. Damien
Abad. …voire les deux à la fois, vous avez offert un boulevard au groupe
La France insoumise en lui permettant d’appliquer sa stratégie
d’obstruction.
M. Erwan
Balanant. Ils ne sont pas là !
M. Damien
Abad. Vous vous êtes ainsi rendus complices de cette obstruction
insupportable aux yeux des Français.
Les députés du groupe Les
Républicains n’ont cessé de déplorer cette obstruction tout au long des débats.
Nous vous avons même fait une proposition de résolution pour sortir de
l’enlisement dans lequel se trouvait votre gouvernement.
M. Michel
Herbillon. Ils ne l’ont pas écoutée !
M. Damien
Abad. Nous vous avons proposé de déposer un nouveau texte, complet et
financé, qui serait débattu selon la règle du temps législatif programmé, afin
d’éviter toute tentative d’obstruction parlementaire. (Applaudissements sur
les bancs du groupe LR.) Or vous avez repoussé en bloc cette proposition
constructive et consensuelle.
Avec Éric Woerth, Stéphane Viry, Thibault
Bazin, Marie-Christine Dalloz et l’ensemble des députés du groupe Les
Républicains, nous avons toujours privilégié le débat de fond, là où d’autres
ont fait le choix des insultes, de l’invective ou encore des attaques
personnelles.
Mme
Véronique Louwagie. Très juste !
M. Damien
Abad. D’un côté, la France insoumise a pris l’hémicycle pour un théâtre
de rue où chacun se donne en spectacle ;…
M. Sylvain
Maillard. C’est vrai !
M. Damien
Abad. …de l’autre, la majorité a joué la carte de la provocation en
proférant des insultes et des propos parfois d’une grande vulgarité.
(« Eh oui ! » sur
les bancs du groupe LR.) C’est bien la carte de la provocation que vous
jouez lorsqu’un rapporteur perd complètement ses nerfs et nous reproche avec
mépris de n’être rien ! (Applaudissements sur les bancs du groupe LR. –
M. Jean-Paul Dufrègne applaudit également.) C’est la
carte de la provocation que vous jouez lorsque le questeur En marche de
l’Assemblée nationale propage, par pure démagogie, de grossières fausses
informations sur le coût supposé d’une journée de séance dans l’hémicycle !
(« Oui » et applaudissements sur
quelques bancs du groupe LR. – M. Stéphane Peu applaudit
également.)
Mme Émilie
Bonnivard. Ce n’est pas à la hauteur !
M. Damien
Abad. Et vous avez surjoué la carte de l’obstruction, comme si
M. Mélenchon était l’épouvantail confortable et rêvé permettant à des
macronistes en quête d’une réforme définitivement évaporée de ressouder leurs
rangs ! C’est toute l’hypocrisie des membres de votre majorité qui n’ont
cessé de feindre l’indignation pour dénoncer en public une situation de blocage
dont ils se réjouissaient parfois en privé. Ce ping-pong oral dévastateur pour
notre démocratie et cette guérilla parlementaire entre les indignés et les
insoumis n’avaient qu’un seul objectif : détourner le regard des Français
de l’essentiel, à savoir le contenu de la réforme des retraites.
(Applaudissements sur les bancs du groupe LR.)
Mme Valérie
Boyer. Exactement !
M. Damien
Abad. Permettez-moi de paraphraser le général de Gaulle :
l’essentiel est de ne jamais faire le malin, de ne pas jouer au plus fin, de ne
pas calculer, car les habiles finissent toujours par avoir tort. Voilà
précisément la situation que nous vivons, et votre décision de recourir à
l’article 49, alinéa 3, n’est que l’issue désolante d’un débat indigne
et d’une réforme ratée qui portent le sceau de votre amateurisme.
M. Luc
Carvounas. Un désastre !
M. Damien
Abad. J’ai certes bien compris, monsieur le Premier ministre, que le
Président de la République préfère les amateurs aux professionnels, mais le
paradoxe, c’est que vous êtes devenus les professionnels de l’amateurisme !
(Rires et applaudissements sur les bancs du groupe LR et sur quelques bancs
du groupe GDR.)
M. Michel
Herbillon. Des amateurs professionnels !
M. Damien
Abad. Cynisme, amateurisme et irresponsabilité : votre gouvernement
porte la responsabilité d’une réforme présentée sans l’ombre du commencement
d’un début de financement. Comment peut-on sérieusement examiner une réforme des
retraites qui mobilise chaque année plus de 320 milliards d’euros ?
Monsieur le Premier ministre, 320 milliards d’euros représentent 14 %
du PIB et 4 500 euros d’impôt annuel par Français !
M. Fabien
Roussel. C’est vrai !
M. Damien
Abad. Dans quel autre monde que le vôtre peut-on engager des dépenses
avant même d’avoir dégagé des recettes ? Dans quelle famille, dans quelle
entreprise, dans quelle collectivité peut-on dépenser l’argent que l’on n’a pas
encore ?
Pis, en présentant un texte à trous amputé de son volet
relatif au financement et en laissant de multiples sujets essentiels à la merci
d’ordonnances, vous brouillez complètement la vision d’ensemble de votre
réforme ; ce n’est ni sérieux ni responsable.
D’autre part, vous
assumez la responsabilité d’un projet de loi mal conçu, fruit d’une préparation
et d’un travail insuffisants. De grandes voix se sont élevées pour vous montrer
que vous faisiez fausse route : constitutionnalistes, éditorialistes,
acteurs socioprofessionnels ou encore juristes, tous ont tour à tour mis en
lumière l’insécurité juridique et les nombreux risques d’inconstitutionnalité
qui pèsent sur votre texte. Même le Conseil d’État, dont l’indépendance et la
compétence ne sauraient être contestées, a rendu un avis au vitriol sur votre
projet de réforme.
M. Michel
Herbillon. Ce n’était jamais arrivé à ce point !
M. Damien
Abad. La juridiction administrative la plus élevée du pays est sortie de
sa réserve habituelle pour dénoncer une étude d’impact
« insuffisante », des projections financières « lacunaires »
et un recours excessif aux ordonnances ! C’est la première fois que le
Conseil d’État adresse un avis aussi dur au Gouvernement.
M. Thibault
Bazin. On n’entend plus guère la majorité…
M. Damien
Abad. Monsieur le Premier ministre, combien de questions sont restées
sans réponse ?
Mme Valérie
Rabault. Beaucoup !
M. Fabien
Roussel. Toutes les nôtres !
M. Damien
Abad. Avec Éric Woerth et Christian Jacob, nous vous avons posé
quarante-neuf questions qui sont restées lettre morte. Parmi elles, il y a deux
questions essentielles que se posent tous les Français : à partir de quel
âge vais-je pouvoir prendre ma retraite et quel sera le montant de
celle-ci ? Vous êtes incapable de répondre à ces deux questions pourtant
centrales,…
Mme
Emmanuelle Anthoine. Et légitimes !
M. Damien
Abad. …parce que votre réforme est trop technocratique et trop éloignée
des préoccupations quotidiennes des Français !
M. Pierre
Cordier. Comme lui !
M. Damien
Abad. Cynisme, amateurisme et irresponsabilité, telles sont les trois
raisons qui expliquent l’enlisement de votre réforme. Vous vous êtes embourbé et
cette non-réforme des retraites restera comme un échec cuisant pour votre
majorité et pour votre gouvernement.
M. Michel
Herbillon. Exactement !
M. Damien
Abad. C’est l’échec d’un projet de loi, mal préparé, qui cristallise
toutes les angoisses.
C’est l’échec d’une concertation qui aura duré deux
ans, pendant lesquels les partenaires sociaux ont été méprisés.
C’est
l’échec d’un haut-commissaire, censé incarner la réforme et contraint finalement
de démissionner.
M. Patrick
Hetzel. Qu’a fait Delevoye ?
M. Damien
Abad. C’est l’échec d’une réforme étatiste, égalitariste et
déresponsabilisante !
C’est l’échec de votre âge pivot, cette fausse
mesure d’âge, hypocrite et injuste, qui devait être l’alpha et l’oméga de votre
réforme, et que vous avez finalement abandonnée sous la pression des
grévistes.
C’est l’échec, ensuite, de la conférence de financement, qui,
à peine ouverte, est déjà mort-née.
C’est l’échec de votre commission
spéciale, qui n’a pas pu aller à son terme.
C’est l’échec, enfin, de
cette parodie de débat au sein de l’hémicycle, parodie que vous poussez jusqu’à
son paroxysme lorsque vous faites croire que vous reprenez des amendements de
l’opposition alors qu’ils sont uniquement rédactionnels ou accessoires ! Là
aussi, vous êtes dans la parodie ; là aussi, vous êtes dans la
fourberie ! (Applaudissements sur les bancs du groupe LR et sur quelques
bancs du groupe LT.)
M. Pierre
Cordier. Bravo !
M. Damien
Abad. Tous ces échecs répétés ne pouvaient aboutir qu’à une seule
conclusion, le recours à l’article 49, alinéa 3. Avec mes collègues
députés du groupe Les Républicains, j’ai envie de dire : tout ça pour
ça ! Ce n’est plus la réforme des retraites, c’est la retraite des
réformes. (Exclamations sur plusieurs bancs du groupe LaREM.)
M. Pierre
Cordier. Belle formule !
M. Damien
Abad. Certes, la procédure de l’article 49, alinéa 3 peut être
un recours quand un gouvernement n’a pas de majorité, mais elle ne doit pas être
déclenchée dans le seul but d’empêcher le débat. Sur un sujet aussi fondamental
que l’avenir de notre système de retraite – et alors que vous disposez
d’une large majorité sur ces bancs,…
M. David
Habib. Très large !
M. Damien
Abad. …même si elle se réduit, j’en conviens –, c’est une triste
première de l’histoire parlementaire !
Nous ne pouvons accepter
qu’une réforme, que le Gouvernement présente lui-même comme la plus importante
du quinquennat, ne puisse jamais être votée à l’Assemblée nationale, ni en
commission spéciale, ni en séance publique. C’est du jamais-vu depuis la réforme
constitutionnelle de 2008 ! Nous ne pouvons l’accepter !
(Applaudissements sur les bancs du groupe LR. –
Mme Jeanine Dubié applaudit également.)
Cette
utilisation de l’article 49, alinéa 3, aura un coût politique. Je n’ai
pas de doute sur le sort qui sera réservé à notre motion de censure, mais cet
usage de la Constitution vous fera très certainement perdre, dans un avenir
proche, votre majorité absolue à l’Assemblée nationale. Ce sera votre Waterloo
politique !
M.
Sébastien Jumel. Le début de la fin !
M. Damien
Abad. La preuve en est l’anxiété et le doute qui ont désormais gagné vos
rangs, certains n’hésitant pas à parler de déconvenue ou d’échec.
M.
Sébastien Jumel. C’est la débâcle !
M. Damien
Abad. La liste des députés quittant le groupe La République en marche
s’allonge de jour en jour.
M. Pierre
Cordier. Eh oui !
M.
Jean-Yves Bony. Ils marchent à reculons !
M. Damien
Abad. Vous paierez au prix fort ces longs mois d’errance et d’erreurs,
qui auront abouti à cette réforme profondément injuste, particulièrement
coûteuse et si complexe qu’elle n’a créé que de l’anxiété, de l’angoisse et de
l’incompréhension chez nos compatriotes. (Applaudissements sur les bancs du
groupe LR.)
M. Fabien
Roussel. C’est juste !
M. Damien
Abad. Nous comptons sur le Sénat pour redresser la barre…
M. Joël
Giraud. Il s’y connaît en retraite !
M. Damien
Abad. …et remettre de l’ordre.
M. Pascal
Lavergne. On verra cela !
M.
Sébastien Jumel. Ce n’est pas gagné…
M. Damien
Abad. Cette réforme des retraites est un incroyable gâchis. Ne nous y
trompons pas, les grands perdants, ce sont les Français ! Avec votre
réforme, tout le monde y perd : les avocats, les indépendants, les
professions libérales, les mères de famille, les ouvriers aux carrières
ascendantes, les agriculteurs et même les professeurs.
M.
Dominique Potier. Et les sénateurs !
M. Damien
Abad. Et c’est parce que nous ne voulons pas que les Français soient les
grands perdants que nous avons présenté un contre-projet qui leur propose une
réforme des retraites plus juste, plus claire, plus responsable.
M. Erwan
Balanant. Plus juste, j’ai des doutes. Plus responsable, j’en ai
également.
M. Damien
Abad. Monsieur le Premier ministre, nous présentons une motion de
propositions, et non d’obstruction, parce que nous sommes des
réformateurs !
Monsieur le Premier ministre, la droite de
gouvernement n’a pas à rougir de son bilan en matière de retraites.
Mme
Véronique Louwagie. Exactement !
M. Xavier
Breton. Et sans ordonnances !
M. Damien
Abad. Par trois fois, nous avons eu le courage de réformer les
retraites, en allant jusqu’au bout du débat,…
M. Pascal
Lavergne. En 1995, par exemple ?
M. Damien
Abad. …malgré des oppositions tout aussi véhémentes, et en acceptant de
nous soumettre au vote du Parlement souverain, sans ordonnances, ni recours à
l’article 49, alinéa 3 ! (Applaudissements sur les bancs du
groupe LR.)
Nous avons pris nos responsabilités, en 2003, en alignant
la durée de cotisation du secteur public sur celle du secteur privé.
Nous
avons pris nos responsabilités, en 2010, en reculant de deux ans l’âge légal de
départ à la retraite.
M. Stéphane
Peu et M. Fabien Roussel. Le monde du travail ne vous remercie
pas !
M. Damien
Abad. Nous avons pris nos responsabilités, en étant les premiers à
reconnaître la pénibilité de certaines carrières.
Nous prenons à nouveau
nos responsabilités, en vous proposant, de manière transparente, un projet de
réforme des retraites.
Sur le fond, la première différence fondamentale
entre notre projet et le vôtre tient au fait que nous faisons du maintien du
niveau des pensions une ligne rouge infranchissable. (Applaudissements sur
les bancs du groupe LR.)
M. Pierre
Dharréville. Avec un départ à la retraite à quel âge ?
M. Damien
Abad. Parce que notre réforme est financée, nous pouvons garantir le
niveau des pensions des retraités, actuels comme futurs.
La deuxième
grande différence entre votre projet et le nôtre est que nous préservons les
caisses de retraite autonomes et respectons les spécificités des métiers, en
refusant un système de retraite égalitariste et déresponsabilisant.
(Applaudissements sur les bancs du groupe LR.)
Dans votre réforme
du système universel de retraite, il y a deux vices de conception :
l’absence de financement – je n’y reviens pas – et une confusion entre
universalité et uniformité.
Mme Valérie
Boyer. Bravo !
M. Damien
Abad. Contrairement à vous, nous pensons que l’universalité n’est pas
l’uniformité.
M. Pierre
Cordier. Très bien !
M. Damien
Abad. Prenons un exemple concret, celui des avocats. Monsieur le Premier
ministre, pourquoi vouloir supprimer ce qui fonctionne sans coûter un euro
d’argent public aux Français ? (Applaudissements sur plusieurs bancs du
groupe LR.)
M.
Sébastien Jumel. Il ne sait pas répondre !
M. Damien
Abad. Le régime de retraite des avocats est efficace, solidaire,
autonome.
M. Fabien
Roussel. Et excédentaire !
M. Guy
Teissier. Et riche !
M. Damien
Abad. Il a fait la preuve de sa robustesse. Pourquoi vouloir le fondre
dans un régime universel, si ce n’est pour faire main basse sur les
2 milliards d’euros de réserves qu’ils ont constitués,…
M. Erwan
Balanant. Mais non, on les leur laisse !
M. Damien
Abad. …et les utiliser pour financer leur transition vers un régime
universel dont ils ne veulent pas ? Pourquoi un tel acharnement à mettre au
pas les avocats, dont le régime extrêmement redistributif favorise les petits
cabinets et dont la caisse verse près de 100 millions d’euros chaque année
au régime général ? (Applaudissements sur les bancs du groupe
LR.)
Mme Valérie
Boyer. Bravo !
M. Damien
Abad. La troisième différence entre notre projet et le vôtre est que
nous assumons de reculer l’âge légal de départ à la retraite !
(M. Jean-Marie Sermier applaudit.)
M. Erwan
Balanant. Applaudissements plus que modérés !
M. Fabien
Roussel. Autrement dit, vous êtes de droite !
M.
Jean-Paul Dufrègne. Pas nous !
M. Damien
Abad. Nous ne faisons pas de fourberie, nous ne dupons pas les
Français ! Les Français ont bien compris que, comme nous vivons plus
longtemps, nous devons travailler plus longtemps. (Applaudissements
sur plusieurs bancs du groupe LR.) Nous vous
proposons de porter progressivement l’âge légal de départ à la retraite à
64 ans en huit ans et à 65 ans en douze ans. Dire la vérité aux
Français, c’est leur dire que nous ne pouvons pas conserver éternellement cette
exception intenable en Europe, héritée du socialisme !
M. Luc
Carvounas. Fillon, le retour !
M. Damien
Abad. C’est un choix difficile, mais indispensable pour assurer
l’équilibre de notre régime par répartition, sans baisser les pensions des
retraités ni augmenter les cotisations des actifs.
Vous faites,
hélas, tout le contraire, car, malgré votre bonne volonté, vous avez été
rattrapés par votre propre majorité : vous augmentez brutalement les
cotisations des indépendants et doublez même le taux de cotisation des avocats
modestes !
Vous faites, hélas, tout le contraire, en créant des
retraités pauvres, avec un système injuste et sournois de
super-décote.
Vous faites, hélas, tout le contraire, en revoyant la
méthode de calcul des pensions de retraite. En calculant désormais la pension
sur l’ensemble de la carrière, et non plus sur les seules meilleures années,
vous réduirez en moyenne de 10 % les retraites des salariés du privé. Voilà
la réalité ! Avec ce mode de calcul, vous affaiblissez davantage
l’ascenseur social, en sanctionnant tous ceux qui font l’effort de s’élever
durant leur carrière par leur travail et le mérite.
Votre système sera
profondément injuste pour une aide-soignante devenue infirmière.
Votre
système sera profondément injuste pour un ouvrier devenu contremaître ou pour un
contremaître devenu cadre.
M. Maxime
Minot. Exactement !
M. Damien
Abad. Votre système sera profondément injuste pour un salarié qui a
gravi, un à un, les échelons de son entreprise. (Applaudissements sur
plusieurs bancs du groupe LR.) Tous ceux qui ont connu une carrière
ascendante y perdront : votre réforme va à l’encontre du mérite et du
travail !
M. Maxime
Minot. Où est la démocratie ?
M. Damien
Abad. La quatrième différence entre notre projet et le vôtre est que
nous refusons de faire sortir 120 000 cadres du régime de retraite par
répartition. Votre choix incompréhensible de réduire l’assiette de cotisations
de huit à trois plafonds annuels de la sécurité sociale privera le futur régime
de retraite universel de près de 4 milliards d’euros de ressources par an à
partir de 2025 ! C’est une folie, alors qu’il nous faudra déjà trouver
15 milliards d’euros supplémentaires chaque année pour équilibrer notre
système de retraite. Voici ce que sont l’irresponsabilité et
l’amateurisme : augmenter les cotisations et surenchérir le coût du
travail ! (Applaudissements sur les bancs du groupe LR.)
La
cinquième différence entre notre projet et le vôtre est que nous vous proposons
de supprimer les régimes spéciaux en douze ans, non en un demi-siècle !
M. Frédéric
Reiss. Très bien !
M. Damien
Abad. Ces régimes spéciaux, qui coûtent 6 milliards d’euros par an
aux contribuables, doivent être supprimés rapidement, au nom de la justice entre
les Français. Comment comprendre qu’un chauffeur de bus de la RATP né en 1985
pourra partir à la retraite à 52 ans en 2037, quand un chauffeur de bus de
la ville d’Oyonnax, dans ma circonscription, né le même jour et faisant le même
métier, devra partir à 62 ans, soit dix ans plus tard ?
M. Sylvain
Maillard. Nous sommes d’accord !
M. Vincent
Descoeur. Très bien !
M. Damien
Abad. La sixième différence entre notre projet et le vôtre est que nous
refusons l’arbitraire d’un système par points, intenable dans la durée. La
question centrale est : comment garantir la valeur du point ? À chaque
crise économique, à chaque nouveau déclin démographique, à chaque nouvelle
majorité, ce qu’une loi a fait, une autre peut le défaire – vous le savez
parfaitement. Ne nous faites pas croire que l’inscription de la valeur du point
dans la loi la sanctuarise !
Enfin, la septième différence entre
notre projet et le vôtre est que nous refusons qu’une réforme des retraites
pénalise des millions de Français. Or la vôtre fera un nombre incroyable de
perdants : il y a tous ceux que j’ai déjà mentionnés, mais il y en a
d’autres, je pense notamment aux mères de famille, qui perdront leur majoration
de trimestre et qui ne pourront plus bénéficier d’une retraite à taux plein.
M. Xavier
Breton. Tout à fait !
M. Michel
Herbillon. Quelle injustice !
M. Damien
Abad. Nous vous proposons de rendre notre système de retraite plus
juste.
Plus juste, en revalorisant les petites retraites et en
instaurant, dès 2020, un minimum de pension fixé à 1 000 euros.
(Applaudissements sur les bancs du groupe LR et sur quelques bancs du groupe
LT.)
Un député du groupe
LaREM. C’est fait !
M. Damien
Abad. Soyons clairs, monsieur le Premier ministre, ce minimum doit
concerner l’ensemble des retraités agricoles, y compris actuels.
(Applaudissements sur les bancs du groupe LR.) Contrairement à ce qu’a
dit le Président de la République au Salon de l’agriculture, cela coûte non pas
1,1 milliard, mais 400 millions d’euros. Cela coûte simplement un peu
de courage et de volonté politique.
M.
Jean-Paul Dufrègne. Loi Chassaigne !
M. Damien
Abad. Plus juste, en mettant en place un régime universel de pénibilité,
qui donnera droit à une année de retraite anticipée pour cinq années de travail
reconnu comme objectivement pénible par la médecine du travail.
Un député du groupe
LaREM. C’est fait !
M. Damien
Abad. Plus juste, enfin, en revalorisant chaque année l’ensemble des
retraites au niveau de l’inflation, quand votre majorité a fait de la
désindexation des pensions sa marque de fabrique depuis deux ans et
demi.
Au jeu des sept différences, monsieur le Premier ministre, c’est le
choix de la responsabilité, du courage et de la clarté qui doit l’emporter,
c’est-à-dire tout ce qui nous distingue de vous !
Où est la
responsabilité de votre projet quand vous promettez à tour de bras des mesures
de compensation, sans qu’une seule d’entre elles ne soit financée ?
M. Maxime
Minot. Eh oui !
M. Damien
Abad. Où est la clarté de votre réforme quand vous êtes incapables de
mettre en place un réel simulateur ?
Où est le courage de votre
majorité quand vous fuyez le débat parlementaire et la confrontation
démocratique, parce que vous êtes incapables d’avouer aux Français les
conséquences de votre réforme sur le niveau de leurs pensions ?
(Applaudissements sur les bancs du groupe LR.)
Au fond, la grande
différence entre nous et vous, c’est que nous considérons que notre système de
retraite a besoin d’être non pas fracturé, mais réformé. Il nécessite non pas
une révolution systémique, à grand renfort de trinitroglycérine et de
déclarations tapageuses, mais une adaptation paramétrique, certes moins
spectaculaire, mais plus juste, plus simple et plus courageuse.
Par
orgueil, vous voulez faire table rase du passé et dynamiter l’héritage du
Conseil national de la Résistance. Par pragmatisme, nous voulons le faire
évoluer, pour tenir compte de l’allongement continu de l’espérance de vie en
bonne santé, de l’émergence de nouveaux métiers et de nouveaux souhaits de
carrière ainsi que du profond renversement démographique que constitue le
papy-boom.
M.
Jean-Marie Sermier. Bravo !
M. Damien
Abad. Plutôt qu’une réforme incompréhensible, dont le degré de
complexité sert à masquer les lacunes et les dangers, nous avons, nous, un
projet de réforme claire, lisible, juste et responsable. Je vous l’ai dit, la
présente motion de censure est une motion de propositions. Elle présente
clairement ce que serait une réforme de droite du système de
retraite.
Voilà pourquoi il ne peut exister, dans cette assemblée, une
quelconque alliance des oppositions ! Voilà pourquoi nous ne soutiendrons
pas la motion de censure présentée par la gauche radicale, car nous ne voulons
pas être confondus avec ceux qui pratiquent le blocage, l’obstruction et le déni
de réalité ! (Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe
LR.)
Mme
Bérengère Poletti. Bravo !
M. Damien
Abad. Nous voulons, au contraire, faire preuve de clarté, en affirmant
nos convictions de droite. Aux députés de la gauche radicale et insoumise, aux
députés du rassemblement national, je dis ceci : entre vous et nous se
trouve une digue infranchissable, celle de la crédibilité. Notre motion de
proposition est claire : elle présente une réforme juste et
financée.
Au demeurant, si Mme Le Pen et M. Mélenchon ont
l’intention de la voter, comme ils le prétendent, cela signifie qu’ils voteront
pour la suppression totale des régimes spéciaux en douze ans et pour le report
de l’âge légal de départ à la retraite. Eux qui prônent, en toute démagogie, la
retraite à 60 ans et le maintien des régimes spéciaux devront rendre compte
de leur incohérence devant leurs électeurs ! (Applaudissements sur les
bancs du groupe LR.)
M. Erwan
Balanant. J’applaudis, car je ne cesse de le leur répéter !
M. Damien
Abad. L’incohérence, voilà justement ce que rejette la seule alternance
désormais possible, incarnée par le groupe Les Républicains ! Dans cet
hémicycle, il y a plusieurs oppositions, mais il n’y a qu’une seule force
d’alternance.
Il y a l’opposition qui n’est même pas en mesure de déposer
une motion de censure : c’est l’opposition incapable de
Mme Le Pen. Il y a l’opposition qui est obligée de conclure l’alliance
de la carpe et du lapin pour déposer une motion de censure procédurale :
c’est l’opposition d’obstruction de M. Mélenchon. Et il y a l’opposition
qui incarne l’alternance, en déposant une motion de proposition : c’est la
nôtre, celle du groupe Les Républicains.
M. David
Habib. C’est un peu réducteur !
M. Damien
Abad. Mes chers collègues, la droite redonne de la voix. Elle se fait
entendre sur le terrain, retrouve des couleurs au Parlement et reprend une place
dans le cœur des Français. La droite ne peut rester sans réagir face à un
gouvernement prisonnier de ses certitudes, enlisé dans l’échec et dépassé par
une réforme qu’il ne maîtrise plus !
M. Marc Le
Fur. Tout à fait !
M. Damien
Abad. En censurant le Gouvernement, nous voulons dire stop au cynisme,
stop à l’amateurisme et stop à l’irresponsabilité !
Oui, le devoir
de la droite est de censurer un gouvernement qui navigue à vue et joue avec
l’avenir de millions de Français ! Oui, le devoir de la droite est de
censurer votre fausse politique d’exemplarité, qui a perdu tout crédit à mesure
que les affaires se sont succédé, poussant douze de vos ministres à la
démission !
M. Michel
Herbillon. Douze ministres !
M. Pascal
Lavergne. Et Fillon ?
M. Damien
Abad. Oui, le devoir de la droite est de censurer votre fausse politique
de cohésion nationale, qui n’est plus qu’un vieux souvenir, dès lors que le
mouvement des gilets jaunes a révélé l’ampleur des fractures qui minent notre
pays et que vous n’avez cessé d’accentuer depuis que vous exercez vos
responsabilités. Oui, le devoir de la droite est de censurer un gouvernement
faussement réformateur, qui se fracasse sur la réalité d’une réforme
ratée !
Mme Valérie
Boyer. Bravo !
M.
Jean-Yves Bony. Très bien !
M. Damien
Abad. L’histoire retiendra que vous avez appauvri les retraités
français…
M.
Jean-Pierre Door. En augmentant la CSG !
M. Damien
Abad. …tout en passant à côté d’une formidable chance d’assurer
l’équilibre de notre système de retraite et de le rendre plus juste. Tout cela
démontre une chose : l’audace réformatrice a changé de camp.
Ce
n’est pas seulement votre majorité que nous voulons censurer, ce sont surtout
vos renoncements, vos lâchetés et vos trahisons : renoncement sur le recul
de l’âge légal de départ à la retraite et sur la suppression des régimes
spéciaux ; renoncement sur la réduction des dépenses publiques, alors même
que la dette s’envole inexorablement ; renoncement sur la hausse du pouvoir
d’achat ; renoncement sur la réduction de l’immigration clandestine ;
renoncement sur le recul de la délinquance ; lâcheté sur le communautarisme
et sur l’islam radical ; trahison globale de l’audace réformatrice que vous
revendiquiez initialement.
Dès lors, plutôt que contempler impuissants le
désastre d’une réforme ratée, plutôt que nous résigner à accepter la baisse
programmée des pensions de millions de Français, plutôt que nous résoudre à
perdre encore deux ans avec ce gouvernement qui a échoué, nous vous invitons,
chers collègues, à participer à un sursaut démocratique en votant notre motion
de censure !
Il y va de l’honneur d’un Parlement bafoué ! Il y
va de l’avenir de notre système de retraite ! Il y va surtout de l’intérêt
de la France et des Français ! (Mmes et
MM. les membres du groupe LR se lèvent et
applaudissent.)
M. le
président. La parole est à M. André Chassaigne.
M. André
Chassaigne. J’ai l’honneur d’avoir été désigné par la présidente Valérie
Rabault et par le président Jean-Luc Mélenchon…
M. Pierre
Cordier. Quel honneur !
M. André
Chassaigne. …pour présenter, au nom de nos trois groupes, la présente
motion de censure, qui vise à empêcher l’adoption sans vote, par le truchement
du funeste article 49, alinéa 3, de la Constitution, de votre non
moins funeste réforme des retraites, monsieur le Premier ministre.
Mme
Danielle Brulebois. Elle n’a rien de funeste !
M. André
Chassaigne. Le recours à cette arme parachève la chronique du fiasco
annoncé de cette réforme : un mouvement social inédit depuis le début de la
Ve République ; un rejet profond et massif des
citoyens ; des partenaires sociaux méprisés ; une dénonciation par le
Conseil d’État de l’incohérence et de l’insécurité juridique du texte ; une
étude d’impact trompeuse et insincère.
Votre amateurisme et votre
impréparation aboutissent à un désastre démocratique. La mise à mort de nos
débats souligne votre profond mépris du Parlement. (Applaudissements sur
quelques bancs des groupes GDR et SOC.)
En effet, elle est la
négation même de notre rôle de législateur et constitue une nouvelle étape de la
dérive autoritaire du régime. Les pères de la Constitution de 1958, conscients
de cette possible dérive, ont souhaité réserver le recours à l’article 49,
alinéa 3, de la Constitution aux seuls cas exceptionnels. Quel est donc le
cas exceptionnel justifiant à vos yeux le fait que notre assemblée soit privée
de débat ?
Il en est un dont se sont fait l’écho, dès le premier
jour d’examen du texte, les cacatoès de la majorité… (Applaudissements sur
quelques bancs du groupe GDR. – Exclamations sur plusieurs bancs des groupes
LaREM et MODEM.)
M. Didier
Le Gac. Scandaleux !
M. Sylvain
Maillard. Honteux !
M. Erwan
Balanant. Vous valez mieux que cela, monsieur Chassaigne !
M. André
Chassaigne. Chers collègues de la majorité, j’avoue que vos gargouillis
et vos cris me font plaisir aux oreilles !
Un député du groupe
LaREM. C’est indigne !
M.
Sébastien Jumel. Chassaigne, président !
M. André
Chassaigne. Le cas exceptionnel, pour vous, est le simple fait que les
oppositions proposent, contredisent et interrogent, dans le plus strict respect
de notre règlement. Les digéreurs de la parole élyséenne rêvent d’un hémicycle
occupé par eux seuls, au sein duquel ils se livreraient, l’échine courbée, à
leurs petits arrangements entre amis.
De fait, il vous est insupportable
que nous fassions respirer la démocratie. Tout, depuis le début de l’examen du
texte, prouve que vous n’avez jamais voulu débattre et que vous souhaitez
imposer, coûte que coûte, votre réforme ! (Applaudissements sur les
bancs du groupe GDR.)
M. Fabien
Roussel. C’est vrai !
M.
Sébastien Jumel. Il a raison !
M. André
Chassaigne. Rappelons quelques étapes de la discussion parlementaire.
Évoquons tout d’abord le choix de la procédure accélérée, sans autre motif que
la volonté d’achever la première lecture du texte avant le premier tour des
élections municipales.
Monsieur le Premier ministre, pour une réforme que
vous avez vous-même décrite comme « une des réformes les plus ambitieuses
et les plus complexes […] de ces dernières années »,…
Mme Valérie
Rabault. Complexe, c’est le mot !
M. André
Chassaigne. …vous avez décidé d’un calendrier intenable, prévoyant des
délais tout simplement scandaleux pour examiner soixante-dix articles !
(Applaudissements sur les bancs du groupe GDR et sur quelques bancs du groupe
SOC.)
Mme Valérie
Rabault. Très juste !
M. André
Chassaigne. Dans ces conditions, la commission spéciale a fatalement
échoué, dix jours après avoir entamé ses travaux, et nous avons été obligés, en
séance publique, de débattre du texte initial. Quant au temps alloué aux débats
dans notre hémicycle, vous n’aviez initialement prévu que deux semaines, sachant
qu’elles ne suffiraient pas pour comprendre, décrypter et mesurer les
conséquences de chacun des soixante-dix articles.
Cinq présidents de
groupe vous ont demandé de laisser au débat le temps nécessaire. Fin de
non-recevoir !
Nous avons multiplié les demandes de retrait du
texte, pour que vous puissiez nous présenter une copie digne du respect que vous
devez à nos concitoyens, ainsi qu’à leur avenir, et non un simple brouillon. Fin
de non-recevoir !
Nous avons soumis au vote de l’Assemblée une
motion référendaire, signée par soixante de ses membres, pour sortir de la crise
par le haut, par le peuple, en organisant un référendum. Fin de
non-recevoir !
Nous avons alors décidé d’utiliser toutes les
possibilités de prise de parole pour obtenir des réponses aux questions que se
posent la majorité des Français et les organisations syndicales ainsi que la
plus haute juridiction administrative de notre pays. Fin de non-recevoir ultime,
avec le recours à l’article 49, alinéa 3 !
Pris au piège,
vous avez imaginé, avant de porter ce coup fatal, toutes les parades possibles
pour échapper au débat. La plus fameuse, et la moins glorieuse, fut de faire
tomber des milliers d’amendements déposés par l’opposition, dans le mépris le
plus total de la Constitution, (Applaudissements sur les bancs du groupe
GDR.) vous obstinant pendant près de deux jours, au point de bloquer nos
débats, avant de renoncer, penauds, à ce coup de force !
M. Régis
Juanico. Eh oui !
M. André
Chassaigne. À qui la faute ? À celui qui piétine le droit ou à
celui qui se bat pour qu’il soit respecté ? (Applaudissements sur les
bancs du groupe GDR et sur quelques bancs du groupe SOC.)
La
mascarade a alors commencé, prenant d’emblée son tour le plus pathétique. Une
fois que nous avons pu engager le débat, après avoir arraché le respect de nos
droits, les petits soldats d’En Marche et leurs supplétifs du MODEM sont
entrés en scène. (Exclamations sur plusieurs bancs des groupes LaREM et
MODEM.)
M. Pierre
Cordier. Bien dit !
M. André
Chassaigne. Dès qu’un député de l’opposition prenait la parole pour
formuler des propositions, tenter d’obtenir des réponses sur des points
essentiels ou ouvrir un débat de qualité,…
M. Éric
Bothorel. Sans jamais se soucier de respecter le temps de
parole !
M. André
Chassaigne. …vos serviteurs déversaient leurs cris d’orfraie pour
masquer les non-réponses et fustiger un excès de parole de l’opposition
– parole trop gênante, car dévoilant les multiples entourloupes de votre
réforme !
Mme
Brigitte Bourguignon. Que tout cela est mauvais !
M. André
Chassaigne. Ainsi, la valeur du point sera indexée sur le revenu
d’activité moyen, indicateur inconnu à ce jour mais lourd de menaces pour les
pensions des futurs retraités ; les retraités agricoles – ceux
d’aujourd’hui et la plupart de ceux de demain – seront exclus du bénéfice
du minimum de pension à 85 % du SMIC ; la réforme des pensions de
réversion fera 65 % de perdants. Citons également l’absence de garantie en
matière de taux de remplacement des pensions et le maintien de façade à
62 ans de l’âge légal de départ à la retraite.
Par conséquent,
monsieur le Premier ministre, vous ne pourrez pas convaincre les Français de
l’utilité, en l’espèce, de l’article 49, alinéa 3, qui marque celui qui
l’utilise du sceau de la faiblesse et de l’autoritarisme, l’un allant souvent
avec l’autre.
M.
Sébastien Jumel. Il a raison !
M. André
Chassaigne. Les Français, eux, souhaitaient que le débat se poursuive,
pour comprendre les tenants et les aboutissants de la réforme. Ils attendaient
de leurs représentants qu’ils corrigent un texte mal écrit, inachevé et bourré
d’ordonnances, engageant leur avenir pour des décennies.
Nous voulions
également poursuivre le débat.
Mme
Brigitte Bourguignon. Vous ne vouliez pas même débattre !
M. André
Chassaigne. Nous en avions le temps. Deux à trois petites semaines
supplémentaires y auraient suffi, au rythme atteint ces derniers jours.
(Rires sur plusieurs bancs du groupe LaREM.)
M.
Sébastien Jumel. À quatre-vingt à l’heure à peine !
M. André
Chassaigne. Mais l’exécutif ne le voulait pas – surtout
pas !
M. Pierre
Dharréville. Avouez-le !
M. André
Chassaigne. Au demeurant, chers collègues de la majorité, c’est lorsque
les débats devenaient de plus en plus risqués pour vous que le Président de la
République a décidé d’abréger votre souffrance.
M. Patrick
Hetzel. Laissant du même coup nos questions sans réponses !
M. André
Chassaigne. Il est vrai qu’il devenait cruel de poursuivre les débats
alors même que nous allions aborder le cœur du projet de loi : la valeur du
point et l’âge d’équilibre. (Applaudissements sur les bancs du groupe
GDR.)
M.
Sébastien Jumel. Car vous n’avez pas de réponse !
M. André
Chassaigne. Votre majorité n’en pouvait plus de justifier l’ampleur des
régressions sociales projetées : le recul de l’âge de départ par
l’instauration d’un âge d’équilibre à 65 ans ;…
M. Éric
Bothorel. Fake news !
M. André
Chassaigne. …un système de retraite à points induisant une baisse
générale des pensions et rendant chacun comptable de son seul sort ;…
Mme
Danielle Brulebois. C’est faux !
M. André
Chassaigne. …une machine à reproduire les inégalités vécues pendant la
carrière professionnelle, au détriment des femmes en premier lieu ;
l’affaiblissement des mécanismes de solidarité, tels que les pensions de
réversion, les retraites anticipées pour carrière longue et la prise en compte
des périodes de chômage non indemnisé ; l’affaiblissement des dispositifs
de reconnaissance de la pénibilité ; l’ouverture d’espaces de
capitalisation pour les hauts salaires.
Un député du groupe
LaREM. Fake news !
M. André
Chassaigne. C’est parce que ces débats menaçaient de faire craquer le
vernis de votre communication, auraient mis à jour l’ampleur de l’arnaque, que
vous avez décidé de mettre fin à ce naufrage programmé…
M. Sylvain
Maillard. Il n’y a vraiment jamais rien de positif ?
M. André
Chassaigne. …en actionnant l’article 49, alinéa 3, sous le
prétexte de sauver la démocratie parlementaire menacée !
(Applaudissements sur les bancs du groupe GDR. –
M. Jean-Luc Mélenchon applaudit également.)
M.
Sébastien Jumel. Chassaigne, président !
M. Éric
Bothorel et Mme Danielle Brulebois. Bravo, monsieur le Premier
ministre !
M. André
Chassaigne. Une démocratie qui aurait été menacée par un sabotage
orchestré par les oppositions ! Ah, monsieur le Premier ministre, qu’en
termes galants ces choses-là sont mises !
Mme
Catherine Kamowski. Ah non, vous n’êtes pas très galant, monsieur
Chassaigne !
M. André
Chassaigne. Emporté par le cynisme de votre logorrhée, vous perdez de
vue que l’immense majorité du peuple est imperméable à vos grands airs
indignés,…
M. Luc
Carvounas. Eh oui !
M. André
Chassaigne. …parce que vos leçons éculées de morale républicaine
n’occulteront jamais la réalité de votre réforme et ne désarmeront pas les
opposants à votre projet de régression sociale ; parce que la vérité, c’est
que vous êtes incapable de répondre aux questions que se posent les citoyens,
relayées par les oppositions parlementaires…
M.
Jean-Paul Dufrègne. Mais oui !
M. André
Chassaigne. …et parce que vos envolées pour faire croire que votre
projet de loi est la semence d’un nouveau pacte social…
M. Luc
Carvounas. En réalité, c’est la fin du modèle social !
M. André
Chassaigne. …n’occulteront jamais ce qu’il est réellement : un
simple débris, celui des avancées sociales d’un gouvernement issu du Conseil
national de la Résistance dans lequel siégeaient communistes et gaullistes.
(Applaudissements sur les bancs du groupe GDR.)
M.
Sébastien Jumel. Ce n’étaient pas les mêmes gaullistes
qu’aujourd’hui !
M. Jean-Luc
Mélenchon. Il y a encore des communistes, mais il n’y a plus de
gaullistes !
M. André
Chassaigne. « Notre ambition est désormais, par le nouveau système,
de mettre toute la vie de l’individu en sécurité sociale », disait Ambroise
Croizat. Cette ambition, vous dites en porter la flamme, mais vous n’en gardez
que les cendres. Avec votre réforme, vous créez le contraire : l’insécurité
sociale, c’est-à-dire l’angoisse du lendemain.
Aussi, chers collègues de
la majorité, je voudrais m’adresser plus particulièrement à celles et ceux parmi
vous qui vivent dans l’oubli de leur métamorphose, dans l’oubli de leurs
engagements passés et des combats que nous avons pu partager contre les
puissances de l’argent. (MM. Jean-Paul Dufrègne et
Sébastien Jumel applaudissent.)
M. Éric
Bothorel. Vous parlez comme les supplétifs du parti
socialiste !
M. André
Chassaigne. Je sais que vous vous reconnaîtrez et je vous appelle à ne
plus être les dupes de bonne foi d’une telle hypocrisie collective. Je vous
appelle à voter aujourd’hui en écoutant votre conscience. (Vifs
applaudissements sur les bancs des groupes GDR, SOC et FI.)
M. le
président. La parole est à M. Patrick Mignola.
(Mmes et MM. les députés des groupes
MODEM et LaREM se lèvent et applaudissent.)
M. Fabien
Roussel. Les supplétifs ! Les porteurs d’eau !
M. Patrick
Mignola. Le Gouvernement a engagé sa responsabilité sur le projet de loi
portant création d’un régime par répartition et par points ; il revient
désormais à la représentation nationale d’assumer à son tour ses
responsabilités, sur la situation qui nous a conduits ici aujourd’hui, sur le
texte qui sortira de l’Assemblée nationale, mais aussi sur l’état démocratique
de notre pays.
Oui, nous avons vécu un moment de blocage
parlementaire ; oui, nous avons vécu une période d’obstruction.
(« Mais non! » sur plusieurs
bancs du groupe GDR.) Nous avons étudié des amendements et des
sous-amendements qui tenaient de l’anthologie des synonymes de la langue
française ou du dictionnaire de la ponctuation ; je tiens à le rappeler,
puisque tous ceux qui avaient annoncé leur stratégie d’obstruction publiquement
– dans cet hémicycle, dans les couloirs, dans les médias – il y
a trois semaines, se sont soudainement mus depuis trois jours en de pures
transcendances. Mais pas plus que l’article 49, alinéa 3, n’a
transformé les carrosses en citrouilles, ni les gros sabots en pantoufles de
verre, il n’a transformé des obstructeurs obstinés en débatteurs désintéressés.
(Vifs applaudissements sur les bancs des groupes MODEM et
LaREM.)
L’obstruction est un droit – pas un devoir, mais un
droit ; on peut même lui reconnaître une fonction tribunicienne. C’est un
prétexte, certes, pour soulever des questions de fond ; mais, sur chaque
sujet, ces amendements et ces sous-amendements ne donnaient lieu qu’à un débat
décousu. (Protestations sur les bancs du groupe GDR.) Nous parlions
pénibilité, nous allions vers les retraites agricoles ; des retraites
agricoles, nous passions à la part du PIB consacrée au système de
retraite ; puis nous repassions à différents cas particuliers, à certaines
professions ; enfin nous arrivions aux retraites progressives, à la
gouvernance, en passant par le financement.
M. Vincent
Descoeur. Parce que nous n’avions jamais de réponses à nos
questions !
M. Patrick
Mignola. Et sur chaque amendement, sur chaque sous-amendement, nous
recommencions ! (Applaudissements sur les bancs des groupes MODEM et
LaREM.)
M.
Jean-Yves Bony. C’est ça, le débat !
M. Patrick
Mignola. Nous avons fait cent fois le tour de la loi, peut-être trois
fois le tour du monde dans l’ordre alphabétique des pays plutôt que dans une
progression logique.
M.
Sébastien Jumel. C’est que notre pensée est plus complexe que la
vôtre !
Mme Valérie
Boyer et M. Laurent Furst. Mais où sont les réponses aux
questions ?
M. Patrick
Mignola. C’est à une obstruction assez sophistiquée que nous avons eu
affaire, je le reconnais ; mais plutôt que de regretter cette issue, ce
débat sans vote, que vous avez, chers collègues des oppositions, assez largement
provoqués, assumez ! Prenez vos responsabilités : vous avez voulu
obstruer le débat parlementaire ! (Applaudissements sur les bancs des
groupes MODEM et LaREM.) Je vous renvoie à la citation apocryphe de
Bossuet : nous pourrions rire des hommes qui déplorent les conséquences
dont ils ont chéri les causes. (Applaudissements sur quelques bancs du groupe
MODEM.) Non, on ne peut pas créer des problèmes pour regretter ensuite
qu’ils surviennent !
La majorité, elle, assume ; elle assume
ses choix et elle assume ce texte.
Prenons la question probablement la
plus sensible : celle des régimes spéciaux. Nous avons entendu la gauche,
et il est légitime qu’elle veuille les défendre, les relégitimer. Nous avons
d’ailleurs compris qu’il y avait aussi un match dans le match : un match
entre la majorité et les oppositions, mais aussi un autre entre deux groupes de
la gauche parlementaire pour savoir qui serait le meilleur représentant des
syndicats qui défendent les régimes spéciaux.
M.
Sébastien Jumel. Mais ça va pas, non ?
M. Patrick
Mignola. La droite aurait voulu supprimer les régimes spéciaux plus
vite, comme le président Abad l’a rappelé tout à l’heure à cette tribune ;
nous, majorité, nous avons assumé ce choix d’un même système pour tous, qui
s’adapte aux particularités de chacun en fonction de son travail, de son mérite,
de ses efforts et de ses difficultés, d’un système qui prenne en considération
chaque personne pour lui permettre de façonner sa retraite non pas en fonction
de son statut particulier ou de son entreprise, mais en fonction de la réalité
de son travail. Sinon, comment comprendre qu’une secrétaire comptable dans une
association soit obligée de partir à la retraite plus tard qu’une secrétaire
comptable qui fait le même métier dans une entreprise sous statut ? Oui,
nous assumons la suppression des régimes spéciaux.
(M. Laurent Saint-Martin et
Mme Marie-Christine Verdier-Jouclas applaudissent.) Mais
nous assumons aussi de prévoir une transition longue.
M.
Sébastien Jumel. « Mourir pour des idées, d’accord, mais de mort
lente ! »
M. Patrick
Mignola. Non, nous ne le ferons pas brutalement ; nous assumons de
remettre de l’équité dans le système, mais en respectant les personnes qui ont
bénéficié de ces régimes : c’est le respect de la parole donnée et du
contrat signé. Nous aurions aimé pouvoir en débattre de façon moins
décousue.
Nous croyons que ce texte apporte des garanties aux Français,
tant pour solidifier notre système par répartition que pour réparer les
injustices qui en étaient nées au fil du temps : solidifier, parce que la
première garantie que l’on doit aux Français, c’est le niveau des pensions,
aujourd’hui comme demain ; réparer, pour toutes les femmes qui partent à la
retraite à 67 ans par obligation, pour les agriculteurs, les commerçants,
les indépendants, pour ceux qui ont eu une carrière heurtée – ce mot
pudique pour parler des accidents de vie professionnelle –, pour les
travailleurs en galère, pour les bas salaires. (Exclamations sur les bancs du
groupe LR.)
Nous avons beaucoup entendu qu’il ne fallait pas réformer
ce système parce qu’il y avait plein de problèmes, chez les agriculteurs, chez
les commerçants, chez les femmes. Prétendre que l’on ne doit pas réformer un
système précisément en raison de ses défauts, voilà bien un sophisme assez
sophistiqué ! Ces béances existent ; voilà pourquoi il nous fallait
refonder notre système. (Applaudissements sur les bancs des groupes MODEM et
LaREM.)
Mme
Frédérique Meunier. Vous dites absolument n’importe quoi !
M. Patrick
Mignola. Il y a une grande frustration dans la majorité à ne pas pouvoir
débattre projet contre projet.
M. Thibault
Bazin. Votez donc la motion de censure !
M. Patrick
Mignola. Nous aurions voulu débattre projet contre projet avec
l’opposition de droite…
M.
Christian Hutin. Le MODEM, c’est quand même un peu la droite…
M. Patrick
Mignola. …de la retraite à 65 ans, de la retraite de base et de
l’obligation d’une assurance complémentaire, sur la capitalisation. Nous
croyons, nous, que ce système désavantage les plus faibles, les bas
revenus : quand on a une carrière heurtée, il faut courir après les
complémentaires, et quand on a de bas revenus, on ne peut pas accéder à la
capitalisation.
Nous aurions aussi voulu débattre avec les oppositions de
gauche, de la retraite à 60 ans, d’un nouveau régime qui devrait consacrer
17 % à 18 % de notre PIB aux retraites plutôt que 13 % à
14 %. Mais nous sommes le pays qui consacre la plus grande part de son PIB
à son système de retraite.
M.
Jean-Louis Bricout. C’est plutôt bien, non ?
M.
Christian Hutin. Et alors ? Nous pouvons en être fiers !
M.
Jean-Paul Dufrègne. Et l’ISF ?
M. Patrick
Mignola. Aller plus loin, ce serait consacrer moins à l’hôpital public,
à la justice, à la dépendance, aux forces de l’ordre, à l’école… Nous croyons,
nous, que faire société, c’est aussi faire solidarité. (Applaudissements sur
les bancs du groupe MODEM et sur de nombreux bancs du groupe
LaREM.)
Il y a donc beaucoup de frustration, mais, heureusement, le
Gouvernement a accepté d’intégrer des amendements de la majorité, mais aussi de
l’opposition – et je l’en remercie : parmi les oppositions
responsables, il y avait sans doute aussi beaucoup de frustration à ne pas
pouvoir défendre ses projets et ses avancées. Le texte qui sortira d’ici ne sera
pas celui qui y est entré.
Nous avons ainsi pu progresser sur la
gouvernance, apportant de nouvelles garanties aux Français et à la
représentation syndicale. Nous avons apporté de nouvelles garanties sur les
droits familiaux, et en particulier sur les femmes aux plus bas salaires. Nous
avons apporté des avancées supplémentaires sur la retraite progressive, avec
cette notion de transmission, de tutorat, qu’en fin de carrière toute femme et
tout homme qui a accumulé une expérience professionnelle doit pouvoir
transmettre. Nous avons progressé sur la pénibilité.
Car si, demain, il
doit y avoir un âge d’équilibre, comme dans tout système de retraite, celui-ci
doit pouvoir être modifié en fonction de l’usure physique de chaque métier
exercé par les Françaises et les Français : c’est cela, la justice.
M. Marc Le
Fur. Même au MODEM, ils n’écoutent plus…
M. Patrick
Mignola. Heureusement, nous avons aussi intégré à ce texte les avancées
de la négociation avec la représentation syndicale : sur les transitions,
sur le minimum contributif, sur les garanties apportées aux régimes
autonomes.
M. Thibault
Bazin. Ce n’est pas vous, c’est le Gouvernement ! Je crois que vous
faites une confusion entre le pouvoir exécutif et le pouvoir législatif…
M. Patrick
Mignola. D’abord, nous avons pu – dans cet hémicycle –
intégrer des garanties pour les réserves des régimes autonomes. C’est la
garantie majeure qu’il nous fallait leur apporter : que ceux qui ont
constitué des réserves puissent continuer d’en disposer. Nous avons aussi voté
les meilleures conditions possibles de transition, et en particulier pour les
avocats.
M.
Christian Hutin. Eh bien, les avocats n’en sont pas sûrs du
tout !
M. Patrick
Mignola. Je veux m’arrêter sur ce point. Nous avons inscrit dans ce
texte la meilleure manière de les accompagner. (Protestations sur les bancs
du groupe LR.)
C’est difficile, évidemment, de vivre leur
situation : ils ont pris leurs responsabilités ; conscients de
l’évolution démographique, ils avaient déjà voté une augmentation de leurs
cotisations. Nous avons fait en sorte, en inscrivant dans ce texte des
dispositifs d’accompagnement, qu’aucune augmentation ne soit nécessaire d’ici à
2029, et qu’à partir de cette date, une augmentation de 10 à 15 euros par
mois leur permette d’accéder au nouveau régime universel. (Protestations sur
les bancs du groupe LR.)
M.
Christian Hutin. Eh bien, 75 000 avocats ne sont pas
convaincus !
M. Patrick
Mignola. Pour autant, je reconnais que cela peut constituer un effort
pour la profession d’avocat : contrairement aux caricatures que l’on peut
entendre ici ou là dans la rue, selon lesquelles les avocats gagneraient tous
forcément très bien leur vie et seraient tous forcément des notables, ce n’est
pas le cas des jeunes avocats, et ce n’est pas le cas des petits cabinet.
M.
Christian Hutin. Nous sommes tous d’accord.
M. Patrick
Mignola. Ce qui se joue ici, ce n’est pas seulement la question des
retraites des avocats ; c’est la place de l’institution judiciaire dans
notre pays – cette institution judiciaire que nous devons mieux protéger et
que nous devrons, demain, mieux financer. (Applaudissements sur les bancs du
groupe MODEM et sur quelques bancs du groupe LaREM.
– Exclamations sur les bancs du groupe LR.)
M.
Christian Hutin. Ah, ça, bien d’accord !
M. Patrick
Mignola. Malgré toutes ces frustrations, le texte va heureusement
continuer de vivre !
M.
Jean-Paul Lecoq. Dans la rue !
M. Patrick
Mignola. Il va d’abord continuer de vivre avec la démocratie
sociale…
M.
Christian Hutin. Et dans les esprits, et dans les élections !
M. Patrick
Mignola. …qui va mener une négociation sur le financement et sur la
pénibilité. Nous avons accepté qu’une place soit laissée à la démocratie sociale
pour que, sur ces deux points, le projet de loi puisse être complété. Oui, nous
acceptons que la démocratie implique un partage du pouvoir : la démocratie
parlementaire partage le pouvoir avec la démocratie sociale.
Le texte va
continuer à vivre au Sénat, vous l’avez dit, monsieur le président Abad.
J’attends avec impatience que la retraite à 65 ans, la retraite de base et
la capitalisation y soient inscrites : quand vous aurez refillonisé le
texte au Sénat, nous pourrons le remacroniser quand il reviendra à l’Assemblée
nationale ! (Applaudissements sur les bancs des groupes MODEM et
LaREM.)
M. Brahim
Hammouche. Excellent ! Belle formule !
M.
Christian Hutin. N’étiez-vous pas vice-président de Laurent
Wauquiez ?
M. Patrick
Mignola. Le débat continuera évidemment demain, ici, sur le projet de
loi organique. Ce sera une excellente occasion d’observer l’attitude de tous
ceux qui ont opportunément prétendu qu’ils ne s’étaient livrés à aucune
obstruction pendant quinze jours : comment se comporteront-ils ?
M. Jean-Luc
Mélenchon. Oh, très mal, soyez-en assuré !
M. Patrick
Mignola. Rendez-vous demain, pour voir si nous pourrons enfin travailler
sur le fond.
Pour terminer, permettez-moi quelques mots sur l’état de
notre démocratie. Depuis samedi, de grands mots, montés sur de grands chevaux –
brutalité, violence, déni de démocratie –,…
M.
Jean-Paul Lecoq. Depuis Macron !
M. Patrick
Mignola. …ont été employés pour critiquer l’utilisation d’un
article 49, alinéa 3, qui avait permis, par le passé, d’adopter
l’acte II de la décentralisation, la création du Fonds de solidarité
vieillesse et du Conseil supérieur de l’audiovisuel – CSA – ou l’instauration de
la CSG – contribution sociale généralisée –, excusez du peu !
Dans
une démocratie, des opposés ne sont pas forcément des adversaires, ni des
ennemis, ni, monsieur Chassaigne, des petits soldats ou des supplétifs.
M. André
Chassaigne. On mange des lentilles, comme vous !
M. Patrick
Mignola. Dans une démocratie, un contre-argument n’est pas forcément un
mensonge qui dissimulerait des intentions secrètes. (Applaudissements sur
plusieurs bancs des groupes MODEM et LaREM.)
M.
Jean-Paul Lecoq. En temps normal, c’est vrai !
M. Patrick
Mignola. Dans une démocratie, le débat public n’est pas forcément la
guerre, ni la guerre de tranchées à l’Assemblée nationale.
Dans
une démocratie, il existe d’autres formes d’expression que de demander, pour
chaque réforme, son retrait sinon rien.
« Rien », c’est le mot
que M. Damien Abad a reproché au rapporteur Nicolas Turquois d’avoir
prononcé.
M.
Christian Hutin. Le rapporteur a dit que nous n’étions pas la
République !
M. Patrick
Mignola. Je cite encore Bossuet : « On répare ses fautes quand
on les pleure. » Et le rapporteur, qui a fait l’objet de harcèlement
pendant quatre semaines, s’est excusé immédiatement de son mot malheureux. C’est
là l’honneur d’un homme et celui de la démocratie. (Vifs applaudissements sur
les bancs des groupes MODEM et LaREM.)
Nous devons, chers collègues,
mesurer notre responsabilité dans le débat public qui ne ressemble pas toujours
au vacarme en stéréo que vous venez de m’infliger.
M. Jean-Luc
Mélenchon. Vous avez bientôt fini votre prêche ?
M. Patrick
Mignola. Dans une démocratie, nous pouvons préférer la négociation à
l’obstruction, le peuple à la foule, la parole aux pancartes et l’élection à
l’insurrection – à laquelle certains ont appelé. (Applaudissements sur les
bancs des groupes MODEM et LaREM.)
Si le recours à un article de la
Constitution est qualifié de dictature, si déjà, aujourd’hui, des têtes sont
mises sur des piques, des lynchages mimés et des permanences caillassées, où
s’arrêtera-t-on demain ? Autorisera-t-on la décapitation de vraies têtes et
la lapidation parlementaire ?
Nous sommes tous ici par la volonté du
peuple et nous n’en sortirons pas par la force de pressions ou d’invectives,
fussent-elles inspirées par de légitimes inquiétudes et de sourdes colères.
(Vifs applaudissements sur les bancs des groupes MODEM et LaREM.)
Il y a des colères et des inquiétudes, mais notre devoir est de ne
pas les attiser, quels que soient les bancs sur lesquels nous siégeons. Nous
respectons la parole de chaque banc.
M. Jean-Luc
Mélenchon, M. Christian Hutin et Mme Sylvie Tolmont.
Non ! Non !
M. Patrick
Mignola. Bien sûr, le groupe MODEM ne votera pas la censure. D’autres la
voteront. Mais, comme une très large majorité de ceux qui sont ici, le groupe
MODEM vous appelle à ne pas censurer les règles de respect et d’honneur dans une
société qui a besoin d’ordre et de paix.
L’Assemblée nationale peut
redevenir le lieu de la démocratie vivante si nous accordons un peu plus de
respect à nos paroles et à nos convictions différentes.
M. Jean-Luc
Mélenchon. Assez de prêchi-prêcha ! Commencez par appliquer tout
cela à vous-mêmes !
M. Patrick
Mignola. C’est ainsi que nous pourrons montrer un chemin d’espérance aux
Français. (Mmes et MM. les députés du groupe MODEM, ainsi
que de nombreux députés du groupe LaREM, se lèvent et applaudissent
longuement.)
M. le
président. La parole est à Mme Valérie Rabault.
Mme Valérie
Rabault. Monsieur le Premier ministre, lors de votre présentation de la
réforme des retraites, le 11 décembre dernier, vous vous êtes inscrit dans
les pas de Michel Rocard avec ces mots : « Je crois au langage de
vérité qui était celui de Pierre Mendès France et de Michel Rocard ».
M. Régis
Juanico. Quelle honte !
Mme Valérie
Rabault. Quelques semaines plus tard, votre ministre des solidarités et
de la santé indiquait partager la conviction de Michel Rocard, selon laquelle
« il n’y a pas de tâche plus fondamentale pour la société française que
celle qui consiste à traiter de manière exemplaire la question des
retraites ».
Revendiquer l’héritage de Michel Rocard suppose de lui
être fidèle, sinon ce n’est qu’une récupération malhonnête. Je crains que vous
ne soyez tombé dans cet écueil. (Applaudissements sur bancs du groupe
SOC.)
Permettez-moi de revenir sur les trois conseils que donnait
l’ancien Premier ministre en conclusion de la préface du Livre blanc sur les
retraites de 1991 : « La première remarque est qu’une évolution de
notre système de retraites ne relève pas d’une mesure unilatérale déterminée par
un gouvernement. La confrontation des idées et des intérêts est nécessaire et
légitime. Je rechercherai le plus large accord sur les données, les perspectives
et les solutions. » Manifestement, vous n’avez pas tenu compte de ce
premier conseil, puisque le seul accord que vous avez obtenu l’a été avec
vous-même et le MODEM, et que, en l’état actuel, aucun syndicat – je pèse mes
mots – n’approuve votre réforme, pas même ceux qui militent depuis une décennie
pour l’instauration d’un régime à points. Ainsi, votre réforme des retraites
relève-t-elle « d’une mesure unilatérale déterminée par le
Gouvernement ».
M. Olivier
Faure. Exactement !
Mme Valérie
Rabault. Je poursuis avec la deuxième remarque de Michel Rocard :
« Nous réduirions considérablement la portée du débat si nous en faisions
un pur problème de financement et de l’équilibre des régimes. » Or,
monsieur le Premier ministre, toute la logique de votre réforme repose sur cet
équilibre. Vous instaurez une règle d’or pour parvenir à l’équilibre financier
du système. Vous le reconnaissez dans un courrier adressé aux partenaires
sociaux le 11 janvier, c’est l’« impératif d’équilibre du système de
retraite » qui dicte votre réforme.
Enfin, le troisième
conseil était le suivant : « Au-delà même des choix que nous ferons
collectivement pour conforter nos régimes de retraite par répartition, nous
devons travailler à rendre notre société plus accueillante vis-à-vis de nos
anciens. Je pense tout particulièrement à la prise en charge et à
l’accompagnement de personnes âgées dépendantes. » Pour Michel Rocard, une
réforme d’ampleur des retraites ne pouvait être menée sans aborder sérieusement
la dépendance, y compris dans sa dimension financière. Cette question est
totalement absente de votre réforme.
Finalement, monsieur le Premier
ministre, vous n’avez appliqué aucun de ces trois préceptes de sagesse, si bien
que vous avez fracturé le pays. Vous n’aviez aucun autre moyen que
l’article 49, alinéa 3, pour faire adopter votre réforme.
Vous
décidez d’y recourir à un moment où le Gouvernement devrait plutôt rassembler le
pays et les forces politiques pour faire face à la crise sanitaire qui s’annonce
d’ampleur à cause du coronavirus.
Je souhaite profiter de cette tribune
pour exprimer ma reconnaissance et celle de mon groupe à l’égard de l’ensemble
des personnels soignants et hospitaliers (Applaudissements sur les bancs des
groupes SOC et GDR), à l’égard de tous ces acteurs du quotidien qui sont le
ciment de notre système de santé, et ce, malgré les difficultés auxquelles ils
sont confrontés, ainsi qu’à l’égard des chercheurs pleinement mobilisés pour
trouver médicaments et vaccins qui permettraient d’endiguer cette épidémie
majeure. Ils font partie des héros de la République ; ils sont le visage
d’un modèle social que beaucoup nous envient dans le monde,…
M.
Christian Hutin. Bravo !
Mme Valérie
Rabault. …et que tous les responsables politiques devraient avoir à cœur
de défendre, de préserver et de consolider.
Monsieur le Premier ministre,
non seulement vous passez en force dans ce contexte si particulier, mais votre
passage en force constitue de surcroît une triple première dans l’application de
l’article 49, alinéa 3.
Pour la première fois – je pèse mes
mots –, l’article 49, alinéa 3, porte sur un texte qui n’aura pas été
examiné dans sa totalité par l’Assemblée nationale, que ce soit en commission ou
séance.
M. Édouard
Philippe, Premier ministre. Ce n’est pas vrai !
M.
Jean-Paul Mattei. À qui la faute ?
Mme Valérie
Rabault. Puisque la commission spéciale a arrêté ses travaux à l’article
26, trente-neuf articles – soit les deux tiers du texte – n’ont à aucun moment
fait l’objet de débats. C’est une première dans notre histoire, et cette
première est inacceptable.
Pour la première fois, l’article 49,
alinéa 3, est utilisé dès la première lecture d’une loi sociale, non pour
contourner un problème de majorité, mais pour faire taire les oppositions. Il
s’agit là aussi d’un dévoiement intolérable.
Pour la première fois,
l’article 49, alinéa 3, s’applique à un texte qui concerne tous les
Français, leur quotidien et leur avenir, mais aussi le quart des dépenses
publiques de la France.
En recourant à l’article 49, alinéa 3, de
cette manière, vous dévoyez l’esprit même de notre Constitution. Si cette
dernière cherche à préserver la capacité d’action gouvernementale, elle n’a pas
été conçue pour couper à ce point le Gouvernement du peuple, des corps
intermédiaires et de la représentation nationale.
Monsieur le Premier
ministre, il y a un an, à cette même tribune, vous vantiez le grand débat.
Aujourd’hui, vous pratiquez le « sans débat » et c’est inacceptable.
(Applaudissements sur les bancs du groupe SOC.)
En réalité, depuis
que vous êtes au pouvoir, vous pratiquez le « sans débat » sur toutes
les réformes qui concernent notre modèle social : à l’été 2017, c’est par
des ordonnances que vous avez réformé le droit du travail, ce qui a eu pour
conséquence d’affaiblir le dialogue social et de fragiliser la protection des
salariés.
M. Brahim
Hammouche. Ce qui a créé 500 000 emplois !
Mme Valérie
Rabault. Au milieu de l’été 2019, vous avez imposé la réforme de
l’assurance chômage aux partenaires sociaux et à la représentation nationale par
le biais de décrets.
Ces exemples montrent que, sur toutes les questions
sociales, vous agissez soit par décret, soit par ordonnance, soit en recourant à
l’article 49, alinéa 3.
M. Florian
Bachelier. Mais on agit !
Mme Valérie
Rabault. Vous agissez d’autorité, sans les partenaires sociaux, parfois
même contre eux, sans écouter les voix du Parlement, parfois même contre elles,
ni les aspirations de nos concitoyens, parfois même contre eux.
Parce que
notre modèle social a été en grande partie fondé sur le consensus républicain du
Conseil national de la Résistance, il incombe à chaque gouvernement, quelle que
soit sa couleur politique, de respecter cet héritage. Il est vrai que votre
majorité ne revendique aucun héritage. Elle aimerait faire croire que le nouveau
monde doit partir de rien. C’est à mes yeux une erreur coupable.
Monsieur
le Premier ministre, vouloir débattre, ce n’est pas faire de l’obstruction. Mon
groupe a déposé 632 amendements,…
M. Jean-Luc
Mélenchon. C’est trop !
Mme Valérie
Rabault. …soit autant que votre majorité. Vous vous plaignez de la
longueur des débats, mais vous les avez interrompus au bout de treize jours.
C’est oublier que vos prédécesseurs ont fait preuve de patience et de respect
des oppositions. Ainsi, en 1983, sous la présidence de François Mitterrand, le
débat sur la presse a duré deux mois en séance.
M. Jean-Luc
Mélenchon. Quelle erreur !
M. le
président. Oui, quelle erreur ! (Sourires.)
Mme Valérie
Rabault. En 2006, sous la présidence de Jacques Chirac, le débat sur la
privatisation de GDF a duré plus d’un mois. Il y a, dans notre société, des
sujets qui nécessitent et méritent du temps.
M. Olivier
Faure. Bien sûr !
Mme Valérie
Rabault. Vouloir réformer en quinze jours la retraite de tous les
Français, qu’ils soient cheminots, avocats, professeurs, infirmiers, pompiers,
agriculteurs, relève, au mieux, d’un amateurisme coupable, au pire, d’une
volonté d’abîmer durablement notre modèle social.
Non seulement vous avez
mis fin au débat mais, pendant les treize jours de séance, vous l’avez esquivé
en ne répondant à aucune des interrogations légitimes que soulève une réforme
d’une telle ampleur.
Ainsi, comment pouvez-vous parler de justice sociale
quand pour la première fois dans l’histoire de notre système de retraite, le
malus, qui s’applique lorsqu’on ne réunit pas toutes les conditions pour obtenir
sa retraite à taux plein, sera calculé uniquement en fonction de l’âge de départ
à la retraite et non de la durée de cotisation ?
Prenons le cas d’un
ouvrier : il commence à travailler à 20 ans, cotise pendant
quarante-trois ans, soit la durée actuelle de cotisation exigée, et part à la
retraite à 63 ans ; puisque l’âge d’équilibre est fixé à 65 ans,
il subira un malus de 10 %, et ce, pendant toute la durée de sa retraite,
pas uniquement lors de sa liquidation. (« C’est
honteux! » sur les bancs du groupe SOC.) A
contrario, le cadre qui a eu la chance de faire des études, commence à
travailler à 24 ans, cotise pendant la même durée de quarante-trois ans et
part à la retraite à 67 ans, aura un bonus de 10 % ! Où est la
justice sociale, monsieur le Premier ministre ?
Comment pouvez-vous
parler de justice sociale quand les chômeurs non indemnisés ne pourront plus,
dans votre nouveau système, acquérir de droits à la retraite, alors qu’ils le
peuvent aujourd’hui ?
Mme
Christine Pires Beaune. C’est honteux !
Mme Valérie
Rabault. Comment parler de justice sociale quand, de surcroît, ces
périodes de chômage non indemnisées seront prises en compte dans le calcul de la
retraite, alors qu’aujourd’hui elles sont mises de côté puisque le calcul de la
pension repose sur les vingt-cinq meilleures années ?
Comment
pouvez-vous parler de justice sociale quand une femme, salariée du secteur
privé, qui a un enfant, qui commence à travailler à 22 ans, et qui envisage
de partir à la retraite à 63 ans, devra subir une décote de 5 %, alors
qu’elle peut aujourd’hui le faire à taux plein ?
Monsieur le Premier
ministre, comment pouvez-vous parler de justice sociale pour les agriculteurs
qui ont cru en votre promesse de revalorisation de leurs retraites, alors que
les 1,3 million d’entre eux aujourd’hui à la retraite n’auront rien du
tout ?
Enfin, comment pouvez-vous parler de justice sociale quand la
valeur du point sera amenée à évoluer selon un indicateur que personne ne
connaît ?
M. Luc
Carvounas. Voilà le vrai simulateur !
Mme Valérie
Rabault. Monsieur le Premier ministre, tous ces exemples ne démontrent
qu’une seule chose : votre tentative de passer sous silence les effets
réels de votre réforme. Au mieux, parce que vous n’en connaissez pas tous les
effets ; au pire, parce que vous voulez les cacher.
M. Boris
Vallaud. Les deux !
Mme Valérie
Rabault. Dans les deux cas, quelle que soit votre raison, c’est
antidémocratique ! C’est pour ce motif que mon groupe a décidé d’utiliser
la possibilité, qui lui est accordée chaque année, de déclencher une commission
d’enquête parlementaire. Celle-ci dure six mois et permet à la fois
d’auditionner sous serment n’importe quel responsable politique ou administratif
de notre pays et de procéder à des saisies sur pièce et sur place. Elle est l’un
des outils qui permettent aux parlementaires d’exercer leur droit
constitutionnel de contrôle de l’action du Gouvernement. Entraver l’exercice
d’un tel droit constituerait une atteinte profonde aux droits du Parlement.
Mme
Brigitte Bourguignon. Ben voyons…
Mme Valérie
Rabault. J’espère, monsieur le Premier ministre, que le Gouvernement, en
tant que garant du respect de la Constitution, n’aura pas cette tentation pour
lui-même et saura prévenir sa majorité des risques que celle-ci ferait encourir
à notre démocratie.
Mme Laurence
Dumont. Ce serait honteux !
M. Olivier
Faure. Scandaleux !
Mme Valérie
Rabault. Monsieur le Premier ministre, vous savez souhaité engager la
responsabilité de votre Gouvernement sur ce projet de loi instituant un système
universel de retraite. Vous ne nous avez donc laissé d’autre choix que celui de
vous censurer, tant votre responsabilité est immense, à la fois parce que vous
ne maîtrisez pas les conséquences de votre réforme et parce que certaines
d’entre elles, que nous connaissons déjà, conduiront à appauvrir durablement
plusieurs millions de nos concitoyens.
Le groupe Socialistes et
apparentés a donc déposé une motion de censure avec deux autres groupes.
Celle-ci, à nos yeux, n’a pas vocation à être utilisée comme une tribune
politique.
Mme
Brigitte Bourguignon. Ah bon ?
Mme Valérie
Rabault. Elle vise à mettre un coup d’arrêt à une réforme qui constitue
une fragilisation sans précédent du pacte social. C’est pourquoi, mes chers
collègues, je vous invite à voter en sa faveur ; à défaut, nul doute que,
lors des prochaines élections, les Français vous contraindront à en tirer les
conséquences. (Mmes et MM. les députés du groupe SOC se lèvent et
applaudissent. – Applaudissements sur les bancs du groupe
GDR.)
M. le
président. La parole est à M. Jean-Christophe Lagarde.
M.
Jean-Christophe Lagarde. Voilà, tout se passe comme prévu ! Ceux
qui souhaitent l’adoption de la réforme des retraites verront ce texte adopté
dans quelques instants et ceux qui s’y opposent pourront continuer de crier au
coup de force démocratique. En quelque sorte, chacun ici pourrait avoir une
raison d’être satisfait. Pas nous ! Au contraire, nous ressentons, au sein
du groupe UDI, Agir et indépendants, une très grande frustration.
Notre
groupe, comme d’autres, s’est retrouvé à assister, depuis le début du mois de
février, à une tragicomédie en trois actes. Acte I : ceux qui ne
veulent pas du texte font de l’obstruction, en déposant des milliers
d’amendements anecdotiques et redondants, afin de pousser le Gouvernement à
utiliser l’article 49, alinéa 3, de la Constitution.
Acte II : le Gouvernement utilise l’article 49, alinéa 3.
Acte III : les obstructeurs crient au scandale, car l’article 49,
alinéa 3, a été utilisé. Durée de la pièce : interminable.
Moment : période préélectorale. Lieu : l’Assemblée nationale.
Impression : un spectacle lamentable.
M. Pierre
Cordier. Qui a choisi le calendrier ? Pas l’opposition !
M.
Jean-Christophe Lagarde. Soyons clair, amender est un droit et faire de
l’obstruction l’est aussi.
M. Jean-Luc
Mélenchon. Quand même !
M.
Jean-Christophe Lagarde. Il nous semble, monsieur Mélenchon, que
l’obstruction est devenue de moins en moins acceptable et comprise au fil des
années. Dans un contexte où les élus sont davantage montrés du doigt,…
M. Pierre
Cordier. Certains élus, pas tous !
M.
Jean-Christophe Lagarde. …dans un climat d’antiparlementarisme
permanent, elle a – et elle l’a démontré ces derniers jours – un
caractère anachronique et déplacé.
L’alinéa 3 de l’article 49
de la Constitution, activé en réponse, n’est pas antidémocratique ; il est
constitutionnel, ce qui ne l’empêche pas d’avoir un côté brutal et désagréable
pour les députés, puisqu’il nous dessaisit de notre fonction première, celle de
voter la loi.
Dès l’examen du texte en commission spéciale et pendant
douze jours en séance, nous n’avions, il est vrai, monsieur le Premier ministre,
pas vraiment fait la loi, mais plutôt tourné en rond. Les discussions utiles ont
été l’exception, la règle ayant été la répétition à outrance, les invectives et
les tensions. Nous estimons que personne ici ne bénéficiera de ces discussions
qui ont donné à voir une assemblée kafkaïenne : nous y perdrons
tous.
Cet épisode, en réalité, ne fait que renforcer un climat de
défiance, voire de haine, et notre inquiétude est immense. Depuis quelque temps,
les permanences d’élus sont devenues des cibles.
M. Pierre
Cordier. Certaines permanences !
M.
Jean-Christophe Lagarde. Des parlementaires ont subi des attaques jusque
dans leur domicile personnel. Les menaces de mort, les insultes sexistes,
racistes et antisémites, formulées par courriel ou sur les réseaux sociaux sont
quotidiennes, et ce qui est grave, chers collègues, c’est que nous sommes en
train de nous y habituer.
À part Robert Badinter, plus personne ou
presque ne s’indigne lorsque l’effigie de la tête du Président de la République
est mise au bout d’une pique lors d’une manifestation. (Applaudissements sur
les bancs des groupes UDI-Agir, LaREM et MODEM.) Plus personne ne s’indigne
lorsque des élus de la nation miment le lynchage du chef de l’État sous les
fenêtres de l’Assemblée, alors que c’est une honte pour notre institution.
(Mêmes mouvements.)
Dans ce contexte, je dois avouer avoir un peu
de mal à lire, dans la motion commune des groupes de gauche, les termes de
« violences contre le Parlement ». Il en va de même lorsque le
président Mélenchon parle de « tenir la tranchée ». Pour nous, le
débat politique n’est pas une guerre.
M. Pierre
Cordier. Tu seras bientôt ministre !
M. Fabien
Di Filippo. Monsieur le secrétaire d’État !
M.
Jean-Christophe Lagarde. Reste que l’obstruction, suivie de
l’utilisation de l’article 49, alinéa 3, nous aura privés d’un
véritable débat, pourtant nécessaire, pour éclairer les Français et faire de
bons choix ; c’est le rôle de l’Assemblée nationale. Notre groupe travaille
sur cette réforme des retraites depuis plusieurs mois. Ses principes fondateurs
– une retraite par points et universelle pour les salariés –, nous les
partageons. Certains d’entre nous les défendent d’ailleurs depuis plus de quinze
ans.
Nous voulions, avec Agnès Firmin Le Bodo et Thierry
Benoit, améliorer ce projet de loi et apporter des réponses, au Parlement et aux
Français, sur des points précis. Paul Christophe, quant à lui, aurait aimé
pouvoir débattre du titre V, important, car traitant des transitions
auxquelles les Français ne comprennent plus rien, ce qui les angoisse. Francis
Vercamer et Nicole Sanquer, ainsi que bien d’autres collègues,…
M. Pierre
Cordier. L’idée est de citer tous les membres du groupe ?
M. Fabien
Di Filippo. Ils ne sont pas nombreux…
M.
Jean-Christophe Lagarde. …voulaient également défendre des propositions
particulières. En fait, nous voulions simplement faire notre travail de députés.
Nous avions déposé, en tout et pour tout, une centaine d’amendements, tous
ciselés, fruits de nos convictions personnelles, mais aussi d’auditions de
professionnels et d’associations. Ils ont été noyés dans la masse indigeste des
30 000 amendements que je viens d’évoquer.
Dès lors, étant
donné que nous n’avons pu le faire pleinement, je souhaite profiter de cette
tribune pour rappeler les attentes – ou quelques-unes d’entre elles –
de notre groupe, ainsi que les valeurs que nous avons voulu défendre avec un
esprit d’ouverture, car la situation actuelle des retraites n’est pas
satisfaisante. Le futur système de retraite par points doit, à nos yeux, être
plus équitable et plus lisible que l’actuel.
Parmi ces valeurs, nous
pensons d’abord à l’équité. La fin des régimes spéciaux, plusieurs fois
reportée, peut et doit être, demain, une réalité, car ce maintien de situations
acquises – y compris pour les parlementaires – n’est plus admis par
les Français.
Ce système doit également valoriser le soutien aux
personnes dépendantes assuré par les aidants, car ceux-ci jouent un rôle social
important. Nous voulions leur permettre d’accéder à la retraite plus tôt que
l’âge d’équilibre, sans subir une décote de leur pension.
Ce système
pourrait aussi être un outil de politique familiale, sujet qui nous est cher,
comme à nos collègues du MODEM. Il serait ainsi souhaitable d’appliquer, comme
nous l’avons proposé, une majoration de 20 % des points de retraite aux
parents de trois enfants ou plus et de permettre le don de points entre
conjoints, rendant possible un départ à la retraite simultané quand il existe
une forte différence d’âge dans le couple.
Bref, nous aurions pu faire
preuve de souplesse dans l’élaboration de cette réforme des retraites pour
améliorer le sort des Français.
Ce nouveau système, monsieur le Premier
ministre, devrait également contenir une plus grande solidarité et davantage de
justice envers ceux qui ne touchent qu’une petite retraite, en particulier les
indépendants et les agriculteurs. Pour ces derniers, le minimum garanti pour les
futurs retraités est une bonne chose, mais il convient maintenant de tendre vers
le même objectif pour les retraités actuels.
De plus, la retraite par
points devrait être utilisée, comme le proposait Thierry Benoit, comme vecteur
de lien intergénérationnel et de transmission des savoirs entre
générations ; c’est le sens du dispositif de tutorat au sein de
l’entreprise, que nous avions proposé et qui n’a malheureusement pu être
débattu.
M. Thierry
Benoit. Excellente proposition !
M.
Jean-Christophe Lagarde. Nous serons vigilants sur la rédaction des
ordonnances, monsieur le Premier ministre, pour que le principe de maintien des
réserves des caisses autonomes, notamment des professionnels libéraux, soit une
réalité et que leur basculement dans le système universel, que nous jugeons
discutable, ne devienne pas une véritable injustice.
M. Pierre
Cordier. Discutable, c’est un euphémisme !
M.
Jean-Christophe Lagarde. Cet examen inachevé du texte nous laisse
néanmoins quelques satisfactions. Vous avez retenu un certain nombre
d’amendements, qui peuvent constituer de véritables apports. Parmi eux se
trouvent quelques-uns des nôtres, comme celui visant à favoriser la retraite
progressive, et celui visant à ce que la nomination du directeur général de la
Caisse nationale passe par une audition – utile – devant le Parlement
– encore qu’il eût mieux valu que le Parlement soit représenté au sein de
cette Caisse nationale, comme il l’est au sein d’autres
institutions.
Nous avons toutefois des regrets et de véritables
interrogations, auxquelles seule la suite du parcours parlementaire du texte
pourra répondre. Nous aurions souhaité que la retraite par capitalisation ne
soit plus un tabou : l’exemple de certains de nos voisins européens
– je pense aux Suédois – devrait nous inspirer. L’idéal, à nos yeux,
serait un système mixte, avec une part de capitalisation obligatoire pour tous,
et pas seulement pour les plus aisés, et avec un encadrement satisfaisant qui
permette de garantir la valeur du point. Je pense que nous y viendrons un jour,
car il s’agit de la seule garantie possible pour nos jeunes d’avoir, le moment
venu, une retraite digne dont le fardeau ne serait pas trop lourd pour leurs
propres enfants.
Je regrette également que d’autres pistes de financement
plus audacieuses n’aient pas été étudiées : la semaine de 37 heures,
par exemple, plutôt qu’un âge d’équilibre à 65 ans.
Quoi qu’il en
soit, le financement du futur système, monsieur le Premier ministre, a été
renvoyé à la conférence de financement. Pour avoir plaidé, dans une tribune,
avec Hervé Marseille, président du groupe centriste au Sénat, et Patrick
Mignola, président du groupe MODEM à l’Assemblée nationale, en faveur d’une
conférence sociale avant même le dépôt du projet de loi, permettre aux
organisations syndicales et patronales d’aboutir à des pistes me convient. En
revanche, nous n’avons pu suffisamment traiter de ces questions, formuler des
propositions, éclairer le débat – voire quasiment pas si l’on considère la
discussion baroque que nous avons eue dans l’hémicycle.
Il convient
également d’avancer sur la pénibilité, monsieur le Premier ministre, ou plus
exactement sur l’usure entraînée par certains métiers. La question est plus que
complexe et s’est malheureusement focalisée, ces dernières années, sur une liste
de facteurs de pénibilité, alors que nous devrions plutôt nous appuyer sur la
démographie des professions, car la plus grande inégalité devant la retraite est
le temps dont en bénéficieront les professions les plus favorisées par rapport
aux ouvriers. Sur cette question comme sur d’autres, les points qui remplacent
les trimestres doivent devenir l’opportunité de permettre des retraites plus
précoces aux métiers les plus usants et qui provoquent une diminution de
l’espérance de vie.
Mes chers collègues, ces motions de censure sont
légitimes, mais nous considérons qu’on ne mène pas à bien une réforme en
renversant un gouvernement, surtout en période de crise. Le texte va maintenant
poursuivre sa navette au Sénat, où l’obstruction ne fait pas partie des
habitudes et où l’utilisation de l’article 49, alinéa 3, est
impossible. Ce sont donc nos collègues sénateurs qui accompliront le travail que
nous, représentants du peuple français, n’avons pu faire ici. Nous le regrettons
amèrement et comptons sur eux pour que des améliorations, des modifications, des
réponses soient apportées, notamment aux questions que je viens
d’évoquer.
Il reste encore du temps pour rendre cette réforme lisible. Ce
n’est pas une mince affaire dans la mesure où elle remet tout à plat, mais c’est
une nécessité pour la rendre réellement acceptable par nos concitoyens. Nous
espérons encore dans la navette parlementaire pour faire de ce système un
système financé et juste pour les carrières non linéaires, peu rémunératrices,
ou usantes, sans quoi il ne donnera pas confiance aux jeunes générations, qui
s’imaginent souvent qu’elles cotisent, mais qu’elles n’auront pas droit, demain,
à une retraite. Sur ce sujet – comme d’ailleurs sur celui du changement
climatique –, nous leur devons de restaurer cette confiance, au-delà de
toutes les considérations électorales de court terme.
Pour finir, je
dirais, monsieur le président, que cet épisode confirme qu’il y a une chose de
malade dans notre système institutionnel. Le rôle d’une assemblée n’est pas de
bavarder ou de produire des liasses d’amendements ; il est d’éclairer
l’opinion, de trancher, de faire la loi et de l’évaluer. Soit parce qu’elle n’en
a pas la capacité, soit parce qu’elle ne s’en donne pas la possibilité,
l’Assemblée nationale est déjà bien faible dans notre système institutionnel.
Pour l’avenir, notre groupe formule le vœu que nous fassions en sorte,
collectivement, qu’elle ne s’affaiblisse pas davantage elle-même.
(Applaudissements sur les bancs du groupe UDI-Agir, ainsi que sur plusieurs
bancs des groupes LaREM et MODEM.)
M. le
président. La parole est à M. Philippe Vigier.
M. Philippe
Vigier. L’acte II, promis par le Président de la République il y a
plus d’un an, n’a pas eu lieu. Quel dommage ! Votre décision d’engager la
responsabilité du Gouvernement est en la démonstration incontestable. Pourtant,
qu’avions-nous entendu à la suite de la mobilisation des gilets jaunes ?
Que les décisions ne seraient plus prises de Paris, par Paris et pour
Paris ; que le Parlement, le dialogue social et les millions d’hommes et de
femmes qui servent nos territoires seraient enfin respectés.
Il n’en a
rien été. Au contraire, monsieur le Premier ministre, vous êtes aujourd’hui
contraint de recourir à une procédure que vous dénonciez vous-même, comme vous
l’avez rappelé cet après-midi, lors du quinquennat précédent. Vous ne le faites
pas pour discipliner une majorité, mais pour faire cesser les débats, et faire
adopter une réforme des retraites qui porte en elle toutes les marques de
l’échec de votre méthode.
Je le dis avec d’autant plus de regrets que je
suis, comme d’autres membres du groupe Libertés et territoires, favorable au
système par points – à condition qu’il réponde à plusieurs exigences, en
particulier celle de lutter contre les injustices qui caractérisent le système
actuel. Celles-ci frappent aujourd’hui les femmes, ceux qui connaissent une
carrière hachée, ceux qui exercent des métiers pénibles ou dangereux, ou
certaines professions indépendantes – je pense en particulier aux
agriculteurs.
Cette réforme constituait une occasion unique de bâtir un
système plus juste, grâce à l’extinction des régimes spéciaux, qui présentaient
l’inconvénient de lier les droits à un statut ou à l’appartenance à une
entreprise. Elle aurait dû permettre d’aligner les régimes publics et privés,
afin de cesser de les opposer constamment.
Cette réforme devait avant
tout créer un système de retraite nouveau, prenant en considération les profonds
bouleversements qui ont transformé le marché du travail ces dernières
décennies ; un système permettant de répondre aux aspirations des jeunes
générations, dont les parcours professionnels sont de moins en moins linéaires,
et qui réinventent totalement le rapport au travail ; et un système qui
préserve les caisses autonomes des retraites des professions
libérales.
Mais n’oublions pas que le travail n’est pas
qu’épanouissement. Le travail, ce sont aussi des vies de souffrance, le dos
courbé : il concerne des hommes et des femmes qui luttent contre le
sentiment de ne plus s’appartenir, pour ne pas perdre leur dignité. Cette
réforme aurait dû consacrer cette réalité, en portant une attention véritable à
la pénibilité, comme notre groupe n’a cessé de le demander. (Applaudissements
sur les bancs du groupe LT.)
Elle aurait certainement dû permettre de
mieux prendre en considération le handicap, et de mieux reconnaître l’engagement
au service des autres : celui de parents pour élever leurs enfants, celui
d’un proche qui sacrifie tout pour aider un parent dépendant. (Mêmes
mouvements.)
Oui, une telle réforme aurait pu accomplir la promesse
d’égalité et de justice, celle de demeurer fidèle à l’idéal de progrès de la
France. Cette promesse, chers collègues, a le visage de Jean Moulin, lorsque le
Conseil national de la Résistance, du fond de l’adversité, imaginait les
« jours heureux » d’un peuple alors éreinté par la guerre et
l’occupation.
Elle a le visage d’un jeune ouvrier, entré à l’usine à
13 ans, comme apprenti métallurgiste, lorsque son père fut appelé au
front : elle a le visage d’Ambroise Croizat, passé des fours d’une usine de
Savoie à la rue de Grenelle, l’un des pères de la sécurité sociale, instituée
par une loi « humaine et de progrès ». (Mêmes
mouvements.)
Cette promesse a enfin le visage apaisé de nos aînés,
qui ont acquis des droits, au prix d’une vie de labeur, ou celui, reconnaissant,
de tous les Français que la solidarité nationale a protégés des accidents de la
vie.
Cette promesse n’a pas, monsieur le Premier ministre, le visage
d’une réforme aux contours flous et au contenu trop nébuleux, en dépit des
avancées que contient le texte sur lequel vous engagez la responsabilité du
Gouvernement.
Nous sommes face à un immense gâchis, et tous les syndicats
le constatent, y compris la CFDT – dont on connaît l’esprit de
responsabilité. (Mêmes mouvements.)
Cet échec est avant tout celui
de votre méthode. Je veux parler de votre méthode sur les retraites,
caractérisée par une absence de visibilité sur le financement…
M. Damien
Abad. Oui !
M. Philippe
Vigier. …et la pénibilité, par un recours sans précédent aux
ordonnances, et par une étude d’impact bâclée, dont le Conseil d’État a dénoncé
l’indigence.
M. Damien
Abad. C’est vrai !
M. Philippe
Vigier. Pourquoi n’avez-vous pas voulu recourir au temps législatif
programmé, comme le permet le règlement de l’Assemblée – je l’ai demandé
lors de la discussion générale ? (Applaudissements sur les bancs du
groupe LT et sur quelques bancs du groupe LR.)
M. Damien
Abad. Bien sûr !
M. Philippe
Vigier. Pourquoi n’avez-vous pas pris l’engagement d’associer les
groupes parlementaires à l’élaboration des ordonnances – je l’ai demandé à
plusieurs reprises ? Pourquoi prendre le risque d’une censure, même
partielle, par le Conseil constitutionnel ?
Mme
Frédérique Meunier. Il n’y aura pas de réponse,
malheureusement !
M. Philippe
Vigier. Pourquoi n’avons-nous pas poursuivi les débats un mois de
plus ? Nous avons examiné 13 000 amendements en quinze
jours : 41 000 amendements auraient demandé neuf
semaines !
M.
Sébastien Jumel. Il a raison ! Écoutez la sagesse du président
Vigier !
M. Philippe
Vigier. Mes chers collègues, je réponds avec beaucoup de
tristesse : parce qu’il fallait adopter cette réforme avant les élections
municipales !
Plusieurs députés des groupes
LT et LR. Voilà !
M.
Sébastien Jumel. Maintenant, ils vont le regretter !
M. Philippe
Vigier. Le temps d’un parti, fût-il celui du maître des horloges, n’est
pas celui d’un pays, en particulier lorsqu’il s’agit de légiférer pour les
cinquante prochaines années. La France avait besoin d’apaisement et de cohésion,
vous lui offrez la précipitation et la division ; nous avions pourtant
besoin d’unité, en particulier pendant la crise sanitaire mondiale, due au
coronavirus, que nous traversons, et à laquelle vous faites face ; or, nous
sommes au rendez-vous de l’unité.
Cette réforme procède d’un pouvoir
vertical, qui cherche à imposer plus qu’il n’aspire à rassembler. Nous le disons
avec d’autant plus de gravité que nous n’avons pas répondu à votre absence de
méthode par l’obstruction parlementaire – le groupe Libertés et territoires
a déposé soixante et un amendements.
M. David
Habib. Dont ceux de Jean Lassalle !
M. Pierre
Cordier. C’est très raisonnable !
M. Philippe
Vigier. Nous avons été présents et force de
proposition.
L’immense majorité de notre groupe parlementaire votera la
censure, sans s’enfermer dans aucun camp : ce vote est une condamnation de
votre incapacité à créer les conditions de la confiance, et une sanction claire
contre l’abaissement du Parlement auquel votre méthode a conduit.
Le
Gouvernement échouera sur tous les plans s’il s’obstine à vouloir décider seul.
La France n’est pas une start-up, dont le conseil d’administration serait
l’Élysée !
M. Jean-Luc
Mélenchon. Exactement !
M. Philippe
Vigier. Vous ne pouvez pas croire qu’un pays entier, qui aime, plus que
tout autre, vanter les chemins escarpés qu’il emprunte comme la marque de sa
singularité, accepte d’être mis en coupe réglée du jour au lendemain.
Si
vous ne voulez pas nous écouter, écoutez les parlementaires de votre majorité,
qui se sont engagés parce qu’ils pensaient qu’ils allaient faire de la politique
autrement.
M. Pierre
Cordier. Très bien !
M. Philippe
Vigier. Écoutez-les, lorsque, impuissants, ils évoquent le poids de la
technostructure et le mur des cabinets ministériels. Écoutez, surtout, les
milliers de femmes et d’hommes qui, dans leurs territoires, imaginent les
solidarités et portent la croissance de demain.
Écoutez les Français,
avec humilité : ils attendent un tournant écologique, social et
territorial, que notre groupe vous demande depuis plus d’un
an !
Trois chantiers majeurs, érigés en priorités, que le Président
de la République a lui-même ouverts, vous offrent l’occasion de satisfaire cette
attente. Le premier concerne la prise en charge de la dépendance. Cette réforme,
toujours repoussée, doit être globale, et ne pas faire l’impasse sur la question
majeure du handicap ; elle doit être financée et entraîner l’adhésion des
départements et des 11 millions d’aidants, sinon ce sera un nouveau
rendez-vous manqué.
Mme Valérie
Rabault. Exactement !
M. Philippe
Vigier. Le deuxième chantier est le projet de loi
« Décentralisation, différenciation et déconcentration »
– « 3D ». Laissez vivre la concertation que vous menez, ne la
limitez pas aux politiques du logement, de la transition énergétique ou des
transports, et associez-y l’ensemble des acteurs concernés !
Nous
avons formulé cinquante propositions ; il faut accompagner une véritable
révolution girondine. La France a eu besoin d’un pouvoir centralisé pour se
construire, mais elle requiert maintenant des territoires forts, pour ne pas se
défaire : la loi « 3D » permettra de les instaurer, j’en suis
persuadé.
Enfin, le dernier chantier, le plus urgent selon notre groupe,
est celui de l’indispensable transition écologique. Ne pas répondre à cette
urgence serait la pire des faillites, celle dont découleraient toutes les
autres : je pense à la détérioration des conditions de vie et de
santé.
Le réchauffement climatique est au cœur de défis majeurs qui
s’entremêlent. Il jette des populations entières sur la route, engendre
insécurité alimentaire et pénurie des matières premières, entraîne des conflits
et des guerres, provoque l’effondrement des États et menace la paix.
Rien
ne se fera sans les territoires, dans lesquels s’opère une véritable prise de
conscience des effets du changement climatique. Ce sont les collectivités
territoriales qui défendent des projets écologiques concrets, innovants,
ambitieux. (Applaudissements sur les bancs du groupe LT.)
Osons un
grand plan contre la précarité énergétique ; osons une simplification
drastique des contraintes qui pèsent sur les projets environnementaux, lesquels
mettent cinq ou dix ans pour être menés à bien ;…
M. Damien
Abad. Osons !
M. Philippe
Vigier. …osons un grand plan industriel européen des énergies
renouvelables, pour que la transition écologique soit créatrice d’emplois ;
osons donner aux régions de vraies responsabilités.
M.
Sébastien Jumel. Rétablissons la Commune !
M. Philippe
Vigier. Monsieur le Premier ministre, si vous n’empruntez pas cette
voie, si vous n’opérez pas un changement radical de méthode, la France sera
malheureusement condamnée à l’impuissance. Changez, vite et vraiment, car il
n’est pas seulement question de vous et de la majorité : cette méthode
épuise la France et érode sa capacité à adhérer aux profondes transformations
dont elle a pourtant un besoin urgent. Changeons profondément, pour un sursaut
écologique, social et territorial, qui seul pourra faire réussir la
France ! (Mmes et MM. les députés du groupe LT se lèvent et
applaudissent. – Applaudissements sur quelques bancs du groupe
LR.)
M. le
président. La parole est à M. Jean-Luc Mélenchon.
M. Jean-Luc
Mélenchon. Le Gouvernement et le Président de la République ont
sous-estimé notre capacité de résistance parlementaire à leurs caprices. Plus
que tout, ils ont sous-estimé le rejet profond, dans notre peuple, du projet
qu’ils défendaient. S’ils l’ont fait, c’est parce qu’ils n’ont pas compris quel
ancrage a, dans le peuple, la notion d’égalité et le désir de mener librement sa
propre vie, de disposer de soi. Le peuple sait que cette loi est une loi
BlackRock ; il sait que cette loi est contre sa liberté personnelle, contre
le droit de disposer de sa vie.
M. Jean
Lassalle. Oui !
M. Jean-Luc
Mélenchon. C’est une loi BlackRock : la finance fait déjà librement
son marché en France, et vous êtes ses commis. En atteste aujourd’hui le passage
sous pavillon USA du leader mondial français de la vision de nuit – après
Alstom, le chantier naval de Saint-Nazaire, Latécoère, et combien
d’autres ! (Applaudissements sur les bancs du groupe FI.
– M. Jean Lassalle applaudit
également.)
Et ce soir, en refusant de rejeter ce texte, vous allez
offrir à la finance le marché de 312 milliards d’euros que constitue la
retraite des Français. (Applaudissements sur les bancs des groupes FI et
GDR.)
M. Laurent
Furst. Mais non !
M. Jean-Luc
Mélenchon. Toutes les portes sont ouvertes par cette loi.
(M. Jean Lassalle applaudit.)
La retraite par
capitalisation est le destin promis de cette réforme.
M. Pierre
Cordier. Tu exagères, Jean-Luc !
M. Jean-Luc
Mélenchon. Pour l’instaurer, vous avez mobilisé les pires ressorts de la
monarchie constitutionnelle. « La dictature, a dit Emmanuel Macron, c’est
quand un clan ou une personne décide des lois ».
M. Pierre
Cordier. Il a dit ça, Macron ?
M. Jean-Luc
Mélenchon. Aujourd’hui, on a le sentiment que vous testez vos talents
dans ce domaine. Car, décidément, vous êtes prêts à tout, sans
vergogne !
D’abord, vous avez fait le choix de la procédure
accélérée, puis vous avez brandi une étude d’impact de 1 000 pages,
dont nous avions à être régalés en quatre jours ;…
M. Éric
Bothorel. Vous étiez servi, avec vos
30 000 amendements !
M. Jean-Luc
Mélenchon. …1 000 pages pipeautées, 29 ordonnances
inconnues dans le texte.
Comment oublier, au bout de deux jours, la
réduction de moitié du temps de parole de l’opposition en commission
spéciale ? Et le rejet préalable, dix jours avant l’ouverture des débats en
séance, de tous les amendements propositionnels des Insoumis, fondés sur le
contre-projet de retraite que nous avons présenté ?
M. Thibault
Bazin. Et le nôtre ?
M. Jean-Luc
Mélenchon. Enfin, comment oublier une tentative pour annuler plus de
1 000 amendements du groupe de la Gauche démocrate et
républicaine ? L’obstruction parlementaire – c’est vous, les
marcheurs,… (Applaudissements sur les bancs du groupe FI.
– Exclamations sur les bancs du groupe LaREM.)
M.
Sébastien Leclerc. Là-dessus, il a raison !
M. Vincent
Descoeur. Vous avez participé, c’est vrai.
M. Jean-Luc
Mélenchon. …vos odieuses méthodes, vos provocations, vos grossièretés,
votre acharnement contre nous, vos ragots – quand vous avez décidé de faire
croire que nous avions déposé plus de 700 000 sous-amendements, et que
vos répondeurs automatiques dans les médias l’ont répété, sans prendre trente
secondes pour vérifier ! (Applaudissements sur les bancs du groupe
FI.) Et à présent l’article 49, alinéa 3 ! Et quel 49.3 ! Décidé
sournoisement, au débotté, entre deux coronavirus examinés en conseil des
ministres !
Comment osez-vous parler de la défense de la dignité du
Parlement ? (Rires et exclamations sur les bancs du groupe LaREM.)
Vous ne vous êtes pas contentés de nous faire perdre du temps en incidents
et provocations. Vous ne vous êtes pas contentés de n’avoir rien à dire,
interminablement. (Applaudissements sur les bancs du groupe FI.)
M. Éric
Bothorel. Il ose tout !
M. Jean-Luc
Mélenchon. Et aujourd’hui, vous, les grands rénovateurs qui libérez les
énergies, allez laisser passer, sans débat, un texte que vous n’avez jamais lu
(Protestations sur les bancs du groupe LaREM), puisque le Gouvernement
l’a augmenté, lui tout seul, de 200 amendements et de sept ordonnances tout
d’un coup transformés en articles de loi !
Et vous êtes là, à lui
cirer les chaussures ! (Applaudissements sur les bancs du groupe FI et
parmi les députés non inscrits. – MM. Jean
Lassalle et Sébastien Jumel applaudissent également.) « Merci notre bon
maître ! Vous avez pris quelques amendements ! Merci notre
seigneur ! Vous nous avez écoutés ! » Vous voici vous gargarisant
du fait que les oppositions ont été entendues ; nous sommes une espèce à
part : nous sommes dans l’opposition, mais aucun de nos amendements n’a été
conservé.
Vous serez dès demain matin la risée du monde civilisé
démocratique. (Rires sur les bancs du groupe LaREM.)
M. Bruno
Millienne. Vive Maduro !
M. Jean-Luc
Mélenchon. Parfaitement ! Les grands rénovateurs ! Où,
ailleurs qu’en France et sous votre gouvernement, une loi au contenu inconnu,
aux dispositions inconnues, est récrite par l’exécutif tout seul, avant d’être
adoptée sans vote ? Dans quel autre pays une chose pareille est-elle
possible ? (Applaudissements sur les bancs des groupes FI, GDR et SOC.
– Mme Frédérique Meunier applaudit
également.)
Enfin, pour terminer le tableau de ces violences,
mentionnons cet instant lui-même. Là encore, vous avez décidé de réduire d’un
tiers le temps de parole des groupes La France insoumise et de la Gauche
démocrate et républicaine.
M. Éric
Bothorel et Mme Danielle Brulebois. Vous en avez eu
82 % !
M. Jean-Luc
Mélenchon. Faut-il qu’on leur fasse peur, mes camarades, pour que cinq
minutes leur paraissent interminables ! (Applaudissements sur les bancs
du groupe FI. – MM. Sébastien Jumel
et Alain David applaudissent également.)
Cette ultime mesquinerie est
la signature de cette équipe : le 49.3, chez eux, ce n’est pas un article
de la Constitution, c’est une profession de foi. Que dis-je ! Un code
génétique.
Aujourd’hui, la monarchie présidentielle assume une
métamorphose. Un régime autoritaire se consacre sous nos yeux ; et déjà
nous voyons des pulsions extrémistes qui nous déplaisent. Vous prétendez dicter
à l’opposition quels sont les bons amendements, comment elle doit se comporter,
ce qu’elle doit ou ne doit pas dire. Bref, vous souhaitez une opposition qui ne
s’opposerait pas (Applaudissements sur les bancs des groupes FI et GDR.– Mme
Jeanine Dubié et M. Jean Lassalle applaudissent), mais
qui viendrait à la rescousse de la pensée du chef. C’est le moment de vous dire
que, quoi que vous fassiez, vous ne viendrez jamais à bout ce que nous
représentons dans l’histoire de notre pays. (Applaudissements sur les bancs
des groupes FI et GDR.)
Mme
Catherine Kamowski. L’anarchie ?
M. Jean-Luc
Mélenchon. Nous prolongeons dans le présent le destin proposé par le
mythe de Prométhée et celui de l’humanisme de la Renaissance.
M.
Jean-Paul Mattei. Ça va, les chevilles ?
M. Jean-Luc
Mélenchon. Que la machine et l’intelligence passent entièrement au
service du soulagement de la peine humaine. Que la contrainte du temps travaillé
diminue et se relâche, au point que l’esprit et le corps puissent trouver leur
épanouissement. Qu’ils viennent libérer les humains de la nécessité de produire
toujours davantage sans aucun autre horizon que l’épuisement de la nature et des
corps. Qu’au temps contraint par des horaires imposés et des tâches choisies par
d’autres, succède la liberté du temps choisi.
M. Éric
Bothorel. C’est un discours de sénateur !
M. Jean-Luc
Mélenchon. Cette liberté, c’est celle que permettrait un autre partage
de la richesse produite : une réduction de l’accumulation du travail
gratuit par le capital. (Applaudissements sur les bancs des groupes FI et
GDR. – M. Jean Lassalle applaudit.) Tel est, une
fois de plus, l’enjeu du moment.
Depuis le premier des
1er mai décidés par la Première internationale ouvrière, la
lutte pour la réduction du temps de travail dans la journée, dans la semaine,
dans l’année et dans la vie est au centre de nos programmes.
M. Erwan
Balanant. Allons ! Vous allez tout de même voter la motion des
Républicains !
M. Jean-Luc
Mélenchon. La journée de huit heures, la semaine de quarante, puis de
trente-cinq heures, les congés payés et la retraite à 60 ans sont les
acquis du salariat, auquel rien n’a jamais été octroyé sans lutte ni rapport de
force. Aujourd’hui, nous reprenons cette tâche. (Applaudissements sur les
bancs des groupes FI, GDR et SOC.)
À la liberté de disposer de soi,
vous opposez la liberté de continuer à travailler, comme si c’était un choix
quand un malus viendrait vous priver d’une part substantielle de votre
revenu !
Voyez-vous, dans ce contexte, je me réjouis de l’immense
école civique qu’aura été cette lutte, qui dure depuis le 5 décembre et qui
va maintenant se poursuivre dans une guérilla populaire et parlementaire, une
guérilla qui durera aussi longtemps que vous vous obstinerez… (Exclamations
sur les bancs du groupe LR.)
M. Rémy
Rebeyrotte. Une guérilla, vraiment ? J’admire ! On croirait
entendre une tirade d’Hamlet !
M. Jean-Luc
Mélenchon. Une guérilla pacifique, car la violence ne sert que
vous ! (Exclamations sur les bancs du groupe LaREM.) Vous
allez faire une crise d’apoplexie : vous ne savez pas crier et respirer en
même temps. (Rires et applaudissements sur les bancs des groupes FI et GDR.–
M. Jean Lassalle applaudit.)
Je
me réjouis de voir que le peuple français, poussé cent fois dans le dos à des
conflits de genres, de couleurs de peau, de religions a ressourcé l’unité
nationale dans la seule qui vaille : l’unité sociale. (Applaudissements
sur les bancs des groupes FI et GDR.)
M. Rémy
Rebeyrotte. Il vous manque la veste de Mao !
M. Jean-Luc
Mélenchon. Lorsque chacun se préoccupe de l’autre, de son bonheur, des
bienfaits qui peuvent améliorer sa vie, le peuple français oublie toutes les
mesquineries dans lesquelles vous vouliez l’enfermer. L’objectif reste le
retrait de votre réforme. Cela prendra le temps qu’il faut, mais nous allons y
arriver. (Applaudissements sur les bancs des groupes FI et GDR.) En toute
hypothèse,…
M. Nicolas
Forissier. Quel cinéma !
M. Jean-Luc
Mélenchon. Non, monsieur, cela s’appelle de l’art oratoire, et la parole
est une fonction sacrée du Parlement ! (Applaudissements sur les bancs
des groupes FI et GDR. – Rires et exclamations sur les bancs du groupe
LaREM.)
M. Bruno
Millienne. Je me prosterne !
M. Jean-Luc
Mélenchon. Si vous ne croyez pas non plus à l’art de la parole, si vous
voulez dicter aux autres ce qu’ils doivent dire, pourquoi faire un
parlement ? Cela ne sert à rien. L’un d’entre vous a dit :
« Faites taire ces bavards ! » Les bavards, c’est
vous !
L’autre, là, a dit que ça coûtait trop cher de se réunir.
(Applaudissements sur les bancs du groupe FI et parmi les députés
non-inscrits.– Exclamations sur les bancs du groupe LaREM.)
M. Éric
Bothorel. « L’autre », il n’est plus là !
M. Jean-Luc
Mélenchon. À quoi bon un parlement ? À quoi bon un
gouvernement ? (Applaudissements sur les bancs des groupes FI et
GDR.) Vous êtes d’esprit dictateur. (Protestations sur les bancs du
groupe LaREM.) Vous ne supportez pas la contradiction. Vous êtes des
technocrates hallucinés par leurs vérités. Vous ne croyez pas à la vertu du
dialogue. (Exclamations sur les bancs du groupe LaREM.)
En toute
hypothèse, et quoi qu’il arrive – si jamais nous venions à trébucher, ce qui ne
se produira pas, croyez-moi –, dès 2022, nous annulerons tout ce que vous avez
fait ! (Mmes et MM. les députés des groupes FI et GDR
se lèvent et applaudissent.)
M. le
président. La parole est à Mme Jennifer De Temmerman.
Mme
Jennifer De Temmerman. Si nous siégeons aujourd’hui, ce n’est
certainement pas pour parler de la réforme des retraites. Ces dernières
semaines, son contenu est souvent passé au second plan de nos agitations.
L’histoire ne retiendra peut-être pas que la réforme des retraites de ce
gouvernement est passée par l’article 49, alinéa 3, comme elle n’a pas
retenu les textes qui ont connu le même sort. Mais elle retiendra qu’une
blessure de plus a été infligée à notre République. (Applaudissements sur
plusieurs bancs du groupe LR.)
J’ai toujours pensé – et je continue
de soutenir – qu’une réforme est indispensable pour assurer un système à la fois
plus universel et plus équitable. Mais un projet aussi essentiel pour notre
société et notre avenir commun ne doit pas se faire ainsi.
Nous ne sommes
pas là pour parler du fond de la réforme. Peu importe aujourd’hui ce que l’on en
pense, que l’on soit pour, contre ou encore indécis. Aujourd’hui, nous ne
voterons pas sur le fond, mais sur la forme. La question se pose : du grand
débat à l’article 49, alinéa 3, les méthodes ont-elles été les
bonnes ?
Il y a un an, au lancement de ce grand débat, le Président
de la République écrivait ces mots aux Français : « Dans une période
d’interrogations et d’incertitudes comme celle que nous traversons, nous devons
nous rappeler qui nous sommes. […] Si tout le monde agresse tout le monde, la
société se défait ! Afin que les espérances dominent les peurs, il est
nécessaire et légitime que nous nous reposions ensemble les grandes questions de
notre avenir. »
Verbale ou physique, l’agression peut prendre des
formes diverses. Priver les parlementaires de leur parole, inscrite au sein même
de leur nom, en est une.
L’apaisement ne se trouvera que dans la parole
posée, réfléchie et la construction conjointe de la société de demain.
(M. Jean Lassalle applaudit.)
M. Pierre
Cordier. Très juste !
Mme
Jennifer De Temmerman. Il ne faut jamais soumettre une majorité
silencieuse à une minorité bruyante. Pour cela, nous ne pouvons pas faire
l’impasse sur le dialogue démocratique. Un grand nombre d’entre nous vous a mis
en garde contre les risques qu’entraînerait l’usage de l’article 49,
alinéa 3. Nous avons proposé de prendre le temps nécessaire à l’exercice de
notre mission première : l’écriture et la discussion de la loi.
M. Pierre
Cordier. Elle est courageuse !
Mme
Jennifer De Temmerman. Nous devons maintenant nous interroger
collectivement sur le spectacle que nous donnons à nos concitoyens ; je ne
cautionne aucun des débordements de ces dernières semaines. Cependant, nous
devons réfléchir sur la manière dont a été menée cette réforme :
négociations, débats, rapports, avis, son dépôt, son parcours. Chaque étape a
laissé les Français dans l’incertitude et l’interrogation,…
M. Jean
Lassalle. Hélas !
Mme
Jennifer De Temmerman. …mères de toutes les peurs et de toutes les
violences. (M. Jean Lassalle et
M. Pierre Dharréville applaudissent.) L’article 49,
alinéa 3, appartient certes à notre Constitution, au même titre que la
motion de censure. S’il a pu être pertinent à certains moments de notre
histoire, l’est-il encore aujourd’hui ? Parce qu’il existe, devons-nous
pour autant l’utiliser ?
L’article 49, alinéa 3, de la
Constitution ne doit pas devenir un outil du débat parlementaire. Certains
essaient de nous faire croire qu’un consensus régnerait au sein de la majorité.
Nous savons tous que c’est faux. (Applaudissements sur les bancs des groupes
SOC et GDR.)
M. Rémy
Rebeyrotte. Vous prenez votre cas pour une généralité !
Mme
Jennifer De Temmerman. Les tribunes et les voix se sont multipliées, et
nous ont prouvé le contraire.
M. Éric
Straumann. Pour l’instant, ils sont au pas !
Mme
Jennifer De Temmerman. Sur la pénibilité, sur les enseignants, sur les
fonctionnaires, sur les financements, sur les agriculteurs, rien n’est évident
et le débat est primordial. (Applaudissements sur les bancs des groupes LR,
SOC et GDR.)
Depuis plus de deux ans, nous entendons beaucoup parler
de légitimité de la part des oppositions comme au cœur de la majorité.
M. Rémy
Rebeyrotte. Grâce à qui avez-vous été élue ?
M.
Christian Hutin. Elle a le courage de parler, écoutez-la !
Mme
Jennifer De Temmerman. La réalité, c’est que, tous sur ces rangs, nous
sommes légitimes. Que nous représentions 25 % ou 8 % des citoyens,
chacun d’entre nous a été élu et reconnu par les urnes. Il n’est donc pas
question de légitimité, mais de crédibilité. Celle que beaucoup ont acquise par
leur travail, sur le terrain, dans les réunions publiques ou au sein même de cet
hémicycle, sur tous les rangs, nous la devons à notre capacité d’être en accord
avec ce que nous défendons. Pour ma part, en tant que députée issue de la
société civile, j’ai défendu cette volonté de faire de la politique
autrement.
Utiliser l’article 49, alinéa 3, sous prétexte que
d’autres l’ont fait avant nous, ce n’est pas faire autrement.
(Applaudissements sur les bancs des groupes LR, SOC, GDR et FI.)
M.
Christian Hutin. Ça tue !
Mme
Jennifer De Temmerman. Ce n’est pas être à la hauteur de la réforme à
mener. Ce n’est pas inciter à la réconciliation entre les Français et les élus.
Aujourd’hui, chers collègues, vous ne trahissez personne, vous ne rejetez ni
réforme ni gouvernement.
M. le
président. Il faut conclure, chère collègue.
Mme
Jennifer De Temmerman. En réalité, ce vote n’a rien de personnel. Nous
devons dépassionner le débat, le rationaliser. Si nous échouons, la défaite ne
sera ni de gauche ni de droite, elle sera collective. N’abîmons pas davantage la
démocratie, faisons-la vivre !
M. le
président. Merci, chère collègue.
Mme
Jennifer De Temmerman. Refusons l’article 49, alinéa 3 !
(Mmes et MM. les députés des groupes SOC et GDR se lèvent
et applaudissent. – Applaudissements sur les bancs du groupe LR.)
M. le
président. La parole est à M. Gilles Le Gendre. (Mmes et
MM. les députés du groupe LaREM se lèvent et
applaudissent.)
M. Gilles
Le Gendre. Il n’y a pas un député de La République en marche qui soit
satisfait de la situation qui vous a contraint, monsieur le Premier ministre, à
engager la responsabilité de votre gouvernement sur le projet de loi instituant
un système universel de retraite. (Applaudissements sur les bancs du groupe
LaREM. – « Menteur !
Menteur ! » et exclamations sur les bancs
des groupes GDR et FI.)
M. Éric
Straumann. C’est pour cette raison qu’ils commencent à partir !
M. Gilles
Le Gendre. Il n’est pas un député de La République en marche qui
n’entende l’incompréhension, parfois la colère, que suscite cette décision chez
certains de nos concitoyens.
M. Pierre
Cordier. Le Gendre, prends ta retraite !
M.
Sébastien Jumel. Quelle imposture ! Vous avez le 49.3
honteux !
M. le
président. S’il vous plaît !
M. Gilles
Le Gendre. La violence, volontairement attisée par certains et dont mes
collègues sont trop souvent victimes est inacceptable. (Applaudissements sur
les bancs du groupe LaREM.)
Mais la critique et le doute sont
légitimes. Le débat prendra provisoirement fin ce soir dans cet hémicycle
(Exclamations sur les bancs du groupe GDR), mais nous continuerons sans
relâche…
M.
Jean-Paul Lecoq. Et nous aussi ! On ne lâchera rien !
M. Gilles
Le Gendre. …d’apporter aux Français les réponses nécessaires pour leur
expliquer cette réforme aussi complexe qu’elle est ambitieuse.
Il n’est
pas un député de La République en marche…
M. Stéphane
Peu. Pour ce qu’il en reste !
M. Gilles
Le Gendre. …qui n’ait le sentiment qu’on lui a volé le débat auquel
notre groupe se préparait avec ardeur depuis plus de deux ans
(Applaudissements sur les bancs du groupe LaREM), avec l’ambition
d’inscrire dans la loi une réinvention de notre protection sociale redonnant
tout leur sens aux mots de justice, de cohésion, de solidarité.
Mme Sylvie
Tolmont. Et d’injustice sociale !
M. Maxime
Minot. Tout ça, c’est trop subtil !
M. Gilles
Le Gendre. Il n’est pas un député de La République en marche qui ne soit
consterné…
Mme Sylvie
Tolmont. Ils n’en ont pas l’air !
M. Gilles
Le Gendre. …par le spectacle qu’offre une minorité sur ces bancs
(Applaudissements sur les bancs du groupe LaREM), une minorité de blocage
qui a pris le risque d’abord en commission spéciale, puis, dans cet hémicycle,
au cours des treize jours de discussions ininterrompues, de tourner en ridicule
notre démocratie parlementaire et notre assemblée. (Rires sur les bancs du
groupe FI.)
M. Stéphane
Peu. C’est un discours de Calimero !
M. le
président. S’il vous plaît !
M. Gilles
Le Gendre. La réforme des retraites méritait – et mérite encore – un
débat digne et responsable, à la hauteur des défis que notre majorité ne craint
pas de relever pour conquérir de nouveaux droits en direction des Français les
plus vulnérables,…
M. Fabien
Di Filippo. Le 49.3 ?
M.
Sébastien Jumel. Vous n’êtes pas crédible !
M. Alain
Bruneel. Les Français ? Vous ne les connaissez pas !
M. Gilles
Le Gendre. …des droits pour nos concitoyens les plus exposés aux risques
de l’existence et aux révolutions du travail à venir,…
M. André
Chassaigne. Baratin !
M. Gilles
Le Gendre. …des droits pour tous ceux que le régime actuel, à bout de
souffle, a progressivement laissés de côté : les femmes, les mères de
famille, les agriculteurs, les indépendants, les fonctionnaires, les aidants,
les personnes handicapées,…
M.
Christian Hutin. Les avocats !
M. Gilles
Le Gendre. …et bien d’autres, en un mot, tous les oubliés des tenants de
l’immobilisme – je veux parler des auteurs de ces deux motions de censure, qui
ne craignent jamais de rogner leurs propres idéaux de justice et de
redistribution. (Applaudissements sur les bancs des groupes LaREM et
MODEM. – Exclamations sur les bancs des groupes GDR et
FI.)
Oui, la réforme des retraites méritait un vrai débat
démocratique. Quel paradoxe ! Depuis deux ans, les partenaires sociaux
discutent du futur régime universel,… (Exclamations continues sur les bancs
des groupes LR, FI et GDR.)
M.
Christian Hutin. N’importe quoi !
M. le
président. S’il vous plaît, chers collègues, écoutez !
M. Gilles
Le Gendre. …dans une confrontation difficile, parfois conflictuelle,
mais toujours utile et constructive, même quand les organisations sont
radicalement opposées à la réforme.
M.
Jean-Paul Lecoq. Elles ne sont plus là !
M. Gilles
Le Gendre. La démocratie sociale, si souvent décriée, fonctionne, alors
que la démocratie parlementaire, prise en otage…
M.
Jean-Paul Lecoq. Par le Gouvernement ! Assumez !
M. Gilles
Le Gendre. …par des rêveurs utopistes du grand soir, est contrainte à
mettre un genou à terre ! Ce n’est pas cela que nous voulons.
M. Thibault
Bazin. Vous parlez aussi pour les députés qui sont partis ?
M. Gilles
Le Gendre. Nous voulons, au contraire, une démocratie sociale et une
démocratie représentative vivantes, s’épaulant l’une l’autre.
(Applaudissements sur plusieurs bancs des groupes LaREM et
MODEM.)
Monsieur le Premier ministre, il n’est pas un député de la
République en marche…
M. Fabien
Roussel. De la République en miettes !
M. Gilles
Le Gendre. …qui ne comprenne votre décision.
(Exclamations continues sur divers bancs des groupes LR, FI et
GDR.)
M.
Sébastien Jumel. Ce n’est pas sûr !
M.
Jean-Paul Lecoq. Ça s’appelle rappeler à l’ordre les députés de son
groupe, parce que vous avez peur !
M. Gilles
Le Gendre. Le recours à l’article 49, alinéa 3, de la Constitution
est un pis-aller constitutionnel, mais il est nécessaire. Depuis samedi, nous
entendons retentir les sirènes des pompiers pyromanes. (Applaudissements sur
plusieurs bancs des groupes LaREM et MODEM.
– « Oh ! »
sur les bancs des groupes FI et GDR. )
M.
Jean-Paul Lecoq. C’est plutôt vous les pompiers pyromanes !
D’ailleurs, respectez les pompiers !
M. Gilles
Le Gendre. « Césarisme », « déni de démocratie »,
« pulsions totalitaires » : il faut de l’audace et un certain
culot, pour oser ces procès ! Qui sont-ils, ceux qui parlent ainsi ?
Ce sont les deux groupes qui ont confondu amendement et amusement,… (Rires
sur les bancs du groupe LR. – Exclamations sur les bancs des
groupes FI et GDR.)
M.
Sébastien Jumel. Mais il ne va pas bien !
M.
Jean-Paul Lecoq. Venez regarder notre travail, vous changerez
d’avis !
M. Gilles
Le Gendre. …et ont embolisé le débat en bloquant le compteur des
articles votés à sept sur soixante-cinq, les prétendues victimes bâillonnées,
qui, représentant 33 députés sur 577, soit 4 % de nos rangs, ont
monopolisé plus de 45 % du temps de parole durant l’examen du texte.
(Applaudissements sur plusieurs bancs des groupes LaREM et MODEM.
– Vives protestations sur les bancs des groupes LR, FI et
GDR. )
M. Thibault
Bazin. La faute à qui ?
M.
Christian Hutin. Il est insupportable !
M. Stéphane
Peu. Nous travaillons, nous !
M. Aurélien
Pradié. Monsieur Le Gendre, vous n’avez aucun talent, mais au moins
vous êtes drôle !
M. le
président. S’il vous plaît, chers collègues ! Que personne ici,
pour reprendre l’expression du président Chassaigne, ne fasse le cacatoès !
( Rires et exclamations sur les bancs des groupes LR, FI et GDR.)
J’en vois sur tous les bancs, et j’ai constaté que tous les orateurs
qui se sont exprimés ont pu aller au bout de leur propos, de M. Abad à
M. Mélenchon ; laissez donc le président Le Gendre s’exprimer.
Cela aussi, c’est la démocratie ! (Applaudissements sur les bancs des
groupes LaREM et MODEM. – Brouhaha sur divers bancs.)
C’est tout de même incroyable !
M. Thibault
Bazin. Quel perroquet !
M.
Jean-Paul Lecoq. Il ne s’exprime pas, il nous insulte !
M. Gilles
Le Gendre. Qui sont-ils donc, les tartuffes qui s’émeuvent d’un débat
confisqué (Vives protestations et claquements de pupitres sur les bancs des
groupes LR, FI et GDR) alors qu’ils avaient proclamé haut et fort, dès
l’origine, qu’ils feraient tout pour paralyser notre institution ?
M.
Jean-Paul Lecoq. Provocateur !
M. Gilles
Le Gendre. Je veux le dire à nos collègues des groupes La France
insoumise et de la Gauche démocrate et républicaine : le recours à
l’article 49, alinéa 3, n’est pas le fait du Premier ministre !
(« Eh bien bravo ! »
et vifs applaudissements sur plusieurs bancs des groupes SOC, FI et
GDR.)
Le recours à l’article 49, alinéa 3, n’est pas de la
responsabilité de la République en marche ; ce n’est pas la faute de la
majorité, unie et solidaire ! (Rires sur les bancs des groupes SOC, FI
et GDR. – Mmes et MM. les députés des groupes GDR et FI
se lèvent et applaudissent.)
M. Laurent
Furst. Il est nul, ce n’est pas possible !
M. le
président. S’il vous plaît, chers collègues !
M. Gilles
Le Gendre. Le recours à l’article 49, alinéa 3, c’est
vous, seulement vous, entièrement vous ! (Plusieurs députés des groupes
GDR et FI se lèvent et scandent « Orwell, avec
nous ! »)
M. François
Ruffin. Orwell, avec nous ! Orwell, avec nous !
M. le
président. Monsieur Ruffin ! Si vous voulez aller manifester et
crier vos slogans dehors, allez-y ! Mais ne le faites pas ici !
M. Gilles
Le Gendre. Ne vous en déplaise, vous portez la responsabilité exclusive
de ce débat avorté.
M.
Christian Hutin. Il est insultant !
M. Laurent
Furst. Ces guignols !
M. Gilles
Le Gendre. Quant à nous, nous assumons la responsabilité de cette
refondation majeure de notre protection sociale, qui bénéficiera à tous les
Français rapidement, en s’appliquant dès le début de l’année 2022, ce qui
suppose son adoption définitive avant l’été. (Rires et applaudissements sur
plusieurs bancs des groupes SOC, FI et GDR.)
Si nous avions eu la
certitude…
M.
Christian Hutin. Le Gendre président !
M. Gilles
Le Gendre. …que le débat pouvait aboutir, même en débordant du temps
initialement alloué… (Rires et applaudissements sur plusieurs bancs des
groupes SOC, FI et GDR.)
M. le
président. Un peu de tenue, tout de même, chers collègues !
M. Gilles
Le Gendre. …nous aurions fait en sorte qu’il aille à son terme.
(« Bravo ! » et
rires sur plusieurs bancs des groupes SOC, FI et GDR.)
M. Michel
Herbillon. Il ne comprend pas ce qu’il dit, ce n’est pas
possible !
M. Gilles
Le Gendre. C’est vous qui avez pris le risque de vous affranchir de la
pratique démocratique normale…
(«Excellent ! » sur les bancs des
groupes SOC, FI et GDR. – Certains députés de ces groupes se
lèvent et applaudissent.)
M. Alain
Bruneel. Bravo, Philippe !
M. Maxime
Minot. Vous avez déjà lu cette feuille !
M. Gilles
Le Gendre. …appelant même, dans les jours récents, le pays à
l’insurrection. Quant à nous, au contraire, au moyen de l’article 49,
alinéa 3, nous permettons aux institutions de fonctionner normalement.
(Rires et exclamations continues sur les bancs des groupes GDR et FI.)
Vous êtes l’opposition du statu quo ; nous sommes l’opposition au statu
quo ! (Applaudissements sur plusieurs bancs des groupes MODEM et LaREM.
– Rires et exclamations sur les bancs des groupes SOC, FI et
GDR.)
Plusieurs députés du groupe
GDR. Bravo Gilou ! Bravo Gilou !
M. Gilles
Le Gendre. À nos collègues du groupe Les Républicains, je ne poserai
qu’une question.
(« Ah ! » sur plusieurs
bancs des groupes FI et GDR.) En plus de 116 heures de débat, comment
est-il possible que jamais vous n’ayez condamné solennellement les manœuvres
d’obstruction des groupes d’extrême gauche (Vives protestations sur les bancs
du groupe LR et sur plusieurs bancs des groupes FI et GDR), ces manœuvres
qui vous ont privés autant que nous d’une discussion normale, complète,
démocratique ? (Mêmes mouvements.)
M. le
président. S’il vous plaît, chers collègues !
M. Gilles
Le Gendre. Décidément, d’étranges complicités souterraines (Rires et
exclamations sur plusieurs bancs des groupes FI et GDR), de surprenants
reniements ont traversé cet hémicycle…
M. Damien
Abad. Toujours rien sur le fond !
M. Thibault
Bazin. Il est nul, Le Gendre !
M.
Sébastien Jumel. Non mais ça va pas ! Il est délirant !
M. Gilles
Le Gendre. …inhibant manifestement toute velléité de courage et de
cohérence politique. J’en veux pour preuve votre position sur la fin des régimes
spéciaux, jadis défendue par la droite, et le système à points, autrefois promu
par une partie de la gauche, qui fait aujourd’hui censure commune avec son aile
extrême. (Exclamations sur les bancs des groupes LR, SOC, FI et GDR.)
M. Michel
Herbillon. Le Gouvernement est consterné par votre discours !
M. Gilles
Le Gendre. Dans ce flot de paroles, que penser du silence tout aussi
assourdissant créé par l’absence de tout projet alternatif complet, crédible,
qui aurait pu légitimer les sempiternelles leçons que vous nous avez adressées.
(Rires et protestations sur plusieurs bancs des groupes FI et
GDR.)
« Moins les gens ont d’idées à exprimer, plus ils parlent
fort », écrivait François Mauriac. (Applaudissements sur plusieurs bancs
des groupes LaREM et MODEM.)
M.
Sébastien Jumel. Vous en offrez un bon exemple !
M. Gilles
Le Gendre. Que dire enfin de la défection des dirigeants du
Rassemblement national, dont les représentants ont pratiqué la politique de la
chaise vide. Ces parlementaires ignoraient-ils que l’on parlait tout simplement
de l’avenir des Français ?
M. Damien
Abad. Il est où le discours sur le fond ?
M. Thibault
Bazin. Parlez-nous des retraites !
M. Michel
Herbillon. Ce n’est décidément pas un orateur !
M. Gilles
Le Gendre. Ou bien attendaient-ils dans les coulisses que la pièce se
termine, avec ses effets délétères sur notre vitalité démocratique, pour en
encaisser les royalties électorales ? De ce concours de faux-semblants, les
Français, dans leur écrasante majorité, qu’ils approuvent ou non notre réforme,
ne sont pas dupes, pas plus qu’ils ne seront abusés par le dernier va-tout que
sont ces deux motions de censure. (
«Ah ! », rires et applaudissements sur les
bancs des groupes SOC, FI et GDR.)
Plusieurs députés du groupe
FI. Quel orateur !
M. Gilles
Le Gendre. Monsieur le Premier ministre, il n’est pas un député de la
République en marche qui ne soit convaincu qu’il nous faut dépasser sans délai
la situation inédite à laquelle nous devons faire face.
M.
Sébastien Jumel. Il n’a vraiment rien compris !
M. Michel
Herbillon. Un mauvais discours pour une mauvaise réforme !
M. Gilles
Le Gendre. Aussi vrai que l’article 49, alinéa 3, est un
moindre mal, il nous incombe et il vous incombe de faire de ce mal un
bien ! (« Ah !» et rires sur les
bancs des groupes SOC, FI et GDR.)
M.
Sébastien Jumel. Quel meneur d’hommes, ce Gilles Le Gendre !
M. Gilles
Le Gendre. Vous avez commencé à agir en ce sens, et nous vous en
remercions, en intégrant dans le texte sur lequel vous engagez la responsabilité
du Gouvernement un nombre considérable d’amendements,… (Brouhaha persistant
sur divers bancs.)
M.
Jean-Yves Bony. Le disque est rayé !
M. Michel
Herbillon. C’est un vide abyssal !
M. Gilles
Le Gendre. …défendus par notre groupe, mais aussi par les groupes
d’opposition. Ils portent sur les droits familiaux,…
M. Michel
Herbillon. Arrêtez le massacre ! Ferrand, reviens !
M. Gilles
Le Gendre. …les pensions des femmes, les fins de carrière, la
pénibilité, les aidants, les personnes en situation de handicap
(Applaudissements sur plusieurs bancs des groupes LaREM et MODEM), les
travailleurs indépendants, et la gouvernance, entre autres.
Mme
Mathilde Panot. Tout ça, ce ne sont que des mensonges !
M. Gilles
Le Gendre. Le débat sur la réforme des retraites ne s’arrête
heureusement pas à l’impasse dans laquelle nos oppositions ont tenté de
l’enfermer, ni à la réponse légitime mais frustrante de l’article 49,
alinéa 3, qui s’imposait pour l’en sortir.
(« Ah ! » et
applaudissements sur les bancs des groupes SOC, FI et GDR.)
M. Michel
Herbillon. Le groupe majoritaire est consterné par ce
discours !
M. Gilles
Le Gendre. Dès demain, nous engagerons la discussion du projet de loi
organique, et mon groupe a la ferme intention qu’il soit mené à son terme.
(« Ah ! » et
applaudissements sur les bancs des groupes SOC, FI et GDR.)
M. André
Chassaigne. Ah bon ?
M. Stéphane
Peu. Cette fois, vous n’avez pas le choix !
M. Gilles
Le Gendre. Le projet de loi ordinaire suivra son cours au Sénat puis à
nouveau à l’Assemblée nationale. À chacune de ces étapes, chacun devra prendre
ses responsabilités…
M. Michel
Herbillon. Ça va être la même déroute !
M. Gilles
Le Gendre. …et choisir entre revenir à la raison et s’obstiner à lancer
des manœuvres d’obstruction aussi vaines que désastreuses pour le bien commun,
sous les yeux des Français, fondés à juger sévèrement les mauvais joueurs
entêtés de la démocratie.
(« Oh ! » sur les
bancs du groupe FI et GDR.)
Un député du groupe LR.
Mais arrêtez-le ! Ce n’est pas possible !
M.
Sébastien Leclerc. Ferrand était meilleur ! Ferrand,
reviens !
M.
Jean-Paul Lecoq. On en reparlera après les élections !
M. Gilles
Le Gendre. Chacun sait bien qu’aussi crucial que soit l’accomplissement
de la vie parlementaire de ces deux textes, notre réforme a ceci de
particulier,…
M. Stéphane
Peu. Que personne ne la comprend !
M.
Jean-Paul Lecoq. Que personne ne la veut !
M. Gilles
Le Gendre. …qui en double la portée : elle permet de donner un
nouveau souffle à la démocratie sociale… (Exclamations sur les bancs des
groupes LR, SOC, FI et GDR.)
M. Thibault
Bazin. Mais quel culot !
M. Gilles
Le Gendre. …à la fois dans le cadre de la préparation du futur système
universel…
Un député du groupe LR.
Il faut atterrir, Le Gendre !
M. Gilles
Le Gendre. …et dans celui de sa gouvernance, le moment venu ! Notre
groupe, comme vous, monsieur le Premier ministre, est particulièrement attaché à
cet enjeu, qui a guidé notre action depuis l’origine, d’abord sous la houlette
du haut-commissaire Jean-Paul Delevoye… (Vives exclamations sur les bancs des
groupes LR, SOC, FI et GDR.)
M. Stéphane
Peu. Il est où, Delevoye ?
Mme Valérie
Lacroute. Bravo, Jean-Paul !
M. Gilles
Le Gendre. …à qui je veux exprimer ici ma reconnaissance, pour sa
mission d’architecte ; ensuite sous votre responsabilité et celle de vos
ministres, chargés de construire l’édifice.
Nous ne sous-estimons pas le
caractère ardu de la tâche qui vous incombe,…
M.
Jean-Paul Lecoq. Ne vous inquiétez pas, si ça continue comme ça, c’est
bon ! Vous avez savonné la planche !
M. Gilles
Le Gendre. …mais nous constatons qu’elle s’est déjà soldée par de
premiers succès, figurant précisément dans le texte qui sera transmis dans les
prochains jours au Sénat.
M.
Jean-Paul Lecoq. Quelle introduction pour Philippe ! C’est vraiment
« Dieu me garde de mes amis ; mes ennemis, je m’en charge. »
M. Gilles
Le Gendre. Nous souhaitons que votre gouvernement mette tout son poids
dans les négociations qui se poursuivent entre les partenaires sociaux qui ont
accepté d’y participer, en particulier dans le cadre de la conférence sur
l’équilibre et le financement des retraites. (Brouhaha prolongé sur divers
bancs des groupes LR, SOC, FI et GDR.)
M. Thibault
Bazin. Les partenaires sociaux sont tous partis !
M. Gilles
Le Gendre. Vous avez pris l’heureuse initiative de cette conférence, et
nous savons que vous y consacrez toute votre énergie, pour obtenir
l’indispensable convergence entre les organisations sur le triptyque du
financement, de la pénibilité et de la gouvernance.
M. Michel
Herbillon. Quel grand discours !
M. Thibault
Bazin. Ça restera dans les annales de l’Assemblée !
M. Gilles
Le Gendre. Notre groupe a toujours veillé à ne pas confondre les
rôles ; nous ne sommes pas les acteurs principaux ni même les metteurs en
scène…
Un député du groupe GDR.
Mais les larbins !
M. Gilles
Le Gendre. …et encore moins les souffleurs de ces négociations, mais
nous sommes convaincus
(« Oh ! » sur les
bancs des groupes SOC, FI et GDR) que se joue là une partie politique
essentielle, qui intéresse profondément nos concitoyens, et qui est de nature à
renforcer considérablement l’adhésion encore incertaine qu’ils accordent au
futur régime universel.
M. Pierre
Dharréville. Légèrement incertaine !
M. Gilles
Le Gendre. La conférence de financement doit réussir. Elle le peut.
M. Michel
Herbillon. C’est une incantation ! Plus personne n’y
croit !
M. Gilles
Le Gendre. Nous partageons, monsieur le Premier ministre, votre foi en
cette nécessité et votre confiance. Les députés du groupe La République en
marche se tiendront à vos côtés, jusqu’au terme de cette conférence, pour tenir
cette promesse. (Applaudissements sur les bancs du groupe LaREM.)
M. André
Chassaigne. C’est beau !
M. Bernard
Deflesselles. Et avec qui allez-vous le faire ?
M. Gilles
Le Gendre. Mes chers collègues, au moment de conclure (Exclamations
sur les bancs des groupes LR et GDR),…
M. Stéphane
Peu. Oh, non, pas déjà ! Encore !
M. Gilles
Le Gendre. …je nous invite, collectivement, à ne pas nous tromper sur la
gravité du moment.
M. Christian
Hutin, M. Stéphane Peu et M. Jean-Paul Lecoq. Encore,
encore !
M. Gilles
Le Gendre. Au fond,…
M. Laurent
Furst. Vous y êtes, au fond !
M. Gilles
Le Gendre. …l’enjeu dépasse la seule question des retraites – qui
n’est déjà pas rien. Il concerne aussi la préservation de nos valeurs
démocratiques, la défense de l’Assemblée nationale en tant qu’institution et sa
place dans la République.
M. Jean-Luc
Mélenchon. Il n’a rien à dire, voilà le problème !
M. Gilles
Le Gendre. Qu’avons-nous offert aux Français qui nous attendaient,
depuis quinze jours, sur une question aussi fondamentale que la protection de
leurs vieux jours ?
M.
Jean-Paul Lecoq. Vous leur avez offert la brutalité
gouvernementale !
M. Gilles
Le Gendre. Un débat embourbé dans les manœuvres dilatoires, l’ironie
facile et le recours piteux à tous les subterfuges de l’obstruction.
M.
Jean-Paul Lecoq. C’est ça, la démocratie ! On voit que vous n’aimez
pas ça !
M. Gilles
Le Gendre. À une époque où la défiance envers les responsables publics
s’accroît dangereusement,…
M. Fabien
Di Filippo. Quel cynisme !
M. Gilles
Le Gendre. …où certains justifient la banalisation de la violence,
prenons garde de ne pas alimenter l’antiparlementarisme ambiant…
Plusieurs députés du groupe
GDR. C’est vous qui l’alimentez !
M. Maxime Minot. Ce
n’est pas ce que nous faisons !
M. Gilles
Le Gendre. …qui, lui, n’a pas de couleur politique ni de parti,…
M. Pierre
Cordier. « L’Assemblée coûte 1,5 million d’euros par
jour » !
M. Thibault
Bazin. Ce n’est pas nous qui l’avons dit, c’est Florian
Bachelier !
M.
Jean-Paul Lecoq. C’est vous qui faites le jeu de
l’antiparlementarisme !
M. Gilles
Le Gendre. …l’obstruction délibérée est une défaite de la
démocratie.
M. Fabien
Di Filippo. Vous fracturez le pays !
M. Gilles
Le Gendre. Si elle devait devenir la règle, notre groupe demanderait que
soient étudiés sans tarder les moyens de la réguler, dans le respect intangible
des principes constitutionnels.
M.
Jean-Paul Lecoq. C’est un discours antidémocratique, inadmissible de la
part d’un député et président de groupe !
M. Gilles
Le Gendre. Députés du groupe La République en marche, nous assumons la
difficulté de notre tâche et les risques politiques qui y sont attachés,…
M. Michel
Herbillon. Vous allez assumer l’échec !
M.
Jean-Paul Lecoq. Un tel discours antidémocratique est inadmissible de la
part d’un député et plus encore d’un président de groupe !
M.
Christian Hutin. Le plus mauvais discours de ces trente dernières
années !
M. Gilles
Le Gendre. …notamment face à ceux qui portent l’écrasante responsabilité
des situations auxquelles les Français nous ont chargés de remédier.
M.
Jean-Paul Lecoq. Les Français ne vous ont pas chargés de casser la
démocratie !
M. Damien
Abad. Emmanuel Macron n’était pas ministre de François Hollande,
peut-être ?
M. Gilles
Le Gendre. D’autres grandes réformes sociales sont attendues par nos
concitoyens : le revenu universel d’activité, la loi sur l’autonomie et la
dépendance, l’émancipation économique des femmes. (Exclamations sur les bancs
du groupe FI.)
Je le dis aujourd’hui très clairement aux
oppositions…
M. Pierre
Cordier. Ça fait cinq fois que vous le dites !
M. Gilles
Le Gendre. …dont l’objectif manifeste est de nous condamner à l’inaction
ou au renoncement : une nouvelle fois, vous perdrez votre temps !
(Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe LaREM.)
M.
Jean-Paul Lecoq. On assume ! On a été élus pour ça :
s’opposer !
M. Gilles
Le Gendre. Monsieur le Premier ministre, le groupe La République en
marche vous renouvelle son soutien et ne votera pas ces deux motions de censure.
(Mmes et MM. les députés des groupes LaREM et MODEM se
lèvent et applaudissent. – « Une
autre ! Une autre ! »
sur les bancs des groupes LR et GDR.)
M. Pierre
Cordier. Sans blague !
M.
Christian Hutin. Pathétique, Le Gendre !
M. le
président. S’il vous plaît, mes chers collègues, pensez aux Français qui
vous regardent ! (Protestations sur les bancs des groupes LR, SOC, et
GDR.) Reprenez votre calme.
La parole est à M. le Premier
ministre. (Mmes et MM. les députés des groupes LaREM et
MODEM se lèvent et applaudissent.)
M. Fabien
Di Filippo. Vous faites bien de vous lever maintenant…
M. Édouard
Philippe, Premier ministre. Il y a trois ans, le candidat
Emmanuel Macron…
M.
Jean-Paul Lecoq. Élu avec 24 % des voix !
M. Édouard
Philippe, Premier ministre. …s’était engagé, lors de la campagne
présidentielle, à créer un système universel de retraite par répartition et par
points. Les candidats de la majorité aux élections législatives de
juin 2017 ont réitéré cet engagement.
M.
Jean-Paul Lecoq. Pas tous !
M. Édouard
Philippe, Premier ministre. En démocratie, c’est le suffrage
universel qui décide. Il ne donne évidemment pas un blanc-seing à la majorité,
mais il l’engage à faire ce pour quoi elle a été élue. (Applaudissements sur
quelques bancs du groupe LaREM.)
M. Adrien
Quatennens. Pourtant vous faites le contraire de vos
engagements !
M. Édouard
Philippe, Premier ministre. On peut évidemment être contre le
principe du système universel de retraite par points. On peut lui préférer un
système par trimestres, comportant quarante-deux régimes – dont certains
sont très déséquilibrés – qui obéissent à des règles très différentes,
souvent inexplicables et parfois de plus en plus injustes avec le temps. On peut
vouloir maintenir ce système tout en allant cahin-caha, dans la douleur, de
rapetassage en rapetassage. Le conservatisme, en la matière, est une posture
parfaitement autorisée.
Ces postures, toutefois, sont très souvent des
impostures : sous couvert d’une prétendue solidarité, elles visent à
préserver des avantages devenus indus au détriment des autres. Telle n’est pas
la conception que cette majorité se fait de la justice sociale et de l’égalité.
(Applaudissements sur de nombreux bancs du groupe LaREM et sur quelques bancs
du groupe MODEM.)
Ceux qui défendent le statu quo – comme ils
ont parfaitement le droit de le faire – racontent bien trop souvent des
calembredaines.
M. Adrien
Quatennens. Et qui sont-ils, ces défenseurs du statu quo ?
M. Édouard
Philippe, Premier ministre. Ils se payent de mots, sur le dos de
ceux qui sont les moins bien traités par le système actuel (Applaudissements
sur les bancs des groupes LaREM et MODEM) : les agriculteurs,
les artisans, les commerçants qui travaillent très dur pour des pensions de
misère ;…
M. Fabien
Di Filippo. Vous avez augmenté la CSG !
M. Édouard
Philippe, Premier ministre. …les femmes qui travaillent dur pour
des retraites inférieures à celles des hommes ; et nos enfants, dont on
attend qu’ils payent, le moment venu et de bon cœur, pour notre impéritie.
(Applaudissements sur les bancs des groupes LaREM et MODEM.
– Exclamations sur les bancs du groupe LR.)
C’est
typiquement ce genre d’injustice que le Président de la République et les
députés de la majorité se sont engagés à réparer. C’est ce genre d’avantages ou
de différences devenus incompréhensibles que certains signataires des motions de
censure entendent préserver, au nom de logiques politiques respectables mais
selon moi convenues, et d’une vision du monde du travail qui m’apparaît souvent
dépassée.
M.
Jean-Paul Lecoq. Paroles !
M. Édouard
Philippe, Premier ministre. L’idée d’un système de retraite
universel par points n’est pas nouvelle. Beaucoup de syndicalistes,…
M. Pierre
Cordier. Quelques-uns seulement !
M. Édouard
Philippe, Premier ministre. …d’intellectuels, d’économistes et de
responsables politiques, de droite comme de gauche, s’y sont déclarés
favorables.
M.
Jean-Paul Lecoq. Ils se trompent !
M. Michel
Herbillon. Ils vous ont tous abandonnés !
M. Édouard
Philippe, Premier ministre. Ce système par points fonctionne déjà
– très bien, d’ailleurs – dans le cadre de la gestion des retraites
complémentaires.
M. Thibault
Bazin. Ce n’est pas l’État qui les gère !
M. Édouard
Philippe, Premier ministre. Comme beaucoup, nous avons vu dans
cette idée le moyen de consolider la logique de solidarité et d’universalité qui
est au cœur de notre pacte national. Nous y avons vu l’occasion d’adapter notre
système de retraite aux évolutions démographiques à venir – et qui, en
vérité, sont déjà là – et aux nouvelles carrières, d’en corriger les
injustices criantes et de rendre le dispositif plus redistributif,…
M. Fabien
Di Filippo. En diminuant les pensions ?
M. Édouard
Philippe, Premier ministre. …parce que je ne connais pas de
solidarité véritable sans effort de redistribution des plus riches vers les plus
modestes. C’est notre modèle, notre histoire sociale : cet héritage, nous
en sommes fiers. Il nous appartient de le faire vivre et de le transmettre, non
pas comme quelque chose d’immobile et d’intouchable, mais bien, au contraire,
comme un ensemble vivant qu’il nous appartient de préserver.
Nous avons
choisi de prendre le temps…
M. Maxime
Minot. C’est une blague ?
M. Adrien
Quatennens. Vous avez choisi de prendre deux semaines !
M. Édouard
Philippe, Premier ministre. …en menant une concertation lente.
Nous avons choisi de simplifier la diversité des systèmes actuels, devenue
complexe et opaque,…
M. Damien
Abad. La diversité est parfois une richesse !
M. Édouard
Philippe, Premier ministre. …et d’en supprimer la logique
corporatiste en faisant disparaître – conformément aux vœux si souvent
exprimés sur certains bancs – les régimes spéciaux qui n’ont, selon nous,
plus lieu d’être, et qui donnent le sentiment d’un système à plusieurs
vitesses.
M. Fabien
Di Filippo. Vous en recréez !
M. le
président. Monsieur Di Filippo, s’il vous plaît !
M. Édouard
Philippe, Premier ministre. Je ne reviendrai pas sur toutes les
étapes qui ont jalonné la préparation de ce projet de loi, même si certains
voudraient faire croire qu’il ne se serait rien passé. En octobre 2018,
nous avons posé les grands principes de la réforme, qui ont constitué le socle
de la consultation nationale. En juillet 2019, le haut-commissaire aux
retraites déposait son rapport, sur la base duquel s’engageaient des
négociations avec les partenaires sociaux. Je me permets de vous y
renvoyer : chacun aura le loisir de constater que les propositions
contenues dans le texte sur lequel le Gouvernement engage sa responsabilité sont
évoquées et annoncées tout au long de ce rapport, et que c’est sur cette base,
parfaitement publique, qu’a été construit le projet de loi qui nous réunit
aujourd’hui. (Applaudissements sur les bancs des groupes LaREM et
MODEM.)
En décembre dernier, je présentais au Conseil économique,
social et environnemental – CESE – les fondements du projet de loi
présenté en Conseil des ministres le 24 janvier. Nous avons choisi de
conjuguer démocratie consultative, démocratie sociale et démocratie
parlementaire. Nous avons assumé, dès le début, un temps long.
M.
Christian Hutin. Trop long !
M.
Jean-Paul Lecoq. Un temps long sauf à l’Assemblée nationale !
M. Fabien
Roussel. Un temps long et creux !
M. Édouard
Philippe, Premier ministre. Je me permets d’observer qu’à maintes
reprises pendant la préparation du texte, on nous a fait le reproche d’une
concertation trop longue. On nous disait – souvent sur les bancs de droite,
parfois sur les bancs de gauche – que nous n’avancions pas et que la
consultation durait trop longtemps (« C’est
vrai ! » sur les bancs du groupe
LaREM), et on nous critique aujourd’hui parce qu’elle n’aurait servi à
rien ? (Applaudissements sur les bancs du groupe LaREM.)
Nous avons assumé ce temps long : celui de l’écoute et de la
participation,…
M. Damien
Abad. Pas dans le cadre du débat parlementaire !
M. Édouard
Philippe, Premier ministre. …pour traiter d’une question complexe
mais essentielle, qui méritait qu’on en discute lentement et complètement,…
M.
Jean-Paul Lecoq. Le problème est que vous n’écoutez pas ce qu’on vous
dit !
M. Édouard
Philippe, Premier ministre. …parce qu’on ne réforme pas un
système vieux de soixante-dix ans en quelques semaines…
Mme Valérie Rabault.
C’est pourtant ce que vous êtes en train de faire !
Mme
Frédérique Meunier. Faites-le tout seuls, sans les
parlementaires !
M. Édouard
Philippe, Premier ministre. …et que nous n’avions pas la
prétention – je le dis très tranquillement et avec beaucoup
d’humilité – de connaître les réponses à toutes les questions qui se posent
immanquablement lorsqu’on touche à quarante-deux systèmes existants et à la
complexité de la vie, du monde du travail, des aspirations des uns et des autres
et de la manière dont elles évoluent.
M. Fabien
Roussel. Mais quelles réponses avons-nous obtenues dans cet hémicycle,
ici et maintenant ?
M. Édouard
Philippe, Premier ministre. On ne peut pas avoir toutes les
réponses à un instant précis.
M. Damien
Abad. Mais on pourrait au moins avoir un simulateur !
M. Fabien
Di Filippo. Vous n’apportez les réponses à aucune question !
M. Édouard
Philippe, Premier ministre. C’est normal, c’est humain :
personne au monde ne pourrait prétendre répondre à toutes les questions.
(Applaudissements sur les bancs des groupes LaREM et MODEM.) Ne peut-on
pas accepter l’idée selon laquelle cette incomplétude est naturelle ?
(« Non ! » sur les
bancs des groupes GDR et FI.)
Pour cette raison, nous avions besoin
de faire travailler collectivement des intelligences diverses. C’est de cette
façon que nous avons nourri le texte du projet de loi déposé devant l’Assemblée
nationale.
M. Michel
Herbillon. Il n’y a que des désaccords de tous bords !
M. Édouard
Philippe, Premier ministre. L’examen du texte en séance a été
rendu difficile puis impossible par une tactique, parfaitement légale – et
peut-être respectable aux yeux de ceux qui l’ont engagée –, mais clairement
assumée, d’obstruction.
M. Stéphane
Peu. Pas du tout !
M. Édouard
Philippe, Premier ministre. Tactique très calculée : que le
Gouvernement laisse libre cours au débat…
M. Pierre
Cordier. Vous l’avez entretenue, l’obstruction !
M. Maxime
Minot. Rémy Rebeyrotte était le premier à faire de
l’obstruction !
M. Édouard
Philippe, Premier ministre. …et certains groupes bloquaient toute
progression de la discussion ; que le Gouvernement laisse entendre qu’il
mettrait un terme à ce procédé et, subitement, le rythme s’accélérait
légèrement.
Qu’on y songe, mesdames et messieurs les députés, et que l’on
pose les chiffres : 117 heures de travaux, 7 articles adoptés
seulement sur les 65 qui composent le projet de loi ordinaire,…
M. Jean-Paul
Lecoq et M. Pierre Cordier. Et alors ?
M. Édouard
Philippe, Premier ministre. …29 273 amendements restant
à examiner…
M. Stéphane
Peu. C’est normal !
Mme Danièle
Obono. C’est donc que nous avons bien avancé !
M. Édouard
Philippe, Premier ministre. …sur les
41 888 déposés : il aurait fallu, à ce rythme, huit semaines de
débat complètes au sein de cette assemblée (« Et
alors ? » sur les bancs des groupes LR,
SOC, FI et GDR), week-ends compris, pour en arriver à la fin.
(Applaudissements sur les bancs des groupes LaREM et MODEM.)
M. Maxime
Minot. C’est une caméra cachée ?
M. Damien
Abad. Il fallait faire le temps législatif programmé, on n’aurait pas eu
ce problème !
M. Fabien
Roussel. Vous ne pouviez pas consacrer huit semaines à cette
réforme ?
M. Alain
Bruneel. C’est un aveu !
M. le
président. S’il vous plaît, chers collègues, un peu de calme !
M. Édouard
Philippe, Premier ministre. Je ne crois pas que cette façon de
débattre soit à l’honneur de la démocratie parlementaire. (Applaudissements
sur les bancs des groupes LaREM et MODEM.) Je le dis avec un très profond
respect pour l’acte législatif et pour le débat politique.
M. Pierre
Cordier. Parce que le 49.3 est respectueux de l’Assemblée,
peut-être ?
M. Édouard
Philippe, Premier ministre. Je ne crois pas qu’une mécanique
selon laquelle une minorité bloque systématiquement les questions de fond et
l’avancée des discussions soit à l’honneur du débat parlementaire.
(Applaudissements sur les bancs des groupes LaREM et MODEM.
– Protestations sur les bancs des groupes SOC, FI et
GDR.)
M. Fabien
Roussel. Mais c’est vous qui avez la majorité !
M. Édouard
Philippe, Premier ministre. Je rends hommage à tous les députés
– quels que soient d’ailleurs les bancs sur lesquels ils siègent, et qu’ils
soient membres ou non d’un groupe – qui, confrontés à cette tactique, ont
su réagir avec sang-froid…
M. Pierre
Cordier. Quelle hypocrisie !
M. Édouard
Philippe, Premier ministre. …pour tirer de ce débat parlementaire
le meilleur de ce qu’il pouvait donner.
Je salue leur engagement à
transformer notre pays calmement, respectueusement, pacifiquement, alors que le
travail des parlementaires a été rendu impossible par des combines procédurales,
qui se sont conjuguées, à l’extérieur – et sans rapport avec les propos
tenus à l’intérieur de l’hémicycle –, avec des intimidations et des actes
parfois violents à l’encontre des parlementaires, de leur permanence, voire de
leur personne, des insultes auxquelles, comme le disait fort justement un
orateur avant moi, nous commençons, hélas, à nous habituer.
Je le dis car
beaucoup, sur ces bancs, aspirent à constituer une majorité,…
M. Jean-Luc
Mélenchon. Nous ! Nous ! Et le plus vite possible !
M. Édouard
Philippe, Premier ministre. …ce qui arrivera probablement un
jour, et c’est bien normal, car c’est la démocratie. La déréliction du débat
public, l’invective et l’insulte ne serviront absolument personne, chacun y sera
confronté comme nous le sommes aujourd’hui. (Applaudissements sur les bancs
des groupes LaREM, MODEM et UDI-Agir. M. Jean-Luc Mélenchon
applaudit aussi.) Personne ne sort gagnant de cette dégradation du débat
public, personne.
M. Fabien
Di Filippo. De l’usage du 49.3 non plus !
M. Fabien
Roussel. C’est vous qui poussez les Français à bout !
M. Michel
Herbillon. Pourquoi avez-vous fracturé le pays ?
M. Damien
Abad. Il fallait choisir le temps législatif programmé !
M. Édouard
Philippe, Premier ministre. J’ai entendu beaucoup de remarques
concernant le recours à l’article 49, alinéa 3, de la Constitution de
1958. Dans sa motion de censure, le groupe Les Républicains…
M. Pierre
Cordier. Votre ancien groupe !
M. Édouard
Philippe, Premier ministre. …dit que « sur un sujet aussi
fondamental », il s’agit d’« une triste première ». Je suggère à
tous ceux qui le pensent de relire avec attention les manuels de droit
constitutionnel, mais aussi les propos de Michel Debré – dont je sais qu’il
est, à juste titre, tenu en haute estime sur plusieurs bancs de cet
hémicycle.
M. Michel
Herbillon. Et par vous-même, j’espère !
M. Édouard
Philippe, Premier ministre. Celui-ci déclarait le 27 août
1958, devant le Conseil d’État, que « l’expérience »
– considérable dans son cas – l’avait « conduit à prévoir une
disposition quelque peu exceptionnelle pour assurer, malgré les manœuvres, le
vote d’un texte indispensable ». Il parlait de l’article 49,
alinéa 3. (Applaudissements sur les bancs des groupes LaREM et
MODEM.)
M. Damien
Abad. Nous sommes d’accord, ce n’est pas la question !
M. Édouard
Philippe, Premier ministre. M. Debré décrit précisément les
raisons pour lesquelles j’ai choisi d’avoir recours à cet outil.
M. Damien
Abad. La différence, c’est que Debré ne l’a pas fait en catimini un
samedi soir !
M. Serge
Letchimy. Mais vous, vous avez la majorité !
M. Édouard
Philippe, Premier ministre. Il s’agit en effet d’une disposition
« un peu exceptionnelle » destinée à faire voter « un texte
indispensable » et ce « en dépit de manœuvres ».
M. Stéphane
Peu. Mais c’est un texte à trous !
M. Édouard
Philippe, Premier ministre. Je mesure parfaitement le caractère
exceptionnel de cet outil constitutionnel. Mais, comme vous le savez, il ne
s’agit ni d’une première ni d’une nouveauté s’agissant de réformes importantes.
Comme je l’ai déjà dit plus tôt, et comme chacun le sait ici, cet outil a été
employé à quatre-vingt-huit reprises par mes prédécesseurs, de gauche comme de
droite.
M. Pierre
Cordier. Ce n’est pas un argument !
M. Damien
Abad. Il n’a jamais été utilisé à propos d’une réforme des
retraites !
M. Édouard
Philippe, Premier ministre. On me parle de « coup de
force », ce qui signifie qu’il y aurait eu quatre-vingt-huit coups de force
et que Michel Rocard – que vous avez cité, madame Rabault – en aurait
asséné vingt-neuf ! Soyons sérieux. (Applaudissements sur les bancs des
groupes LaREM et MODEM. – Protestations sur les bancs des
groupes LR, SOC, FI et GDR.)
M. Pierre
Cordier. Il n’avait pas de majorité !
M.
Dominique Potier. Comparaison n’est pas raison !
M. Thibault
Bazin. Nicolas Sarkozy n’y a jamais eu recours !
M. Édouard
Philippe, Premier ministre. Sans doute vous souvenez-vous,
monsieur Chassaigne, de ce 23 novembre 1982, lorsque Pierre Mauroy, alors
Premier ministre, engagea la responsabilité de son gouvernement sur un projet de
loi dont le but était, dans un souci d’apaisement, de réviser les carrières des
officiers qui avaient participé au putsch d’Alger. Ni Pierre Mauroy ni le
Président de la République François Mitterrand n’avaient alors cédé, me
semble-t-il, à un quelconque autoritarisme. Aucune motion de censure ne fut
d’ailleurs déposée. (Applaudissements sur les bancs des groupes LaREM et
MODEM.)
Pierre Cordier et Stéphane
Peu. Eux ne disposaient pas d’une majorité !
M. Édouard
Philippe, Premier ministre. La dissuasion nucléaire, la
contribution sociale généralisée, les nationalisations et les
privatisations : autant de textes adoptés avec l’article 49,
alinéa 3. Je pourrais aussi citer les lois transformant Renault et France
Télécom ou la création du Conseil supérieur de l’audiovisuel. L’histoire de la
Ve République est riche de réformes majeures qui, à un
moment ou à un autre, se sont appuyées sur cet outil qui fait partie de la vie
parlementaire.
M. Thibault
Bazin. Mais je pensais que nous étions dans le nouveau monde !
M. Édouard
Philippe, Premier ministre. Et je ne parle pas d’une époque
révolue, le quinquennat précédent, au cours duquel – vous le savez
également – cet article a été utilisé à six reprises. Je suis sûr que, sur
les bancs du groupe socialiste, on s’en souvient très précisément.
M. David
Habib. Et le président Ferrand aussi !
M.
Christian Hutin. Moi : j’ai été frondeur !
M. Édouard
Philippe, Premier ministre. La question de l’article 49,
alinéa 3, ayant ainsi été évoquée, permettez-moi de revenir à ce qui, au
fond, nous réunit : le projet de loi, la réforme des retraites, ce système
universel que nous voulons construire. Il serait absurde…
M. Pierre
Cordier. Absurde : c’est bien le mot !
M. Édouard
Philippe, Premier ministre. …de ne pas profiter de cette étape de
la discussion parlementaire pour parler du fond de la réforme.
(« Ah ! » sur quelques
bancs du groupe LaREM.)
M. Michel
Herbillon. Vous auriez dû le dire à M. Le Gendre !
M.
Jean-Paul Lecoq. Et pour apporter des réponses ?
M. Édouard
Philippe, Premier ministre. Nous avons proposé à l’Assemblée un
système de retraite universel qui porte une très grande attention aux situations
individuelles, qui ouvre de nouveaux droits à des personnes que la vie a
fragilisées.
Ce système, je tiens à le dire, augmente la redistribution
des plus aisés vers les plus modestes,… (Applaudissements sur quelques bancs
du groupe LaREM.)
M. André
Chassaigne. C’est faux !
M. Édouard
Philippe, Premier ministre. …protège mieux les précaires et aide
ceux que la vie a éprouvés à se relever et nous donne surtout le temps de nous
organiser collectivement et d’apporter les garanties que certaines professions
réclament à bon droit.
Pierre Cordier et Stéphane
Peu. Pourquoi tous les Français sont-ils contre ?
M. Édouard
Philippe, Premier ministre. Avec cette réforme, nous choisissons
d’abord de revaloriser les pensions des plus vulnérables, de tous ceux que le
système actuel pénalise, parfois de façon très dure. Quiconque partira à la
retraite à partir de 2022, après avoir travaillé pendant toute sa vie en étant
payé au SMIC, percevra au minimum 1 000 euros de pension en 2022 et
1 047 euros à partir de 2025. Voilà les chiffres qui comptent pour les
Français.
M. Alexis
Corbière. Après toute une vie à travailler au SMIC…
M. Thibault
Bazin. Et qu’en est-il de ceux qui partent avant à la
retraite ?
M. Vincent
Descoeur. Nous avons demandé des garanties, nous ne les avons jamais
obtenues !
M. Édouard
Philippe, Premier ministre. Qui peut oser prétendre ici que ce
n’est pas un progrès social ? Personne, car c’en est un !
(Applaudissements sur les bancs des groupes LaREM et MODEM.) Parmi ces
Français modestes figurent non seulement les agriculteurs mais aussi les
commerçants et les artisans qui, à cause des règles prévues par nos fameux
quarante-deux systèmes actuels – qui seraient si justes, si bons, si
solides –, se trouvent dans une situation de très grande fragilité
sociale.
M. André
Chassaigne. C’est vous qui avez refusé de les augmenter !
M. Pierre
Cordier. Et comment finance-t-on cela ?
M. Édouard
Philippe, Premier ministre. Avec le système de retraite
universel, nous faisons preuve de solidarité et apportons une dignité qui a
beaucoup trop tardé et que vous souhaitez peut-être, à travers ces motions de
censure, repousser encore. Voilà la vérité sur ces motions de censure. Grâce à
la prise en compte de chaque heure travaillée, en lieu et place de la vieille
logique des trimestres, les assurés, au revenu bien souvent faible, accumuleront
un droit à la retraite supérieur d’environ 30 % à son niveau actuel.
M. Alain
Bruneel. Mais quelle sera la valeur du point ?
M. Édouard
Philippe, Premier ministre. Les gagnants de cette réforme sont
les futurs retraités les plus modestes. C’est un fait, c’est mécanique dès lors
que chaque cotisation dépend de chaque heure travaillée et qu’on sort de la
logique des trimestres, délétère – nous le savons tous, même si nous
évitons parfois de le dire – pour ceux qui travaillent à temps partiel ou
ont des carrières hachées. Pour tous ceux-là, la réforme par points
représente une avancée considérable.
M. André
Chassaigne. Vous croyez vraiment à ce que vous dites ?
M. Édouard
Philippe, Premier ministre. Nous avons également voulu en finir
avec un système qui pénalise les carrières hachées et donc, le plus souvent, les
femmes.
Mme Valérie
Rabault. Elles ont disparu de l’étude d’impact !
M. Édouard
Philippe, Premier ministre. Mme la présidente du groupe
Socialistes a évoqué tout à l’heure le cas d’un jeune homme – ou d’une
jeune femme – qui, après de longues études, commence à travailler à
24 ans. Dans le système actuel, il peut faire valoir ses droits à la
retraite en partant à 67 ans, après quarante-trois années d’activité ;
mais, dans le futur système, il pourra partir à 64 ou à 65 ans – selon
le moment où sera fixé l’âge d’équilibre.
M. Stéphane
Peu. Mais quel sera-t-il, cet âge d’équilibre ?
M. Édouard
Philippe, Premier ministre. On nous a dit que cette situation
serait très désavantageuse. Or, madame Rabault, vous connaissez parfaitement la
vérité : ceux qui, dans le système actuel, que vous avez contribué à
maintenir – en allongeant la durée de cotisation et en préservant la
décote – doivent travailler jusqu’à 67 ans pour partir à la retraite
sans décote sont très souvent des femmes dans des situations de très grande
fragilité.
Mme Valérie
Rabault. C’est faux ! Elles doivent travailler pendant
quarante-trois ans !
M. Édouard
Philippe, Premier ministre. Leur permettre de partir avant
67 ans avec une retraite complète est évidemment un progrès social.
(Applaudissements sur les bancs des groupes LaREM et MODEM.) Nous
devrions nous féliciter de cette avancée considérable, ça me désole que vous ne
le voyiez pas. Si c’est cela que vous voulez censurer, vraiment, je ne comprends
pas.
Mme Valérie
Rabault. Vous les ferez travailler beaucoup plus longtemps !
M. Édouard
Philippe, Premier ministre. Avec cette réforme, nous faisons le
choix politique de réduire les inégalités et de faire contribuer les plus
favorisés. La réforme que nous proposons réduira les écarts de pension entre les
10 % les plus riches et les 10 % les plus pauvres. De 1 à 7
actuellement, ce rapport ne sera plus que de 1 à 5 grâce à la réforme.
(Applaudissements sur les bancs des groupes LaREM et MODEM.) Je comprends
parfaitement qu’on juge ce système trop redistributif. La vérité, c’est que nous
allons réduire l’écart et que cet effort de redistribution me semble aller
plutôt dans le sens de la justice sociale. (Mêmes mouvements.)
M.
Christian Hutin. Ça n’est pas honnête !
M. Édouard
Philippe, Premier ministre. Le système universel crée en effet
une cotisation de solidarité sur les très hauts revenus qui ne leur ouvrira
aucun droit et financera les nouveaux droits que nous accordons aux plus
modestes.
M. André
Chassaigne. C’est très contestable !
M. Édouard
Philippe, Premier ministre. Il plafonne les droits à la retraite
des très hauts revenus et met un terme à un système qui, compte tenu des
espérances de vie comparées d’un ouvrier et d’un cadre de très haut niveau, est
en réalité profondément antiredistributif – non pas dans la loi mais dans
la pratique.
M. Thibault
Bazin. C’est caricatural !
M. Édouard
Philippe, Premier ministre. Vous pouvez dire que c’est
caricatural, mais c’est un fait statistique. Et, que voulez-vous, les faits
statistiques sont solides. (Applaudissements sur les bancs des groupes LaREM
et MODEM. – Exclamations sur les bancs des groupes LR, SOC et
GDR.) Je ne suis pas surpris que vous ne vous en rendiez pas
compte.
Avec cette réforme, nous apportons aussi de vraies garanties pour
le pouvoir d’achat des futurs retraités.
M. Pierre
Cordier. Ils ont déjà subi la CSG il y a deux ans !
M. Thibault
Bazin. Et la sous-indexation !
M. Édouard
Philippe, Premier ministre. Là encore, il n’y a pas de plan
caché, de tour de passe-passe. Tout est écrit noir sur blanc dans la loi, nos
engagements n’ont pas varié, ont toujours été très clairs. Nous avons bâti un
double bouclier pour protéger le pouvoir d’achat. Le premier, c’est l’indexation
de la valeur du point sur l’évolution moyenne des revenus. La valeur du point
augmentera donc régulièrement. Le second bouclier, c’est l’indexation de
l’évolution des pensions – ce que toucheront les futurs retraités –
sur le niveau de l’inflation. Le pouvoir d’achat des futurs retraités ne
décrochera ainsi jamais par rapport au coût de la vie. Ce double bouclier est
essentiel pour garantir à ceux qui, une fois à la retraite, veulent être
certains que leur pouvoir d’achat ne baissera pas mais augmentera en fonction du
prix de la vie. (Applaudissements sur les bancs des groupes LaREM et
MODEM.)
M. Damien
Abad. Vous avez pratiqué la désindexation !
M. Édouard
Philippe, Premier ministre. Pour que la gestion du futur système
universel de retraite soit transparente, nous avons confié au Parlement et aux
partenaires sociaux le soin de prendre acte de ces évolutions. Il est difficile,
à vrai dire, d’être plus transparent et paritaire.
M. Fabien
Di Filippo. Plus paritaire que le 49.3 ?
M. Édouard
Philippe, Premier ministre. Avec cette réforme, nous avons
également opté pour des transitions longues.
M. Fabien
Roussel. C’est la régression sociale qui s’étale !
M. Édouard
Philippe, Premier ministre. J’ai entendu les propositions de
M. Abad qui souhaitait que la fin des régimes spéciaux, souvent réclamée
mais jamais réalisée, puisse avoir lieu rapidement. Je crois pour ma part
– tout en respectant votre point de vue – qu’il est utile de prévoir
des transitions longues afin de prendre en considération les choix individuels,
les choix de vie, notamment familiale, les investissements, autant de décisions
prises sur la base de ce qui est souvent décrit comme un contrat social, associé
à un statut.
M. Damien
Abad. C’est la clause du grand-père !
M. Édouard
Philippe, Premier ministre. Ce n’est pas la clause du grand-père
mais nous assumons ces transitions longues. Il n’en reste pas moins que le
système aboutira à la fin des régimes spéciaux, de la même façon que, comme vous
le savez, nous avons mis fin au recrutement au statut dans plusieurs entreprises
publiques, mais de façon progressive, car c’est ainsi qu’on change profondément
les systèmes.
Mme
Frédérique Meunier. Ce n’est pas ce que veulent les Français !
M. Édouard
Philippe, Premier ministre. J’observe que, comme le Président de
la République s’y était engagé, nous avons maintenu l’âge légal de départ à la
retraite à 62 ans.
Mme Valérie
Rabault. C’est une blague !
M. Fabien
Roussel. Avec décote !
M. André
Chassaigne. C’est la cerise sur le gâteau !
M. Édouard
Philippe, Premier ministre. La retraite est pleine si l’on a
commencé à travailler très jeune ou si l’on exerce un métier dangereux ou
pénible sur le plan physique, tandis que, pour les autres, elle est calculée de
façon à préserver la stabilité financière du système.
Mme Sylvie
Tolmont. Tout va bien, c’est parfait !
M. Édouard
Philippe, Premier ministre. Sur ce sujet crucial, les
négociations avec les syndicats se poursuivent dans le cadre de la conférence de
financement.
M. Michel
Herbillon. Elle a échoué !
M. Édouard
Philippe, Premier ministre. Monsieur le député, cette conférence
va se poursuivre.
M. Alain
Bruneel. Avec qui ? Toute seule ?
M. Édouard
Philippe, Premier ministre. Il ne m’a pas échappé qu’une
organisation syndicale…
Plusieurs députés GDR.
Deux !
M. Édouard
Philippe, Premier ministre. …opposée par principe à un système
universel, s’était retirée de la conférence de financement et qu’une autre
organisation syndicale, opposée par principe à un système par points, s’était
également retirée de cette conférence.
M. Michel
Herbillon. Il ne reste plus grand monde !
M. Édouard
Philippe, Premier ministre. Ni l’une ni l’autre ne voulait donc
participer aux travaux de la conférence de financement, au sens où ni l’une ni
l’autre n’avait accepté les conditions que nous avions fixées pour son bon
déroulement.
Mme Valérie
Rabault. Vous proposez une équation insoluble !
M. Édouard
Philippe, Premier ministre. Autrement dit, tous ceux qui se sont
retrouvés dans la logique qu’implique l’exercice sont présents, discutent quitte
à ne pas être d’accord entre eux. Et ceux qui ne veulent pas de cette réforme
ont arrêté de discuter. Cela peut s’entendre, mais ce n’est pas moi qui les y ai
forcés. (Applaudissements sur les bancs du groupe LaREM.
– Exclamations sur les bancs des groupes LR et GDR.)
M. Fabien
Roussel. Vous ne discutez qu’avec ceux qui sont d’accord avec
vous !
M.
Jean-Paul Lecoq. Et vous appelez ça la démocratie sociale ?
M. Michel
Herbillon. Vous allez finir par ne plus discuter qu’avec
vous-même !
M. Édouard
Philippe, Premier ministre. Nous avons ensuite respecté les
projets de vie de ceux qui se projettent déjà dans la retraite. Le nouveau
système ne s’appliquera pas à ceux qui se trouvent à moins de dix-sept ans de
leur retraite. C’est la règle que nous avons fixée et qui s’applique à tout le
monde de la même manière. Même si les régimes actuels prévoient des dispositions
très particulières, elles s’appliquent dans des conditions différentes en
fonction des régimes existants. C’est un fait. Ce n’est pas moi qui ai imposé
des âges de départ à la retraite différents en fonction des régimes. Reste que
nous avons créé la même règle de transition pour tous.
Pour ceux qui sont
nés après 1975, le nouveau système reprendra 100 % des droits qu’ils auront
acquis selon les anciennes règles. Je précise à cet égard qu’à la suite de la
réunion avec les partenaires sociaux du 13 février dernier, nous avons
amélioré les mécanismes de conversion de ces droits, c’est vrai pour les agents
du public comme pour les salariés du privé. Si nous avons retenu le principe de
transition longue, c’est pour apporter à certaines professions les garanties
auxquelles elles ont droit.
Nous avons commencé à le faire. Ainsi, dès le
mois de janvier prochain, les professeurs débutants, qui seront directement
concernés par les nouvelles règles, bénéficieront d’une revalorisation de
100 euros nets par mois, soit 1 200 euros par an. Les discussions
ont commencé au ministère de l’éducation nationale pour préparer, d’ici à l’été,
la loi de programmation qui définira la trajectoire de hausse des rémunérations
des enseignants.
M. Thibault
Bazin. Avec quel argent ?
M. Édouard
Philippe, Premier ministre. Je le dis et je le répète : les
futures retraites des enseignants ne baisseront pas. Leur rémunération, quant à
elle, va augmenter à mesure que la réforme entrera en vigueur.
M. Maxime
Minot. Les Français vont encore trinquer.
M. Édouard
Philippe, Premier ministre. Cette réforme va être l’occasion
historique de rendre leur métier plus attractif, d’investir dans
l’éducation…
M. Pierre
Cordier. Certes, mais les moyens, on les trouve où ?
M. Édouard
Philippe, Premier ministre. …et je doute que quiconque, ici,
pense qu’investir dans l’éducation soit un mauvais placement pour l’avenir du
pays. (Applaudissements sur les bancs du groupe LaREM.)
J’ai
indiqué les conditions dans lesquelles nous allions supprimer les régimes
spéciaux : en respectant le contrat social qui avait pu se nouer dans les
entreprises concernées.
Voilà les mesures sur lesquelles aurait pu,
aurait dû porter le débat parlementaire s’il avait pu se dérouler dans des
conditions normales. Elles sont concrètes, elles concernent souvent les
retraités les plus modestes, les femmes et les familles.
Mme Émilie
Bonnivard. Ce n’est par conviction que vous défendez ces
mesures !
M. Édouard
Philippe, Premier ministre. On peut, et c’est parfaitement
légitime, les critiquer, les trouver trop généreuses ou, au contraire,
insuffisantes ; mais en aucun cas on ne peut les ignorer et ce faisant
ignorer la situation des personnes qu’elles concernent en empêchant le débat de
s’engager.
Nous avons voulu que le travail de l’Assemblée, des députés de
la majorité comme des oppositions, soit pris en considération. C’est pourquoi le
texte sur lequel j’engage la responsabilité du Gouvernement est un texte de
compromis, un texte qui a évolué. Je l’assume. Il a été enrichi par un certain
nombre d’amendements qui, pour certains, ont été discutés en commission spéciale
et qui, pour d’autres, n’ont pas pu l’être compte tenu de la façon dont le débat
s’est engagé. Ainsi le texte comprend de nombreuses améliorations proposées par
des députés présents sur tous les bancs. Nous n’avons pas regardé l’origine
politique de ces propositions, mais leur pertinence et les avantages qu’elles
présentaient pour les Français, dans une logique de mieux-disant social. Chacune
permet, à sa façon, de consacrer de nouvelles avancées ou d’ajouter des
garanties pour l’avenir.
C’est le cas avec l’amendement de la présidente
Valérie Rabault sur les déclarations d’intérêts que devront obligatoirement
faire les membres du directoire du fonds de réserve universel. C’est le cas avec
l’amendement de Pierre Dharréville, visant à maintenir le départ anticipé à
52 ans des égoutiers recrutés avant 2022. C’est le cas avec l’amendement de
Marc Le Fur, dont l’objet est de favoriser le droit à l’information pour
les travailleurs handicapés. (Applaudissements sur de nombreux bancs du
groupe LaREM.) C’est le cas avec l’amendement de Thierry Benoit, définissant
un objectif de confiance des jeunes générations dans le système de retraite.
C’est le cas avec l’amendement de Philippe Vigier, qui prévoit que les caisses
chargées de la mise en œuvre du système universel de retraite disposeront de la
personnalité morale. (Applaudissements prolongés sur les bancs des groupes
LaREM, MODEM et UDI-Agir.)
Et il y a bien sûr tout lieu de remercier
particulièrement les groupes LaREM, MODEM et UDI-Agir, ainsi que, très
sincèrement, les rapporteurs Guillaume Gouffier Cha, Nicolas Turquois, Jacques
Maire, Corinne Vignon, Carole Grandjean et Paul Christophe,…
(Applaudissements nourris sur les bancs des groupes LaREM, MODEM et
UDI-Agir.)
M. Michel
Herbillon. Et c’est à M. Le Gendre que revient le prix
d’interprétation !
M. Édouard
Philippe, Premier ministre. …dont le travail dans l’hémicycle et
à l’extérieur a permis de faire évoluer le texte sur de très nombreux sujets,
par exemple sur les droits familiaux avec l’attribution automatique de
2,5 % à la mère avec un plancher qui pourra évoluer en fonction du nombre
d’enfants, sur la retraite progressive à partir de 55 ans pour les
travailleurs handicapés, sur le rôle d’investisseur socialement responsable du
Fonds de réserve universel, sur la création, comme cela avait été le cas pour la
réforme du Régime social des indépendants, d’un comité de surveillance sur les
transformations organisationnelles liées à la mise en œuvre de la nouvelle
Caisse nationale de retraite universelle. Les députés de la majorité, mais aussi
des autres groupes, ont d’ailleurs souvent présenté des amendements identiques à
ces derniers.
D’autres amendements, qui se trouvent également dans le
texte, reprennent les points d’accord entre certaines organisations syndicales
et certaines organisations patronales. Ils concernent, là aussi, des points
clefs qui ont fait l’objet de discussions denses dans le cadre du dialogue
social. Je pense à la garantie relative au maintien de l’intégralité des droits
acquis avant 2025. Je pense à l’ouverture de la retraite progressive à
60 ans dans le système universel et à la création d’un tel dispositif dans
la fonction publique dès 2022. Je pense à la meilleure prise en compte des
polyexpositions en matière de pénibilité, qui ne figurait pas dans le projet
initial et qui, ici aussi, résulte d’accords entre les organisations syndicales
et patronales – disposition, j’y insiste, intégrée au texte sur lequel le
Gouvernement engage sa responsabilité. (Applaudissements sur de nombreux
bancs du groupe LaREM.) Je pense également au renforcement des actions de
prévention que pourront mener les différentes branches professionnelles pour les
salariés exposés à de la pénibilité, y compris sur les trois facteurs posturaux.
J’y reviendrai. (Mêmes mouvements.)
Mesdames et messieurs les
députés, vous le savez bien, mais je le répète : le recours à
l’article 49, alinéa 3, de la Constitution n’est en aucun cas la fin
du débat parlementaire. (Murmures.) Bien au contraire, c’est la fin d’une
étape qui ne semble pas avoir été aussi productive qu’elle aurait pu l’être. Le
débat va se poursuivre, au Sénat puis à nouveau entre vous. De même que, je l’ai
évoqué tout à l’heure, le dialogue social continue, conformément à l’esprit du
compromis trouvé en janvier avec les organisations patronales et les syndicats
favorables au régime universel.
Nous avons ainsi confié le soin aux
partenaires sociaux d’apporter des réponses à des questions importantes, des
questions qui ne se règlent évidemment pas d’un trait de plume parce qu’elles
sont complexes, parce qu’elles nécessitent de trouver de justes équilibres pour
les décennies à venir.
La première, c’est celle de l’équilibre financier.
Un régime de retraite en déficit – surtout un régime par répartition –
est un régime dans lequel on a mécaniquement de moins en moins confiance. Or le
système par répartition repose fondamentalement sur le principe de confiance
entre les générations et donc de confiance en l’avenir.
M. Thibault
Bazin. Pas avec votre politique familiale !
M. Édouard
Philippe, Premier ministre. Nous ne voulons pas non plus prendre
le risque de faire peser sur les générations futures et sur les impôts futurs le
poids du financement de nos retraites. C’est à notre génération de relever ce
défi et c’est aussi un enjeu de justice sociale.
Pour assurer l’équilibre
du système en 2027, le Gouvernement a formulé des propositions. La négociation
s’est engagée. Elle a conduit à un compromis. Ce compromis a pris la forme d’une
conférence sur l’équilibre et le financement du système de retraite dont une
organisation syndicale a proposé le principe. Cette conférence a commencé ses
travaux qui portent au fond sur deux sujets : l’équilibre de court terme, à
l’horizon 2027, et le pilotage de long terme pour les décennies qui
suivront.
S’agissant de l’équilibre financier de court terme, nous avons
retenu un besoin de financement de 12 milliards d’euros. Ce chiffre, nous
ne l’avons pas inventé : il est une moyenne des projections du Conseil
d’orientation des retraites dont personne ici ne conteste l’indépendance.
Certains le trouvent trop élevé, d’autres trop bas. La vérité, c’est qu’il se
fonde sur des hypothèses économiques de croissance et d’emploi objectivement
plutôt favorables – et que nous serons tous très heureux ici de voir se
confirmer durant les sept prochaines années.
J’avais pour ma part proposé
une mesure d’âge, le fameux âge pivot,…
M. Damien
Abad. La majorité n’en veut pas !
M. Édouard
Philippe, Premier ministre. …qui me paraissait à la fois efficace
et juste puisqu’elle permettait à des salariés modestes de partir jusqu’à trois
ans plus tôt que l’âge d’annulation de la décote.
M. Michel
Herbillon. Pourquoi avez-vous reculé ?
M. Édouard
Philippe, Premier ministre. J’ai accepté de la retirer…
M.
Jean-Paul Lecoq. Et vous avez eu raison !
M. Édouard
Philippe, Premier ministre. …pour que le dialogue social s’empare
de cette question. J’ai néanmoins indiqué que nous rejetterions toute
proposition qui conduirait à baisser les pensions ou à augmenter le coût du
travail. Et c’est sur ce fondement que s’engage la conférence de financement,
fondement que d’ailleurs les deux organisations syndicales qui l’ont quittée
n’avaient jamais accepté.
Je ne surprendrai personne si je redis qu’il me
paraît difficile, voire probablement impossible, d’atteindre cet équilibre sans
travailler plus longtemps.
M. Damien
Abad. Eh oui !
M. Thibault
Bazin. Ce n’est pas dans le texte…
M. Édouard
Philippe, Premier ministre. Je ne pense pas être le seul.
D’autres gouvernements, de tous bords politiques, l’ont fait et avec beaucoup de
courage.
M. Pierre
Cordier. Il fallait le dire avant !
M. Édouard
Philippe, Premier ministre. Les pays comparables à la France
l’ont fait aussi et eux aussi avec beaucoup de courage. Et je l’ai toujours dit.
(Exclamations sur les bancs du groupe LR.) Les Français savent qu’il faut
tenir compte de la diminution du nombre relatif d’actifs par rapport aux
retraités et de l’allongement de la durée de vie après la retraite. De fait,
beaucoup travaillent déjà plus longtemps pour améliorer leur pension de
retraite.
Les discussions vont continuer. J’avais pris un engagement de
confiance auprès des organisations syndicales : celui d’insérer dans le
projet de loi les mesures d’équilibre sur lesquelles elles parviendraient à
s’accorder. Cet engagement, je le réitère et je le tiendrai.
(M. Stanislas Guerini applaudit.)
J’ai entendu
l’impatience que certains ont exprimée sur ces bancs. Mais on ne peut pas, d’un
côté, déplorer la faiblesse du dialogue social et, de l’autre, ne pas lui
laisser le temps de faire des propositions. (Mme Olivia
Gregoire applaudit.) Nous avons des interlocuteurs syndicaux
compétents, qui connaissent parfaitement ces questions – des personnalités
qui ont su prendre leurs responsabilités quand il a fallu garantir l’équilibre
des régimes de retraites complémentaires. Autant de raisons qui nous conduisent
à leur accorder notre confiance, quitte à prendre nos responsabilités si ce
dialogue devait se révéler infructueux.
En ce qui concerne le pilotage
financier de long terme, le projet de loi prévoit des garanties solides, très
transparentes, très démocratiques, qui tranchent, me semble-t-il, avec la
complexité actuelle, voire avec la forme d’opacité actuelle. C’est la fixation
d’une règle d’or pour garantir un équilibre sur une période de cinq ans, façon
intelligente de lisser les accidents conjoncturels dans un esprit de
responsabilité. (Applaudissements sur quelques bancs des groupes LaREM et
UDI-Agir.)
M.
Jean-Christophe Lagarde. Très bien !
M. Édouard
Philippe, Premier ministre. C’est l’articulation de cette règle
avec des projections de très long terme pour tenir compte des évolutions, d’une
génération sur l’autre, de la démographie et de l’allongement de la durée de vie
en bonne santé.
Nous confions le pilotage du système à un seul
organisme : la Caisse nationale de retraite universelle, dont le conseil
d’administration se composera de représentants des employeurs privés et publics
et des organisations syndicales.
M.
Jean-Christophe Lagarde. Et du Parlement !
M. Édouard
Philippe, Premier ministre. On peut contester la primauté que
nous donnons aux partenaires sociaux, contester le rôle important que va y jouer
le Parlement, en contester le souci d’équilibre de long terme. Mais qu’on ne
nous dise pas que ces règles seraient complexes, technocratiques et
centralisatrices. Je serais assez curieux de savoir ce que proposent ceux qui
les critiquent.
M. Thibault
Bazin. Nous voulons que le Parlement joue un vrai rôle !
M. Édouard
Philippe, Premier ministre. S’il s’agit de conserver les règles
actuelles, bon courage pour expliquer le fonctionnement aussi brièvement que je
viens de le faire pour celles de la nouvelle gouvernance que nous proposons.
(Applaudissements sur les bancs du groupe LaREM.
– Exclamations sur les bancs du groupe GDR.)
Le
système universel de retraite est également une chance historique de repenser le
rapport que nous entretenons avec le travail tout au long de la vie, de repenser
la prévention et la compensation de sa dureté ou de sa dangerosité – que
personne ne conteste –,….
M. Stéphane
Peu. Pourquoi ne pas en débattre à l’Assemblée ?
M. Édouard
Philippe, Premier ministre. …de repenser la place des
travailleurs expérimentés, de valoriser l’expérience et sa transmission,
d’offrir plus de souplesse et de liberté pour organiser sa fin de carrière. Pour
y parvenir, nous avons besoin de la vision des partenaires sociaux. C’est le
sens des chantiers que nous leur avons confiés au mois de décembre et sur
lesquels le dialogue social a déjà permis de consacrer de nouveaux droits. Je
prends deux exemples.
Le premier concerne la gestion des fins de
carrière, qui suscite des inquiétudes chez les salariés les plus expérimentés et
qui s’apparente souvent, parce que notre société ne l’a pas organisée, à un
effroyable gâchis de compétences et, d’une certaine façon, à un intolérable
gâchis humain. C’est pourquoi la réforme maintient l’ouverture de la retraite
progressive à 60 ans et en facilite l’accès. Et nous étendons cette
possibilité et ces facilités aux agents de la fonction publique.
Nous
avons également déplafonné le compte épargne temps dans la fonction publique
pour qu’en fin de carrière, une aide-soignante ou une infirmière, par exemple,
puisse travailler à mi-temps. Elle pourra ainsi partager son expérience, tout en
préservant sa santé. (Applaudissements sur quelques bancs du groupe
LaREM.)
Compte tenu de l’importance du sujet, je trouve fascinant que
cela donne presque l’impression de n’intéresser personne. C’est pourtant
essentiel. (Applaudissements sur les bancs du groupe LaREM.
– Protestations sur les bancs du groupe GDR.)
M. Stéphane
Peu. Nous, on réagit ; c’est la majorité qui dort !
M. Fabien
Roussel. C’est elle qui est anesthésiée !
M. Édouard
Philippe, Premier ministre. Au temps pour moi : j’ai cru un
moment que j’avais cessé de vous intéresser. (Sourires sur les bancs du
groupe LaREM. – Exclamations sur les bancs des groupes SOC et
GDR.) Je vous prie de bien vouloir m’excuser.
M.
Christian Hutin. Une infirmière à mi-temps, ça ne peut pas gagner sa
vie !
M. Édouard
Philippe, Premier ministre. Nous avons également engagé des
réflexions extrêmement innovantes sur le plan social, qui aboutiront à la
création de nouveaux droits. Je pense à la création d’un compte épargne temps
qui suivrait les salariés tout au long de leur carrière professionnelle.
Contrairement à ce qui se passe aujourd’hui, ils pourraient le faire valoir
quelles que soient les évolutions de leur carrière. C’est évidemment un
progrès.
Grâce à la réforme du système universel de retraite, nous
pouvons raisonner non plus en statuts, mais en parcours de vie et de métiers, en
situations réellement vécues. Cette différence d’approche heurte les habitudes
de ceux qui, en France, ont l’habitude de raisonner à partir de statuts figés
qui vous accompagnent durant toute une vie, mais je crois que l’évolution du
monde du travail tel qu’il est incite plutôt à penser hors statuts et à prendre
en compte la réalité des vies professionnelles et des évolutions de carrière.
(Applaudissements sur les bancs des groupes LaREM, MODEM et UDI-Agir.
– Exclamations sur les bancs des groupes SOC et GDR.)
M. Stéphane
Peu. Hors statut, c’est la jungle !
M. Édouard
Philippe, Premier ministre. Le second exemple concerne la prise
en compte de la pénibilité. Nous le savons tous : si, pour beaucoup d’entre
nous, singulièrement ici, le travail est un accomplissement, un investissement,
une reconnaissance, il est aussi, dans beaucoup de métiers, une source d’usure,
de fatigue, parfois même de maladie et de handicap.
M.
Jean-Paul Dufrègne. C’est sûr !
M. Édouard
Philippe, Premier ministre. Il est évident qu’on ne peut pas
concevoir un nouveau système de retraite, sans tenir compte de cette
réalité.
M. Stéphane
Peu. À quel âge les marins pourront-ils partir ?
M. Édouard
Philippe, Premier ministre. Les attentes sont très fortes, j’en
ai conscience, et je les partage, mais, là encore, personne ne peut prétendre
que la situation actuelle serait idéale et juste.
M. Stéphane
Peu. À quel âge les infirmières pourront-elles partir ?
M. Édouard
Philippe, Premier ministre. Cette situation, ce sont des gestes,
des risques, des souffrances qui, aujourd’hui, n’ouvrent pas les mêmes droits
selon que l’on travaille dans le secteur privé ou dans le secteur public, à
Paris ou en province. C’est pour rétablir l’équité que nous devons tout remettre
à plat et définir des règles claires, qui soient les mêmes pour tous.
(Applaudissements sur les bancs du groupe LaREM.) Ces règles doivent
s’attacher aux métiers beaucoup plus qu’aux statuts.
Nous avons d’abord
mis l’accent sur la prévention des risques. Nous avons ainsi demandé aux
branches d’ouvrir des discussions pour repérer, dans leur secteur d’activité,
les métiers qui exposent leurs salariés aux trois facteurs que sont : les
postures, le port de charges lourdes et la manutention. (Exclamations sur
plusieurs bancs des groupes SOC et GDR.)
M. Stéphane
Peu. Mais c’est vous qui avez fait disparaître des textes ces facteurs
de pénibilité !
M. Édouard
Philippe, Premier ministre. La branche accidents du travail de la
sécurité sociale doublera son engagement financier pour financer, avec les
entreprises, des actions de prévention.
Le projet de loi reconnaît et
organise un droit à la reconversion. Son objectif : permettre à un salarié
qui a été exposé à un risque important durant dix, quinze ou vingt ans de
bénéficier d’une formation longue de six mois, rémunérée, pour changer de métier
et avoir ainsi une activité qui ménage son organisme. (Applaudissements sur
les bancs du groupe LaREM.)
M. Stéphane
Peu. Il faut faire les deux, sinon ce sont des promesses de
Gascon !
M. Édouard
Philippe, Premier ministre. Parce que c’est formidable de
compenser la pénibilité en fin de carrière, mais c’est quand même beaucoup plus
intelligent de faire en sorte qu’au milieu de sa vie professionnelle on puisse
ne plus être soumis à cette pénibilité. (Vifs applaudissements sur les bancs
du groupe LaREM.)
M. Pierre
Cordier. De quels métiers parlez-vous ?
M. Édouard
Philippe, Premier ministre. Nous avons retenu le principe d’une
visite médicale pour l’ensemble des salariés âgés de 55 ans qui effectuent
un métier pénible pour les inviter, le cas échéant, à faire valoir leur droit à
un départ anticipé. Car nous savons que s’il est formidable de créer un droit,
il est beaucoup mieux de faire en sorte qu’il s’applique.
M.
Jean-Paul Lecoq. Dites ça aux travailleurs handicapés ! Le droit
existe, mais ils n’ont pas de boulot !
M. Édouard
Philippe, Premier ministre. Cette visite médicale à 55 ans
permettra de dire aux salariés concernés quels sont les droits qu’ils peuvent
réclamer et dont ils peuvent légitimement bénéficier. (Applaudissements sur
les bancs du groupe LaREM.)
Nous avons également étendu la
reconnaissance de la pénibilité aux agents de la fonction publique, qui
n’étaient pas concernés jusqu’à présent. Pour certains personnels, en
particulier ceux de la fonction publique hospitalière, cela met fin à une
véritable injustice. (Mme Olivia Gregoire et
Mme Marie-Christine Verdier-Jouclas
applaudissent.)
On le sait, la question et les modalités de la
réparation de la pénibilité ne font pas pour l’instant l’objet d’un consensus
entre les organisations patronales et syndicales.
M. Alain
Bruneel. C’est affolant !
M. Édouard
Philippe, Premier ministre. Les discussions continuent en lien
étroit avec celles qui ont toujours lieu dans le cadre de la conférence de
financement. Pour ma part, je suis sûr que nous pouvons trouver des solutions
intelligentes et collectives. Là encore, comme sur la question du financement,
je tiens à dire qu’à défaut le Gouvernement et le Parlement prendront leurs
responsabilités. (Applaudissements sur quelques bancs du groupe
LaREM.)
Oui, cette réforme est ambitieuse. Oui, elle est complexe,
c’est vrai, car elle implique de revoir de fond en comble des règles qui sont
devenues des « trappes à inégalités ».
M. Stéphane
Peu. Elle doit aussi être « trop subtile » !
M. Édouard
Philippe, Premier ministre. Ces inégalités se reproduisent de
génération en génération et condamnent des centaines de milliers de seniors à la
précarité. Avec le système universel, nous proposons des règles justes, des
règles claires, qui sont les mêmes pour tous, qui tiennent compte de la réalité
du travail, des rythmes de vie, des aspirations. Ces règles évolueront et se
consolideront avec le temps, grâce à la mise en place très progressive du
nouveau régime au fil des ans, sous le contrôle et l’autorité des partenaires
sociaux et du Parlement. Ces règles offrent plus de libertéset plus de
sécurité.
Plus de liberté et en même temps plus de sécurité : c’est
très exactement la philosophie qui n’a eu de cesse de nous animer depuis que
nous sommes aux affaires. Nous assumons d’avoir donné plus de libertés à celles
et ceux, très nombreux dans notre pays, qui veulent innover et entreprendre.
(« Vous devriez
applaudir ! » sur plusieurs bancs du
groupe GDR. – Applaudissements sur les bancs du groupe
LaREM.)
Nous assumons d’avoir fait en sorte que le travail paye plus
que l’inactivité : quand on travaille dur, quand on hypothèque parfois sa
maison pour acquérir un commerce ou monter une entreprise, on doit pouvoir en
être récompensé. Nous assumons d’avoir baissé le poids de la fiscalité…
M. Fabien
Roussel. Pour Bernard Arnault !
M. Édouard
Philippe, Premier ministre. …qui avait atteint dans notre pays
des niveaux insupportables, pas uniquement pour les entreprises, mais pour des
millions de contribuables très modestes, qui se retrouvaient étranglés par les
taxes. (Applaudissements sur les bancs du groupe LaREM.)
M. Fabien
Roussel. C’est la baisse des impôts pour les plus riches !
M. Édouard
Philippe, Premier ministre. C’est le sens de la diminution
d’impôt dont bénéficient les plus modestes, soit une baisse de 5 milliards
d’euros de l’impôt sur le revenu des personnes physiques, dont chacun a pu
sentir l’effet compte tenu du succès du prélèvement à la source.
Dans le
même temps, cette majorité, que j’ai l’honneur de conduire, a considérablement
renforcé la solidarité que la Nation doit aux plus fragiles.
M. Pierre
Cordier. Vous êtes les seuls à y croire !
M. Édouard
Philippe, Premier ministre. Notre conception, ce n’est pas de
créer des droits théoriques, sans réalité ni financement – cela s’est
vu –, et ce n’est pas davantage de traiter uniquement les symptômes de la
fragilité sociale, mais plutôt d’essayer de s’attaquer à ses origines pour
éviter que cette fragilité se transmette, pour combattre les inégalités à la
racine comme le dit souvent le Président de la République, pour les faire
reculer et peut-être un jour, nous l’espérons tous, les faire disparaître. Cette
démarche est forcément beaucoup plus difficile et exigeante, car elle nécessite
souvent de revoir les choses dans leur totalité.
Nous sommes fiers
d’avoir redonné des perspectives d’avenir à des centaines de milliers de jeunes
et à leurs familles, en développant l’apprentissage dans des proportions jamais
atteintes. (Applaudissements sur les bancs des groupes LaREM et
MODEM.)
Nous sommes fiers d’avoir investi massivement dans les
compétences des hommes et des femmes de notre pays. Et c’est avec fierté que
nous avons augmenté comme jamais les minima sociaux, tout en s’assurant que ceux
qui y avaient droit en bénéficient vraiment. (Applaudissements sur les bancs
des groupes LaREM et MODEM.) Nous sommes fiers de nous être attaqués à des
difficultés extrêmement concrètes, comme la prise en charge à 100 % des
appareils auditifs, des lunettes ou des prothèses dentaires.
(Applaudissements sur les bancs du groupe LaREM.
– Exclamations sur les bancs des groupes LR et GDR.) Ce
n’est pas spectaculaire, mais ça change concrètement la vie de millions de nos
concitoyens.
M. Damien
Abad. C’est faux !
M. Fabien
Roussel. Et les mutuelles dont le prix augmente !
Mme
Frédérique Meunier. Ces lunettes, il faut aller les chercher en
Chine !
M. Édouard
Philippe, Premier ministre. Vous déposez deux motions de censure.
C’est parfaitement votre droit. Chacun l’assumera devant les Français, mais cela
ne nous empêchera pas de continuer à réparer notre modèle social pour l’adapter
à d’autres défis. Je pense en particulier à la prise en charge du grand âge et
de la perte d’autonomie pour lesquels, notre pays n’est pas suffisamment
organisé. (Applaudissements sur les bancs des groupes LaREM, MODEM et
UDI-Agir.)
Mme
Caroline Fiat. Ce n’est même pas financé !
M. Édouard
Philippe, Premier ministre. Je pense au déploiement du service
public de versement des pensions alimentaires. Je pense au service national
universel.
Nous ferons ainsi vivre, mesdames et messieurs les députés,
l’idéal de fraternité sur lequel se fonde le modèle social français. Un modèle
dont la solidité repose sur un équilibre entre des droits et des devoirs.
M. Stéphane
Peu. Avec un peu d’équité aussi ?
M. Alain
Bruneel. Avec vous, il n’y a pas de modèle social qui tienne !
M. Édouard
Philippe, Premier ministre. Un modèle qui nous protège
collectivement des aléas de la mondialisation, et qui fait que l’on espère en
France et qu’on se bat pour vivre libres et égaux en droits. Ce modèle est notre
bien le plus précieux ; c’est notre trésor national. Il n’est pas figé, il
ne doit pas l’être. Rien ni personne ne pourra nous empêcher de le renforcer.
Nous devons le réparer quand il fonctionne moins bien, pour le transmettre à nos
enfants.
C’est la mission pour laquelle nous avons été élus, et c’est
cette mission que nous voulons conduire jusqu’à son terme, avec le soutien de la
majorité. (Mmes et MM. les députés des groupes LaREM et
MODEM se lèvent et applaudissent longuement. Applaudissements sur les bancs du
groupe UDI-Agir.)
M. Richard
Ferrand, Président. La discussion commune est
close.
4
Ordre du jour de la prochaine séance
M. le
président. Prochaine séance, à vingt-deux heures
quinze :
Explications de vote et vote sur chacune des deux motions
de censure.
La séance est levée.
(La séance est levée à vingt heures quarante.)
Le Directeur du service du compte rendu de la séance
de
l’Assemblée nationale
Serge Ezdra
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