Assemblée nationale XVe législature Session
ordinaire de 2019-2020
Compte rendu intégral
Deuxième séance du mardi 03 mars 2020
Présidence de
M. Richard Ferrand
M. le
président. La séance est ouverte.
(La séance est ouverte à vingt-deux heures quinze.)
1
Motions de censure
M. le
président. L’ordre du jour appelle les explications de vote et les votes
sur les deux motions de censure déposées en application de l’article 49,
alinéa 3 de la Constitution.
Explications de vote
(Motion de censure de
M. Damien Abad)
M. le
président. Nous allons tout d’abord entendre les explications de vote
sur la motion de censure déposée par M. Damien Abad et quatre-vingts
députés.
La parole est à M. Éric Woerth.
M. Éric
Woerth. Ce ne sera pas un énorme scoop : le groupe Les Républicains
votera la motion de censure qu’il a lui-même déposée ! (Applaudissements
sur les bancs du groupe LR.)
M. Raphaël
Schellenberger. Bravo ! Nous sommes cohérents !
M. Éric
Woerth. Un mot pour rappeler qu’il n’y a pas une, mais des oppositions
– qui se respectent, mais ne se ressemblent pas, et qui ont des convictions
différentes.
M.
Sébastien Jumel. Je confirme !
M. Éric
Woerth. Les Républicains sont favorables à la poursuite du cycle de
réformes des retraites. Comme vous, monsieur le Premier ministre, nous
souhaitons la suppression des régimes spéciaux, l’augmentation du minimum
garanti et la convergence entre le public et le privé.
Cela étant dit,
nous divergeons sur l’essentiel : votre réforme est inutilement compliquée.
Où sont les insupportables injustices qui nécessitent, selon vous, de refonder
totalement le système ? Avec bon sens, nous avons mis en face de votre
réforme, depuis plusieurs mois, un projet alternatif – plus juste, plus
lisible et plus efficace.
Cette réforme est née sous de mauvais
auspices : démission du ministre, avis très sévère du Conseil d’État,
commission tronquée – d’autres, dont le président Abad, en ont fait la
liste avant moi.
M. Guy
Teissier. Excellent !
M. Éric
Woerth. Le recours à l’article 49, alinéa 3, de la
Constitution dans ce contexte soulève deux questions qui dépassent le sujet des
retraites : celle de la capacité de l’Assemblée à légiférer sur des sujets
complexes et celle de la capacité du Gouvernement à savoir patienter quand il
n’y a pas d’urgence.
Vous auriez dû avoir le courage d’aller jusqu’au
bout du débat.
M. Patrick
Hetzel. Très bien !
M. Éric
Woerth. Vous auriez dû aller au bout de la conférence de financement
avant de discuter du texte à l’Assemblée : nous vous avions demandé dès le
début de suspendre le débat parlementaire dans cette attente.
M.
Jean-Marie Sermier. Demande légitime !
M. Éric
Woerth. Il fallait, surtout, tenir cette conférence il y a un an et
parler rapidement des sujets qui fâchent, au lieu d’attendre deux ans pour voir
les partenaires sociaux la quitter à contretemps, l’un après l’autre. Il fallait
organiser une concertation avec les principales formations politiques, au lieu
de livrer à l’Assemblée un texte verrouillé d’avance. Il fallait faire usage du
temps législatif programmé, procédure parfaitement adaptée à ce type de
texte ; vous l’avez écartée de façon désinvolte. Résultat : à texte
chaotique, débat chaotique.
Enfin et surtout, il fallait une autre
réforme. Vous avez placé votre texte sous le double signe de la justice et de
l’universalité, mais le nouveau système ne sera pas vraiment plus juste
– ni pour les femmes ni pour les carrières hachées, contrairement à ce que
vous répétez souvent – ni réellement universel. Résultat : les
Français n’y comprennent plus rien. Tout à l’heure, vos propos, monsieur le
Premier ministre, ont été surréalistes : sans doute ne parliez-vous pas du
texte que nous avons commencé à examiner, mais d’un texte dont vous avez rêvé
– un rêve que je comprendrais aisément !
Un âge pivot, vous le
savez bien, est en réalité une baisse des pensions qui ne s’assume pas.
Augmenter l’âge légal de départ serait plus juste, plus clair et deux fois plus
efficace financièrement. Le halo d’universalité que vous avez voulu créer,
inutilement et artificiellement, n’a pas résisté longtemps, et vous avez été
obligés de recréer autant de sous-régimes que d’exceptions. Construire un socle
universel, par exemple limité à un plafond de la sécurité sociale, dans le
respect de la diversité des métiers, aurait représenté une bonne
orientation.
Aujourd’hui, votre texte est incomplet. Incroyable décision
que de soumettre à la représentation nationale un texte sans aucune mesure de
financement et sans détailler l’impact, direct et indirect, qu’il aura sur
l’équilibre de nos finances publiques !
M. Frédéric
Reiss. Du jamais vu !
M. Éric
Woerth. De trop longues phases de transition étirent la réforme comme un
chewing-gum et lui font perdre tout son sens. Qui peut se projeter à vingt,
trente ou quarante ans ? Plutôt que d’ouvrir la porte à une logique par
activité ou par métier, vous auriez été mieux inspirés de définir un système
réellement universel de pénibilité, fondé avant tout sur l’usure physique au
travail.
Mais la faute principale réside, j’y reviens, dans
l’illisibilité de ce projet. Les Français attendaient du pragmatisme là où votre
réforme est essentiellement idéologique. La loi est forte quand elle est simple,
quand elle est compréhensible, quand elle est discutée et expliquée. Qui, parmi
les Français, peut dire, maintenant ou demain, si sa retraite sera meilleure
après votre réforme qu’avant ? Absolument personne.
M. Daniel
Fasquelle. C’est impossible !
M. Éric
Woerth. Je n’arrive pas à comprendre comment vous avez pu vous mettre
dans une telle situation : vous tromper de réforme et vous tromper de
méthode ; sans doute en n’écoutant personne. Tout cela est un énorme gâchis
de bonne volonté et d’énergie. Et l’énergie d’une nation est une énergie
renouvelable, pas une usine à gaz !
M. Raphaël
Schellenberger. Ils aiment le gaz puisqu’ils ferment les centrales
nucléaires !
M. Éric
Woerth. Voilà pourquoi Les Républicains ont déposé cette motion de
censure. (Applaudissements et
« Bravo ! » sur les
bancs du groupe LR.)
M. le
président. La parole est à M. Sébastien Jumel.
M.
Sébastien Jumel. Après l’électrochoc social et territorial du mouvement
des gilets jaunes, symbole d’une République fractionnée, de territoires oubliés
et d’habitants qui n’en peuvent plus d’être humiliés, le grand débat national
lancé à Grand Bourgtheroulde nous promettait une nouvelle phase du quinquennat,
fondée sur un changement de méthode : écoute, dialogue, proximité. Comme si
le président des riches avait subitement pris conscience que l’urgence était
désormais de réconcilier la France avec elle-même.
À la fin de
l’été 2019, Emmanuel Macron n’avait-il pas promis, au journal télévisé de
France 2, un grand débat sur le régime universel de retraite ? Il
disait : « Je veux qu’on incarne le changement de méthode que j’ai
souhaité, c’est-à-dire qu’on va la construire tous ensemble, cette
réforme ». Le moins que l’on puisse dire, c’est qu’avec le recours brutal,
isolé et inopportun au 49.3, l’échec du Président de la République et de sa
majorité est sans appel.
Comment pouvait-il en être autrement puisque,
dès le début, les règles du jeu préétablies et les conclusions prérédigées du
rapport Delevoye sont venues déséquilibrer le dialogue social, dont l’échec de
la conférence de financement vient aujourd’hui de sonner le glas ? Comment
pouvait-il en être autrement avec un pouvoir qui dit aux corps constitués, dans
une forme de mépris : « Ne vous occupez de rien, je m’occupe du
reste » ? Autrement dit, vous voulez parler retraite sans associer les
organisations syndicales…
Un député du groupe
LaREM. C’est faux !
M.
Sébastien Jumel. …et en dehors du Parlement, mais pas touche au taux de
cotisation, pas touche à l’assiette pour des alternatives de financement et hors
de question – universalité oblige – de prendre en compte la
spécificité des métiers ou même la place singulière des femmes ! La seule
variable que vous pourrez discuter, c’est l’âge de départ !
Comment
pouvait-il en être autrement avec une étude d’impact pipée, tronquée et
approximative, non seulement du point de vue de l’opposition – ce qui, dans
une démocratie, est plutôt sain –, mais de celui de la plus haute
juridiction de notre pays, le Conseil d’État, et de l’ensemble des spécialistes,
y compris de ceux qui avaient inspiré votre réforme ? Cette insécurité
juridique légitime la demande d’une commission d’enquête sur l’étude d’impact,
formulée par nos collègues du groupe Socialistes et apparentés.
Depuis le
début donc, vous marchez seuls : contre les organisations syndicales, que
vous avez voulu affaiblir avec la casse du droit du travail ; contre les
corps constitués ; contre l’opinion publique, trop imbécile à vos yeux pour
mesurer la subtilité du texte ou pour être autorisée à s’exprimer par voie
référendaire ; contre les agriculteurs, que vous roulez dans la
farine ; contre les avocats. Au point qu’il n’y a plus personne
aujourd’hui, pas même le MEDEF, pour vous défendre.
Mais seuls aussi
contre vos oppositions qui, bien que diverses – cela n’a échappé à
personne –, ont su se rassembler pour faire obstacle à un projet qui abîme
la France et son pacte social hérité du Conseil national de la Résistance.
M.
Sébastien Leclerc. C’est vrai !
M.
Sébastien Jumel. Contrairement aux éléments de langage distribués dès le
début aux membres de la majorité, les débats en commission spéciale, et même
dans l’hémicycle, ont été sérieux, argumentés et de qualité.
M. Thibault
Bazin. Tout à fait !
M.
Sébastien Jumel. Cependant, nous avons vite constaté que les questions
posées, qu’elles l’aient été avec l’expertise du président Woerth sur votre
incapacité à produire des maquettes financières, avec la sagacité de Boris
Vallaud sur l’inconstitutionnalité de la réforme – et je ne parle pas
uniquement des mesures relatives aux enseignants –, ou avec la combativité
des communistes et des insoumis, vous ont profondément dérangés et
indisposés ; qu’elles vous ont rendus et vous rendent encore fébriles face
à une opinion publique toujours aussi peu convaincue.
(Mme Marie-George Buffet applaudit.)
Taux de
remplacement, pénibilité, espérance de vie en bonne santé, inégalités entre les
femmes et les hommes, valeur du point, épaisseur du paquet de Smarties que vous
livrerez à la capitalisation : autant de questions qui sont restées sans
réponse.
Chers collègues, pour être tout à fait transparents, fidèles à
l’héritage du Conseil national de la Résistance, nous avions envisagé de voter
la motion déposée par Les Républicains, avec l’objectif unique de sanctionner le
Gouvernement. Mais force est de constater que les gaullistes ont déserté les
bancs de la droite. (Protestations sur les bancs du groupe LR.)
M. Éric
Straumann. C’est faux !
M. Raphaël
Schellenberger. On va bientôt apprendre que les communistes sont
gaullistes !
M.
Sébastien Jumel. Le sectarisme de l’intervention du président Abad et le
recul que son projet représente pour les salariés, les fonctionnaires et les
régimes spéciaux, dont nous sommes les porte-voix, ne nous le permettent pas et
nous le regrettons. (Applaudissements sur les bancs des groupes GDR et
SOC.)
M. Pierre
Cordier. Où est Ambroise Croizat ?
M.
Sébastien Jumel. Quand la droite propose de travailler jusqu’à
65 ans, nous pensons au contraire qu’il est possible de financer une
retraite juste, solide et solidaire dès 60 ans. Quand la droite désigne les
régimes spéciaux comme des privilèges, nous pensons d’abord que les privilèges
sont ailleurs, chez les hauts revenus que votre réforme câline, et qu’il est
possible de niveler par le haut, suivant l’exemple des régimes des marins, des
cheminots et des électriciens et gaziers, pour faire profiter le plus grand
nombre de ces conquis sociaux.
Mme
Marie-George Buffet. Très bien !
M.
Sébastien Jumel. Face aux libéraux que vous êtes,…
M. Pierre
Cordier. Nous, libéraux ? Tu rigoles ?
M.
Sébastien Jumel. …face à l’abandon par la droite d’une certaine idée de
l’État – un État qui prend soin et qui protège –, de la loi qui régule
et du paritarisme, le groupe de la Gauche démocrate et républicaine considère
cette journée comme une étape, pour qu’en lien avec le mouvement social et la
colère de la rue, cet acte brutal, autoritaire et solitaire qu’est le recours au
49.3 soit sanctionné aujourd’hui et demain matin. (Applaudissements sur les
bancs des groupes GDR et SOC.)
M. le
président. La parole est à M. Jean-Paul Mattei.
M.
Jean-Paul Mattei. Le groupe du Mouvement démocrate et apparentés ne
votera pas la motion de censure émanant du groupe Les Républicains. (Huées
sur les bancs du groupe
LR. – Applaudissements sur les bancs des
groupes LaREM et MODEM.)
M. Raphaël
Schellenberger. Ils pourraient tenir cette position avec n’importe
quelle majorité !
M.
Jean-Paul Mattei. Bien sûr, on ne peut que déplorer le recours à
l’article 49, alinéa 3, de la Constitution. Il s’agit là d’un échec de
l’Assemblée nationale dans ses prérogatives consistant à faire et voter la loi.
Mais cet échec ne vient pas de nulle part : il a été savamment orchestré
par deux groupes d’opposition, au moyen d’une obstruction massive – je
dirais presque : avilissante. (Protestations sur les bancs du groupe
GDR.)
M.
Sébastien Jumel. Non !
Mme
Marie-George Buffet. Scandaleux !
M.
Jean-Paul Mattei. Si cette obstruction a été revendiquée et assumée
pendant un certain temps, il semble que certains, sur les bancs de la gauche,
aient désormais plus de mal à la reconnaître. Toutefois, ce revirement ne
trompera personne !
Nos collègues du groupe Les Républicains n’ont,
dans leur ensemble, pas participé à cette obstruction. (Approbation sur les
bancs du groupe LR.)
M. Raphaël
Schellenberger. Bravo ! Nous, nous avons travaillé !
M.
Jean-Paul Mattei. Ils en sont, comme nous, les victimes collatérales.
(Exclamations sur les bancs du groupe FI.)
Mme
Mathilde Panot. Il distribue les bons points !
M.
Jean-Paul Mattei. Nous le regrettons, car nous aurions aimé débattre
sereinement et confronter nos projets.
M. Pierre
Cordier. Très bien !
M.
Jean-Paul Mattei. Nous aurons, au total, passé quatre-vingts heures en
commission et treize jours en séance publique sans pouvoir discuter du fond des
idées que nous défendions. J’espère vivement que nous pourrons le faire à
l’occasion de l’examen de la loi organique, qui débutera demain après-midi, mais
surtout lors du retour du projet de loi ordinaire en nouvelle lecture au
printemps.
En effet, c’est comme cela qu’auraient dû se dérouler nos
discussions : une confrontation de nos conceptions de l’avenir de notre
système de retraites. Certains ont voulu l’empêcher, peut-être parce qu’ils ne
veulent rien changer ou parce qu’ils savent, au fond d’eux, la démagogie qui se
cache derrière leur proposition d’abaisser l’âge de la retraite à
60 ans.
M. Jean-Luc
Mélenchon. Vous n’y connaissez rien !
M.
Jean-Paul Mattei. Cette réforme est pourtant inéluctable, car on ne peut
pas continuer avec le système actuel – les économistes parlent à juste
titre du « triangle maudit » des retraites. Elle n’était pas non plus
une surprise, et le Président de la République l’avait annoncée dans son
programme de campagne,…
M. Jean-Luc
Mélenchon. Non !
M. Pierre
Cordier. Ce n’est pas vrai, il ne l’avait pas annoncée ainsi !
Mme
Mathilde Panot. Le programme n’évoquait ni l’âge ni la baisse du niveau
des pensions !
M.
Jean-Paul Mattei. …que la majorité présidentielle a partagé en se
présentant au suffrage de nos concitoyens.
Oui, ce texte incarne un
projet moderne de solidarité nationale, une réponse adéquate à l’impossible
perpétuation de l’existant en matière de retraites. Notre société change et il
faut être capable de l’accompagner avec des lois adaptées et créer un outil pour
l’avenir, afin de ne laisser personne sur le bord du chemin…
M. Jean-Luc
Mélenchon. C’est mal parti !
M.
Jean-Paul Mattei. …– ce qui arrivera si on ne change rien au
système actuel, qui n’est plus financé.
Bien sûr, la conception d’un
système universel par points constitue une innovation plus difficile à mettre en
œuvre qu’une simple augmentation de l’âge légal de départ, que prônent nos
collègues Les Républicains. Elle nécessite des projections, des transitions
longues. Tout cela est contenu dans le projet de loi et nous aurions pu vous
l’exposer si le débat avait été digne et si le droit d’amendement n’avait pas
été dévoyé de la sorte. Malheureusement, l’obstruction systémique et
paramétrique ne l’aura pas permis.
Ayant été présent durant la totalité
des débats en commission et en séance publique, j’ai assisté à un spectacle qui
m’a profondément déçu et attristé. Ses metteurs en scène, députés insoumis et
communistes, devraient se poser des questions. En privant leurs collègues de la
possibilité de débattre sur le fond, ils ont pris en otage la représentation
démocratique que nous assurons collectivement dans cet hémicycle.
Mme
Marie-George Buffet. Vous n’avez pas voulu débattre !
M.
Jean-Paul Mattei. Nous avons pris acte de l’impossibilité d’une
discussion claire et intelligible en séance publique, alors qu’elle avait été
possible, par moments, en commission spéciale. Dès lors, nous soutenons le
Gouvernement dans sa décision, responsable bien que forcée, d’engager sa
responsabilité sur le texte (Murmures sur plusieurs bancs du groupe GDR),
qui a d’ailleurs été largement amélioré par l’intégration de nombreux
amendements issus de tous les bancs – vous en avez fait ce soir la
brillante démonstration, monsieur le Premier ministre.
M. Michel
Herbillon. Très brillant !
M.
Jean-Paul Mattei. Quel dommage que nous n’ayons pas pu
débattre !
Le groupe du Mouvement démocrate et apparentés s’opposera
à la motion de censure parce qu’il soutient pleinement et activement le
Gouvernement. (Exclamations sur plusieurs bancs du groupe LR.)
M. Pierre
Cordier. Et Jean-Louis Bourlanges aussi !
M.
Jean-Paul Mattei. Nous invitons nos collègues à retrouver leur raison
républicaine et à reboucher leurs fameuses tranchées pour revenir à un travail
parlementaire sérieux, respectueux et digne de cette belle maison,…
Mme
Marie-George Buffet. Ne nous faites pas la leçon !
M.
Jean-Paul Mattei. …un travail qui témoigne auprès de nos concitoyens
que, dans cet hémicycle, nous savons vivre avec notre temps.
(Applaudissements sur les bancs des groupes MODEM et LaREM.
– Exclamations sur les bancs des groupes FI et GDR.)
M. le
président. La parole est à M. Olivier Faure.
M. Olivier
Faure. Puisque nous parlons de la motion de censure déposée par la
droite, je voudrais commencer par remercier le président Abad. C’est un homme de
droite qui s’assume, qui n’a pas la droite honteuse, tout comme, sur nos bancs,
nous n’avons pas la gauche honteuse.
Dans votre discours, monsieur Abad,
vous avez rappelé chacun à sa vocation : faire de la politique et énoncer
des choix. Le débat n’oppose pas les gentils aux méchants, les élus de bonne
volonté aux éternels réfractaires, les obstructeurs aux réformateurs. Non, le
débat oppose des conceptions différentes de notre modèle social et de son
avenir.
Mme Sylvie
Tolmont. C’est ça !
M. Olivier
Faure. Rien n’est pire que l’indifférenciation des projets. La
confusion, ce n’est jamais la démocratie. Elle l’interdit même, en privant nos
concitoyens de leur choix. La triangulation, c’est-à-dire la captation des
thèmes et des mots de la concurrence pour mieux les vider de leur sens, ce n’est
pas non plus la démocratie. Chacun doit s’assumer et être jugé sur ses
choix.
M. Thibault
Bazin. Il a raison !
M. Olivier
Faure. Quand, dans le débat, on appelle un progrès une injustice, la
violence est double. Quand les mots n’ont plus de sens, la confiance n’est plus
possible. (Approbation sur plusieurs bancs du groupe LR.)
Dans le
système proposé, il y aura, bien sûr, quelques gagnants, qui apparaissent
d’ailleurs tous dans l’étude d’impact. Il y aura aussi beaucoup de perdants
mais, comme par hasard, ils en sont absents.
J’espère, mes chers
collègues, que vous permettrez demain à la démocratie d’avancer en autorisant la
création de la commission d’enquête dont la demande sera défendue par Boris
Vallaud.
Chacun doit assumer ses choix, comme l’a fait le président Abad.
Dans la motion de censure des Républicains, il est reproché au projet de loi
instituant un système universel de retraite de « refuser d’assumer le recul
de l’âge légal ». Monsieur Abad, vous êtes cash, puisque vous proposez
d’élever cet âge à 65 ans,…
M.
Pierre-Henri Dumont. 64 ans !
M. Olivier
Faure. …alors que le Gouvernement joue à cache-cache avec l’âge pivot,
fixé exactement au même âge. (Exclamations sur plusieurs bancs du groupe
LR.)
Dans les deux cas, les projets ont pour effet, vous le
reconnaîtrez, de faire reposer le financement des retraites sur des salariés qui
cotiseront plus longtemps, au-delà de quarante-trois annuités. Ce sont ceux qui
ont des métiers pénibles, des métiers d’exécution, les salariés à l’espérance de
vie la plus faible, qui paieront la retraite des autres.
M. Raphaël
Schellenberger. C’est caricatural ! C’est ça qui vous a menés à
votre perte !
M. Olivier
Faure. Ils cotiseront plus longtemps, avec une espérance de vie plus
faible. C’est mathématique !
Vous avez le mérite de ne pas vous
cacher, mais le résultat est le même. Tout repose sur l’âge de départ, alors que
le système actuel, certes imparfait, repose sur une durée de cotisation
identique pour tous.
Votre financement, parce qu’il repose sur le recul
de l’âge légal pour Les Républicains ou sur un âge d’équilibre pour La
République en marche, est en réalité identique. Votre système de financement,
c’est la sueur des plus modestes.
M. Pierre
Cordier. Marisol, sors de ce corps !
M. Olivier
Faure. Nous pensons, quant à nous, que les ressources de la CADES
– Caisse d’amortissement de la dette sociale – et les revenus
financiers peuvent financer la solidarité.
Le second grand reproche
formulé par la motion de censure est que le projet de loi « repousse
l’extinction des régimes spéciaux ».
M. Michel
Herbillon. C’est sûr !
M. Olivier
Faure. Au fond, vous reprochez au Gouvernement de ne pas aller assez
vite. Là encore, pas de différence de fond entre vous, mais une différence de
rythme. Pour notre part, nous pensons qu’il faut introduire partout des critères
de pénibilité afin de permettre aux 25 % de salariés qui exercent leur
métier dans des conditions difficiles de partir à la retraite plus tôt.
(Applaudissements sur les bancs des groupes SOC et GDR)
Pour ces
différentes raisons, même si nous souscrivons aux critiques du groupe Les
Républicains quant au caractère bâclé et illisible de la réforme, à l’échec de
la concertation et à l’absence d’un débat complet en commission et en séance
publique, même si nous condamnons recours au 49.3 et le contournement des
critiques du Conseil d’État, nous pensons que la politique suppose de la
cohérence. Nous n’allons pas censurer un gouvernement qui fixe un âge
d’équilibre à 65 ans pour mieux approuver un groupe qui propose de reculer
l’âge légal à 65 ans. Par conséquent, le groupe Socialistes et apparentés
ne votera pas une motion de censure dont les idées sont à l’opposé de celles
qu’il défend. (Applaudissements sur les bancs des groupes SOC et
GDR.)
M. le
président. La parole est à M. Paul Christophe.
M. Paul
Christophe. Nous débattons ce soir d’une motion de censure défendue par
nos collègues du groupe Les Républicains. Bien évidemment, nous regrettons comme
vous l’utilisation de l’article 49, alinéa 3, de la Constitution de
1958. Son usage reste une prérogative de l’exécutif garantie par la
Constitution. Il repose sur une logique de responsabilité, l’Assemblée nationale
ne devant pas bloquer le fonctionnement des institutions.
Ce n’est jamais
une bonne nouvelle pour notre représentation nationale, lieu par excellence du
débat, que d’être privée de la possibilité d’achever l’examen d’un texte, de
surcroît lorsqu’il s’agit d’un projet de loi aussi structurant pour notre pays.
La réalité, cependant, c’est que nous n’avons pas eu besoin du Gouvernement pour
en arriver là. C’est bien à cause de l’action concertée et réfléchie de certains
groupes que notre assemblée est aujourd’hui enlisée. En commission spéciale
d’abord, puis dans l’hémicycle, nous avons assisté à la répétition sans fin
d’une mécanique bien huilée oscillant entre mauvaise foi et jeu de rôle.
M. Thibault
Bazin. Il n’y avait pas que ça !
M. Paul
Christophe. Cette caricature de débat à laquelle nous assistons depuis
deux semaines n’est qu’un mauvais théâtre, l’examen du texte se heurtant à une
stratégie d’obstruction délibérée de la part d’une minorité.
M. Raphaël
Schellenberger. Vous nous avez mis en scène ! C’est vous qui avez
monté le décor !
M. Paul
Christophe. Je le déplore vivement. Ce n’est pas ma conception du rôle
de l’élu, ce n’est pas le mandat pour lequel je me suis engagé avec passion au
service des Français.
M. Michel
Herbillon. Numéro d’équilibriste !
M. Paul
Christophe. La responsabilité du recours au 49.3 revient entièrement à
ces manœuvres d’obstruction, les mêmes ayant refusé le temps législatif
programmé de 120 heures proposé par le président de notre assemblée, une
durée inédite depuis la création du temps législatif programmé.
Les
autres groupes avaient indiqué leur volonté de participer au débat démocratique,
projet contre projet, argument contre argument. Notre groupe UDI, Agir et
indépendants considère qu’il est toujours préférable d’ajouter plutôt que de
supprimer, de contribuer, d’être force de proposition, plutôt que de s’enfermer
aveuglément dans une opposition stérile et dans l’immobilisme.
M. Michel
Herbillon. Vous êtes dans la majorité !
M. Paul
Christophe. Alors qu’ils sont légitimement attentifs au résultat d’un
débat qui engage leur futur pour les décennies à venir, les Français ne sortent
jamais gagnants de ces querelles et de ces postures.
Mme
Marie-George Buffet. C’est le débat !
M. Paul
Christophe. Le Parlement n’a donc pas été à la hauteur et je souhaite
que nous en tirions collectivement les leçons pour les débats à venir, afin de
ne pas abîmer notre République.
La majorité des députés de notre groupe
ne s’associera pas à la motion de censure défendue par le groupe Les
Républicains.
(« Ah ! » sur les
bancs du groupe LR.)
Certains d’entre nous la voteront,…
M. Thibault
Bazin. Les vrais, les loyaux !
M. Paul
Christophe. …pas tant pour renverser le Gouvernement que pour marquer
leur opposition à un texte sur lequel ils n’ont pas pu défendre leurs idées et
dont ils déplorent la méthode.
Tout en reconnaissant le travail sérieux
accompli par Les Républicains pendant les débats,…
Mme
Emmanuelle Anthoine. Ah !
M. Paul
Christophe. …je veux rappeler que ce texte porte en lui des principes
défendus depuis des années par notre groupe, comme la convergence entre le
secteur public et le secteur privé ou la suppression des régimes spéciaux.
Plutôt qu’un âge d’équilibre variable selon les générations, vous proposez de
reculer l’âge légal de départ à la retraite, mais rien n’indique que nos
compatriotes y soient plus favorables.
Aujourd’hui, notre modèle social,
fondé sur des solidarités interprofessionnelles de métiers et de corps, ne prend
plus en compte la réalité des parcours professionnels. Pire, il engendre des
fragmentations et des ruptures de droits face à la retraite. Par manque de
lisibilité, il crée également de la défiance. La multiplication des réformes
paramétriques depuis vingt ans a entraîné la perte de confiance des jeunes
générations dans sa viabilité. Or, sans l’effort des actifs, c’est tout notre
système qui vacille.
Nous approuvons le projet de refondation de notre
système de retraite vers un modèle à la fois plus solidaire et redistributif,
qui doit garantir son équilibre financier à long terme. Cela mérite de mettre
entre parenthèses les batailles politiques et les intérêts
particuliers.
Par ailleurs, le recours au 49.3 ne met pas fin au débat
parlementaire. L’examen du nouveau texte proposé, enrichi de près de trois cents
amendements qui résultent à la fois du dialogue social et du travail
parlementaire, va se poursuivre au Sénat avant de retrouver sa place, je n’en
doute pas, au sein de notre assemblée. Nous aurons alors une nouvelle chance de
nous montrer à la hauteur du sujet.
Enfin, nous ne souhaitons pas
renverser le Gouvernement au moment d’une crise sanitaire dont nous sommes
encore loin de mesurer toute la portée. (Exclamations sur quelques bancs du
groupe LR.) Cette situation grave, qui requiert unité et responsabilité,
nécessite la mobilisation de toutes les énergies. Je sais le Gouvernement
pleinement engagé dans ce combat. Je salue d’ailleurs l’engagement quotidien de
l’ensemble des personnels soignants et des administrations concernées, qui
accomplissent un travail admirable au service de nos
compatriotes.
Soutenir cette motion de censure, c’est donc prendre le
risque d’ajouter de l’instabilité là où nous avons besoin, au contraire, d’un
front uni et d’une action déterminée. Parce que n’est pas souhaitable, nous
voterons majoritairement contre la motion de censure. (Applaudissements sur
les bancs des groupes UDI-Agir et MODEM.)
M. le
président. La parole est à M. Charles de Courson.
M. Charles de
Courson. Pourquoi l’écrasante majorité des députés du groupe Libertés et
territoires va-t-elle voter en faveur de cette motion de censure ?
(« Bravo ! » sur les
bancs du groupe LR.)
Pour cinq raisons.
La première est qu’à
travers ce projet de loi instituant un régime universel de retraite, le
Gouvernement affaiblit les institutions républicaines,…
M. Éric
Straumann. C’est vrai !
M. Raphaël
Schellenberger. Un groupe qui soutient les corps
intermédiaires !
M. Charles de
Courson. …et tout d’abord le Conseil d’État, en ne lui permettant pas
d’exercer sa mission constitutionnelle du fait de la brièveté des délais
d’examen et des six versions successives du texte dont il a été saisi. Le
Gouvernement affaiblit surtout le Parlement, en le court-circuitant par le
recours à l’article 49, alinéa 3, de la Constitution et en intégrant
dans son projet des dizaines d’amendements dont l’immense majorité n’ont pas
fait l’objet de débats à l’Assemblée nationale.
M. Vincent
Descoeur. C’est bien dommage !
M. Charles de
Courson. Quant aux vingt-neuf ordonnances, véritable dessaisissement du
Parlement, elles ont permis au Gouvernement de ne pas répondre aux difficiles
questions posées par les parlementaires de tous bords. Certains d’entre eux ont
certes joué l’obstruction, mais ce n’est pas le cas de notre groupe, qui a
déposé un nombre d’amendements tout à fait raisonnable. Le Gouvernement pouvait
d’ailleurs utiliser d’autres outils que le 49.3 pour débloquer la
situation : déposer, par exemple, un amendement par article réécrivant le
texte initial pour y intégrer certains amendements, ce qui faisait tomber tous
les autres, ou utiliser la procédure du temps législatif programmé.
Au
fond, monsieur le Premier ministre, il est permis de s’interroger : n’y
a-t-il pas eu une certaine complicité entre votre gouvernement et les deux
groupes qui ont procédé à l’obstruction ? (Applaudissements sur les
bancs du groupe LR. – M. Dominique Potier
applaudit également.)
La deuxième raison de notre vote réside dans
l’absence de cadrage financier de votre projet et dans ses conséquences
financières indirectes sur les budgets tant de l’État que des collectivités
territoriales et des hôpitaux publics. On peut même parler, monsieur le Premier
ministre, de bombes budgétaires à effet retardé.
M. Jean-Luc
Mélenchon. C’est vrai !
M. Charles de
Courson. Pour l’État lui-même, le Gouvernement invoque le chiffre de
10 milliards d’euros nécessaires pour financer la revalorisation des
rémunérations des enseignants et des chercheurs sur une période de quinze à
vingt ans – ce n’est pas très clair – en compensation de la chute de
leurs pensions.
M. Vincent
Descoeur. C’est uniquement pour ça !
M. Raphaël
Schellenberger. Voilà un député qui sait calculer !
M. Charles de
Courson. On peut raisonnablement estimer à 10 milliards
supplémentaires l’incidence de votre projet pour réévaluer les traitements de
tous les autres fonctionnaires, territoriaux et hospitaliers, qui n’ont que peu
de primes, ou pas du tout.
Le fait que le Gouvernement essaye de négocier
avec les partenaires sociaux un éventuel accord sur le financement, dont tout le
monde sait qu’il est voué à l’échec, alors même que l’Assemblée nationale
discute du projet, est inacceptable : au fond, c’est comme si le
Gouvernement faisait voter la seconde partie du projet de loi de finances, celle
des dépenses, avant la première, celle des recettes. (Applaudissements sur
les bancs du groupe LR. – Mme Valérie Rabault
approuve.)
M. Michel
Herbillon. Il a raison !
M. Charles de
Courson. Enfin, monsieur le Premier ministre, on aimerait connaître les
réponses aux intéressantes questions posées par Émilie Cariou et Laurent
Saint-Martin sur le financement du régime universel.
M. Raphaël
Schellenberger. Les députés de votre majorité se posent eux aussi des
questions !
M. Charles de
Courson. La troisième raison de notre vote, c’est que votre projet
affaiblit encore un peu plus la démocratie sociale. (Applaudissements sur
quelques bancs du groupe LR. – M. Jean Lassalle et
M. Paul Molac applaudissent également.) En supprimant les
régimes complémentaires de retraite, qui étaient gérés par les partenaires
sociaux ou par les représentants des professions indépendantes, vous réduisez le
champ des négociations sociales interprofessionnelles de branche, voire
d’entreprise. Or, dans l’histoire, les partenaires sociaux ont mieux géré les
régimes complémentaires que l’État n’a géré les régimes de base.
M. Michel
Herbillon. Exactement !
M. Éric
Straumann. C’est vrai !
M. Charles de
Courson. Au fond, votre régime universel découle d’une pensée
hégélienne,…
M. Michel
Herbillon. Une pensée, c’est beaucoup dire !
M. Charles de
Courson. …à l’inverse de la pensée tocquevillienne qui inspire notre
groupe. (Exclamations sur plusieurs bancs du groupe GDR.)
Que restera-t-il de la démocratie sociale, qui dépérit tant dans le domaine
de l’assurance chômage, l’État s’y étant substitué aux partenaires sociaux, que
dans celui des retraites ?
Le projet de loi traduit aussi une grande
ignorance de l’histoire sociale de notre pays…
M. Jean-Luc
Mélenchon. Ça, c’est clair !
M. Charles de
Courson. …et de la genèse de notre système de retraite, qui, je vous le
rappelle, a commencé au XVIIe siècle par la création de
l’ancêtre de l’ENIM, l’Établissement national des invalides de la marine.
M. Édouard
Philippe, Premier ministre. Mais oui, nous n’avons aucune idée de
ce que c’est…
M. Charles de
Courson. Cette histoire vous a contraints à transformer votre projet de
régime universel en un ensemble de régimes particuliers dont, au fond, il n’est
que l’emballage. Vous voulez créer un quarante-troisième régime, rendant le
passage de chacun des quarante-deux régimes existants au nouveau, dit universel,
semblable au passage de la mer Rouge par Moïse – mais vous n’êtes pas
Moïse ! (Sourires et applaudissements sur plusieurs bancs du groupe LR.
– M. Jean Lassalle applaudit également.)
M.
Dominique Potier. Excellent !
M. le
président. Et nous ne sommes pas Hegel non plus… Il faut conclure, cher
collègue !
M. Charles de
Courson. Enfin, et pour couronner le tout, votre projet accumule les
motifs d’inconstitutionnalité, non seulement en matière de procédure mais,
surtout, quant au fond, par de multiples atteintes au principe d’égalité et au
droit de propriété.
C’est pour ces cinq raisons que l’écrasante majorité
de notre groupe votera cette motion de censure. (Applaudissements sur de
nombreux bancs des groupes LT et LR ainsi que parmi les députés non
inscrits.)
M. le
président. La parole est à M. François Ruffin.
M. Frédéric
Reiss. Cette fois, on ne va pas entendre de références
bibliques !
M. François
Ruffin. Nous voterons cette motion de la droite. (Exclamations sur
les bancs du groupe LR.)
M. François
Cormier-Bouligeon. Voilà qui ne nous surprend pas !
M. François
Ruffin. Nous la voterons en étant en désaccord complet avec ses motifs.
(Applaudissements sur les bancs du groupe FI. – Sourires et applaudissements
ironiques sur les bancs du groupe LaREM.)
Car non, nous ne souhaitons
pas un recul de l’âge légal de la retraite ; au contraire, nous souhaitons
l’avancer. Nous souhaitons renouer avec le fil du progrès, un progrès qui, au
long du XXe siècle, grâce à l’obstination du mouvement ouvrier,
a vu le temps de travail diminuer, pour les enfants, d’abord, qui ne sont plus
descendus à la mine à 10, 12 ou 14 ans ; pour les femmes qui, grâce au
congé de maternité, n’ont plus accouché sur les chaînes ; pour toutes et
tous avec le dimanche chômé, avec le samedi à l’anglaise, avec les premiers
congés payés, avec les trois huit et, bien sûr, en bout de course, la retraite,
cette « nouvelle étape de la vie », comme causait Jean Jaurès, une
retraite ramenée à 60 ans en 1982 et que, depuis lors, vous repoussez sans
cesse, pour mieux servir des dividendes aux actionnaires. Voilà notre histoire,
voilà notre héritage ! (Applaudissements sur les bancs du groupe FI. –
M. Sébastien Jumel applaudit également. – Exclamations sur
les bancs du groupe LR.)
Un héritage du mouvement ouvrier qui est
porteur d’avenir, d’un avenir pour le mouvement écologique. Car quelle est, pour
l’environnement, l’intervention politique clé ? C’est la diminution du
temps de travail.
Mme Danièle
Obono. Exactement ! Il a raison !
M. François
Ruffin. C’est de sortir nos vies, par petits bouts, de la cage de fer du
productivisme et du consumérisme. C’est d’en finir avec le « travailler
plus pour gagner plus pour produire plus pour consommer plus pour travailler
plus », comme des hamsters dans leur roue. (Applaudissements sur les
bancs du groupe FI et sur plusieurs bancs du groupe GDR.)
Quelle
conviction nous anime ? La planète et les hommes ont besoin de repos.
Mme Danièle
Obono. Tout à fait !
M. François
Ruffin. Voilà le sens de notre combat, sa direction, à l’opposé du
chemin que vous nous dessinez, de la régression que vous nous proposez.
D’ailleurs, votre projet ne comporte pas une fois, pas une seule, le mot
« écologie » ; de même, on y trouve zéro fois le mot
« bonheur » ; mais 125 fois – 125 ! –celui de
« finance » !
Nous voterons cette motion de la droite sans
chicaner. Nous la voterons sans illusion.
M. Gérald
Darmanin, ministre de l’action et des comptes publics. Mélenchon,
c’était mieux !
M. François
Ruffin. Nous la voterons parce que tous les moyens, tous les moyens
légaux, tous les moyens pacifiques sont bons pour dire non à ce gouvernement et
à ce président. (Applaudissements sur les bancs du groupe FI.) Nous la
voterons parce qu’un mot peut nous rassembler, sur vos bancs, à droite, comme
sur les nôtres, à gauche : « démocratie ».
Il y a deux
semaines à peine, à l’Élysée, devant vous, députés marcheurs, le Président de la
République citait le nationaliste Charles Maurras pour vous prévenir du divorce
entre le « pays légal » et le « pays réel ».
Un député du groupe LR.
Très bien !
M. Gérald
Darmanin, ministre. Vous étiez invité ?
M. François
Ruffin. C’est un diagnostic assez juste. Votre majorité dans l’hémicycle
n’est plus, et depuis longtemps, une majorité dans le pays. (Applaudissements
sur plusieurs bancs du groupe FI.) Dehors, vous n’êtes plus qu’une minorité,
et au service d’une minorité. (Mêmes mouvements.) Dehors, vous êtes
massivement rejetés. Dehors, vous cachez votre étiquette, votre parti, comme une
honte. (Exclamations sur les bancs du groupe LaREM.) C’est un fossé, un
gouffre, qui s’est creusé entre représentants et représentés. (Mêmes
mouvements.) Votre légitimité s’est amenuisée, elle a disparu. Votre mandat
n’a plus de base, plus d’appui dans le pays.
Et malgré votre fragilité,
malgré votre faiblesse, que vous connaissez, c’est par la force que vous imposez
votre réforme ? (Applaudissements sur les bancs du groupe FI. –
M. Sébastien Jumel applaudit également. – Exclamations sur
les bancs du groupe LaREM.) Seuls contre les syndicats, seuls contre le
Conseil d’État, seuls contre la droite, seuls contre la gauche, seuls, surtout,
contre les Français, seuls contre les deux tiers des salariés ?
Le
moment gilets jaunes ne vous a pas suffi ?
(« Non ! » sur les
bancs du groupe FI.) Le vent du boulet, vous ne l’avez pas senti ?
(Exclamations sur les bancs du groupe LaREM.)
Mme
Brigitte Bourguignon. Arrêtez de crier !
Mme
Caroline Janvier. Cela n’a rien à voir !
M. François
Ruffin. Vous pensez que je mens ? Vous êtes persuadés de votre
popularité ? Que votre politique est approuvée ? Allez-y, alors !
Remettez vos mandats en jeu. Remportez le scrutin. Revenez avec une majorité
régénérée, légitimée, pour défendre ce projet, et je me tais !
(Exclamations sur les bancs des groupes LaREM et MODEM.)
Monsieur
Le Gendre, vous présidez le groupe La République en marche : allez-y,
remettez votre mandat en jeu ! (Applaudissements sur plusieurs bancs du
groupe LR.) Monsieur Guerini, vous dirigez le parti : allez-y, remettez
votre mandat en jeu ! (Exclamations sur les bancs du groupe LaREM.)
Vous êtes trois cents : sur les trois cents, qu’un seul, un seul se lève,
et dise « je remets mon mandat en jeu », chiche, je relève le
défi ! (Exclamations sur divers bancs.) Mais vous connaissez la
vérité : vous perdrez ; ici contre la droite, là-bas contre la gauche,
mais vous perdrez.
Plusieurs députés du groupe
LaREM. Et vous ? 6 % ! (M. Roland
Lescure lève longuement six de ses doigts.)
M. François
Ruffin. Vous prendrez une déculottée ! Vous serez renvoyés à vos
foyers !
Vous atteignez des abysses d’impopularité. Et c’est avec
cette légitimité zéro, c’est en ayant cette trouille des électeurs, c’est avec
ce décrochage du pays réel que vous proposez – pardon : que vous
imposez – de revoir le contrat social entre les Français, qui prévaut
depuis l’après-guerre ? C’est un projet ambitieux que vous défendez, je le
reconnais : c’est un grand projet, grand par son injustice. Et ce grand
projet serait porté sur des épaules aussi frêles, assis sur une base sociale
aussi étroite ? Par-dessus les syndicats, par-dessus le Conseil d’État,
par-dessus les salariés ?
M. Gérald
Darmanin, ministre. Respire !
M. François
Ruffin. C’est un jeu dangereux auquel vous jouez, dangereux pour le
pays, dangereux pour la démocratie. (Applaudissements sur les bancs du groupe
FI, dont plusieurs membres se lèvent. – Exclamations sur les bancs du groupe
LaREM.)
M. le
président. La parole est à M. Stanislas Guerini.
M. Raphaël
Schellenberger. Ça faisait longtemps qu’on ne l’avait pas vu !
M. Michel
Herbillon. Rendez-nous Le Gendre ! (Sourires sur les bancs
du groupe LR.)
M.
Stanislas Guerini. L’heure est venue de dire…
M. Jean-Luc
Mélenchon. Au revoir !
M.
Stanislas Guerini. …si nous allons voter cette motion de censure.
(« Ah ! » sur les
bancs du groupe LR.) Eh bien, je veux vous dire qu’il ne manquera pas une
voix dans les rangs de la majorité, pas une seule. Non pas pour la voter, mais
pour la dénoncer (Applaudissements sur les bancs du groupe LaREM et sur
plusieurs bancs du groupe LaREM)…
Mme
Caroline Fiat. N’en soyez pas si sûr !
M.
Stanislas Guerini. …et dire avec force que votre motion de
censure est une motion de posture ! (Mêmes mouvements. – Exclamations
sur les bancs du groupe LR.)
M. Éric
Diard. Zéro !
M.
Stanislas Guerini. Ces derniers jours, c’est à un véritable jeu de rôle
que nous avons assisté dans l’hémicycle. (Vives exclamations sur les bancs du
groupe LR.) Du calme, du calme, mes chers collègues !
M. le
président. Mesdames, messieurs, s’il vous plaît !
M.
Stanislas Guerini. À gauche, certains ont revêtu le costume
d’Arletty : « Obstruction, obstruction, est-ce que j’ai une gueule
d’obstruction ? » (Sourires et applaudissements sur les bancs du
groupe LaREM. –
« Oui ! » sur les bancs
des groupes FI et GDR.) D’autres – vous en faites partie, chers
collègues du groupe Les Républicains – ont enfilé celui du complice :
oui, vous avez été les complices complaisants de l’obstruction en laissant
trente-trois députés, pendant 115 heures,…
Mme
Mathilde Panot. On est forts !
Mme Danièle
Obono. On en vaut dix !
M.
Stanislas Guerini. …fouler au pied la démocratie parlementaire, abaisser
nos débats, sous vos applaudissements ! (Applaudissements sur plusieurs
bancs du groupe LaREM. – Exclamations sur divers bancs.)
La réalité,
c’est que notre majorité a voulu et mené le débat, alors que l’objectif, sur
tous les bancs des oppositions, était que nous ne puissions pas aller au bout de
l’examen du texte. (Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe LaREM. –
Exclamations sur les bancs des groupes LR et FI.)
M. Éric
Straumann. Le Gendre, reviens, on n’y comprend rien !
M. Patrick
Hetzel et M. Raphaël Schellenberger. Imposteur !
M.
Stanislas Guerini. La réalité, c’est que ce 49.3, vous l’attendiez
(Exclamations sur les bancs des groupes LR et FI), pour en faire un
argument politique, peut-être un argument électoral,…
M. Jean-Luc
Mélenchon. Pas nous !
M. Raphaël
Schellenberger. Vous l’avez mis en scène et déclenché lâchement un
samedi soir !
M.
Stanislas Guerini. …pour ne pas parler du fond de cette réforme, car
quand nous parlons du fond, vous êtes bien embêtés,…
Mme Sylvie
Tolmont. Rendez-nous Le Gendre !
M.
Stanislas Guerini. …parce que cette réforme, et la gauche et la droite
l’appelaient de leurs vœux – les mêmes qui défendent aujourd’hui des
motions de censure !
M. Olivier
Faure. Parle pour toi !
M.
Stanislas Guerini. Oui, la droite a toujours défendu une réforme qui
mette fin aux régimes spéciaux de retraite (Applaudissements sur plusieurs
bancs du groupe LaREM) et qui assure durablement un équilibre financier pour
les jeunes générations ; et oui, la gauche a toujours défendu une réforme
qui répare les injustices faites aux femmes dans le système actuel et qui relève
les petites pensions. C’est peut-être parce que cette réforme est de gauche et
de droite que la gauche et la droite, maintenant qu’elles sont dans
l’opposition, la combattent – parce que nous faisons précisément ce que
vous n’avez pas su faire pendant des années ! (Applaudissements sur
plusieurs bancs du groupe LaREM. – Protestations sur les bancs du groupe LR. –
Mme Sylvie Tolmont proteste également.)
M. Olivier
Faure. Ridicule !
M. le
président. Un peu de calme !
M.
Stanislas Guerini. Le front uni que vous présentez aujourd’hui n’est
qu’une imposture politique. (Les protestations continues sur les bancs du
groupe LR couvrent la voix de l’orateur.)
M. le
président. S’il vous plaît, laissez chaque orateur s’exprimer !
Vous allez bientôt pouvoir partir, laissez-le finir !
M. Raphaël
Schellenberger. Qu’il parle ! Mais il n’a rien à dire !
M.
Stanislas Guerini. Ce n’est pas en hurlant que vous convaincrez nos
concitoyens, mes chers collègues ! Un peu de calme, un peu de
décence : les Français nous regardent !(Applaudissements sur les
bancs du groupe LaREM et sur plusieurs bancs du groupe MODEM.)
Le
seul ciment qui vous lie, de la gauche à la droite, c’est le conservatisme, le
choix de ne rien faire. (Exclamations continues sur les bancs du groupe
LR.) Nous, nous faisons le choix contraire. Nous ferons toujours le choix de
l’action, contre celui du renoncement (Applaudissements sur les bancs du
groupe LaREM), parce que nous sommes mus par la conviction que ce que
nous faisons est juste. (Exclamations continues sur les bancs du groupe
LR.)
Mme Danièle
Obono. Juste pour la finance !
M.
Stanislas Guerini. Par votre motion de censure, vous dites qu’il faut
changer de gouvernement ; nous vous répondons que ce n’est pas le
Gouvernement qu’il faut changer, mais le système de retraite, parce qu’il est
injuste !
C’est pour faire cela qu’un grand nombre de nos
concitoyens nous ont accordé leur confiance, ceux qui nous disent « ne
lâchez pas » et « persévérez », parce qu’ils savent, eux, à quel
point notre système est injuste et parce que, pour eux, il n’y a qu’un seul
interdit : celui de ne rien faire. (Exclamations sur les bancs du groupe
LR.)
M.
Jean-Marie Sermier. Obstruction !
M.
Stanislas Guerini. Pour eux,…
Mme Danièle
Obono. Pour la finance ! Pour les riches !
M.
Stanislas Guerini. …nous prendrons toujours nos responsabilités, parce
qu’au fond… (Exclamations continues sur les bancs du groupe LR.) Monsieur
le président, j’espère que vous m’ajouterez un peu de temps de parole.
Mme
Mathilde Panot. Ne mettez pas en cause la présidence !
M.
Stanislas Guerini. Mes chers collègues, j’apprécie l’hommage, mais ce
n’est pas en hurlant que…
M. le
président. S’il vous plaît ! Ce n’est pas convenable. Laissez-le
terminer ! Dans moins d’une minute, vos souffrances prendront fin !
(Sourires.) Mais laissez les orateurs aller jusqu’au bout de leur
propos ! C’est incroyable, ça ! (Applaudissements sur les bancs du
groupe LaREM et sur plusieurs bancs du groupe MODEM. – Les exclamations se
poursuivent sur les bancs du groupe LR.)
M.
Stanislas Guerini. Je vous remercie, monsieur le président !
(Huées sur plusieurs bancs du groupe LR.)
Bon nombre d’entre nous
ne faisaient pas de politique avant ce quinquennat. Si nous avons quitté nos
métiers d’infirmier, d’agriculteur, de professeur ou d’entrepreneur pour devenir
députés,…
M.
Jean-Marie Sermier. Sortez les mouchoirs !
M.
Stanislas Guerini. …c’est que nous avons pensé que la politique pouvait
être belle, à nouveau. (Exclamations sur les bancs du groupe LR. – Mme Sylvie
Tolmont s’exclame également.) Mais la politique est belle quand elle est le
lieu du débat, et ce n’est pas ce que nous avons vécu ces dernières semaines
dans l’hémicycle ni le spectacle que vous montrez ce soir !
(Applaudissements sur les bancs du groupe LaREM.)
M. Fabien
Di Filippo. Calimero !
M.
Stanislas Guerini. La politique est belle quand elle est le lieu de la
confrontation apaisée des convictions, non quand elle est le théâtre de
violences contre les élus de la nation. (Exclamations sur les bancs du groupe
FI.) La politique est belle quand elle est réellement utile à nos
concitoyens.
Mme
Mathilde Panot. Utile aux intérêts privés !
M.
Stanislas Guerini. Et être utile à nos concitoyens, c’est être prêts à
prendre des risques.
M. Raphaël
Schellenberger. C’est bon, là, ça suffit !
M.
Stanislas Guerini. Je vois tous ceux qui voudraient faire de ce moment
politique un argument électoral, mais nous, nous ne gouvernons pas en pensant
aux quinze prochains jours, mais pour pouvoir dire à nos enfants dans cinq ans,
dans dix ans, que nous sommes fiers d’avoir fait partie de cette majorité
(Mmes et MM. les députés des groupe LaREM et MODEM se lèvent et
applaudissent longuement. – Exclamations sur les bancs des groupes LR, SOC,
FI et GDR) …
M. le
président. Il faut conclure, cher collègue.
M.
Stanislas Guerini. …qui, avec ce gouvernement, a réformé le code du
travail, la SNCF, la formation (Mêmes mouvements. – Les propos de l’orateur
sont difficilement audibles)… Alors, quand le Gouvernement engage sa
responsabilité…
M. le
président. Mon cher collègue, j’ai coupé le micro, il faut vous arrêter.
(Mêmes mouvements sur les bancs des groupes LaREM et MODEM.
– Huées sur les bancs du groupe LR.)
Ça fait tout
de même beaucoup de bien quand ça s’arrête. (Sourires sur divers bancs
– Applaudissements sur les bancs du groupe LR.)
M. Raphaël
Schellenberger et M. Éric Straumann. Oui, on est
d’accord !
M. le
président. Je vais maintenant mettre aux voix la motion de censure
déposée par M. Damien Abad et quatre-vingts de ses collègues.
Le
scrutin est annoncé dans l’enceinte de l’Assemblée nationale.
Je rappelle
que seuls les députés favorables à la motion de censure participent au scrutin,
et que le vote se déroule dans les salles voisines de l’hémicycle.
Le
scrutin va être ouvert pour trente minutes : il sera donc clos à
vingt-trois heures trente.
Suspension et reprise de la séance
M. le
président. La séance est suspendue.
(La séance, suspendue à vingt-trois heures, est reprise à vingt-trois
heures trente-cinq.)
M. le
président. La séance est reprise.
Voici le résultat du
scrutin :
Majorité requise pour l’adoption de la motion de censure,
soit la majorité absolue des membres composant l’Assemblée
289
Pour
l’adoption 148
La
majorité requise n’étant pas atteinte, la motion de censure n’est pas
adoptée.
Explications de vote
(Motion de censure de
M. André Chassaigne, M. Jean-Luc Mélenchon
et Mme Valérie Rabault)
M. le
président. Nous allons maintenant entendre les explications de vote sur
la motion de censure déposée par M. André Chassaigne, M. Jean-Luc
Mélenchon, Mme Valérie Rabault et soixante députés. La parole est à
M. Thibault Bazin.
La parole est à M. Thibault Bazin.
M. Thibault
Bazin. Monsieur le Premier ministre, vous avez instrumentalisé la crise
du coronavirus Covid-19 pour masquer l’utilisation de l’article 49,
alinéa 3, de la Constitution. Vous avez décidé de dégainer cet article
alors qu’existait une alternative, celle que nous vous avons proposée mardi
dernier : une alternative pour sortir de l’obstruction et éviter cet usage
du 49.3. Vous avez décidé de le dégainer alors que le rythme d’examen des
amendements permettait en quelques semaines d’étudier l’ensemble du projet de
loi. Nous venions, en quelques jours, d’entrer dans le dur du projet.
M. Pierre
Cordier. Très bien !
M. Thibault
Bazin. Monsieur Guerini, les motions de censure ne sont pas des jeux de
posture, mais la réponse cohérente au recours à l’article 49,
alinéa 3. Cette cohérence dont vous manquez tant, le groupe des
Républicains l’a, puisqu’il a déposé une motion. Cette cohérence, nous la
respectons en ayant des motions distinctes correspondant à des projets
distincts.
Mme
Marie-Noëlle Battistel. Exactement.
M. Thibault
Bazin. Monsieur Guerini…
M. Pierre
Cordier. Il n’est pas là, il est allé se coucher !
M. Thibault
Bazin. …ce n’est pas un jeu, ce n’est pas de la communication. Il s’agit
de la vie des Français, de leur pouvoir d’achat. Comme celle des Républicains,
cette motion déposée par les groupes socialiste, communiste et insoumis dénonce
à raison la méthode utilisée par votre Gouvernement.
Mme
Marie-Christine Dalloz. Très bien !
M. Thibault
Bazin. Cependant, elle en est distincte sur le fond. Parce que nous
portons des projets différents, avec des objectifs différents et des solutions
différentes de financement.
M.
Jean-Marie Sermier. Et nous les assumons !
M. Thibault
Bazin. C’est cela aussi la noblesse de la politique ! Où sont vos
promesses de nouveau monde ? La noblesse de la politique, c’est lorsque
l’on défend avec fierté ses convictions, lorsque l’on assume avec sincérité les
choix que l’on souhaite pour son pays, lorsque l’on porte avec passion ses
valeurs. C’est cela l’honneur du débat démocratique. Au lieu de cela, votre
gouvernement et sa majorité avancent masqués. Sous couvert d’efficacité, vous
méprisez le débat d’idées.
Parce que la politique mérite mieux que la
confusion que vous entretenez, monsieur le Premier ministre, parce que la
politique mérite de la clarté et de la cohérence, qui manquent cruellement dans
votre projet, nous ne souhaitons pas tomber dans le piège que vous tendez
grossièrement, celui du chantage au projet sans débat et sans vote, sinon le
chaos. On ne peut pas jouer le 23 avril 2017 tous les jours pendant cinq
ans : ce n’est pas cela la démocratie.
Les vrais besoins pour notre
pays sont de deux ordres. Il faut d’abord assurer l’équilibre financier de notre
système par répartition d’ici à 2025. Sinon, le déficit pourrait atteindre
17 milliards et entraîner une baisse des pensions. Le second défi consiste
à revaloriser les petites retraites actuelles.
Ces deux défis, vous n’y
répondez pas. En l’état, votre projet n’apporte aucune réponse sérieuse,
crédible. Le projet des Républicains, lui, y répond de manière
pragmatique : mes collègues Damien Abad et Éric Woerth vous l’ont présenté.
Pour y parvenir, nous avons un financement clair, dont les solutions sont
différentes des options défendues par les porteurs socialiste, communiste et
insoumis de la présente motion. Nous le respectons, mais nous assumons cette
différence, ce qui a le mérite de la clarté.
Non seulement vous ne
relevez pas ces défis, mais pire : vous créez de nouveaux problèmes, vous
pénalisez les fonctionnaires, les parents de familles nombreuses, les
professionnels libéraux. Vous avez multiplié les promesses, mais, en réalité, en
abusant du langage. « Un euro cotisé donnera les mêmes droits », c’est
faux ! Le « système universel pour tous », c’est faux !
M.
Jean-Marie Sermier. Même le rapporteur l’a reconnu !
M. Thibault
Bazin. « Il n’y aura que des gagnants », c’est faux ! Il
y aura aussi beaucoup de perdants.
M. Jérôme
Lambert. Une majorité !
M. Thibault
Bazin. Nous avons parlé des fonctionnaires, mais parlons aussi des
libéraux, de ces infirmières qui verront leur cotisation doubler, de ces avocats
qui subiront la double peine – des cotisations en hausse et des pensions en
baisse –, de ces retraités agricoles actuels qui ne sont finalement pas
concernés et qui ont été complètement trompés par ce projet de
réforme.
Parlons aussi des parents de familles nombreuses. On n’arrête
pas de nous dire à quel point cette réforme est merveilleuse pour eux, mais
c’est faux ! Actuellement, chacun des deux parents a une majoration de
10 %, qui s’ajoute aux majorations de durée d’assurance. Les mères de trois
enfants peuvent partir à la retraite à 62 ans sans décote et les deux
parents ont une majoration de 10 %, soit une majoration de 20 % pour
le couple. Avec votre projet, elles auront une super décote : elles
pourront certes partir à 62 ans, mais avec seulement 2 % de
majoration. On voit bien qu’elles seront perdantes !
M. Marc Le
Fur. Très juste !
M. Thibault
Bazin. Les exemples sont multiples. Revoyez votre copie, de manière à ce
que nous corrigions votre projet. (Vifs applaudissements et
« Bravo !» sur les bancs du groupe LR,
dont les membres se lèvent.)
M. le
président. La parole est à M. Pierre Dharréville.
M.
Christian Hutin. Enfin un mec qui a de l’allure !
M. Pierre
Dharréville. C’est fini messieurs dames,…
M. Michel
Herbillon. Rendez-nous Arletty !
M. Pierre
Dharréville. …la cavale n’a que trop duré. Il faut vous rendre,
maintenant – vous rendre à l’évidence. Nous en sommes là avec cette motion
de censure : ouvrir les yeux, mesurer la gravité du moment, réaliser la
violence de ce qui est à l’œuvre.
Dès le départ, cette réforme a provoqué
l’inquiétude, la colère et le rejet. Massifs. C’est l’histoire d’un cube qu’on
voudrait faire rentrer dans un cercle, c’est l’histoire d’une poule qu’on
voudrait faire voler, c’est l’histoire d’une vieille charrette sur un chemin de
garrigue, c’est l’histoire d’un fiasco retentissant.
Derrière votre conte
merveilleux, chaque étape a été un échec, chaque étape a été tronquée, à chaque
étape vous avez trébuché : depuis la discussion avec les partenaires
sociaux jusqu’à l’examen en séance de l’Assemblée nationale, en passant par le
Conseil d’État et la commission spéciale. Depuis le début, c’est l’histoire d’un
passage en force. Depuis le début, le Gouvernement a fait la sourde oreille.
Face à un formidable mouvement social, il a attendu la fin de l’orage, en se
disant que ce n’était qu’un mauvais moment à passer. Et, tout mouillé, depuis
des mois maintenant, il regarde ailleurs.
Mais comment imaginer qu’une
réforme d’une telle ampleur puisse être adoptée dans ces conditions ? Le
Gouvernement n’est pas la victime, dans cette affaire : il est l’agresseur,
l’auteur d’une agression sociale caractérisée. Cette réforme qui nous est
présentée sous le jour de l’universalité et de la justice, chacune et chacun a
compris qu’elle n’en avait au mieux que les apparences.
Le droit à la
retraite est un bien précieux, durement acquis, et une question sensible. À
chaque fois qu’il a été abîmé, il a été vigoureusement défendu. Cette motion de
censure défend le droit à la retraite (Applaudissements sur les bancs des
groupes GDR, SOC et FI), un droit que l’on partage, un droit que l’on ne
veut plus voir attaqué, un droit que l’on veut savoir garanti. Le droit d’être
libéré du travail prescrit, le droit à une vie bonne, au travail et à la
retraite, sur une planète dont chacun pour sa part a les moyens de prendre
soin.
Chaque discussion n’a été qu’un monologue terminé en eau de boudin.
Les débats nécessaires de notre assemblée, ces derniers jours, qui vont ont tant
agacés et irrités, ont mis en lumière les nombreux faux-semblants, les dangers,
l’impréparation. Et cela était à l’image de ce qui se passe, se pense et se dit
dans le pays, ne vous en déplaise.
M.
Christian Hutin. Le pays est contre le Gouvernement !
M. Pierre
Dharréville. Nous ne sommes pas venus ici pour nous faire piétiner. Mais
parce que tout cela lui était insupportable, pour abréger ses propres
souffrances, pour prendre la tangente avec son paquet sous le bras, sans
répondre aux questions sur l’âge ou le taux de remplacement, le Gouvernement a
choisi le coup de force final. Il a choisi d’utiliser cet article 49
alinéa 3 comme une signature. C’est une brutalité contre le Parlement et
contre la démocratie. Cet acte d’autorité est en réalité un acte de faiblesse.
(Applaudissements sur les bancs du groupe
GDR. – Mme Caroline
Fiat applaudit également.)
Le Premier ministre a décidé d’engager,
a-t-il dit, « la responsabilité du Gouvernement ». Mais quelle
responsabilité ? Quand une réforme provoque un tel refus, la responsabilité
c’est de l’entendre, la responsabilité c’est de le reconnaître, la
responsabilité c’est d’en tirer leçon. La seule attitude de responsabilité qui
vaille consiste à retirer ce texte et à ouvrir une véritable discussion.
(Applaudissements sur les bancs du groupe GDR et quelques bancs des groupes
SOC et FI.)
Le groupe GDR a beaucoup proposé : le retrait pour
engager un vrai débat, le référendum pour un vrai choix démocratique, une autre
réforme pour un vrai progrès social. Mais cette réforme, le Gouvernement a voulu
l’écrire seul, irréversible et indélébile. Parce qu’elle est insupportable,
notre obsession demeurera toujours de l’effacer.
J’en connais qui se
drapent dans leur orgueil pour se rassurer, qui se convainquent que le fait
majoritaire leur donne à tous les coups raison, qui repeignent en courage ce qui
n’est qu’un piteux délit de fuite.
Exercer le pouvoir, c’est rassembler,
c’est construire avec le peuple. Ce gouvernement en est incapable. Depuis
bientôt trois ans, il a mis dans la rue à peu près tout le monde hormis les
actionnaires du CAC 40. Le pays se rappelle à lui sans cesse et lui ne le
voit pas, ne l’entend pas, ou plutôt ne le veut pas voir ni entendre. On m’a
redit ces derniers jours combien ce mépris était insupportable. Ce recours au
49.3, ce CAC 49.3 pourrait-on dire, est comme un triste néon qui le met en
lumière. Le Gouvernement a beaucoup fait pour être censuré, il ne faut pas le
décevoir.
Il existe une solution alternative. Pour la mettre en œuvre, il
faut que se rassemblent les forces de gauche comme elles l’ont fait autour de
cette motion.
Cette motion de censure est le cri d’un pays en colère, la
voix d’un pays qui n’accepte pas d’être ainsi maltraité.
M.
Christian Hutin. Les Français ne veulent pas de votre réforme !
M. Pierre
Dharréville. C’est le chant d’un pays qui refuse le libéralisme et
espère la justice sociale ; c’est la parole d’un peuple qui convoque les
élus à la barre pour rendre des comptes.
Cette motion pose à chacune et à
chacun la question : cette réforme doit-elle être ainsi adoptée ? Le
pouvoir doit-il continuer d’être ainsi exercé ? Le niveau de défiance, de
crise auquel nous sommes parvenus appelle une prise de conscience, un
changement, un renouveau social et démocratique. Ce gouvernement doit être
censuré. Fin de cavale ! (Applaudissements sur les bancs des groupes GDR
et SOC et sur plusieurs bancs du groupe FI.)
M. le
président. La parole est à Mme Nathalie Elimas.
Mme
Nathalie Elimas. Sans surprise, le groupe MODEM s’opposera à la motion
de censure qu’ont déposée les groupes de la Gauche démocrate et républicaine, de
la France insoumise et des Socialistes, dont les intérêts et les positions ne
cessent de converger depuis plusieurs mois. La discussion sur le projet de loi
instituant un système universel de retraite en aura été la parfaite
illustration. Le temps où le président du groupe communiste s’offusquait de la
réforme des retraites défendue par la majorité socialiste de la précédente
législature semble bien éloigné ! (Exclamations sur les bancs du groupe
GDR.)
Plusieurs députés du groupe
GDR. Mais oui ! Et on assume !
M.
Christian Hutin. Nous n’avons pas bouché nos oreilles !
Mme
Nathalie Elimas. D’ailleurs, les donneurs de leçons signataires de cette
motion de censure ne s’outrageaient pas, en novembre 2013, du recours par
le gouvernement d’alors au vote bloqué pour faire adopter la réforme en nouvelle
lecture. Ils ne se sont pas davantage formalisés du recours à l’alinéa 3 de
l’article 49 de la Constitution à six reprises entre 2014 et
2016 !
M.
Sébastien Jumel. Voulez-vous qu’on vous rappelle les votes du
MODEM ?
M.
Christian Hutin. Mais c’est quoi, le MODEM !
Mme
Nathalie Elimas. L’obstruction parlementaire intensive que certains des
groupes signataires de cette motion ont orchestrée pendant plus de trois
semaines, en commission spéciale puis en séance publique, a malheureusement
sclérosé et paralysé le débat de fond sur la réforme. Près de 90 % des
20 000 amendements déposés en commission et des
40 000 autres déposés en séance publique ne visaient qu’à procéder à
la suppression bête et méchante d’alinéas, y compris aux articles apportant des
améliorations notables en matière de justice sociale, ou alors à renommer des
titres et des chapitres avec des formules démagogiques et à procéder à une sorte
de concours Lépine des synonymes.
M.
Christian Hutin. Vive le MODEM !
Mme
Nathalie Elimas. Par ces méthodes consternantes, les oppositions ont
voulu, de manière assumée, bloquer le processus du débat parlementaire. Je le
regrette vivement car cela témoigne d’un profond irrespect pour la délibération
parlementaire.
Bien sûr, ces méthodes n’ayant pas récolté l’assentiment
de l’opinion publique,…
Mme Danièle
Obono. Parce que votre réforme rencontre l’assentiment de l’opinion
publique…
Mme
Nathalie Elimas. …les stratégies et les discours ont été amendés
– si je puis dire – pour donner l’illusion qu’un débat sur le fond
était possible. Les déclarations consistant à assumer pleinement le processus
d’obstruction sont comme par miracle tombées aux oubliettes. Mais l’incohérence
ne sera pas effacée par les cris d’orfraie et les exclamations scandalisées qui
ont été entendus ces derniers jours !
Le groupe de La France
insoumise, avec la complicité, voire le mimétisme du groupe GDR (Exclamations
sur les bancs du groupe GDR),…
M. Fabien
Roussel. Vous pouvez parler !
M.
Sébastien Jumel. Et sinon, Bayrou, ça va ?
Mme
Nathalie Elimas. …porte l’entière responsabilité de l’avortement de la
discussion de ce projet de loi.
M.
Christian Hutin. Union, action, programme commun !
Mme
Nathalie Elimas. Si le groupe socialiste s’est évertué à formuler des
interrogations et des propositions de fond, il se retrouve aujourd’hui à prendre
la roue de l’extrême gauche. Permettez-moi de le regretter.
M. David
Habib. Le MODEM ne s’est-il jamais trouvé aux franges de la droite,
voire de l’extrême droite ?
Mme
Nathalie Elimas. Le groupe MODEM s’opposera donc à cette motion et tient
à rappeler solennellement son soutien au Premier ministre et au gouvernement
qu’il dirige.
M.
Jean-Paul Lecoq. Scandaleux !
Mme
Nathalie Elimas. Si nous déplorons l’utilisation de l’article 49,
alinéa 3 sur un texte aussi important pour nos concitoyens, nous sommes
convaincus qu’il ne pouvait en être autrement du fait des multiples actes de
piraterie parlementaire perpétrés par certaines oppositions.
M.
Jean-Paul Lecoq. Vous verrez, lorsque nous piraterons le
MODEM !
M.
Christian Hutin. Le MODEM défend les ports !
M. Jean-Luc
Mélenchon. Les pirates étaient une société socialiste.
Mme
Nathalie Elimas. Le texte sur lequel le Gouvernement engage aujourd’hui
sa responsabilité comporte pourtant de nombreuses améliorations : quelque
300 amendements y ont été intégrés, dont près d’un tiers provient des
différentes oppositions de l’Assemblée. Le groupe MODEM se félicite par exemple
des apports concernant les fins de carrière, la pénibilité, les transitions ou
encore les droits accordés aux assurés les plus fragiles.
Si la méthode
et le contexte ne sont pas idoines, il ne pouvait en être autrement : nous
estimons que le Gouvernement a pris ses responsabilités en mettant fin à ce
blocage. Il a aussi agi de manière responsable en acceptant de multiples
propositions d’amendements, ce qui prouve que les débats auraient pu être d’une
tout autre teneur si l’ensemble des groupes s’étaient mis au diapason de cet
esprit de responsabilité !
M. Jérôme
Lambert. Tous des Playmobil !
M.
Christian Hutin. Vive les Playmobil !
Mme
Nathalie Elimas. Nous espérons que la navette parlementaire permettra à
chacun de reprendre ses esprits et que les travaux qui s’ouvriront au printemps,
à l’occasion de la nouvelle lecture, donneront une autre image de l’Assemblée.
Il y va de l’avenir de la démocratie parlementaire, dont un tel dévoiement ne
peut perdurer. À bons entendeurs !
Chers collègues, le groupe MODEM
et apparentés s’opposera fermement à cette motion de censure et profite de cet
instant pour assurer le Gouvernement de son soutien plein et entier dans la
conduite de la transformation du pays, conformément au mandat confié
démocratiquement par nos concitoyens en 2017 ! (Applaudissements sur les
bancs des groupes MODEM et LaREM.)
M. le
président. La parole est à M. Boris Vallaud.
M.
Christian Hutin. Enfin un mec intelligent.
M. Boris
Vallaud. Cette motion de censure résulte avant tout du rejet d’une
mauvaise réforme, mal préparée, guidée pour l’essentiel par des considérations
financières et par le désir ardent de reculer l’âge de départ à la retraite, de
supprimer les régimes spéciaux et de faire des économies – une réforme
conduite par un exécutif droit dans ses bottes…. à moins qu’il ne s’agisse des
bottes d’Alain Juppé.
(« Ah ! » sur les
bancs du groupe LaREM. – Exclamations sur
les bancs du groupe LR.)
C’est le rejet d’une réforme qui semble même
trahir les promesses faites pendant la campagne présidentielle de ne pas reculer
l’âge de départ à la retraite avant d’avoir gagné la bataille de l’emploi des
seniors, ni de faire « des économies sur le dos des retraités », selon
la formule du candidat Emmanuel Macron. Or en fin de compte, elle prévoit les
deux : travailler plus et gagner moins. Elle trahit ainsi toutes celles et
ceux qui ont voté pour votre majorité.
C’est le rejet d’une réforme qui,
pour la première fois, fonde le niveau des pensions sur l’âge de départ à la
retraite et non plus sur la durée de cotisation, en instituant un âge pivot qui
est source de toutes les injustices :…
M.
Christian Hutin. Très bien ! Très très bien !
M. Boris
Vallaud. …injustice faite à ceux qui commencent tôt, injustice faite à
ceux dont les métiers sont pénibles, injustice faite aux femmes.
C’est le
rejet d’une réforme qui change radicalement la philosophie du système de
retraite : substituant un système d’assurance à une logique d’assistance,
elle exonère les plus riches de 4 milliards d’euros de cotisations sociales
et installe les retraités les plus modestes dans des trappes à basses pensions.
En effet, 30 % des pensionnés et 40 % des femmes relèveront du filet
de sécurité – ce qui n’est guère un progrès, d’autant que vingt ans après
la liquidation de ces pensions, le minimum contributif ne sera plus équivalent à
85 % mais à 70 % du SMIC.
C’est une réforme qui grave dans le
marbre une règle d’or, celle de l’équilibre financier du système à laquelle sera
soumis tout le reste : la valeur du point, le taux de remplacement, le
niveau des pensions, la part des retraites dans le PIB. La règle d’or du
Gouvernement sera la règle de plomb de tous les retraités et la camisole des
partenaires sociaux – car loin de leur rendre la main, vous étatisez le
système.
Cette réforme se traduira par la baisse de 25 à 30 points
des taux de remplacement des pensions et la chute irrémédiable du niveau de vie
des retraités par rapport aux actifs au point d’atteindre les écarts des années
1980, gommant ainsi quarante ans de progrès. Elle est percluse de fausses
promesses comme celle de l’augmentation de la rémunération des enseignants et du
maintien du niveau de leurs pensions – une promesse non seulement falsifiée
mais inconstitutionnelle, payée avec de la fausse monnaie !
C’est
une réforme qui plaide en faveur du progrès mais qui durcit les choses pour les
chômeurs et les personnes ayant une carrière longue, et qui laisse sur le bord
du chemin les agriculteurs déjà à la retraite, oubliant en outre la question de
la pénibilité et, avec elle, les travailleurs du secteur du bâtiment et des
travaux publics ou de l’industrie, les caissières et les égoutiers.
En
clair, c’est une réforme mal préparée, mal maîtrisée, mal financée et mal
exécutée, qui conduit notre modèle social dans le mur – un modèle social
qu’il faudra, dans moins de dix ans, le ramasser à la petite cuiller.
Cette motion de censure est aussi le fruit du rejet de votre
méthode de gouvernement, qui ne saurait se réduire au seul recours au
49.3 : c’est une pratique institutionnelle que caractérisent
l’unilatéralisme, la verticalité et le contournement des corps
intermédiaires – syndicats, partis politiques ou élus qui, selon vous, sont
les refuges du conservatisme.
Pour vous, guidés par une forme de
positivisme, toute opposition constitue un refus de regarder le monde en face,
et tout désaccord de la basse politique. Vous n’aimez pas la
contradiction ; vous abhorrez l’obstruction. Vous voudriez que les
désaccords et les colères qui s’expriment partout en France s’arrêtent aux
portes de l’Assemblée. Ils y ont pourtant leur place symbolique et ils y ont
aussi leurs voix, celles des oppositions qui, dans leur diversité et selon leurs
méthodes, assument avec honneur l’exigence de représenter les
Français.
« Le peuple n’a pas besoin de tuteur ni de maître, il a
besoin de guides honnêtes et intelligents qu’il s’est lui-même choisis. Le tort
des hommes qui nous dirigent, c’est de ne pas croire à la possibilité de cette
démocratie libérée » disait Lamartine. Votre tort est de ne pas croire à la
possibilité de cette démocratie libérée, vivante, exigeante aussi. Votre tort,
c’est la conviction qui vous anime jusqu’à l’aveuglement d’avoir toujours raison
envers et contre tout, envers et contre tous. Votre tort est de confondre la
réforme et la liquidation, de tenir la réforme pour un objectif en soi et
d’ébranler les compromis républicains construits avec patience et qui ont
survécu aux alternances. Il ne suffit pas de citer Croizat, de Gaulle, Rocard ou
Jaurès pour s’inscrire dans une histoire !
M. Olivier
Faure. Exactement !
M. Boris
Vallaud. Votre tort est de masquer de mauvaises manières derrière de
bons mots et de ne rechercher ni la concorde que réclame un pays fracturé, ni
les grands compromis que la République fut capable de trouver dans son
histoire.
Vous voilà seuls. Il n’y a plus personne pour soutenir votre
réforme.
M. Édouard
Philippe, Premier ministre. Comme plus personne ne soutenait
votre projet de déchéance de la nationalité ?
M. Boris
Vallaud. C’est pourquoi les députés du groupe Socialistes et
apparentés…
M.
Christian Hutin. Et les chevènementistes !
M. Boris
Vallaud. …voteront naturellement cette motion de censure et défendront
demain, devant la commission des affaires sociales, l’un des droits fondamentaux
d’une opposition, celui de la création d’une commission d’enquête.
(Applaudissements sur les bancs des groupes SOC et GDR et quelques bancs du
groupe FI.)
M. le
président. La parole est à Mme Agnès Firmin Le Bodo.
Mme Agnès
Firmin Le Bodo. L’action de chacun des membres du groupe UDI, Agir et
indépendants repose sur la liberté : celle qui nous permet de soutenir sans
arrière-pensées les choix de l’exécutif lorsqu’ils sont responsables et
courageux et qu’ils permettent de dépasser les immobilismes, mais aussi celle
qui nous permet de critiquer lorsque nous estimons que la politique
gouvernementale n’emprunte pas la bonne direction.
M.
Christian Hutin. C’est Le Havre !
Mme Agnès
Firmin Le Bodo. En politique, la controverse est saine. Je dirais même
qu’elle est parfois salutaire car elle permet d’amender, de perfectionner et de
préciser un texte. Un désaccord honnête est souvent un signe de progrès. Aussi
ne vous ferai-je pas le reproche de vous opposer : vous êtes dans votre
rôle – nous sommes dans notre rôle ! En effet, la représentation
nationale exerce aussi une fonction tribunicienne consistant à incarner la
protestation pacifique pour éviter qu’elle ne dégénère de façon violente
ailleurs.
M.
Jean-Paul Lecoq. Exactement ! Mais rien de tout cela ne nous est
permis par le Premier ministre !
Mme Agnès
Firmin Le Bodo. La violence est l’arme des faibles, ai-je entendu tout à
l’heure lors des questions au Gouvernement. Vous avez donc le droit de faire de
l’obstruction tactique et de multiplier les amendements
« Bescherelle » et les interruptions de séance. C’est légal, mais
est-ce légitime ? N’avons-nous pas ainsi privé l’Assemblée d’un débat de
fond ? Certes, c’est le jeu parlementaire ; il n’est pas nouveau et
d’autres en ont usé avant vous. En recourant à ces artifices de procédure
cependant, vous avez joué un jeu dangereux.
Tout d’abord, ils démontrent
votre incapacité à constituer une opposition responsable et respectueuse de nos
institutions. Ensuite, ils alimentent ce grand jeu de dupes dont vous êtes à
l’origine. Vous avez, à force d’amendements de suppression, empêché toute
discussion sérieuse en commission spéciale.
M.
Christian Hutin. Pas du tout !
Mme Agnès
Firmin Le Bodo. Vous avez récidivé en séance publique en déposant plus
de 40 000 amendements, dont la plupart n’étaient que de nature
sémantique.
M.
Christian Hutin. Ce n’est pas vrai !
Mme Agnès
Firmin Le Bodo. Nous avons du reste assisté à cette occasion à une
course à qui mieux mieux entre les groupes FI et GDR. À l’évidence, votre
imagination n’est plus à démontrer.
Vous avez ainsi rendu tout débat
impossible. De débat d’ailleurs, vous ne vouliez pas vraiment : à preuve,
vous avez refusé d’examiner ce projet en temps législatif programmé.
M.
Christian Hutin. Vous abaissez la démocratie ! Chacun son
truc !
Mme Agnès
Firmin Le Bodo. Il ne s’agissait pourtant pas d’un temps programmé de
50 heures comme le prévoit le règlement de l’Assemblée, mais de
120 heures, soit trois semaines de débat possible au bas mot ! Et
pourtant, vous l’avez refusé. Nous savions donc d’emblée qu’il s’agissait d’un
jeu de dupes. Votre unique objectif, celui que vous n’assumez plus devant les
caméras, consistait à forcer le Gouvernement à constater l’enlisement des débats
et l’impossibilité pour nous d’accomplir notre travail de législateur.
Mme
Blandine Brocard. Très bien dit !
Mme Agnès
Firmin Le Bodo. Vous avez cherché et voulu le 49.3 : disons-le et
répétons-le pour que les Français le sachent. Il n’y avait pas d’autre issue
possible. Il n’est donc ni sérieux ni courageux de simuler la colère.
(Applaudissements sur les bancs des groupes UDI-Agir et quelques bancs des
groupes LaREM et MODEM.) Du reste, la gauche comme la droite ont souvent
utilisé cette procédure constitutionnelle, y compris pour accélérer le parcours
parlementaire d’un texte.
En recyclant de vieilles lunes socialistes
comme la retraite à 60 ans et en refusant par facilité toute réforme
d’ampleur, les groupes de gauche représentés ici, dans une surprenante coalition
de circonstance, refusent d’assurer sérieusement l’avenir du système de retraite
dans un pays qui doit tenir compte du vieillissement de sa population.
M.
Jean-Paul Lecoq. Où est la coalition de circonstance ?
Mme Agnès
Firmin Le Bodo. Quant au Rassemblement national, dont j’ai cru
comprendre qu’il votera en faveur de cette motion, je note au passage que les
trois quarts des amendements déposés par ses députés n’ont pas été
soutenus.
Nous avions, quant à nous, des propositions concrètes. Nous
avons reçu les associations des aidants, celles des familles, les syndicats des
salariés, les représentants des cadres et les professionnels de santé. En un
mot, nous avons travaillé. Nous avons travaillé pour proposer des droits
nouveaux aux Français. Des droits nouveaux pour les aidants. De nouveaux droits
pour les porteurs de handicap. Des aménagements de fins de carrière plus
progressifs et complets. Des avancées importantes sur la pénibilité. Des droits
nouveaux pour les familles et pour les femmes. Des droits nouveaux pour les
agriculteurs, artisans et commerçants. Des droits pour tous ceux que notre
système actuel ne protège plus efficacement, parce que notre société a changé et
évolué.
De tout cela, nous n’avons pas pu parler, et nous le regrettons.
L’absence de débat et le 49.3 sont de votre faute, de votre
responsabilité ! Il vous faut donc maintenant assumer votre
stratégie.
Le groupe UDI, Agir et indépendants ne soutiendra donc pas
cette motion de censure. Nous regrettons cette séquence, qui affaiblit le
Parlement et dont personne, surtout pas la démocratie, ne sortira grandi. Je
vous l’ai dit mardi soir, lors d’une séquence un peu tendue : « J’ai
honte ! » Oui, j’ai honte de l’image que nous avons renvoyée de notre
institution.
M. Pierre
Cordier. Il ne faut pas exagérer non plus !
M. Jérôme
Lambert. Vous ne relevez pas le niveau.
Mme Agnès
Firmin Le Bodo. Mardi soir, je vous avais aussi prévenus : la
morale de la fable de La Fontaine Le rat et l’huître, c’est
« Tel est pris qui croyait prendre ». (Applaudissements sur les
bancs des groupes UDI-Agir et LaREM, ainsi que sur plusieurs bancs du groupe
MODEM.)
M. le
président. La parole est à Mme Jeanine Dubié.
Mme Jeanine
Dubié. Monsieur le Premier ministre, vous aviez toutes les cartes
en main : vous aviez le choix du calendrier, la maîtrise du déroulé des
négociations et, évidemment, la responsabilité des décisions pour mener cette
réforme de notre système de retraite à bon port.
Mme Valérie
Rabault. Elle a raison !
Mme Jeanine
Dubié. Or, vous avez, avec votre gouvernement, créé les conditions de la
défiance en voulant précipiter l’adoption d’un texte d’une telle envergure, qui
nous engage à long terme et qui a des conséquences directes sur le quotidien des
Français. Vous auriez dû faire vôtre cette pensée de Jean-Jacques Rousseau, que
l’on lit dans Émile ou De l’éducation : « Il faut savoir
perdre du temps pour en gagner ». (Applaudissements sur les bancs des
groupes LT et SOC.)
M.
Christian Hutin. Il y a encore des gens de gauche dans cet
hémicycle !
Mme Jeanine
Dubié. Quelle urgence y avait-il à faire adopter ce texte avant les
élections municipales ? Aucune.
Nous considérons que le Gouvernement
est le premier responsable de l’enlisement des débats parlementaires
(Applaudissements sur plusieurs bancs des groupes SOC, FI et GDR),…
Mme
Caroline Fiat. Eh oui !
Mme Jeanine
Dubié. …car il a voulu faire adopter cette réforme à marche forcée. En
utilisant l’article 49, alinéa 3, vous ne venez pas au secours d’une
assemblée gênée dans ses débats : non, vous nous dites que ce texte
passera, avec ou sans débat, avec ou sans vote, avec ou sans nous. Ce sera
malheureusement sans nous.
Je ne tire aucune satisfaction à prononcer ces
paroles. Je ne me réjouis pas de voir nos travaux échouer et nos espoirs
s’échouer. Car il s’agit bien d’un échec.
L’utilisation du 49.3 est en
effet l’aveu de faiblesse d’un gouvernement qui n’a pas su convaincre et qui n’a
su créer la confiance ni du Parlement, ni des partenaires sociaux, ni des
citoyens. Le rendez-vous est manqué, l’opportunité est gâchée. Et c’est empli
d’amertume que le groupe Libertés et territoires aborde les motions de censure
qui nous sont aujourd’hui présentées.
Notre groupe était pourtant
prêt : prêt à travailler avec tous, prêt à débattre et prêt à enrichir un
texte qui nourrissait tant d’espoir. Notre groupe, depuis un an, a pris cette
opportunité très au sérieux. Dès le grand débat national, le groupe Libertés et
territoires a pris soin de répondre à la lettre envoyée par le Président de la
République, en partageant notamment sa vision d’un système de retraite plus
juste et plus solidaire.
Nous nous sommes impliqués au sein du groupe de
travail sur la réforme des retraites, nous avons suivi avec attention les
concertations menées par le haut-commissaire de l’époque, M. Delevoye, et
nous avons, nous aussi, mené des auditions. Nous nous retrouvions même dans les
objectifs affichés par le Gouvernement au travers de cette réforme, à savoir
l’instauration d’un système universel par points, plus lisible, plus juste et
plus solidaire.
Un système qui s’attaquerait aux injustices à l’endroit
des femmes, des carrières heurtées, des carrières longues et des métiers
pénibles.
Un système qui offrirait à tous un niveau de vie digne, en
particulier à ceux qui en sont trop souvent privés, comme les exploitants
agricoles, les commerçants et les artisans.
Un système universel, mais
surtout solidaire, qui prenne en compte certaines spécificités : ici, je
songe évidemment aux aidants, aux personnes en situation de handicap, ou à
celles touchées par la maladie.
Un système qui réaffirmerait la place du
travail dans notre société, mais qui s’attacherait à le valoriser dans toutes
ses acceptions, en intégrant à cette réflexion le bénévolat, le volontariat, les
stages et les études.
Quelque part, monsieur le Premier ministre,
vous avez péché par défaut d’humilité. Si notre système actuel n’est pas
parfait, il est malgré tout riche et protecteur. Il est le fruit d’une histoire
sociale, de combats, de luttes et de dialogues.
Mme Valérie
Rabault. Très bien !
Mme Jeanine
Dubié. En confondant ambition et précipitation, vous avez oublié de
prendre le temps : le temps du dialogue social, le temps des concertations
et le temps du débat.
Mme
Caroline Fiat. Bravo !
Mme Jeanine
Dubié. Vous avez choisi de tout mener en même temps, mais les
négociations ne sont pas terminées, ce qui explique le nombre impressionnant
d’ordonnances, qui entravent la lisibilité et la compréhension de la réforme,
ainsi que les 79 amendements déposés par le Gouvernement en cours de débat.
Les négociations se poursuivront après le vote du texte sur des aspects pourtant
essentiels, comme la pénibilité, insuffisamment traitée, et le financement.
(Mme Valérie Rabault applaudit.)
Dès lors,
monsieur le Premier ministre, le texte que vous nous proposez est
inachevé : son financement n’est pas stabilisé, et il ne comporte aucune
garantie sérieuse sur la gouvernance, la valeur du point ou le niveau des
pensions.
Mais plus que le fond du projet de loi, c’est la forme que nous
rejetons. Nous voulons sanctionner la méthode employée par le Gouvernement, le
passage en force qui aurait pu être évité, le manque de considération du
Parlement et l’impuissance de notre institution.
M. Paul
Molac. C’est vrai !
Mme Jeanine
Dubié. Alors, pour toutes ces raisons, l’immense majorité du groupe
Libertés et territoires votera pour cette motion de censure.
(Applaudissements sur les bancs des groupes LT, SOC, FI et
GDR.)
M. le
président. La parole est à Mme Clémentine Autain.
Mme
Clémentine Autain. C’est un fiasco !
Vous avez beau
maquiller la réalité de votre projet sur les retraites, y compris avec une étude
d’impact de 1 000 pages totalement faussée ; vous avez beau
tenter de banaliser le recours au 49.3 en nous expliquant que d’autres avant
vous l’avaient utilisé, vous me faites penser à la tante Martha, issue d’un
roman de John Irving : « Ma tante Martha, comme la plupart des
Américains, savaient se montrer tyrannique quand il s’agissait de défendre la
démocratie ».
Vous avez beau rejeter la faute de votre coup de force
sur l’opposition, notamment la nôtre qui refuse en bloc ce texte et saisit
toutes les opportunités pour exprimer son point de vue, dans le cadre qui lui
est imparti démocratiquement ; vous avez beau décupler votre effort de
communication pour faire avaler la pilule de votre régression sociale et de
votre attitude autoritaire aux Français, rien n’y fait, rien n’y fera ! En
effet, le peuple français reste opposé à votre contre-réforme
(Applaudissements sur les bancs du groupe FI), qui vise à nous faire
travailler plus longtemps pour des pensions de retraite au rabais. Dans votre
système, il n’y a que des perdants, à part bien sûr les fonds de
pension !
M. Roland
Lescure. C’est faux !
Mme
Clémentine Autain. Vos guides sont la règle d’or et le productivisme,
alors que nous proposons le partage des richesses et des temps de la vie. Nous
proposons de sortir de sortir de la compétitivité financière et du consumérisme.
Nous vous proposons d’assumer cette opposition entre nous, qui reflète des choix
de société différents.
M. Rémy
Rebeyrotte. Nous, nous ne faisons pas de guérilla
parlementaire !
Mme
Clémentine Autain. Le débat démocratique suppose que nous assumions ces
contradictions. (Applaudissements sur les bancs du groupe
FI.)
Pourquoi mettre fin au débat parlementaire, en choisissant, en
prime, de nous couper le sifflet au moment où nous allions examiner les
questions essentielles du calcul de la valeur du point et de l’âge
d’équilibre ? Quelle urgence ? Pourquoi passer sur le corps du pouvoir
législatif et de la volonté des Français que vous refusez de consulter par
référendum ?
M.
Christian Hutin. Référendum !
Mme
Mathilde Panot. Ils n’aiment pas la démocratie !
Mme
Clémentine Autain. En réalité, nous sommes entrés dans une crise
profonde, de nature politique. Le 49.3 est une main que le Gouvernement pose sur
ses yeux pour s’éviter le spectacle d’une société en feu et la vision d’un
projet de loi, soi-disant universel, provoquant l’universalité des
colères.
À quoi ressemblera le mystérieux indicateur sur le fondement
duquel sera calculé le point ? Quelles seront les modalités des pensions de
réversion ? Les critères définitifs de pénibilité ? Les mécanismes de
compensation ? Les paramètres du coefficient de
conversion ?
Toutes ces questions, que nous vous avons posées et
reposées, sont restées sans réponse. Elles sont autant de bombes à retardement.
Faire passer ce texte sans avoir les réponses à ces questions est irresponsable.
(Applaudissements sur les bancs du groupe FI et quelques bancs du groupe
GDR. – M. Christian Hutin applaudit
également.)
Irresponsable, comme faire miroiter aux agriculteurs une
pension minimale de 1 000 euros, alors qu’il n’en sera rien.
Irresponsable, comme dire que les femmes, puis les avocats tant qu’on y
est,…
M.
Christian Hutin. Les avocats, c’est la catastrophe ! Vous êtes
contents pour les avocats ?
Mme
Clémentine Autain. …seront les grands gagnants de la réforme.
Irresponsable, comme affirmer inlassablement que notre système est en déficit,
alors qu’il est à l’équilibre.
Vous pouvez vous rassurer en restant dans
votre bulle technocratique et financière, mais le peuple français a relevé la
tête. Malgré toutes les difficultés à faire grève quand les fins de mois sont
difficiles, malgré vos gaz lacrymogènes disproportionnés, malgré les lanceurs de
balles de défense, malgré votre entêtement et malgré votre mépris
(Mme Caroline Fiat applaudit), le peuple français est
passé de la fatalité à l’indignation, de l’acceptation à la révolte.
(Applaudissements sur les bancs du groupe FI et sur quelques bancs du groupe
GDR.)
Quelque chose s’est levé dans notre pays, qui ne s’éteindra
pas ! et pour cause : le texte sur les retraites parachève votre œuvre
de destruction sociale et démocratique.
M.
Christian Hutin. Bravo !
Mme
Clémentine Autain. Dès le début de la législature, vous avez marqué du
sceau de l’injustice vos politiques : pendant que des milliards d’euros
étaient redistribués aux plus riches avec la réforme de l’ISF ou la
flat tax sur les revenus du capital…
M.
Christian Hutin. Vous allez jouer au golf au Touquet !
Mme
Clémentine Autain. …et que des exonérations fiscales venaient soutenir
les grandes entreprises et leurs profits, vous avez demandé au grand nombre de
faire des efforts, en baissant les aides personnalisées au logement, en
diminuant les droits des chômeurs, en asphyxiant les budgets publics. Votre
projet sur les retraites vient couronner des choix qui servent une infime partie
de la population, les hyper-riches.
Ce qui est mis à nu aujourd’hui,
c’est une Ve République consacrant une monarchie présidentielle et permettant de
passer outre la volonté du peuple. (M. Bastien Lachaud et
Mm Marie-George Buffet applaudissent.) La crise est
politique et touche notre régime.
Oui, il faut une nouvelle République,
pour réparer demain ce que vous détruisez aujourd’hui.
Oui, il faut une
nouvelle République pour qu’au lieu de toujours abaisser le plafond, on élève,
enfin, le sol de la démocratie.
(« Bravo ! » et
applaudissements sur les bancs du groupe FI, applaudissements sur plusieurs banc
des groupes GDR et SOC.)
M. le
président. La parole est à Mme Catherine Fabre.
Mme
Catherine Fabre. Nous y voilà ! Après une longue série de procédés
visant à l’obstruction du débat parlementaire sur le projet de loi instituant un
système universel de retraite, vous défendez le vote d’une motion de censure du
Gouvernement. Vous usez pour cela d’arguments qui ne tiennent pas, voire qui
frisent une certaine amnésie concernant les pratiques de vos groupes
respectifs.
Vous citez tout d’abord le Conseil d’État, qui regrette de
n’avoir eu que trois semaines pour examiner le texte. Laissez-moi à mon tour
commenter son avis. Certes, il commence par deux pages de mise en garde, mais
vous ne dites jamais qu’elles sont suivies de 60 pages qui valident les
choix juridiques du Gouvernement. À ce sujet, le vice-président du Conseil
d’État lui-même a déclaré, le 6 février, que ce n’était pas la première
fois que le Conseil d’État avait à regretter des délais trop serrés pour
examiner un texte. L’épisode que nous venons de vivre n’a rien d’exceptionnel.
(Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe LaREM.)
Mme
Caroline Fiat. Lisez la suite !
Mme
Catherine Fabre. Alors, arrêtez de faire croire aux Français que ce
projet est mal préparé ! (Rires sur les bancs du groupe LR.)
M.
Christian Hutin. En effet, il est très, très mal préparé !
Mme
Catherine Fabre. Il est en réalité bien mieux préparé que la majorité
des précédents projets de loi relatifs à la retraite, et vous le savez
bien !(Applaudissements sur quelques bancs du groupe LaREM.) La
retraite à 60 ans a-t-elle seulement fait l’objet d’une étude
d’impact ? Non ! Pourtant, ses implications financières étaient bien
plus périlleuses que celles de ce texte. La réforme Touraine de 2014 a-t-elle
fait l’objet d’une étude d’impact aussi fouillée que celle-ci ?
Mme Valérie
Rabault. Ah oui !
Mme
Catherine Fabre. La réponse est toujours non : elle ne comptait que
143 pages, au lieu des 1 043 de l’étude qui accompagne ce texte.
Mme
Caroline Fiat. C’était qui, le ministre de l’économie, à
l’époque ?
Mme
Catherine Fabre. Je vous invite à lire l’avis du Conseil d’État pour ce
qu’il est : une invitation à progresser, à laquelle le Gouvernement a
d’ailleurs répondu, en intégrant des améliorations au projet présenté au
Parlement. (Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe
LaREM.)
Ensuite, vous critiquez le temps de débat laissé aux
parlementaires. Franchement, vous n’avez pas peur de l’exagération !
(Rires sur les bancs du groupe LR.)
M.
Sébastien Chenu. Ni vous de la formule !
Mme
Catherine Fabre. Dois-je rappeler qu’avec 117 heures de débat dans
l’hémicycle, le projet de loi instituant un système universel de retraite est le
sixième texte de loi le plus débattu de la
Ve République ?(Applaudissements sur plusieurs bancs du
groupe LaREM.)
M. Pierre
Cordier. La Ve République n’a pas commencé en
2017 !
Mme
Catherine Fabre. En outre, sur les soixante-huit heures de débat
dévolues aux groupes parlementaires, vous avez utilisé 57 % du temps de
parole, alors même que vos trois groupes représentent 11 % des
députés !
Plusieurs députés des groupes
GDR et FI. Et alors ?
Mme
Catherine Fabre. Vous ne ferez croire à personne que nous vous avons
confisqué la parole !
M.
Jean-Louis Bricout. Nous avions encore des choses à dire !
M.
Christian Hutin. Avez-vous idée de ce qu’est la misère ?
Mme
Catherine Fabre. En réalité, vous avez tout mis en œuvre pour empêcher
le débat de se dérouler normalement. Au demeurant, les députés La France
insoumise l’ont clairement assumé, par plusieurs déclarations
publiques.
Cette critique est d’autant moins justifiée que le temps du
débat inclut l’organisation inédite d’une participation citoyenne, qui a compté
180 ateliers participatifs et recueilli par le biais d’une plateforme plus
de 35 000 contributions, soit 200 000 votes. De ce point de
vue, l’élaboration du projet de loi est exemplaire.
M.
Sébastien Chenu. Sa nullité n’a d’égale que celle de vos
arguments !
Mme
Catherine Fabre. Quel projet de loi sur les retraites auparavant défendu
par vos groupes respectifs peut se targuer d’avoir autant recouru à la
démocratie directe ? Aucun ! (Applaudissements sur plusieurs bancs
du groupe LaREM.)
Je pourrais démontrer avec la même énergie que
certains d’entre vous ont largement soutenu le recours aux ordonnances que vous
critiquez ici. Les gouvernements successifs de M. Hollande n’ont-ils pas
publié 274 ordonnances ? Bien sûr que si !
Je pourrais
également rappeler, chers collègues de gauche, que vous vous souciez peu des
enjeux financiers que vous mettez en avant. Il suffit de constater le peu de
sérieux de vos contre-projets sur ce point. Celui du groupe La France
insoumise n’y consacre que quinze pages !
M.
Jean-Paul Dufrègne. Ce n’est pas l’épaisseur qui fait la
qualité !
Mme
Catherine Fabre. Dans ces conditions, comment osez-vous nous accuser de
faire preuve de désinvolture ?
M. Pierre
Cordier. Nous, nous avons un véritable contre-projet !
Mme
Catherine Fabre. Vous avez raison sur un point : l’héritage du
Conseil national de la Résistance ne saurait être remis en cause. C’est
précisément pour cette raison que nous voulons, à la grande majorité de
l’Assemblée, que le texte soit adopté.
M.
Christian Hutin. Et la misère des gens qui sont en retraite ?
Mme
Catherine Fabre. Vous, vous ne le voulez pas ! En vérité, ce projet
de loi sur les retraites – social, redistributif et allant dans le bon
sens – vous fait peur, car il est bon, ce qui vous prive de vos arguments
politiques !
M.
Christian Hutin. Le golf du Touquet !
Mme
Catherine Fabre. C’est pourquoi vous avez tout fait pour provoquer le
recours au 49.3.
De surcroît, ce texte est aussi le nôtre, chers
collègues – de la majorité comme de l’opposition. Trois cents amendements,
issus des groupes de la majorité, des rapporteurs, du Gouvernement et des
groupes d’opposition – Gauche démocrate et républicaine,
Les Républicains, Socialistes, UDI-Agir, Libertés et territoires –
y ont été intégrés. Vous noterez qu’un groupe, dans cette énumération,
brille par son absence : il n’a pas déposé un seul amendement
constructif.
Mme
Caroline Fiat. Ils ont été déclarés irrecevables !
M.
Christian Hutin. Le golf du Touquet !
Mme
Catherine Fabre. Des avancées considérables ont été acquises grâce à
notre travail parlementaire, s’agissant notamment des personnes handicapées, des
femmes, des personnes exposées à des facteurs de pénibilité, de l’employabilité
des seniors, des enseignants, des travailleurs indépendants et de ceux qui
relèveront du nouveau système. Plus généralement, elles permettront de rendre la
gouvernance du système plus transparente et d’améliorer l’association du
Parlement aux travaux du Gouvernement en la matière.
Pour conclure,
j’emprunterai à Cléante, personnage du Tartuffe de Molière, ces
mots : « Nous perdons des moments en bagatelles pures / Qu’il faudrait
employer à prendre des mesures. Aux menaces du fourbe on doit ne dormir
point ».
M.
Sébastien Chenu. Quel sens de la formule !
Mme
Catherine Fabre. Mesdames et messieurs les tartuffes, je vous confirme
que nous ne dormons point. C’est pourquoi le groupe La République en marche
ne votera pas la motion de censure. (Vifs applaudissements sur les bancs du
groupe LaREM, dont plusieurs membres se lèvent, et sur les bancs du groupe
MODEM.)
M. le
président. Je vais maintenant mettre aux voix…
M.
Sébastien Chenu. Le golf du Touquet ! (Rires.)
M. le
président. Je parle de la motion de censure de M. André Chassaigne,
M. Jean-Luc Mélenchon, Mme Valérie Rabault et soixante députés, cher
collègue.
Le scrutin est annoncé dans l’enceinte de l’Assemblée
nationale.
Je rappelle que seuls les députés favorables à la motion de
censure participent au scrutin, et que le vote se déroule dans les salles
voisines de l’hémicycle.
Le scrutin est ouvert. Il sera clos à minuit
cinquante.
Suspension et reprise de la séance
M. le
président. La séance est suspendue.
(La séance, suspendue le mercredi 4 mars à zéro heure
vingt, est reprise à zéro heure cinquante.)
M. le
président. La séance est reprise.
Voici le résultat du
scrutin :
Majorité requise pour l’adoption de la motion de censure,
soit la majorité absolue des membres composant l’Assemblée
289
Pour
l’adoption 91
La
majorité requise n’étant pas atteinte, la motion de censure n’est pas
adoptée.
En conséquence, est considéré comme adopté le projet de loi
instituant un système universel de retraite. (Applaudissements sur les bancs
des groupes LaREM, MODEM et UDI-Agir.)
2
Ordre du jour de la prochaine séance
M. le
président. Prochaine séance, cet après-midi, à quinze
heures :
Suite de la discussion du projet de loi organique relatif
au système universel de retraite.
La séance est levée.
(La séance est levée, le mercredi 4 mars 2020 à zéro
heure cinquante.)
Le Directeur du service du compte rendu de la séance
de
l’Assemblée nationale
Serge Ezdra
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