Système universel de retraite
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AN 1 - Débats 28 février 2020 : 2ème séance du 27
Document intégral

 

Article 4 (suite)

M. le président. Je suis saisi de deux amendements identiques, nos 443 et 24938.

La parole est à M. Maxime Minot, pour soutenir l’amendement no 443.

M. Maxime Minot. Cet amendement que nous devons à notre collègue Pierre Cordier vise à supprimer les alinéas 9 à 11 de l’article 4. Le système universel de retraite s’appliquera aux travailleurs indépendants, ce qui implique la fusion dans le système universel des régimes autonomes des travailleurs indépendants et libéraux et de leurs caisses complémentaires. Dans de nombreux cas, cette fusion fera des perdants, du fait des cotisations ou des prestations. Certaines catégories d’indépendants subiront en effet un doublement de leurs cotisations, sans y gagner en matière de prestations.

M. le président. La parole est à M. Régis Juanico, pour soutenir l’amendement no 24938.

M. Régis Juanico. J’ai beau essayer, depuis le tout début, de suivre nos débats très attentivement, concernant l’article 4, on n’y comprend plus rien. Du point de vue de la lisibilité de la réforme, pour les indépendants et les professions libérales, on en est au degré zéro. Entre l’amendement déposé à la dernière minute par le Gouvernement après l’article 2, les concertations et les annonces parallèles au débat parlementaire – en dehors de ces murs – et le recours aux nombreuses ordonnances, il est difficile d’y voir encore clair !

L’amendement propose d’exclure les travailleurs indépendants du champ d’application du projet de loi. En effet, les spécificités de leur métier, la périodicité de leurs activités, parfois, et la nature de leur rémunération justifient un système de retraite propre et adapté. Certaines de ces professions ont en outre la particularité d’entraîner la constitution d’un patrimoine dédié à l’activité professionnelle, qui peut représenter, au moment du départ à la retraite, un élément complémentaire de la pension. Ces professions ne sauraient donc être traitées de la même manière que les agents publics ou les salariés du secteur privé.

M. le président. La parole est à M. Guillaume Gouffier-Cha, rapporteur général de la commission spéciale, pour donner l’avis de la commission.

M. Guillaume Gouffier-Cha, rapporteur général de la commission spéciale. Avis défavorable. Nous avons déjà eu ce débat ce matin, et des réponses ont été apportées à ces questions.

M. le président. La parole est à M. le secrétaire d’État chargé des retraites, pour donner l’avis du Gouvernement.

M. Laurent Pietraszewski, secrétaire d’État chargé des retraites. Avis défavorable.

M. le président. La parole est à M. Alain David.

M. Alain David. L’amendement no 24938 est un amendement de cohérence avec ceux qui visent à faire barrage à une réforme sans précédent de notre système d’assurance vieillesse, imposée sans aucune étude d’impact sérieuse, sans évaluations financières fiables et sans que le Parlement soit en mesure d’en apprécier toute la teneur, du fait des nombreux renvois à des ordonnances ou des décrets. Nous voulons que ce projet soit purement et simplement retiré.

(Les amendements identiques nos 443 et 24938 ne sont pas adoptés.)

M. le président. L’amendement no 13630 et les seize amendements identiques déposés par les membres du groupe La France insoumise sont défendus.

(Les amendements no 13630 et identiques, repoussés par la commission et le Gouvernement, ne sont pas adoptés.)

M. le président. L’amendement no 13647 et les seize amendements identiques déposés par les membres du groupe La France insoumise sont défendus.

Quel est l’avis de la commission ?

M. Guillaume Gouffier-Cha, rapporteur général. Avis défavorable.

M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?

M. Laurent Pietraszewski, secrétaire d’État. Avis défavorable également à ces amendements qui, en supprimant des alinéas de l’article, rendent celui-ci incohérent.

(Les amendements no 13647 et identiques ne sont pas adoptés.)

M. le président. L’amendement no 13665 et les seize amendements identiques déposés par les membres du groupe La France insoumise sont défendus.

(Les amendements no 13665 et identiques, repoussés par la commission et le Gouvernement, ne sont pas adoptés.)

M. le président. Les amendements identiques nos 228 de M. Fabrice Brun, 398 de M. Pierre Cordier et 11908 de M. Marc Le Fur sont défendus.

(Les amendements identiques nos 228, 398 et 11908, repoussés par la commission et le Gouvernement, ne sont pas adoptés.)

M. le président. Je suis saisi d’une série de dix-huit amendements identiques qui se compose de l’amendement no 13682 et de seize amendements identiques déposés par les membres du groupe La France insoumise, ainsi que de l’amendement no 24939.

La parole est à M. Éric Coquerel, pour soutenir les amendements de son groupe.

M. Éric Coquerel. Ce matin, nous avons commencé à débattre des travailleurs indépendants et, un peu avant la fin de la séance, je vous ai posé, monsieur le secrétaire d’État,  une question à laquelle je ne crois pas avoir eu de réponse. Elle concernait le caractère pseudo-universel de la réforme concernant les indépendants : je l’ai signalé, 75 % d’entre eux seulement seraient concernés ; en outre, il est proposé qu’ils cotisent uniquement à hauteur de la part salariale, de sorte qu’en cotisant moins, ils s’ouvrent moins de droits que les salariés, à revenus identiques. Je vous ai aussi signalé plusieurs cas témoignant de l’existence de situations à la carte, certaines professions pouvant acquérir des points supplémentaires. Je vous repose ma question : ne pensez-vous pas que cet état de fait hypothèque le prétendu caractère universel de votre système ?

M. le président. La parole est à M. Régis Juanico, pour soutenir l’amendement no 24939.

M. Régis Juanico. Je souhaite moi aussi revenir sur des questions posées en fin de matinée et qui n’ont pas reçu de réponses claires et précises. Le Gouvernement prévoit-il de puiser dans les réserves des caisses existantes afin de financer les mesures de lissage destinées à certaines professions libérales et indépendantes ? C’est ce que vous semblez prévoir pour les avocats : la lettre adressée hier par Mme la garde des sceaux à la Caisse nationale des barreaux français – CNBF – évoque la possibilité d’utiliser les produits des réserves financières de cette dernière. M. le secrétaire d’État répète depuis plusieurs jours qu’il n’est pas question de puiser dans les caisses des professions libérales et indépendantes, mais la lettre de Mme la garde des sceaux dit exactement le contraire ! (Protestations sur les bancs du groupe LaREM.)

M. Patrick Hetzel. Tout à fait !

M. Boris Vallaud. Vérité en deçà de la Seine…

M. Régis Juanico. À un moment donné, il faut que vous preniez clairement position !

M. le président. Quel est l’avis de la commission sur ces amendements ?

M. Guillaume Gouffier-Cha, rapporteur général. Défavorable à ces amendements de suppression de l’alinéa 12. Nous reviendrons plus longuement, à l’article 58, sur ces sujets qui ont déjà fait l’objet d’explications.

M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?

M. Laurent Pietraszewski, secrétaire d’État. À ce genre de question, on répond une première fois, puis une deuxième ; à la troisième, on vous reproche de ne pas y avoir tout à fait répondu ; elles reviennent en permanence et ne font pas du tout avancer le débat.(Protestations sur les bancs des groupes SOC et GDR.) Tous ceux qui nous suivent doivent se dire que cela n’est pas possible !

M. Éric Coquerel. Pas au sens où vous l’entendez !

M. Laurent Pietraszewski, secrétaire d’État. La réalité est toujours la même, monsieur Juanico, il n’y a rien de nouveau : les réserves appartiennent à ceux qui les ont constituées ; ils décideront de leur utilisation en fonction des différentes options possibles. Ce n’est pas au Gouvernement d’en décider et cette décision ne figure pas dans le projet de loi.

Je voudrais que l’on me donne acte du fait que j’ai répondu à cette question dix, quinze, vingt, trente fois, et que l’on passe à d’autres questions ! (Applaudissements sur plusieurs bancs des groupes LaREM et MODEM.)

M. le président. La parole est à M. Éric Coquerel.

M. Éric Coquerel. Nous faisons bien de vous reposer cette question, car vos réponses ne sont jamais tout à fait les mêmes. (Protestations sur les bancs des groupes LaREM et MODEM.) Vous dites qu’il appartiendra à ces caisses de décider si elles puisent ou non dans leurs fonds de réserve.

M. Rémy Rebeyrotte. C’est la lettre de la garde des sceaux !

M. Éric Coquerel. Si vous obligez les avocats, pour éviter le plan social qui s’annonce concernant notamment les moins fortunés d’entre eux, à puiser dans leur fonds de réserve…

M. Alain Perea. C’est faux !

M. Éric Coquerel. …pour équilibrer la situation, vous n’en prenez certes pas la responsabilité, mais cela revient au même.

M. Bruno Millienne. C’est un procès d’intention !

M. Éric Coquerel. Ce fonds de réserve repose sur un principe très clair : il permet, en fonction des aléas et de l’évolution du nombre d’avocats du fait des nouveaux arrivants dans la profession, de compenser les coups durs.

Par le présent projet de loi, vous imposez à certains avocats l’alternative suivante : la ruine immédiate, voire la disparition, ce qui laisse sans défense des clients dont nous vous avons dit que la situation financière est souvent fragile, ou la nécessité de puiser dans les fonds de réserve pour tenir quelques années du fait des mesures que vous leur infligez. Il ne vous appartiendra peut-être pas de trancher mais qu’importe : l’une et l’autre solution reviennent au même ! De facto, les avocats devront puiser dans leur fonds de réserve pour assumer les effets de la loi que vous leur imposez !

M. Jean-René Cazeneuve. Ça y est ? C’est bon, on n’y revient plus ?

M. Éric Coquerel. Respirez un bon coup, cher collègue, vous irez mieux !  C’est fait ! » sur les bancs du groupe LaREM.) Et demandez la parole si vous avez quelque chose à dire, argumentez, répondez !

M. le président. La parole est à M. Frédéric Petit.

M. Frédéric Petit. Les avocats demeureront pleinement responsables de leur fonds de réserve. Je vous rappelle que nous avons adopté hier une disposition les autorisant à maintenir les principes et les méthodes de solidarité interne qu’ils appliquent déjà ! Autrement dit, la loi leur permettra de conserver leur système interne de compensation afin que la profession dispose d’un fonds de solidarité et qu’elle soit libre de faire ce qu’elle veut de ce qui lui appartient. C’est clair, net et précis. (Applaudissements sur les bancs des groupes MODEM et LaREM.)

M. le président. La parole est à M. Boris Vallaud.

M. Boris Vallaud. En toute franchise, ça sent l’embrouille… Je relis la lettre de la ministre(Exclamations sur les bancs du groupe MODEM) : le financement de la solidarité « sera assuré par les droits de plaidoirie et leur contribution équivalente » ; soit. Elle ajoute ceci : « La CNBF pourra également utiliser les produits de ses réserves financières. » Or le montant que rapporteront les droits de plaidoirie ne fait pas la maille ! L’augmentation totale des cotisations, de l’ordre de 229 millions d’euros, sera nettement supérieure au produit des droits de plaidoirie, qui devrait s’élever à 87,2 millions. Comment pallier la différence ? En puisant dans les réserves.

Vous parlez de liberté de choisir l’âge de départ à la retraite alors qu’en réalité, une très petite retraite ne laisse pas d’autre choix que de travailler plus longtemps. Vous faites la même chose pour les avocats : les droits de plaidoirie ne couvrant pas l’augmentation des cotisations, vous leur permettez de puiser dans leurs réserves, mais quel autre choix auront-ils ?(Exclamations sur les bancs du groupe LaREM.) Aucun : ils puiseront dans leurs réserves.

M. Jean-Paul Dufrègne. Eh oui !

Mme Catherine Fabre. Et la solidarité ?

M. Boris Vallaud. En réalité, vous utilisez bien le fonds de réserve des avocats, même s’il reste à leur bénéfice.

M. Frédéric Petit. Ils ont dix ans pour s’organiser !

M. le président. La parole est à M. Roland Lescure.

M. Roland Lescure. Nous sommes le 27 février, il est quinze heures quinze, il nous reste 31 115 amendements à examiner et voilà onze jours que nous sommes ensemble.

M. Jean-Paul Dufrègne. Nous avons entendu cela toute la matinée !

M. Thibault Bazin. C’est de l’obstruction !

M. Roland Lescure. Puisque ces amendements ont trait au champ d’application de la réforme, permettez-moi de revenir quelques instants sur le projet de nos collègues du groupe Les Républicains, que le président Éric Woerth a rapidement présenté ce matin.

M. Thibault Bazin. Mais ce ne sont pas nos amendements !

M. Roland Lescure. Je lui reconnais volontiers clarté, rigueur et cohérence – contrairement à d’autres, qui nous proposent onze pages simplistes et confiscatoires.

M. Alain Bruneel. Vous ne nous diviserez pas !

M. Roland Lescure. Votre projet, chers collègues du groupe Les Républicains, est simple : au fond, c’est le nôtre, mais au rabais.  Non ! » sur les bancs du groupe LR.) Si j’ai bien entendu, vous proposez un système universel par points et une retraite minimum ; pour le reste, vous souhaitez préserver les caisses autonomes. En bon français et sans pudeur, vous introduisez des fonds de pension à la française. Ce faisant, vous allez à l’encontre de l’objectif de solidarité que nous partageons tous, y compris pour les petits avocats ou encore les danseurs d’opéra qui ne sont pas à l’Opéra de Paris et sont sans projet précis. Au fond, le régime que vous prônez est très proche d’un régime que je connais bien, le régime canadien, et repose sur la combinaison de fonds de pension à la française, d’un régime par capitalisation et d’un régime minimum ; voilà ce qui vous convient.

J’ai une suggestion à vous faire, chers collègues : oubliez les fonds de pension à la française, car les Français n’en veulent pas, et rejoignez-nous – votez en faveur de notre projet de loi et amendez-le à la marge !

M. Stéphane Viry. Nous essayons !

M. Roland Lescure. Je suis certain qu’ainsi, nous parviendrons à progresser ! (Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe LaREM.)

M. le président. Sans transition, la parole est au président Éric Woerth.

M. Éric Woerth. Votre découverte est bien tardive, monsieur le président Lescure !

M. Patrick Hetzel. Excellent !

M. Éric Woerth. Nous avons présenté notre proposition dès le mois de janvier, peut-être même à la fin décembre : ce n’est pas tout récent, mais il faut du temps pour qu’il infuse. Vous n’en avez manifestement pas encore tout compris ; lorsqu’il aura infusé davantage, vous aurez une vision réaliste de notre projet qui, tout simplement, est plus clair et plus compréhensible.

M. Sacha Houlié. Et égalitaire ?

M. Éric Woerth. La loi ne saurait être illisible ; si elle l’est, ce n’est plus la loi. Il serait problématique que les Français ne comprennent pas l’intention du législateur. Interrogez les gens dans vos circonscriptions : vous ne trouverez personne pour expliquer un tant soit peu ce dont il s’agit – c’est impossible. Quant aux éléments de langage – nous en avons tous – sur le caractère plus juste et plus universel du projet, ils ne sont avérés nulle part. Les périodes de transition s’étalent sur vingt, trente, voire cinquante ans – c’est-à-dire sur cinq, six, sept ou huit quinquennats ! Comment voulez-vous garantir quoi que ce soit aux Français dans ces conditions ? Nous sommes plus clairs.

J’ajoute que vous imposez de nouvelles charges aux avocats, aux professions libérales et aux non-salariés. Vous aurez beau affirmer que ces professions pourront utiliser comme elles le souhaitent les fonds qu’elles ont constitués, elles seront en réalité obligées de les utiliser pendant la phase de transition pour couvrir les charges supplémentaires en question, que ne couvriront pas non plus les abattements prévus, par exemple sur l’assiette de la CSG. C’est la raison pour laquelle vous proposez d’utiliser le produit des droits de plaidoirie ; mais il est d’ores et déjà versé à la CNBF. Le système de retraite des avocats est totalement autonome – autonomie que vous prétendez préserver, mais seulement dans la limite de l’obligation qui leur est faite de s’intégrer à un système universel dont ils ne veulent pas. Tout cela manque de cohérence intellectuelle. (Applaudissements sur les bancs du groupe LR.)

M. Patrick Hetzel. Très bien !

M. le président. La parole est à M. Alain Bruneel.

M. Alain Bruneel. M. Lescure, arrivé en début d’après-midi, reprend les mêmes phrases que ses collègues ce matin. (Exclamations sur les bancs du groupe LaREM.)

M. Patrick Mignola. Ce n’est pas à vous que ça arriverait…

M. Alain Bruneel. Nous avons examiné x amendements, nous dit-il, mais je lui rappelle que nous sommes dans l’hémicycle de l’Assemblée nationale et que si nous ne sommes pas tous d’accord, chacun a le droit de s’exprimer.

Mme Brigitte Bourguignon, présidente de la commission spéciale. En effet, et comme il le souhaite !

M. Rémy Rebeyrotte. Oui, monsieur Lescure a le droit de dire ce qu’il veut !

M. Patrick Mignola. Seule l’opposition a le droit de se répéter !

M. Alain Bruneel. S’agissant des avocats, je ne comprends pas : comme on l’a dit maintes fois, ils ont une caisse autonome et reversent une partie de leurs fonds au régime général. D’autre part, vous affirmez que leur nombre va décroître – ce que l’on ne saurait deviner, même si des enquêtes existent sur le sujet. Il y a néanmoins un paradoxe : la population augmente – nous sommes 7,7 milliards aujourd’hui mais nous serons 10 milliards en 2050 – et avec elle, le nombre de personnes qui auront besoin de recourir aux services d’avocats. Je regrette, mais il est contradictoire de prétendre que le nombre d’avocats diminuera alors que la population, elle, augmentera ! (M. Stéphane Peu applaudit.)

M. le président. La parole est à M. Sacha Houlié.

M. Sacha Houlié. Nous avons beaucoup parlé des avocats ; permettez-moi un mot en tant que membre de la profession. Les avocats – ils le disent eux-mêmes – vivent un malaise qui n’est pas dû à la réforme des retraites. (Exclamations sur les bancs du groupe LR.) Il découle de l’antécédent de la réforme de la carte judiciaire de 2009 – vous pouvez, chers collègues qui siégez à la droite de l’hémicycle, en assumer la responsabilité – et de la manière dont on a longtemps laissé traîner la question de l’aide juridictionnelle, que nous traitons.

Des réponses leur ont déjà été apportées. Je vous entends reprendre certaines revendications relatives à l’abattement pour affirmer que les baisses de CSG et de CRDS sont insuffisantes, que la transition ne vous plaît pas, que vous jugez trop peu pertinent le maintien des mécanismes de péréquation. Reste que ces avancées existent, qu’elles sont concrètes et que la garde des sceaux les a confirmées.

Pourquoi le nombre d’avocats va-t-il diminuer ? Parce que la profession va profondément évoluer. L’activité de contentieux de masse disparaîtra parce que les algorithmes s’en chargent bien mieux que les avocats.

M. Boris Vallaud. Bienvenue dans la justice automatique !

M. Sacha Houlié. Ceux-ci vont, comme les infirmiers, se spécialiser dans l’accompagnement de cas typiques où leur intervention demeurera essentielle sans qu’il soit nécessaire de maintenir leur nombre actuel, étant entendu qu’en outre, le ratio entre le nombre de pensionnés et le nombre de cotisants connaîtra une forte hausse. C’est pourquoi la profession s’est elle-même adaptée en augmentant ses cotisations et en prévoyant le rythme de transition. De même, c’est pour eux que nous prenons ces dispositions dans la réforme, en cohérence avec les décisions de la CNBF. (Applaudissements sur les bancs du groupe LaREM.)

M. le président. La parole est à Mme Marie-Christine Dalloz.

Mme Marie-Christine Dalloz. Selon l’argumentation du président Lescure, le groupe Les Républicains ferait la promotion des fonds de pension à la française ; c’est faux. Démontrez-nous la moindre intention, dans notre projet, d’adopter ce type de mécanisme ! Que ce soit clair : nous sommes foncièrement – je dirais même idéologiquement, structurellement, génétiquement – favorables à la répartition. Il n’y a aucune ambiguïté à ce sujet, monsieur Lescure, et notre projet de réforme des retraites ne va pas du tout dans ce sens.

En revanche, je constate un point qui vous fera sûrement plaisir. Comme le rapporteur Turquois l’a expliqué, vous avez décidé d’appliquer la réforme à partir de la génération née en 1975. Or le basculement aura lieu en 2025, alors que la cohorte de 1975 aura 50 ans. Sachant que vous projetez de fixer l’âge de départ à la retraite vers 65 ans, l’intervalle entre ces deux âges permettra précisément de privilégier la capitalisation. En effet, les gens auront compris que votre retraite consistera en un socle minimal ; pendant leurs quinze dernières années d’activité, ils auront donc intérêt à se tourner vers des régimes privés. Vous ne le dites pas ; mais ne nous reprochez pas à tort de défendre des mesures alors que c’est dans votre projet de loi qu’elles figurent implicitement ; assumez-en la réalité !

M. Patrick Hetzel. Très bien !

M. le président. La parole est à Mme Caroline Fiat.

Mme Caroline Fiat. Il vient de nous être dit que le nombre d’avocats baisserait mécaniquement car, les algorithmes permettant d’accélérer le traitement des dossiers, leur présence serait moins nécessaire.

M. Sacha Houlié. Pour le contentieux de masse, oui.

Mme Caroline Fiat. Cette évolution a été comparée à celle des infirmiers.

M. Sacha Houlié. Mais non, c’est tout l’inverse !

Mme Caroline Fiat. Il a été envisagé de faire autant avec moins d’infirmiers ; on en voit le résultat – c’est la crise que traversent les hôpitaux. Aujourd’hui, on se fonde sur ce précédent pour se réjouir de pouvoir à l’avenir faire autant avec moins d’avocats,…

M. Erwan Balanant. Ce n’est pas du tout ce que M. Houlié a dit !

Mme Caroline Fiat. …mais je peux d’ores et déjà vous annoncer le résultat, qui est bien connu puisqu’il sera identique à la crise actuelle du système hospitalier ! On a tant misé sur la capacité à faire autant avec moins d’infirmiers qu’on est allé droit dans le mur. Je vous en prie, ne faites pas le même pari s’agissant des avocats. Un peu de cohérence ! Ne misez pas sur les algorithmes : ils ne fonctionnent pas.

Nous avons d’autant plus besoin des avocats que ceux d’entre eux qui gagnent le moins sont aussi les plus utiles à nos concitoyens les moins fortunés, car ils fournissent l’aide juridictionnelle et permettent à toutes et à tous de faire valoir leur droit à la défense. Les gouvernements précédents ont créé les déserts médicaux ; vous allez créer les déserts judiciaires. Prenez garde à ce que vous faites !

M. Éric Coquerel. Très bien !

M. le président. La parole est à M. Jean-Paul Dufrègne.

M. Jean-Paul Dufrègne. M. Lescure a mis en avant deux autres projets : celui du groupe Les Républicains, dont il a invité les membres à rejoindre la majorité, et un autre qu’il a balayé d’un revers de manche en évoquant ses onze pages « confiscatoires »,…

M. Roland Lescure. Parce que c’est vrai !

M. Jean-Paul Dufrègne. …comme si cette notion était taboue et à proscrire. Vous ne cessez de nous rappeler que la société a changé, et nous ne vous avons pas attendus pour le constate. Il faut assurément envisager d’autres sources de financement, et j’espère que la conférence de financement le fera. Il faut partager le progrès, partager la richesse produite dans les entreprises et par les autres moyens qu’offre la société. Notre collègue Houlié a annoncé la baisse du nombre d’avocats grâce aux algorithmes et à la robotique. Cela n’empêchera pas notre pays de produire autant de richesses, voire plus ! Nous devons changer de paradigme pour adapter la société aux réalités de demain.

C’est pourquoi nous proposons que les revenus financiers participent au financement du système de retraite. Vous mettez constamment à contribution les petits contre les gros, auxquels vous avez accordé des cadeaux fiscaux faramineux – suppression de l’impôt sur la fortune, flat tax, et ainsi de suite. Cette année, les dividendes du CAC40 ont atteint un montant record de 50 milliards !

Quelle part de ce montant alimentera le fonds des retraites ? Est-ce si absurde de penser qu’il faudrait travailler sur ces pistes ? Vous balayez nos propositions d’un revers de main, alors que nos questions portent sur ce qui se passe aujourd’hui et sur ce à quoi il va nous falloir faire face. (Applaudissements sur les bancs du groupe GDR.)

M. le président. La parole est à M. Erwan Balanant.

M. Erwan Balanant. Nous parlons décidément beaucoup des avocats.

M. Patrick Hetzel. C’est un sujet important !

M. Erwan Balanant. Oui, comme beaucoup d’autres, comme celui des artisans, des commerçants, des ouvriers, des agriculteurs, des pêcheurs.

Mme Marie-Christine Dalloz. Nous en avons parlé ce matin !

M. Erwan Balanant. Tous ces sujets sont importants, et j’ai beaucoup d’estime pour les avocats,…

M. Thibault Bazin. Montrez-le leur !

M. Erwan Balanant. …qui exercent une profession essentielle.

M. Jean-Paul Dufrègne. Vous feriez un mauvais avocat !

M. Erwan Balanant. Comme vous, j’ai récemment rencontré des avocats. Les retraites sont un voile qui cache un malaise plus profond : oui, des sauts technologiques induisent une transformation de la profession, même si je ne crois pas beaucoup dans l’avènement d’une justice algorithmique et espère que notre pays comptera encore longtemps beaucoup d’avocats.

Mais un autre problème se pose : celui de leur statut et de leur rapport avec certains donneurs d’ordres, comme les assureurs dans le cadre de l’aide juridictionnelle. Nous devons travailler sur ces sujets.

Aux avocats, je dis que des propositions sérieuses, n’entraînant pratiquement aucun coût pour les petits cabinets, ont été faites à propos des retraites. Réfléchissons maintenant, avec des députés siégeant sur tous les bancs, au statut des avocats, à leur indépendance et à leur rapport avec les assureurs et la justice. Réfléchissions également aux moyens d’améliorer encore cette dernière, même si nous avons déjà beaucoup avancé dans ce domaine, avec la loi du 23 mars 2019 de programmation 2018-2022 et de réforme pour la justice, qui a revalorisé de 25 % le budget de la justice, lequel n’avait pas progressé depuis presque vingt ans.

(Les amendements no 13682 et identiques ne sont pas adoptés.)

M. le président. Je suis saisi de deux amendements identiques, nos 1487 et 3964.

La parole est à M. Thibault Bazin, pour soutenir l’amendement no 1487.

M. Thibault Bazin. Il ne vise pas à supprimer un alinéa, mais à assurer la cohérence entre l’alinéa 12 de l’article 4 et le titre 4 du livre 6 du code de la sécurité sociale, « Assurance vieillesse et invalidité-décès des professions libérales ».

L’amendement énumère les professionnels conservant les régimes de retraite actuels, à savoir ceux nés avant 1975, ainsi que les assurés ressortissant aux régimes invalidité-décès propres aux professions libérales.

La rédaction de notre amendement se veut la plus complète possible. On y lit que « sont affiliées aux régimes d’assurance vieillesse des professions libérales les personnes ne relevant pas des dispositions du II de l’article L. 190-1 exerçant » les professions dont nous dressons la liste : médecins, dentistes, sages-femmes, pharmaciens, psychologues, ergothérapeutes, etc. Monsieur le secrétaire d’État, monsieur le rapporteur général, sous-amendez l’amendement si nécessaire, afin qu’aucune profession ne soit oubliée !

Vous réaffirmiez ce matin que vous ne touchiez pas aux caisses autonomes ; ne modifiez donc pas leurs aspects positifs, comme la prévoyance, avec la réversion. Les experts-comptables peuvent ainsi verser une cotisation supplémentaire destinée à ce que leur conjoint bénéficie d’une pension de réversion égale à 100 % des points ! Si vous leur ôtiez cette faculté, vous entraîneriez une régression sociale, mes chers collègues. Je vous invite donc à adopter l’amendement, afin que la réforme ne fasse, comme vous le souhaitez, que des gagnants. Voilà l’objectif de cet amendement de bon sens, que nous avons beaucoup travaillé. (Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe LR.)

M. Patrick Hetzel. Très bien !

M. le président. La parole est à Mme Emmanuelle Ménard, pour soutenir l’amendement no 3964.

Mme Emmanuelle Ménard. Dans notre énumération, nous avons veillé à n’oublier aucune profession. Mon collègue Thibault Bazin a évoqué des professions du secteur médical ; pour compléter, je tiens à citer les notaires, les huissiers de justice, les commissaires-priseurs, les experts-comptables, mais également les professions liées à l’architecture, les artistes non mentionnés à l’article L. 382-1 du code de la sécurité sociale et les guides conférenciers, les vétérinaires, les moniteurs de ski, ainsi que les guides de haute montagne et les accompagnateurs de moyenne montagne, que l’on oublie trop souvent.

Cette liste est le fruit d’un travail sérieux ; puisqu’il ne s’agit pas, comme l’a souligné mon collègue Bazin, d’un amendement de suppression mais d’une suggestion de réécriture de l’alinéa 12, nous vous demandons de lui accorder beaucoup d’attention. Cette proposition intéressante mériterait d’être votée par tous.  

M. le président. Quel est l’avis de la commission ?

M. Guillaume Gouffier-Cha, rapporteur général. Par ces amendements, vous voulez énumérer les professions libérales qui continueront à relever de leur caisse pour la couverture du risque invalidité-décès. Vous voulez éviter que certaines catégories ne soient oubliées ; rassurez-vous, nous n’en oublierons aucune ! En réalité, les amendements n’apportent aucune clarification par rapport au droit existant, car la rédaction actuelle de l’alinéa 12 conserve la référence aux huit groupes de professions libérales que vous citez et dont l’article L. 640-1 du code de la sécurité sociale dresse la liste. L’alinéa 12 complète cet article, mais ne le modifie pas.

Je vous demande donc de retirer les deux amendements ; à défaut, mon avis serait défavorable.

M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?

M. Laurent Pietraszewski, secrétaire d’État. Madame Ménard, je relisais avec attention votre amendement, en même temps que j’écoutais le rapporteur général, pour vérifier que nous n’avions oublié personne. J’ai répondu à Mme Anthoine à ce sujet ce matin, en lui rappelant que les dispositifs de prévoyance qui existent au sein des professions libérales, concernant notamment l’invalidité et le décès, continueraient de fonctionner comme aujourd’hui. De ce point de vue, la rédaction actuelle de l’alinéa 12 est bonne et satisfait votre demande.

Je vous invite à vérifier l’article L. 640-1 du code de la sécurité sociale, qu’il n’est pas nécessaire de recopier dans le projet de loi puisque celui-ci ne l’abroge pas et ne lui enlève aucune portée. J’espère ainsi vous rassurer, ainsi que M. Bazin.

À défaut de retrait, je donnerai un avis défavorable.

M. le président. Êtes-vous rassuré, monsieur Bazin ?

M. Thibault Bazin. Oui, du moins pour la partie que nous avions déjà évoquée en commission spéciale. Néanmoins, je continue de cheminer…

M. Jean-René Cazeneuve. C’est bien !

M. Thibault Bazin. C’est un sujet sérieux, monsieur Cazeneuve. Je persiste à me poser la question des modalités : les caisses autonomes perdurent, mais leur mode de financement, par délégation et sous la forme de conventions d’objectifs et de moyens, peut poser des problèmes à certaines d’entre elles, notamment celles plus attractives que le régime général que votre réforme imagine pour tout le monde.

Excusez-moi d’être technique, mais avec un plafond à 3 PASS – trois fois le plafond annuel de la sécurité sociale – plutôt qu’à 1 PASS, comment les caisses autonomes financeront-elles ces avantages sociaux construits progressivement ? Cette question se pose d’autant que certaines complémentaires comportent un troisième niveau de couverture. J’ai pris tout à l’heure l’exemple de la cotisation complémentaire des experts-comptables pour la réversion au conjoint survivant : certes, la caisse autonome ne disparaîtra pas, mais pourront-ils basculer les réserves de la caisse vers la complémentaire ? Percevront-ils suffisamment d’argent pour financer ce mécanisme de prévoyance, qui viendra s’ajouter au futur système de base ? Nous sommes là dans le détail – sauf pour eux, car il s’agit de leur vie.

M. le président. La parole est à M. Patrick Mignola.

M. Patrick Mignola. Ces amendements sont importants et constructifs, même si je suis en désaccord avec leur objet. Je vais être rapide pour ne pas retarder l’examen des amendements – je sais combien la présidence est attachée à l’objectif du 100 à l’heure. (Sourires.)

M. Rémy Rebeyrotte. On en est loin !

M. Patrick Mignola. Si les amendements étaient adoptés, et si les professions énumérées devaient conserver un régime intégralement autonome, elles se retrouveraient en grande difficulté, à cause de la démographie, d’une part, de l’évolution de leur métier, d’autre part.

Chez les médecins, la génération du baby-boom prend sa retraite, si bien que la mesure pourrait mettre en difficulté les actifs, qui sont beaucoup moins nombreux – vous connaissez le problème des déserts médicaux. Il en va de même pour presque toutes les professions médicales et paramédicales que vous citez, même si certaines peuvent se trouver dans la situation inverse ; ainsi, la profession d’ostéopathe, qui n’a acquis son statut que très récemment, pourrait ne compter que des cotisants, ou presque, et très peu de pensionnés. En revanche, dans trente ou quarante ans, elle serait à son tour en grande difficulté et serait contrainte de demander son intégration au régime universel.

Tel est bien l’enjeu de notre discussion. Si nous voulons un régime dont les règles sont identiques pour tous, ce n’est pas pour que ceux dont la démographie est actuellement favorable s’en tiennent éloignés, avant de demander leur intégration une fois leur situation dégradée. Ce serait la négation de la solidarité nationale !

Les métiers des architectes, architectes d’intérieur et économistes de la construction, professions qui me sont très familières, connaissent une telle évolution, comprenant souvent une subdivision des missions qui leur sont dévolues, qu’il serait extrêmement complexe d’organiser des régimes – et même des sous-régimes – autonomes de la profession.

Enfin, les guides et accompagnateurs de haute montagne, métiers que je connais également bien, réclament avant tout  de ne pas acquitter de cotisations trop élevées sur les 1 000 premiers euros, voire sur les 5 000 premiers. Émilie Bonnivard n’est pas là, mais je suis certain qu’elle approuverait mon propos.

M. Thibault Bazin. Les cotisations sont l’un de nos combats !

M. Patrick Mignola. Ils ne veulent surtout pas une autonomisation de leur régime, qui les contraindrait probablement à payer des cotisations supplémentaires.

M. Roland Lescure. Exactement !

M. Patrick Mignola. Le groupe du Mouvement démocrate est donc très opposé à ces amendements. J’y reviendrai, le cas échéant, à propos du seuil de 1 PASS qu’a évoqué M. Bazin. Vous nous savez opposés à la capitalisation, mais rien n’empêchera ces professions de continuer à bénéficier des surcotisations régies par l’article 83 ou l’article 39 du code général des impôts. Il me semble que les auteurs des deux amendements font erreur. (Applaudissements sur les bancs du groupe MODEM, ainsi que sur plusieurs bancs du groupe LaREM. – Exclamations sur les bancs du groupe LR.)

M. Roland Lescure. Bravo !

M. le président. La parole est à M. Éric Coquerel.

M. Éric Coquerel. Le fait que nos collègues du groupe Les Républicains demandent des rectifications ou, du moins, des précisions confirme que vous transformez notre système de retraite en usine à gaz, chers collègues de la majorité. À ce sujet, je voudrais répondre à M. Lescure, qui, avec le mépris propre à certains marcheurs,… (Exclamations sur plusieurs bancs du groupe LaREM.)

M. Rémy Rebeyrotte. C’est insupportable !

M. Éric Coquerel. …a balayé d’un revers de main le document de trente-huit pages présentant notre contre-projet de réforme des retraites, ce qui a au moins ceci de sympathique que davantage de gens seront incités à le lire !

M. Philippe Gosselin. Toute publicité est proscrite dans l’hémicycle !

M. Éric Coquerel. À votre avis, pourquoi trente-huit pages suffisent-elles à présenter notre contre-projet ? Parce qu’il ne remet pas structurellement en cause, contrairement au vôtre, le système de retraite en vigueur.

Mme Sophie Beaudouin-Hubiere. C’est un truc infaisable que vous proposez !

M. Éric Coquerel. Le vôtre présente autant d’écueils et de trous qu’en imposent vos tentatives de le rééquilibrer un tant soit peu en faveur des professions auxquelles vous prenez beaucoup, au motif que vous estimez qu’elles doivent être, comme les autres, régies par un système par points, lequel, en plus d’être une terrible usine à gaz, masque un recul de l’âge de la retraite pour tout le monde, un nivellement par le bas pour tout le monde, une baisse des pensions pour tout le monde !

C’est pourquoi il vous faut 166 pages pour présenter votre projet de loi, qui prévoit vingt-neuf ordonnances, où seront détaillées ensuite ses dispositions, plus 1 030 pages d’une étude d’impact truquée, et je vous fais grâce de celles qui présentent le projet de loi organique !

M. Roland Lescure. C’est ce qu’on appelle des éléments de langage !

M. Éric Coquerel. Je comprends pourquoi il vous en faut autant : c’est que votre projet de loi est incompréhensible et injuste ! Voilà la différence avec ceux qui pensent que nous pouvons peut-être conserver le système en vigueur, l’améliorer, certes, mais non pas casser ce qui a fonctionné depuis soixante-dix ans dans ce pays !

M. Alain Perea. Cela ne fonctionne pas !

M. le président. La parole est à M. Éric Woerth.

M. Éric Woerth. J’aimerais interroger le président Mignola : si je comprends bien, il est impossible de raisonner par métier s’agissant des caisses de retraite autonomes, mais il est possible et même souhaitable de le faire s’agissant de la pénibilité.

M. Erwan Balanant et M. Patrick Mignola. Oui, par branche !

M. Éric Woerth. Ainsi, il faut prendre les métiers en considération pour la pénibilité, mais, pour les caisses de retraite autonomes, surtout pas !

M. Roland Lescure. Exactement !

M. Éric Woerth. Il faudra que vous nous expliquiez la cohérence de vos positions, chers collègues de la majorité. Faire preuve d’un peu de cohérence de temps à autre ne vous nuirait pas.

M. le président. La parole est à M. Régis Juanico.

M. Régis Juanico. J’aimerais revenir sur les propos tenus tout à l’heure par notre collègue Sacha Houlié, qui nous a fait le coup de l’héritage. Il a dit, en substance, que, si les avocats sont massivement mobilisés contre votre projet de loi sur les retraites, chers collègues de la majorité, la faute en incombe à un effet retard des précédentes réformes, notamment celle de la carte judiciaire, remontant même à la réforme de 2009 – comme si les avocats se mobilisaient pour cela onze ans plus tard !

Mme Brigitte Bourguignon, présidente de la commission spéciale. Leurs difficultés durent depuis dix ans !

M. Erwan Balanant. Qu’avez-vous fait de 2012 à 2017 ?

M. Régis Juanico. Chers collègues, y a-t-il déjà eu une mobilisation aussi importante des avocats ? Peut-on dire que celle-ci n’est pas sans précédent ?

M. Erwan Balanant. Oui ! Il y a un effet retard !

M. Régis Juanico. Non ! Il est évident que la réforme des retraites fait office de catalyseur, et que les avocats sont confrontés à des difficultés catégorielles.

M. Laurent Pietraszewski, secrétaire d’État. Ah !

M. Régis Juanico. Toutefois, la mobilisation à laquelle nous assistons est massive, non seulement parmi les avocats, mais aussi dans de nombreuses catégories de population. Elle l’est dans les hôpitaux publics, depuis plus d’un an. Leurs personnels sont en grève, et 1 200 chefs de service ont démissionné de leurs fonctions administratives – quarante sur quatre-vingt au CHU de Saint-Étienne, par exemple.

Mme Brigitte Bourguignon, présidente de la commission spéciale. C’est faux !

M. Régis Juanico. Cela aussi, c’est un héritage, peut-être ?

M. Erwan Balanant. Oui !

M. Régis Juanico. Mais le coup de l’héritage, ça va bien six mois ou un an après avoir été élu – d’autres l’ont fait avant vous !

M. Erwan Balanant. Non, il faut bien dix ans pour rattraper ce qui a été fait !

M. Régis Juanico. Vous avez été élus il y a trois ans : assumez vos responsabilités ! C’est votre politique qui est en cause ! Dans deux ans, vous nous ferez encore le coup de l’héritage ? Espérons que non ! C’est bien des retraites qu’il s’agit, et aucune mobilisation des avocats n’a jamais été de telle ampleur que celle, historique, que suscite cette réforme.

M. Patrick Hetzel. C’est incontestable !

M. Régis Juanico. Répondez-y ! (Applaudissements sur les bancs du groupe SOC et sur plusieurs bancs du groupe GDR.)

M. Thibault Bazin. Heureusement qu’à Saint-Étienne les poteaux ne sont pas carrés ! (Sourires.)

M. le président. La parole est à M. Frédéric Petit.

M. Frédéric Petit. J’aimerais revenir sur la comparaison entre le nombre de pages de notre projet et les onze pages du groupe La France insoumise….

M. Éric Coquerel. Trente-huit !

M. Jean-Paul Dufrègne. Onze, c’est le nôtre !

M. Frédéric Petit. Trente-huit pages, admettons. Monsieur Coquerel, vous affirmez que vous ne proposez pas un big bang du système de retraite, préférant accompagner les gens. Dès lors, expliquez-nous comment vous comptez passer sans transition, immédiatement et de façon autoritaire, à un régime permettant de partir à la retraite à soixante ans, et à taux plein après quarante annuités de cotisation, ce qui semble déjà difficile à mettre en œuvre.

Surtout, vous considérez – vous l’avez affirmé hier – que l’on peut engranger des droits à la retraite si l’on est étudiant, bénéficiaire du RSA ou sans activité. On peut mettre en œuvre un tel système sans transition, dites-vous, onze pages suffisent à le démontrer,…

M. Éric Coquerel. Trente-huit !

M. Frédéric Petit. …assorties de vingt-sept pages de contextualisation. Vous nous accusez de soutenir un projet de loi injuste ; mais comment justifiez-vous que quelqu’un n’ayant pas travaillé – donc pas cotisé – jouisse des mêmes droits à la retraite et parte en même temps que quelqu’un ayant travaillé ?

M. Bruno Millienne. Eh oui !

M. Frédéric Petit. Je ne suis pas certain qu’une telle disposition sera facile à faire accepter sur vos bancs, ni plus généralement de votre côté de l’hémicycle.

M. Éric Coquerel. On va vous expliquer !

M. Bruno Millienne. Ce n’est pas ce que l’on appelle de la justice !

M. Philippe Gosselin. C’est de la provocation !

M. Bruno Millienne. Pas du tout ! Quand on débat projet contre projet, il faut des chiffres !

M. le président. La parole est à M. Roland Lescure.

M. Roland Lescure. Je comptais répondre à M. Coquerel, mais M. Petit s’en est chargé avec succès.

Monsieur le président Woerth s’est interrogé sur le fait que les critères de pénibilité pourraient s’appliquer métier par métier, mais non la gestion des caisses de retraite autonomes ; c’est que les deux sujets – vous le savez, d’ailleurs – sont tout à fait différents.

On peut être successivement, dans sa vie, guide de haute montagne, puis avocat – pourquoi pas ? –, avant d’ouvrir un restaurant à Chamonix, ville que vous connaissez bien. L’enjeu du présent projet de loi est de faire en sorte que quelqu’un ayant une telle carrière – ou une myriade d’autres – soit lui aussi, une fois à la retraite, logé dans une maison commune,…

M. Philippe Gosselin. La maison brûle et vous regardez ailleurs !

M. Roland Lescure. …celle d’un système de retraite universel par points qui facilite les carrières multiples tout en reconnaissant la pénibilité des métiers, tant il est vrai qu’être avocat et guide de haute montagne, ce n’est pas la même chose. (M. Frédéric Petit applaudit.)

M. le président. La parole est à M. Frédéric Descrozaille.

M. Frédéric Descrozaille. J’hésitais à intervenir, peu désireux que je suis de participer à ce qui ressemble à une guerre d’usure ou à un marathon. Toutefois, nous vivons parfois, dans cet hémicycle, des moments d’authenticité et de sincérité qui sont de grands moments de démocratie, même s’ils sont émaillés d’empoignades. Au demeurant, être en désaccord et confronter les opinions me semble être, à certains égards, le signe d’une démocratie assez saine.

Je formulerai deux observations. Certes, on peut dénombrer les avocats, présumer combien ils seront à l’avenir et procéder de même avec les cheminots ou les médecins. Nous, comme vient de le rappeler notre collègue Lescure, nous souhaitons tenir compte du fait qu’un nombre croissant de personnes changeront de secteur d’activité et de métier au cours de leur vie professionnelle – même s’il y aura toujours des gens qui choisiront un métier par vocation et le conserveront. Dans le présent projet de loi, nous cessons de raisonner – comme il était juste de le faire après-guerre – selon le modèle dans lequel on conserve le même métier toute sa vie.

Par ailleurs, cessez, de grâce, cher collègue Coquerel, de nous accuser de faire preuve de mépris. Veuillez, s’il vous plaît, au moins imaginer que nous sommes sincères,… (Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe LaREM.)

M. Philippe Gosselin. Il faut beaucoup d’imagination !

M. Frédéric Descrozaille. …que nous souhaitons comme vous concourir au bien commun, …

M. Philippe Gosselin. Il était une fois…

M. Frédéric Descrozaille. …et que nous voulons nous mettre au service de l’intérêt général.

M. Philippe Gosselin. On peut se tromper tout en étant sincère !

M. Erwan Balanant. C’est vrai !

M. Frédéric Descrozaille. Nous pensons sincèrement que la réforme proposée constitue une amélioration pour le pays, pour les générations futures. Nous pouvons nous tromper, et vous pouvez ne pas être d’accord avec nous, mais, de grâce, cessez de nous reprocher d’être cyniques et méprisants, cela devient fatigant. (Applaudissements sur de nombreux bancs des groupes LaREM et MODEM.)

(Les amendements identiques nos 1487 et 3964 ne sont pas adoptés.)

M. le président. Je suis saisi d’une série de dix-sept amendements identiques. Cette série comprend l’amendement no 24940, ainsi que l’amendement no 26746 et  quinze amendements identiques déposés par les membres du groupe de la Gauche démocrate et républicaine.

La parole est à M. Alain David, pour soutenir l’amendement no 24940.

M. Alain David. Chers collègues de la majorité, avouez-le : votre réforme est d’une violence inouïe. Elle ne comporte ni étude d’impact sérieuse…

Mme Nadia Hai. Tenez, la voilà ! (Mme Nadia Hai soupèse l’étude d’impact en la montrant.)

M. Alain David. …ni évaluations financières fiables, ce qui place le Parlement dans une très grande difficulté, dès lors qu’il doit en apprécier la qualité et mener ses travaux de façon raisonnable.

Vous soutenez un texte de loi qui prévoit des ordonnances et des décrets ; nous, nous ne voulons pas d’un texte bâclé de cette façon, qui est une source d’inégalités plus que de justice.

Par le présent amendement, nous proposons d’exclure les avocats du nouveau système de retraite, considérant que la caisse nationale des barreaux français satisfait pleinement aux objectifs de solidarité, de lisibilité, de pérennité et d’équilibre financier du système assignés par le présent projet de loi, au point même qu’elle reverse chaque année 100 millions d’euros au régime général. Il n’existe donc aucune raison justifiant que l’on intègre les avocats au nouveau système.

En outre, celui-ci est de nature à pénaliser les jeunes avocats et à freiner les vocations, ce qui pourrait, à terme, menacer l’accès des justiciables à la justice.

Nous avons reçu hier les représentants des avocats. Que disent-ils ? Ils nous ont appris que vous les avez certes reçus, de temps à autre, non pas pour mener avec eux des concertations, mais pour les tenir informés des dispositions du projet de loi, un point c’est tout !

M. Patrick Mignola. Vous n’êtes pas dans nos bureaux, alors du calme !

M. Alain David. Vous adoptez – et ils vous le reprochent – deux attitudes : dans vos circonscriptions,…

Mme Isabelle Florennes. Vous avez la maîtrise de nos agendas ?

M. Alain David. …vous dites que le projet de loi peut encore être amélioré, que tout cela est dans leur intérêt, que les négociations se poursuivent…

M. Patrick Mignola. Devons-nous en conclure que vous nous espionnez jusque dans nos permanences ?

M. Alain David. …tandis que, dans l’hémicycle, vous leur tapez dessus à bras raccourcis. Ils n’y comprennent plus rien ! À présent, ils sont dans la rue et manifestent contre le projet de loi.

M. le président. Sur les amendements no 26746 et identiques, je suis saisi par le groupe de la Gauche démocrate et républicaine d’une demande de scrutin public.

Le scrutin est annoncé dans l’enceinte de l’Assemblée nationale.

La parole est à M. Peu, pour les défendre.

M. Stéphane Peu. Monsieur le président, pour vous être agréable et accélérer les débats, je les défendrai en une fois. (Exclamations et applaudissements sur plusieurs bancs des groupes LaREM et MODEM.)

M. Roland Lescure. Quelle générosité !

M. Rémy Rebeyrotte. Après quoi il n’en restera plus que 31 000 !

M. Stéphane Peu. Merci, chers collègues. Il n’est pas si fréquent d’être applaudi ainsi !

M. le président. Monsieur Peu, mettons-nous bien d’accord sur la méthode : en réalité, vous n’avez pas le choix. (Rires et applaudissements sur divers bancs.) La conférence des présidents a clairement rappelé que, en application du nouveau règlement, les amendements identiques déposés par les membres d’un même groupe seront défendus par un seul orateur.

M. Stéphane Peu. Franchement, monsieur le président, ce n’est pas sympa : vous gâchez le plaisir que j’éprouve à être ainsi applaudi sur les bancs de la majorité ! (Mêmes mouvements.)

M. le président. J’en suis désolé, monsieur Peu ! Je suis certain que la majorité saura y remédier !

M. Stéphane Peu. J’espère, monsieur le président !

M. Descrozaille affirmait tout à l’heure que les membres de la majorité ne nourrissent que des bonnes intentions. Pour ma part, je doute que le présent projet de loi résulte de bonnes intentions.

Admettons que tel soit le cas, à tout le moins que vous en soyez convaincus, chers collègues de la majorité. Nous nous apprêtons à voter aux élections municipales. J’ai été élu local – comme beaucoup d’entre vous, ce qui m’interdit de donner des leçons.

M. Roland Lescure. Il est vrai que ce n’est pas votre genre !

M. Stéphane Peu. Si on élabore un projet que l’on estime bénéfique et juste – cela m’est arrivé à de nombreuses reprises dans le cadre de mes mandats d’élu local – et qu’il s’avère que l’immense majorité des habitants du quartier ou du secteur concerné y sont hostiles, tout maire, quel que soit son bord politique, le retire et poursuit la concertation. C’est le B.A. BA de l’expérience démocratique d’un élu républicain ! (Applaudissements sur les bancs des groupes GDR et SOC.)

Ce qui est vaut d’un mandat local est aussi valable au niveau national. Dès lors que l’immense majorité des Français est hostile à votre projet de réforme…

Plusieurs députés du groupe LaREM. C’est faux !

M. Stéphane Peu. …et que, s’agissant des avocats, ce n’est pas la majorité mais quasiment la totalité d’entre eux qui y est opposée – je rappelle que 100 % des barreaux sont en grève –,… (Protestations sur les bancs du groupe LaREM.)

Mme Caroline Abadie. C’est faux !

M. Stéphane Peu. …la moindre des choses est de remettre l’ouvrage sur le métier, de poursuivre les concertations et de retirer le projet de loi en attendant.

Si vous vous y refusez, à tout le moins, accédez à notre demande – que vous avez repoussée – de le soumettre à un référendum !

M. Alain Bruneel. Oui !

M. Stéphane Peu. Ainsi, nous connaîtrons directement l’opinion des Français sur un projet de loi qui ne figurait pas dans votre programme législatif, ni dans le programme présidentiel.

M. Bruno Millienne. Mais si !

M. Stéphane Peu. Par ces amendements, nous proposons – c’est un minimum – d’accéder à la demande unanime des avocats de supprimer les dispositions de la réforme qui les concernent. (M. Alain Bruneel applaudit.)

M. le président. Quel est l’avis de la commission sur ces amendements ?

M. Guillaume Gouffier-Cha, rapporteur général. Bravo à notre collègue Stéphane Peu pour cette performance ! En revanche, je crains que ma réponse ne vous déçoive, cher collègue.

M. Jean-Paul Dufrègne. Ce serait bien la première fois…

M. Guillaume Gouffier-Cha, rapporteur général. Si tel est le cas, ce ne sera pas faute de l’avoir détaillée à de multiples reprises depuis l’ouverture de nos débats.

Sur ces amendements visant à supprimer l’affiliation des avocats au régime général du système universel de retraite, l’avis de la commission est défavorable.

Bien entendu, le système universel rassemblera toutes les professions. Bien entendu, il comportera, pour certaines professions, des dispositions spécifiques ménageant une transition. Bien entendu, il offrira des garanties s’agissant de la pérennité des caisses de retraite autonomes et du fait que les réserves financières demeureront leur propriété et qu’elles en conserveront la gestion.

Nous y reviendrons lors de l’examen d’un amendement déposé par la rapporteure Carole Grandjean à l’article 58.

M. Thibault Bazin. Après les municipales !

M. Guillaume Gouffier-Cha, rapporteur général. Comme nous l’avons dit hier, le système universel de retraite ne remet en aucune manière en cause l’indépendance de la profession d’avocat.

M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?

M. Laurent Pietraszewski, secrétaire d’État. Même avis.

M. le président. La parole est à M. Stéphane Viry.

M. Stéphane Viry. Vous tenez, monsieur le président, un rythme de 100 amendements à l’heure, qui apporte de la fluidité…

M. Rémy Rebeyrotte. On en est loin !

M. Stéphane Viry. C’est ce qui se passe depuis hier soir. À ce rythme et compte tenu du volume initial d’amendements, il nous faudrait quarante-quatre jours de débats, soit environ deux mois, ce qui me semble un délai raisonnable et responsable pour un texte de cette nature.

M. Jean-Paul Dufrègne. Tout à fait !

M. Stéphane Viry. Les amendements identiques me donnent l’occasion de répondre à la remarque de M. Mignola sur les travailleurs indépendants et les professions libérales. La majorité semble s’en remettre à une vision malthusienne : avec le temps et la baisse programmée du nombre d’avocats, et peut-être d’autres professions indépendantes, les problèmes se résoudraient d’eux-mêmes. Nous, nous ne sommes pas adeptes du malthusianisme. Jamais, dans notre pays, cette théorie économique n’a apporté de valeur ajoutée ; jamais elle n’a été une source de progrès ni de satisfaction intellectuelle. C’est un point de divergence majeur entre nous.

Je reviens aux propos tenus par M. Lescure, à l’ouverture de notre séance, qualifiant notre projet d’intéressant mais lui reprochant un manque d’audace par rapport à celui de la majorité.

Cher collègue, notre programme manque peut-être un peu d’audace à votre goût,…

M. Jean-Jacques Bridey. C’est une impasse !

M. Stéphane Viry. …mais il est certainement plus ambitieux et plus réaliste que le vôtre. Plus ambitieux, car il n’est pas équivoque s’agissant des mesures d’âge : nous disons clairement les choses, car nous voulons assurer le financement du système et, par là, sa pérennité, pour que l’argent ainsi produit puisse être redistribué afin de corriger des inégalités. Voilà notre ambition ! Ce n’est peut-être pas de l’audace, mais c’est éminemment ambitieux.

Notre programme en matière de retraites est également réaliste ; il ne vise pas à tout dénaturer, ni à tout massacrer pour tenter de reconstruire un autre système en dépit des risques que cela comporte pour de nombreux métiers et pour la société française dans son ensemble.

Vous nous avez invités à vous rejoindre. À mon tour, je vous invite à adopter certains de nos amendements afin que notre système de retraite prenne la bonne direction. (Applaudissements sur les bancs du groupe LR.)

M. Roland Lescure. J’espère qu’on y arrivera !

M. le président. Puisque je suis interpellé pour la seconde fois sur le rythme de nos débats, voici les faits : depuis 15 heures, nous avons examiné 81 amendements,…  

M. Philippe Gosselin. Il ne faut pas dépasser les 80 à l’heure !

M. le président. …uniquement grâce à la décision de la conférence des présidents d’autoriser un seul orateur par groupe sur les articles. Dans le cas contraire, nous serions à 11 amendements à l’heure.

Sur des amendements qui ne se résumaient pas à modifier un mot mais qui étaient plus complets, j’ai laissé vivre le débat – je pense que c’était important. M. Bazin a souligné l’importance des questions soulevées par les amendements que nous examinons.

Essayons de conserver un certain équilibre : lorsque l’amendement est riche, on laisse vivre le débat ; quand il l’est moins, on avance.

Ne prêtez pas à la présidence de séance des desseins secrets quant au rythme des débats. Tous les vice-présidents essaient de mener les débats en conscience. (Applaudissements sur les bancs des groupes LaREM et MODEM.)

La parole est à M. Rémy Rebeyrotte.

M. Rémy Rebeyrotte. Pour répondre à M. Peu, dans les conseils municipaux, la majorité présente des projets qui ne font pas toujours l’unanimité, qui ne sont pas toujours populaires, mais qui servent l’intérêt commun.

M. Erwan Balanant. Exactement !

M. Rémy Rebeyrotte. Je n’ai jamais vu, face à cela, une opposition poser 40 000 questions diverses. (Applaudissements sur de nombreux bancs du groupe LaREM. – Exclamations sur les bancs du groupe LR.) Les oppositions posent des questions, ce qui est normal, mais il se passe rien de ce à quoi nous assistons ici :…

M. Stéphane Peu. Alors c’est que vous n’avez pas face à vous une vraie opposition !

M. Rémy Rebeyrotte. …de l’obstruction organisée.

Je vous invite de nouveau à retirer vos amendements qui font doublon, quand ils ne sont pas en triple exemplaire,…

M. Jean-Paul Dufrègne. Non !

M. Rémy Rebeyrotte. …pour qu’enfin le débat puisse avoir lieu normalement, à un rythme convenable et raisonnable. (Applaudissements sur les bancs du groupe LaREM.)

M. Stéphane Peu. Je parlais des Français qui ne sont pas d’accord !

M. le président. La parole est à M. Erwan Balanant.

M. Erwan Balanant. Tout à l’heure, il a été question de notre mauvais projet de réforme des retraites, comparé aux quinze pages du contre-projet de La France insoumise.

M. Adrien Quatennens. Trente-huit pages !

M. Erwan Balanant. Mais seulement quinze pages de propositions, même s’il est important de les replacer dans leur contexte.

Vous nous posez de nombreuses questions sur notre projet ; je souhaite, à mon tour, vous interroger de manière très précise, en espérant que votre réponse éclairera les Français.

J’ai fait des études jusqu’à 27 ou 28 ans ; j’ai donc commencé à travailler à 28 ans. (Sifflets admiratifs sur plusieurs bancs.)

M. Philippe Gosselin. Bravo !

Un député du groupe LR. Vous n’avez pas redoublé ?

M. Erwan Balanant. Non, j’ai fait des études.

M. le président. Les sifflets sont vraiment superflus !

M. Erwan Balanant. Vous fixez à quarante le nombre d’annuités. Cela signifie-t-il que je pars à la retraite à 68 ans ou à 60 ans, l’âge légal à taux plein dans votre projet ? Si je pars à 60 ans, j’aurai donc travaillé trente-deux ans, après avoir eu la chance de faire des études que mes parents auront peut-être financées – en l’occurrence, je les ai financées en partie par mon travail. L’ouvrier, ou le boucher, ou la coiffeuse qui aura commencé à travailler à 20 ans– je prends cet âge moyen plutôt que celui de 16 ans, même si cela arrive de débuter à cet âge-là –…

M. Jean-Paul Dufrègne. Ils sont en apprentissage !

M. Erwan Balanant. …partira aussi à 60 ans. Je suis désolé, mais l’ouvrier aura travaillé quarante ans et celui qui aura fait des études et peut-être bien moins souffert de la pénibilité, trente-deux ans.

M. Jean-Paul Dufrègne. Et l’espérance de vie !

M. Erwan Balanant. Expliquez-moi la cohérence de votre système. Voilà où cela mène de bâtir un système de retraite en quinze pages : cela ne fonctionne pas. (Claquements de pupitres sur les bancs du groupe LR.)

M. le président. Je vais vous demander de conclure, monsieur Balanant.

M. Erwan Balanant. Mesdames, messieurs les insoumis, vous venez d’inventer la « retraite Tanguy », pour ceux qui ont une bonne situation et dont la retraite sera payée par les ouvriers. (Applaudissements sur les bancs du groupe MODEM et sur plusieurs bancs du groupe LaREM.)

M. Jean-Paul Dufrègne. Le phénomène existe déjà, et vous l’aggravez !

M. le président. La parole est à M. Éric Woerth.

M. Éric Woerth. Monsieur Rebeyrotte, personne ici n’a le monopole de l’intérêt général. (Applaudissements sur les bancs du groupe LR.)

Vous présentez votre projet sincèrement dans le souci de l’intérêt général, selon votre conception de celui-ci.  

M. Rémy Rebeyrotte. Oui !

M. Éric Woerth. Le projet du groupe Les Républicains présente exactement les mêmes caractéristiques. Nous le proposons parce que nous pensons qu’il correspond à l’intérêt général.

M. Rémy Rebeyrotte. Oui !

M. Éric Woerth. Ces projets donnent lieu à des confrontations dans l’hémicycle, mais personne n’a le monopole de l’intérêt général.

M. Rémy Rebeyrotte. C’est projet contre projet !

M. Éric Woerth. Ensuite, vous dites que votre projet est audacieux. C’est vrai : il est très audacieux de présenter un projet non financé ! (Sourires et applaudissements sur les bancs du groupe LR.)

M. Damien Abad. On est à la marge de l’irresponsabilité !

M. le président. La parole est à M. Boris Vallaud.

M. Boris Vallaud. La question de M. Balanant est tout à fait intéressante et fondée, mais je demande s’il a bien lu le projet de réforme qu’il défend.

En effet, prenons le cas de deux personnes nées la même année : l’une – un ouvrier par exemple –, ayant commencé à travailler à 20 ans et travaillant 43 ans, subira une décote de 10 %, car elle prendra sa retraite deux ans avant l’âge pivot ; l’autre, ayant commencé à travailler à 24 ans et travaillant aussi 43 ans, bénéficiera d’une surcote de 10 %.

M. Bruno Millienne. Vous oubliez la pénibilité !

M. Boris Vallaud. C’est la preuve que votre réforme est très défavorable à ceux qui commencent leur carrière le plus tôt. (Applaudissements sur les bancs des groupes SOC et GDR ainsi que sur les bancs du groupe LR.)

M. Erwan Balanant. Il y a des mesures pour équilibrer cela !

M. le président. La parole est à M. Éric Coquerel.

M. Éric Coquerel. Je vous remercie d’avoir lu notre contre-projet ; mais, manifestement, trente-huit pages, c’est trop, car vous n’avez pas bien lu. Ce n’est pas très grave, c’est une habitude.  

M. Erwan Balanant. Je vous ai parlé gentiment, de manière très respectueuse, monsieur Coquerel.

M. Éric Coquerel. Nous revendiquons, en effet, le retour à la retraite à 60 ans, instaurée dans notre pays à une époque où celui-ci était infiniment moins riche qu’aujourd’hui. À l’époque, le nombre d’années de cotisations était fixé à trente-sept et demie. Nous avons hésité à revenir à cette borne, mais nous avons préféré retenir celle de quarante annuités, en tenant compte pour la validation de trimestres des années en tant qu’allocataire du RSA et des années de formation.

Au risque de susciter vos hurlements, je vous explique comment, dans notre système, une personne ayant commencé à travailler à 28 ans pourrait choisir de partir avant 68 ans. Nous avons choisi de revenir, pour le calcul des droits à la retraite dans le secteur privé, aux dix meilleures années, en garantissant un taux de remplacement moyen de 75 %. Comment le finançons-nous ?

Depuis trente ans, les richesses nationales n’ont pas décru ; c’est la productivité par travailleur qui a été multipliée par trois. Certains ont profité de ce gain de productivité – je pense à ceux qui, comme vous, croient à la théorie du ruissellement en vertu de laquelle plus on met de l’argent dans le capital, y compris le capital non investi, plus cela profitera à la société, ce qui ne s’est pas vérifié. Nous proposons de reprendre la marge réalisée par le capital sur la plus-value – environ 150 milliards par an depuis une trentaine d’années – et de redistribuer cette somme aux salaires, y compris les salaires socialisés.

Nous proposons, contrairement à vous, un financement. Vous pouvez le contester, car – c’est vrai – nous prenons au capital là où, depuis plus de deux ans, vous lui avez considérablement donné en prenant aux plus pauvres et à presque toutes les classes laborieuses de ce pays.

Nous reprenons au capital, en créant de l’emploi – 100 000 emplois créés, cela rapporte 1,3 milliard d’euros de cotisations supplémentaires.

Nous suggérons également de revenir sur les exonérations de cotisations sociales qui sont inutiles. Elles ne concernent pas toutes les retraites, mais leur montant total atteint 52 milliards d’euros. De cette manière, nous allons vite rééquilibrer les comptes.

Nous défendons aussi d’instituer dans la loi l’égalité salariale entre les femmes et les hommes, ce qui procurerait 5 milliards d’euros de cotisations supplémentaires.  

Je vous fais grâce de toutes les solutions que nous proposons, mais qui, toutes, relèvent d’une logique différente de la vôtre. Nous dépensons de l’argent au bénéfice de ceux qui produisent des richesses quand vous favorisez ceux qui utilisent ces richesses à leur seul profit. (Applaudissements sur les bancs du groupe FI.)

M. le président. La parole est à M. Alain Bruneel.

M. Alain Bruneel. Notre collègue ne cesse de nous accuser de faire de l’obstruction.

M. Rémy Rebeyrotte. Oui !

M. Alain Bruneel. Mardi, nous avons défendu, en une seule intervention, quarante amendements qui n’étaient pas identiques. Nous l’avons fait de nouveau depuis. Nous sommes animés d’un état d’esprit constructif.  

Je rappelle que nombre de nos amendements ont été déclarés irrecevables au titre de l’article 40. Ceux qui sont examinés ici sont donc recevables et méritent d’être discutés.

Que nous vous interrogions sur la valeur du point, sur les conclusions de la conférence de financement ou sur l’âge d’équilibre, nous n’obtenons jamais de réponse. Lorsque vous sortez de votre chapeau 10 milliards d’euros, nous ne savons pas d’où ils viennent.

Nous sommes tout de même en droit de savoir où nous allons ! C’est tout le sens de nos interventions. (Applaudissements sur les bancs du groupe GDR. – Mme Caroline Fiat applaudit également.)

M. le président. La parole est à Mme Cendra Motin.

Mme Cendra Motin. Je m’éloigne sans doute du sujet des amendements qui nous occupent, mais je ne peux pas résister à la tentation de commenter le contre-projet de La France insoumise,…

M. Éric Coquerel. Eh bien voilà !

Mme Cendra Motin. …auquel on pourrait donner pour sous-titre « La finance magique ».  

Vous promettez quarante ans seulement de cotisations, et ce – abracadabra – sans plus de décote. Expliquez-moi quel est l’intérêt de travailler pendant quarante ans si vous ne prévoyez pas de décote pour ceux qui travaillent moins longtemps !

Vous souhaitez ouvrir des droits à la retraite aux étudiants, aux chômeurs, aux nounous…

M. Adrien Quatennens. Pouah, quelle horreur !

Mme Cendra Motin. …et à tant d’autres en y consacrant 2 points de PIB supplémentaires, mais, abracadabra, vous êtes partisans de la décroissance. Je vous rassure, je ne fais pas de lapsus cette fois, c’est bien la décroissance que vous prônez.

Vous voulez également augmenter les cotisations – toujours pas de lapsus –, alors, abracadabra, vous augmentez les salaires pour masquer cette hausse.

Enfin, vous voulez une « retraite verte ». Là aussi, abracadabra, vous imaginez la création de 800 000 emplois. Je vous invite à vous rapprocher de M. Gattaz, qui, souvenez-vous en, arborait un pin’s affichant le nombre d’emplois qu’il promettait de créer. Peut-être avez-vous – au mieux – griffonné ces chiffres sur un coin de table comme vous nous le reprochez de le faire, à moins que vous ne les ayez joués aux dés. Ici, nous essayons d’être sérieux en matière de financement – cela vaut notamment pour les caisses de retraite autonome. (Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe LaREM.)    

M. le président. Je mets aux voix les amendements nos 26746 et identiques.

(Il est procédé au scrutin.)

M. le président. Voici le résultat du scrutin :

        Nombre de votants                        97

        Nombre de suffrages exprimés                97

        Majorité absolue                        49

                Pour l’adoption                29

                Contre                68

(Les amendements no 26746 et identiques ne sont pas adoptés.)

M. le président. Je suis saisi d’un amendement no 13699 et de seize amendements identiquesdéposés par le groupe La France insoumise.

Sur ces amendements identiques, je suis saisi par le groupe La France insoumise d’une demande de scrutin public.

Le scrutin est annoncé dans l’enceinte de l’Assemblée nationale.

La parole est à M. Adrien Quatennens, pour soutenir ces amendements.

M. Adrien Quatennens. Je suis ravi qu’à l’occasion de la discussion de ces amendements, nous ayons l’occasion de parler du projet de La France insoumise. Avoir réussi, en l’espace de dix jours de débats, à faire en sorte que nous parlions presque exclusivement de notre projet représente pour nous une victoire ! (Protestations sur les bancs du groupe LaREM.)

Je constate d’ailleurs que vous l’étudiez d’assez près ; ce faisant, vous ne tarderez pas à constater que, s’il est moins pléthorique que le vôtre – à en juger par le volume de l’étude d’impact –,…

Mme Nicole Trisse. Et les amendements ?

M. Adrien Quatennens. …il apparaît plus clair, plus réaliste et, sans aucun doute, plus sérieux, étant donné que, contrairement au vôtre, il est financé. (Mêmes mouvements.)

Tout en soutenant ces amendements, je répondrai, madame Motin, à quelques inexactitudes de votre intervention. Vous affirmez que nous sommes pour la décroissance. J’ai cru comprendre que vous étiez très assidue dans ces débats et que vous étiez notamment présente hier soir lorsque j’expliquais à M. le rapporteur Turquois que nous souhaitions voir croître un grand nombre de secteurs. La planification écologique, avec son potentiel d’emplois, le suppose. Nous le souhaitons également dans les secteurs de l’aide à la personne et des métiers du lien. En revanche, c’est vrai, nous considérons qu’un grand nombre d’activités devraient décroître face à l’enjeu majeur de l’époque : le changement climatique.

M. Julien Borowczyk. Vous voulez une baisse du PIB !

M. Adrien Quatennens. Je vous ai dit hier soir que vous invoquiez régulièrement vos enfants dans l’hémicycle pour souligner que vous souhaitez vous montrer responsables en ne leur laissant ni dette et ni déficit. Dans ce cas, il faudrait commencer par ne pas en construire de toutes pièces par vos politiques fiscales et sociales. Quant à la dette écologique, vous n’en faites rien !

Nous admettons donc qu’il puisse y avoir de la croissance économique. Ce n’est pas très compliqué d’en obtenir : creuser un trou y contribue, un accident de la route aussi – vous n’en souhaitez pas davantage ; moi non plus. Mais nous souhaitons qu’une direction soit donnée à l’économie. De ce point de vue, créer des emplois par la planification écologique permettrait de résoudre de nombreux problèmes. Cent mille nouveaux emplois représentent en effet 1,3 milliard d’euros de cotisations supplémentaires.

Mme Cendra Motin. Rappelez-vous le petit pin’s !

M. le président. Il faut conclure, monsieur Quatennens.

M. Adrien Quatennens. Comme je ne disposais que de deux minutes de temps de parole, je vous déclinerai le reste de notre programme plus tard.

M. Roland Lescure. Nous sommes impatients !

M. Philippe Gosselin. Il fait du teasing ! La suite au prochain épisode !

Mme Cendra Motin. Dommage que tout cela n’ait rien à voir avec les amendements !

M. le président. En attendant, quel est l’avis de la commission sur les amendements ?

M. Guillaume Gouffier-Cha, rapporteur général. J’avoue que je n’y comprends plus rien. Monsieur Quatennens, vous nous parlez des avocats pendant des heures et quand nous en arrivons aux alinéas qui les concernent, vous nous parlez de tout autre chose. (Applaudissements sur les bancs des groupes LaREM et MODEM.)

J’ai donné tout à l’heure un avis défavorable à une série d’amendements qui visaient à supprimer les alinéas 13 à 15. Je ne peux qu’émettre le même avis sur ces amendements qui tendent à supprimer l’alinéa 13. Et il en ira de même s’agissant des amendements qui viseront à supprimer les alinéas 14 et 15.

M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?

M. Laurent Pietraszewski, secrétaire d’État. Même avis.

M. le président. La parole est à Mme Caroline Fiat.

Mme Caroline Fiat. Je remercie M. le rapporteur général d’avoir remarqué que ses collègues de la majorité avaient totalement vrillé en passant du projet de loi de la majorité au contre-projet de La France insoumise. C’est bien d’avoir rappelé à la majorité qu’il fallait rester dans le sujet…

Plusieurs députés du groupe LaREM. C’est le contraire !

Mme Caroline Fiat. Mes collègues vous ont répondu, mais c’est bien vous qui avez commencé à discuter de notre projet ; nous pourrons regarder la vidéo pour le vérifier. Cessez donc de discuter nos contre-propositions, même si elles vous plaisent, visiblement ! Si vous en avez véritablement envie, invitez le Gouvernement, comme je vous l’ai déjà suggéré, à inscrire notre projet à l’ordre du jour. Nous nous ferons un plaisir de répondre à vos questions, vous pourrez déposer des amendements, mais, pour l’heure, nous examinons votre copie, pas la nôtre. Respectez au moins l’ordre du jour que fixe votre Gouvernement !

Rappels au règlement

M. le président. La parole est à Mme Emmanuelle Ménard, pour un rappel au règlement.

Mme Emmanuelle Ménard. Il se fonde, monsieur le président, sur l’article 100, alinéa 2.

Nous assistons, depuis quelque temps, à une sorte de match de ping-pong entre les députés de la majorité et les bancs occupés par la gauche.

M. Éric Coquerel. C’est sûr que ce n’est pas Marine Le Pen qui joue au ping-pong : pour ça, il faudrait qu’elle soit là !

Mme Emmanuelle Ménard. Une fois n’est pas coutume, je suis d’accord avec ce que vient de dire Mme Fiat : nous avons à discuter du projet de loi soutenu par la majorité, pas de celui de La France insoumise. C’est sur ce projet de loi que j’ai des propositions à formuler et des amendements à soutenir. Je souhaiterais donc que nous nous y tenions, que la majorité cesse ses digressions perpétuelles et, j’ose le dire, son obstruction à nos débats en invoquant sans arrêt le projet de La France insoumise, qui n’est pas à l’ordre du jour. (Exclamations sur les bancs des groupes LaREM et MODEM.)

M. Rémy Rebeyrotte. Très drôle !

M. Philippe Gosselin. Ce n’est pas faux !

M. Jean-Paul Dufrègne. Ce n’est pas Marine Le Pen qui fait de l’obstruction, c’est sûr !

Mme Emmanuelle Ménard. Puisque nous souhaitons tous aller de l’avant et nous montrer constructifs – ce que vous nous demandez depuis des jours –, continuons, par pitié, d’avoir un débat sur le fond et non pas sur le projet de La France insoumise.

M. Rémy Rebeyrotte. C’est la synthèse des extrêmes !

M. le président. La parole est à Mme Catherine Fabre, pour un rappel au règlement.

Mme Catherine Fabre. Il se fonde, monsieur le président, sur le même article 100 de notre règlement.

Traiter les sujets de fond, c’est bien ce que nous cherchons à faire. Si c’est ce que vous voulez, retirez vos séries d’amendements identiques et discutons vraiment !

M. Thibault Bazin. Il est temps, depuis dix jours !

M. Maxime Minot. Arrêtez de ralentir les débats !

Mme Catherine Fabre. S’agissant des avocats, alors que nous en venons aux dispositions qui les concernent, vous n’en parlez plus au moment de défendre vos amendements. Tous les éléments précis à leur sujet figurent plus loin dans le projet de loi, donc, par pitié, chers collègues, si vous souhaitez débattre, retirez vos amendements identiques qui nous bloquent aux premiers articles du texte, ceux consacrés aux principes généraux et au périmètre de la réforme. Venons-en au détail des dispositifs : nous n’attendons que ça ! Il est encore temps de retirer vos amendements identiques et de progresser enfin, à un bon rythme, dans la discussion de l’ensemble des articles.

M. Philippe Gosselin. Quatre-vingts à l’heure, ce n’est pas mal ! On frise l’excès de vitesse !

M. le président. La parole est à M. Éric Coquerel, pour un rappel au règlement – sur quel fondement, mon cher collègue ?

M. Éric Coquerel. Je me disais qu’il n’y avait pas eu d’intervention de ce type depuis longtemps…

M. le président. Prenons l’habitude de donner le fondement des rappels au règlement, je vous prie.

M. Éric Coquerel. Le mien se fonde, monsieur le président, sur l’article 100, relatif à la bonne tenue des débats.

Ce que je vais dire ne s’adresse pas à la majorité, qui le sait très bien et entretient de fausses polémiques à ce sujet, mais aux personnes qui nous écoutent.(Exclamations sur les bancs du groupe LaREM.) Il faut savoir que chaque série d’amendements identiques n’est défendue qu’une seule fois.

M. Rémy Rebeyrotte. Il y en a 42 000 !

M. Roland Lescure. Retirez-les donc !

M. Éric Coquerel. Ne laissez pas croire que lorsque l’on en vient tout à coup à dix-sept amendements signés par chaque député d’un groupe, ils seront tous soutenus : ce n’est pas de cette manière que les choses se passent. (Protestations sur les bancs des groupes LaREM et MODEM.)

M. Rémy Rebeyrotte. C’est pourtant vrai !

M. Éric Coquerel. Ils ne sont défendus qu’une fois, puis le président de séance propose à un ou deux députés par groupe de s’exprimer, et enfin nous passons au vote. Cessez donc de faire croire qu’il reste quelque 30 000 amendements.(Protestations  sur les bancs du groupe LaREM.)

M. Rémy Rebeyrotte. Mais c’est vrai ! (M. Rémy Rebeyrotte montre sa tablette.)

M. Éric Coquerel. Le groupe La France insoumise n’en a soutenu que 1 300 depuis le début.

Les gens ne sont pas bêtes, vous savez : ils suivent.

M. Pascal Bois. Ils suivent aussi ce que vous faites !

M. Éric Coquerel. Vous essayez de les convaincre, comme M. Le Gendre ce matin, qu’il devient urgent d’utiliser l’article 49, alinéa 3, de la Constitution, pour vous justifier par avance de le faire lorsque vous aurez estimé que l’obstruction suffit ! Vous m’obligez à vous répondre pour rétablir la vérité : cela nous oblige à utiliser quatre minutes de temps de parole pour rien. (Mêmes mouvements.)

M. Rémy Rebeyrotte. Et les 300 000 sous-amendements ? Retirez-les s’ils ne servent à rien !

M. Patrick Hetzel. La majorité a ses propres pompiers pyromanes…

M. le président. Je vous invite, chers collègues, à relire l’article 54, alinéa 6 du règlement, qui me paraît constituer un meilleur fondement aux rappels au règlement qui viennent d’être faits.

Article 4 (suite)

M. le président. Je mets aux voix les amendements no 13699 et identiques.

(Il est procédé au scrutin.)

M. le président. Voici le résultat du scrutin :

        Nombre de votants                        100

        Nombre de suffrages exprimés                81

        Majorité absolue                        41

                Pour l’adoption                11

                Contre                70

(Les amendements no 13699 et identiques ne sont pas adoptés.)

M. le président. Je suis saisi de l’amendement no 13716 et de seize amendements identiques déposés par les membres du groupe La France insoumise. 

Sur ces amendements, je suis saisi par le groupe de la Gauche démocrate et républicaine d’une demande de scrutin public. (Exclamations sur les bancs du groupe MODEM.)

Le scrutin est annoncé dans l’enceinte de l’Assemblée nationale.

Mme Nadia Essayan. Nous voilà rassurés !

M. Cyrille Isaac-Sibille. C’est sûrement pour la bonne compréhension des débats !

M. le président. La parole est à M. Éric Coquerel, pour soutenir ces amendements.

M. Éric Coquerel. Je défendrai en même temps la série d’amendements no 10731 et identiques.

Pour revenir au sort des avocats,…

M. Bruno Millienne. Encore ?

M. Éric Coquerel. …concernés par l’alinéa en discussion et dont le traitement me paraît tout à fait révélateur de l’ensemble de votre projet de loi, vous vous employez à faire disparaître un régime qui fonctionne et qui génère 80 millions d’euros d’excédents par an – lesquels sont reversés au régime général –, au profit d’une usine à gaz qui pénalisera une grande partie de la profession. Je rappelle que vous proposez de multiplier par deux les cotisations retraite sur les revenus allant jusqu’à 40 000 euros. Cette mesure touchera donc les avocats les plus fragiles, notamment ceux qui assurent l’aide juridictionnelle ; cela concerne 70 % des avocats dans mon département de Seine-Saint-Denis. Cette situation est problématique non seulement pour le métier d’avocat, mais aussi pour les personnes qui y recourent.

Selon le bâtonnier du Val-de-Marne – présent à l’Assemblée nationale hier –, qui a créé un simulateur des conséquences de la réforme, tous les avocats y perdront entre 100 euros et la moitié de leurs revenus. En guise de compensation, vous prévoyez de leur accorder un abattement de 30 % sur l’assiette de la CSG, en dépit duquel les cotisations à la charge des avocats devraient tout de même augmenter de 6 %. Si l’on rapporte cette augmentation aux 14 % de cotisations des avocats concernés, ce sont 40 % de leurs revenus qui disparaîtront ! En d’autres termes, vous préparez un plan social majeur pour les avocats. (Protestations sur les bancs des groupes LaREM et MODEM.)

M. Jean-René Cazeneuve. C’est faux !

M. Éric Coquerel. Mais si, chers collègues. J’ai même entendu Sacha Houlié nous expliquer tout à l’heure qu’il pouvait y avoir une justice algorithmique, de sorte que nous aurions moins besoin d’avocats à l’avenir – M. Le Maire l’a également dit.

Mme Nadia Hai. M. Houlié est lui-même avocat !

M. Éric Coquerel. Cela me fait penser au numerus clausus, dont personne ne voulait plus, vous les premiers, et que vous supprimez, car notre pays ne compte pas assez de médecins. S’il y a moins d’avocats, savez-vous qui en paiera les conséquences ? La justice !

Mme Nadia Essayan. Fake news !

M. le président. La parole est à M. Alain Bruneel, pour soutenir l’amendement no 30983 et les quinze amendements identiques déposés par le groupe de la Gauche démocrate et républicaine.

M. Alain Bruneel. Je souhaite à nouveau évoquer les barreaux français, qui contestent depuis plusieurs semaines votre réforme pour ses conséquences néfastes, en particulier pour les petits cabinets. En voici quelques témoignages.

Pour beaucoup, à l’instar de Kathleen, 40 ans, avocate spécialisée en droit du travail, l’avenir ressemble à un point d’interrogation. Son cabinet, monté il y a cinq ans avec deux associés et qui compte désormais trois collaborateurs, pourra-t-il supporter une telle augmentation des charges ? « C’est dur de se projeter », dit-elle, « d’imaginer l’avenir du cabinet avec une telle réforme. Ces derniers temps, on se demande si on va s’en sortir ou quelle concession on va devoir faire si le Gouvernement maintient le projet ». Quant à Simon, il a monté son cabinet seul il y a deux ans et lui aussi craint de ne pouvoir s’en sortir après la réforme. « Aujourd’hui, je suis environ à 45 % de charges, sans compter le loyer, mais si on passe à 55 % ou 60 %, je ne vois pas comment je vais m’en sortir. Je ne peux pas augmenter mes honoraires, mes clients ne pourraient pas me suivre », explique-t-il.

Au-delà même de la question de leur retraite, c’est toute une conception de leur profession que les grévistes mettent en avant. L’augmentation des cotisations met en péril la défense des plus précaires : les petits cabinets ne pourront plus consacrer le même temps qu’auparavant à l’aide juridictionnelle, le dédommagement étant peu élevé quel que soit l’investissement de l’avocat pour défendre le dossier. C’est donc le droit à une justice équitable, fondement même de notre démocratie, qui est menacée. En Seine-Saint-Denis, par exemple, 70 % des justiciables sont éligibles à cette aide. Votre réforme nous prépare ainsi des déserts judiciaires similaires aux déserts médicaux. (Applaudissements sur les bancs du groupe GDR.)

M. le président. Quel est l’avis de la commission sur ces amendements ?

M. Guillaume Gouffier-Cha, rapporteur général. Même avis défavorable que sur les amendements précédents, dont la visée était comparable.

M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?

M. Laurent Pietraszewski, secrétaire d’État. Même avis.

M. le président. La parole est à M. Adrien Quatennens.

M. Adrien Quatennens. Monsieur le rapporteur, monsieur le secrétaire d’État, je souhaite vous alerter sur le caractère extrêmement grave de ce qui se prépare.

Pour être franc, les avocats que nous avons rencontrés hier nous ont assez peu parlé de leur situation particulière, de leur régime de retraite et des implications directes de la réforme pour leurs propres conditions d’exercice. Ce qui les inquiète véritablement, en revanche, ce sont les conséquences prévisibles de la réforme pour les cabinets les plus fragiles, sachant qu’il y a, derrière la profession d’avocat, des réalités matérielles très diverses. Votre réforme, c’est clairement la fermeture programmée de nombre de cabinets, et vous le savez.

Quelle est l’impression donnée, vu de l’extérieur ? La justice est engorgée, et vous allez procéder à un désengorgement en rendant plus difficile, pour bon nombre de nos concitoyens, l’accès à une défense. (Exclamations sur les bancs des groupes LaREM et MODEM.)

M. Bruno Millienne. Comment peut-on sortir des conneries pareilles ? C’est hallucinant !

M. Adrien Quatennens. Vous allez le faire en particulier dans les territoires où les gens sont extrêmement dépendants de l’aide juridictionnelle. Voilà ce qui va se passer.

M. Bruno Millienne. Vous n’avez peur de rien, monsieur Quatennens ! Ça ose tout !

M. Adrien Quatennens. Plus que jamais, nous aurons une justice à deux vitesses : des cabinets d’avocats d’affaires pour ceux qui ont les moyens, un barreau pour les pauvres gens. Voilà ce que vous préparez, en creux, avec cette réforme des retraites, au-delà même de la question du régime des avocats.

Il y a une réalité dans cette bataille contre votre réforme : des gens de conditions matérielle et sociale très différentes rejoignent les cortèges formés par les cheminots, les soignants et tous les autres.

M. Rémy Rebeyrotte. Les régimes spéciaux !

M. Adrien Quatennens. Je répète ce que j’ai dit hier, une personne qui, pour tout vous dire, ne faisait à mon avis pas partie de l’électorat insoumis en 2017 nous a clairement affirmé que, de son point de vue, rien ne serait plus jamais comme avant après cette réforme des retraites, quelle qu’en soit l’issue. Voilà ce que dit une partie de votre propre électorat, souvent et régulièrement, s’agissant du sort qui est réservé aux avocats.

M. Cyrille Isaac-Sibille. Je vais voter insoumis !

M. Bruno Millienne. Heureusement que cette personne n’a pas lu la rubrique 31 de votre programme !

M. Adrien Quatennens. Très franchement, quand des professionnels aussi dévoués et aussi attachés à leur métier en sont à jeter leur robe au pied de leur ministre de tutelle,…

M. Jean-René Cazeneuve. Tous les Français sont comme ça !

M. Adrien Quatennens. …cela signifie qu’il y a un vrai ras-le-bol. Or vous refusez obstinément de l’entendre.

M. le président. La parole est à Mme Marietta Karamanli.

Mme Marietta Karamanli. Je prends à mon tour la parole pour préciser que nous avons tous reçu, tant à Paris que dans nos permanences, les avocats et les bâtonniers. J’y insiste, même si cela énerve certains collègues qui ne veulent plus écouter ce que tout le monde dit : pensé depuis très longtemps par la profession, le régime de retraite autonome des avocats est équilibré, mais aussi solidaire et pérenne.

Notre groupe l’a dit à plusieurs reprises ici comme en commission, nous ne pouvons pas comprendre qu’au nom de la volonté de réformer les régimes spéciaux, l’on refuse d’examiner de plus près les régimes qui sont équilibrés et jouent un rôle solidaire vis-à-vis des autres régimes. Selon moi, le Gouvernement et la majorité n’ont pas pris la bonne décision en la matière.

M. le président. La parole est à M. Cyrille Isaac-Sibille.

M. Cyrille Isaac-Sibille. Comme les professions médicales, les professions juridiques peuvent être exercées en mode libéral ou en mode salarié. La tendance actuelle, c’est que les médecins et les juristes sont de plus en plus attirés par le mode salarié. Certaines entreprises préfèrent salarier des juristes ou des avocats plutôt que de faire appel à des juristes ou des avocats exerçant en libéral. Il nous revient dès lors de réfléchir à la meilleure manière de rendre le statut libéral plus attractif, ce qui va bien au-delà du problème des retraites.

Je suis heureux de constater que, sur tous les bancs, ici, à droite et à gauche,…

Mme Nadia Essayan. À l’extrême gauche !

M. Cyrille Isaac-Sibille. …on défend les professions libérales, et je serais ravi de vous voir vous associer à cette réflexion, monsieur Quatennens. (Applaudissements sur les bancs du groupe MODEM et sur quelques bancs du groupe LaREM.)

M. le président. Je mets aux voix les amendements identiques no 13716 et identiques.

(Il est procédé au scrutin.)

M. le président. Voici le résultat du scrutin :

        Nombre de votants                        96

        Nombre de suffrages exprimés                85

        Majorité absolue                        43

                Pour l’adoption                14

                Contre                71

(Les amendements no 13716 et identiques ne sont pas adoptés.)

M. le président. Sur l’article 4, je suis saisi par le groupe La République en marche, le groupe Les Républicains et le groupe de la Gauche démocrate et républicaine d’une demande de scrutin public.

Le scrutin est annoncé dans l’enceinte de l’Assemblée nationale.

L’amendement no 10731 et les seize amendements identiques déposés par le groupe La France insoumise ont été défendus précédemment par M. Coquerel.

Quel est l’avis de la commission sur cette série d’amendements ?

M. Guillaume Gouffier-Cha, rapporteur général. Défavorable.

M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?

M. Laurent Pietraszewski, secrétaire d’État. Défavorable.

M. Patrick Hetzel. Quelle surprise !

(Les amendements no 10731 et identiques ne sont pas adoptés.)

M. le président. Je mets aux voix l’article 4.

(Il est procédé au scrutin.)

M. le président. Voici le résultat du scrutin :

        Nombre de votants                        100

        Nombre de suffrages exprimés                99

        Majorité absolue                        50

                Pour l’adoption                68

                Contre                31

(L’article 4 est adopté.)

(Applaudissements sur les bancs du groupe LaREM et sur quelques bancs du groupe MODEM.)

M. Patrick Hetzel. Les avocats vous remercient !

 

 
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