Système universel de retraite
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AN 1 - Débats 28 février 2020 : 2ème séance du 27
Document intégral

 

Article 5

M. le président. La parole est à Mme Hélène Vainqueur-Christophe.

Mme Hélène Vainqueur-Christophe. J’interviens pour la première fois sur ce texte avec l’espoir que nous obtiendrons enfin des réponses pour les outre-mer. Le projet de loi ne comporte pas d’article particulier à ce sujet, l’article 64 indiquant néanmoins qu’il y aura une adaptation de la loi pour les outre-mer.

Les collègues qui sont intervenus jusqu’à présent n’ont obtenu aucune réponse de votre part, monsieur le secrétaire d’État : M. Serville vous a interpellé, il n’y a pas eu de réponse ; M. Jumel vous a interpellé, il n’y a pas eu de réponse ; hier encore, mon collègue Serge Letchimy vous a posé des questions, le même silence a été observé. Je tente ma chance à mon tour, en espérant des réponses.

Pour les ultramarins, c’est véritablement le flou. Si une forte inquiétude règne ici, imaginez ce que cela peut être dans les outre-mer, où la réforme s’appliquera quasi exclusivement par ordonnance !

Je vous pose donc clairement les questions suivantes, monsieur le secrétaire d’État.

D’abord, qu’adviendra-t-il de la bonification de dépaysement dont bénéficient les fonctionnaires ultramarins ?

Ensuite, vous avez annoncé que la prime de vie chère serait soumise à cotisation, de manière progressive, sur une période de quinze ans. Quel sera le plafond de l’assiette sur laquelle s’appliqueront les cotisations ? Quel sera le taux de la cotisation ? Comment concrètement comptez-vous compenser le surcoût de cotisation que les collectivités et les entreprises auront à supporter ? Avez-vous consulté les organisations syndicales et les collectivités sur ce point ?

Enfin, les agriculteurs ultramarins cotisent actuellement sur des bases différentes de celles en vigueur dans l’Hexagone. Le régime sera-t-il unifié ? (Applaudissements sur les bancs du groupe SOC.)

M. le président. La parole est à Mme Agnès Firmin Le Bodo.

Mme Agnès Firmin Le Bodo. Nous abordons l’article 5, relatif à l’application du système universel de retraite aux salariés et aux exploitants agricoles. L’examen de cet article a un écho particulier au moment où le Salon de l’agriculture bat son plein.

L’article 5 est évidemment cohérent avec les articles précédents : les agriculteurs ne sauraient être exclus du système universel de retraite. En outre, le groupe UDI, Agir et indépendants considère qu’il est indissociable d’autres mesures qui seront discutées ultérieurement, notamment des dispositions relatives à la pénibilité, à laquelle les agriculteurs sont particulièrement exposés, mais aussi, bien sûr, de la revalorisation des pensions agricoles. Pour une carrière complète, la pension agricole minimale sera portée à 1 000 euros à compter de 2022, puis à 85 % du SMIC dès 2025. Il s’agit d’une mesure de justice pour nos agriculteurs, qui sont les meilleurs du monde et nous nourrissent.

Nous regrettons néanmoins que les retraités agricoles actuels ne soient pas concernés par la revalorisation. La pension moyenne d’un chef d’exploitation s’établit aujourd’hui à 750 euros par mois, contre 1 390 euros pour l’ensemble des Français. Ce montant de 750 euros est bien en deçà du seuil de pauvreté et du minimum vieillesse.

Si nous nous réjouissons que la pension agricole minimale atteigne prochainement 1 000 euros, ce qui garantira une retraite digne aux futurs retraités agricoles, nous souhaiterions qu’une trajectoire soit rapidement définie afin que la pension des retraités agricoles actuels atteigne ce même montant de 1 000 euros.

M. le président. La parole est à M. Michel Castellani.

M. Michel Castellani. Je souhaite évoquer à mon tour le sujet récurrent des retraites des salariés et des exploitants agricoles.

Sur les 1,3 million de pensionnés relevant actuellement du régime de retraite des agriculteurs, près de 300 000, je le rappelle, vivent au-dessous du seuil de pauvreté. La retraite moyenne d’un chef d’exploitation ne dépasse pas 750 euros. Dès lors, il est difficile de justifier le choix de 2025 pour porter de 75 % à 85 % du SMIC la pension minimale des non-salariés agricoles.

La réponse au problème de précarité des agriculteurs est repoussée loin dans le temps. Le projet de loi prévoit une revalorisation de la pension agricole minimale, pour une carrière complète, à 1 000 euros à compter de 2022, puis à 85 % du SMIC dès 2025. Mais force est de constater que cette mesure ne concernera que les futurs retraités. Pourtant, la demande de revalorisation est ancienne, et il est absolument indispensable de la satisfaire. Il faut donc étendre le champ d’application de la mesure aux agriculteurs déjà retraités.

Il convient également d’améliorer la situation des collaboratrices d’exploitation, qui perçoivent aujourd’hui une pension de 547 euros en moyenne pour une carrière complète, d’autant plus que les règles permettant d’accéder à ce statut sont, on le sait, très complexes.

Par ailleurs, l’exigence d’une cotisation au niveau du SMIC pendant la carrière complète pour obtenir une pension minimale de 1 000 euros est inadaptée. En effet, moins de la moitié des agriculteurs parviennent à cotiser chaque mois à hauteur du SMIC sur une période aussi longue.

En l’état, le projet de loi ne répond pas aux difficultés des retraités agricoles ; il ne leur permettra pas de toucher un revenu décent.

Sans faire de démagogie, je rappelle un chiffre alarmant : en France, presque chaque jour, un agriculteur se suicide. Or, sur les 372 suicides recensés en 2015, 274 ont été commis par une personne de plus de 65 ans. Il faut en tirer les leçons. (Applaudissements sur les bancs du groupe LT.)

M. le président. La parole est à M. Adrien Quatennens.

M. Adrien Quatennens. Dans notre pays, la situation des agriculteurs est extrêmement préoccupante, pour ne pas dire dramatique. Tous les deux jours, un agriculteur se suicide.

M. Jimmy Pahun. Chaque jour, a dit l’orateur précédent…

M. Adrien Quatennens. Un agriculteur sur trois gagne moins de 350 euros par mois. L’an dernier, 20 % des agriculteurs français ont déclaré un revenu nul, voire un déficit de leur exploitation.

Dans ces conditions, nous le savons, le métier est peu attractif, et se pose la question du remplacement : un agriculteur sur deux partira en retraite dans les toutes prochaines années, et près de deux sur trois risquent de ne pas avoir de successeur. Voilà le point auquel nous en sommes rendus.

M. Macron a réaffirmé récemment que l’Europe protégeait les agriculteurs français. Pour notre part, nous affirmons le contraire : telle qu’elle fonctionne aujourd’hui, l’Union européenne ne protège pas les agriculteurs français. D’abord, la politique agricole commune fonctionne selon un modèle obsolète qui profite à quelques gros industriels. Surtout, cette absence de protection tient aux traités de libre-échange. Le Parlement européen en a encore approuvé un récemment, au moment même où M. Macron effectuait son énième tournant écologique – qui devient, en définitive, un demi-tour.

Nous souhaitons la transition du modèle agricole ; nous voulons passer à une agriculture paysanne et relocalisée, intensive en emplois plutôt qu’en produits chimiques, lesquels empoisonnent les agriculteurs et nos assiettes.

En attendant, avec votre projet de réforme des retraites, vous avez fait aux agriculteurs une promesse essentielle, à laquelle ils croyaient pouvoir s’accrocher : vous leur avez assuré qu’ils pourraient bénéficier d’une pension minimale de 1 000 euros. Or ce n’est pas vrai – problème d’ailleurs récurrent dans ce projet de loi. En effet, près de 40 % des agriculteurs seront exclus du dispositif : pour obtenir cette retraite minimale de 1 000 euros, ils devront avoir cotisé toute leur carrière au niveau du SMIC au minimum.  C’est faux ! » sur les bancs du groupe LaREM.)

Seuls les chefs d’exploitation seront concernés ; les conjoints d’agriculteur ne le seront pas. Bref, comme chaque fois lorsqu’il s’agit d’être conséquent à l’égard des gens qui en ont le plus besoin, vous êtes aux abonnés absents.

M. le président. La parole est à M. Jean-Paul Dufrègne.

M. Jean-Paul Dufrègne. L’article 5 prévoit en effet que le système universel de retraite par points s’applique aux salariés et exploitants agricoles. Depuis le début de l’examen du texte, vous prétendez que votre réforme sera bénéfique pour le monde agricole ; pourtant, deux réalités viennent contredire vos belles promesses. Premièrement, les retraités agricoles actuels ne seront pas concernés et ne verront donc pas la couleur d’une retraite minimum garantie à 85 % du SMIC. Le groupe de la Gauche démocratique et républicaine a défendu une proposition semblable devant le Parlement, mais le Gouvernement a empêché qu’elle soit adoptée au Sénat. Cette mesure, qui se chiffre à quelques centaines de millions d’euros, est largement finançable ; l’argent existe, puisque dans le même temps vous vous permettez d’exonérer les cadres à hauts revenus de 4 milliards d’euros pas an, en supprimant les cotisations sociales au-delà de trois fois le montant du PASS, selon l’article 13 de votre projet de loi.

Deuxièmement, les futurs retraités agricoles auront bien du mal à percevoir la retraite minimale à 85 % du SMIC à compter de 2022, puisque des conditions très strictes sont requises : avoir atteint l’âge d’équilibre de 65 ans, pour la génération 1975 ; avoir travaillé 43 ans et avoir cotisé sur une base de 600 heures payées au SMIC par an. Quand on connaît les revenus de nombreux agriculteurs, en particulier dans les zones défavorisées, on sait que beaucoup n’auront pas droit à ce minimum de pension – 40 % seulement d’entre eux en bénéficieront. Exit également les conjoints de paysans, ou les agriculteurs aux carrières hachées pour cause d’incapacité ou d’invalidité.

Plus de perdants que de gagnants : voilà la réalité de ce projet. Rien ne justifiait une telle réforme ; nous pouvons améliorer les retraites des agriculteurs sans instaurer un système par points. Il suffisait de revaloriser les petites retraites agricoles, comme nous vous l’avons proposé. (Applaudissements sur les bancs du groupe GDR.)

M. le président. La parole est à Mme Véronique Hammerer.

Mme Véronique Hammerer. L’article 5 concerne l’intégration des exploitants agricoles dans le système universel. Enfin, nous y sommes. Aujourd’hui, sur 30 000 agriculteurs, 20 000 perçoivent une retraite inférieure à 1 000 euros, certains n’ayant même que 600 euros par mois, voire moins.

M. Aurélien Pradié. Ça ne changera pas !

Mme Véronique Hammerer. Nous partageons ce constat, et nous souhaitons tous trouver une solution pour ces futurs retraités, qui ont travaillé toute leur vie, sans compter les heures, parfois pour dégager des revenus indécemment faibles.

Il s’agit de garantir aux nouveaux retraités, à partir de 2022, une pension minimum à hauteur de 85 % du SMIC net.

M. Aurélien Pradié. Et les actuels retraités ?

Mme Véronique Hammerer. Cette revalorisation est attendue par les agriculteurs, par la Fédération nationale des syndicats d’exploitants agricoles – FNSEA – et par la Mutualité sociale agricole – MSA. Concernant cette dernière, je me suis récemment entretenue avec M. Pascal Cormery, son président.

M. Stéphane Viry. Ah !

M. Patrick Hetzel. Alors…

Mme Véronique Hammerer. Je profite de cet instant pour souligner l’importance de la caisse de la Mutualité sociale agricole, qui continuera à gérer les retraites agricoles ; elle constitue un organisme essentiel pour nos territoires ruraux.

Le régime des agriculteurs est déficitaire ; il compte un actif pour trois retraités. La création du régime universel, fondé sur la solidarité de tous, qui en termine avec les régimes spéciaux, constitue un geste fort pour nos agriculteurs ! (Applaudissements sur les bancs du groupe LaREM.)

Plus que le besoin d’aider un régime déficitaire, l’urgence concerne le niveau des pensions et le reste à vivre des exploitants. La réforme apporte une réponse ; à mon sens elle ne doit pas rester la seule : nous devons effectivement réfléchir à d’autres mesures, mais nous vivons certainement le début d’une nouvelle histoire. (Applaudissements sur les bancs du groupe LaREM.)

M. le président. La parole est à M. Thibault Bazin.

M. Thibault Bazin. L’article 5 concerne l’affiliation des exploitants agricoles non salariés, au sens des dispositions du code rural, nés à partir du 1er janvier 1975, au régime général de sécurité sociale, en les intégrant au champ d’application du futur système universel de retraite.

De nombreux aspects méritent précision et doivent évoluer. La hausse du taux de cotisation agricole passe de 21 à 28 %, mais d’un autre côté vous promettez une réforme de l’assiette de la CSG avec un abattement forfaitaire envisagé de 30 %. Or, vous avez déjà manipulé la CSG pour pénaliser les retraités et elle peut changer chaque année. L’inquiétude est donc légitime.

Celle-ci est également motivée par la question du cumul emploi-retraite. Pourra-t-on devenir agriculteur dès lors que l’on sera retraité ? Les jeunes agriculteurs s’en alarment à raison : ils sont fortement mobilisés pour promouvoir les installations. Dans ce domaine, peut-être faut-il restreindre l’accès au cumul emploi-retraite aux salariés.

Pour les conjoints collaborateurs des exploitants agricoles non salariés, vous avez prévu une cotisation identique à celle de l’aide familial. Ne faudrait-il pas instaurer une limitation dans le temps pour ce dernier statut ?

L’exonération sociale des jeunes installés agricoles représente 15 millions d’euros par an. Votre projet prévoit la suppression des exonérations non compensées du système actuel. Les aides accordées aux jeunes agriculteurs vont ainsi disparaître. Vous engagez-vous à les compenser ? Si elles doivent l’être intégralement, pourquoi ne pas prévoir une transition immédiate ? Sinon, une transition rapide ne présente aucun intérêt.

Enfin, les retraités agricoles actuels, et ceux qui le deviendront dans les prochains mois, dont les retraites sont si modestes, ont été trompés par la promesse du Président Macron de leur assurer une retraite minimum de 1 000 euros par mois.

M. Vincent Descoeur. Malheureusement.

M. Thibault Bazin. C’est la douche froide ! Ils vous ont pourtant servi de prétexte. Assurer cette retraite minimum aux chefs d’exploitation coûterait 400 millions d’euros. Le projet des Républicains permettrait de le financer. Or, votre système n’est toujours pas financé : pas de financement équilibré, pas de crédits pour les mesures de justice sociale. Voilà l’impasse dans laquelle vous nous avez entraînés, en faisant le choix critiquable de placer l’examen parlementaire du texte avant de connaître les conclusions de la conférence de financement. Quand étudierez-vous enfin notre proposition de mettre sur la table un projet complet et financé ? (Applaudissements sur les bancs du groupe LR.)

M. le président. La parole est à M. Stéphane Baudu.

M. Stéphane Baudu. Nous sommes enfin parvenus à l’examen de l’article 5 relatif aux personnes non salariées agricoles. Il fait partie des articles dont nous sommes le plus fiers.

M. Jean-Paul Dufrègne. Eh bien, il n’y a pas de quoi !

M. Stéphane Baudu. Certes, il ne résout pas le problème des retraités agricoles actuels, auquel les membres du groupe MODEM sont très sensibles : nous devrons y travailler au cours des prochains mois.

Les retraités agricoles souhaitent ardemment rejoindre le système universel que nous défendons parce qu’il offre des avantages importants, comparativement à la situation actuelle. Ils ont raison : jamais, dans l’histoire de notre protection sociale, les agriculteurs n’auront été aussi bien protégés du risque vieillesse. (Mme Nadia Essayan applaudit.)

La retraite moyenne des agriculteurs s’élève à 953 euros pour les hommes et 852 euros pour les femmes – il s’agit bien d’une moyenne. Dès 2022, dans le système universel de retraite, ils percevront au minimum 1 000 euros ; en 2025, le montant minimum de la pension sera augmenté à 85 % du SMIC, soit un gain de 180 euros par rapport à aujourd’hui.

Oui, les agriculteurs seront mieux lotis : pour ce progrès en particulier, nous sommes très fiers de soutenir ce texte. (Applaudissements sur les bancs des groupes MODEM et LaREM.)

M. le président. Sur les amendements de suppression no 491 et identiques, je suis saisi par les groupes Les Républicains et la Gauche démocrate et républicaine d’une demande de scrutin public.

Le scrutin est annoncé dans l’enceinte de l’Assemblée nationale.

Cette série comprend les amendements nos 491, 950, 3905 et 13484 ; l’amendement no 15726 et seize amendements identiques déposés par les membres du groupe La France insoumise ; enfin, l’amendement no 31015 et quatorze amendements identiques déposés par les membres du groupe la Gauche démocrate et républicaine.

La parole est à Mme Marie-Christine Dalloz, pour soutenir l’amendement no 491.

Mme Marie-Christine Dalloz. Trois arguments justifient la suppression de l’article 5. Premièrement, nous dénonçons un mensonge : vous avez laissé croire au 1,3 million de retraités agricoles qu’on allait augmenter leur pension à hauteur de 85 % du SMIC ; or vous ne les intégrez pas à votre réforme.

Ensuite, votre texte est incomplet. Quels seront les droits à la retraite des conjoints collaborateurs ? En tant que femme, je rencontre beaucoup de femmes d’exploitants agricoles ; toutes m’interrogent sur cette disposition.

Enfin, en matière de financement, nous travaillons totalement à l’aveugle. La variation des revenus agricoles doit être prise en compte. En 2016, 22,1 % des agriculteurs vivaient en dessous du seuil de pauvreté ; malheureusement, la situation s’est encore dégradée. Vous leur proposez 85 % du SMIC en 2025, en exigeant des cotisations annuelles équivalentes à celles de 600 heures payées au SMIC. Avec les variations des revenus agricoles, ils n’y parviendront pas tous les ans.

Que se passe-t-il ? Vous avez pris conscience de cette difficulté et, comme un aveu, vous avez décidé d’aménager l’assiette de la CSG. Mais ils ont compris le risque d’une telle disposition : chaque année, dans le cadre du projet de loi de financement de la sécurité sociale, cette base pourra être révisée, jusqu’à annuler le cadeau que vous leur faites dans cette réforme, afin de la leur faire accepter.

Pour toutes ces raisons, nous considérons qu’il convient de supprimer l’article 5 (Applaudissements sur les bancs du groupe LR.)

M. Patrick Hetzel. Très bien !

M. le président. La parole est à Mme Marietta Karamanli, pour soutenir l’amendement no 950.

Mme Marietta Karamanli. Nous demandons la suppression de l’article 5. La réforme accroît les inégalités pour l’ensemble des assurés : le montant de la retraite sera calculé à partir de l’ensemble de la carrière plutôt que sur les meilleures années, donc le revenu de référence sera mécaniquement plus faible, et les pensions aussi.

Vous parlez d’égalité ; j’ai même entendu des discours de défense des ouvriers. Je regrette, mais un ouvrier qui aurait gravi au long de sa carrière les échelons jusqu’à devenir cadre connaîtra une chute brutale de ses revenus lorsqu’il partira à la retraite, puisque la prise en compte de son début de carrière amoindrira nettement sa pension.

Le système à points engendrera une distorsion progressive entre les assurés dont les revenus sont dynamiques et ceux dont les revenus stagnent ou évoluent faiblement. En outre, il prévoit l’instauration d’un âge d’équilibre, auquel les assurés d’une génération pourront liquider leur retraite sans décote.

M. Jean-René Cazeneuve. On parle des agriculteurs, ici !

Mme Marietta Karamanli. J’énumère toutes les situations jusqu’à arriver à l’article 5. La situation des agriculteurs est déjà notoirement difficile ; elle sera encore aggravée, et même  désastreuse. Vous leur infligez une violence économique, comme aux autres. Celle-ci est inacceptable, et plus injuste encore à l’égard des agriculteurs – nous proposons donc de supprimer cet article.

M. le président. La parole est à Mme Emmanuelle Ménard, pour soutenir l’amendement no 3905.

Mme Emmanuelle Ménard. Il est louable de vouloir concéder une retraite décente à nos agriculteurs – ils le méritent. Néanmoins, il serait préférable de préciser le détail du dispositif proposé par le Gouvernement. Il serait en effet désastreux que les exploitants agricoles se voient accablés de charges supplémentaires induites par leur agrégation au nouveau dispositif de retraite.

Les revenus des agriculteurs varient fortement d’une année sur l’autre : leurs carrières sont loin d’être linéaires. Selon l’INSEE, 22 % d’entre eux vivaient sous le seuil de pauvreté en 2016. Je ne reviendrai pas non plus sur le taux de suicide dans cette profession, particulièrement élevé en France. Le principal reproche que j’adresse à votre réforme est qu’elle améliorera peut-être le sort des futurs retraités agricoles – et encore, pas tous, cela a été démontré –, mais elle ne change rien à celui des 1,3 million de retraités actuels. Rien n’est fait non fait non plus pour les retraités conjoints collaborateurs, qui sont majoritairement des femmes. Bref, parce que votre réforme est incomplète et trompeuse, je demande la suppression de l’article 5.

M. Olivier Damaisin. Scandaleux !

M. Rémy Rebeyrotte. Elle se découvre !

M. Jean-René Cazeneuve. Indécent !

M. Alain Perea. Une honte !

M. le président. La parole est à M. Nicolas Meizonnet, pour soutenir l’amendement no 13484.

M. Nicolas Meizonnet. Je me ferai l’écho de bien des propos déjà tenus, mais je crois utile de les répéter. Depuis le début, les agriculteurs sont classés dans le camp des grands gagnants de votre réforme : ils devaient tous percevoir un minimum de 1 000 euros de retraite par mois. Seulement, il semble que ce qui se voulait être une vraie bonne nouvelle se soit progressivement étiolé, au même rythme d’ailleurs que les soutiens à cette réforme, jusqu’à se transformer progressivement en « fake news » – fausse nouvelle en français – car, pour citer les mots du Président de la République, se pose la fameuse « question du stock » – expression détestable, soit dit en passant. Dans ce flou artistique, nous comprenons désormais que la réforme laissera d’entrée de jeu 1,3 million de retraités sur le bas-côté.

D’autre part, seuls y seront éligibles les chefs d’exploitation agricole ayant fait une carrière complète de quarante-trois ans et ayant cotisé à hauteur du SMIC. Par conséquent, vous fermez la porte à tous ceux qui ont eu une carrière hachée, souvent en raison d’incapacité ou d’invalidité – et ils sont nombreux. Vous fermez également la porte à tous les conjoints d’agriculteurs, qui, vous le savez, sont en grande majorité des femmes.

En résumé, les plus fragiles continueront de percevoir des pensions de misère : une moyenne de 750 euros pour les hommes et de 580 euros pour les femmes. Telle est la réalité du projet injuste que vous défendez.

Alors, mesdames et messieurs les députés de la majorité, je dirai, reprenant les mots de Sully, cités mardi dernier dans cet hémicycle par Bruno Le Maire, que, si labourage et pâturage sont encore à vos yeux les deux mamelles de la France, vous devez voter la suppression de l’article 5, et plus largement renoncer à cette réforme injuste.

M. le président. La parole est à M. Éric Coquerel, pour soutenir l’amendement no 15726 et et les seize amendements identiques déposés par le groupe La France insoumise.

M. Éric Coquerel. Selon un de nos collègues de la République en marche, nous pourrions débattre avec vous mais surtout pas remettre en cause votre bonne foi. On est tout de même en droit de se poser quelques questions à propos de cet article 5, qui ressemble vraiment à une arnaque, puisqu’il tente de faire passer pour une conquête sociale un rattrapage incomplet, amputé et ajourné.

En 2003, une disposition figurant à l’article 4 de la loi Fillon a fixé le seuil de retraite pour les agriculteurs à 85 % du SMIC net. L’application de la mesure, prévue pour 2008, a été différée. En 2017, celle-ci a de nouveau été votée à l’unanimité par l’Assemblée nationale – c’était la proposition de loi d’André Chassaigne. Votre gouvernement l’a repoussée. Et voilà que vous la réintroduisez dans ce texte !

Quitte à vous voir récupérer une avancée sociale dont vous avez retardé l’application, on aurait pu au moins s’attendre à ce que vous l’appliquiez à tous. Mais non : vous en écartez les agriculteurs actuellement à la retraite, leurs conjoints, ainsi que ceux qui n’auront pas cotisé quarante-trois ans à hauteur du SMIC – ce qui exclut 40 % de la profession. J’ajoute que la disposition ne sera pas applicable avant 2021, et plus vraisemblablement avant 2025.

Si vous retravaillez l’article 5, afin de nous proposer un dispositif applicable à tous les agriculteurs – dont vous savez que 22 % vivent en dessous du seuil de pauvreté –, immédiatement, nous pourrons peut-être voter cet article du projet de loi. Mais, dans sa rédaction actuelle, je le répète, cet article est une arnaque. (M. Adrien Quatennens applaudit.)

M. Jean-René Cazeneuve. Indécent !

M. Adrien Quatennens. Prouvez donc le contraire !

M. le président. La parole est à M. Pierre Dharréville, pour soutenir l’amendement no 31015 et les quatorze amendements identiques déposés par le groupe de la Gauche démocrate et républicaine.

M. Pierre Dharréville. Cette semaine, au Salon de l’agriculture, le Président de la République a confirmé une nouvelle trahison, qui est venue balayer le slogan de votre réforme : « Nous allons relever les petites retraites, notamment les retraites agricoles, pour qu’aucun retraité ne touche une pension inférieure à 1 000 euros. » Finalement, en 2022 comme en 2025, de très nombreux agriculteurs continueront de percevoir une pension moins importante.

Depuis décembre, nous avons compris que le minimum contributif de 1 000 euros concernerait non les retraités actuels mais les futurs retraités, et encore, à condition qu’ils aient effectué une carrière complète. Vous laissez donc au bord du chemin une grande partie des agriculteurs, qui ne rentreront pas dans les cases que vous avez dessinées parce que vous ne prenez en compte ni les périodes pendant lesquelles ils ont eu le statut de collaborateur ou d’aide familial, ni la pénibilité.

Comme d’habitude, notre groupe n’avait pas manqué de formuler des propositions. En 2017, André Chassaigne a déposé une proposition de loi tendant à proposer pour tous les agriculteurs sans distinction une retraite minimum égale à 85 % du SMIC. La proposition, que nous avions rédigée afin de la rendre acceptable par tous les groupes, a été votée à l’unanimité à l’Assemblée nationale, avant d’être retoquée par la majorité au Sénat. Selon celle-ci, il fallait attendre la fameuse réforme des retraites – qui serait plus ambitieuse, plus générale et qui traiterait le problème.

Nous voyons que ce n’est pas le cas. Le fait est là : les agriculteurs n’auront rien. Vous renvoyez le sort de milliers d’entre eux à une obscure mission d’information visant à dresser un état des lieux qui nous est d’ores et déjà connu. Personne n’est dupe de la manœuvre. Vous avez menti. Nous sommes certains que la réforme ne répondra pas à leurs attentes.

Nous vous proposons donc de supprimer l’article et de reconsidérer les termes de la proposition de loi Chassaigne. Le passage à un système à points n’est en rien nécessaire pour relever les petites retraites agricoles ; il suffirait d’améliorer le système actuel.

M. le président. Quel est l’avis de la commission ?

M. Guillaume Gouffier-Cha, rapporteur général. Cette série d’amendements tendant à supprimer l’article 5 me laisse perplexe. Vous proposez, au motif que nous n’avons pas encore trouvé une solution pour les retraités agricoles actuels…

M. Pierre Dharréville. Nous l’avons trouvée, nous !

M. Guillaume Gouffier-Cha, rapporteur général. …de condamner les futurs retraités, en faisant sortir les agriculteurs du système universel. (Applaudissements sur les bancs du groupe LaREM.) Oui, voilà ce que vous proposez, et nous ne pouvons pas l’accepter ! Je vous rappelle que ce nouveau système leur ouvrira pourtant de nouveaux droits, améliorera leur pension et que la MSA sera toujours leur interlocuteur.

M. Adrien Quatennens. Tout le monde n’y aura pas accès, à ces nouveaux droits !

M. Guillaume Gouffier-Cha, rapporteur général. Au passage, je m’étonne que certains députés de La France insoumise nous demandent d’appliquer immédiatement le système de retraite universel aux agriculteurs.

Quoi qu’il en soit, j’émets un avis fortement défavorable sur ces amendements, comme sur tous ceux qui seront appelés ultérieurement et tendent à supprimer un ou plusieurs alinéas de l’article. (M. Jean-Jacques Bridey applaudit.)

M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?

M. Laurent Pietraszewski, secrétaire d’État. Je voudrais d’abord répondre à Mme Vainqueur-Christophe. S’agissant de l’outre-mer, tous les gouvernements travaillent par ordonnances, non parce qu’ils ne voudraient pas inscrire dans la loi des dispositions propres à ces territoires, mais parce que les réalités changent considérablement d’une collectivité territoriale à l’autre.

Le Gouvernement ne considère pas que les ultramarins n’auraient pas leur place dans le texte ! En écoutant Mme Vainqueur-Christophe, monsieur Letchimy, je relisais l’excellent rapport que vous avez cosigné. Vous connaissez parfaitement la situation. Nous faisons preuve de transparence : je vous ai écrit qu’avec Mme Girardin, ministre des outre-mer, nous allions travailler en concertation avec les élus pour identifier les réalités de chacun des territoires que vous représentez et de traiter ceux-ci comme il convient. Loin de moi l’idée de ne pas vouloir répondre sur telle ou telle spécificité territoriale.

Depuis lundi, le monde agricole, sur lequel porte l’article 5, a suscité les questions de divers groupes, notamment des Républicains. On m’a interrogé sur l’avenir des dispositifs gérés par la MSA. Celle-ci possède un bon réseau, qui offre une aide réelle en matière d’accompagnement de la vieillesse agricole. J’ai confirmé que nous nous appuierions sur elle. L’article comprend nombre de dispositifs que tous ceux qui se soucient du monde agricole auront à cœur de soutenir.

Avis défavorable.

M. le président. La parole est à M. Damien Abad.

M. Damien Abad. J’en reviens à l’intervention de M. Bazin. Même si l’on tient compte de l’abattement que vous avez annoncé, beaucoup d’agriculteurs verront finalement leurs cotisations augmenter.

D’autre part, les diverses exonérations dont bénéficient notamment les jeunes agriculteurs qui s’installent seront-elles compensées ? Nous attendons vos explications sur ce point.

Enfin et surtout, après le temps de l’agribashing, nous voyons venir celui de l’agridéception. Après avoir beaucoup promis aux agriculteurs, particulièrement aux retraités agricoles actuels, vous voilà pris en flagrant délit de publicité mensongère…

M. Vincent Descoeur. C’est exact.

M. Damien Abad. Nombre d’entre eux avaient compris qu’ils seraient concernés par la réforme. Ils s’attendaient à percevoir ce fameux montant de 1 000 euros, correspondant à 85 % du SMIC, pour une carrière complète. Au Salon de l’agriculture, le Président de la République a refermé la porte en expliquant qu’une telle mesure aurait coûté 1,1 milliard. Nous avons eu confirmation que ce chiffre est faux : l’application aux retraités actuels de la mesure proposée pour les futurs retraités concernerait 220 000 personnes et coûterait 400 millions. Qui dit la vérité ? Ce point doit être clarifié. Si le dispositif initialement promis par le Président – et attendu avec impatience – coûte réellement 400 millions, il semble indispensable de faire ce geste. (Applaudissements sur les bancs du groupe LR.)

M. le président. La parole est à M. Serge Letchimy.

M. Serge Letchimy. Monsieur le secrétaire d’État, je me contenterai de poser des questions, en espérant obtenir des réponses claires.

Vous semblez penser que votre réforme ne concerne pas les pensions des agriculteurs actuellement à la retraite. Est-ce le cas, oui ou non ? Le Président de la République s’est exprimé à ce sujet ; mais ce n’est pas son champ d’intérêt. Ignorez-vous qu’en France, plus particulièrement en outre-mer, certains agriculteurs vivent dans des conditions désastreuses, avec 40, 50 ou 100 euros de pension par mois ?

Prévoyez-vous de verser le montant de 1 000 euros prévus aux seuls exploitants agricoles à la retraite, à l’exclusion des ouvriers agricoles à la retraite ?

M. Jean-René Cazeneuve. Mais non ! C’est faux !

M. Serge Letchimy. Si c’est faux, dites-le. Je vous donne la possibilité de répondre clairement. Faites-le et laissez-moi la possibilité de poser des questions.

M. Roland Lescure. La possibilité de répéter, surtout !

M. Serge Letchimy. J’attends une réponse simple : oui ou non.

Troisième question : ceux qui n’ont pas une carrière pleine – sur ce sujet, je vous ai déjà interrogé – et qui, en outre-mer comme dans l’Hexagone, ont vécu ce que l’on appelle des « temps informels », sans garder de trace de leur activité, sont-ils concernés par la mesure ? Comment allez-vous traiter leur situation ?

Quatrièmement, vous paraissez vouloir agir par ordonnances, mais il ne me semble pas que vous en ayez prévu à cet article. Les ordonnances concernent en effet les fonctionnaires, et non l’activité agricole. Dans ces conditions, comment pourriez-vous traiter les enjeux de l’outre-mer par ordonnance ?

M. le président. La parole est à M. Frédéric Descrozaille.

M. Frédéric Descrozaille. Quoi que vous pensiez, monsieur Coquerel, je vais essayer de vous prouver notre bonne foi sur ce sujet comme sur les autres.

Un agriculteur n’est pas un salarié. Au cours de son activité professionnelle, il capitalise, et il génère du flux de revenus. Dans ce secteur, on ne peut donc pas se référer à un SMIC horaire sans constater qu’un tiers des agriculteurs passe à la trappe, ce qui est vrai pour pratiquement toutes les générations. (M. Roland Lescure applaudit.)

C’est dans ce contexte que les retraites agricoles ont été sacrifiées depuis des décennies sur l’autel d’une politique qui a privilégié dès 1972, quand Jacques Chirac était ministre de l’agriculture, la transmission de l’exploitation – c’est-à-dire la subvention de l’achat en vue d’obtenir une réalisation du capital en fin de carrière. À cette époque, les taux d’inflation comme les taux d’intérêt étaient à deux chiffres.

Nous sommes entrés dans une nouvelle ère politique. Aujourd’hui, les générations ont du mal à se renouveler et les taux d’intérêt ont chuté, de sorte que cette politique spécifique n’a plus de sens, même pour les jeunes agriculteurs.

Nous sommes les premiers à prendre ce sujet à bras-le-corps. Mais alors que nous nous attelons enfin à un dossier qui a traîné trop longtemps – pardon si je peux paraître arrogant, je suis en tout cas sincère –, vous jugez scandaleux que nous ne le réglions pas immédiatement et pour tout le monde. Et vous nous suggérez plutôt de ne rien faire ! (Applaudissements sur les bancs du groupe LaREM.)

Les mots de « flux » et de « stock » sont grossiers, mais ils nomment une réalité. Les agriculteurs eux-mêmes le comprennent, et ne nous le reprochent pas.

Mme Marie-Christine Dalloz. Pas réducteur du tout comme propos !

M. Thibault Bazin. Ne réécrivez pas l’histoire !

M. Frédéric Descrozaille. Je me rends au Salon international de l’agriculture tous les matins depuis samedi, et n’ai pas rencontré un seul responsable professionnel qui nous ait reproché notre projet pour les retraites. (Applaudissements sur les bancs du groupe LaREM.) Ils nous font d’autres reproches ; j’ai été alpagué, mais pas sur ce point. Ils sont même atterrés par la tenue des débats dans l’hémicycle depuis dix jours. (Applaudissements sur les bancs des groupes LaREM et MODEM.)

M. le président. La parole est à M. Jean-Paul Dufrègne.

M. Jean-Paul Dufrègne. Les agriculteurs à la retraite doivent être nombreux à nous regarder aujourd’hui. Je les ai reçus très souvent ; je connais leur colère et la partage, car je ne comprends pas que l’on puisse opposer autant de mépris à celles et ceux qui ont travaillé dur pour nourrir la France et aménager le territoire.

La proposition de loi visant à assurer la revalorisation des pensions de retraite agricoles en France continentale et dans les outre-mer, dite loi Chassaigne, faisait l’unanimité, mais vous l’avez enterrée, par un tour de passe-passe,…

M. Roland Lescure. Elle avait été adoptée à l’Assemblée début 2017 ! C’était une pure manœuvre électorale !

M. Jean-Paul Dufrègne. …en jurant, la main sur le cœur, que l’anomalie que constituent les retraites agricoles serait corrigée lors de l’examen du présent projet de loi. C’est un mensonge, et même un gros !

On ne peut autant tromper ceux qui ont tant donné ; c’est une honte ! Vous n’avez pas de quoi être fiers de ces manœuvres ! (Applaudissements sur les bancs des groupes GDR, FI et LR. – Exclamations continues sur les bancs des groupes LaREM et MODEM.)

M. Alexandre Freschi. La loi Chassaigne, c’était du clientélisme ! C’était deux mois avant l’élection !

M. le président. La parole est à M. Éric Coquerel.  (Exclamations persistantes et vifs échanges de banc à banc.) S’il vous plaît, chers collègues  !

M. Thibault Bazin. Monsieur le président, rétablissez le calme !

M. Damien Abad. Que la majorité modère ses réactions !

M. Éric Coquerel. Je ne peux pas laisser passer les discours politiciens du rapporteur général et de mon collègue de la majorité : vous règleriez des problèmes qui auraient dû l’être plus tôt.

Vous n’avez pas voulu de la loi Chassaigne, pourtant votée à l’Assemblée, parce que vous compliquez tout, avec la retraite par points. À cause de ce système, vous êtes incapables de prendre une mesure pourtant simple : établir une retraite minimale équivalente à 85 % du SMIC pour tous les agriculteurs qui arrivent aujourd’hui à l’âge de la retraite, quel que soit le nombre d’années de cotisation.

Si vous ne prenez pas une mesure aussi simple, ce n’est donc pas seulement faute de volonté politique, mais aussi parce qu’il vous faudrait l’intégrer dans le système de retraite à point, qui complique tout et ne constitue une bonne solution pour personne – c’en est une nouvelle illustration.

Par ailleurs, si nous voulons traiter des problèmes globaux du monde agricole – ce que je ferai volontiers – parlons d’abord de ses revenus. Ils sont insuffisants, parce que le travail est insuffisamment payé – cela doit être le point de départ de la réflexion. À cause de cela, les cotisations sont insuffisantes.

Il faudrait donc remettre en question la manière dont la politique agricole commune est menée. Elle favorise les plus gros exploitants, qui travaillent avec l’agro-business, au détriment des petits. Il faudrait instaurer un revenu minimum garanti ; il faudrait des rémunérations qui récompensent les agriculteurs pour leur travail social indispensable, notamment sur le plan environnemental, dans les zones fragiles ou difficiles, entre autres.

Si vous meniez une réflexion globale sur le monde agricole, oui, je pourrais vous suivre – mais ce n’est pas le cas. Alors que vous êtes au pouvoir depuis deux ans et demi, vous pourriez faire en sorte que les agriculteurs vivent mieux de leur travail.

M. Roland Lescure. On l’a fait !

M. Éric Coquerel. Je rappelle que 22 % d’entre eux vivent sous le seuil de pauvreté.

Ne nous dites pas que votre projet de loi créera des miracles – le dispositif est mal fichu, incomplet, et il ne constitue en rien un progrès par rapport aux textes adoptés dès 2003. (Applaudissements sur les bancs du groupe FI.)

M. le président. La parole est à M. Frédéric Petit.

M. Frédéric Petit. Je serai rapide : le système agricole fonctionne actuellement par points et par paliers – ce qui le rend encore plus compliqué.

M. Roland Lescure. C’était court, en effet !

M. Patrick Mignola. Court, mais efficace !

M. le président. La parole est à M. Éric Woerth.

M. Éric Woerth. Comme Damien Abad l’a très bien résumé, nous vivons dans une lourde atmosphère d’agribashing. Ce n’est pas propre à la France, mais comme notre pays est une grande terre agricole, qui compte encore – et Dieu merci – beaucoup d’agriculteurs, on est impressionné de constater qu’un tel climat pèse sur le débat.

Le monde agricole est traversé par de multiples interrogations – voire par de la désespérance, vous le savez bien. Votre projet de loi offre quelques avancées – je pense au minimum de retraite, même s’il ne couvrira pas tout le monde, comme Damien Abad l’a souligné.

La situation des agriculteurs « en stock », pour reprendre l’expression, constitue un vrai problème. Nous proposons pour notre part un financement.

J’en viens à ma dernière remarque. Vous augmentez les cotisations vieillesse des travailleurs non salariés – dont les exploitants agricoles –, et diminuez leurs autres prélèvements, atteignant une sorte d’équilibre, quoique l’impact de ces mesures soit différent d’une profession à l’autre, puisqu’elles ne sont pas soumises, actuellement, aux mêmes taux de cotisation.  

Dans votre étude d’impact, un graphique très clair montre que les exploitants agricoles perdront 100 millions d’euros avec votre réforme : leurs cotisations vieillesse augmenteront de 400 millions, quand les autres prélèvements diminueront de 300 millions. Comment expliquez-vous ce problème ? Comment comptez-vous compenser cette augmentation ?  Très bien ! » et applaudissements sur les bancs du groupe LR.)

M. Damien Abad. C’est ça, la vraie question !

M. le président. La parole est à M. Alain David.

M. Alain David. J’ai assisté à une assemblée générale des retraités de l’agriculture de mon département. Ils relatent vos rencontres avec eux d’une manière très différente de la vôtre – je ne sais pas quel genre de retraités agricoles vous rencontrez. (Exclamations sur plusieurs bancs des groupes LaREM et MODEM.)

M. Jean-Paul Dufrègne. Ah, moi non plus !

M. Rémy Rebeyrotte. Ceux de Saône-et-Loire – et il y en a !

M. Alain David. En tout cas, ceux que j’ai rencontrés sont furieux ! (Mêmes mouvements.) Ils croyaient dans vos promesses. Quelle déception !

M. Roland Lescure. On croit rêver !

M. Alain David. Certains avaient voté pour vous justement pour ces promesses.

M. Rémy Rebeyrotte. Eh bien, les agriculteurs sont satisfaits, je crois.

M. Alain David. Le Président de la République, sur une autre question, vous a demandé de faire preuve d’humanité – mais en êtes-vous même capables… (Vives protestations sur les bancs des groupes LaREM et MODEM.)

…vis-à-vis de ceux qui nourrissent les Français ? (MStéphane Peu applaudit.)

M. le président. La parole est à Mme Fadila Khattabi.

Mme Fadila Khattabi. Mes chers collègues, les amendements de suppression de cet article sont lunaires. Moi aussi, j’ai participé à une réunion en Côte-d’Or. La salle était bondée d’agriculteurs – au moins 250.  Oh ! », « Incroyable ! » sur les bancs du groupe LR.)

Tous ont salué les avancées du projet de loi.

Mme Marie-Christine Dalloz. C’est qu’ils n’avaient pas encore compris !

Mme Fadila Khattabi. Ils m’ont fait part de leur espoir que nous ne reculions pas. (Applaudissements sur plusieurs bancs des groupes LaREM et MODEM.)

M. Thibault Bazin. Résultat, vous avez reculé samedi, au Salon de l’agriculture !

Mme Fadila Khattabi. Ils saluent le minimum contributif prévu dans ce texte et les avancées en matière de solidarité, à tel point qu’ils souhaitent que le minimum contributif ne vaille pas seulement pour le « flux », mais aussi pour le « stock ». Le Président de la République a répondu.

Vous qui siégez sur les bancs de droite et de gauche, vous avez été au pouvoir ! Pourquoi n’avez-vous pas pris cette mesure ? Pourquoi ?

M. Patrice Verchère. Parlez pour vous ! Votre groupe est composé pour moitié de députés de droite et de gauche qui ont trahi !

Mme Fadila Khattabi. Vous demandez que ce projet de loi règle à la fois les problèmes de l’avenir et ceux que vous n’avez pas su régler !  Bravo ! » et applaudissements sur les bancs des groupes LaREM et MODEM. – Exclamations continues sur les bancs du groupe LR.)

M. Maxime Minot. Vite ! Une camomille pour Mme la députée !

Mme Marie-Christine Dalloz. On croit rêver en entendant ça !

M. le président. Chers collègues, s’il vous plaît.

Rappels au règlement

M. le président. La parole est à M. Rémy Rebeyrotte, pour un rappel au règlement.

M. Jean-Paul Dufrègne. Et voici l’exercice d’obstruction qui recommence !

M. Rémy Rebeyrotte. J’ai participé aux mêmes réunions agricoles que Mme Khattabi, aussi en Bourgogne, où elles sont larges.  

M. le président. Sur quel article se fonde votre intervention, cher collègue ?

M. Rémy Rebeyrotte. Sur l’article 58 du règlement.

M. Maxime Minot. La majorité n’arrête pas d’interrompre les débats !

M. Rémy Rebeyrotte. On nous a accusés pendant deux jours d’être méprisants ; on nous qualifie maintenant d’« inhumains ».

Pour ma part, je ne vous ferai jamais ce procès-là, qui est scandaleux. (Vive approbation sur plusieurs bancs du groupe LaREM.) Nous sommes humains, nous pratiquons l’humanisme, et je veux que cela soit reconnu.

M. Aurélien Pradié. Magnifique ! Nous sommes émus !

M. Rémy Rebeyrotte. Vos propos sont inqualifiables. L’obstruction est une chose, l’injure en est une autre ! (Applaudissements sur les bancs des groupes LaREM et MODEM. – Échanges de bancs à bancs.)

M. Aurélien Pradié. Quelle indignation touchante !

M. Stéphane Peu. Le Président de la République lui-même vous reproche votre manque d’humanité !

M. Jean-Paul Dufrègne. Vous nous avez même appelés des « riens » !

Mme Nadia Hai. Vous pouvez parler ! Vous-mêmes, vous nous traitez de robots et de Playmobils !

M. Aurélien Pradié. Pauvres Caliméros !

M. le président. S’il vous plaît, mes chers collègues !

M. Régis Juanico. Il faudrait une suspension de séance pour ramener le calme… (Sourires.)

M. le président. La parole est à M. Adrien Quatennens, pour un rappel au règlement.

M. Adrien Quatennens. Il se fonde sur l’article 100, relatif à la bonne tenue et la sincérité de nos débats. Vous vous plaignez d’invectives, mais, en l’occurrence, c’est vous qui causez de nouveau des incidents de séance. On connaît bien la technique,…

M. Rémy Rebeyrotte. Ça suffit, les insultes !

M. Adrien Quatennens. …que vous avez attendu 23 heures pour utiliser, les deux jours précédents. (Vives exclamations sur plusieurs bancs des groupes LaREM et MODEM.) Quand les débats sont de bonne tenue, que les échanges sont argumentés, comme peut en témoigner le président, les arguments en faveur du recours à l’article 49, alinéa 3, s’affaiblissent.

M. Roland Lescure. Vous en rêvez, du 49.3 !

M. Adrien Quatennens. Vous avez donc besoin d’organiser le bazar en séance, par ce genre d’interventions.  

Puisque mon rappel au règlement concerne la sincérité des débats, je vous donne mon bilan de dix jours de débats sur ce texte. Vous annoncez que les agriculteurs auront droit à 1 000 euros de retraites minimum – c’est un mensonge ; que les femmes…

M. le président. Monsieur Quatennens, s’il vous plaît, attendez !

M. Adrien Quatennens. … seront les grandes gagnantes de ce projet de loi – mensonge aussi. La valeur du point… (Vives protestations sur les bancs des groupes LaREM et MODEM. – M. le président coupe le micro de l’orateur.)

M. le président. Monsieur Quatennens, vous ne pouvez pas profiter du rappel au règlement pour traiter du fond. Je vous laisse conclure.

M. Adrien Quatennens. Je ne cherche pas à relancer le débat, mais à montrer la stratégie de la majorité, qui cherche à faire croire à une obstruction – si nous poursuivions réellement cet objectif, nous ne serions vraiment pas à la hauteur des pratiques qui ont prévalu lors des grandes heures de l’Assemblée, et vous le savez très bien.

Par ailleurs, sur l’ensemble des points qui ont été mis en avant auprès du grand public, qui nous regarde, malgré les éléments de langage qui ont été ressassés, au point de s’imprimer dans les esprits, les débats montrent les mensonges éhontés… (Vives exclamations sur les bancs des groupes LaREM et MODEM.)

M. Jacques Maire. Il recommence !

M. Adrien Quatennens. …de la majorité, notamment sur les agriculteurs.

Comment parler de sincérité des débats, quand vos éléments de langage ont été vidés de leur sens ? Sur quoi s’appuient nos débats ?

M. le président. Sur des articles et des amendements, monsieur Quatennens.

La parole est à M. Serge Letchimy, pour un rappel au règlement.

M. Serge Letchimy. Il se fonde sur l’article 58, relatif à la bonne tenue des débats, à laquelle je suis attaché. Restons sages, calmons-nous et poursuivons le débat. Je peux comprendre qu’il soit blessant de se voir reprocher d’avoir une attitude inhumaine – faisons preuve de sagesse.

M. Aurélien Pradié. Bien sûr qu’ils n’ont pas été blessés !

M. Serge Letchimy. En même temps, l’incompréhension suscitée par la majorité pourrait être justifiée. Qui a promis de régler le problème des faibles pensions ? C’est Mme Buzyn, membre du Gouvernement. (Vives exclamations sur plusieurs bancs des groupes LaREM et MODEM.)

M. Sylvain Maillard. Elle n’est pas au Gouvernement ! Elle est candidate à la mairie de Paris !

M. Thibault Bazin. Elle a fui le coronavirus, dès qu’elle a vu la pandémie arriver !

Mme Marie-Christine Dalloz. Elle est partie en rase campagne !

M. Serge Letchimy. Elle y était !

M. le président. Cher collègue, je vous remercie pour les paroles d’apaisement du début de votre intervention. Toutefois, vous ne pouvez pas revenir sur le fond du débat lors d’un rappel au règlement. Je vous laisse néanmoins conclure.

M. Serge Letchimy. Quand elle était au Gouvernement, Mme Buzyn avait annoncé clairement qu’en 2020, les petites pensions seraient revalorisées, en reprenant des dispositions de la proposition de loi de M. Chassaigne. La promesse n’a pas été tenue ; c’est notre droit de dire que ce n’est pas respectable.

M. le président. La parole est à M. Patrick Mignola, pour un rappel au règlement.

M. Patrick Mignola. Ce rappel est fondé sur les articles 58 et 70, alinéa 2, du règlement.

Prétendre que des collègues, dans l’hémicycle, et quand bien même ils ne partageraient pas vos convictions, font preuve d’inhumanité me semble bien un fait personnel caractérisé. En l’occurrence, il est même collectif !

N’essayez pas de démontrer que la majorité cherche à faire de l’obstruction, c’est risible. Depuis le début de l’après-midi, les débats se déroulaient convenablement, et il a fallu que vous nous traitiez d’inhumains ! Cela fonde bien un rappel au règlement tout à fait légitime. (Applaudissements sur les bancs des groupes MODEM et LaREM.)

M. Régis Juanico. Calimero !

Article 5 (suite)

M. le président. Je mets aux voix les amendements no 491 et identiques.

(Il est procédé au scrutin.)

M. le président. Voici le résultat du scrutin :

        Nombre de votants                        90

        Nombre de suffrages exprimés                90

        Majorité absolue                        46

                Pour l’adoption                29

                Contre                61

(Les amendements no 491 et identiques ne sont pas adoptés.)

Suspension et reprise de la séance

M. le président. La séance est suspendue.

(La séance, suspendue à dix-sept heures trente, est reprise à dix-sept heures quarante.)

M. le président. La séance est reprise.

La parole est à M. Alexis Corbière, pour soutenir l’amendement no 15675 et les quinze amendements identiques déposés par les membres du groupe La France insoumise.

M. Alexis Corbière. Ces amendements, qui visent à supprimer l’alinéa 1 de l’article 5, sont une manière de faire à nouveau entendre notre désaccord avec votre proposition.

Tout d’abord, nous nous interrogeons sur l’absence d’étude d’impact de plusieurs dispositions prévues dans l’article.

Par ailleurs, les mesures proposées à l’article 5 ont souvent été présentées dans la presse comme permettant aux agriculteurs de bénéficier enfin d’une retraite de 1 000 euros. C’est inexact car, de ce que nous en avons compris, ces mesures ne concernent en réalité que les chefs d’exploitation agricole dont la carrière est complète, qui ont cotisé durant quarante-trois ans à hauteur du salaire minimum de croissance – SMIC. Cela ne représente qu’un segment extrêmement réduit des agriculteurs et, selon de nombreux spécialistes, exclut près de 40 % des chefs d’exploitation. Il semblerait également que les conjoints, le plus souvent des femmes, soient exclus du dispositif, ce qui pose difficulté.

Enfin, je rappelle qu’au moins 22 % des agriculteurs vivent sous le seuil de pauvreté et ne seront pas concernés par la mesure que vous proposez. Nous sommes donc en désaccord avec l’intégralité de l’article 5, raison pour laquelle nous avons déposé ces amendements.

M. le président. Quel est l’avis de la commission ?

M. Guillaume Gouffier-Cha, rapporteur général. Défavorable.

M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?

M. Laurent Pietraszewski, secrétaire d’État. Monsieur le député Corbière, j’avais compris que vous étiez en désaccord avec cet article, comme d’ailleurs avec l’ensemble du projet de loi. J’aimerais apporter quelques précisions à l’avis défavorable que j’émets sur votre amendement, car pour ma part je défends ce texte et j’y crois – même si je ne suis pas certain de parvenir à vous convaincre au cours de nos séances.

Le président Woerth s’inquiétait tout à l’heure d’une éventuelle hausse des cotisations pour les exploitants agricoles percevant les revenus les plus élevés. Il s’agit au maximum de 2,5 points d’augmentation et cette hausse progressive, limitée aux plus hauts revenus, sera lissée sur quinze ans, en concertation avec la profession.

Ce qu’il faut surtout noter concernant la profession agricole, c’est la baisse de cotisations que j’ai déjà évoquée, liée au passage, à partir de 2025, de la base de cotisation minimale de 800 heures à 600 heures payées au SMIC. Nous en reparlerons lorsque nous évoquerons l’article 22. Cette évolution se fait de concert avec une augmentation très significative du montant des pensions. Au total, 40 % des exploitants agricoles verront ainsi leur pension augmenter.

Une question technique m’a été posée par le président Abad au sujet des jeunes agriculteurs. Sur ce sujet, nous avons déposé un amendement no 33592 à l’article 20. Il permettra, je crois, de rassurer M. Abad ainsi que l’ensemble des députés sur ces bancs, y compris M. Corbière, quant au maintien pour les jeunes agriculteurs d’exonérations compensées par l’État. Nous y reviendrons lors de la discussion sur l’article 20.

M. Roland Lescure. Si nous y parvenons !

M. le président. La parole est à M. Patrice Verchère.

M. Patrice Verchère. Je souhaite m’exprimer au sujet de l’article 5 en général. Vous le savez, les agriculteurs demandent de longue date une revalorisation urgente de leurs pensions de retraite ; ils ont renouvelé leur revendication encore récemment à l’approche du Salon de l’agriculture. Le Président de la République a jugé samedi dernier qu’il était impossible de revaloriser les pensions actuelles à 85 % du SMIC. Pourtant, cette mesure avait été largement promue par le Gouvernement lorsqu’il a commencé à présenter votre projet de loi. Vous avez mis en avant ce nouveau dispositif en vous gardant bien de préciser qu’il ne concernerait que les futurs retraités. Un espoir était né chez l’ensemble des retraités agricoles actuels, qui a été déçu, comme nous avons pu le constater cette semaine à l’occasion du Salon. Mais au tout début, cela leur avait réellement été vendu comme cela ! Peut-être est-ce une erreur de votre prédécesseur ; toujours est-il qu’elle a été faite.

De nombreux agriculteurs considèrent aujourd’hui qu’ils ont été menés en bateau par le Gouvernement. Il me semble important de rappeler qu’en février 2017, l’Assemblée nationale avait voté à l’unanimité la proposition de loi de notre collègue Chassaigne prévoyant cette revalorisation. J’ai bien entendu la majorité, qui nous rappelle que c’était deux mois avant les élections législatives…

M. Roland Lescure. Eh oui !

M. Patrice Verchère. C’est vrai ! Mais nombreux sont sur les bancs de la majorité les anciens socialistes, anciens Républicains ou anciens membres d’UDI-Agir qui avaient eux-mêmes voté cette proposition à l’époque – y compris d’anciens ministres, ou députés devenus ministres !

M. Roland Lescure. Pour ma part je n’étais pas là, monsieur Verchère !

M. Patrice Verchère. Cessez donc de prétendre que rien n’a été fait avant car, ce faisant, vous critiquez la plupart de vos collègues qui ont retourné leur veste au moment des élections législatives !

Le Gouvernement avait bloqué cette proposition de loi au Sénat, où son examen en séance publique avait débuté en mars 2018. Pour justifier ce blocage, il nous avait été précisé que la revalorisation des pensions des agriculteurs serait intégrée à la grande réforme des retraites. M. Castaner, qui était alors secrétaire d’État chargé des relations avec le Parlement, l’avait précisé à une occasion où il avait remplacé Mme Buzyn.

M. le président. Il faut conclure, cher collègue…

M. Patrice Verchère. Je ne pourrai citer l’ensemble de son propos mais je vous invite à lire le compte rendu de la séance publique du Sénat du 7 mars 2018. (Applaudissements sur les bancs du groupe LR.)

M. le président. La parole est à M. Yves Daniel.

M. Yves Daniel. Je trouve vos propos choquants, mes chers collègues.

M. Vincent Descoeur. Est-il choquant de défendre les agriculteurs ?

M. Yves Daniel. Lorsque vous parlez des paysans, vous oubliez qu’il y en a dans cet hémicycle – à commencer par le rapporteur M. Turquois. Vous parlez de nous ! Quand je vous entends affirmer que les agriculteurs doivent rester dans le système de retraite de 1945, je me dis qu’il y a un vrai problème. (M. Jean-René Cazeneuve applaudit.)

Pour une fois, le monde paysan dans sa globalité convient de l’avancée historique que constitue ce projet de loi pour sa retraite, qui témoigne d’une reconnaissance à son égard. Mais vous voulez revenir au système de 1945 ! Ce n’est pas tolérable. Les paysans ont droit à une reconnaissance, raison pour laquelle les nouveaux retraités se verront accorder une pension minimale équivalente à 85 % du SMIC. Bien sûr, il faut aussi traiter le stock. Ce sera le rôle de la mission parlementaire annoncée à ce sujet, qui nous permettra d’avancer. (Mme Monique Limon applaudit.)

Il est vrai enfin, comme certains l’ont dit, que la reconnaissance des paysans passe d’abord par leur revenu et l’amélioration de leur qualité de vie. À cet égard, la mission de notre collègue Damaisin consacrée au mal-être paysan permettra elle aussi des avancées. Si vous croyez que nous ne progressons pas vers plus de solidarité et vers une meilleure prise en compte de l’humain, je ne comprends plus rien, et je suis choqué ! (Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe LaREM.)

M. le président. La parole est à M. Régis Juanico.

M. Régis Juanico. Il ne s’agit pas de pointer du doigt une majorité en particulier. Ce n’est en tout cas pas mon propos. La situation objective, aujourd’hui, est qu’un grand nombre de retraités agricoles sont pauvres : 300 000 d’entre eux vivent sous le seuil de pauvreté. Le montant moyen de leurs pensions mensuelles s’établit à environ 750 euros ; c’est l’un des plus faibles en France, et il équivaut à la moitié de la moyenne des pensions françaises. Pour les femmes, le montant s’établit même à 580 euros par mois.

C’est cette situation que, collectivement sur les bancs de l’Assemblée, nous refusons. Les responsabilités passées sont bien sûr partagées. Mais dire que rien n’a été fait n’est pas acceptable non plus. Des efforts, certes insuffisants, ont été faits par les gouvernements Jospin et Ayrault – Yves Daniel le sait bien. Une entente entre parlementaires a aussi existé autour de propositions de loi issues de divers groupes, notamment de la Gauche démocrate et républicaine, faisant l’unanimité.

Ce qui pose problème aujourd’hui, c’est le revirement intervenu après qu’un engagement avait été pris au sommet de l’État. Au-delà de cette question, ce qui est choquant concernant la réforme des retraites, c’est que vous soyez capables d’attribuer un cadeau de 3,7 milliards d’euros au travers de la baisse des cotisations sur les plus hauts revenus, mais que vous ne soyez pas capables d’accorder 400 millions d’euros aux retraités agricoles actuels. C’est cela qui, selon moi, pose problème ! Bien sûr, vous allez éluder la question en confiant des missions à des parlementaires. Mais sommes-nous capables au moins de considérer tous ensemble qu’il est inacceptable qu’il y ait autant de retraités pauvres dans le milieu agricole ? Pour ma part je le crois. Il faut que nous puissions intégrer à la réforme les agriculteurs aux carrières hachées, ainsi que leurs conjoints et tous ceux qui doivent être concernés par cette mesure. Essayons d’avancer et faisons de cet objectif une réalité, et non un revirement.

M. Serge Letchimy. Très juste !

M. le président. La parole est à M. M’jid El Guerrab.

M. M’jid El Guerrab. Je suis très peu intervenu dans ce débat sur les retraites, pour de multiples raisons. J’écoute beaucoup. Mais le sujet dont nous discutons actuellement me touche de façon intime et personnelle. Nous avons souvent entendu dans l’hémicycle des députés partager leurs témoignages personnels et leur histoire. Pour ma part, il m’est difficile d’entendre les retraités agricoles qualifiés de « stock ». Il s’agit de ceux qui sont aujourd’hui à la retraite – celle de la MSA –, comme mon papa, qui perçoit à peine quelques centaines d’euros de pension…

M. Jean-Paul Dufrègne. C’est ce que nous dénonçons !

M. M’jid El Guerrab. …alors qu’il a travaillé toute sa vie en tant qu’ouvrier agricole, après être arrivé de son pays, le Maroc. Mon papa a dormi pendant de nombreuses années sur de la paille, dans les années soixante-dix, et a travaillé dans les bois, dans le Cantal. C’est pour ces retraités que je souhaite intervenir, pour dire que ce stock, ces êtres humains, ces agriculteurs et personnels agricoles méritent mieux qu’une mission ou un geste. Ils méritent de la reconnaissance pour le travail qu’ils ont accompli.

Pour dire à quel point nous attendons de ce geste et de cette mission, je voudrais citer Geronimo : « Quand le dernier arbre aura été abattu, quand la dernière rivière aura été empoisonnée, quand le dernier poisson aura été pêché, alors on saura que l’argent ne se mange pas. » (Applaudissements sur les bancs du groupe LT et sur quelques bancs des groupes GDR et SOC.)

M. le président. La parole est à M. Alexis Corbière.

M. Alexis Corbière. Je regrette, même si les échanges sont fructueux, que M. le secrétaire d’État et M. le rapporteur n’aient pas répondu à ce que j’ai dit en présentant cet amendement. Vous avez souvent indiqué, lors la présentation de ce projet de loi, que certaines professions seraient moins gagnantes que d’autres avec le nouveau système de retraite, mais que l’une d’entre elles au moins serait gagnante : les paysans. Et, membres du Gouvernement comme représentants de la majorité, vous avez répété dans le débat public, dans les médias, qu’ils bénéficieraient d’une retraite de 1 000 euros.

J’ai souligné tout à l’heure que cela ne concernait que les chefs d’exploitation ayant cotisé pendant quarante-trois ans à hauteur du SMIC, ce qui ne représente qu’une petite partie de la profession. Les 40 % de personnes qui ne sont pas concernées par votre dispositif, ça, c’est un nombre significatif ! Or vous ne répondez pas à cet argument. Cela rend mensongères, pardon de vous le dire ainsi, les annonces qui avaient été faites aux Français auparavant, et suscite une colère dans la profession. De nombreux chefs d’exploitation se sentent en effet floués. Vous ne répondez pas sur ce point et les mesures que vous proposez ne s’attaquent pas à la réalité terrible de la profession : des pensions moyennes de 760 euros par mois et des femmes, les compagnes des chefs d’exploitation, qui ne bénéficieront pas non plus de cette pension minimale.

Il est trop facile de nous dire que la situation actuelle est terrible et que nous serions cruels de ne pas voter l’article 5 : il ne règle pas la situation ! Il est en total décalage avec les promesses que vous avez faites à beaucoup de gens, qui y ont manifestement cru mais s’aperçoivent finalement que la réalité est bien différente.

M. le président. La parole est à M. Patrick Mignola.

M. Patrick Mignola. Je vais répéter ce que j’ai déjà dit, mais un peu différemment, car nous avons déjà abordé ce sujet à de nombreuses reprises.

J’aimerais dire, au nom du groupe que j’ai l’honneur de présider, que les agriculteurs ne sont ni un flux ni un stock. Ces mots sont technocratiques. (Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe MODEM et quelques bancs du groupe LaREM.)

M. Patrice Verchère. Ce sont les mots du Président de la République !

M. Patrick Mignola. Bien sûr, cette loi concerne les retraités futurs, les agriculteurs qui seront les pensionnés de demain, et elle fera mieux pour eux que pour les autres car elle le fera dès le 1er janvier 2022. Mais tous les intervenants qui se sont exprimés ont ceci en tête : nous devrons bien sûr traiter la question des retraités actuels ! Je fais toutefois observer, car cela aura des incidences financières majeures, que si nous le faisons pour les agriculteurs, il faudra le faire également pour les commerçants et les indépendants, dans un souci de justice. (Mme Monique Limon et M. Roland Lescure applaudissent.)

M. Jean-Paul Dufrègne. Commençons par les agriculteurs !

M. Patrick Mignola. Avec d’autres membres de la majorité – mais je suis certain, néanmoins, que nous pouvons nous entendre sur le sujet avec les groupes d’opposition – nous souhaitons que les parlementaires puissent formuler des propositions pour le projet de loi de financement de la sécurité sociale 2021. Je comprends qu’il puisse y avoir des échanges entre majorité et opposition avec, le cas échéant, des procès d’intention à la clé. C’est tout à fait normal. Mais j’aimerais que nous puissions prendre l’engagement de définir le périmètre des populations concernées – des femmes et des hommes concernés – et le poids budgétaire que cela représenterait. On entend en effet les chiffres les plus fous : c’est à un zéro près ! Nous pourrions aussi définir le calendrier de réparation de ces situations indignes.

Nous pouvons nous atteler à ce travail tous ensemble et prendre l’engagement d’entrer, dès 2021, dans cette société qui, retrouvant du progrès peut le partager et, retrouvant des moyens financiers, peut les redistribuer. (Applaudissements sur les bancs du groupe MODEM et quelques bancs du groupe LAREM.)

M. Roland Lescure. Très bien !

M. Sylvain Maillard. Excellent !

M. le président. Un membre de chaque groupe s’étant exprimé, nous en resterons là. Il ne s’agit jamais avec cet amendement que de la suppression d’un alinéa.

Mme Marie-Christine Dalloz. Très bien !

(Les amendements no 15675 et identiques ne sont pas adoptés.)

M. le président. La parole est à M. Serge Letchimy, pour soutenir l’amendement no 24941.

M. Serge Letchimy. Monsieur le président Mignola, je souscris à votre déclaration. Comme nous sommes tous d’accord et que les pensionnés actuels de l’agriculture ne sont pas concernés par le présent projet de loi, vous demandez officiellement, en tant que membre de la majorité – cette précision est très importante – au Président de la République, au Premier ministre et au secrétaire d’État chargé des retraites, ici présent, de prendre l’engagement de réparer cette injustice dans le cadre de la prochaine loi de finances. Je vous prends au mot. Que répond M. le secrétaire d’État ?

Je reviens à la proposition de loi présentée en 2017 par André Chassaigne et Huguette Bello, adoptée par l’Assemblée nationale à l’unanimité, sans dissensions ni antagonismes. Au Sénat, la commission des affaires sociales lui a donné un avis favorable mais c’est le Gouvernement qui, en 2018, en séance publique, a demandé le rejet de cette mesure, par un amendement que Mme Buzyn avait justifié en ces termes : « l’amélioration des petites pensions agricoles ne peut être envisagée indépendamment des autres évolutions qui affectent notre système de retraite ». Ainsi, le Gouvernement avait reporté cette mesure à 2020. Nous y sommes ! Ma question est centrale : la majorité va-t-elle respecter l’engagement du Gouvernement exprimé par Mme Buzyn ?

M. Bruno Millienne. Les propos de Mme Buzyn ne contredisent pas notre position !

M. Serge Letchimy. La majorité vous respecte-t-elle, monsieur Mignola, au point de prendre l’engagement de régler ce problème des petites retraites et de ne pas tromper la population ? (Applaudissements sur les bancs du groupe GDR.)

M. le président. Quel est l’avis de la commission ?

M. Guillaume Gouffier-Cha, rapporteur général. Comme sur les précédents amendements tendant à la suppression d’alinéas, avis défavorable.

M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?

M. Laurent Pietraszewski, secrétaire d’État. Même avis.

M. le président. La parole est à M. Rémi Delatte.

M. Rémi Delatte. Vous avez fait naître des espoirs dans le monde paysan. Vous avez constamment répété une promesse, que ce soit dans cet hémicycle ou même publiquement devant les organisations professionnelles. Aujourd’hui, on a du mal à comprendre pourquoi l’ensemble des agriculteurs ne peuvent pas bénéficier de cette réévaluation de leurs pensions.

C’est le Salon de l’agriculture. Tous les responsables politiques, y compris le Président de la République, le Premier ministre et les membres du Gouvernement, ont visité le Salon. Cela aurait pu représenter une belle opportunité pour dire aux agriculteurs que vous les aviez entendus, compris, et que vous proposiez une revalorisation des retraites des paysans.

La revalorisation prévue ne concernera guère plus d’un paysan sur deux. Ce n’est pas beaucoup, au regard des annonces qui ont été faites ! L’examen de ce projet de loi sur les retraites doit être l’occasion pour nous de reconsidérer cette situation.

J’ajoute que les agriculteurs actuellement à la retraite ne pourront pas bénéficier de cette réévaluation. Encore une fois, c’est un affront que vous faites à des professionnels qui ont beaucoup travaillé, parfois dans des conditions très difficiles, et qui sont soumis à des pressions de plus en plus fortes. Je le répète, les exclure de cette mesure serait profondément injuste.

Enfin, j’aimerais que nous retirions de notre vocabulaire le terme de « stock ». (M. Erwan Balanant et Mme Maud Petit applaudissent.) Imaginez l’image que cette expression peut renvoyer du monde paysan, qui semble aujourd’hui bien dévalorisé ! (M. Alain Ramadier applaudit.)

M. le président. La parole est à M. Jean-Paul Dufrègne.

M. Jean-Paul Dufrègne. M. Delatte vient d’exprimer en partie ce que je voulais dire sur l’utilisation du terme de « stock ». Quand je faisais de la comptabilité, il fallait valoriser les stocks ; or nous parlons ici d’hommes et de femmes, comme cela a été rappelé tout à l’heure. Nous avons évoqué tout à l’heure la nécessité de faire preuve d’humanité. Si nous voulons rendre hommage aux retraités agricoles, nous devons parler d’hommes et de femmes qui ont travaillé dur toute leur vie. (Applaudissements.) Je ne reviendrai pas plus longuement sur ces hommes et ces femmes dont nous avons déjà longuement parlé et pour lesquels nous devons rapidement trouver une solution.

Je souhaite revenir sur la mesure que vous proposez. Bien sûr que non, nous ne rejetons pas une avancée, c’est une évidence. Cependant, nous nous interrogeons sur le fait qu’elle présente encore des trous dans la raquette. On estime que moins d’un agriculteur sur deux pourra bénéficier du dispositif que vous proposez, à savoir percevoir une pension représentant 85 % du SMIC. En effet, pour bénéficier de cette mesure, il faudra avoir cotisé sur une base de 600 heures de SMIC par an, validé quarante-trois annuités et atteint l’âge d’équilibre de 65 ans ; or certaines carrières hachées et certaines périodes ne sont pas reconnues. Je pense par exemple aux agriculteurs qui ont été aides familiaux et ont participé à ce titre aux travaux de l’exploitation avant la transmission de cette dernière par leurs parents sans être déclarés : ils ont beaucoup travaillé et ne voient pas aujourd’hui ce travail reconnu.

Si vous installez une mission, je propose qu’elle s’attelle à évaluer les conséquences du fait que beaucoup d’agriculteurs ne sont pas concernés par votre proposition – une situation que l’étude d’impact n’a pas véritablement démontrée. (Applaudissements sur les bancs du groupe GDR.  Mme Caroline Fiat applaudit également.)

M. le président. La parole est à M. Bruno Millienne.

M. Bruno Millienne. Je suis vraiment ravi des échanges que nous avons. Enfin, le débat est constructif !

M. Régis Juanico. Il l’est aussi sur d’autres sujets !

M. Bruno Millienne. Enfin, nous parvenons à trouver des solutions communes ! (Applaudissements sur quelques bancs du groupe MODEM.)

Mes chers collègues, nous ne pouvons évidemment pas régler le problème des agriculteurs qui sont déjà à la retraite dans le présent projet de loi. Vous ne croyez peut-être pas aux missions. Je ne veux pas entrer dans la polémique, mais on nous a reproché, il y a deux ou trois jours, d’avoir quelque quatre-vingt-neuf parlementaires en mission, et j’ai entendu dire que cela ne servait à rien… Mais qu’il ne reste que celle-ci !

Le monde agricole souffre, et nous le savons tous. Il n’y a pas un seul député dans cet hémicycle, y compris de l’extrême-gauche et même de l’extrême-droite – et pourtant ce ne sont pas forcément mes amis – qui ne veuille résoudre la crise agricole. (Applaudissements sur quelques bancs des groupes MODEM et LaREM.) Tout le monde veut en sortir ! Il n’est pas normal que les gens qui nous nourrissent ne puissent pas profiter d’abord d’un salaire décent pour vivre et, ensuite, d’une retraite décente pour continuer à vivre. (M. Frédéric Petit applaudit.)

Chers amis, cette mission est lancée, et elle se fera. J’accepte, au nom de mon groupe, la proposition formulée par les députés communistes : dans le cadre de cette mission, nous traiterons évidemment tous les angles morts qui ont été soulevés, si angle mort il y a, et nous y répondrons pour le bien des agriculteurs. En tout cas, merci pour ce moment  d’humanité et d’unanimité ! (Applaudissements sur plusieurs bancs des groupes MODEM et LaREM.)

M. le président. La parole est à M. Alain Perea.

M. Alain Perea. Depuis de très nombreuses heures, j’écoute les interventions de chacun. De temps en temps, je m’énerve mais des collègues arrivent à me calmer… Je ne suis pas intervenu dans le débat pour ne pas en rajouter. Mais là, je ne peux pas me retenir !

Je suis député de la circonscription de Narbonne. Narbonne, c’est le Midi rouge. Narbonne, ce sont les révoltes viticoles depuis 1907. Narbonne, c’est l’endroit où, depuis toujours, les agriculteurs souffrent et se révoltent. Je n’ai pas mesuré si j’avais rencontré plus ou moins de retraités que vous, car nous avons tous fait le même boulot et essayé d’être sur le terrain. Je vous rappellerai juste que, dans le Midi rouge, les agriculteurs et plus particulièrement les viticulteurs n’attendent pas que les élus viennent les voir : ils viennent les chercher s’ils ont besoin de leur dire un certain nombre de choses ! (Rires.)

M. Jean-Paul Dufrègne. Chez nous aussi !

M. Alain Perea. Rassurez-vous, je les ai vus, et si je n’avais pas fait la démarche, ils seraient venus me chercher !

Je voudrais juste dire deux choses que j’ai sur le cœur.

Tout d’abord, nous allons travailler sur la situation des agriculteurs actuellement à la retraite : je mets beaucoup d’espoir dans la future mission et, sur ce point, je rejoins complètement les propos de Bruno Millienne. Si nous avions traité ce sujet dans le présent projet de loi, nous aurions également dû traiter la situation de toutes les autres personnes actuellement à la retraite, et nous aurions alors dû ouvrir un certain nombre de dossiers qui auraient pu être très compliqués. Mais je ne veux pas polémiquer.

Cet article 5, je le défends de tout cœur, parce que je suis issu d’une famille d’agriculteurs qui ont terminé leur vie avec des retraites de misère, et parce que j’ai des voisins qui vivent actuellement avec des retraites de misère. Depuis 1907, les uns et les autres, sur ces bancs, n’avez pas forcément fait ce qu’il fallait faire. Alors, je veux bien que vous nous reprochiez de ne pas faire assez, mais sachez que ces gens-là n’oublieront jamais que vous, vous n’avez rien fait ! (Applaudissements sur plusieurs bancs des groupes LaREM et MODEM.)

M. Jean-Paul Dufrègne. On est sorti de l’unanimité !

M. Éric Woerth. Vous êtes complètement déconnecté de la réalité ! Personne ne vous a attendu pour agir en faveur du monde rural !

M. le président. La parole est à Mme Jeanine Dubié.

Mme Jeanine Dubié. Beaucoup de choses ont été dites. Il est important de tenir compte de la situation particulière, en matière de retraites, des agriculteurs, mais aussi des artisans et commerçants. Après la guerre puis dans les années soixante, lorsque la proposition leur a été à nouveau adressée, ils n’ont pas souhaité intégrer le régime général. Cependant, la situation a changé – le nombre de cotisants, d’actifs, a baissé dans ces secteurs – et il est aujourd’hui véritablement nécessaire de trouver une solution pour les prochaines années.

Il n’en reste pas moins qu’aujourd’hui, certains exploitants agricoles retraités vivent avec de toutes petites pensions. J’entends qu’une mission va être lancée, mais il existe un moyen très simple d’améliorer leur situation. Aujourd’hui, pour porter sa retraite à un peu plus de 900 euros par mois, il faut demander l’allocation de solidarité aux personnes âgées – ASPA –, autrement dit le minimum vieillesse. Or les agriculteurs ne sollicitent pas cette allocation, car elle fait l’objet d’un recours sur succession si l’actif successoral net dépasse 50 000 euros. Il serait très simple de relever ce plafond, par exemple à 150 000 euros, et de ne le conserver que pour les allocataires détenant un très gros patrimoine. Ainsi, nous trouverions très facilement une solution pour de nombreux agriculteurs.

M. le président. Mes chers collègues, vous êtes nombreux à m’avoir demandé la parole. Cependant, après le présent amendement visant à supprimer les alinéas 2 à 5, j’appellerai des amendements de suppression de l’alinéa 2, puis de l’alinéa 3, de l’alinéa 4 et de l’alinéa 5. Cette configuration vous permettra d’intervenir très largement. Je ferai en sorte que chaque groupe puisse s’exprimer.

Je vais donc mettre aux voix l’amendement no 24941.

(L’amendement no 24941 n’est pas adopté.)

M. le président. Je suis saisi de dix-huit amendements identiques. Cette série comprend l’amendement no 591 ainsi que l’amendement no 15692 et seize autres amendements identiques déposés par les membres du groupe La France insoumise.

La parole est à M. Vincent Descoeur, pour soutenir l’amendement no 591.

M. Vincent Descoeur. Je souhaite profiter de l’examen de cet amendement pour vous demander, monsieur le secrétaire d’État, de lever un doute s’agissant des conditions à remplir pour bénéficier de la garantie de 1 000 euros au terme d’une carrière complète.

Pour prétendre à cette pension mensuelle de 1 000 euros, un agriculteur devrait avoir exercé quarante-trois ans la profession de chef d’exploitation, ce qui risque d’exclure ceux – nombreux – qui ont été aides familiaux ou collaborateurs au cours d’une partie non négligeable de leur carrière. Monsieur le secrétaire d’État, je souhaiterais que vous nous disiez très clairement si les agriculteurs qui auront eu une carrière complète mais n’auront été chef d’exploitation que pendant une partie de celle-ci pourront prétendre ou non à ce montant garanti de 1 000 euros. Il est important que vous leviez ce doute et que vous répondiez aux interrogations légitimes des chefs d’exploitation qui ont été aides familiaux ou salariés agricoles avant de pouvoir s’installer et de devenir chef d’exploitation – des situations qui reflètent les parcours d’installation.

Puisque l’on parle de minimum garanti, l’on ne peut pas ne pas évoquer la situation des retraités actuels. Sur tous les bancs, il a été souligné qu’ils perçoivent des pensions très modestes. Ils ne peuvent être ignorés. Le constat est partagé de tous. Il ne s’agit pas de savoir à qui imputer la responsabilité de cette situation, mais d’apporter une réponse à ces hommes et à ces femmes et de mettre ainsi un terme à une injustice. (Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe LR.)

M. le président. La parole est à M. Adrien Quatennens, pour soutenir les amendements no 15692 et identiques.

M. Adrien Quatennens. Collègues, s’agissant des agriculteurs, nous ne vous reprochons pas de ne pas en faire assez : nous vous reprochons d’avoir trahi une promesse. Ce n’est pas exactement la même chose. Vous aviez clairement annoncé, à cor et à cri, à qui voulait l’entendre, que les agriculteurs pourraient toucher une retraite minimum de 1 000 euros.

M. Roland Lescure. C’est faux !

M. Adrien Quatennens. Or ceux qui sont déjà retraités et qui comptaient sur vos promesses n’y auront pas accès : compte tenu de la grande diversité des situations et du fait, souligné par Alexis Corbière, qu’avoir travaillé pendant quarante-trois ans au SMIC n’est pas à la portée de tout le monde, 43 % des agriculteurs au bas mot ne pourront pas toucher ces 1 000 euros. C’est donc une promesse trahie. Dans un contexte, nos collègues l’ont rappelé, particulièrement douloureux pour les agriculteurs et alors que la profession a le plus grand mal à remplacer ceux qui partent à la retraite, le défi est de taille et la trahison de cette promesse ne fera qu’aggraver leurs difficultés.

De quoi souffrent les agriculteurs de ce pays ? D’un modèle absurde avec lequel il faut rompre et dont ils sont les premiers à pâtir, il faut le dire ! J’entends parler d’« agribashing » mais le « bashing » doit être mené contre un modèle agricole dont nos agriculteurs ne sont pas responsables. Ils sont totalement dépendants de l’injonction absurde du marché à produire toujours moins cher, favorisant les gigantesques exploitations agricoles alors que nous avons besoin d’une production relocalisée, d’une agriculture paysanne qui soit vertueuse et permette de prendre soin de la nature et des hommes, et en définitive de nos assiettes.

M. Bruno Millienne. Ça n’a rien à voir avec le texte !

M. Adrien Quatennens. Voilà ce qu’il conviendrait de faire : passer d’une agriculture intensive en chimie à une agriculture intensive en main-d’oeuvre et permettre à toutes et tous d’acheter au bon prix, parce que l’injonction à produire moins cher dégrade toujours davantage les conditions de production, y compris sur le plan écologique. Or l’Union européenne, tant au travers du fonctionnement actuel de la politique agricole commune que par les traités de libre-échange qu’elle signe, aggrave encore la situation de nos agriculteurs.

M. le président. Quel est l’avis de la commission ?

M. Guillaume Gouffier-Cha, rapporteur général. L’avis sera défavorable à cette nouvelle proposition de suppression d’un alinéa. Par ailleurs, monsieur Descoeur, les articles 40 et 41 répondent à l’ensemble de vos questions. (M. Jean-René Cazeneuve applaudit.)

M. Vincent Descoeur. C’est inexact ! Ou alors cela signifie que les aides familiaux sont exclus !

M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?

M. Laurent Pietraszewski, secrétaire d’État. Défavorable. Je me suis déjà exprimé sur la notion de carrière complète, en précisant en outre que pour les agriculteurs le niveau de cotisation passerait de 800 à 600 heures par an au SMIC. La carrière complète se calculera sur l’ensemble de l’année : s’ils ont cotisé l’équivalent de 600 heures SMIC, leur année sera validée. Si tel n’est pas le cas, on regardera sur combien de mois ils auront atteint le nombre de 50 heures. Cela facilite la réalisation du nombre d’heures, sachant en outre que l’abaissement du niveau de cotisation minimum se traduira par un gain pour la plupart des agriculteurs.

J’espère avoir été clair sur ce sujet mais nous pourrons y revenir en tant que de besoin.

M. le président. La parole est à M. Frédéric Petit.

M. Frédéric Petit. Je fais un rêve… Il est assez clair que ce que nous proposons dans cet article est, au pire, quand même mieux que rien. Pourtant de nombreux amendements proposent de le supprimer, partiellement ou entièrement. Est-ce vraiment l’intérêt de qui que ce soit ici de le faire ? Ne pourrions-nous pas, comme l’a proposé Bruno Millienne, voter cet article, même si nous sommes tous conscients que cela ne suffit pas, et laisser tomber tous ces amendements ? Je pense que ce serait la bonne attitude.

Vous parlez d’agriculture verte, mais aujourd’hui les ouvriers agricoles rencontrent exactement les mêmes problèmes qu’ils fassent de l’agriculture biologique ou conventionnelle. Puisque donc même les plus agressifs à notre égard reconnaissent que ce que cet article propose n’est pas tout à fait idiot, ne pourrait-on pas se mettre d’accord et s’épargner la dizaine de discussions qui nous restent à mener ? (Applaudissements sur plusieurs bancs des groupes MODEM et LaREM.)

M. Bruno Millienne. Sortons de ces polémiques ridicules !

M. le président. La parole est à M. Aurélien Pradié.

M. Aurélien Pradié. Respecter nos agriculteurs et nos paysans, c’est être précis avec eux et ne pas leur mentir. Or, beaucoup d’imprécisions entourent le sujet. Pardon, monsieur le rapporteur général, mais vous ne pouvez pas exciper des articles 40 et 41 pour refuser de nous donner les précisions que notre collègue Descoeur vous demande, d’autant que vous savez parfaitement que vous aurez dégainé le 49.3 avant que nous n’y arrivions.

Mme Brigitte Bourguignon, présidente de la commission spéciale. Allons, monsieur Pradié, vous venez d’arriver !

M. Aurélien Pradié. Arrêtez de nous renvoyer à des calendes inexistantes et répondez à nos questions, en l’espèce aux questions très précises de Vincent Descoeur, qui sont capitales. En effet, selon les réponses que vous y apporterez, vous exclurez entre la moitié et les trois quarts des agriculteurs qui sont aujourd’hui en activité.

Nos questions portent sur trois points très précis qui appellent des réponses aussi précises, au-delà des slogans censés donner bonne conscience aux uns et aux autres.

Notre collègue Descoeur a demandé s’il fallait être chef d’exploitation tout au long de la carrière pour que celle-ci soit considérée comme une carrière complète. Aujourd’hui près de 55 % de nos agriculteurs ne sont pas chefs d’exploitation tout au long de leur carrière mais commencent en tant que salariés agricoles ou aides familiaux, selon le parcours de transmission de l’exploitation. Cela veut dire que si l’on vote le texte en l’état, qui ne prévoit que le cas des chefs d’exploitation, plus de la moitié des agriculteurs seront exclus du bénéfice de votre belle promesse.

M. Vincent Descoeur. Malheureusement !

M. Aurélien Pradié. Le deuxième point est le niveau de cotisation. Vous nous parlez, monsieur le secrétaire d’État, de 600  heures payées au SMIC. J’ai calculé qu’en 2018, 22 % de nos agriculteurs n’ont pas pu tirer de leur travail le moindre euro de revenu. Pas un seul, vous m’entendez ? Même à la condition de 600 heures SMIC, ils ne pourront pas valider une année.

M. Laurent Pietraszewski, secrétaire d’État. Il s’agit de la cotisation, pas du revenu !

M. Aurélien Pradié. Vous ne répondez pas aux questions que l’on vous pose ! (Exclamations sur les bancs des groupes LaREM et MODEM.)

M. Laurent Pietraszewski, secrétaire d’État. J’ai déjà répondu sur ce point !

M. Roland Lescure. Vous n’étiez pas là monsieur Pradié !

M. Aurélien Pradié. Ils ne pourront pas valider le dispositif sur l’ensemble des annuités.

Un dernier point me paraît capital : la situation des retraités agricoles actuels. Je ne peux pas pour ma part me réjouir de voir le traitement de cette question renvoyé à une mission. On nous a déjà fait le coup. On a même fait pire : le Gouvernement a écarté par un subterfuge une loi de la République votée ici à l’unanimité, affirmant que cette promesse serait tenue lors de la grande réforme des retraites. Et voilà qu’aujourd’hui on nous renvoie à une nouvelle mission… Pardon, mais nous ne nous ferons pas avoir deux fois, une fois suffit. Et sachez que le fameux « stock » dont vous parlez n’a pas non plus envie de se faire avoir une deuxième fois. (Applaudissements sur les bancs du groupe LR.)

M. le président. La parole est à Mme Corinne Vignon.

Mme Corinne Vignon. Je voudrais répondre à nos deux collègues du côté droit et du côté gauche de l’hémicycle. Monsieur Quatennens, je ne peux pas vous laisser dire que le Président a menti. Je vous invite à écouter sa déclaration du 25 avril 2019 –  vous la trouverez en ligne. Il y dit souhaiter que toutes celles et ceux qui partent à la retraite aient droit à au moins 1 000 euros : il n’a jamais, au grand jamais, parlé des retraités actuels. C’est un premier point.

Monsieur Pradié, en tant que rapporteure du titre III, j’ai hâte d’aborder l’article 41 : je suis certaine que nous le ferons. (Exclamations sur les bancs du groupe LR.) Il est vrai que les agriculteurs ont en général une carrière mixte, étant salariés avant d’être exploitants, mais avec notre projet ils pourront bénéficier du minimum contributif même s’ils ont des carrières diverses.

Il faut rappeler que le régime des agriculteurs est financé à 85 % par la solidarité nationale, c’est-à-dire par l’impôt, et que sa démographie est très défavorable, avec 1,3 million de retraités agricoles, soit dix retraités pour trois actifs. N’oublions donc pas notre système cible : les générations nés à partir de 1975 bénéficieront d’une pension au moins égale à 85 % du SMIC, et cela pour 600 heures travaillées par an, contre 800 aujourd’hui.

Nous aussi, nous avons rencontré les agriculteurs. Lorsqu’ils ne sont pas d’accord, ils le font savoir dans la rue, ou en bloquant le périphérique avec leurs tracteurs. Or aujourd’hui je ne vois rien de tel. Je pense donc qu’ils sont d’accord avec nos propositions. (Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe LaREM.)

M. le président. La parole est à M. Adrien Quatennens.

M. Adrien Quatennens. Chers collègues, la parole du Président de la République a de l’importance et quand le chef de l’État parle, je l’écoute toujours avec beaucoup d’attention. Or il avait clairement dit que les agriculteurs auraient accès à une retraite minimum de 1 000 euros.

Plusieurs députés du groupe LaRem. C’est faux !

M. Adrien Quatennens. On voit aujourd’hui que ce n’est pas le cas dans toutes les situations que nous avons citées, compte tenu des conditions de carrière et de rémunérations qu’il faut réunir pour y avoir accès. D’ailleurs la plupart des syndicats agricoles reconnaissent effectivement que la promesse n’est pas tenue. Allez faire un tour au Salon de l’agriculture – mais peut-être l’avez-vous fait : vous y serez interpellés sur le fait que la promesse faite dans des termes très clairs par le chef de l’État n’est pas tenue.

J’irai même plus loin car j’écoutais déjà, et même lisais avec attention le chef de l’État lorsqu’il n’était qu’un simple candidat. Vous me fournissez l’occasion de rappeler que son programme parlait d’un système universel de retraite : il n’en est rien. Il promettait qu’un euro cotisé ouvrirait aux mêmes droits : il n’en est rien. Il promettait de ne pas toucher à l’âge de départ à la retraite : au travers de l’âge d’équilibre vous touchez si ce n’est à l’âge légal du moins à l’âge effectif, et donc au niveau des pensions.

M. Jacques Marilossian. Faux ! Faux !

M. Adrien Quatennens. Plus les débats avancent, plus on voit de promesses non tenues. L’architecture de votre projet de loi est en train de s’écrouler sous l’effet de la vérification, point par point, des arguments que nous avançons.

M. Jacques Marilossian. Tout cela est faux !

M. Adrien Quatennens. Cher collègue, je regrette que vous ne saisissiez guère d’occasions de prendre la parole pour démontrer vos positions avec des arguments, comme nous le faisons, plutôt que de vociférer.

(Les amendements no 591 et identiques ne sont pas adoptés.)

M. le président. Je suis saisi de plusieurs amendements identiques, le no 592 et dix-sept amendements du groupe La France insoumise.

La parole est à M. Vincent Descoeur, pour soutenir l’amendement no 592.

M. Vincent Descoeur. Il est défendu.

M. le président. La parole est à M. Alexis Corbière, pour soutenir les amendements no  15709 et identiques.

M. Alexis Corbière. Selon notre collègue En Marche Mme Vignon, le Président de la République disait en avril 2019 à propos des agriculteurs que ceux qui partaient à la retraite auraient 1 000 euros. Avouons que le dispositif proposé ici ne correspond pas à cette déclaration : il n’est pas exact que les agriculteurs qui feront valoir leurs droits à la retraite auront 1 000 euros de pension, à moins qu’ils aient cotisé pendant quarante-trois ans et sur la base du SMIC, entre autres conditions qui, on le sait, ne seront, en raison des difficultés propres à ce métier, pas réunies pour au moins 40 % d’entre eux.

Si nous insistons sur ce point, c’est que c’était votre argument massue pour justifier cette réforme : vous ne cessiez de rabâcher que les agriculteurs en seraient les grands gagnants. Nous vous disons en toute honnêteté et sincérité que ce n’est pas vrai, qu’il y a beaucoup mieux à faire.

Par ailleurs, vous avez bien raison, cher Alain Perea, d’évoquer les combats menés par les viticulteurs au siècle dernier et c’est avec un grand plaisir que je vous vois vous inscrire dans la continuité de ces luttes, qui ont été particulièrement âpres. C’est pour moi l’occasion de rappeler qu’il fut un temps où la République s’écrivait par le peuple, quand la colère le poussait à descendre dans la rue, voire à détruire certains biens.

Parfois, il était demandé aux troupes de le réprimer. J’ai en mémoire ce magnifique événement qui avait vu le 17e régiment de Béziers rester crosses en l’air en signe de son refus de frapper les agriculteurs.

M. Roland Lescure. Vous n’y étiez pas !

M. Alexis Corbière. Souvenons-nous, à un moment où il arrive qu’on demande aux forces de l’ordre de réprimer les mobilisations du peuple en colère, que certains ont préféré mettre crosses en l’air plutôt que de frapper leurs frères.

M. le président. Quel est l’avis de la commission ?

M. Guillaume Gouffier-Cha, rapporteur général. Défavorable.

M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?

M. Laurent Pietraszewski, secrétaire d’État. Même avis.

M. le président. La parole est à M. Jean-Paul Dufrègne.

M. Jean-Paul Dufrègne. J’avancerai un autre argument incontournable pour quiconque entend assurer une retraite décente aux agriculteurs – sachant qu’une pension de 1 000 euros n’est pas la panacée : le système de retraite peut corriger les inégalités géographiques entre les territoires riches et les territoires plus modestes, notamment ruraux, mais il peut aussi les amplifier. Il n’a rien d’anodin pour l’économie locale, car les pensions que perçoivent les retraités y sont réinjectées : lorsqu’elles sont faibles, elles profitent moins à l’économie du territoire.

M. Alain Perea. C’est vrai !

M. Jean-Paul Dufrègne. Combien les retraites au rabais ont-elles fait perdre aux territoires ruraux ? Je propose que M. Daniel Labaronne intègre cette dimension dans l’« agenda rural ». Elle est fondamentale, car les pensions représentent une plus grande part des ressources totales dans les zones rurales que dans les métropoles. En outre, la proportion de retraités percevant des pensions faibles est nettement plus importante dans les territoires ruraux que dans les autres.

L’augmentation des pensions de retraite des agriculteurs peut donc avoir un effet d’accélérateur économique dans les territoires ruraux. Au-delà des difficultés qu’éprouvent déjà les retraités, condamner les agriculteurs à des pensions faibles accentue la fracture territoriale et le sentiment d’abandon qu’ils éprouvent, que nous ne cessons de dénoncer. Les retraites constituent une forme de redistribution entre les zones où se créent les richesses et celles qui rencontrent des difficultés. La conférence de financement doit aborder ces questions : où se créent les richesses, et comment sont-elles distribuées ? Au-delà des retraites, il y va de l’aménagement du territoire. (Applaudissements sur quelques bancs du groupe GDR.)

M. le président. La parole est à M. Jean-René Cazeneuve.

M. Jean-René Cazeneuve. Je rappellerai aux nouveaux chevaliers blancs de l’agriculture, nos collègues du groupe La France insoumise, que leur projet ne consacre pas un seul mot à l’agriculture et aux agriculteurs. Pas un mot ! (Applaudissements sur quelques bancs du groupe LaREM.)

Chaque année, 20 000 agriculteurs partent à la retraite avec une pension inférieure à 1 000 euros. Nous en sommes tous choqués. Au cours des auditions de la commission spéciale, les organisations syndicales agricoles majoritaires ont expliqué qu’elles avaient demandé une réforme systémique – c’est ce que nous leur proposons – et qu’elles avaient été entendues lors de la concertation. Notre proposition correspond exactement à leurs demandes. Écoutez-les ! (Applaudissements sur les bancs du groupe LaREM.)

Notre projet est d’autant plus juste qu’il réduit les cotisations des 45 % d’agriculteurs les plus modestes. Sous prétexte que nous ne résolvons pas tous les problèmes – cela, je le reconnais –, vous vous y opposez en bloc. Vous allez voter contre une avancée sociale majeure, contre une retraite minimum pour les agriculteurs et contre une baisse des cotisations des agriculteurs les plus modestes ! C’est indécent. Permettez-moi de vous le dire : c’est faire de la vieille politique que de s’opposer à notre proposition. (Mêmes mouvements.) Depuis le début, il est parfaitement clair que notre réforme s’adresse aux futurs retraités. Il n’a jamais été question que nous résolvions simultanément les problèmes de l’ensemble des retraités, quel que soit leur métier.

Si les agriculteurs se trouvent aujourd’hui dans une telle situation, c’est justement parce qu’ils ne relèvent pas du régime général. Voilà une illustration supplémentaire des bienfaits du régime universel que nous proposons : il sera plus solidaire, plus juste, plus global et plus solide ! (Applaudissements sur les bancs du groupe LaREM et sur plusieurs bancs du groupe MODEM.)

M. Jean-Paul Dufrègne. Non !

M. le président. La parole est à Mme Marie-Christine Dalloz.

Mme Marie-Christine Dalloz. Les députés du groupe MODEM nous proposent de cesser de débattre, de voter l’article et de créer une mission. Soyons sérieux ! Faut-il créer une énième mission ? Déjà à l’article 1er, au sujet des sapeurs-pompiers, vous avez proposé de créer un groupe de travail qui aboutirait à une proposition de loi. Vous ne pouvez pas nous renvoyer sans cesse soit à une ordonnance, soit à une mission ou à une réflexion ultérieure ! Si nous voulons vraiment traiter des retraites des agriculteurs, nous devons connaître précisément le rapport entre leurs revenus actuels et la retraite de base que vous leur proposez. Le chiffre qui a été annoncé jusqu’à présent semble incohérent. Soyons crédibles, donnons une perspective d’espoir au monde agricole, mais ne le trompons pas ! Les agriculteurs demandent tout sauf d’être trompés.

La question posée par M. Vincent Descoeur est pertinente. Vous ne trouverez aucun agriculteur qui ait été chef d’exploitation pendant 45 ans et puisse prendre sa retraite à 65 ans. On ne s’installe pas comme chef d’exploitation à 20 ans : non seulement les jeunes agriculteurs font des études, mais ils commencent aussi souvent par prêter main forte à leurs parents, eux-mêmes exploitants agricoles. Quoi qu’il en soit, le coût d’installation est bien trop élevé pour qu’ils puissent l’assumer à 20 ans – à moins que vous ne vouliez les surendetter. Les chefs d’exploitation auront donc très rarement des carrières complètes. M. le secrétaire d’État a expliqué que la base de cotisation minimale passerait de 800 à 600 heures travaillées au SMIC, mais cette proposition mérite d’être fouillée. Sinon, nous aurons de nombreux « trous dans la raquette », pour reprendre les termes de M. Jean-Paul Dufrègne : les agriculteurs auront des trous dans la raquette de leur carrière, et leur pension de retraite s’en ressentira.

M. le président. La parole est à M. Frédéric Petit.

M. Frédéric Petit. J’ai parfois le sentiment désagréable qu’on nous donne des leçons. Ensemble, dans cet hémicycle, nous représentons la nation ; les influences extérieures ne doivent pas s’exercer. Nous avons la liberté de débattre et la responsabilité de décider, et les seules influences qui doivent s’exercer dans l’hémicycle sont celles que nous avons les uns sur les autres. Telle est la Constitution, et je souhaite que nous la respections.

S’agissant des carrières incomplètes, nous souhaitons – contrairement au groupe La France insoumise – que l’accès à la pension minimale soit proportionnel aux cotisations. Comme nous l’avons observé hier sur un mode humoristique, on ne peut pas avoir été agriculteur pendant un an et espérer toucher une pension complète ! Je reconnais que cette disposition est d’une définition complexe et demande des précisions.

Nous avons par ailleurs reconnu que quelques statuts manquaient encore dans le projet, comme celui des aides familiaux. Il nous reste donc quelques angles morts à éclaircir, mais pas celui que vous pointez.

Madame Dalloz, vous avez affirmé qu’une étude fouillée était nécessaire pour estimer le coût de notre proposition : c’est exactement ce que nous voulons faire. Pour les retraités actuels, cet exercice ne peut être réalisé que dans le cadre du projet de loi de financement de la sécurité sociale – PLFSS. Il ne peut pas l’être dans ce projet de loi.

Mme Marie-Christine Dalloz. Le ministère a les chiffres !

M. Frédéric Petit. Accordons-nous à considérer que nous marquons des points qui constituent autant de progrès pour une partie de la profession, et mettons-nous au travail pour aller beaucoup plus loin et résoudre un problème auquel nous n’avons pas encore apporté de solution.

M. le président. La parole est à Mme Caroline Fiat.

Mme Caroline Fiat. Je serai brève, car nous sommes ici pour parler de votre projet, pas du nôtre.

M. Bruno Millienne. Cela vaut mieux !

Mme Caroline Fiat. Notre programme considère les agriculteurs comme des salariés ou des ouvriers comme les autres. Il affirme qu’aucun retraité ne doit se trouver sous le seuil de pauvreté ni percevoir une pension inférieure au SMIC s’il a fait une carrière complète. Les agriculteurs y sont évidemment inclus.

J’ai été d’autant plus touchée par l’évocation qu’a faite M. Alain Perea de ses terres rouges que je viens moi aussi de terres rouges – rouges non de la vigne, mais des aciéries. Comme il l’a dit très justement, si on ne va pas aux agriculteurs, ils savent venir à nous quand ça ne va pas. De fait, ils ont su me trouver très rapidement ! Des promesses leur ont été faites ; ils s’attendent à percevoir un certain niveau de pension. Malheureusement, la règle du jeu a changé : seuls sont désormais concernés les chefs d’exploitation ayant cotisé quarante-trois ans. Certes, la diminution de la base de cotisation, passant de 800 à 600 heures travaillées au SMIC, est favorable. Il faut néanmoins être chef d’exploitation pour percevoir la retraite minimale : de fait, c’est presque la moitié des agriculteurs qui est exclue.

M. Bruno Millienne. Mais non !

Mme Caroline Fiat. Qu’expliquerons-nous à nos concitoyens quand ils nous reprocheront d’avoir voté cette loi sans lutter contre une telle mesure ? Voilà pourquoi nous demandons des suppressions d’alinéas et d’articles. Vous ne respectez pas vos promesses, et vous ferez inévitablement des déçus. Nous nous faisons leur porte-parole dans l’hémicycle.

M. Adrien Quatennens. Très bien !

(Les amendements no 592 et identiques ne sont pas adoptés.)

M. le président. La parole est à M. Adrien Quatennens, pour soutenir l’amendement no 18276 et les seize amendements identiques du groupe La France insoumise.

M. Adrien Quatennens. M. Petit vient d’affirmer qu’il croyait en notre capacité d’influence. Cher collègue, je n’ai pourtant pas l’impression que nous vous influencions, pour autant que nous prenions la parole !

Depuis quelques heures, nous discutons en réalité du contre-projet du groupe La France insoumise, dans lequel les agriculteurs sont considérés comme des travailleurs comme les autres. Nous proposons qu’aucun retraité ne vive en deçà du seuil de pauvreté et n’ait une pension inférieure au SMIC s’il a effectué une carrière complète. Et cela, nous sommes capables de le financer. Vous êtes revenus sur votre promesse d’attribuer une pension minimale de 1 000 euros aux agriculteurs. C’était lors de votre rencontre avec le Président de la République à l’Élysée : soyons honnêtes, a-t-il dit, reconnaissons que cette promesse ne pourra pas toucher l’ensemble des agriculteurs. Mais je vous le dis : on peut absolument tout si on s’en donne les moyens ! Si nous voulions voter à l’unanimité un article 5 qui respecte votre engagement, et envoyer ainsi un message clair aux agriculteurs, nous le pourrions – encore faut-il s’en donner les moyens.

De notre point de vue, les Français produisent bien assez de richesses pour financer un système de retraite qui garantisse à tous une retraite à 60 ans et un bon niveau de pension. Une condition s’impose néanmoins – nous la répéterons autant que nécessaire : consacrer une plus large part des richesses aux retraites. Ce serait bien plus efficace pour le pays que d’accorder toujours plus de richesses à une petite minorité, qui ponctionne une part toujours plus grande de la valeur produite. Voilà le débat que nous devons avoir. Votre texte est d’ailleurs bancal et plein de trous quant au financement des transitions vers le nouveau système, voire quant au financement du système tout court. En matière de retraite, le financement est le nerf de la guerre, et les paramètres ne sont guère nombreux : l’âge, la durée travaillée ou le salaire, et enfin les cotisations. C’est de cela que nous souhaitons débattre.

M. le président. Quel est l’avis de la commission sur ces amendements identiques ?

M. Guillaume Gouffier-Cha, rapporteur général. Il est, une nouvelle fois, défavorable à ces amendements tendant à la suppression d’un alinéa. Qui plus est, cette suppression irait à l’encontre de tout ce que vous venez de défendre.

M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?

M. Laurent Pietraszewski, secrétaire d’État. Même avis. Un mot à l’adresse de Mme Dalloz : l’article 20 prévoit une cotisation spécifique pour les aides familiaux, et l’article 21, qu’elle devra être sur le montant de la cotisation minimale, si bien qu’elle va générer des droits. Pour être très clair, il ne faut pas quarante-trois ans comme chef d’exploitation, mais quarante-trois ans de cotisations. Vous pouvez très bien, à un moment donné, avoir cotisé comme salarié. Quel que soit votre type d’activité, ce qu’il faut, c’est que l’on puisse reconstituer l’équivalent de quarante-trois années, à raison de 600 heures au SMIC, cotisées.

C’est d’ailleurs aussi en cela que le système est plus intéressant pour les agriculteurs, qui peuvent compléter cette activité première par d’autres et accumuler ainsi à la fois des points et des droits par rapport au minimum contributif. Merci de m’avoir accordé ces quelques instants, monsieur le président, mais je voulais répondre à cette question qui m’avait été posée à deux reprises.

M. le président. Ce fut avec plaisir, monsieur le secrétaire d’État. Vous savez que la parole des membres du Gouvernement n’est jamais restreinte.

La parole est à M. Bruno Millienne.

M. Bruno Millienne. Monsieur le secrétaire d’État, je suis désolé : vous avez fourni les explications demandées au sujet des agriculteurs, mais je crains que les membres du groupe La France insoumise, qui débattaient entre eux, n’aient pas écouté. On vous reposera donc forcément la question dans très peu de temps.

Par ailleurs, j’en ai assez des donneurs de leçons. J’ai étudié le financement du contre-projet de la France insoumise.

M. Adrien Quatennens. Ah !

M. Bruno Millienne. Eh bien, il est confiscatoire ; autrement dit, il installe une dictature. (Protestations sur les bancs des groupes FI et GDR.) Moi, je n’ai pas envie de vivre sous une dictature ! (Applaudissements sur quelques bancs des groupes MODEM et LaREM.)

M. Jean-Paul Dufrègne. Cela s’appelle de la solidarité !

M. le président. La parole est à M. Adrien Quatennens.

M. Adrien Quatennens. Cher collègue, nous n’avons jamais eu l’intention de confisquer quoi que ce soit à qui que ce soit : nous parlons d’une meilleure répartition. Dans le partage de la valeur produite, de manière générale, dans ce pays, 67 % va à la sphère financière et seulement 25 % aux investissements productifs. Peut-être pourrions-nous nous accorder sur le fait que ce dernier chiffre est trop faible, bien trop faible pour les grands investissements que nous devons faire afin de relever les défis qui nous attendent.

Quant à la part consacrée à la revalorisation des salaires, elle ne dépasse pas 5 %. À propos des agriculteurs, songez un instant que si l’on augmente les bas revenus, ces augmentations de salaire permettront des cotisations supplémentaires qui financeront le grand objet de notre débat, les retraites.

M. Bruno Millienne. Et provoqueront du chômage !

M. Adrien Quatennens. Rien que 1 % d’augmentation, ce que vous reconnaîtrez n’être pas confiscatoire, ce sont 2,5 milliards de cotisations en plus dans les caisses.

M. Bruno Millienne. Sans compter les chômeurs en plus !

M. Adrien Quatennens. Par ailleurs, vous savez aussi bien que moi que la petite paie qui est augmentée, cela ne va pas se traduire par du boursicotage, BlackRock et tout le reste, mais par la possibilité de mieux consommer, et pourquoi pas d’acheter des produits alimentaires de meilleure qualité, ce qui garantirait à nos agriculteurs une meilleure rémunération ?

D’ici à 2040, nous voulons récupérer 2 points de PIB pour financer nos retraites. Ce n’est absolument rien en comparaison de la part de cette même richesse produite qui a été confisquée aux travailleurs pour finir dans les poches du capital, lequel ne sert pas l’intérêt général. C’est dans le souci de l’intérêt général que nous nous adressons au patronat de ce pays, y compris au grand patronat, pour lui demander de montrer qu’il est mû par ce même souci et pas seulement par sa cupidité. Voilà la grande différence entre nos projets respectifs. Encore une fois, notre proposition n’a rien de confiscatoire ; elle est au contraire tout à fait rationnelle !

M. le président. La parole est à M. Julien Borowczyk.

M. Julien Borowczyk. Je suis surpris de constater à quel point les oppositions sont mieux-disantes lorsque nous concrétisons des suggestions qu’elles-mêmes n’ont jamais réussi à mettre en œuvre. Je suis également déçu de vous voir rater ce formidable véhicule législatif de solidarité et d’universalité que nous proposons. Vous le ratez d’ailleurs avec une volonté dont je tenais à souligner le caractère pernicieux, puisque, comme l’a rappelé Frédéric Petit, le problème des agriculteurs actuellement retraités ne sera résolu que par le projet de loi de financement de la sécurité sociale, et en aucun cas par le texte que nous examinons. Là encore, vous faites donc de l’obstruction !

Je parlais à l’instant de véhicule. Imaginons que nous ne soyons plus dans cet hémicycle, mais dans un bus – un bus Macron, me direz-vous –, et que nous allions à Marseille, ville chère à M. Mélenchon. Depuis le début du trajet, la multiplication de vos amendements revient à peu près à nous avoir fait arrêter sur toutes les aires d’autoroute. Je dirai même plus : au bout d’une semaine, nous n’aurions pas dépassé la porte d’Orléans ! (Sourires.) Tout de même, depuis un petit moment, on nous dit que les débats avancent. Certes, ils avancent ! Mais au lieu de nous diriger vers Marseille, nous passons par Nantes, par Strasbourg, par Lille ; nous n’avançons absolument pas vers notre destination ! (Mêmes mouvements.) Je le répète, vous faites de l’obstruction permanente. Aussi, je vous accuse d’aller droit à l’accident législatif, de le rechercher depuis le début de nos débats ; et cela, c’est tragique ! (Applaudissements sur les bancs du groupe LaREM ainsi que sur quelques bancs du groupe MODEM.)

M. le président. La parole est à M. Stéphane Viry.

M. Stéphane Viry. Il y a quelques instants, nous recherchions une sorte de concorde nationale au sujet de nos agriculteurs et de notre agriculture. Manifestement, il s’agissait tout au plus d’un vœu pieux ; en tout cas, cette attitude a fait long feu.

Le sujet est pourtant d’importance. Chacun d’entre nous sait fort bien que le fonctionnement des retraites agricoles en France est anachronique, inégalitaire, injuste ; il convient donc de remédier à ces problèmes. J’observe tout simplement, sans esprit polémique, que Mme Buzyn avait annoncé dans cet hémicycle, lors d’une séance de questions au Gouvernement, en janvier 2019, que ce projet de loi aborderait le sujet de l’indigence des retraités agricoles. Je ne peux que constater que la réponse ne sera pas apportée.

Monsieur le secrétaire d’État, je voudrais revenir sur l’une de vos explications. S’agissant des questions de transition, vous avez cité les articles 20 et 21 du texte. Je regrette l’absence du rapporteur, M. Turquois, qui a beaucoup travaillé le sujet et qui le connaît également bien en tant qu’agriculteur. Il s’était justement montré dubitatif au sujet de cette période d’adaptation des règles générales de cotisation au secteur agricole.

Concernant les conjoints collaborateurs, il  écrit dans le tome I du rapport de la commission : « S’agissant de ce dernier statut, le rapporteur s’interroge sur l’opportunité offerte par cette réforme globale pour réfléchir à son bornage dans le temps, à l’instar d’ailleurs de ce qui existe pour les aides familiaux. » C’est là un véritable sujet. Si nous pouvons aboutir à un progrès social sur cette question des conjoints collaborateurs agricoles et des aides familiaux, allons-y ! Vous avez ouvert le débat, monsieur le secrétaire d’État ; j’aurais donc souhaité que vous puissiez nous apporter des éclaircissements. (Applaudissements sur les bancs du groupe LR.)

M. le président. La parole est à M. Jean-Paul Dufrègne.

M. Jean-Paul Dufrègne. Nous venons une nouvelle fois d’avoir droit à une séance dite « d’obstruction », où l’on brandit les épouvantails de la démocratie en péril, de l’Assemblée otage, du blocage complet du Parlement, des dangers extrêmes, et ainsi de suite ; vous l’avez répété à chaque fois.

M. Sylvain Maillard. C’est vrai ! Il y a un blocage du Parlement !

M. Jean-Paul Dufrègne. C’est une stratégie rhétorique : cette catastrophe supposée, orchestrée à l’Assemblée nationale par quelques députés qui se sont exprimés sur ce point, est censée faire admettre l’utilisation de l’article 49, alinéa 3, qui n’était pas jugée acceptable au départ. Somme toute, on veut banaliser l’idée qu’une opposition qui s’oppose, ce n’est pas bien, c’est mal, c’est même antidémocratique.

M. Bertrand Sorre. Quel est le rapport avec l’amendement ?

M. Jean-Paul Dufrègne. Vous nous offrez de monter dans votre véhicule législatif ; nous vous avons répété à de nombreuses reprises que nous ne le souhaitions pas. Cela ne m’a pas empêché de dire tout à l’heure : tant mieux pour ceux qui bénéficieront d’une revalorisation ! Mais nous voyons dans ce projet beaucoup, beaucoup d’insuffisances, puisque nombre d’agriculteurs partant en retraite à partir de 2022 ne pourront pas en bénéficier. Il ne nous satisfait pas, et nous voterons contre ; non contre le fait d’améliorer quelques situations, mais contre le fait que vous laisserez encore bien trop de monde sur le bord de la route. (Applaudissements sur les bancs du groupe GDR.)

M. le président. La parole est à M. le rapporteur général.

M. Guillaume Gouffier-Cha, rapporteur général. Je souhaitais répondre à Stéphane Viry, qui a souligné l’expertise du rapporteur Nicolas Turquois. Les réflexions de ce dernier en commission spéciale et au sein du rapport que nous avons corédigé ont pris la forme d’un amendement, no 371148, portant article additionnel après l’article 20, que j’ai cosigné et qui proposera de borner à cinq ans le dispositif destiné aux conjoints collaborateurs agricoles, sur le modèle de ce qui existe aujourd’hui pour les aides familiaux.

(Les amendements no 18276 et identiques ne sont pas adoptés.)

M. le président. Je suis saisi de deux amendements identiques, nos 11883 et 11907, visant à supprimer le mot « universel » de l’alinéa 4.

La parole est à M. Alain Ramadier, pour soutenir l’amendement no 11883.

M. Alain Ramadier. Cet amendement dû à Marc Le Fur est déjà revenu à plusieurs reprises. Il est défendu.

M. le président. Effectivement ! Je vous remercie.

M. Thibault Bazin. Il faut bien faire avancer le débat !

M. le président. La parole est à M. Vincent Descoeur, pour soutenir l’amendement no 11907.

M. Vincent Descoeur. Je ne souhaite pas revenir sur le caractère universel ou non de la réforme, mais remercier M. le secrétaire d’État de sa réponse et lui demander deux précisions.

Si j’ai bien compris, une période pendant laquelle le chef d’exploitation aurait d’abord été aide familial pourrait être prise en compte pour l’obtention du minimum garanti de 1 000 euros. Supposons maintenant qu’un chef d’exploitation ait connu quelques années difficiles, durant lesquelles le revenu de l’exploitation aurait été très faible, voire nul. Est-ce que cela serait de nature à entraîner une proratisation, ou les 1 000 euros seraient-ils garantis même dans ce cas ? Ma question n’est pas malintentionnée ; j’essaie seulement de comprendre le dispositif, et je voudrais m’assurer que 100 % des agriculteurs pourront bénéficier de cette disposition.

Cela m’amène d’ailleurs à une deuxième question, cette fois au sujet des collaborateurs et en particulier des épouses. Nous avons entendu dire à plusieurs reprises que ce texte allait améliorer le sort des femmes. Je souhaiterais donc savoir ce qu’il adviendra de celles qui auraient été conjointes collaboratrices avant de devenir chef d’exploitation.

M. M’jid El Guerrab. C’est une excellente question !

M. le président. Quel est l’avis de la commission ?

M. Guillaume Gouffier-Cha, rapporteur général. Il est défavorable, comme à chaque fois que nous avons examiné cet amendement. Je m’inquiétais d’ailleurs de ne pas encore l’avoir vu cet après-midi.

M. le président. Soyez rassuré ! (Sourires.)

Quel est l’avis du Gouvernement ?

M. Laurent Pietraszewski, secrétaire d’État. Tout le monde a bien compris que mon avis serait également défavorable.

Monsieur Descoeur, vous savez que le statut des aides familiaux est limité à cinq ans ; c’est aussi ce que vous retrouverez dans le projet de loi. S’agissant des conjoints collaborateurs, leur statut n’est actuellement pas limité dans le temps : comme l’a évoqué le rapporteur général, un amendement du rapporteur Nicolas Turquois proposera de le limiter à cinq ans, si j’ai bien lu. Nous pourrons en débattre lorsqu’il viendra en discussion, après l’article 20.

Vous vous posiez des questions sur le niveau de revenu. C’est aussi le point sur lequel m’interpellait maladroitement votre collègue Aurélien Pradié – nous avions évoqué sur ce sujet avec plusieurs membres de votre groupe mais votre collègue était absent. Mme Rabault avait également pris les devants en nous interrogeant sur ce point au début de la semaine dernière. En l’espèce, le sujet n’est pas tant celui du revenu des exploitants agricoles que du niveau de cotisation. Les exploitants agricoles acquittent aujourd’hui une cotisation minimale sur la base de 800 heures au SMIC, ce qui génère des droits. Votre collègue, qui est parti, s’est permis de me demander avec véhémence et sur un ton péremptoire si je savais, moi, combien gagnent les agriculteurs. Bien sûr, je le sais, et je suis aussi rassuré de constater que, vous au moins, monsieur Descoeur, vous suivez de près ce dossier. Nous avons tous compris que le plus important était le niveau de la cotisation. La cotisation minimale baissera, et de ce fait les exploitants agricoles pourront accéder plus facilement à la pension minimale.

La situation est différente pour l’aide familial dont la cotisation minimale n’est pas au même niveau. Il faut donc connaître le niveau de cotisation pour avoir une réponse précise.

J’ai essayé d’être le plus complet possible.

Mme Marie-Christine Dalloz. Merci pour votre réponse.

M. le président. La parole est à M. Vincent Descoeur.

M. Vincent Descoeur. Il reste deux points à préciser – pardonnez-moi d’être difficile à contenter, je ne sollicite pas ces précisions pour moi mais pour les professions concernées. Le premier est celui du niveau de rémunération de l’aide familial, dont dépend la cotisation. S’agissant du conjoint collaborateur, vous avez évoqué un amendement après l’article 20, qui viserait à limiter le bénéfice du statut à cinq ans. Prenons garde, cependant, à ne pas prévoir une trop courte durée qui aurait pour effet d’en écarter un trop grand nombre. Nous en débattrons le moment venu sauf si une mauvaise surprise nous empêche d’atteindre cet article. La question est fondamentale car nous devons trouver la bonne durée, celle qui reflète l’implication des épouses dans l’exploitation agricole. Plus la durée sera longue, plus nous aurons des chances de répondre aux préoccupations de ces femmes qui ne peuvent être les oubliées de cette réforme.

M. le président. La parole est à M. Bertrand Pancher.

M. Bertrand Pancher. Je voudrais remercier Vincent Descoeur pour ses interventions. Cela fait une quinzaine d’années que je ne manque aucune assemblée générale des anciens exploitants agricoles. Les réunions ne tournent qu’autour de ces questions – la pension de 1 000 euros réservée aux prochains retraités, le sort des pensionnés actuels, de ceux dont les carrières ont été espacées, des conjoints.

Je suis persuadé que l’absence de réponses précises pourrait à nouveau provoquer de la colère et de la frustration dans le monde agricole. Je sais bien que l’on ne peut pas tout faire du jour au lendemain, mais ce dossier est important. Je ne suis pas, pour ma part, opposé à l’intégration du régime agricole dans le régime général – ce sera un autre débat pour les autres professions indépendantes. Cette intégration progressive me semble même assez logique, à conditions que nous obtenions des réponses précises à nos questions. Pour l’instant, beaucoup restent en suspens et je me sentirai encore assez mal à l’aise lors de la prochaine assemblée générale de ma fédération des anciens exploitants agricoles.

(Les amendements identiques nos 11883 et 11907 ne sont pas adoptés.)

M. le président. Je suis saisi d’un amendement no 24942 qui fait l’objet de plusieurs sous-amendements.

La parole est à M. Alain David, pour soutenir l’amendement.

M. Alain David. Cette réforme ne créant pas un régime universel unique mais un système de calcul par points applicables à plusieurs régimes, cet amendement tend à corriger la rédaction de l’article.

M. le président. Les sous-amendements nos 42578 de M. Pierre Dharréville et 42579 de M. Sébastien Jumel sont défendus.

Quel est l’avis de la commission ?

M. Guillaume Gouffier-Cha, rapporteur général. Avis défavorable.

M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?

M. Laurent Pietraszewski, secrétaire d’État. Je prends soin de lire attentivement les amendements et les sous-amendements et je suis bien certain d’avoir vu passer plusieurs fois, à des articles différents, et pour des alinéas différents, celui qui tend à substituer aux mots « universel de retraite » les mots « de retraite par points ». Je confirme mon avis défavorable.

(Les sous-amendements nos 42578 et 42579, successivement mis aux voix, ne sont pas adoptés.)

(L’amendement no 24942 n’est pas adopté.)

M. le président. Nous en venons à présent aux amendements tendant à supprimer l’alinéa 5, après ceux qui tendaient à supprimer les alinéas 1 à 5 puis 2, 3 et 4.

La parole est à M. Alexis Corbière, pour soutenir l’amendement no 18293 et les seize amendements identiques déposés par le groupe La France insoumise.

M. Alexis Corbière. Je ne comprends pas bien votre mise en scène.

M. le président. Je remarquais simplement que nous arrivions aux amendements tendant à supprimer l’alinéa 5, après avoir examiné une première série d’amendements tendant à supprimer les alinéas 1 à 5, puis une somme d’amendements tendant à supprimer chaque alinéa de cet article, les uns après les autres. Cela a donné lieu à différentes prises de parole. Nous en arrivons à présent à l’alinéa 5. Tous ceux qui l’auront voulu se seront ainsi exprimés.

M. Erwan Balanant. C’est beau ! De la belle légistique !

M. Alexis Corbière. Cet amendement tend, en effet, à supprimer cet alinéa qui est le cœur de l’article. Nos échanges auront eu le mérite de mettre en évidence ce que plus personne ne peut contester, ni même le rapporteur général ou le secrétaire d’État : tous les exploitants agricoles ne percevront pas une pension de retraite de 1 000 euros. Nous avons bien fait de prendre le temps du débat puisque, enfin, vous ne contestez plus cette évidence. Certes, vous continuez à vous défendre en déclarant que ce serait toujours mieux que rien. Il n’empêche que nous avons permis d’éclairer les débats.

Par ailleurs, l’on nous a reproché, ici, de ne pas nous être suffisamment préoccupés des paysans. Or, nous avons une proposition pour eux : aucune personne ne doit percevoir une retraite inférieure au SMIC dès lors qu’elle a accompli une carrière complète. Ajoutons que personne ne doit se retrouver au-dessous du seuil de pauvreté ; cette remarque vaut pour tout le monde, et pas seulement pour les agriculteurs à qui nous ne réservons pas un sort particulier dans notre vision globale pour la société.

Enfin, après nous être réunis, nous avons décidé, avec M. Quatennens, de remettre le FI d’or à M. Borowczyk, député qui a le plus parlé du programme de La France insoumise dans l’hémicycle. Nous l’en remercions chaleureusement. Bien sûr, ses interventions nous font perdre du temps et obstruent les débats mais il semble tant s’en amuser que ce sont de petites bouffées de bonheur dans des moments parfois difficiles. Nous nous en réjouissons pour lui, en tout cas.

M. le président. Quel est l’avis de la commission ?

M. Guillaume Gouffier-Cha, rapporteur général. Ce sera un avis défavorable, comme pour les précédents amendements visant à supprimer des alinéas de cet article. Précisons simplement à M. Corbière que nous avons pas apporté d’éclaircissements nouveaux cet après-midi puisque les réponses concernant le champ d’application avaient déjà données précédemment, à plusieurs reprises, par le rapporteur Nicolas Turquois et le secrétaire d’État.

M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?

M. Laurent Pietraszewski, secrétaire d’État. Même avis.

(Les amendements no 18293 et identiques ne sont pas adoptés.)

M. le président. L’amendement no 24943 de Mme Valérie Rabault, visant à supprimer les alinéas 6 et 7, est défendu.

(L’amendement no 24943, repoussé par la commission et le Gouvernement, n’est pas adopté.)

M. le président. La parole est à M. Adrien Quatennens, pour soutenir l’amendement no 21543 et les seize amendements identiques déposés par La France insoumise, qui tendent à supprimer, cette fois, l’alinéa 6.

M. Adrien Quatennens. Nous voici arrivés à la fin des débats sur cet article 5, et il ne nous reste plus que deux amendements pour tenter de vous convaincre de ne pas commettre l’erreur de fouler aux pieds une promesse essentielle – à en croire en tout cas les éléments de langage dont vous vous êtes le plus souvent servis pour défendre ce projet de réforme des retraites.

Nous vous avons expliqué qu’en renonçant à prendre en compte les vingt-cinq meilleurs années des salariés du privé ou les six derniers mois des fonctionnaires pour calculer les pensions de retraite, vous feriez une écrasante majorité de perdants. Nous vous avons également démontré que vous ne pourriez aboutir à l’équilibre financier sans consacrer davantage de richesses aux retraites, à moins d’abaisser le niveau des pensions ou à jouer sur l’âge pivot. Pour justifier votre entreprise, vous nous avez à chaque fois opposé le sort que vous alliez réserver aux agriculteurs et la promesse, souvent renouvelée, de leur accorder une pension au moins égale à 1 000 euros.

Or, nous voterons bientôt l’article 5 et il sera alors établi que les agriculteurs devront renoncer, à leur tour, à leurs espoirs. Ils n’auront pas droit à cette retraite minimale de 1 000 euros. Cette séquence ne vous honore pas !

M. Rémy Rebeyrotte. Ah, elle vous ennuie, cette séquence de progrès social !

M. Adrien Quatennens. Il vous est peut-être encore possible de convaincre l’ensemble de la représentation nationale – ce serait un immense événement – de voter avec vous une mesure qui serait un progrès mais, voyez-vous, nous n’en acceptons pas le principe. Nous n’avons qu’un mot d’ordre : non pas tenter d’améliorer ce texte à la marger, mais en exiger le retrait définitif, à la suite des cheminots de ce pays, des avocats et de tous ceux qui sont mobilisés depuis plus de soixante-dix jours.

M. Éric Bothorel. Et les agriculteurs ?

M. Adrien Quatennens. Même les agriculteurs rejoignent le mouvement de protestation, car ils se rendent bien compte que vous trahissez vos promesses.

M. Éric Bothorel. Ce n’est pas ce qu’on voit au Salon !

M. le président. Sur l’article 5, je suis saisi par les groupes de la Gauche démocrate et républicaine et de La République en marche d’une demande de scrutin public.

Le scrutin est annoncé dans l’enceinte de l’Assemblée nationale.

Quel est l’avis de la commission ?

M. Guillaume Gouffier-Cha, rapporteur général. En effet, cher collègue, vous ne parviendrez pas à nous convaincre de ne pas intégrer les agriculteurs au futur système universel de retraite, ni de renoncer à les faire bénéficier de nouveaux droits, à améliorer leur pension et leur quotidien. Vous ne parviendrez pas à nous convaincre de cesser d’agir pour nos concitoyens, les agriculteurs en tête. Avis défavorable.

M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?

M. Laurent Pietraszewski, secrétaire d’État. Monsieur le député, il nous reste deux amendements, ou peut-être davantage, pour vous convaincre que les agriculteurs attendent les mesures de justice sociale prévues dans ce texte. Si vous voulez, comme nous, transformer le quotidien des futurs retraités agricoles en leur attribuant des pensions de retraite décentes demain, vous devez voter, non la suppression des différents alinéas de l’article 5, mais cet article lui-même.

M. le président. Il vous reste 30 820 occasions de convaincre, monsieur le secrétaire d’État. (Sourires.)

La parole est à M. Pierre Dharréville.

M. Pierre Dharréville. Nous avons des regrets, mais nous ressentons aussi de la colère face à votre refus de prendre en compte la situation des actuels retraités agricoles. Ils n’ont cessé de répéter leurs demandes. Nous vous avons fait une proposition qui avait recueilli un large assentiment, mais vous avez préféré la repousser en nous expliquant que vous la reprendriez à l’occasion de cette réforme. Or, ce n’est pas le cas. C’est un premier regret.

Par ailleurs, votre proposition est pleine de trous et elle ne nous convient pas davantage. Nous ne voulons de mal à personne, mais le système de retraite par points s’apparente à un système de régression sociale organisée. Ce n’est pas parce que vous avez consenti quelques efforts supplémentaires que vous êtes au rendez-vous. Vous n’êtes pas au niveau et il faut remettre l’ouvrage sur le métier pour proposer une véritable réforme progressiste des retraites.

Je vous présenterai ce soir – tard hélas, à vingt-trois heures trente – la proposition générale que nous avons construite en ce sens. En effet, nous avons saisi l’occasion de débattre que vous avez proposée pour demander la constitution d’une commission spéciale chargée d’examiner la proposition de loi que nous avons déposée. Il faut trouver une sortie de crise car, comme vous le voyez, votre projet ne convainc personne ou pas grand-monde. Il faut faire autrement.

M. Rémy Rebeyrotte. Ce n’est qu’un nouvel outil d’obstruction !

M. Pierre Dharréville. Quant à votre volonté de justice sociale, elle manque de crédit – au singulier comme au pluriel.

M. Jean-Paul Dufrègne. Très bien !

M. Roland Lescure. Je l’ai connu meilleur.

M. le président. La parole est à Mme Véronique Hammerer.

Mme Véronique Hammerer. Je souhaiterais recentrer le débat sur l’objet de l’article 5, c’est-à-dire sur les futurs retraités agricoles. Cela ne nous emmène pas très loin : en 2022, dans deux ans.

Je vais vous raconter l’histoire de Christine, viticultrice du Bourget, dans ma circonscription. Elle est née en 1965. En 2027, elle aura 62 ans ; en 2029, elle aura 64 ans et aura cotisé 178 trimestres. J’ai avec moi sa fiche d’informations. J’en ai même plusieurs car, venant d’un territoire rural, je rencontre régulièrement des agriculteurs. À 62 ans, Christine touchera 525 euros brut par mois en cumulant sa retraite de base et sa complémentaire. Si elle part à 64 ans, elle touchera 585 euros brut.

Dans le système de retraite que nous proposons, si elle le souhaite, elle pourra liquider sa retraite à partir de 2022, à condition d’avoir travaillé 50 heures par mois pendant 516 mois, c’est-à-dire un tiers temps. Ne nous dites pas que les agriculteurs n’arriveront pas à prouver qu’ils travaillent au moins un tiers temps par mois !

Christine touchera alors 1 000 euros de retraite. Voilà ce que signifie l’article 5 ! (Applaudissements sur les bancs du groupe LaREM.) Elle verra sa retraite augmenter de 70 % : voilà une réforme de justice sociale !  Bravo ! » et applaudissements sur les bancs du groupe LaREM et quelques bancs du groupe MODEM.)

M. Jean-Paul Dufrègne. C’est de la charité !

M. le président. La parole est à M. Adrien Quatennens.

M. Adrien Quatennens. Chers collègues, ce n’est malheureusement pas parce que vous parlez fort ou que vous répétez les mêmes choses que celles-ci deviennent vraies. (Exclamations sur les bancs du groupe LaREM.) Je regrette de ne pas être parvenu à vous convaincre sur l’article 5, ou plutôt à vous influencer, pour reprendre les termes de notre collègue Petit. Pour nous, il ne s’agit pas d’améliorer le texte mais de défendre le mot d’ordre du retrait. Nous n’ignorons pas que nous sommes ici en minorité…

Plusieurs députés du groupe LaREM. Et pas qu’ici !

M. Adrien Quatennens. …mais il nous semble qu’à l’extérieur de l’hémicycle, le pays tout entier souhaite le retrait du texte. (Exclamations sur les bancs du groupe LaREM.) Ils sont beaucoup plus que 6 %, collègue Lescure : si vous et moi nous lisons les mêmes enquêtes d’opinion, ils sont même une majorité.

Monsieur le secrétaire d’État, monsieur le rapporteur général, vous nous avez régulièrement appelés à la patience au cours de la discussion. Vous nous avez demandé d’attendre que soient examinés les articles les plus adaptés, à vos yeux, à tel ou tel point en discussion. Mais nous avons derrière nous l’expérience d’une commission spéciale qui n’est jamais parvenue à terminer ses travaux…

M. Roland Lescure. La faute à qui ?

M. Adrien Quatennens. …non du fait de l’obstruction parlementaire, qui est franchement loin des grandes heures de l’obstruction dans l’hémicycle, mais en raison d’un délai d’examen trop restreint. Monsieur le secrétaire d’État, pouvez-vous garantir que nous atteindrons bien les articles 40, 41 et 60 que vous avez évoqués ? (Exclamations sur les bancs des groupes LaREM et MODEM.) 

Plusieurs députés des groupes LaREM et MODEM. Cela dépend de vous ! Retirez vos amendements !

M. Adrien Quatennens. Non, cela ne dépend pas de l’opposition parlementaire, mais du délai que vous voudrez bien accorder à l’examen de la réforme des retraites. J’ai donc une question claire, qui pourrait peut-être changer notre stratégie (Nouvelles exclamations sur les bancs des groupes LaREM et MODEM) : avons-nous la certitude de parvenir au terme de l’examen du texte ? La question mérite d’être posée.

M. le président. La parole est à M. Frédéric Petit.

M. Frédéric Petit. Je suis un peu déçu que nous n’ayons pas réussi à économiser le temps passé sur cet article et à marquer une convergence sur un sujet qui, au fond, nous rapproche. Le MODEM votera bien sûr pour l’article 5. Par ailleurs, je voudrais dire qu’il n’appartient pas à M. le secrétaire d’État de nous garantir quoi que ce soit ici.

M. Pierre Dharréville. Ça, on l’a compris depuis longtemps !

M. Frédéric Petit. Ici, nous sommes la nation souveraine. (Applaudissements sur plusieurs bancs des groupes LaREM et MODEM.)

M. le président. Je précise que nous en sommes toujours à l’examen des amendement, pas au vote sur l’article.

(Les amendements no 21543 et identiques ne sont pas adoptés.)

M. le président. La parole est à M. Alexis Corbière, pour soutenir l’amendement no 21560 et les seize amendements identiques déposés par les membres du groupe La France insoumise.

M. Alexis Corbière. Nous continuons notre travail, et trouvons ces échanges tout à fait intéressants. Il est donc inutile, chers collègues, de hausser le ton pour dramatiser la situation. Nous sommes principes contre principes, vision de la société contre vision de la société… Si vous pensez que discuter de la loi représente une perte de temps, il fallait devenir autre chose que député ! (Exclamations sur les bancs des groupes LaREM et MODEM.) Vous pensez peut-être que c’est une perte de temps que de consacrer cinq ou six semaines à un texte qui concerne la vie de millions de gens. Mais l’histoire de la République, l’histoire du Parlement est faite de débats très longs sur des sujets importants. Vous avez peut-être l’habitude que tout aille vite dans vos entreprises privées, mais quand on fait la loi, on prend le temps.

Grâce à chacune de nos interventions, nous constatons deux choses : d’abord, qu’en posant de vraies questions, des points s’éclairent ; ensuite, que vous êtes en train de perdre la bataille de l’opinion, car vos attitudes agressives achèvent de convaincre les Français que le recours à l’article 49, alinéa 3 de la Constitution n’est là que pour masquer vos difficultés. (Exclamations sur les bancs des groupes LaREM et MODEM.)

Mme Brigitte Bourguignon, présidente de la commission spéciale. Vous êtes bien mal placé pour parler de méthodes agressives !

M. Alexis Corbière. C’est nous qui posons des questions. Plus de la moitié des interventions des députés de la majorité sont des réponses dilatoires, qui éludent le sujet ou évoquent le programme prétendument dictatorial de La France insoumise.

M. Rémy Rebeyrotte. Vous faites de l’obstruction !

M. Alexis Corbière. C’est sans doute cette difficulté qui vous fait hésiter à recourir au 49.3 : vous voyez bien que cela ne passe pas dans l’opinion. Ceux qui parlent d’autre chose, c’est vous ! (Agitation sur les bancs des groupes LaREM et MODEM.) Ceux qui crient quand on intervient, c’est vous !

Mme Nadia Essayan. Restons calmes !

M. Alexis Corbière. Ceux qui font des gestes… Je ne sais pas si c’est un geste à caractère sexuel que vous faites, madame Cloarec-Le Nabour, mais c’est assez indécent. (Exclamations sur les bancs des groupes LaREM et MODEM.)

M. le président. Monsieur Corbière, je sens que le débat dérape.

M. Alexis Corbière. Je suis choqué, monsieur le président ! Une de nos collègues a fait un geste de la main qui, personnellement, me choque ! (Mêmes mouvements.) J’ai eu peur que…  

M. le président. Pas du tout, monsieur Corbière. Passons.

Une députée du groupe LaREM. C’est dans votre tête !

M. Cyrille Isaac-Sibille. Sexiste ! C’est du harcèlement, monsieur Corbière !

M. Alexis Corbière. J’aimerais que tout le monde se calme. Moi, je suis calme.

M. le président. Je vous remercie, monsieur Corbière. Il vous reste quelques secondes pour conclure.

M. Alexis Corbière. Je termine, monsieur le président. Je vous connais et je trouve que vous êtes généralement un bon président, je le dis sans aucune arrière-pensée. Je fais simplement observer que, quand j’interviens, mes collègues se mettent à hurler et font des gestes indécents. J’aimerais, comme tout le monde, pouvoir parler sans que l’on se mette à hurler.

Vous recourrez peut-être au 49.3, mais vous en porterez la responsabilité. Vous ne nous coincerez pas.

Mme Nadia Essayan. On vous la laisse, la responsabilité !

M. le président. Quel est l’avis de la commission ?

M. Guillaume Gouffier-Cha, rapporteur général. L’objet de l’amendement, c’était encore la suppression d’un alinéa. Avis défavorable. Je souligne au passage que, sur l’article 5, à l’exception de deux amendements rédactionnels portant sur les mots « universel » et « retraite par points » – ils auraient manqué ! – nous n’avons eu que des amendements de suppression.  Bravo ! » et applaudissements prolongés sur les bancs des groupes LaREM et MODEM.) Je laisserai les agriculteurs seuls juges des attitudes de chacun.

M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?

M. Laurent Pietraszewski, secrétaire d’État. Il s’agit en effet d’un article important. Comme je l’ai dit tout à l’heure en réponse à l’un des amendements défendus par Adrien Quatennens, j’espère que la représentation nationale réunie ici ce soir décidera de voter massivement l’article 5, au regard des avancées sociales significatives qu’il contient pour les agriculteurs. C’est un moment important.

Plusieurs d’entre vous ont cherché à vérifier, avant de voter, s’ils étaient bien renseignés, et je pense qu’ils l’ont été. Plusieurs d’entre vous, sur tous les bancs, ont également souhaité témoigner des rencontres qu’ils avaient faites avec les exploitants agricoles de leur territoire. Plusieurs d’entre vous ont souhaité que l’on aille peut-être plus loin…

M. Jean-Paul Dufrègne. Peut-être ?

M. Laurent Pietraszewski, secrétaire d’État. …tout en notant que de nombreuses dispositions seraient prises dès 2022 pour les futurs retraités agricoles et qu’une mission allait rapidement rendre des propositions pour ceux qui sont déjà retraités.

Je crois que vous avez ici, mesdames et messieurs les députés, l’occasion d’envoyer un signal fort à nos agriculteurs, à ceux qui construisent notre environnement et nous nourrissent. Je suis sûr que vous ne manquerez pas de leur envoyer ce signal positif en votant massivement l’article 5.  Excellent ! » et applaudissements sur plusieurs bancs des groupes LaREM et MODEM.)

M. le président. La parole est à Mme Marie-Christine Dalloz.

Mme Marie-Christine Dalloz. Nous sommes ici pour légiférer. N’allez pas nous faire croire, monsieur le rapporteur général, monsieur le secrétaire d’État, mesdames et messieurs de la majorité, qu’à travers cet article, nous votons pour ou contre l’agriculture. C’est faux, pour deux raisons objectives.

La première raison, c’est que, l’article 5 étant encore un article de principe,…

M. Guillaume Gouffier-Cha, rapporteur général. Mais non !

Mme Marie-Christine Dalloz. …beaucoup des dispositifs sont définis à l’article 20 et complétés à l’article 21 – M. le secrétaire d’État lui-même nous a renvoyés aux articles 20 et 21. Nous ne traitons pas encore du fond, mais d’un affichage de principes. Il est donc inutile de nous donner des leçons : le monde agricole attend mieux, en termes de débat, que celui qui consiste à dire que ne pas voter pour l’article 5, c’est dire qu’on est contre les agriculteurs. (Exclamations sur les bancs du groupe LaREM.)

Je voudrais aussi faire une remarque de fond, à laquelle vous réfléchirez. À partir de 2025, vous allez garantir 85 % du SMIC aux agriculteurs qui auront cotisé jusqu’à 65 ans. (M. Cyrille Isaac-Sibille applaudit.) Mais, en réalité, ils n’auront pas cotisé sur les 600 heures par an au SMIC que vous leur demandez, parce que leurs revenus ne le leur permettent pas ! Arrêtez cette course à la démagogie, elle est pitoyable. (Applaudissements sur les bancs du groupe LR.)

M. Cyrille Isaac-Sibille. Assumez ! (Plusieurs députés des groupes LR et MODEM s’interpellent.)

M. le président. Chers collègues, s’il vous plaît. La parole est à M. Pierre Dharréville.

M. Pierre Dharréville. Nous abordons ce sujet comme tous les autres, c’est-à-dire avec beaucoup d’humilité, tant la situation de nombre d’agriculteurs est préoccupante.

M. le président. S’il vous plaît, mes chers collègues, gardez vos discussions pour le dîner. Pardon, monsieur Dharréville.

M. Pierre Dharréville. Face à cette situation, nous leur devons ici des réponses, et des actes. Faut-il agir pour les retraites agricoles ? Oui. Je pense que la réponse fait l’unanimité et, pour notre part, nous avons formulé des propositions. La proposition que vous faites est-elle suffisante ? Non. Est-elle satisfaisante ? Non. Est-elle cohérente ? Non. Le système de retraite tel que vous l’imaginez est-il philosophiquement désirable ? Va-t-il fonctionner ? Nous pensons que non. Voilà les raisons de notre opposition.

Monsieur le rapporteur général, vous avez tout à l’heure, par un petit artifice, indiqué que nous n’avions examiné que des amendements de suppression. Évidemment, puisque nous sommes en désaccord avec le projet de loi ! Mais je vous invite également à considérer – et je le dis pour que chacun hors de l’hémicycle soit bien informé des contraintes auxquelles les parlementaires doivent faire face – que l’article 40 de la Constitution nous empêche de déposer un certain nombre de propositions que nous aimerions faire valoir.

Mme Marie-Christine Dalloz. Oui, c’est vrai.

M. Pierre Dharréville. C’est la raison pour laquelle nous avons déposé une proposition de loi qui contient des mesures en faveur des agriculteurs et qui fera l’objet d’une petite séquence ce soir. Elle sera sans doute trop courte à mon goût mais, qui sait, si nous prenions alors une bonne décision, la suite du débat pourrait changer… (Sourires.) Quoi qu’il en soit, je vous rassure, monsieur le rapporteur général : des propositions différentes de la vôtre existent. (Applaudissements sur les bancs du groupe GDR.)

M. le président. La parole est à Mme Caroline Fiat.

Mme Caroline Fiat. Comme l’a souligné Marie-Christine Dalloz, appuyer sur un bouton ne nous fera pas voter pour ou contre les agriculteurs. (Exclamations sur les bancs du groupe LaREM.)

M. Rémy Rebeyrotte. Non, mais pour ou contre leur retraite.

Mme Caroline Fiat. Personne, ici, n’est contre notre agriculture.

Nous avons tous rencontré des agriculteurs et discuté avec eux – d’ailleurs, comme cela a très bien été dit, si nous n’allons pas vers eux, ils savent très bien venir à nous. Nous connaissons leurs inquiétudes. Les promesses que vous leur avez faites, nous pensons que vous ne les tenez pas, ce qui engendrera de la déception. C’est la raison pour laquelle nous sommes opposés à cet article.

Selon Mme Hammerer, nous laisserions entendre que les agriculteurs ne travaillent même pas un tiers temps, puisque nous avons affirmé qu’ils n’auraient pas les 600 heures nécessaires payées au SMIC. Mais chacun sait que les agriculteurs sont ceux qui travaillent le plus, qu’ils se lèvent très tôt et se couchent très tard, et cela du lundi au dimanche ! Dans cet hémicycle, personne ne pense le contraire. En revanche, nous savons tous également que parfois ils se lèvent très tôt et se couchent très tard pour ne rien gagner à la fin du mois, parce qu’il a grêlé, parce que la météo n’a pas été satisfaisante, parce que le troupeau a attrapé une maladie : ils n’ont alors même pas la possibilité de se verser un salaire ! Tel est le cœur du problème.

Voter pour ou contre l’article 5 ne revient donc pas à voter pour ou contre les agriculteurs. Nous avons simplement à nous demander si vos propositions traduisent votre promesse de leur garantir une pension de retraite d’au moins 1 000 euros. Or, non, vous ne respectez pas votre promesse. C’est pourquoi nous appuierons sur le bouton « contre ».

M. le président. La parole est à Mme Célia de Lavergne.

Mme Célia de Lavergne. Plus que sur l’article, je souhaite m’exprimer sur notre attitude dans ce débat, notamment pour répondre aux provocations de la gauche.

Depuis le début de l’examen du texte, notre attitude est calme, déterminée et constructive, en dépit des provocations, voire du harcèlement dont se rend responsable la gauche de l’hémicycle en posant sans cesse les mêmes questions. Nos collègues du groupe Les Républicains ont eux aussi une attitude constructive, je le reconnais bien volontiers même si nous ne partageons pas les mêmes idées. Cette différence d’attitude ne concerne pas que cet article, elle est générale.

S’agissant de l’article 5, alors que nous nous réjouissons de ce que les exploitants et les salariés agricoles seront inclus dans le nouveau système parce que cela leur permettra de bénéficier d’une pension minimale de 1 000 euros, vous vous livrez à la critique, vous êtes incapables de vous réjouir de cette avancée sociale.

Ce matin, une de nos collègues de La France insoumise a déclaré ne plus vouloir de la Ve République et souhaiter une VIe République : vous critiquez, vous attisez la haine, vous utilisez toutes les colères.

M. Alexis Corbière. Monsieur le président ! Comment accepter cela ?

Mme Célia de Lavergne. Vous envisagez chaque projet de loi avec une attitude destructrice. Nous, nous adoptons, je le répète, une attitude constructive. Nous voulons fonder un système universel plus solidaire, avec de vraies avancées sociales pour les femmes, pour les agriculteurs, pour tous ceux dont les carrières sont aujourd’hui hachées, pour les temps partiels. Nous voulons offrir une solidarité nationale, au-delà des quarante-deux solidarités professionnelles, sans rogner les pensions. Telle est, encore une fois, notre attitude. (Applaudissements sur les bancs du groupe LaREM et quelques bancs du groupe MODEM.)

M. le président. La parole est à Mme Agnès Firmin Le Bodo.

Mme Agnès Firmin Le Bodo. Faut-il agir pour les retraités du monde agricole ? Notre réponse est oui. Faut-il exclure les agriculteurs du système universel de retraite ? Notre réponse est non. Le groupe UDI, Agir et indépendants votera donc pour l’article 5, afin d’envoyer un message fort et de permettre notamment aux agriculteurs, qui, pour la grande majorité d’entre eux, touchent des retraites inférieures à 1 000 euros, d’atteindre ce montant dès 2022, et 85 % du SMIC dès 2025.  

Un député du groupe LR. Et pour le stock ?

Mme Agnès Firmin Le Bodo. Non pas pour le « stock », cher collègue, mais pour les « retraités actuels », dont la pension est inférieure à 1 000 euros, nous déposerons des amendements au projet de loi de financement de la sécurité sociale visant à régler en partie et de façon progressive leur situation.

Rappel au règlement

M. le président. La parole est à M. Adrien Quatennens, pour un rappel au règlement.

M. Adrien Quatennens. Au titre de l’article 100 sur la bonne tenue de nos débats. (Exclamations sur quelques bancs du groupe LaREM.) Nous avons des points de vue différents, et argumentons. Serait-il possible, dès lors, d’éviter de se jeter à la figure des « dictature » et autres  « attiser la haine » ? Nous souhaitons simplement défendre un projet qui ne correspond pas au vôtre. S’agissant plus précisément de l’article 5, vous ne traduisez pas dans le texte les promesses que vous avez faites aux Français. C’est clair.

De la même manière que le système que vous voulez créer n’est pas, de l’aveu même du rapporteur Turquois, « parfaitement universel », de même tous les agriculteurs ne percevront pas « parfaitement »  une pension de retraite de 1 000 euros par mois. C’est le moins qu’on puisse dire – cela a déjà été souligné à plusieurs reprises.

Sans revenir sur le fond de l’amendement, je tiens à insister sur la cohérence de nos propos.

M. le président. Je vous prie de conclure, cher collègue.

M. Adrien Quatennens. Moi, je n’affirme pas que vous êtes des dictateurs en puissance : je vous dis simplement que vous ne traduisez pas dans le projet de loi la promesse que vous avez faite. C’est la raison pour laquelle nous voterons contre cet article.

M. le président. Monsieur Quatennens, respectez les règles du jeu !

Article 5 (suite)

M. le président. La parole est à M. Bruno Millienne.

M. Bruno Millienne. Au cours de la discussion sur l’article 5, nous avons failli parvenir à l’unanimité : le fait que les agriculteurs ne réussissent pas à vivre de leur activité et que leurs pensions de retraite soient indignes émeut tous les bancs de l’Assemblée.

Je tiens à remercier M. Descoeur, qui a beaucoup travaillé avec le secrétaire d’État et le rapporteur pour apporter des précisions utiles. (Applaudissements sur les bancs du groupe LR et quelques bancs des groupes LaREMet MODEM.) Malheureusement, elles n’ont pas été entendues par nos amis de La France insoumise, plongés qu’ils étaient dans une discussion qui leur appartient. C’est dommage, parce qu’ils auraient appris des choses.

Je tiens également à remercier M. Dufrègne, qui est arrivé la main tendue, dans la perspective de la mission, pour travailler en profondeur tous les problèmes de la profession agricole : il n’y a pas que les futurs retraités, il faut traiter le problème des retraités actuels ! Nous devons également permettre aux agriculteurs de gagner dignement leur vie.

Je remercie également M. Letchimy, qui lui aussi nous a tendu la main. Vous le voyez, une belle unanimité était possible. Le groupe MODEM votera bien évidemment l’article 5. Mon seul regret, pour le bien des agriculteurs, est que cet article ne sera pas adopté à l’unanimité. (Applaudissements sur plusieurs bancs des groupes MODEM et LaREM.)

(Les amendements nos 21560 et identiques ne sont pas adoptés.)

M. le président. Je mets aux voix l’article 5.

(Il est procédé au scrutin.)

M. le président. Voici le résultat du scrutin :

        Nombre de votants                        106

        Nombre de suffrages exprimés                94

        Majorité absolue                        48

                Pour l’adoption                74

                Contre                20

(L’article 5 est adopté.)

(Applaudissements sur les bancs des groupes LaREM, MODEM et UDI-Agir.)
 

 

 
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