Système universel de retraite
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AN 1 - Débats 1er mars 2020 : 1ère séance du 29 février
Document intégral

 

Article 8

M. le président. La conférence des présidents a décidé d’autoriser deux orateurs par groupe à intervenir sur l’article 8.

La parole est à Mme Laurence Dumont.

Mme Laurence Dumont. L’article 8 est au cœur du dispositif que vous souhaitez instaurer. Rappelons que, dans le système par points, le montant de la pension est obtenu en multipliant le nombre de points par la valeur du point et en déduisant le malus. J’insiste sur cet élément, qui constitue un changement majeur : pour la première fois depuis 1945, le malus est indexé sur l’âge réel de départ à la retraite et non sur la durée de cotisation.

À titre d’illustration, je reprendrai le cas désormais connu d’un ouvrier ayant commencé à travailler à l’âge de 20 ans et qui, après avoir cotisé pendant quarante-trois années, part en retraite à 63 ans. Dans votre système, cette personne subirait l’application d’un malus de deux ans, soit une réduction de 10 % du montant de sa pension de retraite, ce qui est énorme.

Par ailleurs, le seul élément tangible, la règle d’airain, c’est l’équilibre financier. Tout le reste en dépend. Nous ne savons pas ce que sera la valeur du point, et les règles d’indexation elles-mêmes sont contingentes, puisqu’elles visent à respecter l’équilibre financier. La règle d’or constitue en quelque sorte une camisole. Vous préméditez un échec des négociations et du paritarisme, comme vous l’avez fait à propos de l’assurance chômage : vous aviez adressé une lettre de cadrage dont le respect était impossible, ce qui s’est finalement soldé par une ordonnance, avec à la clé des économies de 3,4 milliards d’euros et la pénalisation de 40 % des chômeurs du pays. La réforme des retraites est un deuxième coup porté aux chômeurs puisque, s’ils ne sont pas indemnisés, ils ne recevront pas de points pour leur retraite.

En résumé, votre seule règle d’or est celle de l’équilibre financier. Il n’y a aucune règle d’or concernant les droits sociaux : voilà ce qui manque dans ce texte.

M. le président. La parole est à M. Paul Christophe.

M. Paul Christophe. Avec l’article 8, nous entrons dans le cœur du sujet du système universel. L’article définit le point comme unité de calcul de l’ensemble des droits à retraite du système par répartition et en précise les grands principes dans un nouveau chapitre du code de la sécurité sociale. Ce faisant, il met en œuvre un choix fort : le principe selon lequel un euro cotisé ouvre les mêmes droits. Il construit donc un système plus lisible, plus juste et plus conforme à la réalité des métiers et des parcours du XXIe siècle.

Le groupe UDI-Agir soutient pleinement cet article, fort de la conviction que le système par points est plus adapté et plus protecteur pour les travailleurs d’aujourd’hui. Le choix du calcul par points plutôt que par trimestres permettra de prendre en compte l’ensemble des périodes d’activité. Il permettra, par exemple, d’acquérir des points dès les premiers emplois occupés dans la vie ; cela concerne notamment le travail saisonnier exercé par les étudiants ou même les stages. Dans le nouveau système de retraite, il sera possible, à la différence d’aujourd’hui, d’acquérir des points au titre du cumul emploi-retraite : c’est un nouveau droit ouvert à tous ceux qui le souhaitent, et il faut le saluer.

Je m’adresse à tous les Français attentifs à nos débats : au-delà des procès d’intention et des caricatures, l’objectif de ce projet de loi est bel et bien de créer des nouveaux droits, mieux adaptés au mode de vie actuel. C’est d’ailleurs toute la force de notre système de sécurité sociale que d’être capable de s’adapter constamment aux besoins nouveaux des personnes qu’il protège. En cela, il est conforme aux ambitions de ses fondateurs.

Notre groupe plaide enfin pour une association plus étroite du Parlement à la définition de la valeur du point, qu’il s’agisse de sa valeur d’acquisition ou de sa valeur de service aussi bien que des variations apportées au niveau de l’âge systématique, que nous évoquerons à l’article 9.

M. Antoine Herth. Excellent !

M. le président. La parole est à M. Alexis Corbière.

M. Alexis Corbière. Mon collègue Ugo Bernalicis interviendra également sur l’article 8.

Il s’agit là d’un aspect particulièrement problématique de votre réforme : son manque de visibilité, souligné par le Conseil d’État. Vous voulez instaurer un système à points, mais comment la valeur du point est-elle calculée ? Il s’agit tout de même d’une question importante ! Nous l’avons posée plusieurs fois en commission spéciale, et il nous a été répondu – d’où l’intérêt de poser plusieurs fois les questions – que la valeur du point serait définie en fonction du revenu d’activité moyen par tête. Nous avons alors demandé de quoi il s’agissait, et le rapporteur a concédé que cet indicateur n’était pas encore défini et que l’INSEE nous en proposerait un prochainement. Avouez que c’est quand même une inconnue assez lourde, s’agissant de l’un des éléments devant permettre de calculer la valeur du point ! Ainsi, comme Mme Dumont l’a rappelé tout à l’heure, vous êtes actuellement incapables de proposer à nos concitoyens un simulateur qui leur permettrait de comprendre ce qui va leur arriver. Voilà l’un des grands vices de notre discussion, qui nous amène à faire en sorte que ce texte ne soit pas adopté rapidement : il y a trop d’inconnues, au détriment des Français.

L’article 8 traite également de la question des malus. Comme nous vous l’avons déjà dit plusieurs fois, ce que vous avez fait en la matière n’est pas tolérable du point de vue démocratique. Vous avancez régulièrement l’argument selon lequel vous aviez annoncé aux Français, à l’occasion de l’élection présidentielle, que vous alliez réformer le système de retraite. Mais vous aviez promis que vous ne toucheriez pas à l’âge légal de la retraite, et tout le monde avait compris qu’il resterait donc autour de 62 ans. Or vous introduisez désormais la notion d’âge d’équilibre, et, si l’âge légal est maintenu, il sera complètement décorrélé de l’âge d’équilibre. Certes, les Français auront la possibilité de partir à l’âge légal, mais ils subiront alors un malus.

M. Frédéric Petit. Comme aujourd’hui !

M. Alexis Corbière. C’est intolérable ! Vous dites à nos compatriotes : « Si tu veux respecter la loi, tu subiras un malus pour cela ; il vaut donc mieux ne pas la respecter et partir plus tard. »

M. Bruno Millienne. C’est déjà le cas aujourd’hui !

M. Alexis Corbière. Ces questions sociales ne sont pas secondaires. C’est aussi l’objet de la controverse entre nous car vous avez floué les Français qui vous ont fait confiance sur ce point.

M. le président. Merci, monsieur Corbière.

M. Alexis Corbière. Nous jugeons donc que votre texte est mauvais.

M. le président. La parole est à M. Stéphane Peu.

M. Stéphane Peu. Nous abordons l’un des articles les plus importants de ce texte, puisqu’il substitue à notre système par annuités à prestations définies, où le niveau de revenu détermine le niveau de pension, un système par points à cotisations définies, où on sait ce qu’on paiera pendant notre carrière mais où on touche une pension aléatoire. C’est un changement de paradigme majeur : la retraite ne sera plus calculée sur la base des vingt-cinq meilleures années dans le privé ou des six derniers mois de traitement dans la fonction publique ; toute la carrière sera prise en compte, chacun capitalisant des points dont la valeur sera évolutive et qui seront convertis en pension au moment de la liquidation. C’est l’individualisation du droit à la retraite, qui rend chacun comptable de son seul sort, sans visibilité sur la retraite finale.

Depuis le début de nos débats, vous n’avez jamais réussi à démontrer que le système par points sera meilleur et plus prévisible. D’ailleurs, c’est le contraire : votre réforme grave dans le marbre l’aléa permanent. À aucune de nos questions nous n’obtenons de réponse. Ces questions sont pourtant essentielles pour évaluer l’impact de votre réforme sur nos concitoyens. Je vais donc vous reposer quatre questions très précises, et j’espère que nos débats permettront d’éclairer tant la représentation nationale que les Français.

Première question : quel sera le taux de remplacement des retraites après la réforme ?

Deuxième question : à quoi correspond une carrière complète dans le système à points ?

Troisième question : quelle sera la valeur d’acquisition du point ? Faudra-t-il avoir cotisé 10 euros pour obtenir un point de retraite, comme le prévoit le rapport Delevoye ? La valeur d’acquisition évoluera-t-elle au même rythme que la valeur de service ? Dans ce cas, les travailleurs devront travailler toujours plus pour obtenir un point.

Quatrième question : quelle sera la valeur de service du point, c’est-à-dire le rendement du point, en 2022 ?

Jusqu’à présent, nous n’avons obtenu de réponse à aucune de ces interrogations. J’espère que le débat sur cet article permettra de nous éclairer.

M. le président. La parole est à Mme Christine Cloarec-Le Nabour.

Mme Christine Cloarec-Le Nabour. Les points seront acquis tout au long de la vie, dès la première heure travaillée, et 1 euro cotisé vaudra la même chose pour tous. Le montant de la retraite sera déterminé en multipliant le nombre de points constitués par leur valeur de service, laquelle sera fixée chaque année avec la participation des partenaires sociaux. Les garanties seront inscrites dans la loi : les valeurs de service et d’acquisition des points ne baisseront pas et seront indexées sur les salaires, qui augmentent plus vite que l’inflation.

Le système à points existe déjà. Il est utilisé par les caisses de retraite complémentaire et est bien plus simple à comprendre que le régime de base.

Ce système sera plus lisible et plus visible : un compte personnel de carrière permettra à chacun, à tout moment, de savoir où il en est.

Ce système sera plus solidaire : des points de solidarité seront attribués en cas d’inactivité pour cause de chômage, de maternité ou de maladie, ainsi que pour les stagiaires, les personnes en situation de handicap et les aidants, pendant les aménagements de fin de carrière et en cas de cumul emploi-retraite.

Ce système sera plus juste car il valorisera tout travail dès la première heure.

Je salue les belles avancées de ce système universel de retraite par points, qui bénéficieront aux publics empêchés, à ceux qui effectuent des petits boulots, à ceux qui ont des carrières hachées, en particulier aux anciens étudiants, qui pourront enfin valoriser les jobs d’été et petits boulots de leurs études ou de leur début de carrière.

J’ai travaillé douze trimestres sans ouverture de droits à la retraite, je suis née trop tôt : tant pis pour moi, tant mieux pour eux ! (Applaudissements sur les bancs du groupe LaREM et sur quelques bancs du groupe MODEM.)

M. le président. La parole est à M. Maxime Minot.

M. Maxime Minot. Dans le système actuel, le montant des pensions de retraite est calculé sur la base des vingt-cinq meilleures années de cotisation pour le secteur privé et des six derniers mois pour la fonction publique, on l’a dit à plusieurs reprises. Or l’article 8 vise à mettre en place un système de calcul de pension prenant en compte l’intégralité de la carrière.

Cela va considérablement réduire les pensions de retraite de la majorité des Français, dans la mesure où les mauvaises années seront également prises en compte. De plus, cela va défavoriser les personnes qui ont vu leur rémunération progresser pendant leur carrière car elles ont occupé des fonctions à plus forte responsabilité ; leur mérite ne sera donc plus valorisé dans le cadre de leur retraite, comme c’est le cas actuellement – nous défendrons d’ailleurs un amendement visant à préserver ce principe.

Beaucoup d’interrogations restent sans réponse, notamment sur la valeur du point. Le rendement du point de retraite devrait être fixé à 5,5 %, si l’on en croit le rapport Delevoye. Ma question est donc la suivante : quels sont le détail et les hypothèses du calcul ayant donné ce résultat ? (Applaudissements sur quelques bancs du groupe LR.)

Mme Marie-Christine Dalloz. Bravo !

M. le président. La parole est à M. Frédéric Petit.

M. Frédéric Petit. J’ai été très flatté par vos propos, madame Dalloz. J’ai toujours pensé que la politique ne devait pas être un métier, mais j’ai pu constater que cela nécessite un gros travail. Puisque nous en sommes aux indicateurs, j’ai sans doute beaucoup parlé, mais le rapport entre mon temps de parole et mon temps d’écoute, depuis le début de nos débats, est sans doute l’un des plus faibles…

Vous avez dit, monsieur Bernalicis, que la loi encadrait la part du PIB consacrée aux retraites. C’est faux : ce pourcentage ne sera qu’une constatation après les décisions qui auront été prises en matière de cotisations. Vous avez également évoqué la différence entre l’âge légal et l’âge réel de départ à la retraite. Aujourd’hui, les Français prennent leur retraite à 63,7 ans en moyenne ; si l’on ne change rien, cet âge continuera d’augmenter, sachant qu’il est possible de différer son départ à la retraite jusqu’à 67 ans. Quant à la crise de 2008, monsieur Bernalicis, elle est peut-être la cause de la réforme Touraine menée quelques années plus tard.

J’en viens enfin aux dispositions de l’article 8. La question du taux de remplacement et de la prise en compte des vingt-cinq meilleures années ou de la totalité de la carrière est hors sujet. Comme je l’ai dit tout à l’heure et comme le précise l’alinéa 7 de l’article 9, la valeur du point sera d’abord calculée en divisant le gros panier – le nouveau panier commun, pour reprendre l’image que j’ai utilisée tout à l’heure –, non pas de manière égalitaire, mais en utilisant une moyenne pondérée des mérites. J’entends dire que l’indicateur nécessaire n’existe pas, mais je précise que l’indicateur en question ne servira pas à calculer la valeur du point : ce n’est qu’une fois fixée la valeur initiale du point, avant le 30 juin 2021 pour le 1er janvier 2022, comme le précise l’alinéa 7 de l’article 9, qu’il conviendra de déterminer son évolution en l’indexant sur un indicateur. En effet, ce dernier n’existe pas encore à ce stade, mais sa construction ne sera pas très compliquée : il suffira de regrouper trois indicateurs existants portant sur l’évolution des salaires en général, sur l’évolution des salaires dans le secteur privé et sur l’évolution des revenus des indépendants. Nous devrions y arriver facilement !

Nous discutons donc enfin du bon article. J’aimerais que nous démystifiions ces dispositions :…

M. le président. Merci, monsieur Petit.

M. Frédéric Petit. …le point ne détricote rien du tout ; il ne fait que changer un mode de calcul.

M. le président. La parole est à M. Philippe Vigier.

M. Philippe Vigier. Je ne renierai pas la position que je défends depuis de nombreuses années : j’ai toujours été favorable à la mise en place d’un système de retraite par points, et ne comptez pas sur moi pour changer d’avis. Ce système offre davantage de souplesse : l’affilié n’est plus prisonnier de la notion de trimestre, même si la possibilité d’annualisation du temps de travail constitue une avancée incontestable. Pour autant, plusieurs questions se posent, et la confiance que les Français accorderont au système dépendra des réponses que vous y apporterez.

La première question sur laquelle il faudra nous éclairer, monsieur le secrétaire d’État, concerne le fameux indicateur que vous avez demandé à l’INSEE. Dans quelles conditions cet indicateur sera-t-il élaboré et quelles garanties effectives pourra-t-il nous apporter ? Cette question n’a pas été tranchée. À l’heure où je vous parle, nous n’avons absolument aucune information précise à ce propos.

La deuxième question porte sur le rôle du Parlement et la clause de revoyure. Il est prévu que le Parlement se prononce sur la trajectoire tous les cinq ans, mais ne pourrait-on pas profiter de la discussion du PLFSS, rendez-vous important pour les parlementaires, pour veiller à la bonne tenue de la trajectoire et à l’absence de tromperie en la matière ? Si nous nous prononcions chaque année sur cette question, la démocratie parlementaire s’associerait efficacement, me semble-t-il, à la démocratie sociale.

Enfin, l’article 8 dispose que des points seront attribués en fin de carrière. Lesquels ? On ne peut pas tout renvoyer aux ordonnances : nos compatriotes et les parlementaires que nous sommes doivent connaître les modalités d’attribution de ces points supplémentaires, notamment au vu des critères de pénibilité. Au-delà du stock de points acquis de manière classique, il y a tous les points qui seront attribués en plus : ces derniers susciteront de la confiance et seront un gage d’efficacité de la réforme. Sur ce sujet, il faut éclairer la représentation nationale. Monsieur Turquois, nous ne pouvons pas renvoyer cette question à une ordonnance : c’est notre rôle que de déterminer comment les différents critères seront pris en compte, comment ils permettront d’obtenir des points supplémentaires et comment ils rendront le nouveau système universel de retraite solide et robuste.

Voilà des questions simples, qui ne font pas obstacle à la mise en place du système par points mais qui, au contraire, cherchent à le sécuriser. Il faut donc que vous nous apportiez des réponses.

M. le président. La parole est à M. Joël Aviragnet.

M. Joël Aviragnet. Je voudrais revenir sur cette farce, que vous nous faites régulièrement, consistant à dire qu’on va faire confiance au dialogue social. Le problème est qu’avec la règle d’or, c’est une véritable camisole que vous allez imposer au paritarisme, cette règle servant de baguette pour taper sur les doigts des partenaires sociaux. Tout est défini à l’avance, vous ne leur laissez aucune marge de manœuvre. Ils ne pourront pas décider autre chose que l’équilibre financier du système de retraite, ayez l’honnêteté de le reconnaître. Vous êtes en train de préméditer l’échec des négociations et du paritarisme, comme vous l’avez fait pour l’assurance chômage. Vous aviez alors adressé une lettre de cadrage impossible à respecter, d’où le résultat, qui était tout à fait prévisible. Il y a fort à craindre que la conférence de financement soit elle-même beaucoup trop encadrée et que rien de bénéfique ne puisse donc en sortir.

M. le président. La parole est à M. Ugo Bernalicis.

M. Ugo Bernalicis. Le carcan budgétaire que constitueront les règles définies notamment par le projet de loi organique nous a fait dire que votre objectif était de plafonner les dépenses de retraite à 14 % du PIB. Ce n’était pas exact, vous avez raison, puisque le tableau 39 de votre étude d’impact indique qu’à horizon 2050, l’objectif sera de les plafonner à 12,9 % du PIB, soit encore moins que le montant des pensions servies aujourd’hui. Vous prétendez que la valeur du point ne baissera pas – on peut d’ailleurs se demander pourquoi, mais c’est une autre histoire –, pas plus sa valeur d’acquisition que sa valeur de service, mais il y a ce fichu coefficient d’ajustement, qui définit l’âge à partir duquel on applique le malus de 5 % par an. Voilà l’arnaque.

En réalité, le seul gain attendu de la mise en place d’un tel système est politique, voire politicien : vous ne serez pas obligés de revenir devant le Parlement tous les trois, quatre ou cinq ans pour faire voter une nouvelle réforme des retraites sous prétexte qu’il n’y a plus de sous et qu’il faut travailler plus longtemps, ce qui suscite toujours du mécontentement et des manifestations. Il suffira désormais à un conseil national des retraites de faire varier ces valeurs discrètement, sur un coin de table, à chaque projet de loi de financement de la sécurité sociale. Ce ne sera plus une réforme des retraites, mais une simple modification des valeurs d’acquisition et de service, et d’un coefficient d’ajustement auquel personne ne comprend rien. Cela vous évitera d’avoir à assumer politiquement le fait de devoir dire régulièrement aux gens qu’ils vont trimer plus longtemps. Voilà le seul gain, politicien, de cette manœuvre consistant à substituer des points aux trimestres. Nous ne sommes pas d’accord car le système actuel des trimestres est plus protecteur.

M. le président. La parole est à M. Alain Bruneel.

M. Alain Bruneel. Depuis le commencement des débats, la majorité comme le Gouvernement répètent à l’envi que le futur système de retraite par points serait plus égalitaire et redistributif que le système actuel. Cet argument ne tient pas quand on dévoile la réalité de votre réforme. Il n’est nul besoin d’un système à points pour corriger des inégalités qui auraient très bien pu l’être dans le cadre du système des annuités. Vous me permettrez de développer deux éléments à l’appui de mon argumentation.

Premièrement, on découvre que, si la réforme est plus égalitaire c’est au prix d’un nivellement des droits par le bas. Ce qui vous permet d’afficher un effort de redistribution, c’est le fait que les personnes aux bas revenus seront rattrapées par le filet social de sécurité que constitue le minimum de pension de 85 % du SMIC. Encore faudra-t-il qu’elles remplissent toutes les conditions pour en bénéficier : avoir cotisé pendant quarante-trois années et avoir atteint l’âge d’équilibre de 65 ans. En revanche, si ces assurés doivent partir à la retraite avant d’avoir atteint l’âge d’équilibre – à 62, 63 ou 64 ans –, les simulations du collectif nosretraites.fr montrent que leurs retraites seront inférieures dans le système par points que celles qu’ils auraient touchées dans le système actuel.

Deuxièmement, on découvre que la réduction des inégalités s’explique par l’exclusion des personnes à hauts revenus de la répartition. Au-delà de 10 000 euros par mois, elles ne seront plus assujetties à cotisations contributives, alors que le système actuel les y soumet jusqu’à 27 000 euros par mois. Ce cadeau de 4 milliards d’euros par an aux entreprises fera chuter de manière mécanique le niveau des retraites les plus élevées, ce qui explique la réduction de l’écart entre petites et grosses retraites.

Ces deux mesures expliquent l’essentiel de la redistribution. Le système par points est une machine à reproduire les inégalités.

M. le président. La parole est à Mme Florence Granjus.

Mme Florence Granjus. Nous avons l’ambition de mettre en place un système de retraite universel, obligatoire pour tous, par répartition et par points.

Le système par points vise à plus de justice, de clarté, de lisibilité. L’article 8, que nous abordons, pose le principe que les droits seront calculés en points et que ces points refléteront la vie professionnelle, toute la vie professionnelle – périodes d’activité et périodes de chômage, de maladie, d’interruption pour l’éducation des enfants. Le système par points traduira fidèlement les droits constitués et mettra fin aux injustices actuelles, que nul ne peut nier quand la France, un des pays les plus riches au monde, compte 1 million de retraités pauvres, vivant avec moins de 1 000 euros par mois.

Alors oui, nous avons choisi de combattre ces injustices, nous avons choisi de réformer le système de calcul des retraites et nous avons choisi de mettre en place un système qui reflète mieux la carrière professionnelle et qui la reflète tout entière. (Applaudissements sur les bancs du groupe LaREM.)

M. le président. La parole est à M. Éric Woerth.

M. Éric Woerth. Il ne faut pas se noyer ainsi dans de fausses certitudes : il est impossible de donner des garanties absolues aux futurs retraités. (Applaudissements sur les bancs du groupe FI.) Ce n’est pas moi qui le dis, mais Jean Pisani-Ferry dans un article du Monde d’hier.

Le système par points sera-t-il plus lisible ? Pas vraiment puisque personne ne connaîtra la valeur du point, alors qu’il était assez simple de modifier la distribution des trimestres. Sera-t-il moins opaque que le système actuel ? Pas vraiment non plus, pour la même raison.

Je n’ai, pour ma part, pas d’opposition de principe à un tel système : il s’agit simplement d’une modalité de calcul différente, déjà en vigueur pour un certain nombre de régimes importants. J’ai cependant quelques questions à vous poser sur des paramètres importants.

D’abord, pourquoi avoir retenu le taux de rendement de 5,5 % ? Comptez-vous le fixer dans le marbre ? Je ne le pense pas.

Y aura-t-il ce que l’on appelle un « taux d’appel du point », sur le modèle de ce que fait l’AGIRC-ARRCO, l’achat d’un point ne permettant pas de bénéficier de 100 % des droits issus de ce point ? Ce mécanisme assez discret fait que le point a perdu de sa valeur au moment d’être transformé en droits à la retraite.

Le taux de rendement global sera-t-il garanti jusqu’à 2045 ou plus longtemps ? Dans ce cas, c’est le montant des pensions qui constituera la variable d’ajustement.

Pourquoi n’avez-vous pas retenu un mode de calcul des pensions sur la base des vingt-cinq meilleures années de points ? Nombre de problèmes sociaux qui se posent pour les salariés ayant effectué une carrière longue auraient été ainsi résolus. Cela aurait été possible sans devoir passer par un algorithme compliqué : il aurait suffi d’additionner les points acquis au cours des vingt-cinq meilleures années et d’établir une moyenne annuelle.

M. le président. Merci, monsieur le président Woerth.

M. Éric Woerth. Enfin, comptez-vous enfin distribuer des points pour les périodes de chômage non indemnisées ?

M. le président. La parole est à M. Bruno Fuchs.

M. Bruno Fuchs. On prétend, pour la deux-centième ou la trois-centième fois, que nous voulons baisser le niveau des retraites et que tout le monde va y perdre. Je voudrais donc à nouveau expliquer ce que mon collègue Petit vient d’expliquer ce que nous avons déjà tous expliqué des dizaines, des centaines de fois : une projection à 2050 prévoit effectivement une baisse de la part des pensions de retraites dans le PIB, mais cela se vérifie aussi dans le système actuel, à epsilon près.

M. Ugo Bernalicis. De combien l’epsilon ?

M. Bruno Fuchs. À 0,1 point près. Si vous refusez cette baisse, aidez-nous à transformer le système.

Vous voulez que 16 points de PIB soient consacrés à ces dépenses, soit 50 milliards de prélèvements en plus.

M. Ugo Bernalicis. Exactement !

M. Bruno Fuchs. Moi, je ne voudrais pas vivre dans une France qui devrait supporter 50 milliards de prélèvements supplémentaires.

M. Nicolas Forissier. Pour les prélèvements, ils sont champions !

M. Bruno Fuchs. Ce n’est pas 100 000 gilets jaunes que vous auriez en face de vous, mais 20 millions ou 30 millions.

Je voudrais insister sur la visibilité et la prévisibilité du système par points, en vous donnant lecture d’un courrier électronique que d’autres collègues ont peut-être aussi reçu, dans lequel un professeur de l’éducation nationale décrit sa situation. Il a pris sa retraite, préparée avec le rectorat, en septembre 2019, à 62 ans et un jour, avec l’assurance de toucher une retraite à taux plein de 2 600 euros par mois. Deux mois plus tard, on lui apprend qu’il n’a finalement pas droit à une retraite à taux plein, qu’un autre indice est retenu et qu’il touchera 1 300 euros. En deux mois, sa pension est tombée de 2 600 à 1 300 euros, et il ne peut plus revenir en arrière puisque ses droits ont été liquidés, tout cela parce qu’il aurait travaillé à mi-temps quatre mois de trop. Il se retrouve donc dans une situation absolument impossible, qui ne pourra plus survenir avec le système par points.

M. le président. La parole est à M. le secrétaire d’État.

M. Laurent Pietraszewski, secrétaire d’État. L’article 8 suscite de nombreuses questions avant même que nous n’entamions l’examen des amendements ; elles étaient même posées avant que nous n’abordions cet article, puisque vous les avez posés lors de l’examen des articles 1er, 2, 3, 4, 5, 6 et 7 – en un mot, vous les posez depuis le début de nos débats il y a une dizaine de jours, alors que c’était hors sujet. Mais j’ai toujours plaisir à être ici pour répondre à vos questions !

M. Ugo Bernalicis. Ah ! Vous y prenez donc plaisir !

M. Laurent Pietraszewski, secrétaire d’État. Très franchement, monsieur Peu, vous ne pouvez pas dire que vous n’avez pas obtenu de réponse sur ce que sera une carrière complète ! Vous qui avez participé assidûment à nos débats, vous savez très bien que j’ai répondu à cette question. Vous voulez dire peut-être que ma réponse ne vous convient pas…

M. Stéphane Peu. Voilà.

M. Laurent Pietraszewski, secrétaire d’État. …mais vous savez que je vous ai répondu : la durée exigée sera de 516 mois. Le calcul en mois sera d’ailleurs plus avantageux que le calcul en trimestres et il se fera sur la base d’une cotisation équivalente à 50 heures payées au SMIC. Cela représentera quarante-trois annuités, soit en points de solidarité, soit en points cotisés.

Sur les taux de remplacement, monsieur Peu, je trouve que l’étude d’impact est relativement complète, même si j’ai bien compris qu’elle n’avait pas l’heur de vous satisfaire. Les graphiques 59 et 61, pages 176 et 177 – que, je vous l’accorde, nous n’avons pas encore évoqués –, sont de nature à vous rassurer : ils montrent que la pension annuelle moyenne de droit direct va progresser en euros constants ; et le montant de la pension moyenne perçue sur le cycle de retraite – on s’intéresse là à la durée passée à la retraite – progresse aussi.

M. Peu et plusieurs autres députés, sur divers bancs, ont évoqué les valeurs d’achat et de service du point, qui feront l’objet d’un article spécifique. Comme vous le savez, elles seront fixées par la CNRU, la Caisse nationale de retraite universelle. Cela ne fait pas débat – nous en avons d’ailleurs parlé de nombreuses fois. Comme je l’ai déjà expliqué, nous voulons que la gouvernance ait un fonctionnement proche de celui de l’AGIRC-ARRCO et qu’elle endosse donc des responsabilités. Il n’y a pas d’ambiguïté en la matière.

Cela nous amène au taux de rendement. Pourquoi l’avons-nous fixé à 5,5 % ? D’abord parce qu’il est proche de celui qui est constaté par l’AGIRC-ARRCO. Ensuite parce qu’il permet d’atteindre l’équilibre au regard des autres paramètres. Il sera constant par défaut mais sera piloté par la CNRU, comme je viens de le dire. Vous aurez beau me demander cinquante ou mille fois quelle décision prendra la CNRU, je ne pourrai pas vous répondre car c’est elle qui aura la main. Vous continuerez donc à affirmer que je ne vous ai pas répondu précisément ! Le projet de loi que je défends a précisément pour objet de confier les décisions à la gouvernance et aux partenaires sociaux. Évitons donc de reproduire, après ces deux premières semaines, un débat circulaire dans lequel vous posez des questions en sachant pertinemment que je n’ai pas la réponse ! Une fois encore, le projet de loi précise à qui il reviendra de déterminer cette valeur ! Je considère que nous pourrions passer à autre chose !

Quant à la valeur du point, elle est faciale ; c’est plutôt le rendement du point qui importe. Dans notre simulation, nous avons retenu un taux de 5,5 %, proche de la réalité constatée par l’AGIRC-ARRCO, je viens de l’expliquer. Il sera garanti dans le temps puisque les valeurs d’achat et de service sont indexées de la même façon.

En outre, certains m’ont interrogé, une nouvelle fois, sur le revenu moyen par tête. Comme je l’ai déjà expliqué, un décret précisera le détail de cet indicateur, et l’INSEE, organisme indépendant, le concevra. (Exclamations sur les bancs du groupe FI.)

Mme Cendra Motin. Il n’y a que La France insoumise pour mettre en cause l’INSEE !

M. Laurent Pietraszewski, secrétaire d’État. L’INSEE produit déjà l’indicateur du salaire moyen par tête, dont personne ne conteste la qualité. Il n’y a donc aucune raison que, demain, son indicateur du revenu moyen par tête soit contesté. C’est la vie normale d’un institut de statistiques indépendant que de fournir des éléments utiles à la société. Je lui fais confiance pour y procéder, une fois que les choses auront été établies par décret.

M. Alexis Corbière. Et voilà !

M. Laurent Pietraszewski, secrétaire d’État. Ce sera une amélioration. Certains nous ont reproché d’effectuer des simulations sur la base du salaire moyen par tête. Il était pourtant normal que nous utilisions l’indicateur disponible ! C’est même l’indicateur majoritaire disponible, qui détermine largement le revenu moyen par tête, dans la mesure où 70 % des actifs sont des salariés. Nous avons donc pris pour référence un indicateur parfaitement clair et rigoureux, qui conditionnera significativement l’indicateur du revenu moyen par tête : il décrira l’évolution du revenu de l’ensemble des actifs, dont plus de 70 % sont des salariés. (Mme Cendra Motin applaudit.)

Vous avez soulevé de nombreux autres sujets mais, pour ne pas être trop long, je les traiterai volontiers à l’occasion des amendements suivants. Je reviendrai toutefois sur la garantie du rendement : une fois encore, les valeurs d’acquisition et de service évolueront de la même façon, suivant les mêmes indicateurs. Dès lors que le taux de rendement découle de ces deux valeurs, vous avez tout lieu d’être rassurés. (Applaudissements sur les bancs du groupe LaREM et sur quelques bancs du groupe MODEM.)

M. le président. Je suis saisi de trente-cinq amendements, nos 961 et 11913, nos 16652 et identiques déposés par le groupe La France insoumise, et nos 26763 et identiques déposés par le groupe de la Gauche démocrate et républicaine, tendant à supprimer l’article 8.

La parole est à M. Joël Aviragnet, pour soutenir l’amendement no 961.

M. Joël Aviragnet. Le projet de loi engage une réforme sans précédent de notre système de retraite depuis 1945, non seulement parce qu’il fait de l’âge de départ à la retraite plutôt que la durée de cotisation le déterminant d’une retraite à taux plein, mais aussi parce qu’il fait des revenus perçus – ou plutôt non perçus – durant la totalité d’une carrière, et non durant les meilleures années, le critère de calcul de la pension. C’est pourquoi ce système sera une source d’inégalités accrues pour l’ensemble des assurés.

Dès lors que le montant de la retraite sera calculé sur l’ensemble de la carrière plutôt que sur les meilleures années, le revenu de référence sera mécaniquement plus faible, ainsi que les pensions – de même que si l’on retient uniquement les meilleures notes d’un élève, sa moyenne est plus élevée que si l’on prend l’ensemble de ses notes. Un assuré dont les revenus évoluent moins vite que la moyenne – ce qui est le cas de la majorité des employés, ouvriers et fonctionnaires – verra son pouvoir d’achat en points diminuer dans le temps et perdra chaque année un peu plus de points, de manière cumulative.

Le système par points prévoit par ailleurs d’instaurer un âge d’équilibre auquel les assurés d’une génération pourront liquider leur retraite sans décote. Loin d’offrir aux assurés la liberté de choisir de partir avant ou après cet âge, moyennant décote ou surcote, l’âge d’équilibre constitue une violence économique.

Les failles, les insuffisances et les simulations tronquées qui constituent ce projet de loi et ses annexes ne peuvent décemment permettre au Parlement de mener un débat éclairé sur un sujet qui représente 14 % du PIB et concerne 67 millions de Français, sans compter les générations à venir. Le présent amendement propose donc la suppression de l’article 8.

M. le président. Sur les amendements identiques nos 961 et identiques, je suis saisi par le groupe La France insoumise d’une demande de scrutin public.

Le scrutin est annoncé dans l’enceinte de l’Assemblée nationale.

La parole est à Mme Marie-Christine Dalloz, pour soutenir l’amendement no 11913.

Mme Marie-Christine Dalloz. Dans son avis relatif au projet de loi, au point 22, le Conseil d’État rappelle : « la fixation d’orientations pluriannuelles des finances publiques relève du domaine exclusif des lois de programmation des finances publiques » – la précision n’est pas anodine – et « les lois de finances et de financement de la sécurité sociale sont régies, quant à elles, par le principe d’annualité ». Ainsi, des dispositions adoptées dans le champ organique ne peuvent interférer avec le plafond de dépenses fixé par le législateur financier – je parle ici sous le contrôle du président de la commission des finances. Comment ces dispositions s’articulent-elles avec la ratification par la France du TSCG, le traité sur la stabilité, la coordination et la gouvernance au sein de l’Union économique et monétaire ? C’est une question fondamentale, mais rien de tout cela n’est clair.

Vous expliquez, monsieur le secrétaire d’État, qu’il existe une corrélation entre les valeurs d’acquisition et de service. Or cette corrélation n’existe pas, et l’AGIRC-ARRCO en apporte la preuve : elle ne montre aucune corrélation entre la valeur d’achat et la valeur de service. Sinon, pourquoi retiendriez-vous l’échéance de 2045 ? Rappelons d’ailleurs que le taux de rendement constaté à l’AGIRC-ARRCO n’est pas de 5,5 %, mais de 4,5 %. Si vous retenez le taux de 5,5 %, cela signifie que vous fixez un âge d’équilibre à 65 ans. Si, en revanche, vous aviez appliqué le même taux que l’AGIRC-ARRCO, cela aurait créé un important déséquilibre et une perte de revenus. Vos projections n’étaient donc pas aussi crédibles que vous l’auriez souhaité. Tout cela doit être précisé dans l’article 8. (Applaudissements sur quelques bancs du groupe LR.)

Mme Cendra Motin. Ainsi a dit le rapporteur !

M. le président. La parole est à Mme Bénédicte Taurine, pour soutenir l’amendement no 16652 et les seize amendements identiques déposés par les membres du groupe La France insoumise.

Mme Bénédicte Taurine. Pour nous, le système de retraite que vous proposez n’est ni juste ni universel, et sera encore moins lisible que l’actuel. Il a été question tout à l’heure du million de retraités pauvres que compte notre pays. Or votre réforme ne résout en rien la situation, par exemple, des paysannes et des paysans qui ont une recette indécente. Vous expliquez que votre système prendra en compte les petits boulots des étudiants. Pour notre part, nous considérons qu’un étudiant doit se consacrer entièrement à ses études, sans avoir à travailler pour les payer. (Applaudissements sur les bancs du groupe FI.) La vocation d’un étudiant, notamment de milieu modeste, est bien d’étudier. On constate malheureusement qu’à l’université, les étudiants issus des classes les plus défavorisés sont très peu nombreux. (M. Alexis Corbière applaudit.)

M. Rémy Rebeyrotte. Mais c’est faux !

Mme Christine Cloarec-Le Nabour. Ce n’est plus le cas !

M. le président. Laissez Mme Taurine poursuivre.

Mme Bénédicte Taurine. Enfin, il est hallucinant de vous entendre invoquer les partenaires sociaux. Vous n’avez pas hésité une seule seconde à supprimer les CAPN et les CAPA – les commissions administratives paritaires nationales et les commissions administratives paritaires académiques – au ministère de l’éducation nationale et de la jeunesse, tout comme les CHSCT – comités d’hygiène, de sécurité et des conditions de travail – et les délégués du personnel. Vous renvoyez les discussions aux partenaires sociaux quand ça vous arrange, mais quand il s’agissait de respecter leurs droits, vous ne l’avez pas fait. (Applaudissements sur les bancs du groupe FI.)

M. le président. La parole est à M. Stéphane Peu, pour soutenir l’amendement nos 26763 et les quinze amendements identiques déposés par les membres du groupe de la Gauche démocrate et républicaine.

M. Stéphane Peu. Avant d’en venir aux amendements, je souhaiterais m’adresser à M. le secrétaire d’État, qui a donné des explications sur la durée de la carrière complète, soit 516 mois cotisés. Or ces 516 mois ne permettront de toucher que la pension minimale ; pour le reste, tout dépendra de l’âge d’équilibre, que personne ne connaît. L’incertitude est totale pour la majorité des assurés.

Quant à nos amendements, ils visent à supprimer l’article 8. Le système de retraite actuel est à prestations définies, principe qui fonde le pacte social de notre pays. Votre réforme cassera ce pacte social puisqu’elle fera disparaître l’engagement explicite garantissant un niveau de retraite dans la continuité du salaire perçu en fin de carrière. En fait, les assurés cotiseront sans savoir quelle pension ils toucheront. Le système que vous instaurez ne sera plus à prestations définies, mais à cotisations définies.

En rendant la retraite aléatoire, vous ouvrez la voie à la capitalisation. Tout au long de leur carrière, nos concitoyens sauront combien ils cotiseront mais ignoreront combien ils toucheront une fois à la retraite. Face à cet aléa et à cette incertitude, ceux qui en auront les moyens, et eux seuls, s’orienteront vers une solution de retraite par capitalisation. En cela, l’introduction d’un système à points provoque un changement de paradigme et une ouverture, par petites touches, vers la retraite par capitalisation. C’est la perversité de votre système, si je puis dire : compte tenu des aléas et des incertitudes qu’elle fera peser sur les retraites, votre réforme est extrêmement dangereuse pour notre contrat social.

M. le président. Quel est l’avis de la commission sur ces amendements de suppression ?

M. Nicolas Turquois, rapporteur. Si j’étais arrivé ce matin dans l’hémicycle les yeux bandés, j’aurais pu croire que nous en étions encore à la discussion générale : tout a été abordé, depuis les 12,9 % du PIB consacrés aux retraites jusqu’au minimum social, en passant par les agriculteurs, les étudiants, etc. ! Il ne manque que les trois et huit PASS, à moins que cela ne m’ait échappé !

Mme Marie-Christine Dalloz. Bonne idée ! On l’avait oublié !

M. Nicolas Turquois, rapporteur. Je vous fais confiance !

M. Ugo Bernalicis. Bien vu, monsieur le rapporteur !

M. Stéphane Peu. On va être obligés d’intervenir de nouveau !

M. Nicolas Turquois, rapporteur. Certains ont reproché au texte d’être mal structuré. Nous avons examiné les principes généraux à l’article 1er. À l’article 2, la seule décision concrète, ayant un enjeu politique, concernait les générations qui entreront progressivement dans le dispositif, nées après le 1er janvier 2004 ou après le 1er janvier 1975. Dans les articles suivants, nous avons intégré toutes les professions, une à une. Ce matin, alors que nous abordons enfin le cœur du projet, la définition du système à points, nous ne parvenons même pas à discuter des éléments techniques ! Plutôt que d’en rester à des considérations générales, parlons du point ! (Mme Monique Limon applaudit.)

M. Stéphane Peu. Nous avons voulu rappeler les grands principes !

M. Nicolas Turquois, rapporteur. L’article 8 définit clairement les modes de liquidation : nombre de points multiplié par la valeur du point, éventuel bonus ou malus – nous y reviendrons, et cela donnera assurément lieu à des discussions politiques –, valeur d’acquisition rapportée aux cotisations, modalités d’acquisition de points supplémentaires. Voilà l’enjeu de l’article 8 : au bout de douze jours, nous en arrivons au point, à la définition précise des modalités de calcul ! Concentrons-nous donc sur l’objet du texte et, si possible, ne refaisons pas la discussion générale à tout bout de champ. Nous y gagnerons en clarté et en pertinence politique, je crois.

M. Nicolas Turquois, rapporteur. Je suis défavorable aux amendements de suppression de l’article.

M. le président. La parole est à M. Jacques Maire.

M. Jacques Maire. Je voudrais revenir sur les interrogations réitérées par Stéphane Peu, relatives à la distinction entre système à cotisations définies et système à prestations définies, sans pour autant apporter beaucoup de clarté.

Je me permets de préciser que le système par points est un système à prestations définies. Pourquoi ? Parce que les points représentent une créance sur le système et qu’ils ont une valeur définie, garantie par la loi, ce qui interdit de la remettre en cause. Les systèmes à cotisations définies obéissent au contraire à la capitalisation. Ce sont ceux que vous évoquez, mais cela ne figure pas dans le texte : ce sont les fonds de pension, souvent assortis – pas toujours – d’une garantie de l’employeur, et, si cette garantie vient à faire défaut, les prestations baissent. Encore une fois, nous ne proposons pas du tout un tel système, mais un système à prestations définies, universel, fondé sur la répartition et généralisant celle-ci à trois PASS, ce qui, à ce jour, n’est pas le cas pour toutes les professions. (Applaudissements sur les bancs du groupe MODEM.)

M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?

M. Laurent Pietraszewski, secrétaire d’État. D’abord, les décisions prises par la Caisse nationale de retraite universelle seront clairement articulées avec le PLFSS. Le projet de loi organique prévoit d’ailleurs que les tableaux financiers figurent en annexe du PLFSS. Nous débattrons donc de ces dispositions : vous aurez voix au chapitre, mesdames, messieurs les députés.

Mme Marie-Christine Dalloz. C’est le b.a.-ba de la démocratie !

M. Laurent Pietraszewski, secrétaire d’État. Le Conseil d’État avait demandé que les paramètres financiers soient approuvés par décret, et ce sera le cas.

Par ailleurs, madame Dalloz, vous posiez la question du taux de rendement. Je ne vous en fais pas grief, car les choses peuvent évoluer d’une année à l’autre, mais le taux de rendement de l’AGIRC-ARRCO n’est pas inférieur à 5,5 %, contrairement à ce que vous croyiez, mais légèrement supérieur à ce taux : en 2019, il s’élevait à 5,81 % – j’ai vérifié et je suis prêt à débattre avec vous sur cette base. Du reste, pour juger du taux de rendement, il faut tenir compte de l’indexation de la valeur du point.

Mme Marie-Christine Dalloz. Eh oui !

M. Laurent Pietraszewski, secrétaire d’État. La valeur du point de l’AGIRC-ARRCO a été indexée sur l’inflation. Nous proposons une indexation beaucoup plus dynamique. (Exclamations sur les bancs du groupe LR.) Si vous voulez établir une comparaison, vous devez considérer cet élément.

Nous aurions pu décider, à l’inverse, d’inclure, dans nos simulations, un taux de rendement inférieur à 5,5 % : cela aurait entraîné un abaissement de l’âge d’équilibre, et tout le monde ici nous l’aurait reproché. La difficulté de ce débat, c’est que tout raisonnement fondé sur un seul indicateur est vite biaisé, car il suppose que tous les autres sont fixes. Or le système ne fonctionne pas ainsi : il est dynamique, et les indicateurs agissent les uns sur les autres.

Enfin, je souhaite vous répondre à nouveau, monsieur Peu, puisque vous avez précisé votre question, en confirmant que vous avez retenu qu’une carrière complète est nécessaire pour bénéficier du minimum de pension, ce qui vous a conduit à reparler de l’âge d’équilibre. C’est un peu la même chose que pour le taux de rendement : comment voulez-vous que je vous réponde au sujet de ce qui sera fixé par la gouvernance ? J’ai foi dans la gouvernance, dans les partenaires sociaux ; ce système peut fonctionner, contrairement à ce que pense Mme Taurine, et je ne peux vous répondre à leur place. Cela étant, vous retrouverez les dispositions relatives à l’âge d’équilibre lorsque nous débattrons du PLFSS ; vous aurez donc, mesdames et messieurs les représentants de la nation, l’occasion d’y revenir chaque année.

Merci, monsieur le président, de m’avoir donné ces quelques instants supplémentaires.

J’émets un avis défavorable. (Mme Mireille Robert applaudit.)

M. le président. La parole est à Mme Annie Vidal.

Mme Annie Vidal. À ce stade de la discussion, je voudrais évoquer le cas de deux de mes anciennes collègues, cadres de santé à l’hôpital. En 2016, elles ont reçu leur simulation de retraite, leur départ étant prévu en 2017. Elles sont diplômées de la même école et ont commencé à travailler la même année ; elles sont au même échelon, au même indice, reçoivent le même salaire, et ont toutes deux atteint la note maximale. Chacune a eu un enfant. Il y a toutefois une petite différence entre elles : l’une des deux, qui a travaillé quinze ans dans le secteur privé, a constaté, en recevant la simulation, que sa pension de retraite sera inférieure de 250 euros à celle de l’autre.

Si je comprends bien, en voulant supprimer l’article 8, qui instaure le système par points, vous souhaitez faire perdurer de telles inégalités. Si mes anciennes collègues avaient toutes deux cumulé des points tout au long de leur carrière, elles toucheraient la même retraite. (Applaudissements sur plusieurs bancs des groupes LaREM et MODEM.)

M. le président. La parole est à M. Ugo Bernalicis.

M. Ugo Bernalicis. Je vais achever votre phrase : elles toucheraient la même retraite, plus faible qu’aujourd’hui. Votre système consiste à niveler par le bas, et c’est tout ce à quoi nous nous opposons. Nous ne disons pas qu’il n’existe pas de différences, de divergences, de distorsions dans les régimes de retraite actuels, mais qu’il faut les combler par le haut. C’est vrai, cela coûte de l’argent.

Monsieur le secrétaire d’État, monsieur le rapporteur, pardonnez-moi, mais je ne sais pas comment on peut discuter d’un article portant sur les règles de calcul, d’acquisition et de service des points, sans parler de la part de la richesse nationale que nous comptons y consacrer et des conséquences que cela entraîne. Je ne sais pas comment vous faites ! Discuter de la valeur d’un point en oubliant tous les autres paramètres, comme si cette valeur était suspendue dans les airs, je n’en vois pas l’intérêt. Quant à la valeur réelle du point, évoquée par M. Maire, j’ignore comment on peut faire pour la connaître avant le moment de liquider sa retraite, puisqu’elle s’obtient par une multiplication à trois facteurs : valeur d’acquisition, valeur de service et coefficient d’ajustement, dont chacun peut évoluer chaque année au sein d’une trajectoire de cinq ans.

Voilà la réalité du système que vous allez instaurer : toute la difficulté, c’est qu’il est aussi illisible qu’imprévisible, comme nous le dénonçons depuis le début ! Au contraire, dans un système où votre pension est calculée sur les vingt-cinq meilleures années ou sur les six derniers mois, vous voyez à peu près ce que vous recevrez à la sortie.

M. le président. Merci, cher collègue.

M. Ugo Bernalicis. J’ajoute un dernier mot, monsieur le président : il n’est pas vrai que la valeur d’acquisition et la valeur de service, énoncées à l’article 8, évolueront de la même manière ; rien n’est prévu en ce sens dans le texte.

M. le président. La parole est à M. Patrick Hetzel.

M. Patrick Hetzel. Ce débat est important car nos concitoyens ont besoin de savoir. La retraite est une question essentielle. Or, sur un point très précis, le Gouvernement ne répond pas, monsieur le secrétaire d’État : peut-il confirmer que la valeur d’achat du point n’évoluera en aucun cas plus vite que sa valeur de service, c’est-à-dire que le rendement du point ne sera susceptible de baisser ? Si tel n’est pas le cas, vous savez pertinemment que vous êtes, là encore, en train de léser nos concitoyens. À un moment donné, il vous faudra vous prononcer sur cette question. Le fait que vous ne répondiez pas montre que votre réforme pose un vrai problème. Vous ne pouvez pas le nier ! Encore une fois, ma question est simple : pouvez-vous assurer ce matin à la représentation nationale que la valeur d’achat n’évoluera pas plus vite que la valeur de service ? Oui ou non ? (M. Maxime Minot applaudit.) Si c’est non, nos concitoyens sortiront perdants de cette réforme, vous le savez. (Applaudissements sur quelques bancs du groupe LR.)

M. le président. La parole est à M. Frédéric Petit.

M. Frédéric Petit. Monsieur Bernalicis, je reviens sur votre expression « niveler par le bas ».

M. Ugo Bernalicis. Très bien ! Allez-y !

M. Frédéric Petit. Il ne faut pas partir d’exemples précis, comme celui des deux cadres de santé, mais du panier.

M. Ugo Bernalicis. Tout est dans le panier !

M. Frédéric Petit. Vous parlez toujours de votre indice lié au PIB, mais le montant du panier va augmenter environ quatre fois plus vite que le nombre de pensionnés. Quelle que soit la décision que nous prendrons dans cet hémicycle, changer ou ne pas changer, les évaluations sont les mêmes : une répartition égalitaire donnerait 1 600 euros aujourd’hui, 2 000 euros en 2050. Vous dites que nous ne savons pas calculer. Je suis désolé, mais vous avez la clé de ce calcul : les 28 % de cotisations, voilà tout. Dès lors que vous connaissez à peu près le PIB, la valeur ajoutée du travail, et que vous savez qu’on en prélève 28 %, vous pouvez faire vos projections. Même si elles seront forcément approximatives, vous avez votre point de départ. Or, je le répète encore une fois, c’est ce point de départ, décrit aux articles 8 et 9, qui permettra d’établir, avant le 30 juin 2021, la première valeur du point, c’est-à-dire sa valeur au 1er janvier 2022. Sur cette base, nous l’indexerons au moyen d’autres calculs, sans qu’il puisse jamais baisser. Je ne comprends pas votre entêtement à soutenir que tout va baisser. Il n’est pas possible que tout baisse, puisque le total augmente. Encore une fois, si je divise la valeur des cotisations prévues en 2050 par le nombre de personnes prévues…

M. le président. Merci.

M. Frédéric Petit. Je finis, monsieur le président.

M. le président. Pardon, mais c’est moi qui décide, monsieur Petit !

La parole est à M. Alain Bruneel.

M. Alain Bruneel. J’ai lu un article de Jean Pisani-Ferry dont je vais vous citer quelques passages. Au sujet de la modification des paramètres, il écrit : « Cette redéfinition figure dans le projet de loi. Les principes en sont posés : les droits – c’est-à-dire à la fois la valeur du point et son taux de conversion en pension, qu’on appelle "valeur de service" – seront indexés sur le revenu moyen par tête […] ; l’âge d’équilibre évoluera en fonction de l’espérance de vie ; les pensions elles-mêmes seront, comme aujourd’hui, indexées sur les prix. » Il poursuit : « Il faut être clair : il est impossible de donner des garanties absolues aux futurs retraités. » Voilà qui est d’importance.

Si je reprends maintenant le rapport de M. Delevoye, 10 euros cotisés égalent un point, un point égale 0,55 euro, le cumul des points égale une pension, soit complète, soit morcelée. Vous nous dites que nous posons ici les grands principes, les jalons, et que le reste sera déterminé par la gouvernance, ce qui signifie que nous avançons à tâtons dans l’inconnu : c’est la gouvernance qui va décider de l’âge d’équilibre et de la valeur du point. Je ne sais pas ce que cela donnera pour les retraités futurs, qui vont entrer dans un système dont nous-mêmes ne voulons pas, permettez-moi de le faire observer.

Lorsque la gouvernance aura décidé, ce n’est pourtant pas elle qui aura le dernier mot : le Gouvernement acceptera ou refusera sa décision. Imaginons que le rapport de forces évolue en France et que les syndicats opposés à cette réforme deviennent majoritaires : vous ne voudrez pas accepter toutes les décisions de la gouvernance ! C’est pour cela que vous vous êtes réservé le dernier mot ! (Applaudissements sur les bancs du groupe GDR.)

M. le président. Je mets aux voix les amendements no 961 et identiques.

(Il est procédé au scrutin.)

M. le président. Voici le résultat du scrutin :

        Nombre de votants                        57

        Nombre de suffrages exprimés                57

        Majorité absolue                        29

                Pour l’adoption                10

                Contre                47

(Les amendements no 961 et identiques ne sont pas adoptés.)

M. le président. La suite de la discussion est renvoyée à la prochaine séance.

 

 
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